• Troisième Dialogue

     

    La scène est dans un boudoir délicieux.

     

    Madame de Saint-Ange, Eugénie, Dolmancé.

     

    Eugénie, très surprise de voir dans ce cabinet un homme qu'elle n'attendait pas — Oh ! Dieu ! ma chère amie, c'est une trahison !

    Mme de Saint-Ange, également surprise — Par quel hasard ici, monsieur ? Vous ne deviez, ce me semble, arriver qu'à quatre heures ?

    Dolmancé — On devance toujours le plus qu'on peut le bonheur de vous voir, madame ; j'ai rencontré monsieur votre frère ; il a senti le besoin dont serait ma présence aux leçons que vous devez donner à mademoiselle ; il savait que ce serait ici le lycée où se ferait le cours ; il m'y a secrètement introduit, n'imaginant pas que vous le désaprouvassiez, et pour lui, comme il sait que ses démonstrations ne seront nécessaires qu'après les dissertations théoriques, il ne paraîtra que tantôt.

    Mme de Saint-Ange — En vérité, Dolmancé, voilà un tour...

    Eugénie — Dont je ne suis pas la dupe, ma bonne amie ; tout cela est ton ouvrage... Au moins fallait-il me consulter... Me voilà d'une honte à présent qui, certainement, s'opposera à tous nos projets.

    Mme de Saint-Ange — Je te proteste, Eugénie, que l'idée de cette surprise n'appartient qu'à mon frère ; mais qu'elle ne t'effraie pas : Dolmancé, que je connais pour un homme fort aimable, et précisément du degré de philosophie qu'il nous faut pour ton instruction, ne peut qu'être très utile à nos projets ; à l'égard de sa discrétion, je te réponds de lui comme de moi. Familiarise-toi donc, ma chère, avec l'homme du monde le plus en état de te former, et de te conduire dans la carrière du bonheur et des plaisirs que nous voulons parcourir ensemble.

    Eugénie, rougissant — Oh! je n'en suis pas moins d'une confusion...

    Dolmancé — Allons, belle Eugénie, mettez-vous à votre aise... la pudeur est une vieille vertu dont vous devez, avec autant de charmes, savoir vous passer à merveille.

    Eugénie — Mais la décence...

    Dolmancé — Autre usage gothique, dont on fait bien peu cas aujourd'hui. Il contrarie si fort la nature ! (Dolmancé saisit Eugénie, la presse entre ses bras et la baise.)

    Eugénie, se défendant — Finissez donc, monsieur !... En vérité, vous me ménagez bien peu !

    Mme de Saint-Ange — Eugénie, crois-moi, cessons l'une et l'autre d'être prudes avec cet homme charmant ; je ne le connais pas plus que toi : regarde comme je me livre à lui ! (Elle le baise lubriquement sur la bouche.) Imite-moi.

    Eugénie — Oh ! je le veux bien ; de qui prendrais-je de meilleurs exemples ! (Elle se livre à Dolmancé qui la baise ardemment, langue en bouche.)

    Dolmancé — Ah ! l'aimable et délicieuse créature !

    Mme de Saint-Ange, la baisant de même — Crois-tu donc, petite friponne, que je n'aurai pas également mon tour ? (Ici Dolmancé, les tenant l'une et l'autre dans ses bras, les langote un quart d'heure toutes deux, et toutes deux se le rendent et le lui rendent.)

    Dolmancé — Ah ! voilà des préliminaires qui m'enivrent de volupté ! Mesdames, voulez-vous m'en croire ? Il fait extraordinairement chaud : mettons-nous à notre aise, nous jaserons infiniment mieux.

    Mme de Saint-Ange — J'y consens ; revêtons-nous de ces simarres de gaze : elles ne voileront de nos attraits que ce qu'il faut cacher au désir.

    Eugénie — En vérité, ma bonne, vous me faites faire des choses !...

    Mme de Saint-Ange, l'aidant à se déshabiller — Tout à fait ridicules, n'est-ce pas ?

    Eugénie — Au moins bien indécentes, en vérité... Eh ! comme tu me baises !

    Mme de Saint-Ange — La jolie gorge !... c'est une rose à peine épanouie.

    Dolmancé, considérant les tétons d'Eugénie, sans les toucher — Et qui promet d'autres appas... infiniment plus estimables.

    Mme de Saint-Ange — Plus estimables ?

    Dolmancé — Oh ! oui, d'honneur ! (En disant cela, Dolmancé fait mine de retourner Eugénie pour l'examiner par-derrière.)

    Eugénie — Oh ! non, non, je vous en conjure.

    Mme de Saint-Ange — Non, Dolmancé... je ne veux pas que vous voyiez encore... un objet dont l'empire est trop grand sur vous, pour que, l'ayant une fois dans la tête, vous puissiez ensuite raisonner de sang-froid. Nous avons besoin de vos leçons, donnez-nous-les, et les myrtes que vous voulez cueillir formeront ensuite votre couronne.

    Dolmancé — Soit, mais pour démontrer, pour donner à ce bel enfant les premières leçons du libertinage, il faut bien au moins que vous, madame, vous ayez la complaisance de vous prêter.

    Mme de Saint-Ange — A la bonne heure !... Eh bien, tenez, me voilà toute nue : dissertez sur moi autant que vous voudrez !

    Dolmancé — Ah! le beau corps !... C'est Vénus elle-même, embellie par les Grâces !

    Eugénie — Oh! ma chère amie, que d'attraits! Laissez-moi les parcourir à mon aise, laissez-moi les couvrir de baisers. (Elle exécute.)

    Dolmancé — Quelles excellentes dispositions! Un peu moins d'ardeur, belle Eugénie; ce n'est que de l'attention que je vous demande pour ce moment-ci.

    Eugénie — Allons, j'écoute, j'écoute... C'est qu'elle est si belle... si potelée, si fraîche!... Ah! comme elle est charmante, ma bonne amie, n'est-ce pas, monsieur?

    Dolmancé — Elle est belle, assurément... parfaitement belle; mais je suis persuadé que vous ne le lui cédez en rien... Allons, écoutez-moi, jolie petite élève, ou craignez que, si vous n'êtes pas docile, je n'use sur vous des droits que me donne amplement le titre de votre instituteur.

    Mme de Saint-Ange — Oh! oui, oui, Dolmancé, je vous la livre; il faut la gronder d'importance, si elle n'est pas sage.

    Dolmancé — Je pourrais bien ne pas m'en tenir aux remontrances.

    Eugénie — Oh! juste ciel! vous m'effrayez... et qu'entreprendriez-vous donc, monsieur?

    Dolmancé, balbutiant et baisant Eugénie sur la bouche — Des châtiments... des corrections, et ce joli petit cul pourrait bien me répondre des fautes de la tête. (Il le lui frappe au travers de la simarre de gaze dont est maintenant vêtue Eugénie.)

    Mme de Saint-Ange — Oui, j'approuve le projet, mais non pas le reste. Commençons notre leçon, ou le peu de temps que nous avons à jouir d'Eugénie va se passer ainsi en préliminaires, et l'instruction ne se fera point.

    Dolmancé — (Il touche à mesure, sur Mme de Saint-Ange, toutes les parties qu'il démontre.) Je commence. Je ne parlerai point de ces globes de chair: vous savez aussi bien que moi, Eugénie, que l'on les nomme indifféremment gorge, seins, tétons; leur usage est d'une grande vertu dans le plaisir; un amant les a sous les yeux en jouissant; il les caresse, il les manie, quelques-uns en forment même le siège de la jouissance et, leur membre se nichant entre les deux monts de Vénus, que la femme serre et comprime sur ce membre, au bout de quelques mouvements, certains hommes parviennent à répandre là le baume délicieux de la vie, dont l'écoulement fait tout le bonheur des libertins... Mais ce membre sur lequel il faudra disserter sans cesse, ne serait-il pas à propos, madame, d'en donner dissertation à notre écolière?

    Mme de Saint-Ange — Je le crois de même.

    Dolmancé — Eh bien, madame, je vais m'étendre sur ce canapé; vous vous placerez près de moi, vous vous emparerez du sujet, et vous en expliquerez vous-même les propriétés à notre jeune élève. (Dolmancé se place et Mme de Saint-Ange démontre.)

    Mme de Saint-Ange — Ce sceptre de Vénus, que tu vois sous les yeux, Eugénie, est le premier agent des plaisirs en amour: on le nomme membre par excellence; il n'est pas une seule partie du corps humain dans lequel il ne s'introduise. Toujours docile aux passions de celui qui le meut, tantôt il se niche là (elle touche le con d'Eugénie): c'est sa route ordinaire... la plus usitée, mais non pas la plus agréable; recherchant un temple plus mystérieux, c'est souvent ici (elle écarte ses fesses et montre le trou de son cul) que le libertin cherche à jouir: nous reviendrons sur cette jouissance, la plus délicieuse de toutes; la bouche, le sein, les aisselles lui présentent souvent encore des autels où brûle son encens; et quel que soit enfin celui de tous les endroits qu'il préfère, on le voit, après s'être agité quelques instants, lancer une liqueur blanche et visqueuse dont l'écoulement plonge l'homme dans un délire assez vif pour lui procurer les plaisirs les plus doux qu'il puisse espérer de sa vie.

    Eugénie — Oh! que je voudrais voir couler cette liqueur!

    Mme de Saint-Ange — Cela se pourrait par la simple vibration de ma main: vois, comme il s'irrite à mesure que je le secoue! Ces mouvements se nomment pollution et, en terme de libertinage, cette action s'appelle branler.

    Eugénie — Oh! ma chère amie, laisse-moi branler ce beau membre.

    Dolmancé — Je n'y tiens pas! Laissons-la faire, madame: cette ingénuité me fait horriblement bander.

    Mme de Saint-Ange — Je m'oppose à cette effervescence. Dolmancé, soyez sage; l'écoulement de cette semence, en diminuant l'activité de vos esprits animaux, ralentirait la chaleur de vos dissertations.

    Eugénie, maniant les testicules de Dolmancé — Oh! que je suis fâchée, ma bonne amie, de la résistance que tu mets à mes désirs!... Et ces boules, quel est leur usage, et comment les nomme-t-on?

    Mme de Saint-Ange — Le mot technique est couilles... testicules est celui de l'art. Ces boules renferment le réservoir de cette semence prolifique dont je viens de te parler, et dont l'éjaculation dans la matrice de la femme produit l'espèce humaine; mais nous appuierons peu sur ces détails, Eugénie, plus dépendants de la médecine que du libertinage. Une jolie fille ne doit s'occuper que de foutre et jamais d'engendrer. Nous glisserons sur tout ce qui tient au plat mécanisme de la population, pour nous attacher uniquement aux voluptés libertines dont l'esprit n'est nullement populateur.

    Eugénie — Mais, ma chère amie, lorsque ce membre énorme, qui peut à peine tenir dans ma main, pénètre, ainsi que tu m'assure que cela se peut, dans un trou aussi petit que celui de ton derrière, cela doit bien faire une grande douleur à la femme.

    Mme de Saint-Ange — Soit que cette introduction se fasse par-devant, soit qu'elle se fasse par derrière, lorsqu'une femme n'y est pas encore accoutumée, elle y éprouve toujours de la douleur. Il a plu à la nature de ne nous faire arriver au bonheur que par des peines; mais, une fois vaincue, rien ne peut plus rendre les plaisirs que l'on goûte, et celui qu'on éprouve à l'introduction de ce membre dans nos culs est incontestablement préférable à tous ceux que peut procurer cette même introduction par-devant. Que de dangers, d'ailleurs, n'évite pas une femme alors! Moins de risque pour sa santé, et plus aucun pour la grossesse. Je ne m'étends pas davantage à présent sur cette volupté; notre maître à toutes deux, Eugénie, l'analysera bientôt amplement, et, joignant la pratique à la théorie, te convaincra, j'espère, ma toute bonne, que, de tous les plaisirs de la jouissance, c'est le seul que tu doives préférer.

    Dolmancé — Dépêchez vos démonstrations, madame, je vous en conjure, je n'y puis plus tenir; je déchargerai malgré moi, et ce redoutable membre, réduit à rien, ne pourrait plus servir à vos leçons.

    Eugénie — Comment! il s'anéantirait, ma bonne, s'il perdait cette semence dont tu parles!... Oh! laisse-moi la lui faire perdre, pour que je voie comme il deviendra... Et puis j'aurais tant de plaisir à voir couler cela!

    Mme de Saint-Ange — Non, non, Dolmancé, levez-vous; songez que c'est le prix de vos travaux, et que je ne puis vous le livrer qu'après que vous l'aurez mérité.

    Dolmancé — Soit, mais pour mieux convaincre Eugénie de tout ce que nous allons lui débiter sur le plaisir, quel inconvénient y aurait-il que vous la branliez devant moi, par exemple?

    Mme de Saint-Ange — Aucun, sans doute, et j'y vais procéder avec d'autant plus de joie que cet épisode lubrique ne pourra qu'aider nos leçons. Place-toi sur ce canapé, ma toute bonne.

    Eugénie — O Dieu! la délicieuse niche! Mais pourquoi toutes ces glaces?

    Mme de Saint-Ange — C'est pour que, répétant les attitudes en mille sens divers, elles multiplient à l'infini les mêmes jouissances aux yeux de ceux qui les goûtent sur cette ottomane. Aucune des parties de l'un ou l'autre corps ne peut être cachée par ce moyen: il faut que tout soit en vue; ce sont autant de groupes rassemblés autour de ceux que l'amour enchaîne, autant d'imitateurs de leurs plaisirs, autant de tableaux délicieux, dont leur lubricité s'enivre et qui servent bientôt à la compléter elle-même.

    Eugénie — Que cette invention est délicieuse!

    Mme de Saint-Ange — Dolmancé, déshabillez vous-même la victime.

    Dolmancé — Cela ne sera pas difficile, puisqu'il ne s'agit que d'enlever cette gaze pour distinguer à nu les plus touchants attraits. (Il la met nue, et ses premiers regards se portent aussitôt sur le derrière.) Je vais donc le voir, ce cul divin et précieux que j'ambitionne avec tant d'ardeur!... Sacredieu! que d'embonpoint et de fraîcheur, que d'éclat et d'élégance!... Je n'en vis jamais un plus beau!

    Mme de Saint-Ange — Ah! fripon! comme tes premiers hommages prouvent tes plaisirs et tes goûts!

    Dolmancé — Mais peut-il être au monde rien qui vaille cela?... Où l'amour aurait-il de plus divins autels?... Eugénie... sublime Eugénie, que j'accable ce cul des plus douces caresses! (Il le manie et le baise avec transport.)

    Mme de Saint-Ange — Arrêtez, libertin!... Vous oubliez qu'à moi seule appartient Eugénie, unique prix des leçons qu'elle attend de vous; ce n'est qu'après les avoir reçues qu'elle deviendra votre récompense. Suspendez cette ardeur, ou je me fâche.

    Dolmancé — Ah! friponne! c'est de la jalousie... Eh bien, livrez-moi le vôtre: je vais l'accabler des mêmes hommages. (Il enlève la simarre de Mme de Saint-Ange et lui caresse le derrière.) Ah! qu'il est beau, mon ange... qu'il est délicieux aussi! Que je les compare... que je les admire l'un près de l'autre: c'est Ganymède à côté de Vénus! (Il les accable de baisers tous deux.) Afin de laisser toujours sous mes yeux le spectacle enchanteur de tant de beautés, ne pourriez-vous pas, madame, en vous enchaînant l'une à l'autre, offrir sans cesse à mes regards ces culs charmants que j'idolâtre?

    Mme de Saint-Ange — A merveille!... Tenez, êtes-vous satisfait?... (Elles s'enlacent l'une dans l'autre, de manière à ce que leurs deux culs soient en face de Dolmancé.)

    Dolmancé — On ne saurait davantage: voilà précisément ce que je demandais, agitez maintenant ces beaux culs de tout le feu de la lubricité; qu'ils se baissent et se relèvent en cadence; qu'ils suivent les impressions dont le plaisir va les mouvoir... Bien, bien, c'est délicieux!...

    Eugénie — Ah! ma bonne, que tu me fais de plaisir!... Comment appelle-t-on ce que nous faisons là?

    Mme de Saint-Ange — Se branler, ma mie... se donner du plaisir; mais, tiens, changeons de posture; examine mon con... c'est ainsi que se nomme le temple de Vénus. Cet antre que la main couvre, examine-le bien: je vais l'entrouvrir. Cette élévation dont tu vois qu'il est couronné s'appelle la motte: elle se garnit de poils communément à quatorze ou quinze ans, quand une fille commence à être réglée. Cette languette, qu'on trouve au-dessous, se nomme le clitoris. Là gît toute la sensibilité des femmes; c'est le foyer de toute la mienne; on ne saurait me chatouiller cette partie sans me voir pâmer de plaisir... Essaie-le... Ah! petite friponne! comme tu y vas!... On dirait que tu n'as fait que cela toute ta vie!... Arrête!... Arrête!... Non, te dis-je, je ne veux pas me livrer!... Ah! contenez-moi, Dolmancé!... sous les doigts enchanteurs de cette jolie fille, je suis prête à perdre la tête!

    Dolmancé — Eh bien! pour attiédir, s'il se peut, vos idées en les variant, branlez-la vous-même; contenez-vous, et qu'elle seule se livre... Là, oui!... dans cette attitude; son joli cul, de cette manière, va se trouver sous mes mains; je vais le polluer légèrement d'un doigt... Livrez-vous, Eugénie; abandonnez tous vos sens au plaisir; qu'il soit le seul dieu de votre existence; c'est à lui seul qu'une jeune fille doit tout sacrifier, et rien à ses yeux ne doit être aussi sacré que le plaisir.

    Eugénie — Ah! rien au moins n'est aussi délicieux, je l'éprouve... Je suis hors de moi... je ne sais plus ce que je dis ni ce que je fais... Quelle ivresse s'empare de mes sens.

    Dolmancé — Comme la petite friponne décharge!... Son anus se resserre à me couper le doigt... Qu'elle serait délicieuse à enculer dans cet instant! (Il se lève et présente son vit au trou du cul de la jeune fille.)

    Mme de Saint-Ange — Encore un moment de patience. Que l'éducation de cette chère fille nous occupe seule!... Il est si doux de la former.

    Dolmancé — Eh bien! tu le vois, Eugénie, après une pollution plus ou moins longue, les glandes séminales se gonflent et finissent par exhaler une liqueur dont l'écoulement plonge la femme dans le transport le plus délicieux. Cela s'appelle décharger. Quand ta bonne amie le voudra, je te ferai voir de quelle manière plus énergique et plus impérieuse cette même opération se fait dans les hommes.

    Mme de Saint-Ange — Attends, Eugénie, je vais maintenant t'apprendre une nouvelle manière de plonger une femme dans la plus extrême volupté. Écarte bien tes cuisses... Dolmancé, vous voyez que, de la façon dont je la place, son cul vous reste! Gamahuchez-le-lui pendant que son con va l'être par ma langue, et faisons-la pâmer entre nous ainsi trois ou quatre fois de suite, s'il se peut. Ta motte est charmante, Eugénie. Que j'aime à baiser ce petit poil follet!... Ton clitoris, que je vois mieux maintenant, est peu formé, mais bien sensible... Comme tu frétilles!... Laisse-moi t'écarter... Ah! tu es sûrement bien vierge!... Dis-moi l'effet que tu vas éprouver dès que nos langues vont s'introduire, à la fois, dans tes deux ouvertures. (On exécute.)

    Eugénie — Ah! ma chère, c'est délicieux, c'est une sensation impossible à peindre! Il me serait bien difficile de dire laquelle de vos deux langues me plonge mieux dans le délire.

    Dolmancé — Par l'attitude où je me place, mon vit est très près de vos mains, madame; daignez le branler, je vous prie, pendant que je suce ce cul divin. Enfoncez davantage votre langue, madame, ne vous en tenez pas au clitoris; faites pénétrer cette langue voluptueuse jusque dans la matrice: c'est la meilleure façon de hâter l'éjaculation de son foutre.

    Eugénie, se raidissant — Ah! je n'en peux plus, je me meurs! Ne m'abandonnez pas, mes amis, je suis prête à m'évanouir!... (Elle décharge au milieu de ses deux instituteurs).

    Mme de Saint-Ange — Eh bien! ma mie, comment te trouves-tu du plaisir que nous t'avons donné?

    Eugénie — Je suis morte, je suis brisée... je suis anéantie!... Mais expliquez-moi, je vous prie, deux mots que vous avez prononcés et que je n'entends pas; d'abord que signifie matrice?

    Mme de Saint-Ange — C'est une espèce de vase, ressemblant à une bouteille, dont le col embrasse le membre de l'homme et qui reçoit le foutre produit chez la femme par le suintement des glandes, et dans l'homme par l'éjaculation que nous te ferons voir; et du mélange de ces liqueurs naît le germe, qui produit tour à tour des garçons ou des filles.

    Eugénie — Ah! j'entends; cette définition m'explique en même temps le mot foutre que je n'avais pas d'abord bien compris. Et l'union des semences est-elle nécessaire à la formation du fœtus?

    Mme de Saint-Ange — Assurément, quoiqu'il soit néanmoins prouvé que ce fœtus ne doive son existence qu'au foutre de l'homme; élancé seul, sans mélange avec celui de la femme, il ne réussirait cependant pas; mais celui que nous fournissons ne fait qu'élaborer; il ne crée point, il aide à la création, sans en être la cause. Plusieurs naturalistes modernes prétendent même qu'il est inutile; d'où les moralistes, toujours guidés par la découverte de ceux-ci, ont conclu, avec assez de vraisemblance, qu'en ce cas l'enfant formé du sang du père ne devait de tendresse qu'à lui. Cette assertion n'est point sans apparence, et, quoique femme, je ne m'aviserais pas de la combattre.

    Eugénie — Je trouve dans mon cœur la preuve de ce que tu me dis, ma bonne, car j'aime mon père à la folie, et je sens que je déteste ma mère.

    Dolmancé — Cette prédilection n'a rien d'étonnant: j'ai pensé tout de même; je ne suis pas encore consolé de la mort de mon père, et lorsque je perdis ma mère, je fis un feu de joie... Je la détestais cordialement. Adoptez sans crainte ces mêmes sentiments, Eugénie: ils sont dans la nature. Uniquement formés du sang de nos pères, nous ne devons absolument rien à nos mères; elles n'ont fait d'ailleurs que se prêter dans l'acte, au lieu que le père l'a sollicité; le père a donc voulu notre naissance, pendant que la mère n'a fait qu'y consentir. Quelle différence pour les sentiments!

    Mme de Saint-Ange — Mille raisons de plus sont en ta faveur, Eugénie. S'il est une mère au monde qui doive être détestée, c'est assurément la tienne! Acariâtre, superstitieuse, dévote, grondeuse... et d'une pruderie révoltante, je gagerais que cette bégueule n'a pas fait un faux pas dans sa vie... Ah! ma chère, que je déteste les femmes vertueuses!... Mais nous y reviendrons.

    Dolmancé — Ne serait-il pas nécessaire, à présent, qu'Eugénie, dirigée par moi, apprît à rendre ce que vous venez de lui prêter, et qu'elle vous branlât sous mes yeux?

    Mme de Saint-Ange — J'y consens, je le crois même utile, et sans doute que, pendant l'opération, vous voulez aussi voir mon cul, Dolmancé?

    Dolmancé — Pouvez-vous douter, madame, du plaisir avec lequel je lui rendrais mes plus doux hommages?

    Mme de Saint-Ange, lui présentant les fesses — Eh bien, me trouvez-vous comme il faut ainsi?

    Dolmancé — A merveille! Je puis vous rendre, de cette manière, les mêmes services dont Eugénie s'est si bien trouvée. Placez-vous, à présent, petite folle, la tête bien entre les jambes de votre amie, et rendez-lui, avec votre jolie langue, les mêmes soins que vous venez d'en obtenir. Comment donc! mais, par l'attitude, je pourrai posséder vos deux culs, je manierai délicieusement celui d'Eugénie, en suçant celui de sa belle amie. Là... bien... Voyez comme nous sommes ensemble.

    Mme de Saint-Ange, se pâmant — Je me meurs, sacredieu!... Dolmancé, que j'aime à toucher ton beau vit, pendant que je décharge!... Je voudrais qu'il m'inondât de foutre!... Branlez!... sucez-moi, foutredieu!... Ah! que j'aime à faire la putain, quand mon sperme éjacule ainsi! C'est fini, je n'en puis plus... Vous m'avez accablée tous les deux... Je crois que de mes jours je n'eus tant de plaisir.

    Eugénie — Que je suis aise d'en être la cause! Mais un mot, chère amie, un mot vient de t'échapper encore, et je ne l'entends pas. Qu'entends-tu par cette expression de putain? Pardon, mais tu sais? je suis ici pour m'instruire.

    Mme de Saint-Ange — On appelle de cette manière, ma toute belle, ces victimes publiques de la débauche des hommes, toujours prêtes à se livrer à leur tempérament ou à leur intérêt; heureuses et respectables créatures, que l'opinion flétrit, mais que la volupté couronne, et qui, bien plus nécessaires à la société que les prudes, ont le courage de sacrifier, pour la servir, la considération que cette société ose leur enlever injustement. Vivent celles que ce titre honore à leurs yeux! Voilà les femmes vraiment aimables, les seules véritablement philosophes! Quant à moi, ma chère, qui depuis douze ans travaille à le mériter, je t'assure que loin de m'en formaliser, je m'en amuse. Il y a mieux: j'aime qu'on me nomme ainsi quand on me fout; cette injure m'échauffe la tête.

    Eugénie — Oh! je le conçois, ma bonne; je ne serais pas fâchée non plus que l'on me l'adressât, encore bien moins d'en mériter le titre; mais la vertu ne s'oppose-t-elle pas à une telle inconduite, et ne l'offensons-nous pas en nous comportant comme nous le faisons?

    Dolmancé — Ah! renoncez aux vertus, Eugénie! Est-il un seul des sacrifices qu'on puisse faire à ces fausses divinités, qui vaille une minute des plaisirs que l'on goûte en les outrageant? Va, la vertu n'est qu'une chimère, dont le culte ne consiste qu'en des immolations perpétuelles, qu'en des révoltes sans nombre contre les inspirations du tempérament. De tels mouvements peuvent-ils être naturels? La nature conseille-t-elle ce qui l'outrage? Ne sois pas la dupe, Eugénie, de ces femmes que tu entends nommer vertueuses. Ce ne sont pas, si tu veux, les mêmes passions que nous qu'elles servent, mais elles en ont d'autres, et souvent bien plus méprisables... C'est l'ambition, c'est l'orgueil, ce sont des intérêts particuliers, souvent encore la froideur seule d'un tempérament qui ne leur conseille rien. Devons-nous quelque chose à de pareils êtres, je le demande? N'ont-elles pas suivi les uniques impressions de l'amour de soi? Est-il donc meilleur, plus sage, plus à propos de sacrifier à l'égoïsme qu'aux passions? Pour moi, je crois que l'un vaut bien l'autre; et qui n'écoute que cette dernière voix a bien plus de raison sans doute, puisqu'elle est seule organe de la nature, tandis que l'autre n'est que celle de la sottise et du préjugé. Une seule goutte de foutre éjaculée de ce membre, Eugénie, m'est plus précieuse que les actes les plus sublimes d'une vertu que je méprise.

    Eugénie (Le calme s'étant un peu rétabli pendant ces dissertations, les femmes, revêtues de leurs simarres, sont à demi couchées sur le canapé, et Dolmancé auprès d'elle dans un grand fauteuil.) — Mais il est des vertus de plus d'une espèce; que pensez-vous, par exemple, de la piété?

    Dolmancé — Que peut être cette vertu pour qui ne croit pas à la religion? et qui peut croire à la religion? Voyons, raisonnons avec ordre, Eugénie: n'appelez-vous pas religion le pacte qui le lie à son Créateur, et qui l'engage à lui témoigner, par un culte, la reconnaissance qu'il a de l'existence reçue de ce sublime auteur?

    Eugénie — On ne peut mieux le définir.

    Dolmancé — Eh bien! s'il est démontré que l'homme ne doit son existence qu'aux plans irrésistibles de la nature; s'il est prouvé qu'aussi ancien sur ce globe que le globe même, il n'est, comme le chêne, le lion, comme les minéraux qui se trouvent dans les entrailles de ce globe, qu'une production nécessité par l'existence du globe, et qui ne doit la sienne à qui que ce soit; s'il est démontré que ce Dieu, que les sots regardent comme auteur et fabricateur unique de tout ce que nous voyons, n'est que le nec plus ultra de la raison humaine, que le fantôme créé à l'instant où cette raison ne voit plus rien, afin d'aider à ses opérations; s'il est prouvé que l'existence de ce Dieu est impossible, et que la nature, toujours en action, toujours en mouvement, tient d'elle-même ce qu'il plaît aux sots de lui donner gratuitement; s'il est certain qu'à supposer que cet être inerte existât, ce serait assurément le plus ridicule de tous les êtres, puisqu'il n'aurait servi qu'un seul jour, et que depuis des millions de siècles il serait dans une inaction méprisable; qu'à supposer qu'il existât comme les religions nous le peignent, ce serait assurément le plus détestable des êtres, puisqu'il permettrait le mal sur la terre, tandis que sa toute-puissance pourrait l'empêcher; si, dis-je, tout cela se trouvait prouvé, comme cela l'est incontestablement, croyez-vous alors, Eugénie, que la piété qui lierait l'homme à ce Créateur imbécile, insuffisant, féroce et méprisable, fût une vertu bien nécessaire?

    Eugénie, à Mme de Saint-Ange — Quoi! réellement, mon aimable amie, l'existence de Dieu serait une chimère?

    Mme de Saint-Ange — Et des plus méprisables, sans doute.

    Dolmancé — Il faut avoir perdu le sens pour y croire. Fruit de la frayeur des uns et de la faiblesse des autres, cet abominable fantôme, Eugénie, est inutile au système de la terre; il y nuirait infailliblement, puisque ses volontés, qui devraient être justes, ne pourraient jamais s'allier avec les injustices essentielles aux lois de la nature; qu'il devrait constamment vouloir le bien, et que la nature ne doit le désirer qu'en compensation du mal qui sert à ses lois; qu'il faudrait qu'il agît toujours, et que la nature, dont cette action perpétuelle est une des lois, ne pourrait se trouver en concurrence et en opposition perpétuelle avec lui. Mais, dira-t-on à cela, Dieu et la nature sont la même chose. Ne serait-ce pas une absurdité? La chose créée ne peut être égale à l'être créant: est-il possible que la montre soit l'horloger? Eh bien, continuera-t-on, la nature n'est rien, c'est Dieu qui est tout. Autre bêtise! Il y a nécessairement deux choses dans l'univers: l'agent créateur et l'individu créé. Or quel est cet agent créateur? Voilà la seule difficulté qu'il faut résoudre; c'est la seule question à laquelle il faille répondre.

    Si la matière agit, se meut, par des combinaisons qui nous sont inconnues, si le mouvement est inhérent à la matière, si elle seule enfin peut, en raison de son énergie, créer, produire, conserver, maintenir, balancer dans les plaines immenses de l'espace tous les globes dont la vue nous surprend et dont la marche uniforme, invariable, nous remplit de respect et d'admiration, que sera le besoin de chercher alors un agent étranger à tout cela, puisque cette faculté active se trouve essentiellement dans la nature elle-même, qui n'est autre chose que la matière en action? Votre chimère déifique éclaircira-t-elle quelque chose? Je défie qu'on puisse me le prouver. A supposer que je me trompe sur les facultés internes de la matière, je n'ai du moins devant moi qu'une difficulté. Que faites-vous en m'offrant votre Dieu? Vous m'en donnez une de plus. Et comment voulez-vous que j'admette, pour cause que je ne comprends pas, quelque chose que je comprends encore moins? Sera-ce au moyen de dogmes de la religion chrétienne que j'examinerai... que je me représenterai votre effroyable Dieu? Voyons un peu comme elle me le peint...

    Que vois-je dans le Dieu de ce culte infâme, si ce n'est pas un être inconséquent et barbare, créant aujourd'hui un monde, de la construction duquel il s'en repent demain? Qu'y vois-je, qu'un être faible qui ne peut jamais faire prendre à l'homme le pli qu'il voudrait? Cette créature, quoique émanée de lui, le domine; elle peut l'offenser et mériter par là des supplices éternels! Quel être faible que ce Dieu-là! Comment! il a pu créer tout ce que nous voyons, et il lui est impossible de former un homme à sa guise? Mais, me répondrez-vous à cela, s'il l'eût créé tel, l'homme n'eût pas eu de mérite. Quelle platitude! et quelle nécessité y a-t-il que l'homme mérite de son Dieu? En le formant tout à fait bon, il n'aurait jamais pu faire le mal, et de ce moment seul l'ouvrage était digne d'un Dieu. C'est tenter l'homme que de lui laisser un choix. Or Dieu, par sa prescience infinie, savait bien ce qui en résulterait. De ce moment, c'est donc à plaisir qu'il perd la créature que lui-même a formée. Quel horrible Dieu que ce Dieu-là! quel monstre! quel scélérat plus digne de notre haine et notre implacable vengeance! Cependant, peu content d'une aussi sublime besogne, il noie l'homme pour le convertir; il le brûle, il le maudit. Rien de tout cela ne le change. Un être plus puissant que ce vilain Dieu, le Diable, conservant toujours son empire, pouvant toujours braver son auteur, parvient sans cesse, par ses séductions, à débaucher le troupeau que s'était réservé l'Éternel. Rien ne peut vaincre l'énergie de ce démon sur nous. Qu'imagine alors, selon vous, l'horrible Dieu que vous prêchez? Il n'a qu'un fils, un fils unique, qu'il possède de je ne sais quel commerce; car, comme l'homme fout, il a voulu que son Dieu foutît également; il détache du ciel cette respectable portion de lui-même. On s'imagine peut-être que c'est sur des rayons célestes, au milieu du cortège des anges, à la vue de l'univers entier, que cette sublime créature va paraître... Pas un mot: c'est dans le sein d'une putain juive, c'est au milieu d'une étable à cochons, que s'annonce le Dieu qui vient sauver la terre! Voilà la digne extraction qu'on lui prête! Mais son honorable mission nous dédommagera-t-elle? Suivons un instant le personnage. Que dit-il? que fait-il? quelle sublime mission recevons-nous de lui? quel mystère va-t-il révéler? quel dogme va-t-il nous prescrire? dans quels actes enfin sa grandeur va-t-elle éclater?

    Je vois d'abord une enfance ignorée, quelques services, très libertins sans doute, rendus par ce polisson aux prêtres du temple de Jérusalem; ensuite une disparition de quinze ans, pendant laquelle le fripon va s'empoisonner de toutes les rêveries de l'école égyptienne qu'il rapporte enfin en Judée. A peine y reparaît-il, que sa démence débute par lui faire dire qu'il est le fils de Dieu, égal à son père; il associe à cette alliance un autre fantôme qu'il appelle l'Esprit-Saint, et ces trois personnes assure-t-il, ne doivent en faire qu'une! Plus ce ridicule mystère étonne la raison, plus le faquin assure qu'il y a du mérite à l'adopter... de dangers à l'anéantir. C'est pour nous sauver tous, assure l'imbécile, qu'il a pris chair, quoique dieu, dans le sein d'une enfant des hommes; et les miracles éclatants qu'on va lui voir opérer, en convaincront bientôt l'univers! Dans un souper d'ivrognes, en effet, le fourbe change, à ce qu'on dit, l'eau en vin; dans un désert, il nourrit quelques scélérats avec des provisions cachées que ses sectateurs préparèrent; un de ses camarades fait le mort, notre imposteur le ressuscite; il se transporte sur une montagne, et là, seulement devant deux ou trois de ses amis, il fait un tour de passe-passe dont rougirait le plus mauvais bateleur de nos jours.

    Maudissant d'ailleurs avec enthousiasme tous ceux qui ne croient pas en lui, le coquin promet les cieux à tous les sots qui l'écouteront. Il n'écrit rien, vu son ignorance; parle fort peu, vu sa bêtise; fait encore moins, vu sa faiblesse, et, lassant à la fin les magistrats, impatientés de ses discours séditieux, quoique fort rares, le charlatan se fait mettre en croix, après avoir assuré les gredins qui le suivent que, chaque fois qu'ils l'invoqueront, il descendra vers eux pour s'en faire manger. On le supplicie, il se laisse faire. Monsieur son papa, de Dieu sublime, dont il ose dire qu'il descend, ne lui donne pas le moindre secours, et voilà le coquin traité comme le dernier des scélérats, dont il était si digne d'être le chef.

    Ses satellites s'assemblent: "Nous voilà perdus, disent-ils, et toutes nos espérances évanouies, si nous ne nous sauvons par un coup d'éclat. Enivrons la garde qui entoure Jésus; dérobons son corps, publions qu'il est ressuscité: le moyen est sûr; si nous parvenons à faire croire cette friponnerie, notre nouvelle religion s'étaie, se propage; elle séduit le monde entier... Travaillons!" Le coup s'entreprend, il réussit. A combien de fripons la hardiesse n'a-t-elle pas tenu lieu de mérite! Le corps est enlevé; les sots, les femmes, les enfants crient, tant qu'ils le peuvent, au miracle, et cependant, dans cette ville où de si grandes merveilles viennent de s'opérer, dans cette ville teinte du sang d'un Dieu, personne ne veut croire à ce Dieu; pas une conversion ne s'y opère. Il y a mieux: le fait est si peu digne d'être transmis, qu'aucun historien n'en parle. Les seuls disciples de cet imposteur pensent tirer parti de la fraude, mais non pas dans le moment.

    Cette considération est encore bien essentielle, ils laissent écouler plusieurs années avant de faire usage de leur fourberie; ils érigent enfin sur elle l'édifice chancelant de leur dégoûtante doctrine. Tout changement plaît aux hommes. Las du despotisme des empereurs, une révolution devenait nécessaire. On écoute ces fourbes, leur progrès devient très rapide: c'est l'histoire de toutes les erreurs. Bientôt les autels de Vénus et de Mars sont changés en ceux de Jésus et de Marie; on publie la vie de l'imposteur; ce plat roman trouve des dupes; on lui fait dire cent choses auxquelles il n'a jamais pensé; quelques-uns de ses propos saugrenus deviennent aussitôt la base de sa morale, et comme cette nouveauté se prêchait à des pauvres, la charité en devient la première vertu. Des rites bizarres s'instituent sous le nom de sacrements, dont le plus indigne et le plus abominable de tous est celui par lequel un prêtre, couvert de crimes, a néanmoins, par la vertu de quelques paroles magiques, le pouvoir de faire arriver Dieu dans un morceau de pain.

    N'en doutons pas; dès sa naissance même, ce culte indigne eût été détruit sans ressource, si l'on n'eût employé contre lui que les armes du mépris qu'il méritait; mais on s'avisa de le persécuter: il s'accrut; le moyen était inévitable. Qu'on essaie encore aujourd'hui de le couvrir de ridicule, il tombera. L'adroit Voltaire n'employait jamais d'autres armes, et c'est de tous les écrivains celui qui peut se flatter d'avoir fait le plus de prosélytes. En un mot, Eugénie, telle est l'histoire de Dieu et de la religion; voyez le cas que ces fables méritent, et déterminez-vous sur leur compte.

    Eugénie — Mon choix n'est pas embarrassant; je méprise toutes ces rêveries dégoûtantes, et ce Dieu même, auquel je tenais encore par faiblesse ou par ignorance, n'est plus pour moi qu'un objet d'horreur.

    Mme de Saint-Ange — Jure-moi bien de n'y plus penser, de ne t'en occuper jamais, de ne l'invoquer en aucun instant de ta vie, et de n'y revenir de tes jours.

    Eugénie, se précipitant sur le sein de Mme de Saint-Ange — Ah! j'en fais le serment dans tes bras! Ne m'est-il pas facile de voir que ce que tu exiges est pour mon bien, et que tu ne veux pas que de pareilles réminiscences puissent jamais troubler ma tranquillité?

    Mme de Saint-Ange — Pourrais-je avoir d'autre motif?

    Eugénie — Mais, Dolmancé, c'est, ce me semble, l'analyse des vertus qui nous a conduits à l'examen des religions? Revenons-y. N'existerait-il pas dans cette religion, toute ridicule qu'elle est, quelques vertus prescrites par elle, et dont le culte pût contribuer à notre bonheur?

    Dolmancé — Eh bien! examinons. Sera-ce la chasteté, Eugénie, cette vertu que vos yeux détruisent, quoique votre ensemble en soit l'image? Révérerez-vous l'obligation de combattre tous les mouvements de la nature? les sacrifierez-vous tous au vain et ridicule honneur de n'avoir jamais une faiblesse? Soyez juste, et répondez, belle amie: croyez-vous trouver dans cette absurde et dangereuse pureté d'âme tous les plaisirs du vice contraire?

    Eugénie — Non, d'honneur, je ne veux point de celle-là; je ne me sens pas le moindre penchant à être chaste, mais la plus grande disposition au vice contraire; mais, Dolmancé, la charité, la bienfaisance, ne pourraient-elles pas faire le bonheur de quelques âmes sensibles?

    Dolmancé — Loin de nous, Eugénie, les vertus qui ne font que des ingrats! Mais ne t'y trompe point d'ailleurs, ma charmante amie: la bienfaisance est bien plutôt un vice de l'orgueil qu'une véritable vertu de l'âme; c'est par ostentation qu'on soulage ses semblables, jamais dans la seule vue de faire une bonne action; on serait bien fâché que l'aumône qu'on vient de faire n'eût pas toute la publicité possible. Ne t'imagine pas non plus, Eugénie, que cette action ait d'aussi bon effets qu'on se l'imagine: je ne l'envisage, moi, que comme la plus grande de toutes les duperies; elle accoutume le pauvre à des secours qui détériorent son énergie; il ne travaille plus quand il s'attend à vos charités, et devient, dès qu'elles lui manquent, un voleur ou un assassin. J'entends de toutes parts demander les moyens de supprimer la mendicité, et l'on fait, pendant ce temps-là, tout ce qu'on peut pour la multiplier. Voulez-vous ne pas avoir de mouches dans votre chambre? N'y répandez pas de sucre pour les attirer. Voulez-vous ne pas avoir de pauvres en France? Ne distribuez aucune aumône, et supprimez surtout vos maisons de charité. L'individu né dans l'infortune, se voyant alors privé de ces ressources dangereuses, emploiera tout le courage, tous les moyens qu'il aura reçus de la nature, pour se tirer de l'état où il est né; il ne vous importunera plus. Détruisez, renversez sans aucune pitié ces détestables maisons où vous avez l'effronterie de receler les fruits du libertinage de ce pauvre, cloaques épouvantables vomissant chaque jour dans la société un essaim dégoûtant de ces nouvelles créatures, qui n'ont d'espoir que dans votre bourse. A quoi sert-il, je le demande, que l'on conserve de tels individus avec tant de soin? A-t-on peur que la France ne se dépeuple? Ah! n'ayons jamais cette crainte.

    Un des premiers vices de ce gouvernement consiste dans une population beaucoup trop nombreuse, et il s'en faut bien que de tels superflus soient des richesses pour l'État. Ces êtres surnuméraires sont comme des branches parasites qui, ne vivant qu'aux dépens du tronc, finissent toujours par l'exténuer. Souvenez-vous que toutes les fois que, dans un gouvernement quelconque, la population sera supérieure aux moyens de l'existence, ce gouvernement languira. Examinez bien la France, vous verrez que c'est ce qu'elle vous offre. Qu'en résulte-t-il? On le voit. Le Chinois, plus sage que nous, se garde bien de se laisser dominer ainsi par une population trop abondante. Point d'asile pour les fruits honteux de sa débauche: on abandonne ces affreux résultats comme les suites d'une digestion. Point de maisons pour la pauvreté: on ne la connaît point en Chine. Là, tout le monde travaille: là, tout le monde est heureux; rien n'altère l'énergie du pauvre, et chacun y peut dire, comme Néron: Quid est pauper?

    Eugénie, à Mme de Saint-Ange — Chère amie, mon père pense absolument comme Monsieur: de ses jours il ne fit une bonne œuvre. Il ne cesse de gronder ma mère des sommes qu'elle dépense à de telles pratiques. Elle était de la Société maternelle, de la Société philanthropique:je ne sais de quelle association elle n'était point; il l'a contrainte à quitter tout cela, en l'assurant qu'il la réduirait à la plus modique pension si elle s'avisait de retomber encore dans de pareilles sottises.

    Mme de Saint-Ange — Il n'y a rien de plus ridicule et en même temps de plus dangereux, Eugénie, que toutes ces associations: c'est à elles, aux écoles gratuites et aux maisons de charité que nous devons le bouleversement horrible dans lequel nous voici maintenant. Ne fais jamais d'aumône, ma chère, je t'en supplie.

    Eugénie — Ne crains rien; il y a longtemps que mon père a exigé de moi la même chose, et la bienfaisance me tente trop peu pour enfreindre, sur cela, ses ordres... les mouvements de mon cœur et tes désirs.

    Dolmancé — Ne divisons pas cette portion de sensibilité que nous avons reçue de la nature: c'est l'anéantir que de l'étendre. Que me font à moi les maux des autres! N'ai-je donc point assez des miens, sans aller m'affliger de ceux qui me sont étrangers! Que le foyer de cette sensibilité n'allume jamais que nos plaisirs! Soyons sensibles à tout ce qui les flatte, absolument inflexibles sur tout le reste. Il résulte de cet état de l'âme une sorte de cruauté, qui n'est quelquefois pas sans délices. On ne peut pas toujours faire le mal. Privés du plaisir qu'il donne, équivalons au moins cette sensation par la méchanceté piquante de ne jamais faire le bien.

    Eugénie — Ah! Dieu! comme vos leçons m'enflamment! je crois qu'on me tuerait plutôt maintenant que de me faire faire une bonne action!

    Mme de Saint-Ange — Et s'il s'en présentait une mauvaise, serais-tu de même prête à la commettre?

    Eugénie — Tais-toi, séductrice; je ne répondrai sur cela que lorsque tu auras fini de m'instruire. Il me paraît que, d'après tout ce que vous me dites, Dolmancé, rien n'est aussi indifférent sur la terre que d'y commettre le bien ou le mal; nos goûts, notre tempérament doivent seuls être respectés?

    Dolmancé — Ah! n'en doutez pas, Eugénie, ces mots de vice et de vertu ne nous donnent que des idées purement locales. Il n'y a aucune action, quelque singulière que vous puissiez la supposer, qui soit vraiment criminelle; aucune qui puisse réellement s'appeler vertueuse. Tout est en raison de nos mœurs et du climat que nous habitons; ce qui est crime ici est souvent vertu quelque cent lieues plus bas, et les vertus d'un autre hémisphère pourraient bien réversiblement être des crimes pour nous. Il n'y a pas d'horreur qui n'ait été divinisée, pas une vertu qui n'ait été flétrie. De ces différences purement géographiques naît le peu de cas que nous devons faire de l'estime ou du mépris des hommes, sentiments ridicules et frivoles, au-dessus desquels nous devons nous mettre, au point même de préférer sans crainte leur mépris, pour peu que les actions qui nous le méritent soient de quelques volupté pour nous.

    Eugénie — Mais il me semble pourtant qu'il doit y avoir des actions assez dangereuses, assez mauvaises en elles-mêmes, pour avoir été généralement considérées comme criminelles, et punies comme telles d'un bout de l'univers à l'autre?

    Mme de Saint-Ange — Aucune, mon amour, aucune, pas même le viol ni l'inceste, pas même le meurtre ni le parricide.

    Eugénie — Quoi! ces horreurs ont pu s'excuser quelque part?

    Dolmancé — Elles y ont été honorées, couronnées, considérées comme d'excellentes actions, tandis qu'en d'autres lieux, l'humanité, la candeur, la bienfaisance, la chasteté, toutes nos vertus, enfin, étaient regardées comme des monstruosités.

    Eugénie — Je vous prie de m'expliquer tout cela; j'exige une courte analyse de chacun de ces crimes, en vous priant de commencer par m'expliquer d'abord votre opinion sur le libertinage des filles, ensuite sur l'adultère des femmes.

    Mme de Saint-Ange — Écoute-moi donc, Eugénie. Il est absurde de dire qu'aussitôt qu'une fille est hors du sein de sa mère, elle doit, de ce moment, devenir la victime de la volonté de ses parents, pour rester telle jusqu'à son dernier soupir. Ce n'est pas dans un siècle où l'étendue et les droits de l'homme viennent d'être approfondis avec tant de soins, que des jeunes filles doivent continuer à se croire les esclaves de leurs familles, quand il est constant que les pouvoirs de ces familles sur elles sont absolument chimériques. Écoutons la nature sur un objet aussi intéressant, et que les lois des animaux, bien plus rapprochées d'elle, nous servent un moment d'exemples. Les devoirs paternels s'étendent-ils chez eux au-delà des premiers besoins physiques? Les fruits de la jouissance du mâle et de la femelle ne possèdent-ils pas toute leur liberté, tous leurs droits? Sitôt qu'ils peuvent marcher et se nourrir seuls, dès cet instant, les auteurs de leurs jours les connaissent-ils? Et eux, croient-ils devoir quelque chose à ceux qui leur ont donné la vie? non, sans doute. De quel droit les enfants des hommes sont-ils donc astreints à d'autres devoirs? Et qui les fondent, ces devoirs, si ce n'est l'avarice ou l'ambition des pères? Or, je demande s'il est juste qu'une jeune fille qui commence à sentir et à raisonner se soumette à de tels freins. N'est-ce donc pas le préjugé tout seul qui prolonge ces chaînes? Et y a-t-il rien de plus ridicule que de voir une jeune fille de quinze ou seize ans, brûlée par des désirs qu'elle est obligée de vaincre, attendre, dans des tourments pires que ceux des enfers, qu'il plaise à ses parents, après avoir rendu sa jeunesse malheureuse, de sacrifier encore son âge mûr, en l'immolant à leur perfide cupidité, en l'associant, malgré elle, à un époux, ou qui n'a rien pour se faire aimer, ou qui a tout pour se faire haïr?

    Eh! non, non, Eugénie, de tels liens s'anéantiront bientôt; il faut que, dégageant dès l'âge de raison la jeune fille de la maison paternelle, après lui avoir donné une éducation nationale, on la laisse maîtresse, à quinze ans, de devenir ce qu'elle voudra. Donnera-t-elle dans le vice? Eh! qu'importe? Les services que rend une jeune fille, en consentant à faire le bonheur de tous ceux qui s'adressent à elle, ne sont-ils pas infiniment plus important que ceux qu'en s'isolant elle offre à son époux? La destinée de la femme est d'être comme la chienne, comme la louve: elle doit appartenir à tous ceux qui veulent d'elle. C'est visiblement outrager la destination que la nature impose aux femmes, que de les enchaîner par le lien absurde d'un hymen solitaire.

    Espérons qu'on ouvrira les yeux, et qu'en assurant la liberté de tous les individus, on n'oubliera pas le sort des malheureuses filles; mais si elles sont assez à plaindre pour qu'on les oublie, que, se plaçant d'elles-mêmes au-dessus de l'usage et du préjugé, elles foulent hardiment aux pieds les fers honteux dont on prétend les asservir; elles triompheront bientôt alors de la coutume et de l'opinion; l'homme devenu plus sage, parce qu'il sera plus libre, sentira l'injustice qu'il y aurait à mépriser celles qui agiront ainsi et que l'action de céder à la nature, regardée comme un crime chez un peuple captif, ne peut plus l'être chez un peuple libre.

    Pars donc de la légitimité de ces principes, Eugénie, et brise tes fers à quelques prix que ce puisse être; méprise les vaines remontrances d'une mère imbécile, à qui tu ne dois légitimement que de la haine et que du mépris. Si ton père, qui est un libertin, le désire, à la bonne heure: qu'il jouisse de toi, mais sans t'enchaîner; brise le joug s'il veut t'asservir; plus d'une fille ont agi de même avec leur père. Fouts, en un mot, fous; c'est pour cela que tu es mise au monde; aucune borne à tes plaisirs que celles de tes forces ou de tes volontés; aucune exception de lieux, de temps et de personne; toutes les heures, tous les endroits, tous les hommes doivent servir à tes voluptés; la continence est une vertu impossible, dont la nature, violée dans ses droits, nous punit aussitôt par mille malheurs. Tant que les lois seront telles qu'elles sont encore aujourd'hui, usons de quelques voiles; l'opinion nous y contraint; mais dédommageons-nous en silence de cette chasteté cruelle que nous sommes obligées d'avoir en public.

    Qu'une jeune fille travaille à se procurer une bonne amie qui, libre et dans le monde, puisse lui faire secrètement goûter les plaisirs; qu'elle tâche, au défaut de cela, de séduire les argus dont elle est entourée; qu'elle les supplie de la prostituer, en leur promettant tout l'argent qu'ils pourront retirer de sa vente, ou ces argus par eux-mêmes, ou des femmes qu'ils trouveront, et qu'on nomme maquerelles, rempliront bientôt les vues de la jeune fille; qu'elle jette alors de la poudre aux yeux de tout ce qui l'entoure, frères, cousins, amis, parents; qu'elle se livre à tous, si cela est nécessaire pour cacher sa conduite; qu'elle fasse même, si cela est exigé, le sacrifice de ses goûts et de ses affections; une intrigue qui lui aura déplu, et dans laquelle elle ne se sera livrée que par politique, la mènera bientôt dans une plus agréable situation, et la voilà lancée. Mais qu'elle ne revienne plus sur les préjugés de son enfance; menaces, exhortations, devoirs, vertus, religion, conseils, qu'elle foule tout aux pieds; qu'elle rejette et méprise opiniâtrement tout ce qui ne tend qu'à la renchaîner, tout ce qui ne vise point, en un mot, à la livrer au sein de l'impudicité.

    C'est une extravagance de nos parents que ces prédictions de malheurs dans la voie du libertinage; il y a des épines partout, mais les roses se trouvent au-dessus d'elles dans la carrière du vice; il n'y a que dans les sentiers bourbeux de la vertu que la nature n'en fait jamais naître. Le seul écueil à redouter dans la première de ces routes, c'est l'opinion des hommes; mais quelle est la fille d'esprit qui, avec un peu de réflexion, ne se rendra pas supérieure à cette méprisable opinion? Les plaisirs reçus par l'estime, Eugénie, ne sont que des plaisirs moraux, uniquement convenables à certaines têtes; ceux de la fouterie plaisent à tous, et ces attraits séducteurs dédommagent bientôt de ce mépris illusoire auquel il est difficile d'échapper en bravant l'opinion publique, mais dont plusieurs femmes sensées se sont moquées au point de s'en composer un plaisir de plus. Fouts, Eugénie, fous donc, mon cher ange; ton corps est à toi, à toi, seule; il n'y a que toi seule au monde qui aies le droit d'en jouir et d'en faire jouir qui bon te semble.

    Profite du plus heureux temps de ta vie: elles ne sont que trop courtes, ces heureuses années de nos plaisirs! Si nous sommes assez heureuses pour en avoir joui, de délicieux souvenirs nous consolent et nous amusent encore dans notre vieillesse. Les avons-nous perdues?... des regrets amers, d'affreux remords nous déchirent et se joignent aux tourments de l'âge, pour entourer de larmes et de ronces les funestes approches du cercueil... Aurais-tu la folie de l'immortalité? Eh bien, c'est en foutant, ma chère, que tu restera dans la mémoire des hommes. On a bientôt oublié les Lucrèce, tandis que les Théodora et les Messaline font les plus doux entretiens et les plus fréquents de la vie. Comment donc, Eugénie, ne pas préférer un parti qui, nous couronnant de fleurs ici-bas, nous laisse encore l'espoir d'un culte bien au-delà du tombeau! Comment, dis-je, ne pas préférer ce parti à celui qui, nous faisant végéter imbécilement sur la terre, ne nous promet après notre existence que du mépris et de l'oubli?

    Eugénie, à Mme de Saint-Ange — Ah! cher amour, comme ces discours séducteurs enflamment ma tête et séduisent mon âme! Je suis dans un état difficile à peindre... Et, dis-moi, pourras-tu me faire connaître quelques-unes de ces femmes... (troublée) qui me prostitueront, si je leur dis?

    Mme de Saint-Ange — D'ici à ce que tu aies plus d'expérience, cela ne regarde que moi seule, Eugénie; rapporte-t'en à moi de ce soin, et plus encore à toutes les précautions que je prendrai pour couvrir tes égarements: mon frère et cet ami solide qui t'instruit seront les premiers auxquels je veux que tu te livres; nous en trouverons d'autres après. Ne t'inquiète pas, chère amie: je te ferai voler de plaisir en plaisir, je te plongerai dans une mer de délices, je t'en comblerai, mon ange, je t'en rassasierai!

    Eugénie, se précipitant dans les bras de Mme de Saint-Ange — Oh! ma bonne, je t'adore; va, tu n'auras jamais une écolière plus soumise que moi; mais il me semble que tu m'as fait entendre, dans nos anciennes conversations, qu'il était difficile qu'une jeune épouse se jette dans le libertinage sans que l'époux qu'elle doit prendre après ne s'en aperçoive?

    Mme de Saint-Ange — Cela est vrai, ma chère, mais il y a des secrets qui raccommodent toutes ces brèches. Je te promets de t'en donner connaissance, et alors, eusses-tu foutu comme Antoinette, je me charge de te rendre aussi vierge que le jour que tu vins au monde.

    Eugénie — Ah! tu es délicieuse! Allons, continue de m'instruire. Presse-toi donc en ce cas de m'apprendre quelle doit être la conduite d'une femme dans le mariage.

    Mme de Saint-Ange — Dans quelque état que se trouve une femme, ma chère, soit fille, soit femme, soit veuve, elle ne doit jamais avoir d'autre but, d'autre occupation, d'autre désir que de se faire foutre du matin au soir: c'est pour cette unique fin que l'a créée la nature; mais si, pour remplir cette intention, j'exige d'elle de fouler aux pieds tous les préjugés de son enfance, si je lui prescris la désobéissance la plus formelle aux ordres de sa famille, le mépris le plus constaté de tous les conseils de ses parents, tu conviendras, Eugénie, que, de tous les freins à rompre, celui dont je lui conseillerai le plus tôt l'anéantissement sera bien sûrement celui du mariage.

    Considère en effet, Eugénie, une jeune fille à peine sortie de la maison paternelle ou de sa pension, ne connaissant rien, n'ayant nulle expérience, obligée de passer subitement de là dans les bras d'un homme qu'elle n'a jamais vu, obligée de jurer à cet homme, aux pieds des autels, une obéissance, une fidélité d'autant plus injuste qu'elle n'a souvent au fond de son cœur que le plus grand désir de lui manquer de parole. Est-il au monde, Eugénie, un sort plus affreux que celui-là? Cependant la voilà liée, que son mari lui plaise ou non, qu'il ait ou non pour elle de la tendresse ou des mauvais procédés; son honneur tient à ses serments: il est flétri si elle les enfreint; il faut qu'elle se perde ou qu'elle traîne le joug, dût-elle en mourir de douleur. Eh! non, Eugénie, non, ce n'est point pour cette fin que nous sommes nées; ces lois absurdes sont l'ouvrage des hommes, et nous ne devons pas nous y soumettre. Le divorce même est-il capable de nous satisfaire? Non, sans doute. Qui nous répond de trouver plus sûrement dans de seconds liens le bonheur qui nous a fuies dans les premiers? Dédommageons-nous donc en secret de toute la contrainte de nœuds si absurdes, bien certaines que nos désordres en ce genre, à quelques excès que nous puissions les porter, loin d'outrager la nature, ne sont qu'un hommage sincère que nous lui rendons; c'est obéir à ses lois que de céder aux désirs qu'elle seule a placés dans nous; ce n'est qu'en lui résistant que nous l'outragerions. L'adultère que les hommes regardent comme un crime, qu'ils ont osé punir comme tel en nous arrachant la vie, l'adultère, Eugénie, n'est donc que l'acquit d'un droit à la nature, auquel les fantaisies de ces tyrans ne sauraient jamais nous soustraire. Mais n'est-il pas horrible, disent nos époux, de nous exposer à chérir comme nos enfants, à embrasser comme tels, les fruits de vos désordres? C'est l'objection de Rousseau; c'est, j'en conviens, la seule un peu spécieuse dont on puisse combattre l'adultère. Eh! n'est-il pas extrêmement aisé de se livrer au libertinage sans redouter la grossesse? N'est-il pas encore plus facile de la détruire, si par imprudence elle a lieu? Mais, comme nous reviendrons sur cet objet, ne traitons maintenant que le fond de la question: nous verrons que l'argument, tout spécieux qu'il paraît d'abord, n'est cependant que chimérique.

    Premièrement, tant que je couche avec mon mari, tant que sa semence coule au fond de ma matrice, verrais-je dix hommes en même temps que lui, rien ne pourra jamais lui prouver que l'enfant qui naîtra ne lui appartienne pas; il peut être à lui comme n'y pas être, et dans le cas de l'incertitude il ne peut ni ne doit jamais (puisqu'il a coopéré à l'existence de cette créature) se faire aucun scrupule d'avouer cette existence. Dès qu'elle peut lui appartenir, elle lui appartient, et tout homme qui se rendra malheureux par des soupçons sur cet objet le serait de même quand sa femme serait une vestale, parce qu'il est impossible de répondre d'une femme, et que celle qui a été sage peut cesser de l'être un jour. Donc, si cet époux est soupçonneux, il le sera dans tous les cas: jamais alors il ne sera sûr que l'enfant qu'il embrasse soit véritablement le sien. Or, s'il peut être soupçonneux dans tous les cas, il n'y a aucun inconvénient à légitimer quelquefois des soupçons: il n'en serait, pour son état de bonheur ou de malheur moral, ni plus ni moins; donc il vaut tout autant que cela soit ainsi. Le voilà donc, je le suppose, dans une complète erreur; le voilà caressant le fruit du libertinage de sa femme: où donc est le crime à cela? Nos biens ne sont-ils pas communs? En ce cas, quel mal fais-je en plaçant dans le ménage un enfant qui doit avoir une portion de ses biens? Ce sera la mienne qu'il aura; il ne volera rien à mon tendre époux; cette portion dont il va jouir, je la regarde comme prise sur ma dot; donc ni cet enfant ni moi ne prenons rien à mon mari. A quel titre, si cet enfant eût été de lui, aurait-il eu part dans mes biens? N'est-ce point en raison de ce qu'il serait émané de moi? Eh bien, il va jouir de cette part, en vertu de cette même raison d'alliance intime. C'est parce que cet enfant m'appartient que je lui dois une portion de mes richesses.

    Quel reproche avez-vous à me faire? Il en jouit. — Mais vous trompez votre mari; cette fausseté est atroce. — Non, c'est un rendu, voilà tout; je suis dupe la première des liens qu'il m'a forcée de prendre: je m'en venge, quoi de plus simple? — Mais il y a outrage réel fait à l'honneur de votre mari. — Préjugé que cela! Mon libertinage ne touche mon mari en rien; mes fautes sont personnelles. Ce prétendu déshonneur était bon il y a un siècle; on est revenu de cette chimère aujourd'hui, et mon mari n'est plus flétri de mes débauches que je ne saurais l'être des siennes. Je foutrais avec toute la terre sans lui faire une égratignure! Cette prétendue lésion n'est donc qu'une fable, dont l'existence est impossible. De deux choses l'une: ou mon mari est un brutal, un jaloux, ou c'est un home délicat; dans la première hypothèse, ce que je puis faire de mieux est de me venger de sa conduite; dans la seconde, je ne saurai l'affliger; puisque je goûte des plaisirs, il en sera heureux s'il est honnête: il n'y a point d'homme délicat qui ne jouisse au spectacle du bonheur de la personne qu'il adore. — Mais si vous l'aimiez, voudriez-vous qu'il en fît autant? — Ah! malheur à la femme qui s'avisera d'être jalouse de son mari! Qu'elle se contente de ce qu'il lui donne, si elle l'aime; mais qu'elle n'essaie pas de le contraindre; non seulement elle n'y réussirait pas, mais elle s'en ferait bientôt détester. Si je suis raisonnable, je ne m'affligerai donc jamais des débauches de mon mari. Qu'il en fasse de même avec moi, et la paix règnera dans le ménage.

    Résumons: Quels que soient les effets de l'adultère, dût-il même introduire dans la maison des enfants qui n'appartinssent pas à l'époux, dès qu'ils sont à la femme ils ont des droits certains à une partie de la dot de cette femme; l'époux, s'il est instruit, doit les regarder comme des enfants que sa femme aurait eus d'un premier mariage; s'il ne sait rien, il ne saurait être malheureux, car on ne saurait l'être d'un mal qu'on ignore; si l'adultère n'a point de suite, et qu'il soit inconnu du mari, aucun jurisconsulte ne saurait prouver, en ce cas, qu'il pourrait être un crime; l'adultère n'est plus de ce moment qu'une action parfaitement indifférente pour le mari, qui ne le sait pas, parfaitement bonne pour la femme, qu'elle délecte; si le mari découvre l'adultère, ce n'est plus l'adultère qui est un mal alors, car il ne l'était pas tout à l'heure, et il ne saurait avoir changé de nature; il n'y a plus d'autre mal que la découverte qu'en a faite le mari; or, ce tort-là n'appartient qu'à lui seul: il ne saurait regarder la femme.

    Ceux qui jadis ont puni l'adultère étaient donc des bourreaux, des tyrans, des jaloux, qui, rapportant tout à eux, s'imaginaient injustement qu'il suffisait de les offenser pour être criminelle, comme si une injure personnelle devait jamais se considérer comme un crime, et comme si l'on pouvait justement appeler crime une action qui, loin d'outrager la nature et la société, sert évidemment l'une et l'autre. Il est cependant des cas où l'adultère, facile à prouver, devient plus embarrassant pour la femme, sans être pour cela plus criminel; c'est, par exemple, celui où l'époux se trouve dans l'impuissance ou sujet à des goûts contraires à la population. Comme elle jouit, et que son mari ne jouit jamais, sans doute alors ses déportement deviennent plus ostensibles; mais doit-elle se gêner pour cela? Non, sans doute, La seule précaution qu'elle doive employer est de ne pas faire d'enfants ou de se faire avorter si ces précautions viennent à la tromper. Si c'est par raison de goûts antiphysiques qu'elle est contrainte à se dédommager des négligences de son mari, il faut d'abord qu'elle le satisfasse sans répugnance dans ses goûts, de quelque nature qu'ils puissent être; qu'ensuite elle lui fasse entendre que de pareilles complaisances méritent bien quelques égards; qu'elle demande une liberté entière en raison de ce qu'elle accorde. Alors le mari refuse ou consent; s'il consent, comme a fait le mien, on s'en donne à l'aise, en redoublant de soins et de condescendances à ses caprices; s'il refuse, on épaissit les voiles, et l'on fout tranquillement à leur ombre. Est-il impuissant? on se sépare, mais dans tous les cas on s'en donne; on fout dans tous les cas, cher amour, parce que nous sommes nées pour foutre, que nous accomplissons les lois de la nature en foutant, et que toute loi humaine qui contrarierait celles de la nature ne serait faite que pour le mépris.

    Elle est dupe, la femme que des nœuds aussi absurdes que ceux de l'hymen empêchent de se livrer à ses penchants, qui craint ou la grossesse, ou les outrages à son époux, ou les taches, plus vaines encore, à sa réputation! Tu viens de le voir, Eugénie, oui, tu viens de sentir comme elle est dupe, comme elle immole bassement aux plus ridicules préjugés et son bonheur et toutes les délices de la vie. Ah! qu'elle foute, qu'elle foute impunément! Un peu de fausse gloire, quelques frivoles espérances religieuses la dédommageront-elles de ses sacrifices? Non, non, et la vertu, le vice, tout se confond dans le cercueil. Le public, au bout de quelques années, exalte-t-il plus les uns qu'il ne condamne les autres? Eh! non, encore une fois, non, non! et la malheureuse, ayant vécu sans plaisir, expire, hélas! sans dédommagement.

    Eugénie — Comme tu me persuades, mon ange! comme tu triomphes de mes préjugés! comme tu détruis tous les faux principes que ma mère avait mis en moi! Ah! je voudrais être mariée demain pour mettre aussitôt tes maximes en usage. Qu'elles sont séduisantes, qu'elles sont vraies, et combien je les aime! Une chose seulement m'inquiète, chère amie, dans ce que tu viens de me dire, et comme je ne l'entends point, je te supplie de me l'expliquer. Ton mari, prétends-tu, ne s'y prend pas, dans la jouissance, de manière à avoir des enfants. Que te fait-il donc, je t'en prie?

    Mme de Saint-Ange — Mon mari était déjà vieux quand je l'épousai. Dès la première nuit de ses noces, il me prévint de ses fantaisies en m'assurant que de son côté, jamais il ne gênerait les miennes. Je lui jurai de lui obéir, et nous avons toujours, depuis ce temps-là, vécu tous deux dans la plus délicieuse liberté. Le goût de mon mari consiste à se faire sucer, et voici le très singulier épisode qu'il y joint: pendant que, courbée sur lui, mes fesses d'aplomb sur son visage, je pompe avec ardeur le foutre de ses couilles, il faut que je lui chie dans la bouche!... Il avale!...

    Eugénie — Voilà une fantaisie bien extraordinaire!

    Dolmancé — Aucune ne peut se qualifier ainsi, ma chère; toutes sont dans la nature; elle s'est plu, en créant les hommes, à différencier leurs goûts comme leurs figures, et nous ne devons pas plus nous étonner de la diversité qu'elle a mise dans nos traits que de celle qu'elle a placée dans nos affections. La fantaisie dont vient de vous parler votre amie est on ne saurait plus à la mode; une infinité d'hommes, et principalement ceux d'un certain âge, y sont prodigieusement adonnés; vous y refuseriez-vous, Eugénie, si quelqu'un l'exigeait de vous?

    Eugénie, rougissant — D'après les maximes qui me sont inculquées ici, puis-je donc refuser quelque chose? Je ne demande grâce que pour ma surprise; c'est la première fois que j'entends toutes ces lubricités: il faut d'abord que je les conçoive; mais de la solution du problème à l'exécution du procédé, je crois que mes instituteurs doivent être sûrs qu'il n'y aurait jamais que la distance qu'ils exigeront eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, ma chère, tu gagnas donc ta liberté par l'acquiescement à cette complaisance?

    Mme de Saint-Ange — La plus entière, Eugénie. Je fis de mon côté tout ce que je voulus, sans qu'il y mît d'obstacles, mais je ne pris point d'amant: j'aimais trop le plaisir pour cela. Malheur à la femme qui s'attache! il ne faut qu'un amant pour la perdre, tandis que dix scènes de libertinage, répétées chaque jour, si elle le veut, s'évanouiront dans la nuit du silence aussitôt qu'elles seront consommées. J'étais riche: je payais des jeunes gens qui me foutaient sans me connaître; je m'entourais de valets charmants, sûrs de goûter les plus doux plaisirs avec moi s'ils étaient discrets, certains d'être renvoyés s'ils disaient un mot. Tu n'as pas d'idée, cher ange, du torrent de délices dans lequel je me suis plongée de cette manière. Voilà la conduite que je prescrirai toujours à toutes les femmes qui voudront m'imiter. Depuis douze ans que je suis mariée, j'ai peut-être été foutue par plus de dix ou douze mille individus... et on me croit sage dans mes sociétés! Une autre aurait eu des amants, elle se serait perdue au second.

    Eugénie — Cette maxime est la plus sûre; ce sera bien décidément la mienne; il faut que j'épouse, comme toi, un homme riche, et surtout un homme à fantaisies... Mais, ma chère, ton mari, strictement lié à ses goûts, n'exigea jamais autre chose de toi?

    Mme de Saint-Ange — Jamais, depuis douze ans, il ne s'est démenti un seul jour, excepté lorsque j'ai mes règles. Une très jolie fille, qu'il a voulu que je prenne avec moi, me remplace alors, et les choses vont le mieux du monde.

    Eugénie — Mais il ne s'en tient pas là, sans doute; d'autres objets concourent extérieurement à diversifier ses plaisirs?

    Dolmancé — N'en doutez pas, Eugénie; le mari de madame est un des plus grands libertins de son siècle; il dépense plus de cent mille écus par an aux goûts obscènes que votre amie vient de vous peindre tout à l'heure.

    Mme de Saint-Ange — A vous dire le vrai, je m'en doute; mais que me font ses déportements, puisque leur multiplicité autorise et voile les miens?

    Eugénie — Suivons, je t'en conjure, le détail des manières par lesquelles une jeune personne, mariée ou non, peut se préserver de la grossesse, car je t'avoue que cette crainte m'effarouche beaucoup, soit avec l'époux que je dois prendre, soit dans la carrière du libertinage; tu viens de m'en indiquer une en me parlant des goûts de ton époux; mais cette manière de jouir, qui peut être fort agréable pour l'homme, ne me semble pas l'être autant pour la femme, et ce sont nos jouissances exemptes des risques que j'y crains, dont je désire que tu m'entretiennes.

    Mme de Saint-Ange — Une fille ne s'expose jamais à faire d'enfants qu'autant qu'elle se le laisse mettre dans le con. Qu'elle évite avec soin cette manière de jouir; qu'elle offre à la place indistinctement sa main, sa bouche, ses tétons ou le trou de son cul. Par cette dernière voie, elle prendra beaucoup de plaisir, et même bien davantage qu'ailleurs; par les autres manières elle en donnera.

    On procède à la première de ces façons, je veux dire celle de la main, ainsi que tu l'as vu tout à l'heure, Eugénie; on secoue comme si l'on pompait le membre de son ami; au bout de quelques mouvements, le sperme s'élance; l'homme vous baise, vous caresse pendant ce temps-là, et couvre de cette liqueur la partie de votre corps qui lui plaît le mieux. Veut-on le faire mettre entre les seins? on s'étend sur le lit, on place le membre viril au milieu des deux mamelles, on l'y presse, et au bout de quelques secousses l'homme décharge de manière à vous inonder les tétons et quelquefois le visage. Cette manière est la moins voluptueuse de toutes, et ne peut convenir qu'à des femmes dont la gorge, à force de service, a déjà acquis assez de flexibilité pour serrer le membre de l'homme en se comprimant sur lui. La jouissance de la bouche est infiniment plus agréable, tant pour l'homme que pour la femme. La meilleure façon de la goûter est que la femme s'étende à contresens sur le corps de son fouteur: il vous met le vit dans la bouche, et, sa tête se trouvant entre vos cuisses, il vous rend ce que vous lui faites, en vous introduisant sa langue dans le con ou sur le clitoris; il faut, lorsqu'on emploie cette attitude, se prendre, s'empoigner les fesses et se chatouiller réciproquement le trou du cul, épisode toujours nécessaire au complément de la volupté. Des amants chauds et pleins d'imagination avalent alors le foutre qui s'exhale dans leur bouche, et jouissent délicatement ainsi du plaisir voluptueux de faire mutuellement passer dans leurs entrailles cette précieuse liqueur, méchamment dérobée à sa destination d'usage.

    Dolmancé — Cette façon est délicieuse, Eugénie; je vous en recommande l'exécution. Faire perdre ainsi les droits de la propagation et contrarier de cette manière ce que les sots appellent les lois de la nature, est vraiment plein d'appas. Les cuisses, les aisselles servent quelquefois aussi d'asiles au membre de l'homme, et lui offrent des réduits où sa semence peut se perdre, sans risque de grossesse.

    Mme de Saint-Ange — Quelques femmes s'introduisent des éponges dans l'intérieur du vagin, qui, recevant le sperme, l'empêchent de s'élancer dans le vase qui le propagerait; d'autres obligent leurs fouteurs de se servir d'un petit sac de peau de Venise, vulgairement nommé condom, dans lequel la semence coule, sans risquer d'atteindre le but; mais de toutes ces manières, celle du cul est la plus délicieuse sans doute. Dolmancé, je vous en laisse la dissertation. Qui doit mieux peindre que vous un goût pour lequel vous donneriez vos jours, si on les exigeait pour sa défense?

    Dolmancé — J'avoue mon faible. Il n'est, j'en conviens, aucune jouissance au monde qui soit préférable à celle-là; je l'adore dans l'un et l'autre sexe; mais le cul d'un jeune garçon, il faut en convenir, me donne encore plus de volupté que celui d'une fille. On appelle bougres ceux qui se livrent à cette passion; or, quand on fait tant que d'être bougre, Eugénie, il faut l'être tout à fait. Foutre des femmes en cul n'est l'être qu'à moitié: c'est dans l'homme que la nature veut que l'homme serve cette fantaisie; et c'est spécialement pour l'homme qu'elle nous en a donné le goût. Il est absurde de dire que cette manie l'outrage. Cela se peut-il, dès qu'elle nous l'inspire? Peut-elle dicter ce qui la dégrade? Non, Eugénie, non; on la sert aussi bien là qu'ailleurs, et peut-être plus saintement encore. La propagation n'est qu'une tolérance de sa part. Comment pourrait-elle avoir prescrit pour loi un acte qui la prive des droits de sa toute-puissance, puisque la propagation n'est qu'une suite de ses premières intentions, et que de nouvelles constructions, refaites par sa main, si notre espèce était absolument détruite, redeviendraient des intentions primordiales dont l'acte serait bien plus flatteur pour son orgueil et sa puissance?

    Mme de Saint-Ange — Savez-vous, Dolmancé, qu'au moyen de ce système, vous allez jusqu'à prouver que l'extinction totale de la race humaine ne serait qu'un service rendu à la nature?

    Dolmancé — Qui en doute, madame?

    Mme de Saint-Ange — Oh! juste ciel! les guerres, les pestes, les famines, les meurtres ne seraient plus que des accidents nécessaires des lois de la nature, et l'homme, agent ou patient de ces effets, ne serait donc pas plus criminel, dans l'un des cas, qu'il ne serait victime dans l'autre?

    Dolmancé — Victime, il l'est sans doute, quand il fléchit sous les coups du malheur; mais criminel, jamais. Nous reviendrons sur toutes ces choses; analysons, en attendant, pour la belle Eugénie, la jouissance sodomite, qui fait maintenant l'objet de notre entretien. La posture la plus en usage pour la femme, dans cette jouissance, est de se coucher à plat ventre sur le bord du lit, les fesses bien écartées, la tête le plus bas possible. Le paillard, après s'être un instant amusé de la perspective du beau cul que l'on présente, après l'avoir claqué, manié, quelquefois même fouetté, pincé, mordu, humecte de sa bouche le trou mignon qu'il va perforer, et prépare l'introduction avec le bout de sa langue; il mouille de même son engin avec de la salive ou de la pommade et le présente doucement au trou qu'il veut percer; il le conduit d'une main, de l'autre il écarte les fesses de sa jouissance; dès qu'il sent son membre pénétrer, il faut qu'il pousse avec ardeur, en prenant bien garde de perdre du terrain; quelquefois la femme souffre alors, si elle est neuve et jeune; mais, sans aucun égard des douleurs qui vont bientôt se changer en plaisirs, le fouteur doit pousser vivement son vit par gradations, jusqu'à ce qu'il ait enfin atteint le but, c'est-à-dire jusqu'à ce que le poil de son engin frotte exactement les bords de l'anus de l'objet qu'il encule. Qu'il poursuive alors sa route avec rapidité, toutes les épines sont cueillies; il ne reste plus que des roses. Pour achever de métamorphoser en plaisir les restes de douleur que son objet éprouve encore, si c'est un jeune garçon, qu'il lui saisisse le vit et le branle; qu'il chatouille le clitoris, si c'est une fille; les titillations du plaisir qu'il fait naître, en rétrécissant prodigieusement l'anus du patient, doubleront les plaisirs de l'agent, qui, comblé d'aise et de volupté, dardera bientôt au fond du cul de sa jouissance un sperme aussi abondant qu'épais, qu'auront déterminé tant de lubriques détails. Il en est d'autres qui ne veulent pas que le patient jouisse; c'est ce que nous expliquerons bientôt.

    Mme de Saint-Ange — Permettez qu'un moment je sois écolière à mon tour et que je vous demande, Dolmancé, dans quel état il faut, pour le complément des plaisirs de l'agent, que se trouve le cul du patient?

    Dolmancé — Plein, très assurément; il est essentiel que l'objet qui sert ait alors la plus complète envie de chier, afin que le bout du vit du fouteur, atteignant l'étron, s'y enfonce et y dépose plus chaudement et plus mollement le foutre qui l'irrite et qui le met en feu.

    Mme de Saint-Ange — Je craindrais que le patient y prit moins de plaisir.

    Dolmancé — Erreur! Cette jouissance est telle qu'il est impossible que rien lui nuise et que l'objet qui la sert ne soit transporté au troisième ciel en la goûtant. Aucune ne vaut celle-là, aucune ne peut aussi complètement satisfaire l'un et l'autre des individus qui s'y livrent, et il est difficile que ceux qui l'ont goûtée puissent revenir à autre chose. Telles sont, Eugénie, les meilleures façons de goûter le plaisir avec un homme, sans courir les risques de la grossesse; car on jouit, soyez-en bien sûre, non seulement à prêter le cul à un homme, ainsi que je viens de vous l'expliquer, mais aussi à le sucer, à le branler, etc., et j'ai connu des femmes libertines qui mettaient souvent plus de charmes à ces épisodes qu'aux jouissances réelles. L'imagination est l'aiguillon des plaisirs; dans ceux de cette espèce, elle règle tout, elle est le mobile de tout; or, n'est-ce pas par elle que l'on jouit? n'est-ce pas d'elle que viennent les voluptés les plus piquantes?

    Mme de Saint-Ange — Soit; mais qu'Eugénie y prenne garde; l'imagination ne nous sert que quand notre esprit est absolument dégagé de préjugés: un seul suffit à la refroidir. Cette capricieuse portion de notre esprit est d'un libertinage que rien ne peut contenir; son plus grand triomphe, ses délices les plus éminentes consistent à briser tous les freins qu'on lui oppose; elle est ennemie de la règle, idolâtre du désordre et de tout ce qui porte les couleurs du crime; voilà d'où vient la singulière réponse d'une femme à imagination, qui foutait froidement avec son mari; — Pourquoi tant de glace? lui disait celui-ci. — Eh! vraiment, lui répondit cette singulière créature, c'est que ce que vous me faites est tout simple.

    Eugénie — J'aime à la folie cette réponse... Ah! ma bonne, quelles dispositions je me sens à connaître ces élans divins d'une imagination déréglée! Tu n'imaginerais pas, depuis que nous sommes ensemble... seulement depuis cet instant, non, non, ma chère bonne, tu ne concevrais pas toutes les idées voluptueuses que mon esprit a caressées... Oh! comme le mal est maintenant compris par moi!... combien il est désiré de mon cœur!

    Mme de Saint-Ange — Que les atrocités, les horreurs, que les crimes les plus odieux ne t'étonnent pas davantage, Eugénie; ce qu'il y a de plus sale, de plus infâme et de plus défendu est ce qui irrite le mieux la tête... c'est toujours ce qui nous fait le plus délicieusement décharger.

    Eugénie — A combien d'écarts incroyables vous avez dû vous livrer l'un et l'autre! Que j'en voudrais connaître les détails!

    Dolmancé, baisant et maniant la jeune personne — Belle Eugénie, j'aimerais cent fois mieux vous voir éprouver tout ce que je voudrais faire, que de vous raconter ce que j'ai fait.

    Eugénie — Je ne sais s'il ferait trop bon pour moi de me prêter à tout.

    Mme de Saint-Ange — Je ne te le conseillerais pas, Eugénie.

    Eugénie — Eh bien, je fais grâce à Dolmancé de ses détails; mais toi, ma bonne amie, dis-moi, je t'en conjure, ce que tu as fait de plus extraordinaire en ta vie.

    Mme de Saint-Ange — J'ai fait la chouette à quinze hommes; je fus foutue quatre-vingt-dix fois en vingt-quatre heures, tant par-devant que par-derrière.

    Eugénie — Ce ne sont que des débauches cela, des tours de force: je gage que tu as fait des choses plus singulières.

    Mme de Saint-Ange — J'ai été au bordel.

    Eugénie — Que veut dire ce mot?

    Dolmancé — On appelle ainsi des maisons publiques où, moyennant un prix convenu, chaque homme trouve de jeunes et jolies filles, toutes prêtes à satisfaire ses passions.

    Eugénie — Et tu t'es livrée là, ma bonne?

    Mme de Saint-Ange — Oui, j'y ai été comme une putain, j'y ai satisfait pendant une semaine entière les fantaisies de plusieurs paillards, et j'ai vu là des goûts bien singuliers; par un égal principe de libertinage, comme la célèbre impératrice Théodora, femme de Justinien1, j'ai raccroché au coin des rues... dans les promenades publiques, et j'ai mis à la loterie l'argent venu de ces prostitutions.

    Eugénie — Ma bonne, je connais ta tête, tu as été beaucoup plus loin encore.

    Mme de Saint-Ange: Cela se peut-il?

    Eugénie — Oh! oui, oui, et voici comme je le conçois: ne m'as-tu pas dit que nos sensations morales les plus délicieuses nous venaient de l'imagination?

    Mme de Saint-Ange — Je l'ai dit.

    Eugénie: Eh bien, en laissant errer cette imagination, en lui donnant la liberté de franchir les dernières bornes que voudraient lui prescrire la religion, la décence, l'humanité, la vertu, tous nos prétendus devoirs enfin, n'est-il pas vrai que ses écarts seraient prodigieux?

    Mme de Saint-Ange — Sans doute.

    Eugénie — Or, n'est-ce pas en raison de l'immensité de ses écarts qu'elle nous irritera davantage?

    Mme de Saint-Ange — Rien de plus vrai.

    Eugénie — Si cela est, plus nous voudrons être agitées, plus nous désirerons nous émouvoir avec violence, plus il faudra donner carrière à notre imagination sur les choses les plus inconcevables; notre jouissance alors s'améliorera en raison du chemin qu'aura fait la tête, et...

    Dolmancé, baisant Eugénie — Délicieuse!

    Mme de Saint-Ange — Que de progrès la friponne a faits en peu de temps! Mais, sais-tu, ma charmante, qu'on peut aller loin par la carrière que tu nous traces?

    Eugénie — Je l'entends bien de cette manière, et puisque je ne me prescris aucun frein, tu vois où je suppose que l'on peut aller.

    Mme de Saint-Ange — Aux crimes, scélérate, aux crimes les plus noirs et les plus affreux.

    Eugénie, d'une voix basse et entrecoupée — Mais tu dis qu'il n'en existe pas... et puis ce n'est que pour embraser sa tête: on n'exécute point.

    Dolmancé — Il est pourtant si doux d'exécuter ce qu'on a conçu.

    Eugénie, rougissant — Eh bien, on exécute... Ne voudriez-vous pas me persuader, mes chers instituteurs, que vous n'avez jamais fait ce que vous avez conçu?

    Mme de Saint-Ange — Il m'est quelquefois arrivé de le faire.

    Eugénie — Nous y voilà.

    Dolmancé — Quelle tête!

    Eugénie, poursuivant — Ce que je te demande, c'est ce que tu as conçu, et ce que tu as fait après avoir conçu.

    Mme de Saint-Ange, balbutiant — Eugénie, je te raconterai ma vie quelque jour. Poursuivons notre instruction... car tu me ferais dire des choses...

    Eugénie — Allons, je vois que tu ne m'aimes pas assez pour m'ouvrir à ce point ton âme; j'attendrai le délai que tu me prescris; reprenons nos détails. Dis-moi, ma chère, quel est l'heureux mortel que tu rendis le maître de tes prémices?

    Mme de Saint-Ange — Mon frère: il m'adorait depuis l'enfance; dès nos plus jeunes ans, nous nous étions souvent amusés sans atteindre le but; je lui avais promis de me livrer à lui dès que je serais mariée; je lui tins parole; heureusement que mon mari n'avait rien endommagé: il cueillit tout. Nous continuons de nous livrer à cette intrigue, mais sans nous gêner ni l'un ni l'autre nous ne nous en plongeons pas moins tous les deux, chacun de notre côté, dans les plus divins excès du libertinage; nous nous servons même mutuellement: je lui procure des femmes, il me fait connaître des hommes.

    Eugénie — Le délicieux arrangement! Mais l'inceste n'est-il pas un crime?

    Dolmancé — Pourrait-on regarder comme telles les plus douces unions de la nature, celle qu'elle nous prescrit et nous conseille le mieux! Raisonnez un moment, Eugénie: comment l'espèce humaine, après les grands malheurs qu'éprouva notre globe, put-elle autrement se reproduire que par l'inceste? N'en trouvons-nous pas l'exemple et la preuve même dans les livres respectés par le christianisme? Les familles d'Adam2 et de Noé purent-elles autrement se perpétuer que par ce moyen? Fouillez, compulsez les mœurs de l'univers: partout vous y verrez l'inceste autorisé, regardé comme une loi sage et faite pour cimenter les liens de la famille. Si l'amour, en un mot, naît de la ressemblance, où peut-elle être plus parfaite qu'entre frère et sœur, qu'entre père et fille? Une politique mal entendue, produite par la crainte de rendre certaines familles trop puissantes, interdit l'inceste dans nos mœurs; mais ne nous abusons pas au point de prendre pour loi de la nature ce qui n'est dicté que par l'intérêt ou par l'ambition; sondons nos cœurs: c'est toujours là où je renvoie nos pédants moralistes; interrogeons cet organe sacré, et nous reconnaîtrons qu'il n'est rien de plus délicat que l'union chamelle des familles; cessons de nous aveugler sur les sentiments d'un frère pour sa sœur, d'un père pour sa fille. En vain l'un et l'autre les déguisent-ils sous le voile d'une légitime tendresse: le plus violent amour est l'unique sentiment qui les enflamme, c'est le seul que la nature ait mis dans leurs cœurs. Doublons, triplons donc, sans rien craindre, ces délicieux incestes, et croyons que plus l'objet de nos désirs nous appartiendra de près, plus nous aurons de charmes à en jouir.

    Un de mes amis vit habituellement avec la fille qu'il a eue de sa propre mère; il n'y a pas huit jours qu'il dépucela un garçon de treize ans, fruit de son commerce avec cette fille; dans quelques années ce même jeune homme épousera sa mère; ce sont les vœux de mon ami; il leur fait un sort analogue à ces projets, et ses intentions, je le sais, sont de jouir encore des fruits qui naîtront de cet hymen; il est jeune et peut l'espérer. Voyez, tendre Eugénie, de quelle quantité d'incestes et de crimes se serait souillé cet honnête ami s'il y avait quelque chose de vrai dans le préjugé qui nous fait admettre du mal à ces liaisons. En un mot, sur toutes ces choses, je pars, moi, toujours d'un principe: si la nature défendait les jouissances sodomites, les jouissances incestueuses, les pollutions, etc., permettrait-elle que nous y trouvassions autant de plaisir? Il est impossible qu'elle puisse tolérer ce qui l'outrage véritablement.

    Eugénie — Oh! mes divins instituteurs, je vois bien que, d'après vos principes, il est très peu de crimes sur la terre, et que nous pouvons nous livrer en paix à tous nos désirs, quelque singuliers qu'ils puissent paraître aux sots qui, s'offensant et s'alarmant de tout, prennent imbécilement les institutions sociales pour les divines lois de la nature. Mais cependant, mes amis, n'admettez-vous pas au moins qu'il existe de certaines actions absolument révoltantes et décidément criminelles, quoique dictées par la nature? Je veux bien convenir avec vous que cette nature, aussi singulière dans les productions qu'elle crée que variée dans les penchants qu'elle nous donne, nous porte quelquefois à des actions cruelles; mais si, livrés à cette dépravation, nous cédions aux inspirations de cette bizarre nature, au point d'attenter, je le suppose, à la vie de nos semblables, vous m'accorderez bien, du moins je l'espère, que cette action serait un crime?

    Dolmancé — Il s'en faut bien, Eugénie, que nous puissions vous accorder une telle chose. La destruction étant une des premières lois de la nature, rien de ce qui détruit ne saurait être un crime. Comment une action qui sert aussi bien la nature pourrait-elle jamais l'outrager? Cette destruction, dont l'homme se flatte, n'est d'ailleurs qu'une chimère; le meurtre n'est point une destruction; celui qui le commet ne fait que varier les formes; s'il rend à la nature des éléments dont la main de cette nature habile se sert aussitôt pour récompenser d'autres êtres; or, comme les créations ne peuvent être que des jouissances pour celui qui s'y livre, le meurtrier en prépare donc une à la nature; il lui fournit des matériaux qu'elle emploie sur-le-champ, et l'action que des sots ont eu la folie de blâmer ne devient plus qu'un mérite aux yeux de cette agente universelle. C'est notre orgueil qui s'avise d'ériger le meurtre en crime. Nous estimant les premières créatures de l'univers, nous avons sottement imaginé que toute lésion qu'endurerait cette sublime créature devrait nécessairement être un crime énorme; nous avons cru que la nature périrait si notre merveilleuse espèce venait à s'anéantir sur ce globe, tandis que l'entière destruction de cette espèce, en rendant à la nature la faculté créatrice qu'elle nous cède, lui redonnerait une énergie que nous lui enlevons en nous propageant; mais quelle inconséquence, Eugénie! Eh quoi! un souverain ambitieux pourra détruire à son aise et sans le moindre scrupule les ennemis qui nuisent à ses projets de grandeur... des lois cruelles, arbitraires, impérieuses, pourront de même assassiner chaque siècle des millions d'individus... et nous, faibles et malheureux particuliers, nous ne pourrons pas sacrifier un seul être à nos vengeances ou à nos caprices? Est-il rien de si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous le voile du plus profond mystère, nous venger amplement de cette ineptie3 ?

    Eugénie — Assurément... Oh ! comme votre morale est séduisante, et comme je la goûte!... Mais, dites-moi, Dolmancé, là, bien en conscience, ne vous seriez-vous pas quelquefois satisfait en ce genre?

    Dolmancé — Ne me forcez pas à vous dévoiler mes fautes: leur nombre et leur espèce me contraindraient trop à rougir. Je vous les avouerai peut-être un jour.

    Mme de Saint-Ange — Dirigeant le glaive des lois, le scélérat s'en est souvent servi pour satisfaire à ses passions.

    Dolmancé — Puissé-je n'avoir pas d'autres reproches à me faire!

    Mme de Saint-Ange, lui sautant au col —— Homme divin!... je vous adore!... Qu'il faut avoir d'esprit et de courage pour avoir, comme vous, goûté tous les plaisirs! C'est à l'homme de génie seul qu'est réservé l'honneur de briser tous les freins de l'ignorance et de la stupidité. Baisez-moi, vous êtes charmant!

    Dolmancé — Soyez franche, Eugénie, n'avez-vous jamais souhaité la mort à personne?

    Eugénie — Oh! oui, oui, et j'ai sous mes yeux chaque jour une abominable créature que je voudrais voir depuis longtemps au tombeau.

    Mme de Saint-Ange: Je gage que je devine.

    Eugénie — Qui soupçonnes-tu?

    Mme de Saint-Ange — Ta mère.

    Eugénie — Ah! laisse-moi cacher ma rougeur dans ton sein!

    Dolmancé — Voluptueuse créature! je veux t'accabler à mon tour des caresses qui doivent être le prix de l'énergie de ton cœur et de ta délicieuse tête. (Dolmancé la baise sur tout le corps, et lui donne de légères claques sur les fesses; il bande; Mme de Saint-Ange empoigne et secoue son vit; ses mains, de temps en temps, s'égarent aussi sur le derrière de Mme de Saint-Ange, qui le lui prête avec lubricité; un peu revenu à lui, Dolmancé continue.) Mais cette idée sublime, pourquoi ne l'exécuterions-nous pas?

    Mme de Saint-Ange — Eugénie, j'ai détesté ma mère tout autant que tu hais la tienne, et je n'ai pas balancé.

    Eugénie — Les moyens m'ont manqué.

    Mme de Saint-Ange — Dis le courage.

    Eugénie — Hélas! si jeune encore!

    Dolmancé — Mais à présent, Eugénie, que feriez-vous?

    Eugénie — Tout... Qu'on me donne les moyens, et l'on verra!

    Dolmancé — Vous les aurez, Eugénie, je vous le promets; mais j'y mets une condition.

    Eugénie — Quelle est-elle? ou plutôt quelle est celle que je ne sois prête à accepter?

    Dolmancé — Viens, scélérate, viens dans mes bras: je n'y puis plus tenir; il faut que ton charmant derrière soit le prix du don que je te promets, il faut qu'un crime paie l'autre! Viens!... ou plutôt accourez toutes deux éteindre par des flots de foutre le feu divin qui nous enflamme!

    Mme de Saint-Ange — Mettons, s'il vous plaît, un peu d'ordre à ces orgies, il en faut même au sein du délire et de l'infamie.

    Dolmancé — Rien de si simple: l'objet majeur, ce me semble, est que je décharge, en donnant à cette charmante petite fille le plus de plaisir que je pourrai. Je vais lui mettre mon vit dans le cul, pendant que, courbée dans vos bras, vous la branlerez de votre mieux; au moyen de l'attitude où je vous place, elle pourra vous le rendre: vous vous baiserez l'une et l'autre. Après quelques courses dans le cul de cette enfant, nous varierons le tableau. Je vous enculerai, madame; Eugénie, au-dessus de vous, votre tête entre ses jambes, m'offrira son clitoris à sucer: je lui ferai perdre ainsi du foutre une seconde fois. Je me replacerai ensuite dans son anus; vous me présenterez votre cul au lieu du con qu'elle m'offrait, c'est-à-dire que vous prendrez, comme elle viendra de le faire, sa tête entre vos jambes; je sucerai le trou de votre cul, comme je viendrai de lui sucer le con, vous déchargerez, j'en ferai autant, pendant que ma main, embrassant le joli petit corps de cette charmante novice, ira lui chatouiller le clitoris pour la faire pâmer également.

    Mme de Saint-Ange — Bien, mon cher Dolmancé, mais il vous manquera quelque chose.

    Dolmancé — Un vit dans le cul? Vous avez raison, madame.

    Mme de Saint-Ange — Passons-nous-en pour ce matin; nous l'aurons ce soir: mon frère viendra nous aider, et nos plaisirs seront au comble. Mettons-nous à l'œuvre.

    Dolmancé — Je voudrais qu'Eugénie me branlât un moment. (Elle le fait.) Oui, c'est cela... un peu plus vite, mon cœur... tenez toujours bien à nu cette tête vermeille, ne la recouvrez jamais... plus vous faites tendre le filet, mieux vous décidez l'érection... il ne faut jamais recalotter le vit qu'on branle... Bon!... préparez ainsi vous-même l'état du membre qui va vous perforer... Voyez-vous comme il se décide?... Donnez-moi votre langue, petite friponne!... Que vos fesses posent sur ma main droite, pendant que ma main gauche va vous chatouiller le clitoris.

    Mme de Saint-Ange — Eugénie, veux-tu lui faire goûter de plus grands plaisirs?

    Eugénie — Assurément... je veux tout faire pour lui en donner.

    Mme de Saint-Ange — Eh bien! prends son vit dans ta bouche, et suce-le quelques instants.

    Eugénie, le fait — Est-ce ainsi?

    Dolmancé — Ah! bouche délicieuse! quelle chaleur!... Elle vaut pour moi le plus joli des culs!... Femmes voluptueuses et adroites, ne refusez jamais ce plaisir à vos amants: il vous les enchaînera pour jamais... Ah! sacredieu!... foutredieu!...

    Mme de Saint-Ange — Comme tu blasphèmes, mon ami!

    Dolmancé — Donnez-moi votre cul, madame... Oui, donnez-le-moi, que je le baise pendant qu'on me suce, et ne vous étonnez point de mes blasphèmes: un de mes plus grands plaisirs est de jurer Dieu quand je bande. Il me semble que mon esprit, alors mille fois plus exalté, abhorre et méprise bien mieux cette dégoûtante chimère; je voudrais trouver une façon ou de la mieux invectiver, ou de l'outrager davantage; et quand mes maudites réflexions m'amènent à la conviction de la nullité de ce dégoûtant objet de ma haine, je m'irrite et voudrais pouvoir aussitôt réédifier le fantôme, pour que ma rage au moins portât sur quelque chose. Imitez-moi, femme charmante, et vous verrez l'accroissement que de tels discours porteront infailliblement à vos sens. Mais, doubledieu!... je le vois, il faut, quel que soit mon plaisir, que je me retire absolument de cette bouche divine... j'y laisserais mon foutre!... Allons, Eugénie, placez-vous; exécutons le tableau que j'ai tracé, et plongeons-nous tous trois dans la plus voluptueuse ivresse. (L'attitude s'arrange.)

    Eugénie — Que je crains, mon cher, l'impuissance de vos efforts! La disproportion est trop forte.

    Dolmancé — J'en sodomise tous les jours de plus jeunes; hier encore, un petit garçon de sept ans fut dépucelé par ce vit en moins de trois minutes... Courage, Eugénie, courage!...

    Eugénie — Ah! vous me déchirez!

    Mme de Saint-Ange — Ménagez-la, Dolmancé; songez que j'en réponds.

    Dolmancé — Branlez-la bien, madame, elle sentira moins la douleur, au reste, tout est dit maintenant m'y voilà jusqu'au poil.

    Eugénie — Oh! ciel! ce n'est pas sans peine... Vois la sueur qui couvre mon front, cher ami... Ah! Dieu! jamais je n'éprouvai d'aussi vives douleurs!...

    Mme de Saint-Ange — Te voilà à moitié dépucelée, ma bonne, te voilà au rang des femmes; on peut bien acheter cette gloire par un peu de tourment; mes doigts, d'ailleurs, ne te calment-ils donc point?

    Eugénie — Pourrais-je y résister sans eux!... Chatouille-moi, mon ange... je sens qu'imperceptiblement la douleur se métamorphose en plaisir... Poussez!... poussez!... Dolmancé... je me meurs!

    Dolmancé — Ah! foutredieu! sacredieu! tripledieu! changeons, je n'y résisterais pas... Votre derrière, madame, je vous en conjure, et placez-vous sur-le-champ comme je vous l'ai dit. (On s'arrange, et Dolmancé continue.) J'ai moins de peine ici... Comme mon vit pénètre!... Mais ce beau cul n'en est pas moins délicieux, madame!...

    Eugénie — Suis-je bien ainsi, Dolmancé?

    Dolmancé — A merveille! Ce joli petit con vierge s'offre délicieusement à moi. Je suis un coupable, un infracteur, je le sais; de tels attraits sont peu faits pour mes yeux; mais le désir de donner à cette enfant les premières leçons de la volupté l'emporte sur toute autre considération. Je veux faire couler son foutre... je veux l'épuiser, s'il est possible... (Il la gamahuche.)

    Eugénie — Ah! vous me faites mourir de plaisir, je n'y puis résister!...

    Mme de Saint-Ange — Pour moi, je pars!... Ah! fous!... fous!... Dolmancé, je décharge!...

    Eugénie — J'en fais autant, ma bonne... Ah! mon Dieu, comme il me suce!...

    Mme de Saint-Ange — Jure donc, petite putain!... Jure donc!...

    Eugénie — Eh bien, sacredieu! je décharge! Je suis dans la plus douce ivresse!...

    Dolmancé — Au poste!... au poste, Eugénie! Je serai la dupe de tous ces changements de main. (Eugénie se replace.) Ah! bien! me revoici dans mon premier gîte... montrez-moi le trou de votre cul, madame, que je le gamahuche à mon aise... Que j'aime à baiser un cul que je viens de foutre! Ah! faites-le-moi bien lécher, pendant que je vais lancer mon sperme au fond de celui de votre amie... Le croiriez-vous, madame? il y est entré cette fois-ci sans peine!... Ah! foutre! foutre! vous n'imaginez pas comme elle le serre, comme elle le comprime!... Sacré foutu dieu, comme j'ai du plaisir!... Ah! c'en est fait, je n'y résiste plus... mon foutre coule... et je suis mort!...

    Eugénie — Il me fait mourir aussi, ma chère bonne, je te le jure...

    Mme de Saint-Ange — La friponne! comme elle s'y habituera promptement!

    Dolmancé — Je connais une infinité de jeunes filles de son âge que rien au monde ne pourrait engager à jouir différemment; il n'y a que la première fois qui coûte; une femme n'a pas plutôt tâté de cette manière qu'elle ne veut plus faire autre chose... Oh! ciel! je suis épuisé; laissez-moi reprendre haleine, au moins quelques instants.

    Mme de Saint-Ange — Voilà les hommes, ma chère, à peine nous regardent-ils quand leurs désirs sont satisfaits; cet anéantissement les mène au dégoût, et le dégoût bientôt au mépris.

    Dolmancé, froidement — Ah! quelle injure, beauté divine! (Il les embrasse toutes deux.) Vous n'êtes faites l'une et l'autre que pour les hommages, quel que soit l'état où l'on se trouve.

    Mme de Saint-Ange — Au reste, console-toi, mon Eugénie; s'ils acquièrent le droit de nous négliger, parce qu'ils sont satisfaits, n'avons-nous pas de même celui de les mépriser, quand leur procédé nous y force! Si Tibère sacrifiait à Captée les objets qui venaient de servir ses passions4, Zingua, reine d'Afrique, immolait aussi ses amants5.

    Dolmancé — Ces excès, parfaitement simples et très connus de moi, sans doute, ne doivent pourtant jamais s'exécuter entre nous: "Jamais entre eux ne se mangent les loups", dit le proverbe, et, si trivial qu'il soit, il est juste. Ne redoutez jamais rien de moi, mes amies: je vous ferai peut-être faire beaucoup de mal, mais je ne vous en ferai jamais.

    Eugénie — Oh! non, non, ma chère, j'ose en répondre: jamais Dolmancé n'abusera des droits que nous lui donnons sur nous; je lui crois la probité des roués: c'est la meilleure; mais ramenons notre instituteur à ses principes et revenons, je vous supplie, au grand dessein qui nous enflammait, avant que nous ne nous calmassions.

    Mme de Saint-Ange — Quoi! friponne, tu y penses encore! J'avais cru que ce n'était l'histoire que de l'effervescence de ta tête.

    Eugénie — C'est le mouvement le plus certain de mon cœur, et je ne serai contente qu'après la consommation de ce crime.

    Mme de Saint-Ange — Oh! bon, bon, fais-lui grâce: songe qu'elle est ta mère.

    Eugénie — Le beau titre!

    Dolmancé — Elle a raison; cette mère a-t-elle pensé à Eugénie en la mettant au monde? La coquine se laissait foutre parce qu'elle y trouvait du plaisir, mais elle était bien loin d'avoir cette fille en vue. Qu'elle agisse comme elle voudra à cet égard; laissons-lui la liberté tout entière et contentons-nous de lui certifier qu'à quelque excès qu'elle arrive en ce genre, elle ne se rendra jamais coupable d'aucun mal.

    Eugénie — Je l'abhorre, je la déteste, mille raisons légitiment ma haine; il faut que j'aie sa vie, à quelque prix que ce puisse être!

    Dolmancé — Eh bien, puisque tes résolutions sont inébranlables, tu seras satisfaite, Eugénie, je te le jure; mais permets-moi quelques conseils qui deviennent, avant que d'agir, de la première nécessité pour toi. Que jamais ton secret ne t'échappe, ma chère, et surtout agis seule: rien n'est plus dangereux que les complices; méfions-nous toujours de ceux mêmes que nous croyons nous être le plus attachés: Il faut, disait Machiavel, ou n'avoir jamais de complices, ou s'en défaire dès qu'ils nous ont servi. Ce n'est pas tout: la feinte est indispensable, Eugénie, aux projets que tu formes. Rapproche-toi plus que jamais de ta victime avant que de l'immoler; aie l'air de la plaindre ou de la consoler; cajole-la, partage ses peines, jure-lui que tu l'adores; fais plus encore, persuade-le-lui: la fausseté, dans de tels cas, ne saurait être portée trop loin. Néron caressait Agrippine sur la barque même qui devait l'engloutir: imite cet exemple, use de toute la fourberie, de toutes les impostures que pourra te suggérer ton esprit. Si le mensonge est toujours nécessaire aux femmes, c'est surtout lorsqu'elles veulent tromper qu'il leur devient plus indispensable.

    Eugénie — Ces leçons seront retenues et mises en action sans doute; mais approfondissons, je vous prie, cette fausseté que vous conseillez aux femmes de mettre en usage; croyez-vous donc cette manière d'être absolument essentielle dans le monde?

    Dolmancé — Je n'en connais pas, sans doute, de plus nécessaire dans la vie; une vérité certaine va vous en prouver l'indispensabilité: tout le monde l'emploie; je vous demande, d'après cela, comment un individu sincère n'échouera pas toujours au milieu d'une société de gens faux! Or s'il est vrai, comme on le prétend, que les vertus soient de quelque utilité dans la vie civile, comment voulez-vous que celui qui n'a ni la volonté, ni le pouvoir, ni le don d'aucune vertu, ce qui arrive à beaucoup de gens, comment voulez-vous, dis-je, qu'un tel être ne soit pas essentiellement obligé de feindre pour obtenir à son tour un peu de la portion de bonheur que ses concurrents lui ravissent? Et, dans le fait, est-ce bien sûrement la vertu, ou son apparence, qui devient réellement nécessaire à l'homme social? Ne doutons pas que l'apparence seule lui suffise: il a tout ce qu'il faut en la possédant. Dès qu'on ne fait qu'effleurer les hommes dans le monde, ne leur suffit-il pas de nous montrer l'écorce? Persuadons-nous bien, au surplus, que la pratique des vertus n'est guère utile qu'à celui qui la possède: les autres en retirent si peu que, pourvu que celui qui doit vivre avec nous paraisse vertueux, il devient parfaitement égal qu'il le soit en effet ou non. La fausseté, d'ailleurs, est presque toujours un moyen assuré de réussir; celui qui la possède acquiert nécessairement une sorte de priorité sur celui qui commerce ou qui correspond avec lui: en l'éblouissant par de faux dehors, il le persuade; de ce moment il réussit. M'aperçois-je que l'on m'a trompé, je ne m'en prends qu'à moi, et mon suborneur a d'autant plus beau jeu encore que je ne me plaindrai pas par orgueil; son ascendant sur moi sera toujours prononcé; il aura raison quand j'aurai tort; il s'avancera quand je ne serai rien, il s'enrichira quand je me ruinerai; toujours enfin au-dessus de moi, il captivera bientôt l'opinion publique; une fois là, j'aurai beau l'inculper, on ne m'écoutera seulement pas. Livrons-nous donc hardiment et sans cesse à la plus insigne fausseté; regardons-la comme la clé de toutes les grâces, de toutes les faveurs, de toutes les réputations, de toutes les richesses, et calmons à loisir le petit chagrin d'avoir fait des dupes par le piquant plaisir d'être fripon.

    Mme de Saint-Ange — En voilà, je le pense, infiniment plus qu'il n'en faut sur cette matière. Eugénie, convaincue, doit être apaisée, encouragée: elle agira quand elle voudra. J'imagine qu'il est nécessaire de continuer maintenant nos dissertations sur les différents caprices des hommes dans le libertinage; ce champ doit être vaste, parcourons-le; nous venons d'initier notre élève dans quelques mystères de la pratique, ne négligeons pas la théorie.

    Dolmancé — Les détails libertins des passions de l'homme sont peu susceptibles, madame, de motifs d'instruction pour une jeune fille qui, comme Eugénie surtout, n'est pas destinée à faire le métier de femme publique; elle se mariera et, dans cette hypothèse, il y a à parier dix contre un que son mari n'aura point ces goûts-là; si cela était cependant, la conduite est facile: beaucoup de douceur et de complaisance avec lui; d'autre part, beaucoup de fausseté et de dédommagement en secret: ce peu de mots renferme tout. Si votre Eugénie pourtant désire quelques analyses des goûts de l'homme dans l'acte du libertinage, pour les examiner plus sommairement nous les réduirons à trois: la sodomie, les fantaisies sacrilèges et les goûts cruels. La première passion est universelle aujourd'hui; nous allons joindre quelques réflexions à ce que nous en avons déjà dit. On la divise en deux classes, l'active et la passive: l'homme qui encule, soit un garçon, soit une femme, commet la sodomie active; il est sodomite passif quand il se fait foutre. On a souvent mis en question laquelle de ces deux façons de commettre la sodomie était la plus voluptueuse: c'est assurément la passive, puisqu'on jouit à la fois de la sensation du devant et de celle du derrière; il est si doux de changer de sexe, si délicieux de contrefaire la putain, de se livrer à un homme qui nous traite comme une femme, d'appeler cet homme son amant, de s'avouer sa maîtresse! Ah! mes amies, quelle volupté! Mais, Eugénie, bornons-nous ici à quelques conseils de détail, uniquement relatifs aux femmes qui, se métamorphosant en hommes, veulent jouir à notre exemple de ce plaisir délicieux. Je viens de vous familiariser avec ces attaques, Eugénie, et j'en ai assez vu pour être persuadé que vous ferez un jour bien des progrès dans cette carrière. Je vous exhorte à la parcourir comme une des plus délicieuses de l'île de Cythère, parfaitement sûr que vous accomplirez ce conseil. Je vais me borner à deux ou trois avis essentiels à toute personne décidée à ne plus connaître que ce genre de plaisirs, ou ceux qui leur sont analogues. Observez d'abord de vous faire toujours branler le clitoris quand on vous sodomise: rien ne se marie comme ces deux plaisirs; évitez le bidet ou le frottement de linge, quand vous venez d'être foutue de cette manière: il est bon que la brèche soit toujours ouverte; il en résulte des désirs, des titillations qu'éteignent aussitôt les soins de propreté; on n'a pas idée du point auquel les sensations se prolongent. Ainsi, quand vous serez dans le train de vous amuser de cette manière, Eugénie, évitez les acides: ils enflamment les hémorroïdes et rendent alors les introductions douloureuses; opposez-vous à ce que plusieurs hommes vous déchargent de suite dans le cul: ce mélange de sperme, quoique voluptueux pour l'imagination, est souvent dangereux pour la santé; rejetez toujours au-dehors ces différentes émissions à mesure qu'elles se font.

    Eugénie — Mais si elles étaient faites par-devant ne serait-ce pas un crime?

    Mme de Saint-Ange — N'imagine donc pas, pauvre folle, qu'il y ait le moindre mal à se prêter de telle manière que ce puisse être à détourner du grand chemin la semence de l'homme, parce que la propagation n'est nullement le but de la nature: elle n'en est qu'une tolérance; et lorsque nous n'en profitons pas, ses intentions sont bien mieux remplies. Eugénie, sois l'ennemie jurée de cette fastidieuse propagation, et détourne sans cesse, même en mariage, cette perfide liqueur dont la végétation ne sert qu'à gâter nos tailles, qu'à émousser dans nous les sensations voluptueuses, nous flétrir, nous vieillir et déranger notre santé; engage ton mari à s'accoutumer à ces pertes; offre-lui toutes les routes qui peuvent éloigner l'hommage du temple; dis-lui que tu détestes les enfants, que tu le supplies de ne point t'en faire. Observe-toi sur cet article, ma bonne car, je te le déclare, j'ai la propagation dans une telle horreur que je cesserais d'être ton amie à l'instant où tu deviendrais grosse. Si, pourtant, ce malheur t'arrive, sans qu'il y ait de ta faute, préviens-moi dans les sept ou huit premières semaines, et je te ferai couler cela tout doucement. Ne crains point l'infanticide; ce crime est imaginaire; nous sommes toujours les maîtresses de ce que nous portons dans notre sein, et nous ne faisons pas plus de mal à détruire cette espèce de matière qu'à purger l'autre, par des médicaments, quand nous en éprouvons le besoin.

    Eugénie — Mais si l'enfant était à terme?

    Mme de Saint-Ange — Fût-il au monde, nous serions toujours les maîtresses de le détruire. Il n'y a sur la terre aucun droit plus certain que celui des mères sur leurs enfants. Il n'est aucun peuple qui n'ait reconnu cette vérité: elle est fondée en raison, en principe.

    Dolmancé — Ce droit est dans la nature... il est incontestable. L'extravagance du système déifique fut la source de toutes ces erreurs grossières. Les imbéciles qui croyaient en Dieu, persuadés que nous ne tenions l'existence que de lui, et qu'aussitôt qu'un embryon était en maturité, une petite âme, émanée de Dieu, venait l'animer aussitôt; ces sots, dis-je, durent assurément considérer comme un crime capital la destruction de cette petite créature, parce que, d'après eux, elle n'appartenait plus aux hommes. C'était l'ouvrage de Dieu; elle était à Dieu: en pouvait-on disposer sans crime? Mais depuis que le flambeau de la philosophie a dissipé toutes ces impostures, depuis que la chimère divine est foulée aux pieds, depuis que, mieux instruits des lois et des secrets de la physique, nous avons développé le principe de la génération, et que ce mécanisme matériel n'offre aux yeux rien de plus étonnant que la végétation du grain de blé, nous en avons appelé à la nature de l'erreur des hommes. Étendant la mesure de nos droits, nous avons enfin reconnu que nous étions parfaitement libres de reprendre ce que nous n'avions donné qu'à contre-cœur ou par hasard, et qu'il était impossible d'exiger d'un individu quelconque de devenir père ou mère s'il n'en a pas envie; que cette créature de plus ou de moins sur la terre n'était pas d'ailleurs d'une bien grande conséquence, et que nous devenions, en un mot, aussi certainement les maîtres de ce morceau de chair, quelque animé qu'il fût, que nous le sommes des ongles que nous retranchons de nos doigts, des excroissances de chair que nous extirpons de nos corps, ou des digestions que nous supprimons de nos entrailles, parce que l'un et l'autre sont de nous, parce que l'un et l'autre sont à nous, et que nous sommes absolument possesseurs de ce qui émane de nous. En vous développant, Eugénie, la très médiocre importance dont l'action du meurtre était sur terre, vous avez dû voir de quelle petite conséquence doit être également tout ce qui tient à l'infanticide, commis sur une créature déjà même en âge de raison; il est donc inutile d'y revenir: l'excellence de votre esprit ajoute à mes preuves. La lecture de l'histoire des mœurs de tous les peuples de la terre, en vous faisant voir que cet usage est universel, achèvera de vous convaincre qu'il n'y aurait que de l'imbécillité à admettre du mal à cette très indifférente action.

    Eugénie, d'abord à Dolmancé — Je ne puis vous dire à quel point vous me persuadez. (S'adressant ensuite à Mme de Saint-Ange.) Mais, dis-moi, ma toute bonne, t'es-tu quelquefois servie du remède que tu m'offres pour détruire intérieurement le fœtus ?

    Mme de Saint-Ange — Deux fois, et toujours avec le plus grand succès; mais je dois t'avouer que je n'en ai fait l'épreuve que dans les premiers temps; cependant deux femmes de ma connaissance ont employé ce même remède à mi-terme, et elles m'ont assuré qu'il leur avait également réussi. Compte donc sur moi dans l'occasion, ma chère, mais je t'exhorte à ne te jamais mettre dans le cas d'en avoir besoin: c'est le plus sûr. Reprenons maintenant la suite des détails lubriques que nous avons promis à cette jeune fille. Poursuivez, Dolmancé, nous en sommes aux fantaisies sacrilèges.

    Dolmancé — Je suppose qu'Eugénie est trop revenue des erreurs religieuses pour ne pas être intimement persuadée que tout ce qui tient à se jouer des objets de la piété des sots ne peut avoir aucune sorte de conséquence. Ces fantaisies en ont si peu qu'elles ne doivent, dans le fait, échauffer que de très jeunes têtes, pour qui toute rupture de frein devient une jouissance; c'est une espèce de petite vindicte qui enflamme l'imagination et qui, sans doute, peut amuser quelques instants; mais ces voluptés, ce me semble, doivent devenir insipides et froides, quand on a eu le temps de s'instruire et de se convaincre de la nullité des objets dont les idoles que nous bafouons ne sont que la chétive représentation. Profaner les reliques, les images de saints, l'hostie, le crucifix, tout cela ne doit être, aux yeux du philosophe, que ce que serait la dégradation d'une statue païenne. Une fois qu'on a voué ces exécrables babioles au mépris, il faut les y laisser, sans s'en occuper davantage; il n'est bon de conserver de tout cela que le blasphème, non qu'il ait plus de réalité, car dès l'instant où il n'y a plus de Dieu, à quoi sert-il d'insulter son nom? Mais c'est qu'il est essentiel de prononcer des mots forts ou sales, dans l'ivresse du plaisir, et que ceux du blasphème servent bien l'imagination. Il n'y faut rien épargner; il faut orner ces mots du plus grand luxe d'expressions; il faut qu'ils scandalisent le plus possible; car il est très doux de scandaliser: il existe là un petit triomphe pour l'orgueil qui n'est nullement à dédaigner; je vous l'avoue, mesdames, c'est une de mes voluptés secrètes: il est peu de plaisirs moraux plus actifs sur mon imagination. Essayez-le, Eugénie, et vous verrez ce qu'il en résulte. Étalez surtout une prodigieuse impiété, lorsque vous vous trouvez avec des personnes de votre âge qui végètent encore dans les ténèbres de la superstition; affichez la débauche et le libertinage; affectez de vous mettre en fille, de leur laisser voir votre gorge; si vous allez avec elles dans les lieux secrets, troussez-vous avec indécence, laissez-leur voir avec affectation les plus secrètes parties de votre corps; exigez la même chose d'elles; séduisez-les, sermonnez-les, faites-leur voir le ridicule de leurs préjugés; mettez-les ce qui s'appelle à mal; jurez comme un homme avec elles; si elles sont plus jeunes que vous, prenez-les de force, amusez-vous-en et corrompez-les, soit par des exemples, soit par des conseils, soit par tout ce que vous pourrez croire, en un mot, de plus capable de les pervertir; soyez de même extrêmement libre avec les hommes, affichez avec eux l'irréligion et l'impudence: loin de vous effrayer des libertés qu'ils prendront, accordez-leur mystérieusement tout ce qui peut les amuser sans vous compromettre; laissez-vous manier par eux, branlez-les, faites-vous branler; allez même jusqu'à leur prêter le cul; mais, puisque l'honneur chimérique des femmes tient à leurs prémices antérieures, rendez-vous plus difficile sur cela, une fois mariée, prenez des laquais, point d'amant, ou payez quelques gens sûrs: de ce moment tout est à couvert; plus d'atteinte à votre réputation, et sans qu'on ait jamais pu vous suspecter, vous avez trouvé l'art de faire tout ce qui vous a plu. Poursuivons:

    Les plaisirs de la cruauté sont les troisièmes que nous nous sommes promis d'analyser. Ces sortes de plaisirs sont aujourd'hui très communs parmi les hommes et voici l'argument dont ils se servent pour les légitimer. Nous voulons être émus, disent-ils, c'est le but de tout homme qui se livre à la volupté, et nous voulons l'être par les moyens les plus actifs. En partant de ce point, il ne s'agit pas de savoir si nos procédés plairont ou déplairont à l'objet qui nous sert, il s'agit seulement d'ébranler la masse de nos nerfs par le choc le plus violent possible; or, il n'est pas douteux que la douleur affectant bien plus vivement que le plaisir, les chocs résultatifs sur nous de cette sensation produite sur les autres seront essentiellement d'une vibration plus vigoureuse, retentiront plus énergiquement en nous, mettront dans une circulation plus violente les esprits animaux qui, se déterminant sur les basses régions par le mouvement de rétrogradation qui leur est essentiel alors, embraseront aussitôt les organes de la volupté et les disposeront au plaisir. Les effets du plaisir sont toujours trompeurs dans les femmes; il est d'ailleurs très difficile qu'un homme laid ou vieux les produise. Y parviennent-ils? ils sont faibles, et les chocs beaucoup moins nerveux. Il faut donc préférer la douleur, dont les effets ne peuvent tromper et dont les vibrations sont plus actives. Mais, objecte-t-on aux hommes entichés de cette manie, cette douleur afflige le prochain; est-il charitable de faire du mal aux autres pour se délecter soi-même? Les coquins vous répondent à cela qu'accoutumés, dans l'acte du plaisir, à se compter pour tout et les autres pour rien, ils sont persuadés qu'il est tout simple, d'après les impulsions de la nature, de préférer ce qu'ils sentent à ce qu'ils ne sentent point. Que nous font, osent-ils dire, les douleurs occasionnées sur le prochain? Les ressentons-nous? Non; au contraire, nous venons de démontrer que de leur production résulte une sensation délicieuse pour nous. A quel titre ménagerions-nous donc un individu qui ne nous touche en rien? A quel titre lui éviterions-nous une douleur qui ne nous coûtera jamais une larme, quand il est certain que de cette douleur va naître un très grand plaisir pour nous? Avons-nous jamais éprouvé une seule impulsion de la nature qui nous conseille de préférer les autres à nous, et chacun n'est-il pas pour soi dans le monde? Vous nous parlez d'une voix chimérique de cette nature, qui nous dit de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'il nous fût fait; mais cet absurde conseil ne nous est jamais venu que des hommes, et d'hommes faibles. L'homme puissant ne s'avisera jamais de parler un tel langage. Ce furent les premiers chrétiens qui, journellement persécutés pour leur imbécile système, criaient à qui voulait l'entendre: "Ne nous brûlez pas, ne nous écorchez pas! La nature dit qu'il ne faut pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'il nous fût fait." Imbéciles! Comment la nature, qui nous conseille toujours de nous délecter, qui n'imprime jamais en nous d'autres mouvements, d'autres inspirations, pourrait-elle, le moment d'après, par une inconséquence sans exemple, nous assurer qu'il ne faut pourtant pas nous aviser de nous délecter si cela peut faire de la peine aux autres? Ah! croyons-le, croyons-le, Eugénie, la nature, notre mère à tous, ne nous parle jamais que de nous; rien n'est égoïste comme sa voix, et ce que nous y reconnaissons de plus clair est l'immuable et saint conseil qu'elle nous donne de nous délecter, n'importe aux dépens de qui. Mais les autres, vous dit-on à cela, peuvent se venger... A la bonne heure, le plus fort seul aura raison. Eh bien, voilà l'état primitif de guerre et de destruction perpétuelles pour lequel sa main nous créa, et dans lequel seul il lui est avantageux que nous soyons.

    Voilà, ma chère Eugénie, comme raisonnent ces gens-là, et moi j'y ajoute, d'après mon expérience et mes études, que la cruauté, bien loin d'être un vice, est le premier sentiment qu'imprime en nous la nature. L'enfant brise son hochet, mord le téton de sa nourrice, étrangle son oiseau, bien avant que d'avoir l'âge de raison. La cruauté est empreinte dans les animaux, chez lesquels, ainsi que je crois vous l'avoir dit, les lois de la nature se lisent bien plus énergiquement que chez nous; elle est chez les sauvages bien plus rapprochée de la nature que chez l'homme civilisé: il serait donc absurde d'établir qu'elle est une suite de la dépravation. Ce système est faux, je le répète. La cruauté est dans la nature; nous naissons tous avec une dose de cruauté que la seule éducation modifie; mais l'éducation n'est pas dans la nature, elle nuit autant aux effets sacrés de la nature que la culture nuit aux arbres. Comparez dans vos vergers l'arbre abandonné aux soins de la nature, avec celui que votre art soigne en le contraignant, et vous verrez lequel est le plus beau, vous éprouverez lequel vous donnera de meilleurs fruits. La cruauté n'est autre chose que l'énergie de l'homme que la civilisation n'a point encore corrompue: elle est donc une vertu et non pas un vice. Retranchez vos lois, vos punitions, vos usages, et la cruauté n'aura plus d'effets dangereux, puisqu'elle n'agira jamais sans pouvoir être aussitôt repoussée par les mêmes voies; c'est dans l'état de civilisation qu'elle est dangereuse, parce que l'être lésé manque presque toujours, ou de la force, ou des moyens de repousser l'injure; mais dans l'état d'incivilisation, si elle agit sur le fort, elle sera repoussée par lui, et si elle agit sur le faible, ne lésant qu'un être qui cède au fort par les lois de la nature, elle n'a pas le moindre inconvénient.

    Nous n'analyserons point la cruauté dans les plaisirs lubriques chez les hommes; vous voyez à peu près, Eugénie, les différents excès où ils doivent porter, et votre ardente imagination doit vous faire aisément comprendre que, dans une âme ferme et stoïque, ils ne doivent point avoir de bornes. Néron, Tibère, Héliogabale immolaient des enfants pour se faire bander; le maréchal de Retz, Charolais, l'oncle de Condé, commirent aussi des meurtres de débauche: le premier avoua dans son interrogatoire qu'il ne connaissait pas de volupté plus puissante que celle qu'il retirait du supplice infligé par son aumônier et lui sur de jeunes enfants des deux sexes. On en trouva sept ou huit cents d'immolés dans un de ses châteaux de Bretagne. Tout cela se conçoit, je viens de vous le prouver. Notre constitution, nos organes, le cours des liqueurs, l'énergie des esprits animaux, voilà les causes physiques qui font, dans la même heure, ou des Titus ou des Néron, des Messaline ou des Chantal; il ne faut pas plus s'enorgueillir de la vertu que se repentir du vice, pas plus accuser la nature de nous avoir fait naître bon que de nous avoir créé scélérat; elle a agi d'après ses vues, ses plans et ses besoins: soumettons-nous. Je n'examinerai donc ici que la cruauté des femmes, toujours bien plus active chez elles que chez les hommes, par la puissante raison de l'excessive sensibilité de leurs organes.

    Nous distinguons en général deux sortes de cruauté: celle qui naît de la stupidité, qui, jamais raisonnée, jamais analysée, assimile l'individu né tel à la bête féroce: celle-là ne donne aucun plaisir parce que celui qui y est enclin n'est susceptible d'aucune recherche; les brutalités d'un tel être sont rarement dangereuses: il est toujours facile de s'en mettre à l'abri; l'autre espèce de cruauté, fruit de l'extrême sensibilité des organes, n'est connue que des êtres extrêmement délicats, et les excès où elle les porte ne sont que des raffinements de leur délicatesse; c'est cette délicatesse, trop promptement émoussée à cause de son excessive finesse, qui, pour se réveiller, met en usage toutes les ressources de la cruauté. Qu'il est peu de gens qui conçoivent ces différences!... Comme il en est peu qui les sentent! Elles existent pourtant, elles sont indubitables. Or, c'est ce second genre de cruauté dont les femmes sont le plus souvent affectées. Étudiez-les bien - vous verrez si ce n'est pas l'excès de leur sensibilité qui les a conduites là; vous verrez si ce n'est pas l'extrême activité de leur imagination, la force de leur esprit qui les rend scélérates et féroces; aussi celles-là sont-elles toutes charmantes; aussi n'en est-il pas une seule de cette espèce qui ne fasse tourner des têtes quand elle l'entreprend; malheureusement, la rigidité ou plutôt l'absurdité de nos mœurs laisse peu d'aliment à leur cruauté; elles sont obligées de se cacher, de dissimuler, de couvrir leur inclination par des actes de bienfaisance ostensibles qu'elles détestent au fond de leur cœur; ce ne peut plus être que sous le voile le plus obscur, avec les précautions les plus grandes, aidées de quelques amies sûres, qu'elles peuvent se livrer à leurs inclinations; et, comme il en est beaucoup de ce genre, il en est par conséquent beaucoup de malheureuses. Voulez-vous les connaître? annoncez-leur un spectacle cruel, celui d'un duel, d'un incendie, d'une bataille, d'un combat de gladiateurs: vous verrez comme elles accourront; mais ces occasions ne sont pas assez nombreuses pour alimenter leur fureur: elles se contiennent et elles souffrent.

    Jetons un coup d'œil rapide sur les femmes de ce genre. Zingua, reine d'Angola, la plus cruelle des femmes, immolait ses amants dès qu'ils avaient joui d'elle; souvent elle faisait battre des guerriers sous ses yeux et devenait le prix du vainqueur; pour flatter son âme féroce, elle se divertissait à faire piler dans un mortier toutes les femmes devenues enceintes avant l'âge de trente ans6. Zoé, femme d'un empereur chinois, n'avait pas de plus grand plaisir que de voir exécuter des criminels sous ses yeux; à leur défaut, elle faisait immoler des esclaves pendant qu'elle foutait avec son mari, et proportionnait les élans de sa décharge à la cruauté des angoisses qu'elle faisait supporter à ces malheureux. Ce fut elle qui, raffinant sur le genre de supplice à imposer à ses victimes, inventa cette fameuse colonne d'airain creuse que l'on faisait rougir après y avoir enfermé le patient. Théodora, la femme de Justinien, s'amusait à voir faire des eunuques; et Messaline se branlait pendant que, par le procédé de la masturbation, on exténuait des hommes devant elle. Les Floridiennes faisaient grossir le membre de leurs époux et plaçaient de petits insectes sur le gland, ce qui leur faisait endurer des douleurs horribles; elles les attachaient pour cette opération et se réunissaient plusieurs autour d'un seul homme pour en venir plus sûrement à bout. Dès qu'elles aperçurent les Espagnols, elles tinrent elles-mêmes leurs époux pendant que ces barbares Européens les assassinaient. La Voisin, la Brinvilliers empoisonnaient pour leur seul plaisir de commettre un crime. L'histoire, en un mot, nous fournit mille et mille traits de la cruauté des femmes, et c'est en raison du penchant naturel qu'elles éprouvent à ces mouvements que je voudrais qu'elles s'accoutumassent à faire usage de la flagellation active, moyen par lequel les hommes cruels apaisent leur férocité. Quelques-unes d'entre elles en usent, je le sais, mais elle n'est pas encore en usage, parmi ce sexe, au point où je le désirerais. Au moyen de cette issue donnée à la barbarie des femmes, la société y gagnerait; car, ne pouvant être méchantes de cette manière, elles le sont d'une autre, et, répandant ainsi leur venin dans le monde, elles font le désespoir de leurs époux et de leur famille. Le refus de faire une bonne action, lorsque l'occasion s'en présente, celui de secourir l'infortune, donnent bien, si l'on veut, de l'essor à cette férocité où certaines femmes sont naturellement entraînées, mais cela est faible et souvent beaucoup trop loin du besoin qu'elles ont de faire pis. Il y aurait, sans doute, d'autres moyens par lesquels une femme, à la fois sensible et féroce, pourrait calmer ses fougueuses passions, mais ils sont dangereux, Eugénie, et je n'oserais jamais te les conseiller... Oh! ciel! qu'avez-vous donc, cher ange?... Madame, dans quel état voilà votre élève!...

    Eugénie, se branlant — Ah! sacredieu! vous me tournez la tête... Voilà l'effet de vos foutus propos!...

    Dolmancé — Au secours, madame, au secours!... Laisserons-nous donc décharger cette belle enfant sans l'aider?...

    Mme de Saint-Ange — Oh! ce serait injuste! (La prenant dans ses bras.) Adorable créature, je n'ai jamais vu une sensibilité comme la tienne, jamais une tête si délicieuse!...

    Dolmancé — Soignez le devant, madame; je vais avec ma langue effleurer le joli petit trou de son cul, en lui donnant de légères claques sur ses fesses; il faut qu'elle décharge entre nos mains au moins sept ou huit fois de cette manière.

    Eugénie, égarée — Ah! foutre! ce ne sera pas difficile!

    Dolmancé — Par l'attitude où nous voilà, mesdames, je remarque que vous pourriez me sucer le vit tour à tour; excité de cette manière, je procéderais avec bien plus d'énergie aux plaisirs de notre charmante élève.

    Eugénie — Ma bonne, je te dispute l'honneur de sucer ce beau vit. (Elle le prend.)

    Dolmancé — Ah! quelles délices!... quelle chaleur voluptueuse!... Mais, Eugénie, vous comporterez-vous bien à l'instant de la crise?

    Mme de Saint-Ange — Elle avalera... elle avalera, je réponds d'elle; et d'ailleurs si, par enfantillage... par je ne sais quelle cause enfin... elle négligeait les devoirs que lui impose ici la lubricité...

    Dolmancé, très animé — Je ne lui pardonnerais pas, madame, je ne lui pardonnerais pas!... Une punition exemplaire... je vous jure qu'elle serait fouettée... qu'elle le serait jusqu'au sang!... Ah! sacredieu! je décharge... mon foutre coule!... Avale!... avale, Eugénie, qu'il n'y en ait pas une goutte de perdue!... Et vous, madame, soignez donc mon cul: il s'offre à vous... Ne voyez-vous donc pas comme il bâille, mon foutu cul?... ne voyez-vous donc pas comme il appelle vos doigts ?... Foutredieu! mon extase est complète... vous les y enfoncez jusqu'au poignet!... Ah! remettons-nous, je n'en puis plus... cette charmante fille m'a sucé comme un ange...

    Eugénie — Mon cher et adorable instituteur, je n'en ai pas perdu une goutte. Baise-moi, cher amour, ton foutre est maintenant au fond de mes entrailles.

    Dolmancé — Elle est délicieuse... et comme la petite friponne a déchargé!...

    Mme de Saint-Ange — Elle est inondée!... Oh! ciel! qu'entends-je!... On frappe: qui peut venir ainsi nous troubler?... C'est mon frère... imprudent!...

    Eugénie — Mais, ma chère, ceci est une trahison!

    Dolmancé — Sans exemple, n'est-ce pas? Ne craignez rien, Eugénie, nous ne travaillons que pour vos plaisirs.

    Mme de Saint-Ange — Ah! nous allons bientôt l'en convaincre! Approche, mon frère, et ris de cette petite fille qui se cache pour n'être pas vue de toi.



    1. Voyez les anecdotes de Procope.
    2. Adam ne fut, comme Noé, qu'un restaurateur du genre humain. Un affreux bouleversement laissa Adam seul sur la terre, comme un pareil événement y laissa Noé; mais la tradition d'Adam se perdit, celle de Noé se conserva.
    3. Cet article se trouvant traité plus loin avec étendue, on s'est contenté de jeter seulement ici quelques bases du système que l'on développera bientôt.
    4. Voyez Suétone et Dion Cassius de Nicée.
    5. Voyez l'Histoire de Zingua, reine d'Angola.
    6. Voyez l'Histoire de Zingua, reine d'Angola, par un missionnaire.


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  • Le monde est plein de gens qui se disent des raffinés et puis qui ne sont pas, je 
    l'affirme, raffinés pour un sou. Moi, votre serviteur, je crois bien que moi, je suis un 
    raffiné ! Tel quel ! Authentiquement raffiné. Jusqu'à ces derniers temps j'avais peine à 
    l'admettre... Je résistais... Et puis un jour je me rendis... Tant pis !... Je suis tout de 
    même un peu gêné par mon raffinement... Que va-t-on dire ? Prétendre ?... 
    Insinuer ?... 
    
    Un raffiné valable, raffiné de droit, de coutume, officiel, d'habitude doit écrire au 
    moins comme M. Gide, M. Vanderem, M. Benda, M. Duhamel, Mme Colette, Mme 
    Fémina, Mme Valéry, les "Théâtres Français"... pâmer sur la nuance... Mallarmé, 
    Bergson, Alain... troufignoliser l'adjectif... goncourtiser... merde ! enculagailler la 
    moumouche, frénétiser l'Insignifiance, babiller ténu dans la pompe, plastroniser, 
    cocoriquer dans les micros... Révéler mes "disques favoris" ... mes projets de 
    conférences... 
    
    Je pourrais, je pourrais bien devenir aussi moi, un styliste véritable, un académique 
    "pertinent". C'est une affaire de travail, une application de mois... peut-être d'années... 
    On arrive à tout... comme dit le proverbe espagnol : "Beaucoup de vaseline, encore 
    plus de patience, Eléphant encugule fourmi." 
    
    Mais je suis quand même trop vieux, trop avancé, trop salope sur la route maudite du 
    raffinement spontané... après une dure carrière "de dur dans les durs" pour rebrousser 
    maintenant chemin ! et puis venir me présenter à l'agrégation des dentelles !... 
    Impossible ! Le drame est là. Comment je fus saisi étranglé d'émoi... par mon propre 
    raffinement ? Voici les faits, les circonstances... 
    
    Je m'ouvrais tout récemment à un petit pote à moi, un bon petit médecin dans mon 
    genre, en mieux, Léo Gutman, de ce goût de plus en plus vivace, prononcé, virulent, 
    que dis-je, absolument despotique qui me venait pour les danseuses... Je lui 
    demandais son avis... Qu'allais-je devenir ? moi, chargé de famille ! Je lui avouai 
    toute ma passion ravageuse... 
    
    
    
    "Dans une jambe de danseuse le monde, ses ondes, tous ses rythmes, ses folies, ses 
    vux sont inscrits !... Jamais écrits !... Le plus nuancé poème du monde !... émouvant ! 
    Gutman ! Tout ! Le poème inouï, chaud et fragile comme une jambe de danseuse en 
    mouvant équilibre est en ligne, Gutman mon ami, aux écoutes du plus grand secret, 
    c'est Dieu ! C'est Dieu lui-même ! Tout simplement ! Voilà le fond de ma pensée ! A 
    partir de la semaine prochaine, Gutman, après le terme... je ne veux plus travailler que 
    pour les danseuses... Tout pour la danse ! Rien que pour la danse ! La vie les saisit, 
    pures... les emporte... au moindre élan, je veux aller me perdre avec elles... toute la 
    vie... frémissante... onduleuse... Gutman ! Elles m'appellent !... Je ne suis plus moi- 
    même... Je me rends... Je veux pas qu'on me bascule dans l'infini !... à la source de 
    tout... de toutes les ondes... La raison du monde est là... Pas ailleurs... Périr par la 
    danseuse !... Je suis vieux, je vais crever bientôt... Je veux m'écrouler, m'effondrer, me 
    dissiper, me vaporiser, tendre nuage... en arabesques... dans le néant... dans les 
    fontaines du mirage... je vaux périr par la plus belle... Je veux qu'elle souffle sur mon 
    cœur... Il s'arrêtera de battre... Je te promets ! Fais en sorte Gutman que je me 
    rapproche du danseuses !... Je veux bien calancher, tu sais, comme tout le monde... 
    mais pas dans un vase de nuit... par une onde... par une belle onde... la plus dansante... 
    la plus émue..." 
    
    Je savais à qui je m'adressais, Léo Gutman pouvait me comprendre... Confrère de haut 
    parage, Gutman !... achalandé comme bien peu... quelles relations !... frayant dans 
    tout le haut Paris... subtil, cavaleur, optimiste, insinuant, savant, fin comme l'ambre, 
    connaissant plus de métrites, de véroles, de baronnes par le menu, de bismuthées, 
    d'acidosiques, d'assassinats bien mondains, d'agonies truquées, de faux seins, d'ulcères 
    douteux, de glandes inouïes, que vingt notaires, cinq Lacassagnes, dix-huit 
    commissaires de police, quinze confesseurs. Au surplus et par lui-même, du cul 
    comme trente-six flics, ce qui ne gâte rien et facilite énormément toute la 
    compréhension des choses. 
    
    "Ah ! qu'il me réplique, Ferdinand, te voilà un nouveau vice ! tu veux lutiner les 
    étoiles ? à ton âge ! c'est la pente fatale !... Tu n'as pas beaucoup d'argent... Comme tu 
    serais plutôt repoussant... considérant ton physique... Je te vois mal parti... Comme tu 
    n'es pas distingué... Comme tes livres si grossiers, si sales, te feront sûrement bien du 
    tort, le mieux serait de ne pas les montrer, encore moins que ta figure... Pour 
    commencer je te présenterai anonyme... Ça ne te fait rien ?" 
    
    - Ah ! Je me récriai, mais Gutman, je suis partisan ! Je m'en gafe énormément ! Je 
    veux bien certes... Et même je préfère demeurer aux aguets... Les entrevoir ces 
    adorables, abrité par quelque lourd rideau... Je ne tiens pas du tout à me montrer 
    personnellement... Je voudrais seulement observer en très grand secret ces mignonnes 
    "à la barre"... dans leurs exercices comme on admire à l'église les objets du culte... de 
    très loin... Tout le monde ne communie pas !... 
    
    - C'est cela... C'est cela même ! ne te montre pas ! T'as toujours une tête de satyre.. 
    Les danseuses sont très effroyables... très facilement. Ce sont des oiseaux... 
    
    - Tu crois ?... Tu crois ?... 
    
    - Tout le monde le sait. 
    
    
    
    Gutman il ruisselle d'idées. Voici l'intermédiaire génial... Il a réfléchi... 
    
    - Tu n'es pas poète des fois, dis donc ? par hasard ?... qu'il me demande à brûle- 
    pourpoint 
    
    - Tu me prends sans vert... (Je ne m'étais jamais à moi-même posé la question.) Poète 
    ? que je dis... Poète ?... Poète comme M. Mallarmé ? Tristan Derème, Valéry, 
    l'Exposition ? Victor Hugo ? Guernesey ? Waterloo ? Les Gorges du Gard ? Saint- 
    Malo ? M. Lifar ?... Comme tout le Frente Popular ? Comme M. Bloch ? Maurice 
    Rostand ? Poète enfin ?... 
    
    - Oui ! Poète enfin ! 
    
    - Hum... Hum... C'est bien difficile à répondre... Mais en toute franchise, je ne crois 
    pas... Ça se verrait... La critique me l'aurait dit... 
    
    - Elle a pas dit ça la critique ?... 
    
    -Ah ! Pas du tout !... Elle a dit comme trésor de merde qu'on pouvait pas trouver 
    beaucoup mieux... dans les deux hémisphères, à la ronde... que les gros livres à 
    Ferdinand... Que c'était vraiment des vrais chiots... "Forcené, raidi, crispé, qu'ils ont 
    écrit tous, dans une très volontaire obstination à créer le scandale verbal... Monsieur 
    Céline nous dégoûte, nous fatigue, sans nous étonner... Un sous-Zola sans essor... Un 
    pauvre imbécile maniaque de la vulgarité gratuite... une grossièreté plate et funèbre... 
    M. Céline est un plagiaire des graffiti d'édicules... rien n'est plus artificiel, plus vain 
    que sa perpétuelle recherche de l'ignoble... même un fou s'en serait lassé... M. Céline 
    n'est même pas fou... Cet hystérique est un malin... Il spécule sur toute la niaiserie, la 
    jobardise des esthètes... factice, tordu au possible son style est un écurement, une 
    perversion, une outrance affligeante et morne. Aucune lueur dans cet égout !... pas la 
    moindre accalmie... la moindre fleurette poétique... Il faut être un snob "tout en 
    bronze" pour résister à deux pages de cette lecture forcenée... Il faut plaindre de tout 
    cœur, les malheureux courriéristes obligés (le devoir professionnel !) de parcourir, 
    avec quelle peine ! de telles étendues d'ordures !... Lecteurs ! Lecteurs !... Gardez- 
    vous bien d'acheter un seul livre de ce cochon ! Vous êtes prévenus ! Vous auriez tout 
    à regretter ! Votre argent ! Votre temps !.., et puis un extraordinaire dégoût, définitif 
    peut-être pour toute la littérature !... Acheter un livre de M. Céline au moment où tant 
    de nos auteurs, de grands, nerveux et loyaux talents, honneur de notre langue (la plus 
    belle de toutes) pleinement en possession de leur plus belle maîtrise, surabondamment 
    doués, se morfondent, souffrent de la cruelle mévente ! (ils en savent quelque chose). 
    Ce serait commettre une bien vilaine action, encourager le plus terne, le plus 
    dégradant des "snobismes", la "Célinomanie", le culte des ordures plates... Ce serait 
    poignarder dans un moment si grave pour tous nos Arts, nos Belles-Lettres 
    Françaises ! (les plus belles de toutes !)" 
    
    - Ils ont dit tout ça les critiques ? Je n'avais pas tout lu, je ne reçois pas l'Argus. 
    
    - Ah ! Mais dis donc ils se régalent ! Ils sont pas Juifs ? Qui c'est tes critiques ?... 
    
    
    
    - Mais la fine fleur de la critique !... Tous les grands critiques français !... Ceux qui se 
    décernent les Grands Prix !... "Monsieur, vous êtes un grand critique"... "Un jeune 
    critique de grand talent !..." 
    
    - Ce sont des cons ! Tous des sales cons, des Juifs ! Tous des ratés ! des suçons ! des 
    outres ! ils ont chacun tué sous eux, au moins quinze ouvrages.. Ils se vengent... Ils 
    crèvent... Ils dépitent... Pustulents !... 
    
    - Ah ! Si j'étais camelot du roi... ventriloque... stalinien... Célineman rabineux... 
    comme ils me trouveraient aimable... Si je rinçais tout simplement... table, zinc 
    ouverts... Les critiques se sont toujours inévitablement gourés... leur élément c'est 
    l'Erreur... Ils n'ont jamais fait autre chose dans le cours des temps historiques : se 
    gourer... Par connerie ? Par jalousie ?... Les deux seuls plateaux de ces juges. La 
    critique est un condé fameux des Juifs... La grande vengeance des impuissants, 
    mégalomanes, de tous les âges de décadence... Ils cadavérisent... La tyrannie sans 
    risque, sans peine... Ce sont les ratés les plus rances qui décrètent le goût du jour !... 
    Qui ne sait rien foutre, loupe toutes ses entreprises possède encore un merveilleux 
    recours : Critique !... Trouvaille inouïe des temps modernes, plus aucun compte 
    jamais à rendre. Critique ne relève que de son propre culot, de ses sales petites 
    gardiens des plus fienteux égouts... Tout en ombres, baves, toxines, immondices, 
    curées... 
    
    - Un seul te découvre un petit peu d'intérêt... 
    -Oui? 
    
    - Marsan. 
    
    - Il en est mort. 
    -Fernandez... 
    -C'est un pote. 
    
    - Et puis Sabord. 
    
    - Je tremble pour sa vie ! mon parrain !... 
    
    - Et puis Strowsky... 
    
    - Il ne recommencera pas. 
    
    - Et Daudet ? 
    
    - Il te crache ! 
    
    - Serait-il Juif ? 
    
    - Tout va mal ! 
    
    
    
    Ce qu'il m'apprenait Gutman, tout d'un coup, sans préparation, me bouleversait de 
    fond en comble... 
    
    - Gutman ! Gutman ! Je t'ai offensé mon pauvre ! Je parie, avec tous ces "Juifs"... et 
    ces "Juifs"... 
    
    -Rien ne m'offense de ta part... Rien ne me blesse Ferdinand ! Réponds plutôt à ma 
    question... es-tu poète oui ou merde ? 
    
    - Ah ! Léo, Léo, mon petit djibouk, pour m'en aller aux danseuses... je me ferai 
    poète !... C'est juré !... pour aller au déduit divin, je ferai de cette terre, de ce cadavre 
    au fond des nuages, une étoile de première grandeur ! Je ne recule devant aucun 
    miracle... 
    
    - Alors vas-y ! ne parle plus ! au tapin ! saisis ta plume... Torche-moi un joli ballet, 
    quelque chose de net et de fringant... j'irai le porter moi-même... à l'Opéra... M. 
    Rouché est mon ami !... Moi-même !... 
    
    - Ah ! Ah ! je reste ébaubi... Vrai ? Vrai ?... 
    
    - Officiel !... Il fait tout ce que je lui demande... 
    
    - Ah ! Léo... (je me jetai â ses genoux) Gutman ! Gutman ! mon vieux prépuce ! Tu 
    m'exaltes ! Je vois le ciel ! La danse c'est le paradis !... 
    
    - Oui mais fais bien attention... Un poème !... Les danseuses sont difficiles... 
    susceptibles... délicates... 
    
    - Bluff de Juifs !... Imposteurs ! je me récrie !... Publicité !... Les valets sont devenus 
    les maîtres ?... En quelle époque tombons-nous ? C'est grand pitié ! L'or salit tout ! 
    Les veaux d'or ! Les Juifs sont à l'Opéra !... Théophile Gautier ! frémis ! sale hirsute. 
    Tu serais viré avec Gisèle !... Il n'était pas Juif... déconnai-je. 
    
    - Tu dis trop de mal... 
    
    - Je jure ! je n'en dirai plus ! pour que mon ballet passe ! 
    
    - Tu te vantes comme un Juif, Ferdinand !... Mais attention ! pas d'ordures ! Tous les 
    prétextes seront valables pour t'éliminer ! Ta presse est détestable... tu es vénal... 
    perfide, faux, puant, retors, vulgaire, sourd et médisant !... Maintenant antisémite c'est 
    complet ! C'est le comble !.. Opéra ! Temple de la Musique ! la Tradition !... les 
    Précautions !... Beaucoup de délicatesse ! de l'envol certes ! mais point de violence !... 
    de ces fatras répugnants... Mr. Rouché, le Directeur, est un homme de goût parfait... 
    Souci du maintien de la sublimité des mélodies dans le Temple... Il ne me 
    pardonnerait jamais de lui avoir recommandé quelque polissonnerie... d'avoir attiré 
    son attention vénérable sur les fariboles d'un goujat... Ferdinand ! Sens et mesure !. . 
    Charme... tendresse... tradition... mélodie... les vrais poèmes sont à ce prix... les 
    danseuses ! 
    
    La fièvre me vint... j'y cédai... Voici : 
    
    
    
    LA NAISSANCE UNE FEE 
    Ballet en plusieurs actes 
    
    Epoque : Louis XV. 
    
    Lieu : Où l'on voudra. 
    
    Décor : Une clairière dans un bois, des rochers, une rivière dans le fond. 
    
    Action : Au lever du rideau, les petits esprits de la forêt dansent, sautent, virevoltent... 
    C'est la ronde des lutins, des farfadets, des elfes... Leur chef est un lutin couronné, le 
    Roi des Lutins agile, preste, toujours aux aguets... Ils jouent... saute-mouton... Avec 
    eux, dans la ronde joyeuse... une biche frêle et timide... leur petite compagne... Et puis 
    un gros compagnon, le gros hibou... Il danse aussi par ci, par là... mais tranquillement, 
    un peu en retrait toujours... Il est le conseiller, le sage de la petite bande... toujours un 
    peu boudeur... Le petit lapin est là aussi... avec son tambour... On entend les cris d'une 
    bande joyeuse... Jeunes gens et jeunes filles... qui se rapprochent de la clairière... la 
    première de ces jeunes filles apparaît entre les buissons : Evelyne... Une très belle, 
    très joyeuse, très gaie, très étincelante jeune fille. Elle aperçoit tout juste le dernier des 
    petits lutins... qui s'enfuient à l'approche... effrayés par les humains... 
    
    Les lutins disparaissent dans le bois... Evelyne fait signe à ses amis, de la rejoindre 
    vite, dans la clairière... Vite ! Vite !... Elle fait signe qu'elle a vu les lutins danser dans 
    la clairière... Les autres rient... incrédules... Ils sont nombreux, jeunes et beaux... 
    garçons et filles... Ils dansent à leur tour dans la clairière... Jeux... Colin-maillard... 
    Bouderies... Agaceries... L'un des garçons est plus particulièrement pressant... Il fait 
    une cour ardente à Evelyne... C'est le Poète... Il est habillé en "poète"... Habit réséda, 
    maillot collant... Cheveux blonds et bouclés... Rouleaux de poèmes sous son bras... 
    C'est le fiancé d'Evelyne... Danses encore... Toujours danses joyeuses !.. 
    
    2e Tableau : 
    
    Devant l'auberge du village... Le jour de la Foire... Groupes agités, affairés... 
    bigarrés... Bateleurs, paysans, animaux, etc. Sous le grand porche de l'auberge, la 
    vieille Karalik accroupie, dit la bonne aventure aux paysans, marchands, etc. La mère 
    Karalik est une vieille gitane méchante... envieuse sorcière... Elle sait lire l'avenir dans 
    les lignes de la main... Les villageois s'approchent. A droite... à gauche... les bateleurs 
    font des tours... Orgues... musiciens... montreurs d'animaux... etc. 
    
    Evelyne et le poète suivis par toute la bande des jeunesses joyeuses débouchent en ce 
    moment sur l'esplanade du marché... Leurs rires... leurs gambades font fuir les clients 
    de la vieille Karalik... Son éventaire est renversé... la vieille Karalik maudit leur 
    farandole. Elle jure... elle sacre... elle menace... les jeunes gens ripostent et se 
    moquent d'elle... Et puis on se réconcilie un peu... Les jeunes filles se rapprochent... 
    Le Poète aussi... La vieille ne veut plus lire dans leurs mains... Elle est fâchée... 
    
    
    
    vexée... Disputes encore... La vieille saisit alors la main d'Evelyne... Tous les autres se 
    moquent de la vieille... lui font des grimaces... La vieille jette un sort à Evelyne... au 
    Poète... A ce moment l'orage gronde... la pluie tombe... La foule se disperse... la ronde 
    s'éparpille... Jeunes gens et villageois s'enfuient... rentrent chez eux... la vieille 
    demeure seule sur la grande place du marché... elle est seule sous l'orage... elle 
    ricane... elle danse les "maléfices"... Elle se moque des jeunes gens... elle mime leurs 
    petites manières... leurs coquetteries... Leurs manèges amoureux... Elle danse en 
    boitant la danse des "sorcières"... La vieillesse méchante... tout autour de la scène... 
    traversée d'éclairs et du vacarme de la foudre... 
    
    3e Tableau : 
    
    Le même endroit, encore devant l'auberge... Un autre jour de foire... Foule... 
    Bateleurs, etc. Des grands panneaux décoratifs sont disposés sur les murs de 
    l'auberge... d'autres devins racontent des histoires aux paysans... leur vantent et leur 
    vendent des médicaments... boniments. 
    
    Dans les remous de cette foule... Une grande berline (8 chevaux) veut se frayer un 
    chemin... Lourdement chargée... La foule veut empêcher la berline de passer... 
    d'avancer... Des grappes de gamins se pendent aux portières... après les bagages... La 
    grande berline penche alors et s'effondre d'un côté... Un essieu vient de se briser... La 
    foule toute heureuse s'amuse de l'accident... (Cet accident survient juste devant 
    l'auberge.) Le cocher de la berline dégringole rapidement de son siège... C'est un petit 
    homme tout brun, tout pétulant, visage bistré sous son grand tricorne, sourcils, 
    moustaches à la Méphisto... (Attention ! en réalité, c'est le Diable lui-même, travesti !) 
    
    Il va tout de suite trouver le gros hôtelier, surgi sur le seuil de sa porte, attiré par la 
    grande rumeur... Très grands saluts réciproques... Aux portières de la berline... 
    apparaissent vingt têtes charmantes, minois rieurs espiègles... bouclées... vingt jeunes 
    filles en voyage... Figures animées... pétillantes, malicieuses... Elles veulent descendre 
    à tout prix... Le petit cocher ne veut pas... leur défend bien... Quiproquo... La foule 
    prend fait et cause... "Descendez !... Descendez !..." La foule se presse... s'agite... On 
    ouvre la berline... "Descendez!" Sautent gracieusement sur le sol les vingt demoiselles 
    (capelines de voyage, chacune un menu bagage, petite ombrelle... etc..) A peine à 
    terre, elles gloussent... s'échappent furtives... mutines... Le petit cocher Méphisto est 
    débordé... Il jure... Il se démène... Il les rattrape dans la foule... Enfin, il peut 
    rassembler sa troupe... mais la lourde berline ne peut plus rouler... Cassée !... 
    
    "Pressons, Mesdemoiselles !... pressons !"... Ayant enfin réuni, rassemblé à grand 
    peine cette folle escorte, il sermonne ces demoiselles !... Il explique aussi au gros 
    hôtelier qu'il est, lui, le responsable !... Qu'il est le maître ! Qu'on doit lui obéir !... Le 
    "Maître des Ballets du Roi !" Il doit conduire sa mutine troupe au château voisin pour 
    les fêtes du mariage du Prince !... Le Corps de Ballet ! Les petites font encore mille 
    espiègleries... Tout heureuses de l'incident... Grand tohu-bohu... un cochon... un 
    veau... traversent la scène... Le Maître de Ballet "Méphisto-cocher"... regroupe enfin 
    ses danseuses ; les fait toutes ensemble pénétrer sous le porche de l'auberge... avec 
    son fouet... Il referme derrière lui cette lourde porte... "Assez ! assez !" La foule 
    s'amuse de sa colère et de son comique désarroi... Ah ! Il est malin quand même !... Il 
    sait bien ce qu'il fait le drôle !... Il est rusé !... Il feint la contrariété... La porte fermée 
    la foule mécontente se disperse... Les épouses entraînent leurs maris... rétifs... Evelyne 
    
    
    
    entraîne son poète... Les jeunes filles sont obligées de tirer un peu sur leurs 
    prétendants... qui soupirent à présent après les danseuses entrevues... 
    
    D'ailleurs les hommes ne s'éloignent pas pour longtemps... A peine quelques 
    secondes... Ils reviennent en scène les uns après les autres... (les hommes seulement) 
    essayer de surprendre ce qui se passe à l'intérieur de l'auberge... Ils frappent à la 
    porte... On ne répond plus... Ils essayent d'ouvrir la porte... Ils collent l'il au volet... Ils 
    sont tous revenus là... Le poète, le gros magistrat, le notaire, le médecin, le professeur 
    du collège, L'épicier, le maréchal ferrant, le gendarme, le général, tous les notables, 
    les ouvriers, le croquemort même... On entend une musique de danse... qui vient de 
    l'intérieur de l'auberge... Ils voient par des trous les curieux... Ils miment en cadence 
    en "petits pas" ce qu'ils aperçoivent... Les demoiselles du Ballet sont en train de 
    répéter une figure dans l'intérieur de l'Auberge... 
    
    4e Tableau : 
    
    Obscurité d'abord... pendant que les notables évacuent la scène... Le mur antérieur de 
    l'auberge est soulevé... on voit donc à présent la grande salle de l'auberge à 
    l'intérieur... convertie pour la circonstance en studio de danse... Le petit maître de 
    ballet ne veut pas de paresseuses. Il presse ses élèves. Il fait reculer les chaises le long 
    du mur... les tables... Il ordonne qu'elles se mettent toutes en tenue de ballet... Elles se 
    déshabillent... toutes... lentement... Les voici prêtes pour la leçon... Il sort son petit 
    violon de sa poche... Barre... Positions... Entrechats... Ensembles... Badines !... 
    Variations... Il fustige, il mène la danse... 
    
    On voit pendant ce temps par un pan coupé à droite que les gros notables sont revenus 
    peur épier... de l'extérieur... Ils se rincent l'il... Ils s'excitent... Scandale des épouses 
    qui essayent de les arracher des persiennes. Ils se trémoussent comiquement les 
    notables, se déhanchent... Ils s'écrabouillent aux fenêtres... Mais l'un d'eux, le gros 
    magistrat d'abord, entre-bâille une. porte dérobée... Il se glisse dans l'intérieur de 
    l'auberge. Le voici dans la pièce tout ravi... tout émerveillé !... Les petites font les 
    effarouchées... Le diable les rassure... "Entrez.... Entrez donc..." invite-t-il le 
    magistrat... Il l'installe dans un fauteuil bien commodément près du mur... qu'il ne 
    perde pas un détail de la belle leçon. Par la même porte le médecin se glisse... Même 
    accueil... le facteur, le notaire, le général... Tous bientôt s'infiltrent un par un... Ils sont 
    installés... sous le charme de la danse et des danseuses... Tous les "représentants" des 
    grands et petits métiers... et les notables hypnotisés par la leçon... Ils miment les 
    gestes, les positions, les arabesques... les variations... Le diable est ravi... Le poète 
    arrive enfin le dernier... Il est bientôt le plus exalté de tous ! Il en oublie son 
    Evelyne... Il fait une déclaration brûlante à la première danseuse... Il ne veut plus la 
    quitter... Il lui dédie tout de suite un magnifique poème... 
    
    [2] (p. 11-20) 
    
    5e Tableau : 
    
    A nouveau devant l'auberge... Le carrosse est à présent réparé... On l'amène devant la 
    porte... Tout est prêt pour le départ... Le gros hôtelier salue le diable-cocher-maître de 
    ballet. Celui-ci précède sa fraîche pépiante troupe... On amène les bagages... La foule 
    se reforme autour de la lourde berline. On vient voir ce départ !... Les danseuses en 
    
    
    
    10 
    
    
    
    voiture !... Mais les notables... juge, poète, médecin, etc.. ne peuvent se résoudre à 
    quitter les danseuses... Ils sont tous ensorcelés... ni plus ni moins !... Leurs épouses 
    pourtant mènent gros vacarme... Ils prennent aussi d'assaut la voiture... Le scandale 
    est à son comble ! On n'a jamais vu chose pareille ! Tous les époux, d'un coup ! 
    oublier tous leurs devoirs !... La honte !... Elles essayent de retenir leurs maris... Mais 
    en vain... Elles s'accrochent après les bagages ! aux portières ! aux courroies !... 
    n'importe où !... Les époux grimpent sur le toit de la berline... escaladent... la lourde 
    voiture... On démarre... Le Poète s'arrache aux bras d'Evelyne... Il court après la 
    voiture... après 1' "Etoile"... 
    
    La voiture déjà loin.... grande colère, grand dépit des épouses... Haines !... 
    vengeances !... poings crispés... anathèmes !... Karalik la vieille sorcière mène, attise 
    la furie... Et puis toutes les épouses évacuent la scène... Reste seule Evelyne en scène 
    dans la pénombre... Elle s'éloigne à son tour toute triste... Elle est accablée... chagrine. 
    Elle ne maudit personne... elle va se suicider... elle n'en peut plus ! 
    
    6e Tableau : 
    
    Dans la clairière comme au premier tableau... Evelyne entre seule, de plus en plus 
    douloureuse et désespérée... Elle traverse doucement... vers la rivière. Elle pense à la 
    Mort... Entrent les Anges de la Mort... en voiles noirs... Danse de la Mort... les anges 
    entourent... bercent Evelyne... Elle essaye de danser... Elle ne peut plus... Elle 
    défaille... Lents mouvements de regret et d'abandon... au bord de l'eau... 
    
    La Mort entre aussi... elle-même danse... elle fascine Evelyne, l'oblige à danser... 
    
    A ce moment, un homme, un chasseur traverse toute la scène... Il cherche... il fouille 
    les taillis... Les Anges de la Mort s'enfuient à son approche... Evelyne reste seule sur 
    un rocher, accablée... Le chasseur repasse encore... plusieurs chasseurs... Puis une 
    biche traverse vivement... La biche amie... compagne des petits esprits de la forêt... 
    Elle est poursuivie par les chasseurs... Elle repasse... elle est touchée... une flèche au 
    flanc... du sang... elle s'écroule juste aux pieds d'Evelyne... Evelyne se penche sur la 
    biche... l'emporte... la cache derrière le rocher, sur un lit de mousse 
    
    Le chasseur revient sur ses pas... demande à Evelyne si elle n'a rien vu ?... une biche 
    blessée ?... Non !... Elle n'a rien vu... Les chasseurs s'éloignent... Evelyne trempe son 
    voile dans l'eau fraîche... panse la blessure de la biche... 
    
    Les petits esprits de la forêt surgissent du bois... fêtent, embrassent Evelyne qui vient 
    de sauver leur petite amie la biche... Reconnaissance... Mais Evelyne n'est pas en train 
    du tout de se réjouir... Elle leur fait part de son désespoir... L'abandon du Poète... Elle 
    ne peut plus vivre... elle ne veut plus vivre... La funeste résolution !... sauter dans la 
    rivière... Les petits esprits protestent... se récrient... s'insurgent... Elle ? Mourir ?... Ah 
    non !... Elle doit demeurer avec ses petits amis... Pourquoi tant de chagrin ?... Elle 
    explique... que le poète a suivi la merveilleuse danseuse... séduit... désormais... sans 
    défense... Evelyne n'a pas su le retenir Comment rivaliser ? C'en est trop !... "Qu'à 
    cela ne tienne ! Danser ?... s'esclaffent les petits esprits... Danser ?... Mais nous allons 
    t' apprendre ! Nous !... Et tu danseras mieux qu'aucune autre danseuse sur terre !... 
    Tiens !... Veux- tu que nous te montrions ?... Veux-tu apprendre les Grands secrets de 
    la Danse ?..." Le petit roi des esprits appelle, invoque, commande les esprits de la 
    
    
    
    11 
    
    
    
    Danse... D'abord la "Feuille au Vent"... Danse de la Feuille au Vent... Evelyne chaque 
    fois danse avec l'esprit invoqué... de mieux en mieux... Le "Tourbillon des Feuilles"... 
    "L'Automne"... le "Feu follet"... "Zéphir" lui-même... les "Buées ondoyantes"... la 
    "Brise matinale"... la "Lumière des sous-bois"... etc. Evelyne danse de mieux en 
    mieux !... 
    
    Enfin l'un des esprits fait cadeau à Evelyne d'un "Roseau d'Or" qu'il va cueillir sur la 
    berge ; le roseau magique !... Evelyne fixe à son corsage le joli roseau d'or... Elle 
    danse à présent divinement... C'est exact... Tous les petits esprits de la forêt accourent 
    pour l'admirer... Ah ! elle peut retourner vers la vie !... Elle n'a plus à craindre de 
    rivale... Adieux reconnaissants, grande émotion, touchantes effusions... Evelyne quitte 
    ses petits amis pour rejoindre son fiancé volage... Elle quitte la clairière sur les 
    "pointes"... Les petits amis de loin lui envoient mille baisers et tous leurs vux de 
    bonheur !... 
    
    7e Tableau : 
    
    Encore une fois devant l'auberge... 
    
    Evelyne est tout de même un peu désemparée avec son "roseau d'or"... Comment 
    retrouver son fiancé ?... Elle ne connaît pas le chemin... Où peut-il être ?... Elle 
    questionne... elle cherche... Personne ne sait... Puisqu'il s'agit d'une affaire diabolique, 
    elle va s'informer auprès de Karalik la vieille sorcière, si venimeuse, si méchante... 
    Elle doit savoir elle !... Confiante, Evelyne lui explique... ce qui lui est arrivé... Mais 
    qu'elle danse à présent à merveille... "Vraiment ?... vraiment ?... fais-moi voir !..." 
    Evelyne danse quelques pas... C'est exact !... Karalik est étonnée... Elle ameute 
    aussitôt tous les tziganes de sa tribu... Les femmes et les paysans aussi... ils entourent 
    Evelyne... qu'elle danse ! qu'on l'admire !... Evelyne danse... Le charme est infiniment 
    puissant... Irrésistible ! Immédiat !... Les hommes sont tous aussitôt séduits... Les 
    tziganes surtout... L'un d'eux se détache du groupe... Il vient danser avec Evelyne... 
    L'effleure... Il est envoûté... La vieille Karalik, dans la foule pendant ce temps attise la 
    jalousie des femmes... "Tu vois !... Tu vois !... Elle possède le "charme" à présent... 
    Le Grand secret de la danse !... Elle va te prendre ton homme !... Défends-toi 
    gitane !..." Elle force un poignard dans la main d'une des épouses, la femme du 
    tzigane qui danse avec Evelyne à ce moment... Evelyne ne prend garde... Elle est 
    poignardée en plein dos... Evelyne s'écroule... la foule se disperse... Horrible ! Le 
    corps d'Evelyne reste en scène... Morte ! Un pinceau de lumière sur le cadavre... La 
    scène toute noire... Un petit ramoneur s'écoule ainsi... en musique douce... Et puis 
    doucement... l'on voit surgir de l'ombre... un... deux... trois petits esprits de la forêt... 
    Trois... quatre... la biche... la gazelle... les elfes..., le feu-follet... le gros hibou... 
    Conciliabule alarmé... désolé... pathétique des petits esprits de la forêt... Ils arrachent 
    le grand couteau de la plaie... Il essaye de ranimer la pauvre Evelyne... Rien à faire !... 
    
    Le petit Roi des elfes est plus désespéré que tous les autres petits "esprits" encore... Il 
    discute avec le gros hibou... lui le sage de la tribu... Elle est bien morte Evelyne... 
    C'est la faute du "roseau d'or"... Elle dansait trop bien pour une vivante... trop bien... 
    posséder un tel charme vous fait trop haïr des vivants !... Faire naître trop de jalousie 
    vous fait tuer très certainement !... Comment faire ?... Le gros hibou a une idée... 
    
    
    
    12 
    
    
    
    Dans la Légende il est écrit... (dans la légende de la Forêt) que si l'on répand trois 
    gouttes de Clair de Lune sur le front d'une vierge morte amoureuse, celle-ci peut 
    ressusciter à l'état de fée... 
    
    Les gouttes de Lune sont les gouttes de rosée nocturne qui se trouvent au rebord de 
    certaines orties..., et qui ont subi le rayonnement de certaines phases de la Lune... 
    Hibou connaît dans la forêt certaine araignée "croisade" qui collectionne dans sa toile 
    certaines gouttes de ce cru de Lune rarissime.... 
    
    Il part à la recherche de l'araignée... Danse d'espoir des petits esprits de la forêt autour 
    du cadavre... Hibou revient avec l'araignée qui presse dans les plis de son ventre une 
    minuscule fiole pleine de "Gouttes de Lune"... Elle verse trois gouttes sur le front 
    d'Evelyne qui reprend tout doucement connaissance Joie des petits esprits... 
    
    "Où suis-je ?... Qui suis-je ?" demande Evelyne. 
    
    "Tu es notre petite fée Evelyne !..." 
    
    "Mais je suis bien vivante ?..." 
    
    "Non... tu ne peux plus retourner parmi les vivants... Tu restes avec nous désormais... 
    Tu es devenue Fée..." 
    
    "Oh ! Comme je suis légère !... Légère comme un souffle... Comme je danse à 
    présent ! Encore mieux !..." 
    
    Danse avec les petits esprits... et l'Araignée aussi... Mais le chagrin étreint malgré tout 
    Evelyne... Elle n'a pas oublié tout à fait son poète... l'infidèle... 
    
    Ses petits amis sont bien navrés... la voyant encore un peu triste... Elle voudrait revoir 
    son poète... Le délivrer des remords qui doivent à présent l'accabler... Le sauver de 
    l'emprise de ces démo nés et du Diable... lui donner enfin cette dernière preuve 
    d'affection... "Soit !... Bien !... Nous irons le voir tous ensemble ton poète... Tu te 
    rendras compte par toi-même..." lui répondent les petits esprits... "Emmenons la 
    méchante Karalik aussi... Elle connaît tous les chemins du vice... tous les itinéraires 
    du diable... Elle peut nous être utile." 
    
    Ils partent à la queue leu-leu... Ribambelle des petits esprits, Evelyne et Karalik, à 
    travers les taillis, plaines et buissons... à la recherche du château du diable... Ils 
    passent devant le grand rideau... dansant à la file indienne... Craintes, espiègleries... 
    effrois... etc.. 
    
    8e Tableau : 
    
    L'intérieur du Château du Diable... 
    
    Beaucoup d'or... des flammes... des couleurs très vives... le petit diable-cocher-maître 
    de ballet, est alors là, chez lui, habillé "nature" en démon véritable... Il préside une 
    table fabuleusement servie... Fraises énormes... poires formidables... poulets comme 
    des bufs... Tous les notables du village sont attablés... Le juge, le notaire, le général, le 
    
    
    
    13 
    
    
    
    médecin... L'épicier aussi, le professeur. Entre chacun de ces damnés une danseuse... 
    C'est-à-dire à présent une véritable démone... L'orgie bat son plein !... Tout en haut 
    des marches un énorme Lucifer, lui-même tout en or... mange seul, des âmes toutes 
    crues... à sa table, avec un couvert tout en or... Les âmes ont la forme de crieurs... Il 
    les déchire à pleines dents... Il avale des bijoux aussi... Il sucre les cœurs avec des 
    poudres de diamants... Il boit des larmes... etc.. Le Poète est enchaîné à une petite 
    table... Il déjeune aussi... mais il est enchaîné... La démone "première danseuse"... 
    danse devant lui... pour lui... l'ensorcelle. Mais il ne peut jamais la toucher... 
    l'atteindre. Il essaye... Il est au désespoir... Lucifer, en haut, se réjouit énormément de 
    tout ce spectacle infâme... Il en veut toujours davantage... Qu'on se divertisse... Il 
    commande au petit maître de ballet de faire danser tous ces damnés... au fouet. Tous 
    dansent alors comme ils peuvent... chacun dans son genre... Le Juge avec ses 
    condamnés... Le Juge bien rubicond, les condamnés bien maigres, avec leurs boulets 
    et leurs chaînes... leurs femmes qui portent des rançons... Le vieil Avare danse avec 
    les huissiers, avec les emprunteurs ruinés... Le Général avec les soldats morts à la 
    guerre, hâves, avec les squelettes et les mutilés de la guerre, tout sanglants... Le 
    Professeur avec ses élèves morveux, ses garnements les doigts dans le nez... les 
    oreilles d'ânes... Le gros Souteneur avec ses putains et ses vicieuses et les fillettes... 
    L'Epicier avec ses clients volés.... ses faux poids... ses fausses balances... Le Notaire 
    avec les veuves ruinées... ses clients escroqués... Le Curé avec les bonnes surs volages 
    et les petits clercs pédérastes... etc. 
    
    A ce moment, Karalik entr'ouvre la porte... elle entre... derrière elle, Evelyne et les 
    petits esprits de la forêt... Surprise des démons... Lucifer n'est pas content... Il 
    gronde... Il tonne... Eclairs... Il exige que ces intrus s'expliquent... Evelyne fait mine 
    de vouloir délivrer le poète enchaîné... "Non ! Non ! Non !... défend Lucifer... 
    qu'Evelyne danse !..." Les démones sont jalouses... Karalik montre à Lucifer 
    qu'Evelyne possède le sortilège des Danses... Le roseau d'or !... Un démon va le lui 
    arracher... 
    
    Alors Evelyne fait un geste... un seul... Signe magique !... et tout le château 
    s'écroule !... et toute cette diablerie est dispersée... par un formidable ouragan... Nuit 
    profonde... 
    
    Nous nous retrouvons dans la clairière comme au début... Evelyne a délivré le Poète... 
    ses chaînes sont brisées... elles sont aux pieds d'Evelyne... Il implore son pardon... 
    Evelyne pardonne. Il la supplie de ne plus jamais le quitter... qu'elle ne s'éloigne plus 
    jamais... Mais elle ne peut plus demeurer avec lui... Elle est fée à présent... Elle 
    appartient à ses petits amis de la forêt... Elle n'est plus humaine... Il l'embrasse... Il 
    veut l'émouvoir... Mais elle demeure insensible... froide aux approches charnelles... 
    Elle n'est plus que songe... esprit... désir... Elle est devenue fée... Le Poète est déçu... 
    mais toujours amoureux... Pour toujours amoureux... davantage... toujours 
    davantage... de son Evelyne devenue fée... Evelyne s'éloigne tout doucement, 
    entraînée par ses petits amis... Elle disparaît... se dissipe... mousselines... de plus en 
    plus épaisses vers le fond de la scène... devient de plus en plus irréelle... spirituelle... 
    diaphane... Elle disparaît... prise par le flou du décor... mousselines... Le Poète est seul 
    à présent... La vieille Karalik muée en crapaud ! saute, gigote, accompagnera 
    désormais toujours le gracieux essaim des esprits moqueurs de la forêt... 
    
    
    
    14 
    
    
    
    Le Poète sur son rocher... au bord de l'eau... désolé... déroule son grand manuscrit... Il 
    va chanter... il chantera toujours ses amours idéales, poétiques... impossibles... 
    Toujours... toujours... Rideau. 
    
    On peut toujours dire tout ce que l'on veut sur tout ce que l'on vous présente... Il 
    n'existe pas de critique en soi... C'est une farce la critique en soi. Il existe une critique 
    bienveillante et puis l'autre, poisoneuse. Tout merde ou tout nougat. Question de 
    partialité. Pour moi, je trouve ce divertissement féerique comico-tragique, fort bien 
    venu. Il me satisfait et j'ai meilleur goût, moi tout seul, que toute la critique 
    pantachiote et culacagneuse réunie, j'ai donc décidé, devançant tous commentaires, 
    que mon ballet valait bien mieux, surpassait de loin tous les vieux thèmes... tous les 
    dadas du répertoire... la cavalerie d'Opéra... Gisèle... Bagatelles... Petits Riens... les 
    Lacs... Sylvia... Pas de chichis ! pas de mimique !... Examinez encore un peu 
    l'agencement de toutes ces merveilles... Regardez de plus près l'article... C'est du 
    travail cousu main... absolument authentique... tout s'y enchaîne... dans l'agrément, le 
    charme... tourbillonne... se retrouve... Variantes... reprises... tout s'enlace... dans 
    l'agrément... s'élance... s'échappe encore... Qui veut danser !... 
    
    D'abord le critique de moi-même, à partir d'aujourd'hui, c'est moi. Et ça suffit. 
    Magnifiquement... Il faut que j'organise sans désemparer ma défense... Il faut que je 
    devance les Juifs !... tous les Juifs ! racistes, sournois, bornés, frénétiques, 
    maléfiques... Rien qu'eux... tout pour eux !... Toujours et partout ! J'ai prévenu tout de 
    suite Gutman... Attention Léo !... Tais-toi... Sans commentaires ! Va porter ! Il en 
    demeurait ébloui ! 
    
    "Jamais ! jamais je n'aurais cru Ferdinand..." Il en restait tout rêveur, confondu ! Il l'a 
    relu tout haut deux fois le poème ! Il découvrait le poète enfin !... Poète comme M. 
    Galeries ! poète comme M. Barbes !... et Tino Rossi !... Comme M. Dupanloup !... les 
    machines à sous !... Comme les petits oiseaux !... le chemin de fer de l'Ouest... J'étais 
    poète à ses yeux !... Nous nous embrassâmes... Il a foncé dans les démarches... Je me 
    couche. 
    
    Je l'attends comme ça un jour... puis deux... trois... dix... Je faisais déjà un peu la 
    gueule... Le douzième jour il me revient... gêné. "M. Rouché a trouvé que c'était pas 
    mal ton affaire, mais il demande la musique... en même temps... Il ne veut pas 
    entendre parler d'un ballet, comme ça, sans musique !... Un musicien bien en cour..." 
    
    Voilà qui compliquait les choses... Bien en cour ? Bien en cour ? Je sursaute... Mais... 
    
    - Mais ce sont les Juifs bien en cour !... Exprime-toi clairement... 
    
    - Tu dois aller les voir toi-même... 
    
    Je n'aime pas beaucoup tirer les cordons, j'ai fait énormément la "place", dans bien des 
    endroits à Paris, pour placer toutes espèces d'articles... Ah ! je n'ai plus beaucoup 
    d'entrain... Enfin foutre ! tans pis ! J'en ferai encore des démarches ! Je me ferais piler 
    nom de Dieu !.., pour me rapprocher des danseuses... Je suis prêt à n'importe quoi !... 
    Pour la danse ! Je souffrirai deux, trois morts de suite... Je me voyais déjà, il faut que 
    j'avoue admirablement placé... Pour tout dire bien crûment, je mettais l'Evelyne, ma 
    
    
    
    15 
    
    
    
    fée... d'une manière ! imaginaire !... j'anticipais !... j'anticipais !... Ah ! ce n'était qu'un 
    trompeux rêve... Quel abîme de la coupe aux lèvres ! Foutre d'azur !... Courage ! 
    Courage ! Gutman soufflait sa trompette... il nasille, quand il s'anime... 
    
    J'ai donc été rendre visite, l'un après l'autre, à tous les grands musiciens juifs... 
    puisqu'ils tenaient toutes les avenues... Ils furent tous bien fraternels... tout à fait 
    cordiaux... flatteurs au possible... seulement dans l'instant... occupés... surmenés... par 
    ceci et puis par cela... au fond assez décourageants... évasifs. Ils me firent mille 
    compliments... Mon poème pouvait se défendre certes... Mais cependant un peu 
    long !... trop court peut-être ? trop doux ?... trop dur ?... trop classique ? Enfin tout ce 
    qu'on bafouille pour se débarrasser d'une pelure... d'un foutu fâcheux... Je commençais 
    à l'avoir sec... En rentrant, à mon tour, j'ai dévisagé fort curieusement Léo Gutman... 
    Il m'attendait sur le palier. 
    
    - Tu ne me judaïserais pas, dis donc, par hasard ?... Toi canaille ? comme ça tout à 
    fait sourcilleux... Tu ne me crosses pas avec des yites ?... 
    
    - Ah ! Ferdinand, ce serait bien mal reconnaître... 
    
    - Rien à faire à l'Opéra... 
    
    - Ecoute j'ai l'idée d'autre chose... (il était jamais à court...) 
    
    - Pour l'Exposition ?... la 37 ?... Ils vont donner des ballets ? 
    
    - Vérité ? 
    
    - Officiel !... 
    
    - Des ballets de Paris ?... 
    
    Je recommence à respirer en entendant ces paroles... 
    
    - Ah ! Ça tombe joliment pile, dis-donc, mon Léon... Moi je suis né à Courbevoie !... 
    Et puis ensuite grandi sous cloche... dans le Passage Choiseul... (ça ne m'a pas rendu 
    meilleur...) Alors tu te rends compte un peu ! si je la connais la capitale ?... C'est pas 
    le Paris de mes vingt ans... C'est bien le Paris de mes six semaines, sans me forcer... Je 
    ne suis pas arrivé du Cantal pour m'étourdir dans la Grande Roue !... J'avais humé 
    tous les glaviots des plus peuplés quartiers du centre (ils venaient tous cracher dans le 
    Passage) quand les grands "écrivains de Paris" couraient encore derrière leurs oies la 
    paille au cul... Pour être de Paris... j'en suis bien !... Je peux mettre tout ça en valeur... 
    Mon père est flamand, ma mère est bretonne... Elle s'appelle Guillou, lui Destouches... 
    
    - Cache tout ça ! cache tout ça !... Ne va pas raconter ces horreurs... Tu nous ferais un 
    tort énorme... Je vais tout te dire Ferdinand. L'Exposition des "Arts et Techniques" 
    c'est l'exposition juive 1937... La grande youstricave 37. Tout le monde qu'on expose 
    est juif... enfin tout ce qui compte... qui commande... Pas les staffeurs, les jardiniers, 
    les déménageurs, les terrassiers, les forgerons, les mutilés, les gardes aux portes... 
    Non ! les ramasseurs de mégots... les gardiens de latrines enfin... la frime... les 
    biscotos... Non ! Mais tout ce qui ordonne... qui tranche... qui palpe... architectes, mon 
    
    
    
    16 
    
    
    
    pote, grands ingénieurs, contractants, directeurs, tous youtres... parfaitement, demi, 
    quart, de youtres... au pire francs-maçons !... Il faut que la France entière vienne 
    admirer le génie youtre... se prosterne... saucissonne... juif !... trinque juif ! paye 
    juif !... Ce sera l'Exposition la plus chère qu'on aura vue depuis toujours... Il faut que 
    la France s'entraîne à crever toute pour, par les Juifs... et puis avec enthousiasme ! à 
    plein cœur... à plein pot !... 
    
    Il disait tout ça pour de rire Gutman, question de me narguer... de se moquer un peu... 
    Il m'imitait... Berger et Bergère... 
    
    - Ça va... ça va !... te force pas... dis-moi seulement ce que tu veux... C'est la dernière 
    chance que je te donne... avant la brouille... la haine au sang... 
    
    - Tu vas Ferdinand, qu'il m'indique, me donner alors un véritable boulot, un petit 
    ballet... absolument approprié aux fastes de l'Exposition... 
    
    - Gigot !... que je fais, Gutman, je te prends au mot, pour le mot... Je te laisse pas 
    sortir ! Je te le chie pile ! mon poème... entier ! sur le marbre !... Tu pourras livrer de 
    suite... (Nous étions dans un café) 
    
    - Garçon ! passez l'encre et la plume !... 
    
    J'allais pas encore me cailler... comme j'avais fait pour l'autre féerie... et puis que ça 
    finisse en boudin... Je lui bâcle là en trois secousses... mon petit projet... j'avais le 
    sujet tout mijoté... Je lui file en fouille le manuscrit, tout chaud... et je lui mande : 
    
    - Gutman ! Saute ! Mais je te préviens... face de fausse gouine ! Fais attention ! Va 
    pas me revenir encore bredouille !... Tu me fâcherais horriblement... 
    
    
    
    VOYOU PAUL, BRAVE VIRGINIE 
    
    Ballet-Mime 
    
    Petit Prologue. 
    
    Le rideau représente sur toute la hauteur "Paul et Virginie", tableau romantique. Paul 
    et Virginie gambadent gaiement dans un sentier bordé de hautes frondaisons 
    tropicales... s'abritant sous une large feuille de bananier. Musique... 
    
    A ce moment, d'un côté de la scène, apparaît une très aimable et fraîche et mignonne 
    commère en tutu, baguette frêle à la main... Elle s'avance jusqu'au milieu de la scène 
    sur les pointes... tout doucement accompagnée en sourdine par la musique... Elle 
    prévient très gentiment les spectateurs... "Certes ! il a couru bien des bruits sur Paul et 
    sur Virginie... La vérité ? oh ! attention !... Tout ne fut pas raconté... Ils ne périrent ni 
    l'un ni l'autre... ne furent noyés qu'un petit peu... au cours du terrible naufrage... Ils 
    furent recueillis sur la rive... Vous allez voir juste comment et pourquoi... Sauvés en 
    somme par miracle... C'est un fait ! toujours enlacés... toujours épris semble-t-il... 
    mais il faudra bien qu'ils se réveillent... Comme il nous tarde de savoir..." 
    
    
    
    17 
    
    
    
    Sur ces mots... et toujours en musique et sur les pointes, la commère file dans la 
    coulisse... 
    
    Alors le rideau se lève... 
    
    1er Tableau : 
    
    Un rivage... sable... des herbes... Au loin, des palmiers, des orangers. Mille fleurs 
    éclatantes. Paysage tropical... Une tribu de sauvages est en pleine célébration d'une 
    fête... tam-tam... musique... danses furieuses... lascives... puis saccadées... 
    exaspérées... Une sorcière de la tribu, dans un coin, tient une espèce de comptoir : 
    gris-gris, fioles, amulettes, poudres, près du tam-tam... Elle parcourt les rangs... dans 
    la sarabande... femmes, enfants, hommes... tous les âges mêlés... Elle passe à boire 
    aux danseurs... les oblige à boire quelques gouttes de son philtre... chaque fois qu'ils 
    paraissent un peu languissants... épuisés... vite elle les requinque avec son breuvage... 
    elle circule... gambade à travers les rangs avec sa fiole et ses gris-gris... qu'elle agite... 
    elle surexcite le tam-tam. Elle pousse les femmes vers les hommes... les vierges vers 
    les mâles... les petites filles... etc.. Elle est le démon de la tribu... 
    
    Pendant que les scènes s'enchevêtrent... on voit au loin une petite 
    
    [3] (p. 31-40) 
    
    voile se profiler à l'horizon... qui grandit... on entend mugir la tempête... Le vent... La 
    sarabande des nègres redouble... bacchanale... en mesure avec les rafales... Le navire 
    se rapproche... Il va s'éventrer sur les récifs... Grand émoi chez les sauvages... Ils vont 
    chercher leurs javelots... les haches... prêts au pillage... La tribu entière se précipite 
    vers l'endroit du naufrage... Ils reviennent bientôt avec le butin : barils... coffres... 
    paquets divers... et puis deux corps enlacés... qu'ils déposent sur le sable... près du 
    feu... Deux corps inanimés... Paul et Virginie... toujours enlacés... 
    
    Ces sauvages sont de bons sauvages... ils tentent de ranimer Paul et Virginie... Ils ne 
    reviennent pas à la vie... La sorcière écarte la foule... Elle connaît un philtre... Elle 
    leur verse son breuvage... entre les lèvres. Paul et Virginie reprennent conscience... 
    peu à peu. Paul a bientôt complètement retrouvé les sens... Virginie est plus lente à se 
    remettre... Emoi... angoisse... de Paul... Paul demande encore un peu de ce breuvage... 
    Il est avide... La sorcière elle-même le met en garde : "Ce breuvage est d'une ardeur 
    extrême..." Il porte aux sens... au délire ! Paul se lève... Il fait quelques pas sur la 
    plage... Il se sent déjà beaucoup mieux. Ses yeux sont émerveillés... Il ne regarde plus 
    Virginie... plus aussi épris semble-t-il... Mais Virginie se redresse aussi... l'enlace... 
    Elle va mieux... Ils dansent ensemble... La ronde des bons sauvages les entoure... tout 
    heureux d'avoir sauvé ces amoureux ! Paul veut encore boire de ce breuvage... mais 
    Virginie se méfie... ce breuvage lui fait peur... La façon dont Paul lutine à présent les 
    petites sauvageonnes ne lui plaît qu'à moitié... Paul se trouve agacé par cette réserve... 
    cette pudibonderie. Virginie boude... Paul lui fait signe qu'elle l'embête... tout en 
    dansant, frénétique !... Virginie va bouder un peu à l'écart... Première brouille !... 
    Dépit de Virginie lorsque Paul de plus en plus endiablé conduit une farandole 
    éperdue, générale, de tous les sauvages et se tient comme un voyou... Il boit à la 
    régalade le philtre ardent. Encore !... et encore !... Virginie déjà ne le reconnaît plus... 
    
    
    
    2e Prologue (même rideau). 
    
    La même charmante commère sur les pointes jusqu'au milieu du rideau : elle 
    annonce : "Les absents n'ont pas toujours tort... Il s'en faut ! et de beaucoup !... Vous 
    allez voir que tante Odile pense toujours, mélancolique, à sa nièce aimée, la touchante 
    Virginie... Elle a lu, bien relu cent fois déjà, la bonne tante Odile, chaque page du 
    grand roman... du merveilleux récit tendre et terrible... Mais voici bientôt trois années 
    que le "Saint-Géran" fit naufrage... Cela ne nous rajeunit pas... Tristesse est lourde 
    aux jeunes gens... et chaque printemps doit fleurir !... Je vous annonce les fiançailles 
    de Mirella, cousine de Virginie, avec le sémillant Oscar !... Voici Mirella, mutine, 
    délicate et tendre, fraîche rose d'un gracieux destin.. .-Vous allez voir Mirella, reine du 
    jour, dans le salon de tante Odile !... Chez tante Odile ! au Havre !... Juin 1830 ! Vous 
    allez connaître encore une autre grande nouvelle... Je vous laisse à deviner... Par la 
    fenêtre de tante Odile l'on aperçoit le Sémaphore... Regardez bien !... S'il apparaît un 
    drapeau bleu... C'est un navire ! Je vous le dis !... Le navire !... Entre nous ! Chut !... 
    Chut !... 
    
    Et la commère disparaît sur les pointes... 
    
    2e Tableau (Le rideau se lève). 
    
    L'on aperçoit un salon de l'époque... très cossu... très bourgeois... capitons... sofas... un 
    piano... deux, trois grandes fenêtres... baies vitrées... donnent sur la falaise... le 
    Sémaphore... la mer au loin... très loin... Au début de l'acte, tout le monde va et vient 
    dans le salon. Une jeunesse nombreuse... joyeuse.... pleine d'entrain... danses... duos... 
    quadrilles... etc.. cotillons... tout ce que l'on voudra de l'époque... (transposé en 
    ballet). 
    
    La cousine Mirella (étoile) avec Oscar, son fiancé... se font mille agaceries... d'autres 
    couples se forment... s'élancent autour d'eux... bouleversent un peu le salon... On saute 
    par la fenêtre... On revient, etc. on gambade mais tout ceci cependant... dans le bon 
    ton !... Elégance... souci de finesse... Au piano... deux vieilles filles, tout à fait 
    caricaturales... Elles jouent à quatre mains... (à deux pianos, ou piano et épinette si 
    l'on veut...) Les petits ballets se succèdent... mais une porte s'ouvre... Les danseurs 
    interrompent leurs ébats... Une dame âgée fait son entrée... fort gracieuse... mais 
    réservée... un peu craintive... effacée... Elle répond très aimablement... aux révérences 
    des danseuses... Mirella et Oscar l'embrassent... d'autres aussi... On l'entoure... on la 
    cajole... Elle ne veut pas troubler la fête... "Oh ! non !... non ! " Elle fait signe que l'on 
    continue... qu'elle Se veut rien interrompre... que tout doit reprendre fort gaiement... 
    
    Mirella veut faire danser tante Odile, un petit tour avec Oscar !... Doucement tante 
    Odile résiste... se dérobe... Tante Odile préfère son fauteuil près de ta fenêtre... Qu'on 
    la laisse passer... Sous le bras, elle porte son ouvrage de tapisserie... et puis un gros 
    livre... son chien la suit... Le bon Piram, que Virginie aimait tant... On accompagne 
    tante Odile vers son fauteuil... devant sa fenêtre préférée... Les jeunes couples se 
    reforment... la fête continue... Mirella éprouve, cependant à ce moment, comme une 
    sorte de malaise... vertige... Un trouble... elle préfère attendre un peu... se reposer... 
    avant l'autre danse... Oscar lui offre son bras... Ils se rapprochent tous les deux de 
    tante Odile, à la fenêtre... Tante Odile est encore plongée dans la lecture du beau 
    roman... Mirella... à ses genoux... lui demande de lire le livre tout haut... Oscar tout 
    
    
    
    19 
    
    
    
    près... charmant groupe... Les danseurs peu à peu s'alanguissent... ne dansent plus qu'à 
    peine... se rapprochent aussi de tante Odile... Un cercle airs se forme, jeunes gens et 
    jeunes filles... la musique devient de plus en plus douce, mélancolique, 
    attendrissante... C'est le récit de tante Odile... comme un chant... la lumière du jour 
    faiblit... un peu... C'est le crépuscule... Le rêve s'empare de cette gracieuse 
    assistance... Tous les danseurs sur le tapis... sur le plancher... attentifs, mêlés en 
    groupes harmonieux... écoutent tante Odile... (la douce musique...) 
    
    Mais, à ce moment, l'on frappe... et l'on flanque la porte-brutalement... Sursaut. Un 
    petit messager, un gamin du port... surgit en dansant... gambade... fait mine 
    d'annoncer une grande nouvelle... tout à travers le salon... En un instant... tous sont 
    debout... Il porte un message à tante Odile... Grand bouleversement aussitôt... 
    Enthousiasme !... Joie de tous !... Par la fenêtre on regarde au loin... Le drapeau bleu 
    du Sémaphore apparaît, monté, hissé... Tous dansent ensemble de joie !... Y compris 
    la tante dans la ronde !... Le petit messager... toute la jeunesse... et Mirella et son 
    fiancé... Farandole !... Tous au port ! Bousculade. On s'habille vite... Manteaux !... 
    capelines !... bonnets !... chichis !... On se précipite !... Piram aussi vers la porte... 
    bondit, jappe ! 
    
    Envol de tous par les portes et les fenêtres vers- le port... Au plus vite arrivé ! Piram 
    bondit de tous côtés... (Tout cela en farandole.) 
    
    3e Prologue : 
    
    Le rideau, qui ferme la scène sur le troisième tableau, représente une sorte de 
    formidable véhicule, engin genre diligence-autobus-tramway-locomotive... Un plan 
    coloré d'énorme dimension de cette apocalyptique engin, machine aux roues 
    colossales... Une diligence fantastique... d'énormes moyeux... Une chaudière genre 
    marmite de distillerie... Une cheminée haute, immense... à l'avant... des pistons 
    cuivrés terribles... toutes espèces de balanciers... soupapes... ustensiles inouïs... et puis 
    cependant quelques coquetteries... Dais, guirlandes,... crédences, un mélange de 
    machinerie et de fanfreluches romantiques... En banderole une inscription : "THE 
    FULMICOACH Transport Lt.". 
    
    (Cet extraordinaire chariot sortira plus tard des coulisses... roulera sur la scène 
    même... dans un grand accompagnement de musique effrayante... au moment voulu 
    de l'intrigue... de tonnerres fulminants.) La même charmante commère... même 
    musique... se glisse doucement sur les pointes vers le milieu de la scène... elle porte 
    un bouquet à la main... de bienvenue... "Ouf !.... elle fait mine d'avoir couru... Je n'en 
    puis plus !... Ah ! Quelle surprise !... Vous avez vu cet émoi ?... Qu'on est heureux de 
    se revoir !... Après tant d'années moroses... passées dans les larmes... Je veux être la 
    toute première à les embrasser... Quelle joie !... Quelle joie !..." 
    
    A ce moment, par l'autre côté de la scène... entrent deux... trois... quatre personnages... 
    des ingénieurs de l'époque... pesants... tranchants... discuteurs... redingotes... leurs 
    aides portent divers instruments... d'arpentage... des équerres... des chevalets... L'un 
    des ingénieurs fait des signes, des calculs sur le sol... La commère va vers lui... 
    
    
    
    20 
    
    
    
    "Monsieur !... Monsieur !... Qu'est-ce que cela ?... Cette énorme horreur... dites- 
    moi ?... Quelle épouvante L.Nous attendons Paul, Monsieur, ne savez- vous rien, ?... 
    Virginie?..." 
    
    L'ingénieur ne répond pas... Il est plongé dans ses calculs... ses assistants mesurent la 
    scène... la mesurent encore... jaugent... estiment... les distances... 
    
    La commère s'affaire... s'effraye... Non vraiment cela !... ne comprend plus rien... 
    Enfin les calculs sont terminés... "Elle passera" déclare l'ingénieur fermement... C'est 
    sa conclusion... Les autres répondent en chur : "Elle passera !"... Effroi de la 
    commère... Elle regarde encore le rideau, l'abominable monstrueuse mécanique... la 
    baguette lui tombe des mains... Elle s'enfuit... les autres, les ouvriers, ingénieurs, en se 
    moquant la suivent... la scène est dégagée... 
    
    Le rideau se lève... 
    
    3 e Tableau : 
    
    La scène représente les quais d'un port... 1830... très grande animation... Au fond des 
    tavernes... bouges... boutiques... "shipchandlers"... bastringues... portes qui s'ouvrent... 
    se ferment... un bordel... Au coin d'une rue... une pancarte : une flèche désigne la 
    route : PARIS... 
    
    Enfants... voyous débraillés... marins ivres... quelques bourgeois... des douaniers... 
    
    Tous ces groupes dansent... confusion... cohue... Petits ensembles... trios... infanterie 
    de marine... puis se refondent dans la masse... Successivement aussi d'autres groupes 
    tiennent un moment le principal intérêt du ballet... La foule semble s'organiser autour 
    de ceux-ci... et puis les groupes se dissolvent encore... Filles galantes... soldats... 
    Prostituées en chemise sortent effarées du bobinard... 
    
    Débardeurs... soldats... poursuivants... marins... marchands de frites... bistrots... etc. 
    Mais voici un groupe de danseurs plus homogène... Des débardeurs transportant des 
    sacs pesants (genre forts des Halles). Ils avancent à la queue leu jeu... vers la 
    passerelle... (à gauche grimpent au flanc d'un grand navire)... Ils avancent fort 
    péniblement... mais toujours dansant, tanguant, cependant... pesants comme des ours... 
    Ils s'appuient sur de lourdes cannes. Eclate, à ce moment même, au fond du bistrot, la 
    farandole criarde des pianos mécaniques... La farandole dû débardeurs... Fantaisie... 
    (une danse d'ensemble...) Ils grimpent finalement à la passerelle... Ils y parviennent 
    après mille efforts et disparaissent dans les cales... La foule retourne à son désordre... 
    La foule est traversée par des passagers qui débarquent précédés de grosses valises... 
    malles, coffres etc.. tous les pays... chacun avec son véhicule typique... Un riche 
    Anglais avec son domestique... Un lord en mail-coach... il demande la route de Paris... 
    On la lui montre... Il est content ! Gigue... Il prend la direction de l'écriteau : Paris... 
    Toute la foule danse un petit moment avec lui... Les gendarmes essayent de ramener 
    un peu de calme... Les douaniers sont débordés, sacrent et menacent... Voici une 
    famille espagnole qui débarque par l'autre côté du navire... Mère solennelle... filles... 
    Senoras... un grand char-à-bancs, des mules... La route de Paris !... 
    
    
    
    21 
    
    
    
    Mais voici d'autres débardeurs... ceux-ci roulant d'énormes tonneaux. Danse autour 
    des tonneaux... autour... entre... sur les tonneaux... Farandole... Voici les "Oiseaux des 
    Iles"... Marchand d'oiseaux... avec des cages, et des oiseaux fantastiques... plein les 
    bras... perchés sur la tête, et des oiseaux (grandeur humaine). Danses... Les filles du 
    port veulent arracher leurs plumes... se les mettre partout... Encore la police doit 
    intervenir... Grande bataille avec les débardeurs qui protègent les filles Plumes des 
    oiseaux... Nuages de plumes... Le commissaire du port... Il est partout à la fois... Il 
    gronde... tempête et les douaniers partout toujours, furetants. Voici des Russes qui 
    débarquent avec leurs traîneaux et leurs ours... Danse de l'ours et de la foule... Les 
    ivrognes du port... dansent avec l'ours, on s'amuse fort... Les marchandes de poissons 
    et les voyous du port... autant de farandoles... et d'autres bêtes à fourrures... 
    
    A ce moment, arrive la baleine... une énorme... On lui jette des poissons... Elle danse... 
    Elle rend Jonas et les Esquimaux... Elle s'en va aussi vers Paris... Grande rigolade... 
    Voici l'Allemand qui débarque avec sa famille entière... il demande aussi Paris... il 
    chevauche un tandem avec sa grosse épouse... Tandem tout primitif et un petit panier 
    derrière pour ses nombreux enfants, cinq ou six... Voici l'Arabe et son harem sur un 
    dromadaire... (danse...) Voici le maharadjah avec l'éléphant sacré... Danse de 
    l'éléphant... La foule s'amuse... L'éléphant refuse d'aller vers Paris... On le pousse. Il 
    résiste... C'est la lutte... Grand brouhaha... La folle mêlée... Enfin l'éléphant se 
    décide... Il prend la route... 
    
    Mais voici la grande clique des haleuses... du port... dont la grappe arc -boutée sur la 
    corde est précédée par un énorme "capitaine du port" congestionné... apoplectique... Il 
    prodigue... tonitrue ses commandements ses injures... la cadence pour mieux tirer... 
    Ho ! Hiss !... Elles tirent, les haleuses... elles entrent peu à peu en scène à coups 
    d'efforts saccadés, soudées collées en grappe sur le câble... Immenses efforts... Elles 
    sont vêtues de haillons... mégères terribles... etpicoleuses... Elles se passent le 
    "rouge" tout en tirant et titubant à la "régalade"... Tout ceci en musique "batelière"... 
    
    Mais l'énorme bateau résiste... Toute la grappe des batelières est par instant, par 
    sursauts, happée hors de scène... vers la coulisse... Alors les autres personnes viennent 
    à l'aide... Bientôt tous s'y mettent... Débardeurs... truands... soldats... marins... 
    putains... C'est la grande entr'aide. Toujours en flux et reflux... Victoires et défaites... 
    Le bateau cependant est le plus fort... finalement... Il entraîne tout le monde vers la 
    coulisse... la scène se vide !... toute cette foule est pompée à rebours par le navire !... 
    par un retrait soudain du câble. Quelques personnages reviennent peu à peu... des 
    mousses... quelques débardeurs... une ou deux filles et soldats.. 
    
    Mais voici que surgit la troupe joyeuse des amis de Mire lia... avec tante Odile et 
    Piram... Ils arrivent au port tout essoufflés... Ils rencontrent des passagers juste 
    débarqués... et bien malades... Ces passagers nauséeux chavirent, roulent et tanguent 
    encore... allant et venant sur le quai... Ils sont verdâtres et défaits... Ils sortent du mal 
    de mer... Mirella les interroge: "Ont-ils vu Paul ? et Virginie ?" Ils ne savent rien du 
    tout !... Ils veulent aller vers Paris... poursuivre leur voyage... On leur montre 
    l'écriteau... ils s'en vont par là titubants avec leur mandoline... 
    
    Mais le "capitaine du port" aperçoit tante Odile... Ses respects... ses devoirs... Il agite 
    fort sa longue-vue... Puis examine l'horizon... Il annonce... Ça y est ! Voici le 
    navire !... La foule se masse tputprès du quai... envahit... encombre tout l'espace... 
    
    
    
    22 
    
    
    
    Joie !... Joie !... toutes les amies de Mirella portent des bouquets de bienvenue à la 
    main), minute émouvante au possible ! 
    
    Et voici que gravissent, bondissant quatre à quatre les marches du débarcadère : 
    Virginie !... Paul !... On s'embrasse... on s'étreint !... Triomphe !... On se fête... On se 
    cajole... Des cadeaux... Tout ce qu'ils rapportent des pays sauvages : tapis... animaux 
    étranges... canaris... tout ceci porté par des nègres et des négrillons de la tribu qui les 
    ont accompagnés... Et puis la sorcière qui ne les a pas quittés... On s'esclaffe... on 
    jubile... Tout cela... très vivement... danse et musique... Paul va faire danser ses 
    nègres... pour la bienvenue... Danses heurtées, saccadées, barbares, toutes nouvelles 
    pour tante Odile et les autres... Tam-tam. Toute la foule regarde cette scène insolite, 
    un peu inquiète... jamais on n'avait vu pareilles danses !... Tante Odile est effarée !... 
    Les jeunes filles se blottissent contre leurs cavaliers... La danse sauvage se déroule 
    passionnée... sadique... cruelle (avec des sabres et des javelots). Paul jubile !... 
    Virginie, toute blottie contre sa tante, ne semble pas très ravie par cette 
    démonstration... Elle explique à sa tante qu'elle n'y peut rien... qu'elle est désarmée 
    contre les extravagances de son Paul. La sorcière de la tribu passe avec le flacon 
    maudit... Paul saisit son flacon de liqueur ardente... Il boit... il en est tout ranimé... Les 
    éléments les plus louches, les plus voyous de la foule, les escarpes... les matelots 
    ivres, viennent danser avec les nègres... émoustillés par ce spectacle, se mêlent à la 
    tribu... aux danses impudiques. Tante Odile ne cache plus son indignation... Elle ne 
    comprend plus... Les jeunes gens... les jeunes filles... viennent goûter aussi cette 
    liqueur... maudite... Ils l'exigent de la sorcière... Ils perdent alors toute retenue... 
    aussitôt avalée... leur danse devient extravagante, les classes, les métiers se mêlent... 
    Mélange... chaos... Débardeurs... bourgeois... police... pucelles... tout est en 
    ébullition... tout le port... Mirella abandonne son Oscar, qu'elle trouve trop réservé 
    décidément... dans ses danses... elle étreint Paul qui, lui, est un luron bien dessalé... 
    Paul ravi... Duo lascif, provocant de Paul et Mirella... Paul trouve que Mirella est trop 
    vêtue encore pour danser au nouveau goût... Il lui arrache son corsage... sa robe... la 
    voici presque nue... elle a perdu toute pudeur... La sorcière les fait boire encore... 
    Tante Odile est outrée... Elle essaye de raisonner Mirella... Mais la jeunesse 
    s'interpose déchaînée... On retient tante Odile... Virginie sanglote dans les bras de sa 
    tante... Elle ne peut plus rien pour Paul... Paul est maudit... L'esprit du mal est en lui... 
    Toute la jeunesse... les amis de Mirella tout à l'heure, les mêmes, chez tante Odile, si 
    finement, gracieusement réservés et convenables, sont à présent déchaînés... Ils 
    arrachent leurs vêtements à leur tour... contaminés... s'enlacent... se mêlent aux 
    voyous... aux prostituées... Ils exigent de la sorcière toujours plus de liqueur... 
    Virginie n'en peut plus... Elle va vers Paul, elle essaye de le séparer de Mirella... de le 
    reprendre... Elle lui fait honte... Paul la repousse... et ses conseils... "Tu m'embêtes à 
    la fin... J'aime Mirella ! Elle danse à ma façon !..." Virginie se redresse sous 
    l'outrage... "Ah ! voici le genre que tu admires ?... Il te faut du lubrique !... de la 
    frénésie ! Soit !... Tu vas voir ! ce que moi ! je peux faire ! quand je m'abandonne au 
    feu !..." Elle va brusquement vers la sorcière, elle se saisit de son grand flacon... le 
    philtre entier... Elle le porte à ses lèvres... Une gorgée, deux gorgées... elle boit tout... 
    Toute la foule est tournée vers Virginie la pudique... à présent narquoise et défiante... 
    La sorcière veut l'empêcher... Rien à faire ! Virginie vide tout le flacon... Le délire la 
    saisit alors... monte en elle... elle arrache ses vêtements et elle danse avec plus de 
    flamme encore, plus de fougue, plus de provocation, de lubricité, que tout à l'heure 
    Mirella... C'est une furie... une furie dansante... Jamais encore Paul ne l'avait vue 
    ainsi... Et cela lui plaît, le subjugue... Il quitte déjà Mirella et se rapproche de 
    
    
    
    23 
    
    
    
    Virginie... Il va danser avec elle... Mais Mirella, narguée... se révolte... La colère 
    monte en elle... l'emporte... elle ne se tient plus... Tout le monde se moque... Alors 
    Mirella bondit vers un marin, lui arrache son pistolet d'abordage, à la ceinture, vise et 
    tue Virginie... Virginie s'écroule... Epouvante générale... On fait cercle autour de la 
    pauvre Virginie... Paul est désespéré... Silence... Toute douce... la musique 
    douloureuse... 
    
    Mais voici un boucan énorme !... fantastique !... de la droite des coulisses... Un bruit 
    de locomotive... de pistons... de vapeur... de cloches... de trompette... de chaînes... de 
    ferrailles... tout cela horriblement mélangé... Les ingénieurs de tout à l'heure 
    repoussent la foule... se frayent un chemin... Un gamin les précède... avec un drapeau 
    rouge et une cloche qu'il agite... Qu'on s'écarte... qu'on s'écarte ! Place !... L'engin 
    terrible... rugissant, soufflant, vrombissant... apparaît peu à peu sur la scène... C'est le 
    "Fulmicoach", le phénoménal ancêtre de tous les véhicules automobiles... L'ancêtre de 
    la locomotive, de l'auto, du tramway, de toute la mécanique fulminante... Engin 
    énorme, fantastique, effrayant... Il a sa musique, genre jazz en lui... La foule se tourne 
    vers le monstre... déjà la foule ne pense plus à Virginie morte... étendue au premier 
    plan... 
    
    Seul Paul est à genoux auprès d'elle... pleure... Pauvre tante Odile ne peut supporter 
    tant d'émotions à la fois... elle devient folle... elle se précipite du quai dans l'eau... Elle 
    se noyé... 
    
    La machine infernale avance toujours peu à peu... Un homme sur l'avant du châssis, 
    là-haut, joue de la trompette (genre mailcoach), l'émotion dans la foule est à son 
    comble... L'enthousiasme aussi... Des vélos entourent le monstre... les cyclistes tirent 
    du pistolet, une farandole autour du monstre... Faire du bruit !... On aperçoit à présent 
    tout cet énorme ustensile qui avance tonitruant et majestueux... On fête le monstre 
    vrombissant... on se passionne... Tout au sommet de la cheminée le drapeau 
    américain... L'engin vient d'Amérique... Les touristes américains vers Paris... Le " 
    Fulmicoach" va disparaître... La foule ne peut s'empêcher de suivre le "Fulmicoach"... 
    fascinée... l'extraordinaire véhicule... la foule s'engouffre en coulisse... derrière le 
    "Fulmicoach"... Reste Paul seulement, auprès de Virginie... pas longtemps... Des 
    jeunes filles, toutes émoustillées, effrénées, bondissantes, reviennent sur leurs pas... 
    semoncent, entraînent Paul, lui font comprendre qu'il perd son temps !... que la vie est 
    courte !... qu'il faut aller s'amuser plus loin... toujours plus loin... qu'il faut grimper 
    dans le "Fulmicoach"... qu'il faut boire et oublier... Elles le relèvent, l'obligent à se 
    relever... à boire encore du flacon maudit... oublieux Paul !... 
    
    Il est debout à présent... Il titube... Il ne sait plus... Il suit la foule endiablée... Il se 
    détourne encore un peu... La farandole l'entraîne... Il disparaît... 
    
    Il ne reste plus sur la scène que Virginie morte... dans une tache de lumière... et puis 
    Piram, le bon chien, seul aussi à présent... le seul ami qui reste... Il se rapproche de 
    Virginie... Il se couche, tout à côté d'elle... 
    
    C'est tout. Rideau. 
    
    
    
    24 
    
    
    
    Gutman est revenu de l'Exposition, quatre jours plus tard... la tête horriblement basse 
    morveux, de la grimace aux talons II n'avait remporté que des échecs 
    
    - C'est encore plus juif, Ferdinand, que je l'avais imaginé ! 
    
    Il m'avouait, dans les sanglots, qu'il avait partout rencontré des Juifs d'un racisme 
    effrayant tout bouillonnants de judaïsme dix par bureau trente par couloir 
    
    - C'est tout ce que tu trouves à m'apprendre ? dis donc granuleux ? Rien pour les 
    Français alors ? Rien pour les enfants du sol ? Rien que des gardeschiots ? des 
    vestiaires ? 
    
    Je l'aurais désarticulé, je lui aurais retourné les yeux (globuleux, juifs). 
    
    - J'en aurai jamais des danseuses alors ? J'en aurai jamais ! tu l'avoues. C'est tout pour 
    les youtres ! Gueule donc ! traître ! 
    
    - Toutes les mignonnes, Ferdinand, veulent toutes se taper les youtres. Pour elles, les 
    Juifs, c'est tout l'avenir 
    
    Il dodelinait de la tête comme ça, comme un veau sans mère II secouait ses oreilles 
    immenses. Il se délectait de me faire souffrir ! Il était sadique, forcément... 
    
    - Tu veux savoir l'effet que tu me causes ? tu veux savoir ? dis. vampire ? 
    Il ne voulait pas que je lui explique. Il a su quand même 
    
    - Je vais te le dire, tiens, je connais un homme, moi, un homme qu'est des plus 
    instruits un agrégé de philosophie ! C'est quelque chose ! Tu sais pas comment il se 
    marre ? comment il s'amuse ? Avec des chiens ? 
    
    Non, il savait pas. 
    
    - Il s'en va comme ça sur le soir, le long des murailles dans les fortifications II appelle 
    un clebs de loin, un gros il le 
    
    [4] (p. 41-50) 
    
    rassure, il le caresse d'abord, il le met bien en confiance... et puis il lui tâte les 
    burnes... comme ça... tout doucement... le gland... et puis alors il l'astique... Le clebs il 
    est tout heureux, il se rend, il se donne... il tire la langue... au moment juste qu'il va 
    reluire... qu'il est crispé sur la poigne... Alors, tu sais ce qu'il lui fait ?... Il arrache d'un 
    coup le paquet, comme ça, wrack !... d'un grand coup sec !... Eh bien toi ! tiens ! dis 
    donc, ravage ! tu me fais exactement pareil avec tes charades... Tu me fais rentrer ma 
    jouissance... Tu m'arraches les couilles... Tu vas voir ce que c'est qu'un poème 
    rentré !... Tu vas m'en dire des garces nouvelles ! Ah ! fine pelure de faux étron ! Ah ! 
    tu vas voir l'antisémitisme ! Ah ! tu vas voir si je tolère qu'on vienne me tâter pour de 
    rien !... Ah ! tu vas voir la révolte !... le réveil des indigènes !... Les Irlandais, pendant 
    cent ans, ils se sont relevés toutes les nuits pour étrangler cent Anglais qui leur en 
    
    
    
    25 
    
    
    
    faisaient pas le quart de ce qu'on supporte, nous, des youtres ! Officiel ! Chinois ! 
    Officiel ! 
    
    C'est pas d'aujourd'hui, tout compte fait, que je les connais, moi, les Sémites. Quand 
    j'étais dans les docks à Londres, j'en ai vu beaucoup, des youpis. On croquait les rats 
    tous ensemble, c'était pas des yites bijoutiers, c'était des malfrins terribles... Ils étaient 
    plats comme des limandes. Ils sortaient juste de leurs ghettos, des fonds lettoniens, 
    croates, valaques, rouméliques, des fientes de Bessarabie... Tout de suite ils se 
    mettaient au gringue, ils avaient ça dans le grelot... à faire du charme aux bourriques... 
    aux policemen de service... Ils commençaient la séduction, pour se faufiler dans leur 
    Poste... Je parle des docks de "Dundee" pour ceux qui connaissent... où ça débarque 
    les matières brutes, surtout des filasses et puis aussi la marmelade... Les "Schmout" ils 
    se fendaient du sourire... Toujours plus près du policeman... c'était la devise.. Et puis 
    que je te le flatte... que je l'amadoue... Et que je lui dis qu'il est fort... intelligent !... 
    qu'il est admirable, la brute !... Un cogne c'est toujours Irlandais... Ça prend toujours 
    le coup de mirage. C'est fat comme tous les Aryens... ça se bombe... Très vivement il 
    est bonnard, le guignol, il se mouille d'une saucisse pour les youtres... à la pitié... il les 
    invite... un coup au poêle !... une tasse de thé... 
    
    Les Juifs, ils rentrent dans la guitoune, ils sont plus dehors... Dans la truanderie c'est 
    eux qui se placent les premiers... Tout ça se passe sous une lance ! des cordes comme 
    des bites ! au bord de la flotte jaune des docks... à fondre tous les navires du monde... 
    dans un décor pour fantômes... dans la bise qui vous coupe les miches... qui vous 
    retourne les côtes... 
    
    Le Juif il est déjà planqué, les blancs ils râlent sous les trombes... Ils s'engueulent tous 
    comme des chiens... Ils sont dehors, ils hurlent au vent... Ils ont rien compris... Voici 
    comme ça se passe les débarcadères... Le bateau s'annonce... il approche du quai... il 
    accoste... Le "second" monte à la coupée... comme juste les filins viennent aux 
    bornes. Le rafiot cale dans les "fagots"... Tous les frimands sont tassés, une horde en 
    bas... qui la grince je vous garantis... Ils attendent le "nombre"... la grelotte !... Il en 
    faut cinquante ! qu'il annonce... 
    
    Alors, c'est un tabac féroce... les premiers qu'arrivent, oh hiss ! là-haut ! de la bordée, 
    sont les bons... ceux qui peuvent foncer, grimper dans l'échelle... Tous les autres, tous 
    ceux qui retombent, ils peuvent crever... Ils auront pas le saucisson... le "shilling" et la 
    pinte. 
    
    Y avait pas de pitié, je vous assure... C'est au canif que ça se règle... à la fin, pour les 
    derniers... Un coup dans le fias... Fztt ! tu lâches la bride... la grappe s'écroule dans 
    l'interstice... entre le bord et la muraille... dans la flotte ça s'étrangle encore... Ils 
    s'achèvent dans les hélices... 
    
    Dans le fond du hangar, l'agent de la puissante compagnie, le "Soumissionnaire", il 
    attend que ça soit prêt, que ça finisse le tabac, en patientant il casse la croûte, 
    posément, sur une caisse à la renverse... 
    
    
    
    26 
    
    
    
    Je le vois toujours, jambon... petits pois... celui qu'on avait... dans une grosse assiette 
    en étain... des petits pois gros comme des prunes... Il quitte pas sa cloche, sa pelisse, 
    sa grosse serviette aux "manifestes"... Il attend que tout se tasse... que le pugilat 
    cesse... il bronchait pas... Il ne pressait jamais les choses. Il se régalait jusqu'au bout... 
    
    - Ready. Mr. Jones ? qu'il interpellait à la fin... quand le calme était rétabli... 
    
    Le Second répondait : 
    
    -Ready Mr. Forms !... 
    
    Les youtres ils parvenaient toujours après la bataille à rentrer quand même dans les 
    soutes... à s'infiltrer dans les cales avec les "papiers", avec le cogne de service... Ils se 
    ménageaient un petit afur autour des treuils, à tenir le frein... Ça grince... ça hurle... et 
    puis ça roule... Et l'Angleterre continue !... Les palans montent et gravitent. Et les plus 
    cons ils sont retombés entre la muraille et le cargo avec une petite lame dans le cul... 
    
    'I' 'I' "I' 'I' 'I' 
    
    
    
    Parlons un peu d'autre chose... 
    
    Vers la fin de cet été, j'étais encore à Saint-Malo... je reprenais, après un dur hiver, le 
    souffle... J'allais rêvant, méditant au long des grèves. Je revenais, ce jour-là, tout 
    pensif du "Grand-Bé". Je cheminais lentement à l'ombre du rempart, lorsqu'une voix... 
    mon nom clamé... me fit tressaillir... une dame me hélait... de très loin... les jambes à 
    son cou... elle fonce... elle arrive... un journal flottant au poing. 
    
    - Ah ! dites donc !... venez voir un peu !... Regardez donc mon journal !... comme ils 
    vous traitent !... Ah ! vous n'avez pas encore lu ?... 
    
    Elle me soulignait le passage du doigt... Ah ! comment ils vous arrangent ! Elle en 
    était toute jubilante... heureuse au possible... 
    
    - C'est bien vous Céline ?... 
    
    - Mais oui... mais oui... C'est mon nom de frime... mon nom de bataille !... C'est le 
    journal de qui ?... le journal de quoi ?... que vous avez ?... 
    
    - Lisez ! ce qu'ils écrivent d'abord !... mais c'est le Journal de Paris ! le journal 
    "Journal"... "Renégat !..." qu'ils vous intitulent... Ah ! c'est bien écrit noir sur blanc... 
    Renégat !... comme un André Gide, qu'ils ont ajouté... comme M. Fontenoy et tant 
    d'autres... 
    
    Cinglé ! mon sang ne fait qu'un tour ! Je bondis ! Je sursaute !... on m'a traité de mille 
    choses... mais pas encore de renégat !... 
    
    - Renégat moi ?... Renégat qui ?... Renégat quoi ?... Renégat rien !... Mais j'ai jamais 
    renié personne... L'outrage est énorme !... Quelle est cette face de fumier qui se 
    
    
    
    27 
    
    
    
    permet de m'agonir à propos du communisme ?... Un nommé Helsey qu'il s'appelle !... 
    Mais je le connais pas !... d'où qu'il a pris des telles insultes ?... D'où qu'il sort, ce 
    fielleux tordu ? C'est-il culotté cette engeance ?... C'était bien écrit en pleine page et 
    gras caractères... y avait pas du tout à se tromper... elle avait raison la dame... 
    
    "L'opinion des renégats n'a, bien sûr, aucune importance, les Gides, les Célines, les 
    Fontenoys... etc. Ils brûlent ce qu'ils ont adoré..." Il est soufflé, merde, ce cave !... De 
    quel droit il se permet, ce veau, de salir de la sorte ?... Mais j'ai jamais renié rien du 
    tout ! Mais j'ai jamais adoré rien !... Où qu'il a vu cela écrit ?... Jamais j'ai monté sur 
    l'estrade pour gueuler... à tous les échos, urbi et orbi : "Moi j'en suis !... moi j'en 
    croque !... j'en avale tout cru !... que je m'en ferais mourir !..." Non ! Non ! Non ! J'ai 
    jamais micronisé, macronisé dans les meetings !... Je vous adore mon Staline ! mon 
    Litvinoff adoré ! mon Comintern !... Je vous dévore éperdument ! Moi j'ai jamais voté 
    de ma vie !... Ma carte elle doit y être encore à la Mairie du "deuxième"... J'ai toujours 
    su et compris que les cons sont la majorité, que c'est donc bien forcé qu'ils gagnent !... 
    Pourquoi je me dérangerais dès lors? Tout est entendu d'avance... Jamais j'ai signé de 
    manifeste... pour les martyrs de ceci... les torturés de par là... Vous pouvez être bien 
    tranquilles... c'est toujours d'un Juif qu'il s'agit... d'un comité youtre ou maçon... Si 
    c'était moi, le "torturé" pauvre simple con d'indigène français... personne pleurerait 
    sur mon sort... Il circulerait pas de manifeste pour sauver mes os... d'un bout à l'autre 
    de la planète... Tout le monde, au contraire, serait content... mes frères de race, les 
    tout premiers... et puis les Juifs tous en chur... "Ah ! qu'ils s'écrieraient, dis-donc ! Ils 
    ont eu joliment raison de le faire aux pattes le Ferdinand... C'était qu'un sale truand 
    vicieux, un sale hystérique emmerdeur... Faut plus jamais qu'il sorte de caisse... ce 
    foutu vociférant. Et puis qu'il crève au plus vite!..." Voilà ce qu'on dirait pour ma 
    pomme... le genre de chagrin éprouvé... Moi je suis bien renseigné... alors j'adhère 
    jamais rien... ni aux radiscots... ni aux colonels... ni aux doriotants... ni aux "Sciences 
    Christians", ni aux francs-maçons ces boys-scouts de l'ombre... ni aux enfants de 
    Garches, ni aux fils de Pantin, à rien!... J'adhère à moi-même, tant que je peux... C'est 
    déjà bien mal commode par les temps qui courent. Quand on se met avec les Juifs, 
    c'est eux qui revendiquent tout l'avantage, toute la pitié, tout le bénéfice; c'est leur 
    race, ils prennent tout, ils rendent rien. 
    
    Mais puisqu'on reparle de ce voyage, puisque le Journal me provoque, il faut bien que 
    je m'explique un peu... que je fournisse quelques détails. Je suis pas allé moi en 
    Russie aux frais de la princesse!... C'est-à-dire ministre, envoyé, pèlerin, cabot, 
    critique d'art, j'ai tout payé de mes clous... de mon petit pognon bien gagné, 
    intégralement: hôtel, taxis, voyage, interprète, popote, boustif... Tout!... J'ai dépensé 
    une fortune en roubles... pour tout voir à mon aise... J'ai pas hésité devant la dépense... 
    Et puis ce sont les Soviets qui me doivent encore du pognon... Qu'on se le dise!... Si 
    cela intéresse des gens. Je leur dois pas un fifre lin!... pas une grâce! pas un café- 
    crème!... J'ai douille tout, intégralement, tout beaucoup plus cher que n'importe quel 
    "intourist »... J'ai rien accepté. J'ai encore la mentalité d'un ouvrier d'avant guerre... 
    C'est pas mon genre de râler quand je suis en dette quelque part... Mais c'est le 
    contraire justement... c'est toujours moi le créancier... en bonne et due forme... pour 
    mes droits d'auteur... et pas une traduction de faveur... ne confondons pas!... Ils me 
    doivent toujours 2.000 roubles, la somme est là-bas, sur mon compte à leur librairie 
    d'Etat!... J'ai pas envoyé de télégramme, moi, en partant, au grand Lépidaure Staline 
    pour le féliciter, I'étreindre, j'ai pas ronflé en train spécial... J'ai voyagé comme tout le 
    monde, tout de même bien plus librement puisque je payais tout, fur à mesure... De 
    
    
    
    28 
    
    
    
    midi jusqu'à minuit, partout je fus accompagné par une interprète (de la police). Je l'ai 
    payée au plein tarif... Elle était d'ailleurs bien gentille, elle s'appelait Nathalie, une très 
    jolie blonde par ma foi, ardentes toute vibrante de Communisme, prosélytique à vous 
    buter, dans les cas d'urgence... Tout à fait sérieuse d'ailleurs... allez pas penser des 
    choses!... et surveillée! nom de Dieu!... 
    
    Je créchais à l'Hôtel de l'Europe, deuxième ordre, cafards, scolopendres à tous les 
    étages... Je dis pas ça pour en faire un drame... bien sûr j'ai vu pire... mais tout de 
    même c'était pas "nickel"... et ça coûtait rien que la chambre, en équivalence : deux 
    cent cinquante francs par jour ! Je suis parti aux Soviets, mandaté par aucun journal, 
    aucune firme, aucun parti, aucun éditeur, aucune police, à mes clous intégralement, 
    juste pour la curiosité... Qu'on se le répète !... franc comme l'or !... Nathalie, elle me 
    quittait vers minuit comme ça... Alors j'étais libre... Souvent j'ai tiré des bordées, 
    après son départ, au petit bonheur... J'ai suivi bien des personnes... dans des curieux 
    de coins de la ville... Je suis entré chez bien des gens au petit hasard des étages... tous 
    parfaitement inconnus. Je me suis retrouvé avec mon plan dans des banlieues pas 
    ordinaires... aux petites heures du matin... Personne m'a jamais ramené... Je ne suis 
    pas un petit enfant... J'ai une toute petite habitude de toutes les polices du monde... Il 
    m'étonnerait qu'on m'ait suivi... Je pourrais causer moi aussi, faire l'observateur, le 
    reporter impartial... je pourrais aussi, en bavardant, faire fusiller vingt personnes... 
    Quand je dis : tout est dégueulasse dans ce pays maléfique, on peut me croire sans 
    facture... (aussi vrai que le Colombie a essuyé des petites rafales de mitrailleuses en 
    passant devant Cronstadt, un beau soir de l'été dernier)... 
    
    La misère russe que j'ai bien vue, elle est pas imaginable, asiatique, dostoiewskienne, 
    un enfer moisi, harengs-saurs, concombres et délation... Le Russe est un geôlier- né, 
    un Chinois raté, tortionnaire, le Juif l'encadre parfaitement. Rebut d'Asie, rebut 
    d'Afrique... Ils sont faits pour se marier... C'est le plus bel accouplement qui sera sorti 
    des enfers... Je me suis pas gêné pour le dire, après une semaine de promenades j'avais 
    mon opinion bien faite... Nathalie, elle a essayé, c'était son devoir, de me faire revenir 
    sur mes paroles, de m'endoctriner gentiment... et puis elle s'est mise en colère... quand 
    elle a vu la résistance... Ça n'a rien changé du tout... Je l'ai répété à tout le monde, à 
    Leningrad, autour de moi, à tous les Russes qui m'en parlaient, à tous les touristes que 
    c'était un pays atroce, que ça ferait de la peine aux cochons de vivre dans une 
    semblable fiente... Et puis comme ma Nathalie elle me faisait de l'opposition, qu'elle 
    essayait de me convaincre... Alors je l'ai écrit à tout le monde sur des cartes postales 
    pour qu'ils voyent bien à la poste, puisqu'ils sont tellement curieux, de quel bois je me 
    chauffe... Parce que j'avais rien à renier moi !... J'avais pas à mettre des mitaines... Je 
    pense comme je veux, comme je peux... tout haut... 
    
    On comprend mon indignation, elle est naturelle, dès qu'on me traite de renégat !... 
    J'aime pas ça... Cet Helsey il gagne son bœuf en salissant les gens de bien... Je l'ai dit 
    à la personne qui m'avait fait lire cet écho... Qu'est ce qu'il est capable de faire d'autre 
    ce plumeux ?... Il déconne aujourd'hui comme ça sur le Communisme... Demain il 
    bavera sur les Douanes... un autre jour sur la Stratosphère. Pourvu qu'il débloque... il 
    s'en fout... C'est un grelot !... pourvu que ça se vende !... C'est toute sa technique... 
    Enfin c'étaient les vacances... alors j'avais des loisirs... Je me dis : "Tiens, je vais les 
    emmerder!" Je saisis ma plume étincelante et j'écris une de ces notes ! au directeur du 
    Journal... qu'était rectificative... je vous le garantis... J'ai attendu l'insertion... J'ai 
    recommencé encore une fois... deux fois... Pas plus de rectification que de beurre en 
    
    
    
    29 
    
    
    
    bouteille... C'est la pourriture de la Presse... On vous salit... c'est gratuit... J'aurais pu 
    envoyer l'huissier pour me venger mon honneur !... Il m'aurait dit c'est tant par mot... 
    J'étais encore fait... Ça vaut combien "Renégat" au prix de l'Honneur ?... Si je tuais 
    l'Helsey, au pistolet, c'est encore moi qu'irais en caisse... Et puis il existe peut-être pas 
    le Helsey !... Enfin... de toutes les manières ils ont pas dit la vérité dans le "Journal", 
    journal de Paris... Je suis en compte, c'est un fait... Ils me doivent des plates excuses... 
    C'est pas tellement agréable des excuses de gens comme ça. 
    
    
    
    
    
    
    Le Seigneur tient ses assises parmi les nations remplies de cadavres, il écrase les 
    
    têtes dans les contrées tout autour. " 
    
    (Bible, psaume 110) 
    
    
    
    En toute candeur, il me paraît bien que tous ceux qui reviennent de Russie ils parlent 
    surtout pour ne rien dire... Ils rentrent pleins de détails objectifs inoffensifs, mais 
    évitent l'essentiel, ils n'en parlent jamais du Juif. Le Juif est tabou dans tous les livres 
    qu'on nous présente. Gide, Citrine, Dorgelès Serge, etc. n'en disent mot... Donc ils 
    babillent... Ils ont l'air de casser le violon, de bouleverser la vaisselle, ils n'ébrèchent 
    rien du tout. Ils esquissent, ils trichent, ils biaisent devant l'essentiel : le Juif. Ils vont 
    jusqu'au bord seulement de la vérité : le Juif. C'est du fignolé passe-passe, c'est du 
    courage à la gomme, y a un filet, on peut tomber, on se fracture pas. On se fera peut- 
    être une entorse... On sort dans les applaudissements... Roulement de tambours !... On 
    vous pardonnera, soyez sûrs !... 
    
    La seule chose grave à l'heure actuelle, pour un grand homme, savant écrivain, 
    cinéaste, financier, industriel, politicien (mais alors la chose gravissime) c'est de se 
    mettre mal avec les Juifs. - Les Juifs sont nos maîtres - ici là-bas, en Russie, en 
    Angleterre, en Amérique, partout !... Faites le clown, l'insurgé, l'intrépide, l'anti- 
    bourgeois, l'enragé redresseur de torts... le Juif s'en fout ! Divertissements... 
    Babillages ! Mais ne touchez pas à la question juive, ou bien il va vous en cuire... 
    Raide comme une balle, on vous fera calancher d'une manière ou d'une autre... Le Juif 
    est le roi de l'or de la Banque et de la Justice... Par homme de paille ou carrément. II 
    possède tout... Presse... Théâtre... Radio... Chambre... Sénat... Police... ici ou là-bas... 
    Les grands découvreurs de la tyrannie bolchevique poussent mille cris d'orfraies... ça 
    s'entend. Ils se frappent au sang la poitrine, et cependant jamais, jamais ne décèlent la 
    pullulation des yites, ne remontent au complot mondial... Etrange cécité... (de même 
    potassant Hollywood, ses secrets, ses intentions, ses maîtres, son cosmique battage, 
    son fantastique bazar d'international ahurissement, Hériat ne décèle nulle part l'uvre 
    essentielle, capitale de l'Impérialisme juif). Staline n'est pourtant qu'un bourreau, 
    d'énorme envergure certes, tout dégoulinant de tripes conjurées, un barbe-bleue pour 
    maréchaux, un épou vantail formidable, indispensable au folklore russe... Mais après 
    tout rien qu'un idiot bourreau, un dionosaure humain pour masses russes qui ne 
    rampent qu'à ce prix. Mais Staline n'est qu'un exécutant des basses-œuvres, très 
    docile, comme Roosevelt, ou Lebrun, exactement, en cruauté. La révolution 
    
    
    
    30 
    
    
    
    bolchevique est une autre histoire ! infiniment complexe ! tout en abîmes, en 
    coulisses. Et dans ces coulisses ce sont les Juifs qui commandent, maîtres absolus. 
    Staline n'est qu'une frime, comme Lebrun, comme Roosevelt, comme Clemenceau. Le 
    triomphe de la révolution bolchevique, ne se conçoit à très longue portée, qu'avec les 
    Juifs, pour les Juifs et par les Juifs... Kérensky prépare admirablement Trotzky qui 
    prépare l'actuel Comintern (juif), Juifs en tant que secte, race, Juifs racistes (ils le sont 
    tous) revendicateurs circoncis armés de passion juive, de vengeance juive, du 
    despotisme juif. Les Juifs entraînent les damnés de la terre, les abrutis de la glèbe et 
    du tour, à l'assaut de la citadelle Romanoff... comme ils ont lancé les esclaves à 
    l'assaut de tout ce qui les gêne, ici, là-bas, partout, l'armature brûle, s'écroule et les 
    abrutis de la glèbe, de la faucille et du marteau, un instant ivres de jactance, retombent 
    vite sous d'autres patrons, d'autres fonctionnaires, en d'autres esclavages de plus en 
    plus juifs. Ce qui caractérise en effet le " progrès " des sociétés dans le cours des 
    siècles, c'est la montée du Juif au pouvoir, à tous les pouvoirs... Toutes les révolutions 
    lui font une place de plus en plus importante... Le Juif était moins que rien au temps 
    de Néron, il est en passe de devenir tout... En Russie, ce miracle est accompli... En 
    France, presque... Comment se recrute, se forme un Soviet en U. R. S. S. ? Avec des 
    ouvriers, des manuels (à la deuxième génération au moins) bien ahuris bien 
    Stakhanovistes, et puis des intellectuels, bureaucrates juifs, strictement juifs... Plus 
    d'intellectuels 
    
    [5] (p. 51-60) 
    
    blancs! plus de possibles critiques blancs!... Voici l'ordre majeur implicite de toute 
    Révolution communiste. Le pouvoir ne peut demeurer aux Juifs, qu'à la condition que 
    tous les intellectuels du parti soient ou pour le moins furieusement enjuivés... mariés à 
    des juives, mâtinés, demi, quart de Juifs... (ceux-ci toujours plus enragés que les 
    autres...). Pour la forme, quelques figurants aryens bien larbinisés sont tolérés pour la 
    parade étrangère... (genre Tolstoi) tenus en soumission parfaite par la faveur et la 
    pétoche. Tous les intellectuels non juifs, c'est-à-dire ceux qui pourraient n'être pas 
    communistes, juifs et communistes sont pour moi synonymes, ont tous été traqués à 
    mort... Ils vont voir au Baikal, à Sakhaline si les fraises sont mûres... Il existe 
    évidemment quelques méchants Juifs dans le nombre, des " Radek "... quelques 
    traîtres pour la galerie... des Serge Victor, Judas d'une variété nouvelle... On les 
    maltraite un peu... On en fusille quelques douzaines... on les exile pour la forme... 
    mais la farouche entente du sang subsiste, croyez-le... Litvinoff, Trotzky, Braunstein 
    ne se haissent que devant nous... Les rares Aryens survivants, des anciens cadres 
    officiels, les anciennes familles en place... les rares échappés aux grandes hécatombes, 
    qui végètent encore un peu dans les bureaux... les ambassades... doivent donner les 
    preuves quotidiennes de soumission la plus absolue, la plus rampante, la plus éperdue, 
    à l'idéal juif, c'est-à-dire à la suprématie de la race juive dans tous les domaines : 
    culturels, matériels, politiques... Le Juif est dictateur dans l'âme, vingt-cinq fois 
    comme Mussolini. La démocratie partout et toujours, n'est jamais que le paravent de 
    la dictature juive. 
    
    En U. R. S. S., il n'est même plus besoin de ces fantoches politiques " libéraux ". 
    Staline suffit... Franchement youtre, il serait peut-être devenu la cible facile des anti- 
    communistes ou du monde entier, des rebelles à l'impérialisme juif. Avec Staline à 
    leur tête, les Juifs sont parés... Qu'est-ce qui tue toute la Russie ?... qui massacre ?... 
    qui décime ?... Quel est cet abject assassin ? ce bourreau superborgiesque ? Qui est-ce 
    
    
    
    31 
    
    
    
    qui pille ?... Mais Nom de Dieu ! Mais c'est Staline !... C'est lui le bouc pour toute la 
    Russie !... Pour tous les Juif ! Faut pas se gêner comme touriste, on peut raconter tout 
    ce qu'on veut à condition qu'on ne parle pas des Juifs... Flétrir le système 
    communiste... maudire ! tonitruer... Les Juifs s'en foutent fantastiquement ! Leur 
    conviction elle est faite ! et foutrement faite ! La Russie toute cauchemardement 
    dégueulasse qu'on puisse la trouver, c'est quand même une mise en train et très 
    importante pour la révolution mondiale, le prélude du grand soir tout juif ! du grand 
    triomphe d'Israël ! Vous pouvez saler tant que ça peut, des tonnes et des tonnes de 
    papier sur les horreurs soviétiques, vous pouvez émettre, crever, foudroyer vos pages, 
    tellement votre plume fonce et laboure de l'indignation, ça les fera plutôt rigoler... Ils 
    vous trouveront de plus en plus aveugles et cons... Quand vous irez clamer partout 
    que l'U. R. S. S. c'est un enfer... c'est encore du bruit pour rien... Mais ça leur fera 
    moins plaisir quand vous irez en plus prétendre, que c'est les Juifs qui sont les diables 
    du nouvel enfer ! et que tous les goymes sont damnés. Mais tout se rattrape 
    cependant, soyez-en certains par la propagande colossale... (et les mines de l'Oural 
    sont pas encore fatiguées)... C'est un peu plus compliqué quand on vend la mèche, la 
    mèche juive. Enfin, c'est un peu plus coûteux... Voilà tout... 
    
    
    
    ***** 
    
    
    
    " Peuples, soyez attentifs, car l'indignation du Seigneur va fondre sur toutes les 
    
    nations. Sa fureur sur toutes les armées. Elles mourront de mort sanglante, et ceux qui 
    
    auront été tués seront jetés là, une puanteur horrible s'élèvera de leurs corps, et les 
    
    montagnes dégoutteront de sang. " 
    
    ISAÏE 
    
    
    
    Ils les connaissent eux, dans les coins, les secrets de l'opinion publique, les youtres 
    qui dirigent l'Univers, ils ont toutes les ficelles en mains. Propagande, or, publicité, 
    radio, presse, " petites enveloppes ", cinéma. D'Hollywood la juive à Moscou la 
    youtre, même boutique, même téléphone, mêmes agences, mêmes youtres aux 
    écoutes, à la caisse, aux affaires, et puis, en bas, rampant au sol, la même masse, 
    plastique, imbécile, l'aryenne étendue de brutes bornées, crédules divisées, devant, 
    derrière, autour, partout... L'immensité des viandes saoules, la moquette universelle 
    râleuse et grouillante pour pieds juifs. Pourquoi se gêner ?... Comment éberluer, tenir 
    dans les chaînes toutes ces viandes mornes ?... en plus des discours et de l'alcool ? Par 
    la radio, le cinéma ! On leur fabrique des dieux nouveaux ! Et du même coup, s'il le 
    faut, plus idoles nouvelles par mois ! de plus en plus niaises et plus creuses ! Mr. 
    Fairbank, Mr. Powell, donnerez-vous l'immense joie aux multitudes qui vous adulent, 
    de daigner un petit instant paraître en personne ? dans toute votre gloire 
    bouleversante ? épanouissime ? quelque secondes éternelles ? sur un trône tout en or 
    massif ? que cinquante nation du monde puissent enfin contempler dans la chair de 
    Dieu !... Ce n'est plus aux artistes inouis, aux génies sublimissimes que s'adressent nos 
    timides prières... nos ferveurs brûlantes... c'est aux dieux, aux dieux des veaux... les 
    
    
    
    32 
    
    
    
    plus puissants, les plus réels de tous les dieux... Comment se fabriquent, je vous 
    demande, les idoles dont se peuplent tous les rêves des générations d'aujourd'hui ? 
    Comment le plus infime crétin, le canard le plus rebutant, la plus désespérante 
    donzelle, peuvent-ils se muer en dieux ?... déesses ?... recueillir plus d'âmes en un jour 
    que Jésus-Christ en deux mille ans ?... Publicité ! Que demande toute la foule 
    moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l'or et devant la merde !... Elle a 
    le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n'eut jamais dans 
    toutes les pires antiquités... Du coup, on la gave, elle en crève... Et plus nulle, plus 
    insignifiante est l'idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le 
    cœur des foules... mieux la publicité s'accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute 
    l'idolâtrie... Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. On 
    fabrique un Joseph Staline comme une Jean Crawford, même procédé, même culot, 
    même escroquerie, mêmes Juifs effrontés aux ficelles. Entre Hollywood, Paris, New 
    York et Moscou un circuit de bourrage continu. Charlie Chaplin travaille aussi, 
    magnifiquement, pour la cause, c'est un grand pionnier de l'Impérialisme juif. Il est du 
    grand secret. Vive le bon pleurnichage juif ! Vive la complainte qui réussit ! Vive 
    l'immense lamentation ! Elle attendrit tous les bons cœurs, elle fait tomber avec l'or 
    toutes les murailles qui se présentent. Il rend tous ces cons goymes encore plus 
    friables, nouilles, malléables, empapaoutables, anti-prégugés ceci, anti-prégugés cela, 
    " humanitaires " c'est tout dire, internationaux... en attendant je les connais bien ! 
    qu'on les file en bottes ! à la juive ! arrangés aux petits obus ! Dans le fondu 
    sentimenteux le Juif taille, découpe, ronge, effrite, empoisonne, prospère. Les 
    malheurs du pauvre exploité, du calicot de chez Bader, du forçat de chez Citroën, 
    Chaplin comme il peut s'en foutre, lui, plein de milliards... Vive l'excellente 
    jérémiade ! Vivent les temps modernes ! Vivent les bons Soviets, bien youpins ! Rien 
    ne résiste à la propagande, le tout est d'y mettre assez d'or... et les Juifs possèdent tout 
    l'or du monde... des Monts Oural à l'Alaska ! de Californie jusqu'en Perse ! du 
    Klondike à la Cité ! " Cité " ! " Lyonnais " ! guichets où se raccrochent, à geindre, ces 
    sucrés de paumés d'Aryens ! le guichet des Lamentations ! L'armée des croupions 
    surtendus ! La ruée vers l'or des emprunts mous ! Pleurer nourrit ! Pleurer fait fondre ! 
    Pleurer c'est le triomphe des Juifs ! Réussit admirablement ! Le monde à nous par les 
    larmes ! Vingt millions de martyrs bien entraînés c'est une force ! Les persécutés 
    surgissent, hâves, blêmis, de la nuit des temps, des siècles de torture... L.es voici les 
    fantômes... remords... suspendus à nos flancs... Léon Blum,... Hayes,... Zuckor.... 
    Litvinoff,... Lévitan,... Brunschwig... Bernstein,... Bader.... Kérensky,... cent mille 
    Lévy,... Chaplin le crucifié... Les Marx Brothers tragédiques... Nous avons fait trop de 
    martyrs... Comment racheter tous nos crimes.... Nous les avons fait trop souffrir... 
    Vite, faut qu'ils prennent tous nos boulots, tout notre petit pèze... Nos ultimes petits 
    fifre lins. Il faut qu'on nous saigne encore... à fond... deux... trois... dix guerres bien 
    atroces. Faut qu'on abatte toutes les frontières avec nos viandes de vaches aryennes... 
    Trop justes à présent, les pogroms... pour nous, Nom de Dieu ! Tout pour nous !... 
    Trop juste qu'ils organisent. C'est une bénédiction du Ciel ! Je me ferais tatouer le 
    Golgotha, moi, pour me faire pardonner. 
    
    
    
    
    
    
    33 
    
    
    
    Jéhovah créa les nations pour qu'elles soient immolées comme autant de victimes 
    
    humaines en expiation des péchés d'Israël. 
    
    
    
    Je monte là-haut, je vais voir Popaul, mon pote. Je l'avais pas vu depuis un moment. Il 
    demeure au sommet de Montmartre. Popaul, c'est un vieux Montmartrois, il est pas 
    venu de sa Corrèze, pour découvrir le maquis. Il a été préconçu dans les jardins de la 
    Galette, un soir de 14 juillet, c'est le Montmartre " de ses moins de neuf mois ". Alors 
    c'est un " pur de pur ". Je sais qu'il aime bien le bourgueil, je lui en monte un petit 
    flacon, question de le mettre en bonne humeur. Je veux qu'il me cause ! Il est peintre, 
    c'est tout vous dire, au coin de l'impasse Girardon. Il barbouille quand il pleut pas 
    trop, quand il pleut trop, ça devient trop sombre dans son atelier. Quand il fait beau, 
    par exemple, on est alors bien mieux dehors, sur le banc de l'avenue Junot à regarder 
    les petits oiseaux, les petits arbres comment qu'ils poussent, qu'ils se dépêchent pour 
    pas crever, du mazout. On prend le soleil comme des vieux piafs. Popol, il a eu du 
    mal à trouver la bonne condition, favorable pour sa barbouille, entre trop d'ombre et 
    trop de soleil. Popol, c'est un mutilé, un grand mutilé de la grande guerre, il a donné 
    une jambe entière pour la défense de la Patrie. 
    
    Je lui apprends tout de suite d'emblée que je suis devenu antisémite et pas un petit peu 
    pour de rire, mais férocement jusqu'aux rognons !... à mettre tous les youtres en l'air ! 
    phalanges, en denses cohortes, en bataillons à les faire charger contre Hitler, 
    reprendre la Sarre, à eux tout seuls !... 
    
    - Merde ! qu'il me fait... T'auras du coton !... Les Juifs, ils sont tous au pouvoir... Ils 
    peuvent pas s'absenter comme ça !... T'y penses tout de même pas L.Ça serait 
    l'anarchie !... La pagaie !... C'est des personnes indispensables ! Ta croisade elle se 
    présente pas bien !... T'auras du mal à les sortir... Les youtres c'est comme les 
    punaises... Quand t'en prends une seule dans un plume, c'est qu'elles sont dix mille à 
    l'étage ! Un million dans toute la crèche... C'est pas la peine d'insister... Tu vas te faire 
    étendre, malheureux ! Tu sais pas où tu mets les doigts ! Tu connais pas le " mauvais 
    café " ? Tu fais l'esprit fort ! le fendard ! tu vas te réveiller sur un marbre... Il va te 
    tomber un de ces soirs une drôle de tuile sur la pêche quand tu reviens de ton 
    dispensaire... qu'il pleut le long des maisons... Tu peux t' acheter une cloche en zinc, 
    une bourguignotte... T'es con de t'agiter, vieux tordu !... C'est le retour d'âge qui te 
    tracasse... C'est la bicyclette qui te vaut rien ! T'es pas fait pour la vitesse... ça te fait 
    délirer... Je t'avais dit de faire bien gafe... T'as plus l'âge, en vérité... à quarante trois 
    ans... (il est jaloux il peut plus monter en vélo à cause de sa jambe)... à moins que tu 
    veuilles faire comme Hitler... Mais t'as pas le genre tyrolien... Tu peux pas faire trou- 
    la-itou... Tu te feras siffler raide comme balle ! Tu veux faire ton petit Barrés ? ton 
    Bolivar ? ta Jeanne d'Arc ? Annunzio ? Les Juifs, c'est mariole, mon pote, tu seras 
    détruit calamiteux ver de vase Ferdinand ! avant que t'ayes dit ouf !... Ils te feront 
    repasser... pas eux-mêmes !... mais par tes propres frères de race... Je te le prédis ! Ils 
    ont tous les tours dans leur sac !.. .C'est des fakirs cent pour cent... Ils ont tout l'Orient 
    dans leur fouille... Ils passent... ils promettent... ils jaspinent... ils avalent tout... Ils 
    rendent jamais rien !... Ils s'en vont plus loin, ils partent avec ton auber et ton âme... 
    Tu te retrouves plus !... C'est les juifs errants mon pote, citoyens du monde ! Escrocs 
    de tout ! passe-partout ! Ils te vident les fouilles et la tête, ils te dépouillent, ils te 
    sucent le sang... Et tu vas te racheter par lambeaux ! tu les rinces, les mêmes, encore ! 
    
    
    
    34 
    
    
    
    Dans les Beaux- Arts, ils ont tout pris ! tous les primitifs ! les folklores ! sauce juive ! 
    Les critiques, tous juifs, francs-maçons, entonnent en chœur, hurlent au génie ! C'est 
    normal, c'est bien régulier dans un sens : de toutes les Ecoles ils sont maîtres, tyrans, 
    propriétaires absolus, de tous les Beaux- Arts du monde, surtout en France. Tous les 
    professeurs, tous les jurys, les galeries, les expositions sont à présent pleinement 
    youtres C'est pas la peine de réagir... Moi si j'avais ta grande gueule, je jouerais au 
    ballon avec eux... A ta place, je me ferais franc-maçon... C'est le baptême pour un 
    Aryen ! ça te laverait un petit peu... Ça te ferait un petit peu nègre... Ça te ferait moins 
    de péché... Blanchir il faut plus en France... c'est " noircir " qu'il faut... L'avenir est 
    aux nègres ! Nom du cul !... 
    
    - Ah ! que je sursaute, Popol ! tu me navres ! tu m'épouvantes ! Je croyais trouver un 
    ami ! Un vrai soldat pour ma cause ! Et tu me conseilles de m'évanouir... Ça devenait 
    trop grave pour se discuter en plein air... Rentrons, que je fais... 
    
    Je poursuivais mon raisonnement tout au fond de son atelier. Après tout, ça m'était 
    égal, d'avoir le monde entier contre moi, dans la croisade antisémite. Mais j'aurais 
    tenu à Popol ! un frère de guerre ça compte quand même... Je l'exhorte encore un 
    peu... 
    
    - Comment, toi Popol,... tu te dégonfles ?... Un vrai Médaillé militaire décoré sur les 
    champs de bataille... tu trouves ça bien régulier ?... Que pour chaque Français du sol, 
    crevé sous les balles ennemies des Flandres à Verdun, on se fasse à présent inonder 
    par dix mille youtres, tous bien coucous, racistes à mort, insatiables ?... Il faudrait 
    peut-être nous, qu'on se déguise, qu'on se fasse tolérer en carpette ? au son de 
    l'Internationale ?... en vase de nuit... en gramophone pour silence ?... 
    
    - Et le prolétaire qu'en fais-tu ? qu'il me répond... 
    
    - Il sera fleur lui, comme toujours. Il est alcoolique et cocu. Le communisme c'est 
    qu'un vocable pour réunions, une gigantesque stavisquerie ! T'as vu les chœurs rouges 
    maintenant, ils nous donnent tout rafraîchi le " Chant du départ " à la sauce 
    internationale... Ça te dit rien ? Demain, tous les charniers de monde débiteront de la 
    viande " kachère " sur tous les hymnes favoris... J'entends déjà " dans la carrière " 
    Blaoum proposer de l'Aryen, en hachis " à la carmagnole " ! N'importe quelle 
    révolution tourne aussitôt débutée, en Topazerie fantastique. Les grands aieux de 93 
    furent tous cupides à qui mieux mieux... Fous délirants de bien se remplir... Tous ils 
    ont foncé dans la caisse, " estouffarès " le patrimoine. Et tant que ça peut, ni plus ni 
    moins que Gens de Cour... Les idées, les apostrophes les plus huppées, fringantes 
    doctrines, ne servent, c'est prouvé, jamais, en définitive, qu'à s'arracher les esclaves, 
    éberlués devant les baraques, transis d'avoir à choisir parmi les violentes distractions, 
    les gueules ouvertes... Qui monte la plus belle entourloupe dans la foire du monde, 
    prendra le plus de foule dans ses planches. Tout le monde entrera... Que tout le 
    monde, que le trèpe fonce, se précipite ! Vous ne savez pas tous, figures, comme 
    dehors vous êtes malheureux ! Les gonds pivotent, les chaînes retombent, le tour est 
    joué... Salut vilains zoizeaux !... En revoilà pour trois,... quatre siècles,... dix, vingt... 
    d'après la force des cloisons. Tel maître aussi fumier qu'un autre, tous aussi menteurs, 
    fourbes, hystériques et lâches... Plus ou moins sadiques. Mais ils croissent en 
    charognerie à la mesure des expériences... Ils profitent, s'instruisent... comparent... 
    Athènes... Rome... 93... les Romanoff... Les Juifs, ils étudient beaucoup, complotent 
    
    
    
    35 
    
    
    
    sans arrêt... Les " banquistes " de la Commune juive sont au point... Ils battent 
    l'estrade à grands flonflons... Prolos ! mes frères martyrisés, prolos des cent pays du 
    monde... je suis mûr pour vous affranchir ! Je m'en ressens au maximum ! pour vous 
    donner tout votre confort... Je reprends un peu la férule, pour mieux vous défendre, 
    mes enfants... ! La sécurité de vos vieux jours !... Passez voir dans l'intérieur !... Un 
    bon mouvement !... N'ayez pas de crainte !... Vous entendez qu'on égorge derrière la 
    cloison ? C'est une illusion de vos sens ! C'est un triste ragot fasciste ! Allez ! Allez ! 
    Pressons-nous ! Pressons-nous tous ! Si j'ai un gros cadenas en poigne, une clef 
    formidable... C'est un cadeau que je veux vous faire... C'est pour mieux encore vous 
    chérir !... pour que vous retombiez dans la vie... Allons ! Allons ! du cinéma !... on 
    vous en donnera tous les jours... 
    
    Le Juif international, il nous fera regretter Schneider, Thiers, Wendel et Gengis- 
    Khan... Le Juif sera le pire des maîtres, plus renseigné, plus fielleux, plus minutieux, 
    je vous garantis, complètement stérile, " monrovien " pour la construction, incapable 
    de rien bâtir sauf des prisons (voir la Russie). Où il n'a pas son pareil, c'est pour 
    éberluer l'Aryen, lui faire avaler les grenouilles, le faire rebondir comme il veut de 
    galère en abattoir, aucune résistance sérieuse, l'occidental primate, buté, ivrogne, 
    jobard et cocu. C'est un esclave né pour Juifs, tout cuit, ahuri dès l'école primaire par 
    des phrases et puis par l'alcool, plus tard on l'émascule par l'instruction obligatoire... 
    Pour être sûr qu'il s'en relèvera pas, qu'il aura plus jamais de musique, qu'il ne 
    chantera plus jamais son petit air personnel non-juif, on lui crève l'âme, comme on 
    crève les yeux aux pigeons, pour qu'ils ne se tirent plus. On l'achève par la vinasse. 
    Que peut-il devenir au mieux ?... Schupo, garde-mobile, manœuvre... Chien plus ou 
    moins. C'est-à-dire chien de Juifs. Aucun satrape aryen ne dure, ne peut durer. Ils ne 
    brandissent les uns les autres, pour exalter leurs troupeaux de buffles, que de 
    médiocres mystiques, régionales, rétriquées, défensives... Vous verrez Hitler ! La 
    mesure du monde actuel, ce sont des mystiques mondiales dont il fait se prévaloir ou 
    disparaître... Napoléon l'avait compris. Le grand secret de la jungle, de toutes les 
    jungles, la seule vérité des hommes, des bêtes et des choses. " Etre conquérant ou 
    conquis ", seule dilemme, ultime vérité. Tout le reste n'est qu'imposture, falsifis, 
    troufignoleries, rabâcheries électorales. Napoléon a fait tout son possible, des 
    prodiges, pour que les blancs ne cèdent pas l'Europe aux nègres et aux asiates. Les 
    Juifs l'ont vaincu. Depuis Waterloo le sort en est jeté. A présent, le coup n'est plus le 
    même, ils ne sont pas chez nous, les Juifs. C'est nous qui sommes chez eux. Depuis 
    l'avènement de la Banque Rotschild, les Juifs ont repris partout la forte idée... Ils 
    pissent aussi eux sur les mots. Etre partout, vendre tout, détenir tout, détruire tout, et 
    l'homme blanc d'abord !... Voilà un programme consistant L.Plus tard on fera bien 
    d'autres progrès, bien plus admirables... On se passera de l'or, des ordres précis 
    suffiront pour la masse des esclaves. Les Juifs ne montrent pas leurs chefs... Ils tissent 
    leur trame dans l'ombre... Ils n'exhibent que leurs pantins... leurs amuseurs, leurs " 
    vedettes "... La passion juive, si unanime, si térébrante, est une passion de termitière. 
    Dans la progression des vermines, tous les obstacles sont délabrés, dilués, englués peu 
    à peu, jusqu'aux fibres... ignoblement résolus dans le pire, fienteux magma du jus 
    pourri et des mandibules... jusqu'aux calamités totales, à l'écroulement définitif, au 
    vide juif. 
    
    
    
    36 
    
    
    
    [6] (p. 61-70) 
    
    On peut se demander pourquoi les journaux de droite, de gauche, du centre, ne 
    racontent jamais rien des Juifs ? En tant que juifs, je veux dire activement juifs, 
    attentivement juifs, spécifiquement juifs et racistes ?... 
    
    Quand ils se décident à nous parler des Juifs, qu'ils s'y trouvent contraints, par hasard, 
    c'est avec d'infinies mitaines, un luxe inoui de précautions, d'éblouissants préambules, 
    dix mille flatteries d'enfiotés : " Ce très grand artiste israélite voulait bien nous 
    recevoir... une belle ascendance sémitique... le grand, le génial et philanthrope 
    financier de la noble race des Rotschild... l'idéalisme éperdu, la flamme bouleversante, 
    ce feux noir qu'on surprend aux prunelles, à fleur d'âme, chez ce jeune poète que 
    l'ardeur messianique consume... " 
    
    Toutes les circonlucutasseries, ces servilités canines veulent dire en termes directs : " 
    Attention ! mon petit journaleux, mon petit échotier fragile ! Attention ! ces individus 
    que tu vois là devant toi, sont autant de Juifs ! Fais donc bien gafe ! terriblement... Ils 
    appartiennent à la race la plus puissante de l'univers... dont tu n'es de naissance qu'un 
    des domestiques... Ils peuvent pour un mot de traviole te faire virer de ton emploi... te 
    faire crever de faim sans appel... " 
    
    " A quel moment, Monsieur le Juif, désirez- vous que je baisse mon froc ? Aurez-vous 
    la bonté de me mettre ?... " 
    
    Telle est la signification de ces préambules gominés, le sens profond de veulisseries 
    poignantes. 
    
    Pendant toute l'affaire Stavisky il est passé un mot d'ordre dans toutes les rédactions 
    du monde qui devait coûter cher par jour, une consigne formelle... On l'a intitulé turc, 
    ce petit Juif paranoiaque, étranger perfide, métèque, espion oriental, aventurier 
    polonais, coiffeur, heimatlos, dentiste, parachutiste, maquereau, tabétique, terre - 
    neuvas... n'importe quoi... pour égarer, divertir... mais jamais le mot propre JUIF... 
    Pourtant ce n'était que cela... Il n'avait pu réussir toutes ses entourloupes que par la 
    force de la juiverie... Comme Loewenstein, comme Barmat, comme Mme Simpson, 
    comme Bigore, comme toute la finance et le reste... 
    
    Remarquez un petit peu... en toute occasion similaire : la même fanfare... 
    Rodomontades de la droite, braillage confus de la gauche, foire au centre, 
    dégonfloirage de partout... Passez muscade ! C'est admirablement bien joué... Si vous 
    risquiez un petit mot contre la grande invasion youtre, la colonisation de vos fesses, 
    vous tous, autant que vous êtes journaux !. Matamores pourris ! putinisés encre 
    comprise, jusqu'aux derniers caractères, on vous étranglerait si net que l'on oublierait 
    en huit jours le nom même que vous arborâtes !... Jusqu'à la couleur de vos pages... 
    Plus une annonce ! Plus un théâtre ! en cinq secondes ça serait tranché, transmis, 
    lavé... Plus un crédit, plus un permis, plus un papier, et puis bientôt plus une nouvelle, 
    plus un appel au téléphone, le vide !... Le Juif peut faire le désert autour de n'importe 
    quel business, banque, industrie, théâtre ou journal... Ford qui les a en horreur, il a 
    fallu qu'il ferme sa gueule, pourtant bien puissante. Il allait sauter dans les huit 
    jours !... Le juif arrose ou n'arrose pas !... avec de l'or !... Ça pousse ou ça ne pousse 
    
    
    
    37 
    
    
    
    plus. Si ça ne pousse plus, l'homme crève. Aussi brave, aussi stoique qu'on puisse 
    l'imaginer. 
    
    O feintes campagnes ! O furibonds compromis ! O tartuferies besogneuses ! O 
    bougonnements de vieux larbins !... Jurez ! Anathé misez ! Sacrez ! Pourfendez la 
    lune ! Crevez les bulles communistes ! Vitupérez dans les trombones !... Quelle 
    importance ? Aucune ! Tous les maîtres absolus du monde, sont tous absolument des 
    youtres ! De New York, Hollywood, Milan, Prague, Berlin, Moscou... c'est du 
    même... en dépit de toute apparence, les mêmes compères, de la même cosmique 
    farce... Alors qu'est-ce que ça peut bien leur foutre que les barbares dans les grilles 
    s'agitent, se bigornent, secouent leurs chaînes et leurs entraves, comme-ci, comme-ça, 
    pour des conneries ? Il faut remonter les boulets de quelques crans et puis c'est 
    marre... de temps à autre. Les révolutions servent à cela... ne servent qu'à cela... 
    tremper un peu mieux la ferraille pénitentiaire, les jolis bracelets blindés, fondus ; 
    bobards »... 
    
    Mais ! qu'ils se disent les youtres, une constitution ? une autre ? C'est du même pour 
    nous youtres qui tenons le grand manche ! Le communisme ? Mais il est parfaitement 
    en fouille ! Nous deviendrons tous des &laqno; commissaires » le jour où les Bourses 
    fermeront... Les Bourses, d'abord c'est des fatigues... y a des fissures... y a des goymes 
    qui se servent encore des libertés... qui se faufilent un peu dans les rentes... Il faut que 
    ça cesse décidément. On va supprimer ces abus !... Tout ça va rentrer dans l'ordre, 
    dans le parfait troupeau... C'est-à-dire que les rentiers mangeront avec les autres 
    chiens les ordures... L'or, c'est nous, Juifs ! Le Juif en or ! Et puis c'est marre !... Le 
    monde est à nous !... c'est pas pour des frites... A nous youtres, les paranoiaques les 
    plus ruminants de l'univers ! qu'on est vorace à mille pour un... Le nouveau truc est 
    déjà prêt... " la machine à sous " terrifique !... Absolument, entièrement Juive pour la 
    transition politico-financière, avec gardes mongols... Tous les édits sont au point. Il va 
    suffire qu'on les promulgue... Ils circulent déjà dans les Loges, on les admire fort : 
    
    "1° Tout l'or des vraies démocraties, des vrais gouvernements du Peuple, sera réservé 
    désormais aux échanges internationaux ; 2° Les valeurs en signes, en billets, n'auront 
    plus cours à l'étranger, ces vignettes seront réservées à l'usage des échanges à 
    l'intérieur. " 
    
    Voilà ce qu'ils racontent les édits de l'Avenir... et cela veut dire en français net : 
    
    " A partir du jour d'aujourd'hui, seuls les Juifs pourront voyager... " Tout seuls ou 
    avec leur famille, ou bien encore plus gentiment avec leurs petites indigènes, bien 
    suceuses, bien idolâtrices, petites otages intimes du lit, espiègleries coloniales. 
    
    L'or devient par ce passe-passe la toute propriété des Juifs, des politiciens, 
    commissaires juifs, des cadres juifs, artistes juifs... Vous saisissez ? Les indigènes de 
    cet instant ne reçoivent plus pour leur labeur que des gages entièrement fictifs... des 
    petits salaires en " monnaie de singe ", des " bons points ", absolument dépendants de 
    l'arbitrage des maîtres juifs, c'est la monnaie de l'intérieur, la monnaie pâle, dite 
    nationale, pour l'achat du kilo de pain, du cercueil, de quelques billes... 
    
    Les seigneurs juifs, toujours anxieux, persécutés, seront en perpétuel voyage d'un bout 
    à l'autre de la planète, leur planète... Ils s'arrêteront plus... De New-York à Yokohama, 
    
    
    
    38 
    
    
    
    de cousins en petits frères juifs, de Trébizonde au Kamtchatka, d'instabilité en 
    angoisse, ils iront signer des accords et marchés... préparer les déportations, les envois 
    de nouveaux esclaves, les renforts de stakhanovistes. La voici la " liberté " dont nous 
    parle toujours Dorgelès... 80.000 lieues sous les Juifs. Les indigènes brimés, matés par 
    la faim, le froid, la guerre la folie, dressés jusqu'au sang, jusqu'aux moelles, jusqu'à la 
    racine du concombre, n'auront bien sûr plus aucun droit au moindre passeport ! De 
    quoi ?... de quoi ?... Ils défileront à l'intérieur des frontières, dans leurs chenils 
    formidables, chaque meute enclose dans ses grilles, ils défileront sous les bannières, 
    en musique, en râlantes chorales, porteurs des magiques pancartes, des effigies de 
    leurs chiourmes, des sentences énormes, slogans juifs... Je me tue pas l'imagination 
    pour prévoir les événements... J'ai pas besoin d'inventer... Il suffit d'aller se rendre 
    compte en Russie... comment qu'elle fonctionne la belle Aventure... Notre avenir est 
    là, tout entier, il se montre à nos regards, il ne se cache pas du tout... Les Aryens ne 
    sont pas curieux... Ils restent chez eux, font la belote, se font brunir sur les dunes, 
    picolent, s'unissent sous les bosquets. Tandis que les Juifs, eux, se déplacent, ils y 
    vont tous aux Soviets se compte, prendre de la graine... 98 % des touristes qui 
    viennent en U. R. S. S. chaque année, de tous les pays du monde, sont des Juifs... 
    auteurs, poufiasses, critiques d'art, comédiens, tous juifs... 
    
    Ils vont flairer le vent d'Asie... humer l'admirable revanche. Ceux qui ne sont pas 
    youtres, du voyage, sont tout au moins francs-maçons, grands démocrates, grands 
    démagogues, nos plus zélés traîtres pour tout dire, effrénés propagandistes, fervents 
    rassembleurs pour la Paix ! tous yeux clos, véreux, vendus, tout ils absorbent, tout ce 
    qu'on leur dit... veules, bâfreurs, cupides, foutrés comme des clacs... 
    
    Quant au petit clan réfractaire, les crapauds râleurs de toujours, ils coassent juste le 
    nécessaire... Il en faut ! S'ils existaient pas, ces putrides, il faudrait qu'on les fasse 
    venir à quelques frais... Ils provoquent, ils justifient certaines mesures, certaines 
    rigueurs... Certains arrêtés par exemple : " Tous les propos antisémites seront 
    passibles désormais de la peine de mort "... Voici un édit fort convenable. Et je parie 
    que d'ici peu, nous en verrons de tout pareils collés sur nos murs... Je fais le 
    nécessaire. 
    
    
    
    Je dois dire qu'avec le Popol on est tout de même tombé d'accord, on a conclu : C'est 
    des vampires ! des saloperies phénoménales, faut les renvoyer chez Hitler ! en 
    Palestine ! en Pologne ! Ils nous font un tort immense ! On ne peut plus les garder 
    ici !... Surtout que Popol, en parenthèses, il venait de subir un dur échec, son chef- 
    d'œuvre refusé tout net par la Ville, un magnifique paysage, pour l'Exposition, tous les 
    Juifs avaient fait florès, lui seul restant sur le sable... 
    
    Mais pour constituer ma croisade, Popol, si brave, si vaillant, ça pouvait pas tout de 
    même suffire... Il fallait encore que je recrute... Je le préviens donc : 
    
    - Attends-moi ! je reviens immédiatement... Je ne fais qu'un saut jusqu'à Bezon, je 
    vais réveiller mon cousin, Gustin Sabayote... Je vais le sortir de sa torpeur... Il faut 
    
    
    
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    qu'il nous suive... Il est célibataire aussi... Il est donc libre en principe... II demeure à 
    gauche de la mairie... Un moment !... 
    
    Au moment où je le surprends, il était dans sa cuisine, Gustin, en train d'ouvrir les 
    petits pois... Gustin il a qu'un petit vice, il fume la pipe sans arrêt... Je m'embarrasse 
    pas de préambules... je l'affranchis en cinq sec... Je lui casse le morceau... Il me 
    répond : 
    
    - Ferdinand, te voilà bien fanatisé, enfin cause toujours, mais je te préviens je te mets 
    en garde, les Juifs sont bien intelligents... y a qu'eux en France qui lisent des livres, 
    qui se documentent, qui se tuyautent, ils sont armés de connaissances, occupent 
    maintenant toutes les, places, tous les condés sont dans leurs mains, ils savent se 
    rendre populaires, ils font du bien au surplus, au petit peuple, les 40 heures, c'est leur 
    blot,.. et puis les vacances... Tu vas te faire mettre en prison... Tu vas te faire écharper 
    sans doute... 
    
    - Intelligents, quoi ?... que je m'insurge. Ils sont racistes, ils ont tout l'or, ils ont saisi 
    tous les leviers, ils se cramponnent à toutes les commandes... C'est ça leur 
    intelligence ?... Y a pas de quoi reluire !... Ils se filent admirablement le train, ils 
    éliminent, dégoûtent, pourchassent, traquent... tout ce qui peut rivaliser, leur porter le 
    plus petit ombrage... C'est leur croisade contre nous, la croisade à mort... C'est ça leur 
    intelligence !... Tous les boulots intéressants, ils se les mettent en fouilles... 
    accaparent, ils en expulsent sec ou au petit feu tout ce qui n'est pas proprement juif... 
    salement juif... enjuivé... proyoupin... enculé de juif... C'est la grande technique du 
    coucou... Pour parler du maximum, pour bien illustrer les choses, si Einstein n'était 
    pas juif, si Bergson n'était pas coupé, si Proust n'était que breton, si Freud n'avait pas 
    la marque, on en parlerait pas beaucoup ni des uns ni des autres... ça serait pas du tout 
    ces génies qui font lever le soleil !... Je peux te le garantir bougrement... Le moindre 
    petit pet de Juif ça s'appelle un boum ! de nos jours une révélation admirable, mon 
    ami, instantanément ! par l'effet automatique de l'armature juive du monde... des 
    millions de grelots qui s'ébranlent... On la monte cette pauvre vesse en miracle ! et au 
    galop !... Que ça soit peinture de Cézanne, Modi, Picasso et tous les autres... films de 
    Monsieur Benhur, musique de Tartinowsky ça devient tout de suite un événement... 
    L'énorme préjugé favorable, mondial, devance, prélude toute intention juive... Juifs, 
    tous les critiques de l'univers, tous les cénacles... toutes les informations !... Toutes les 
    agences juives du monde se mettent au moindre murmure, au moindre frisson de 
    production youtre à cracher les foudres du Tonnerre... et la publicité parlée raciste 
    juive, fait admirablement écho... Toutes les trompettes se débouchent d'un bout à 
    l'autre des continents, saluent, entonnent, fracassent, bourdonnent du merveilleux 
    Hosanna ! au sublime envoyé du ciel ! Encore un Juif incomparable de la palette ! de 
    l'écran ! de l'archet ! de la politique ! infiniment plus génial ! plus rénovateur sans 
    conteste, que tous les génies du passé (évidemment tous des Aryens). Lépilepsie 
    s'empare aussitôt en trombe des goymes grotesques, ils exultent en chœur ces cocus, 
    foncent violemment dans le chorus, de toute la force de leur connerie, ils se feraient 
    crever tous céans !... le triomphe de l'idole juive nouvelle !... Il suffit pour les combler 
    qu'on leur offre encore un peu de merde juive pour se vautrer... Ils sont pas plus 
    difficiles... Ils ont perdu tout instinct... Ils savent pas faire la différence entre le mort 
    et le vivant... " l'organique " et le velléitaire, le carton pâte et le pur jus, la vessie 
    plutôt que la lanterne, le faux et l'authentique... Ils savent plus du tout... Ils ont sucé 
    bien trop d'ordures, depuis bien des siècles et des âges pour s'y retrouver dans 
    
    
    
    40 
    
    
    
    l'authentique... Ils se régalent plus qu'en falsifis... Ils prennent l'eau de Javel pour de 
    l'eau de source... et ils la trouvent bien préférable ! infiniment supérieure. Ils sont 
    rythmés à l'imposture. Evidemment, en conséquence, malheur, bordel ! à l'indigène 
    qui pourrait se faire remarquer par quelque don original, par une petite musique à lui... 
    un petit souffle de tentative ! il deviendra tout de suite suspect, détesté, honni 
    parfaitement par ses frères de race. C'est la loi des pays conquis que rien ne doit 
    jamais secouer la torpeur de la horde esclave... Tout doit retomber au plus tôt... dans 
    les ruminations d'ivrognes... Ce sont eux, les frères de race, qui se chargent le plus 
    strictement de l'obstruction méthodique, du dénigrement, de l'étouffade. Dès qu'un 
    indigène se révèle... les autres de même race s'insurgent, le lynch n'est pas loin... Dans 
    les bagnes, les pires sévices sont exercés par les forçats eux-mêmes... entre eux- 
    mêmes, mille fois plus cruels que le chiourme le plus atroce... 
    
    Les frères de race sont bien dressés... Pour l'alcoolique habituel, l'eau de source 
    devient un poison. Il la hait de toute son âme... Il n'en veut plus voir sur la table... il 
    veut de la fiente en bouteille... en films, en livres, en tirades, en chansons d'amour, en 
    pissats... Il ne comprend plus que le Juif... tout ce qui sort de l'égout juif.... Il s'en 
    régale, il s'en pâme... Et rien d'autre ! Les Aryens, les Français surtout, n'existent plus, 
    ne vivent plus, ne respirent plus, que sous le signe de l'envie, de la haine mutuelle et 
    totale, de la médisance absolue, fanatique, maximum, du ragot forcené, plus mesquin, 
    du cancan délirant, de l'aliénation dénigrante, du jugement bas plus bas encore, plus 
    bouzeux, plus acharnement vil et lâche... Parfaits esclaves, agents provocateurs 
    enthousiastes, moutons, faux-jetons, janus de permanences et de bistrots, 
    admirablement dressés par la police juive, les comités du grand pouvoir juif... Plus 
    aucun sens racial d'entraide. Plus aucune mystique commune. Les Juifs nagent 
    adorablement dans ces eaux purines... Cette énorme muflerie permanente, cette 
    trahison mutuelle de tous contre tous, les enchante et les comble... La colonisation 
    devient un beurre. Sur cette vénalité mesquine, absolue, du fond paysan français les 
    Juifs se régalent, exploitent, agiotent à ravir... Ils tombent au milieu de cette 
    charognerie abracadabrante comme l'hyène sur la tripe avancée... Ce pourri c'est leur 
    fête, leur élément providentiel. Ils ne triomphent qu'en pleine gangrène... 
    
    Diligents, ondoyants, obséquieux, informés, orientaux, visqueux, secrets, toujours 
    prêts à faisander, forcer vers une pourriture plus grande... plus spongieuse encore, 
    plus intime... Ils l'ont belle ! Ils l'ont magnifique !... Corrompre largement... plus 
    intimement.... Ils n'ont jamais rencontré sur les routes de leur triomphe des hordes 
    larbines plus serviles, mieux bouffies de haines réciproques, ahuries par des siècles 
    d'alcool et de polémiques mitoyennes. Tailler, farfouiller cette tourbe française, en 
    extraire tout le jus, tout l'or, le profit, la puissance, c'est pour le Juif un jeu de 
    prince !... L'esclave lui arrive titubant, moulu, dans les fers... Il suffit de les disposer 
    sous ses pas. Le blanc, le Français surtout, exècre tout ce qui lui rappelle sa race... Il 
    n'en veut à aucun prix... Tout ce qui n'a pas le cachet juif, qui ne pue pas le juif, n'a 
    plus aujourd'hui pour l'Aryen de goût, de réalité, de saveur. Il lui faut, il exige son 
    bluff juif, la pommade juive, le clinquant juif, l'escroquerie juive, l'imposture juive, le 
    nivellement juif, par tout ce qu'il dénomme le progrès, progrès juif... Tout ce qui est 
    simple, direct, comme sa propre nature occidentale, le porte à la suspicion, la haine 
    immédiatement... Il s'insurge, il se met en boule, il n'a de cesse qu'on ait fait 
    disparaître ces évocations de sa vue... ces fantômes qui l'agacent. La vérité, la 
    simplicité l'insultent... Une totale inversion des instincts esthétiques... L'on est 
    parvenu par propagande et publicité à lui faire renier à présent son propre rythme 
    
    
    
    41 
    
    
    
    Ce qu'il recherche à présent le plus au cinéma, dans les livres, la musique, la peinture, 
    c'est la grimace, l'artificieux, l'alambiqué, la contorsion afro-asiatique. Il faut aller 
    encore plus loin dans la voie capitulaire... Supposez que moi, petit goyme, il 
    m' advienne, un certain jour, de publier, Dieu m'en garde ! quelque petit roman... de 
    brosser quelques grêles portraits... de moduler quelques cantates... de rédiger un 
    mince mémoire, mettons sur le " Bilboquet ", ses règles, ou quelque étude 
    approfondie sur l'origine des verrues... si je ne suis qu'un simple autochtone... même 
    pas franc-maçon du tiers-ordre... qui viendra me lire ?... m'écouter ?... Certainement 
    pas mes frères de race... Ils vénèrent trop leur ignorance, leur fainéantise, leur 
    hébétude prétentieuse... Mais certainement tous les Juifs qui se promènent dans les 
    parages... Si mon petit ou gros navet contient quelque authentique substance, émotive, 
    lyrique, il sera par eux promptement décortiqué, déglouti... Les Juifs sont plutôt mal 
    doués pour les arts, biologiquement, du fond même de leur nature. Ils essayent de 
    faire de l'art, en Europe tout au moins ils y parviennent mal et de travers... Il faut 
    qu'ils suppléent, qu'ils trichent, qu'ils pillent sans cesse, qu'ils sucent les voisins, les 
    autochtones pour se soutenir... Les Juifs manquent désastreusement d'émotion directe, 
    spontanée... Ils parlent au lieu d'éprouver... Ils raisonnent avant de sentir... Au strict, ils 
    n'éprouvent rien... Ils se vantent... Comme tous les afro-asiatiques leur système 
    nerveux, ataviquement, est de zinc et le demeure, rustre, vulgaire, et fort commun 
    pour tout dire, en dépit de tant d'efforts, et d'énormes prétentions... Précoces et frustes, 
    mais sans échos. Ils sont condamnés s'ils s'ébattent sous nos climats, à se dépenser en 
    grimaces, en tam-tam, en imitations, comme les nègres et comme tous les singes... Ils 
    ne ressentent rien directement, et n'assimilent que peu de chose en profondeur... d'où 
    ces enculages infinis de mouches, ce plurifouillage tout en bluff, ces forcenées 
    didactiques, ces analysmes effrénés, tout ce pompeux masturbage doctrinaire, au lieu 
    d'humanité directe, de véritable inspiration. Ils seraient à plaindre, s'ils n'étaient pas si 
    emmerdants. Ils sont plutôt bûches que violons, malgré tout ce décarcassage 
    frénétique, universel, toujours en train de nous bluffer encore, de nous démontrer tout 
    le contraire. 
    
    Comme tous les grands insensibles il ne leur vient guère à l'esprit, spontanément que 
    des gaffes. 
    
    Revenons à nos moutons, quand les Juifs auront passé, je disais, à travers mes petits 
    ouvrages, qu'ils auront prélevé, soutiré tout ce qui peut leur porter profit je serai 
    complètement démarqué, maquillé, revendu, vulgarisé sous leurs plumes, tout enjuivé 
    malgré moi sous leurs noms, l'étiquette, de mille autres petits Juifs internationaux, 
    encore plus pillards si possible, de plus en plus culottés, tous plus sournois, plus 
    talentueux, plus géniaux les uns que les autres... Mon compte sera bon à moi 
    personnellement, on me fera le coup de l'oubli total, de l'humiliation à outrance, de 
    l'étouffement, de la minimisation par tous les moyens en vigueur, de l'effacement, de 
    la négation, de l'extraction si possible... 
    
    Le processus bouliphagique juif complet... D'ailleurs, il faut bien l'avouer... mes frères 
    de race, dans l'occasion, se montreront, c'est certain, cent mille fois plus abjects que 
    n'importe quels youtres... Ils n'ont pas je crois leurs pareils, dans le monde entier, pour 
    dégueuler à plein fiel sur l'honnête travail. Le Français en particulier, se détache 
    nettement de l'ensemble aryen, par sa haine irrémissible, inexpiable, pour tout ce qui, 
    même de loin, lui rappelle quelque lyrisme. Alors, il ne se contient plus de fureur 
    obscure ! le sang lui vient aux yeux... Quelle faillite... Quel abêtissement ! depuis les 
    
    
    
    42 
    
    
    
    cavernes... Quelle déroute ! Quelle ignoble involution dans l'inertie et dans la 
    chiasse... S'il nous voyaient les Cromagnons, ces graveurs sublimes ! quelle honte ! 
    Rien n'est plus odieux de nos jours, humainement plus odieux, plus humiliant que de 
    regarder un Français moderne dit lettré, dépiauter narquoisement un texte, un 
    ouvrage... n'importe quelle bête à côté possède une allure noble, pathétique et 
    profondément touchante. Mais regardez ce bravache grelot si indécent de suffisance, 
    obscène de muflerie fanfaronne, d'outrecuidance butée, comme il est accablant... Que 
    lui expliquer encore ? lui répondre ?... Il sait tout !... Il est incurable ! S'il a obtenu son 
    bachot alors il n'est même plus approchable. Le paon n'est plus son cousin. Tout ce 
    qui peut ressembler même vaguement à quelque intention poétique, lui devient une 
    insulte personnelle... Ah ! mais ! Ah mais ! on se fout de lui ?... De ce bachot 
    malheureux il sort mille fois plus sauvage, plus irrémédiable qu'un cafre... Il ne 
    retrouve tout son entrain, toutes ses boutades, ses brosses à reluire, son figarotisme, 
    toute sa tradition de pirouettes, sa frivolité piquante, toutes ses contorsions mignardes 
    de cul surbouché qu'au moment de flatter le Juif, son sourcilleux maître. Du coup 
    alors il se rend, il se donne, il se surpasse. Tout ce qui mijote de mielleux au fond de 
    sa carcasse trouillotière lui jaillit sous la plume, d'un coup... Je suis tombé l'autre jour, 
    dans le cours d'une revue d'art, sur les propos d'un de ces immondes. Il s'agissait de 
    peinture, je cite à peu près, de mémoire : 
    
    " Ah ! qu'il s'écriait ce fainéant, il y a belle lurette déjà, qu'en France tout au moins, 
    nos critiques les plus éminents ne font plus aucune distinction dans leurs appréciations 
    entre les artistes 
    
    [7] (p. 71-80) 
    
    français nés sur notre sol, et nos chers artistes d'origine étrangère ! (lisez les Juifs) 
    Paris leur doit tant et tant ! Le Rayonnement de Paris ! (juif). Puisqu'ils nous ont 
    adoptés, eh bien nous les adoptons ! Ils deviennent également français ! (tu parles ! 
    pas à Verdun !) au même titre que les autres ! Fraternité artistique d'abord ! par-dessus 
    toutes les frontières !.,. Dans les Beaux-Arts plus de patrie ! Un seul cœur unanime 
    pour tous ! Plus de préjugés raciaux ! Fraternité culturelle ! Qui songerait..., etc., etc. " 
    
    Bien sûr ! Bien sûr ! Durandin ! Quand tes maîtres juifs, la prochaine fois, te 
    donneront l'ordre de leur passer une fière languetouse dans le creux des miches... de 
    bien mastiquer la fondante, de ne pas te faire mal à l'estomac, sûrement que tu 
    trouveras encore d'autres élans plus fougueux si possible pour communiquer ton 
    ivresse... Je t'entends d'ici... "Mais la merde juive mes chers frères, pour un palais bien 
    français, mais c'est une dégustation sans pareille ! Un nectar inouï ! véritable ! une 
    montée au ciel ! Ah ! le triste sire ! Ah ! plaignez le pauvre cafard ! Celui qui boude à 
    l'écart ! Celui qui se retient ! Celui qui ne fonce pas d'autor ! dévorer l'adorable 
    étron... l'exquis caca juif génial ! Mais c'est un retardé de l'esprit !... La divine fiente 
    "deux fois française" ! adoptée ! Celle que l'on doit préférer toujours précieusement, 
    dé votieu sèment à n'importe quel autre délice à n'importe quel céleste séjour ! " 
    
    
    
    43 
    
    
    
    Tous les peuples de la Terre seront enchaînés au trône d'Israël, à la suite d'une guerre 
    mondiale atroce où les trois quarts des populations seront décimées. Il faudra trois 
    
    cents ânesses pour porter les clefs du Trésor 
    
    Le Talmud. 
    
    Mais t'es antisémite ma vache ! C'est vilain ! C'est un préjugé ! 
    
    - J'ai rien de spécial contre les Juifs en tant que juifs, je veux dire simplement truands 
    comme tout le monde, bipèdes à la quête de leur soupe... Ils me gênent pas du tout. 
    Un Juif ça vaut peut-être un Breton, sur le tas, à égalité, un Auvergnat, un franc- 
    canaque, un "enfant de Marie"... C'est possible... Mais c'est contre le racisme juif que 
    je me révolte, que je suis méchant, que je bouille, ça jusqu'au tréfonds de mon 
    benouze !... Je vocifère ! Je tonitrue ! Ils hurlent bien eux aux racistes ! Ils arrêtent 
    jamais ! aux abominables pogroms ! aux persécutions séculaires ! C'est leur alibi 
    gigantesque ! C'est la grande tarte ! leur crème ! On me retirera pas du tronc qu'ils ont 
    dû drôlement les chercher les persécutions ! foutre bite ! Si j'en crois mes propres 
    carreaux ! S'ils avaient fait moins les zouaves sur toute l'étendue de la planète, s'ils 
    avaient moins fait chier l'homme ils auraient peut-être pas dérouillé !... Ceux qui les 
    ont un peu pendus, ils devaient bien avoir des raisons... On avait dû les mettre en 
    garde ces youtres ! User, lasser bien des patiences... ça vient pas tout seul un 
    pogrom !... C'est un grand succès dans son genre un pogrom, une éclosion de quelque 
    chose... C'est pas bien humainement croyable que les autres ils soient tous uniquement 
    fumiers... Ça serait trop joli... 
    
    Il faut bien observer qu'en France personne leur a jamais fait de mal... Ils ont prospéré 
    tant et mieux, ils tiennent tout le haut du pavé... On a été avec eux libéraux, jusqu'au 
    caleçon, regardez pourtant comme ils se tiennent !... Une bande de rats vociféroces, 
    intraitables, implacables ennemis... C'est un bidon phénoménal ce grand martyr de la 
    race juive... qu'on agite au-dessus des chrétiens... toujours jobards et dindonnants, 
    enthousiastes cocus... deux millions de martyrs rien qu'en France, ça fait une force 
    considérable ! C'est invincible à vrai dire... Une fois bien grimpés sur nos os, une fois 
    ramollis nos bons cœurs, une fois bien sûrs qu'ils nous possèdent jusqu'aux derniers 
    leucoblastes, alors ils se transforment en despotes, les pires arrogants culottés qu'on a 
    jamais vus dans l'Histoire... 
    
    Napoléon disait toujours : "La neutralité pour moi, c'est le désarmement des autres". 
    Le principe est excellent. Les Juifs ils peuvent dire tout de même : "Le communisme 
    pour nous, c'est l'asservissement de tous les autres"... 
    
    En fait de victimes regardez donc les Juifs un peu à travers les âges... à travers tant et 
    tant de guerres (une si petite population) ils s'en sont pas trop mal tirés, la preuve, ils 
    ont jamais trop pâti, ils l'ont jamais eue si mauvaise que ces billes d'Aryens. Pleurer ça 
    conserve !... Ils volent pas beaucoup aux combats. Ils suivent plutôt ça dans les 
    Bourses ! Hécatombes ? Hécatombes ? Reports... Reports... Transferts... 
    
    En Russie, les youtres, aussitôt qu'ils ont commandé, ils ont pas mis beaucoup de 
    mitaines pour décimer les Aryens... C'est par millions depuis dix-sept ans, qu'ils ont 
    fait crever les impurs... Les Juifs n'aiment pas voir couler le sang ? Des clous ! Pas le 
    leur bien sûr !... Mais celui des autres, ils s'en montrent des plus généreux... dès que 
    
    
    
    44 
    
    
    
    l'occasion s'en présente. Pour un Juif, souvenez- vous bien... tout non- Juif n'est qu'un 
    animal ! Au plus il peut être amusant, utile, dangereux ou pittoresque... Jamais 
    davantage... 
    
    La race élue dans nos régions n'a pas encore fait procéder aux exécutions massives, 
    seulement à quelques petits meurtres sporadiques. Mais cela ne saurait tarder. En 
    attendant le grand spectacle, on travaille doucement la bête... Ou bien par saccades, 
    par sautes, selon paniques bien préparées... Un jour on le serre au garrot, le lendemain 
    on lui larde les jointures, il faut que l'animal s'affole, s'épuise et cafouille dans 
    l'arène... dégueule, crache peu à peu tout son sang... dans la sciure et dans la Bourse... 
    Les Juifs se pourléchent, se régalent. Quand l'animal sera sur les genoux alors viendra 
    la mise à mort, et sans résistance possible... 
    
    Combien ils ont gagné nos Juifs dans le coup du Front Populaire ?... sur les trois... 
    quatre dévaluations ?... C'est pas calculable ! Trouvez-moi un seul ministre qu'ait 
    perdu un peu d'argent ?... Jamais peuple souverain ne se montra si généreux, si 
    grandio sèment prodigue envers ses émancipateurs !... Où sont passés tous ces 
    milliards ? Cherchez pas !... Chez les autres youtres de Suisse, de Genève, de New- 
    York, de Londres... en très jolis immeubles... délicieuses valeurs à vue, en 
    distilleries... armements... 
    
    Les Juifs ne spéculent pas tout seuls ! ne tripotent pas tout seuls au monde !... Ils ne 
    sont pas les seuls racketers... Cette bonne musique. Evidemment, les chrétiens riches 
    ils se soignent aussi énormément ! Ils se précipitent à toute berzingue sur tous les 
    bonis du désastre ! Bien sûr ! Bien sûr !... Chacals comme personne ! Seulement il y a 
    un "hic"... Les capitalistes "indigènes", leurs jours sont comptés ! Ils encombrent ! Ils 
    ne sont eux aussi que des animaux ! Il faudrait pas qu'ils oublient ! Les Juifs eux 
    n'oublient jamais... La veille de la fête ils mourront les exploitants blancs comme les 
    cochons pour la noce... Ils se bernent de vaines illusions ! Ils n'iront pas au bonheur ! 
    Ils ne sont qu'otages ! Le Juif à mesure qu'il avance ferme derrière lui toutes les 
    grilles... Personne n'échappera au Destin. Toutes les clefs, il les garde... Il jette 
    alentour quelques os pour repérer, rallier les plus voraces... Il en fera ses caïds, les 
    traîtres du Grand Soir, comme on préserve à la Villette quelques bêtes, soigneusement 
    dressées, toujours les mêmes, pour entraîner les autres, la horde, au couteau, le torrent 
    des viandes à buter, bêlantes, pagaïeuses brouteuses de conneries. 
    
    
    
    Le Juif est la plaie de l'Humanité, l'ennemi de toutes les nations. 
    
    Fourier. 
    
    Je ne réponds jamais aux lettres. Ça a fini par se savoir. J'en reçois de moins en moins. 
    C'est pas un genre que j'ai pris. Non... Non... C'est simplement que j'aime pas les 
    lettres une bonne fois pour toutes et que je les ai même en horreur. Je trouve ça 
    indiscret qu'on m'écrive. J'écris à personne, moi. Les "recommandées" c'est ma 
    phobie. Je les refuse toutes en bloc, par principe. Les autres, les simples envois, c'est 
    ma concierge qui les déchire, elle retire seulement les timbres pour ses petits 
    garçons... Vous me direz : "Le pèze ?" Celui-là soyez bien tranquilles, il monte pas 
    tout seul. Il faut que je descende le chercher. Il arrive pas par la poste. Le reste 
    forcément c'est des mots. Je ne reçois pas non plus "l'Argus", Denoël pas davantage. Il 
    
    
    
    45 
    
    
    
    trouve que ça coûte trop cher... Et puis les articles, faut avouer ceux qui traitent de vos 
    si belles œuvres restent toujours si loin de la question, tellement insolites, que c'est 
    pas la peine de les lire, c'est vraiment du temps bien perdu, de la souffrance inutile. 
    
    Les critiques, surtout en France, ils sont bien trop vaniteux pour jamais parler que de 
    leur magnifique soi-même. Ils parlent jamais du sujet. D'abord ils sont bien trop cons. 
    Ils savent même pas de quoi il s'agit. C'est un spectacle de grande lâcheté que de les 
    voir, ces écœurants, se mettre en branle, s'offrir une poigne bien sournoise à votre 
    bonne santé, profiter de votre pauvre ouvrage, pour se faire reluire, paonner pour 
    l'auditoire, camouflés, soi-disant "critiques" ! Les torves fumiers ! C'est un vice ! Ils 
    peuvent jouir qu'en dégueulant, qu'en venant au renard sur vos pages. J'en connais qui 
    sont écrivains et puis millionnaires, ils sortent exprès de leurs rubriques pour se filer 
    un rassis, chaque fois que je publie un ouvrage. C'est la consolation de leurs vies... des 
    humiliations de profondeur, des "inferiority-complex", comme ça s'intitule en jargon. 
    
    Pour la question des missives, une seule fois j'ai fait exception en faveur de la 
    Palestine. A la suite de "Mea Culpa" il m'est arrivé de Palestine tellement de lettres en 
    quelques courriers, que ma concierge s'en est émue. Elle m'a demandé ce qu'elle 
    devait faire. Les Juifs ils m'écrivaient en masse, de Tel-Aviv et d'ailleurs. Et puis alors 
    sur un ton ! dans les furies d'une de ces rages ! à en consumer les enveloppes ! Ils se 
    poussaient au rouge-blanc, les énergumènes ! Ah ! les petits Passionistes !... (Et 
    voilà !) Ah ! il les aiment eux, les Soviets ! Ça je peux vous l'affirmer ! Si les 
    chrétiens aimaient leur Pape avec cette ferveur effrayante, le Pape il ferait explosion, 
    il pourrait jamais résister... De cet énorme fracas d'injures, cafouillages tonitruants, 
    effrénées malédictions, de ces délires anathémiques, il se dégageait malgré tout, de 
    cette cacophonie extrême, en haines surpressées, une certaine rengaine tonique... un 
    air de trompette vainqueur, bien juif, bien connu... l'appel qui les rassemble tous, qui 
    les fait droper tous ensemble, qui les fait foncer corps et âmes à la curée de l'Univers, 
    l'air du "Sozial" comme ils l'appellent... Leur grand alibi, leur grand hallali. Tous ces 
    "braves" de la Judée, tous anonymes plus ou moins, ils me vomissent en allemand. Ils 
    terminaient à peu près tous, après quelques pages de hargne intensive, par quelque 
    formule de ce genre : "Du ! Dumenkopf ! wirst du nimmer doch Sozial denken ?" ! 
    (Toi ! idiot ne penseras-tu donc jamais "sozial ?")... "Sozial denken" ! Penser 
    "sozial !" Voici le pharamineux dada, le grand destrier de toute la race youtre ! de 
    toutes les invasions, les dévastations youtres. Penser "sozial !" cela veut dire dans la 
    pratique, en termes bien crus : " Penser juif ! pour les Juifs ! par les Juifs, sous les 
    Juifs !" Rien d'autre ! Tout le surplus immense des mots, le vrombissant verbiage 
    socialistico-humanitaro-scientifique, tout le cosmique carafouillage de l'impératif 
    despotique juif n'est que l'enrobage mirageux, le charabia fatras poussif, la sauce 
    orientale pour ces enculés d'Aryens, la fricassée terminologique pourrie pour 
    l'adulation des "aveulis blancs", ivrognes rampants, intouchables, qui s'en foutrent à 
    bite que veux-tu, s'en mystifient, s'en bâfrent à crever. 
    
    ■I" *!• *P ■!' *p 
    
    " Sozial denken ", cela veut dire pour être tout à fait explicite une fois la Révolution 
    faite, bien faite, réussie, les indigènes bien saignés, transis, parqués, mis en bottes, une 
    arrivée sur nos os, une nouvelle ruée d'Orient d'au moins un million de fonctionnaires 
    avec les rejetons, les houris, les mendigots, les hommes de main, les derviches, leurs 
    
    
    
    46 
    
    
    
    lèpres, leurs tranchomes, les marchands d'haschisch, tout le caravansérail grêlé des 
    hordes asiatiques. 
    
    Aux premières triomphales clameurs saluant "l'affranchissement des masses", les 
    voilà qu'eux aussi, tressaillent, s'ébranlent et foncent en trombes sur la France, de 
    partout, aux moindres rumeurs. Au signal que la "Bête est morte !"... Ils laissent 
    tomber Tel-Aviv... Ils s'envolent du Kamtchatka... Ils jaillissent de Silésie... des 
    tréfonds Bessarabiens... des bords de la Chine, des bourbes d'Ukraine, des Insulindes, 
    de tous les égouts d'Amérique... Ils pullulent par toutes les routes pour les rats. Ils se 
    précipitent par myriades... Ils dévalent... ils comblent... Charles Martel n'avait rien 
    vu !... C'est des genres de personnes discrètes celles qui nous pillent, nous saignent 
    actuellement à côté de celles qui nous guettent. Ça sera une telle bousculade, une ruée 
    tellement farouche vers tous les nougats que ça sera des "écrasements de terre" dans 
    les frontières où ils passeront. Ils chargeront si dense, si épais, entre Dunkerque et la 
    Côte d'Azur qu'on verra plus ni chemins, ni routes. 
    
    Je vous le prédis, c'est écrit, la mère des Apôtres est pas morte. Le monde est encore 
    plein de martyrs qui crèvent au fond des ergastules du désir de nous libérer, et puis 
    d'être "titularisés" par la même aubaine dans des fonctions pas fatigantes, d'un 
    ministère ou d'un autre, avec une retraite. Jamais on n'a vu tant d'Apôtres, comme de 
    nos jours, retraités. Le front commun à cet égard, c'est qu'une petite répétition, une 
    petite avance sur l'avenir juif... 
    
    L'avenir juif s'occupera de tout. Il s'occupe déjà de tout... Des arts populaires entre 
    autres, avec beaucoup de sollicitude... Ils font éminemment partie du fameux "Sozial" 
    les arts populaires... 
    
    Un soir, saisi par l'inquiétude, je me suis décidé à descendre, pour me rendre compte 
    un tout petit peu, dans la cave de la "Culture", pour voir ça ! Ce qu'ils allaient en faire 
    des arts populaires, nos rénovateurs sociaux, quand ils nous auront "libérés"... 
    
    Ça se passera pas en plaisanteries, je peux déjà vous le garantir, y a qu'à regarder un 
    peu leurs faces, leurs manières de "passionnés"... Je suis donc descendu dans cette 
    cave, une petite "Sorbonne pour martyrs" encore un peu plus juive que l'autre, rue de 
    Navarin. J'ai l'air de vaticiner, de déconner à grand plaisir, sur des "visions", de plus 
    reconnaître que des sémites, chaque coup que je me promène, mais foi de branleur ! je 
    vous assure ! que jamais j'avais tant vu de Juifs dans un aussi petit espace, que dans 
    cette cave de la Culture, confinés, fumants, jamais vu tant de fonctionnaires, 
    fonctionnaires en titre, élèves fonctionnaires, tant de Légions d'Honneur, tant 
    d'Apôtres entassés dans un soubassement, vociférant dans les volutes, je crois que 
    j'étais le seul Aryen de cette fanatique réunion. Je n'en menais pas large. 
    
    Et comme ils étaient messianiques ! Crépus ! myopes ! anathémateux ! Et frénétiques 
    de rédemption ! merde ! Ils l'avaient dans le cul l'art moderne... fallait voir comme ils 
    gigotaient, comme ils saccadaient les pauvres chaises ! Et puis pressés, trépignateurs, 
    à faire s'écrouler toute la voûte, des rats coincés dans un fond de cale, en cours de 
    fumigation, voilà ce qu'ils représentaient. Ils se débattaient dans cet antre, ils me 
    rappelaient Harlem et le "Divine Father" 
    
    
    
    47 
    
    
    
    Un petit tout noir, genre curé, je m'en souviens bien, il était campé sur l'estrade, il 
    dominait le bacchanal, il s'égosillait au-dessus des contradicteurs, je vois encore ses 
    bananes, immenses, plus larges que sa tête, ses panards qui passaient le rebord, il avait 
    tout du Chariot, mais alors un Chariot sinistre, salvateur et râleux... 
    
    Il s'agissait de peinture, c'était le sujet de la controverse... avenir "sozial" de la 
    peinture... Et puis sur le plan tragique et même vengeur, je vous le jure ! Il s'agissait 
    pas de facéties... Il en écumait le "Réglisse"... se débattant, s'écartelant, pour 
    convaincre, un "crucifié" tétanique. "Vous êtes pas mural !" qu'il hurlait... "Vous êtes 
    pas mural ! Vous comprenez rien du tout ! au sens des Révolutions ! Vous êtes pas 
    mural ! Vous êtes pas mural ! Camarades !". Il en avait tout spécialement après un 
    nommé Wirbelbaum... le Wirbelbaum dans un nuage, perdu dans le fond de la fumée, 
    un terrible tourbillon de gestes... 
    
    - Toi, Wirbelbaum, che vais te dire quelque chose... tu sais quoi tu es Wirbelbaum ?... 
    
    - Tis-le ! nom de dieu ! tis-le !... 
    
    - Tu... tu... es peintre de " chefalet ! "... 
    Où qu'il était ce Wirbelbaum ? 
    
    - Ah ! Ah ! Ah !... il s'étranglait en entendant ça... il agonisait dans les quintes... Il en 
    râlait Wirbelbaum, les mots lui venaient plus... Il devenait fou... d'entendre des injures 
    semblables !... Il était myope Wirbelbaum, à se faire gicler les orbites tellement il 
    cherchait l'opposant... Il retrouvait pas le sens de l'estrade. Il répliquais à l'envers de 
    l'autre côté... Le Réglisse il continuait, il l'incendiait davantage... Il était en sacrée 
    transe... 
    
    - Wirbelbaum ! tu n'es pas mural !... tu es arriéré ! Wirbelbaum ! tu l'as pas l'instinct 
    "sozial" de la Révolution des masses !... tu ne comprentras chamais ! chamais rien ! 
    Tiens ! che fais te dire Wirbelbaum tu es un peintre, toi ! dans le chenre de 
    Fragoûnard ! Fragoûnard ! pour le chefalet ! un peintre de chefalet ! La propagande 
    picturale ! La fraie propagante itéolochique ! Wirbelbaum ! tu la combrends rien ! tu 
    la combrends rien !... Les dignitaires Juifs de Culture, dont Cassou le grand Poète - 
    Inspecteur-Damné-dela-Terre (100.000 francs par an) ils se fendaient quand même la 
    prune derrière le Bureau... 
    
    Le Wirbelbaum, en fusion, il tressautait de furie, les copains l'avaient pivoté dans le 
    sens de la scène, mais fallait maintenant qu'ils s'opposent, qu'ils le ceinturent en 
    prises, en force... Il se connaissait plus Wirbelbaum... il voulait rebondir sur les 
    planches... réduire l'autre "mural"... 
    
    - Fragoûnard ! Fragoûnard ! il en râlait dans les vapeurs... Ah ! le menteur !... Ah ! le 
    fumier !... Il trouvait plus ses insultes... Il lui venait plus que des bulles... des 
    écumes... des bribes... 
    
    
    
    48 
    
    
    
    Considérés comme nation, les Juifs sont par excellence 
    les exploiteurs du travail des autres hommes. 
    
    Bakounine 
    
    
    
    Mais moi je lui dis à cet enflé, mais moi ! je suis pas réactionnaire ! pas pour un poil ! 
    pas une minute ! pas fasciste ! pas conditionnel ! Ils vous prennent tous pour ce qu'on 
    est pas ! des talmudistes ! des compliqués ! des triples fonds comme eux-mêmes ! 
    Mais pas du tout ! mais moi je veux bien qu'on partage ! Mais moi j'ai jamais 
    demandé mieux ! Là ! mes quatre sous sur la table ! Tout de suite encore ! et bien 
    gagnés ! je vous affirme... dans la quarante-troisième année de son âge !... Pas 
    extorqués du tout au peuple. Jamais touché un petit sou qu'il n'ait gagné 120 fois ! 
    Toutes ses études en bossant, Ferdinand, d'un patron dans l'autre... vous savez ce que 
    cela veut dire... à la sauvette avant la guerre... Pas né dans la bourgeoisie... jamais mis 
    une heure au lycée... de la communale au tapin !... Je te connais bien petit 
    bonhomme !... Et youp là fier bambin !... Il marne depuis l'âge de douze ans !... 22 
    patrons Monsieur, 22... Ils l'ont tous foutu à la porte !... Il en a encore deux ou trois !... 
    et même quatre pour mieux dire... Ils se tâtent pour le balancer... Ils le considèrent 
    troublement... Ferdinand a l'habitude. Il était fourgué aux patrons corps et âme avant 
    sa naissance, comme tous les pauvres... Il a toujours, Messieurs, Mesdames, volé ! 
    racheté ! sa vie au jour le jour !... au fur à mesure... fait semblant d'être avec les 
    autres... au banc de galère... Travaillé pour les singes d'une main, de l'autre pour sa 
    tête personnelle... et bien soucieux que nul n'en sache !... Il s'est caché dans les chiots, 
    il avait l'air d'aller se poigner, 
    
    [8] (p. 81-90) 
    
    pour préparer ses examens... Je vous le dis tel quel... Ils sont méchants les frères de 
    classe dès qu'on essaye de s'affranchir, ils sont pires que tous les patrons, comme 
    jalousie, fiel et lâcheté... Ainsi les bachots... la médecine... et puis le " Voyage " en 
    plus, si ça ne vous fait rien... pas par des sentiers, je vous prie, qui passaient par les 
    Ministères. Toujours il a racheté, arraché sa vie, Ferdinand, d'un petit sursis à l'autre... 
    d'un jour à l'autre... par cent mille ruses... et miracles... Il a fallu voler ma vie... et 
    cependant jamais libre... Chaque matin on venait me la reprendre... ce qu'il en reste... 
    c'est régulier... Quand j'entends des piafs installer, parler de leurs inouïes épreuves, de 
    leurs effroyables aventures!... Putain de dieu! j'en cramoisis!... Plats superficieux 
    petits crabes! Si moi je voulais causer... Quels papiers je pourrais montrer! Quels 
    passeports m'ont sorti du Bain... Eh! bien Monsieur, ça m'est égal!... Je veux bien tout 
    remettre sur la table. Si l'on partage " absolument ". Pas autrement! par exemple! 
    absolument! je répète et tout de suite!... Moi je me sens communiste sans un atome 
    d'arrière-pensée! " Car vois-tu chaque jour communiste davantage! aujourd'hui plus 
    qu'hier et bien moins que demain... " Vous connaissez ce mirliton ? Mais alors tout le 
    monde! et ensemble... j'insiste! sans exception!... aucune! sans sursis!... pas une fausse 
    note! pas un soupir dans ce grand chœur! Je me sens communiste de toutes fibres! de 
    tous les os! de toute barbaque! et c'est pas le cas pour bezef ! 
    
    Ce qu'on appelle communisme dans les milieux bien avancés, c'est la grande 
    assurance-nougat, le parasitisme le plus perfectionné des âges... garanti 
    admirablement par le servage absolu du prolétariat mondial... l'Universelle des 
    
    
    
    49 
    
    
    
    Esclaves... par le système bolchevique, farci superfasciste, boulonnage international, 
    le plus grand coffre-fort blindé qu'on aura jamais conçu, rivé, compartimenté, soudé 
    au brasier de nos tripes pour la plus grande gloire d'Israël, la défense suprême des 
    éternels youtres pillages, l'apothéose tyrannique des délires sémites!... Salut!... Pour 
    ça vraiment!... non Mo loch! Je m'en ressens pas!... pour faire remonter sur le trône 
    d'autre fous semi-nègres encore mille fois pires, plus incapables, plus jacasseurs, mille 
    fois plus criminels encore que ceux qu'on vient de perdre! Autant de super- 
    Béhanzins... Des clous!... Pourquoi faire ?... Mais s'il s'agit du vrai communisme, du 
    partage de tous les biens et peines du monde dans la plus stricte égalité, alors je m'en 
    ressens comme personne... J'ai [82] plus besoin qu'on me stimule, qu'on me bassine... 
    qu'on me catéchise. Je suis prêt, au garde à vous... Je suis le plus grand partageux 
    qu'on aura jamais connu... et je vous fous mon billet qu'il me faut pas beaucoup pour 
    vivre. Communisme tant qu'on voudra, mais sans les Juifs, jamais avec les Juifs. 
    Rappelons un peu les événements : Monsieur Gide en était encore à se demander tout 
    éperdu de réticences, de sinueux scrupules, de fragilités syntaxiques, s'il fallait ou ne 
    fallait pas enculer le petit Bédouin, que déjà depuis belle lurette le " Voyage " avait 
    fait des siennes... J'ai pas attendu mes 80 ans pour la découvrir l'inégalité sociale. A 
    14 ans, j'étais fixé une bonne fois pour toutes. J'avais dégusté la chose... J'avais pas 
    besoin de savoir lire. Qu'il me soit permis de noter (puisque l'oubli est à la mode) 
    qu'avant, depuis, pendant le " Voyage " les écrivains de gauche, en titre, en cour au 
    balcon, se sont énormément grattés, ici, là-bas, et puis ailleurs, pour nous donner dans 
    le sens " communiste intime " quelque chose d'encore beaucoup mieux... L'intention 
    était fort louable, parfaitement honnête... Mais où sont les chefs d'œuvre promis ?... 
    On s'est pourtant bien réunis, ici, là-bas et puis ailleurs. Et comme on a bien déclamé! 
    Enormément pontifié! comme on a tranché! jugé! pourfendu! navré les impies... Sur 
    le plan idéologique. Quel massacre encore! Et puis tout transporté par l'apostolisme, 
    n'y tenant plus de se faire voir, trop admirable à contempler! comme on s'est bien tâté 
    l'esprit devant des millions de personnes! Emerveillées, exultantes, hagardes! au bord 
    des estrades! devant tous ces génies radiants en puissance! 
    
    Comme la critique a bien rampé! comme elle a bien encensé, devancé, soufflé, 
    tambouriné ces pauvres merdes! les moindres fifre lins poussifs, le moindre aigrelet 
    vermicule tombé du cul de ces prodiges... Quelle fracasserie de tambours pour saluer 
    la chute au papier du plus piteux de ces faux étrons! Quel carafouillage de trompettes! 
    
    Où sont cependant les chefs-d'œuvre promis ? Je n'aperçois partout, au plus loin dans 
    ces déserts de la Promesse que piètres jonchées de brosses à reluire... toutes abusées 
    jusqu'à la corde... En a-t-on hurlé des sottises! Avec quel cosmique culot s'est-on 
    poussé du rose au rouge! au blanc! au " sur-moi " plus que rouge!... Pauvres " moi", 
    de nature si tiède... 
    
    Ce pourrait être un grand motif comique de l'époque, la déconfiture spirituelle des 
    écrivains de la gauche (théâtre ou roman)... [83] L'âme n'a pas suivi, mais pas du tout! 
    la doctrine, la tartuferie générale. A cet égard tout au moins la faillite est totale... 
    L'âme communiste ne s'exprime nulle part... dans aucun de ces livres claironnés à tels 
    fracas... pour une excellente raison, c'est qu'ils émanent d'individus, dits créateurs, 
    tous absolument bourgeois, de cœur et d'intention, frénétiques intimes de l'idéal des 
    bourgeois. Ils ne possèdent que le " plaqué doctrinal " communiste, le charabia, le tout 
    venant des bobards... Ah! ce n'est pas facile à faire naître une musique au 
    commandement! la preuve! 
    
    
    
    50 
    
    
    
    Où sont les chefs-d'œuvre promis ?... Je posai la question, sans malice croyez-le bien, 
    au directeur des Editions d'Etat, M. Orloff, à Leningrad. M. Orloff possède la tête de 
    bourreau la plus angoissante, la plus froncée qu'on puisse découvrir dans cette ville où 
    pourtant le patibulisme se porte énormément. Auprès de M. Orloff, M. Deibler que je 
    connais un peu, vous prendrait un petit air bénin, accommodant, pusillanime. 
    
    - Où sont les chefs-d'œuvre promis ?... 
    
    - Ils vont venir!... me répondit-il, fort engageant, à sa manière... 
    
    - Ils ne viendront pas, Monsieur Orloff, je ne crois pas, je ne crois plus... 
    
    - Et pourquoi donc ?... 
    
    - Parce que vos auteurs ne sont pas très communistes... ils sont même assez 
    bourgeois... et puis quelque chose de servile... 
    
    Sur ces mots prit fin notre entrevue... l'unique. 
    
    Si demain, par supposition, les Fritz étaient rois... Si Hitler me faisait des approches 
    avec ses petites moustaches, je râlerais tout comme aujourd'hui sous les Juifs... 
    Exactement. Mais si Hitler me disait: " Ferdinand! C'est le grand partage! On partage 
    tout! " Il serait mon pote! Les Juifs ont promis de partager, ils ont menti comme 
    toujours... Hitler il me ment pas comme les Juifs, il me dit pas je suis ton frère, il me 
    dit " le droit c'est la force " : Voilà qui est net, je sais où je vais mettre les pieds, Je me 
    fais miser, ou je me tire... Avec les Juifs c'est tout sirop... tout manigances 
    ...insinuances... gonzesseries... cancans, frotti-frotta... boomerang, harach-loucoums... 
    On sait plus ce qu'on prend dans la bouche, si c'est une bite ou une chandelle... C'est 
    une franc-maçonnerie dans l'autre ...La Révolution ?... mais je veux bien! Pas plus 
    égalitaire que moi!... Je suisun enfant de Robespierre pour la question d'être 
    suspicieux... Alors les privilèges ?,.. Mais [84] j'en ai aucun! Je m'en fous... Celui qui 
    n'a pas tout donné il a rien donné du tout... C'est ma devise absolue. " Débrouillard " 
    est mort comme " Crédit! " Qui veut essayer ? le bain alors!... Et tous ensemble! Les 
    hautes fonctions dans la même flotte! la même carte au boulanger! gi! Pas un à pied, 
    l'autre en vélo. Pas un à dix sous, l'autre à mille... Vous allez me dire, ces choses-là, 
    c'est des bavardages, Ferdinand débloque encore... C'est bien! C'est bien!... je 
    l'admets. Je vais vous donner des précisions, minute!... vous citer des faits, des 
    circonstances, je vais être bref, actuel et typique, je ne veux pas vous ennuyer, vous 
    me direz si j'ai menti... 
    
    La " Colombie " des Transat abordant à Leningrad, les autorités soviétiques se 
    mettent, c'est classique, en frais pour l'équipage... Il s'agit en quelques heures de 
    porter ces " frères de classe ", attardés dans les "endormeries " bourgeoises à 
    température d'enthousiasme... au hurlement " Soviets partout! " Il suffit de s'y mettre 
    tout de suite dare-dare! de leur faire admirer pendant quelques heures d'escale... tout 
    ce que la ville et le Régime offrent de plus révélateur, de plus excitant pour des cœurs 
    prolétaires. Autobus... tour... retour... églises... visites, revisites... rautobus... 
    endoctrinage partout... discours... croquette finalement... A l'usine des téléphones on 
    ahurit les pèlerins d'une avalanche d'explications techniques... les " sonner par les 
    
    
    
    51 
    
    
    
    détails " fait partie du beau programme... Visite enfin terminée, réunion chez le 
    directeur. 
    
    Bref topo, allegro du directeur, traduction par l'interprète-guide policier juif... " Vous 
    avez vu chers camarades, en parcourant nos ateliers, que tous nos camarades ouvriers 
    travaillent ici dans le contentement, le bonheur, l'entrain et la sécurité, "Y a de la 
    joie!" Ce ne sont pas ici des esclaves surmenés, craintifs comme dans vos usines de 
    l'Occident! Ici, ouvriers, ingénieurs, contremaîtres, directeurs, tous son égaux, tous 
    concourent dans l'enthousiasme et l'égalité parfaite à l'édification du socialisme 
    mondial... à la même œuvre d'émancipation internationale!... etc!... etc!... Pour 
    conclure, camarades, si l'un de vous désire poser une question au camarade directeur, 
    celui-ci sera tout à fait heureux de vous répondre en toute franchise. " 
    
    Un membre de l'équipage: 
    
    - Demandez donc au camarade directeur combien gagne en moyenne un ouvrier dans 
    son usine ? [85] 
    
    - De 200 à 300 roubles par mois (une paire de chaussures coûte 250 roubles, le 
    logement 90... etc., etc..) 
    
    Un autre marin tatillon: 
    
    - Et le camarade directeur, combien il gagne, lui, par mois ?... 
    
    Petit embarras... conciliabule... chuchotements entre compère-directeur et compère- 
    interprète... 
    
    Le directeur (en russe): 
    
    -Allez! allez-y!... dites-lui 1.500 roubles... 
    
    L'interprète : 
    
    -Le directeur vous fait répondre qu'il gagne 1.200 roubles par mois. 
    
    Puis il enchaîne, bafouilleur, enthousiaste et brouillageux : 
    
    - Mais ici, n'est-ce pas, camarades, l'ouvrier jouit d'énormes avantages, je vous ai bien 
    fait remarquer, les ouvriers ne sont pas du tout comme chez vous, attachés pour 
    toujours aux plus dures besognes... ils ne font qu'un temps dans les emplois 
    subalternes! ils montent! ils montent! ils gravissent tous les échelons! tous les 
    camarades ouvriers peuvent devenir eux aussi à leur tour directeur! tous!... 
    
    Le directeur (un peu nerveux) : 
    
    - Dites-leur bien que j'étais ouvrier moi aussi... 
    L'interprète (pour la surenchère): 
    
    
    
    52 
    
    
    
    - Le directeur vous fait dire qu'il était autrefois marin! comme vous!... 
    
    Pas plus marin que de beurre au cul... mais 10.500 roubles par mois et Membre du 
    Parti... Pas plus d'avantages ouvriers que d'ablettes au Sahara... 
    
    Je vous ai donné pour exemple cette petite cascade de supercheries, multipliez cette 
    brève histoire par quelque trois millions de cas, autant que de membres et de cousins 
    du Parti, et vous posséderez à peu de choses près, la vérité sur les choses russes. 
    
    [86] 
    
    Jehovahfut toujours le Dieu aimant V odeur de la chair brûlée {Exode , 29,25) dont 
    
    les hommes devaient perpétuellement apaiser la colère en lui offrant du sang. S' ils le 
    
    privaient de chair humaine, ils lui sacrifiaient des animaux avec une telle abondance 
    
    que le Temple de Jérusalem devint la plus colossale boucherie qui existât jamais. 
    
    (Histoire des sacrifices, Ch. Picard) 
    
    
    
    La guerre pour la bourgeoisie c'était déjà bien fumier, mais la guerre maintenant pour 
    les Juifs! Je peux pas trouver d'adjectifs qui soient vraiment assez glaireux, assez 
    myriakilogrammiques en chiasse, en carie de charogne verdo yeuse pour vous 
    représenter ce que cela signifie : Une guerre pour la joie des Juifs ! C est vraiment 
    bouffer leur gangrène, leurs pires bubons. Je peux pas imaginer une humiliation qui 
    soye pire que de se faire crever pour les youtres, je ne vois rien de plus ignoble, de 
    plus infamant 
    
    C'est pas la question que de mourir, c'est la question d'être le plus bas, le plus en 
    retard, le plus con têtard qu'on aura jamais foutriqué sous la calotte de tous les cieux... 
    Que veulent-ils les Juifs ? par derrière leur baragouin socialistico-communiste ? Leur 
    carnaval démagogique ? Toute cette escroquerie infernale ? que veulent-ils ? Qu'on 
    aille se faire buter pour eux, que ce soit nous qu'on reprenne leurs crosses, qu'on aille, 
    nous, faire les guignols devant les mitrailleuses d'Hitler. Pas autre chose!... L'Idée! 
    comme ils appellent, c'est une fantasmagorie, une entourloupe pire que le pucelage de 
    la Sainte- Vierge!... On s'est étripé toujours sous l'impulsion des Juifs des siècles et des 
    siècles pour le pucelage de la Sainte- Vierge, pour les burnes du Pape! faut pas 
    rigoler!... Les motifs dont se servent les Juifs pour nous pousser à présent à la riflette 
    sont tout aussi nuls, aussi cons. Le communisme, ils y pensent pas! ils n'y ont jamais 
    pensé... Les Juifs agitent, propagent, [87] agressent au nom de leurs plus grandes 
    Idées, avec les tripes des chiens goymes... Il faudrait d'abord demander aux Juifs, 
    qu'ils sacrifient eux d'abord leurs tripes! personnelles... avant que les nôtres on les 
    engage. Qu'ils crèvent tous eux d'abord, après on verra... L'Idée germera peut-être 
    dans la charogne juive... C'est comme ça qu'ils se prouvent les martyrs, les vrais 
    martyrs, pas avec des mots seulement. Les Juifs engagent toujours l'avenir mais ne 
    font confiance qu'au présent... C'est au présent qu'ils se régalent de notre connerie, de 
    notre hébétude, de notre crédulité en forme d'Univers einsteinien, en milliards 
    d'années de nuit. Ces messies, ces hâves apôtres ne prennent contact avec l'Esprit, 
    n'entrent en commerce spirituel qu'à l'aide du plus grand confort... Faut pas 
    confondre! Les aises et la bonne vie d'abord! Essentiellement. Il ne s'agit, pour le fond 
    
    
    
    53 
    
    
    
    de ces croisades hitlériennes, ou judéo-mongoles que de s'arracher les esclaves entre 
    boutiques très rivales... Qui descendra non-juif, dans l'arène, y laissera sûrement sa 
    barbaque et ne remontera rien du tout. C'est un chien, il aura un os, au mieux! et puis 
    c'est marre!... Jamais un rond du bénéfice!... De la dernière folie bourgeoise 14-18. les 
    youtres sont sortis grands vainqueurs!... Poincaré, Viviani, Ribot, Millerand, 
    Clemenceau : tessons retors, aigus maniaques, imbéciles, pantins pervers, cabotins 
    canailles, fielleux, vendus, pourvendus aux Juifs, salaisons de Juifs, vieillards ivres du 
    goût de mort, intraits de prostates pourries, ils ont durer l'Hécatombe, fanatiques des 
    abattoirs, dans l'espoir unique, miraculeux baume pour ces cadavres en suspens, que 
    pas un jeune n'en reviendrait. On a massacré la moitié de la France, la plus jeune, la 
    plus virile pour ravigoter les basses mœlles de quatre magots anatomiques. Il faut ce 
    qu'il faut! C'est la gloire! Tous les grands vampires durent cent ans! Et la prochaine ce 
    sera bien mieux! bien plus implacable encore, bien plus fignolé, plus saignant, plus 
    torrentiel, ça sera la fin du cheptel. La haine des Juifs pour les animaux que nous 
    sommes est à ce point virulente, d'une telle ardeur contenue, concentrée, que nous 
    serons projetés, embrasés, dépiautés, éparpillés dans la mitraille, tout vifs, avant 
    d'avoir tiqué d'un œil... 
    
    Les peuples toujours idolâtrent la merde, que ce soit en musique, en peinture, en 
    phrases, à la guerre ou sur les tréteaux. L'imposture est la déesse des foules. Si j'étais 
    né dictateur (à Dieu ne plaise) il se passerait de drôles de choses. Je sais moi, ce qu'il a 
    besoin le peuple, c'est pas d'une Révolution, c'est pas de dix Révolutions... [88] Ce 
    qu'il a besoin, c'est qu'on le foute pendant dix ans au silence et à l'eau ! qu'il dégorge 
    tout le trop d'alcool qu'il a bu depuis 93 et les mots qu'il a entendus... Tel quel il est 
    irrémédiable! Il est tellement farci d'ordures maçonniques et de vinasse, il a les tripes 
    en tel état d'enjuivement et de cirrhose qu'il croule en loques dans les chiots juifs à la 
    poussée des hauts parleurs. 
    
    A ma " bourgeoisie du sol ", pendant le temps de ma dictature, je lui en ferais 
    tellement chier, je lui ferais apprendre des telles bonnes manières, que je lui ferais 
    regretter la Commune, les Jésuites, les Incas. les Huns, le suicide par les bêtes fauves. 
    Mais c'est le " Passé " nos bourgeois! Ils signifient presque plus rien!... Depuis 
    toujours fourriers des Juifs, l'insécurité les annihile, ils crèvent de trouille dans le fond 
    de leur froc. Ils savent même plus où mettre leur fias, tellement ils ont hâte de trahir, 
    de se vendre, la peur de " trahir pas assez ". Ils se feraient peindre en Abyssins, ils se 
    feraient retourner les narines, pour que les youtres les rétablissent, les tolèrent encore 
    un peu, dans le nouvel ordre, les privent pas tout de suite de leurs "Hostelleries ". Ils 
    sont nés dans la traîtrise, ils crèveront de même... dans la panne et dans la tractation... 
    Je me demande toujours ce qui est le plus dégeulasse, une merde de Juif bien aplatie, 
    ou un bourgeois français tout debout... lequel qu'est infect davantage? Je peux 
    vraiment pas décider. 
    
    La prochaine guerre on peut prévoir, ça sera trois frontières à la fois, et des badoures! 
    des formidables! pas des petites! des immenses! Je vous la souhaite belle et 
    guillerette! enfants des Héros! fils des Gaules... Allemagne! Espagne! Italie! Ceux qui 
    savent creuser, creuseront! Jamais tant de tranchées, si profondes! si larges! si 
    longues! n'auront englouti tant d'hommes à la fois! Pour l'immense gloire d'Israël! 
    pour l'Idéal maçonnique ! Pour la vengeance des petits Juifs virés des bonnes places 
    germaniques!... Pour la gloire des Bourses! des Valeurs et du Commerce! et des 
    Bidoches! Pour l'arrivée fraîche et joyeuse de millions de youtres bien pillards qui 
    
    
    
    54 
    
    
    
    nous manquent encore et qui se consument d'impatience dans le dénuement des 
    ghettos!... 
    
    Français du sol, un peu de cœur! Ne vous endormez pas comme ça!... Seriez- vous 
    dégénérés? Souvenez- vous en cet instant sublime, admirablement attendu, de vos 
    traditions chevaleresques! un Français n'a jamais sourcillé une petite seconde pour la 
    défense de la Patrie! Bon sang ne saurait mentir! Sang guerrier! Le Français [89] ne se 
    redresse que sous les balles! Quel soldat! Bayard! Murât! La Tour d'Auvergne ! 
    Présent! Sus donc aux hordes germaniques! Affreuses massacreuses de Juifs! 
    L'Internationale! oui! mais seulement avec les Russes! attention! les judéo-mongols. 
    Pas de méprises! ne faites pas attendre Yubelkrantz!... Lisok, Lévy, Rosenbaum, ils 
    broient du noir, ces malheureux, là-bas, ils souffrent, ils s'ennuient... pendant que vous 
    chichitez encore devant la porte du charnier... Qu'attendez-vous donc bande de 
    lâches? 5 Vous pouvez partir tranquilles... vous serez remplacés dans vos boulots 
    promptement, dans vos maisons et vos lits... dix fois plutôt qu'une!... Vos femmes 
    d'ailleurs ne demandent qu'à se rendre, que dis-je! elles sont aussi impatientes de vous 
    mener gare de l'Est que Lizok Lévy, Yubelkrantz... de vous propulser au casse-pipe... 
    La femme est une traîtresse chienne née... autant que le Juif est escroc né... La femme, 
    surtout la Française, raffole des crépus, des Abyssins, ils vous ont des bites 
    surprenantes! Ils sont si vicieux, si câlins. Ils comprennent si bien les femmes!... Ah! 
    cet Orient!... c'est autre chose!... cocus des tranchées, pauvre viande " kachère! " vous 
    ne serez pas oubliés! vous serez pompés, happés, déglutis, fondus dans la Victoire 
    Juive... On vous arrangera en pensions pour les veuves bien consentantes!... On se 
    régalera avec vos os... On ira en cars admirer les lieux où vous fûtes sonnés pour les 
    Juifs, on ira guincher sur vos tombes, vos épouses chéries et les youtres. Ils viendront 
    sur vos charniers, dégueuler le dimanche, on s'enculera sur votre martyr. Ca sera 
    comme ça la survie, le souvenir! A votre santé pote!... L'Angleterre alliée? mes 
    burnes! Encore une fameuse balancelle! Ils iront molo je vous assure ce coup-ci... 
    encore bien plus mou qu'à l'autre... Ils risquent bien davantage... Un an pour 
    mobiliser... encore un an pour instruire... Nous serons déjà tous asticots quand 
    débarqueront dans les Flandres les premiers invertis d'Oxford... la jolie Home-Fleet du 
    Whisky se répandra sur l'Atlantique expectante... Les Juifs sont rois de la Cité 
    n'oublions jamais... l'une de leurs suprêmes citadelles avec Wall Street et Moscou... 
    On ne détruira pas beaucoup. ..soyez bien certains. ..De l'expectative! beaucoup 
    d'expectative, un " wait and see " formidable... Ils ne feront rien cette fois-ci les Juifs, 
    la Chambre des Lords, juive, les magnats d'Angleterre avec précipitation... Ils 
    enverront quelques avions... quelques généraux déjeuner chez Maurois... et discuter 
    au Ministère un petit peu le tunnel sous la Manche... 
    
    [90] Mais pour la corrida cosmique, c'est nous qui fournirons la casse... c'est notre 
    pays, bien désigné, le plus pourri, le plus décadent d'Europe... qui doit régler tous les 
    frais... Frais! j'entends de notre viande... nos gésiers... à nous goymes! après tout notre 
    pognon... 
    
    Dans les Balkans, les Juifs anglais feront donner l'or de la Banque (le nôtre c'est-à- 
    dire par transfert), l'Intelligence Service et les Tchèques. Les empotés preux d'Oxford, 
    délicats énergumènes, se donneront en manifestes et en conférences... Ils militeront à 
    Trafalgar pour l'enrôlement des chômeurs... Mais Bidart à nous, Brodin du Puy-de- 
    Dôme, Lacassagne, Vandenput et Kersuzon fourniront joliment les pipes et toutes les 
    carotides du Stand... Avec eux pas de flan! pas de grimaces. Ca sera goupillé le 
    
    
    
    55 
    
    
    
    premier jour! Ils feront pas semblant! Ils iront pas aux conférences. Ils se donneront 
    du péritoine, de la baïonnette, je vous assure, de la grenade, du médiastin... C'est pour 
    eux toute la riflette, pas une seule discussion possible... dans toute l'étendue de la 
    patrie... Et le Juif alors ? Nos libérateurs forcenés ?... où qu'ils seront ?... nos 
    frénétisants, nos excellents youtres ?... nos rats ?... nos adorables naturalisés ?... 
    Hein ?... " trop vieux, trop longs, trop gras, trop myopes, trop bigles, panards, 
    systoliques, albumineux "... Le vent de la gloire passe à côté, ils sont trop fragiles et 
    trop précieux... différés en somme... au plus... brancardiers... au pire: dans l'Etat- 
    Major... " quelque chose " dans un genre qui inspecte beaucoup les caves... interprètes 
    aussi forcément... officiers près du général pour donner des ordres de boucherie... 
    beaucoup de téléphone... Il faut ce qu'il faut!... 
    
    Gutman il me disait l'autre jour: 
    
    - Tu verras tiens, Ferdinand! Tu les connais pas les francecailles! Un coup de clairon 
    et hop! ils s'envolent! Ils foncent tous comme un seul homme!... Les voilà poitrines en 
    avant! superbes! dressés devant l'ennemi... 
    
    C'est exact... C'est Bidasse... C'est bien Lidoire et Vandenput, et encore dix millions 
    comme ça qui vont se faire crever pour le youtre ! (sur trois hommes tués à la guerre, 
    deux sont paysans, 1/1. 300e seulement est juif...). Il a bien raison Gutman. Il suffira 
    de quinze jours de radio, de presse, et de fanfare pour qu'ils se ruent tous, bien 
    vinasseux, se faire hacher dans les barrages, c'est enfantin comme mécanisme... 
    Bidasse, Guignon, Miraillé, La Goumette, 
    
    [9] (p. 91-100) 
    
    et deux millions d'autres en plus vous êtes archi-fourgués déjà! vous êtes en place 
    dans le grand saloir... Faudrait pas tout de même vous secouer... ça ferait trop de peine 
    à bien des gens... 
    
    Moi, si j'étais dictateur (décidément c'est une manie), je ferais passer une autre loi... 
    une encore et c'est la dernière... Figurez- vous que je connais le bon moyen pour 
    apaiser, pour clarifier, sans délai l'atmosphère internationale... Voici le terme de mon 
    rescrit : en trois simples petits articles... 
    
    1°- Tous les Juifs sur ce territoire, dés la déclaration de guerre, de 17 à 60 ans, demis, 
    quarts de Juifs, mâtinés, mariés à des Juives, francs-maçons seront affectés, 
    uniquement, aux unités d'infanterie combattantes, et de première ligne. Aucune 
    infirmité, motif d'ajournement, de réforme ne sera valable pour un Juif ou assimilé. 
    Jamais ce genre de militaire ne pourra dépasser, en aucun cas, le grade de capitaine. 
    
    2°- Aucune autre affectation ne pourra être donnée à un Juif, ni médecin, ni 
    brancardier, ni artilleur, ni sapeur, ni scribe, ni aviateur, ni commissaire politique, ni 
    garde-mites, ni chauffeur, ni camoufleur, ni ordonnance, en vertu de ce principe que 
    tout retrait même à vingt mètres de la ligne de feu devient pour le Juif une planque 
    admirable, une occasion immédiate de faire agir ses relations, le premier pas vers les 
    guitounes, la rue de Grenelle, les Loges, et le courant d'air.... 
    
    
    
    56 
    
    
    
    3°- Toute infraction à ces articles sera punie de la peine de mort, sans discussion, ni 
    murmures. 
    
    Donc, tous les Juifs en première ligne! pas de billevesées, pas d'estouffades ! et 
    pendant toute la durée de la guerre ! Aucun privilège admis. Les blessés juifs ne seront 
    jamais évacués de la zone des armées... Ils crèveront s'il le faut dans la zone des 
    armées... Ils féconderont la zone des armées. Il faut se méfier toujours des Juifs, 
    même quand ils sont morts. 
    
    Puisque les Soviets, c'est la guerre! Bien... Soit!... si l'aventure tourne mal, comme 
    c'est en somme assez probable, il faut pas que nos Juifs se débinent. Il faut qu'ils 
    payent toute la casse, il faut qu'ils dégustent jusqu'au bout. Il faut qu'ils deviennent 
    otages, immédiatement, d'ores et déjà, qu'ils garantissent de leurs peaux cette 
    émancipation humaine dont ils parlent toujours. On verra comment ça se goupille. 
    
    [92] Puisque les Juifs sont nos maîtres, puisqu'ils représentent le Sel de la Terre, la 
    Lumière du Monde, Puisque c'est eux qui doivent rendre la terre habitable, alors c'est 
    le moment de commencer! Tous en première ligne! Nom de Dieu! et pas de 
    défaillances! C'est le moment qu'ils nous régalent, je veux les voir illuminer moi, en 
    première ligne! Rendre les premières lignes habitables. Voici ce merveilleux 
    spectacle : le plus beau théâtre juif que l'on aura jamais vu. 
    
    Ce sera beau à s'en faire mourir! Pas cave pour un signe je promets de lever le rideau 
    personnellement, d'y rester tant qu'il faudra pour voir enfin tous les youtres sauter le 
    parapet, pour admirer ce sport splendide, pour voire enfin Mr. Blum tomber la bavette 
    et puis les " Benda Brothers " monter à l'assaut, nous méprisant à tout rompre, avec 
    mille baïonnettes dans le cul! 
    
    
    
    " Les guerres et les révolutions sont les moissons du peuple juif " 
    
    Disraeli, Premier Ministre d'Angleterre. 
    
    
    
    Population totale de la France : 40 millions. 
    
    Juifs et mâtinés : 2 millions. 
    
    Richesse totale de la France : 1 .000 milliards dont 750 aux Juifs. 
    
    Français mobilisés : 8.400.000 Juifs mobilisés : 45 000. 
    
    Français tués : 1.750.000 (1 sur 5). Juifs tués : 1,350 (1 sur 33). 
    
    Déclaration du Grand Rabbin. 
    
    Pour être tout à fait précis, examinons encore ces chiffres Pendant la guerre 14-18 : 
    1.350 tués juifs, Juifs français - En proportion cela représente un Juif pour 1.300 tués 
    
    
    
    57 
    
    
    
    français... (1.750.000 morts)... Ce 1/1. 300e de tués, je trouve, moi, qu'il représente 
    tout à fait exactement toute l'étendue des droits juifs sur notre territoire. 
    
    Je leur donnerais volontiers 1/1. 300e des droits d'exercice, dans chaque profession 
    aux Juifs, ainsi par exemple en médecine où nous sommes environ 30.000 praticiens 
    français, eh bien! nous accepterions 23 Juifs de confrères. Enchanté! voilà un chiffre 
    très normal... absolument suffisant!... Mais comme ils doivent être rien qu'en France, 
    médecins juifs établis, à peu près 8.000... alors n'est-ce pas... 
    
    
    
    [94] 
    
    
    
    " Le Monde entier est gouverné par 300 Israélites que je connais. " 
    
    Rathenau, Juif, Ministre allemand. 
    
    
    
    " Un Juif par créneau "... telle est ma devise pour la guerre prochaine. Un Juif et puis 
    un franc-maçon... En somme les vrais intéressés, les prétendants aux bénéfices, les 
    participants du pouvoir... D'abord ce sera pas difficile de servir tout le monde, c'est 
    pas les créneaux qui manqueront de Dunkerque au golfe de Gascogne. A cet égard un 
    jeu d'enfants! de régaler toute la coterie! y en aura pour toutes les Loges, pour les plus 
    discrètes synagogues. 
    
    Mon petit décret, voyez-vous, de mobilisation du juif, de son affectation très stricte, 
    n'est pas une petite rigolade... Bien compris, bien admis, bien assimilé par nos 
    youtres, il peut donner des résultats dont vous serez grandement surpris, tout à fait 
    précieux, providentiels, nous évitant, quel miracle, de participer, à toute viande, au 
    plus grandiose charnier des âges... qui ne demande qu'à fonctionner... qui hurle déjà 
    devant nos portes... Participation de plus certaine (que les Juifs rendent de plus en 
    plus certaine avec leurs manières " pousse au crime "...) 
    
    Vous verriez comme par enchantement passer un souffle, que dis-je ? d'invincibles, 
    fougueuses bourrasques, de véritables cyclones de protestations pacifiques! à travers 
    toutes les frontières! il pleuvrait des tourterelles!... 
    
    Des rapprochements miraculeux, entre ennemis de " la nuit des temps " ne tarderaient 
    pas à s'ébaucher... On se chercherait pour s'embrasser... d'un bout à l'autre de 
    l'univers... Dès qu'on assure au [95] cuisinier qu'il va lui-même, en personne, passer 
    dans son court-bouillon, il gratte plus du tout d'allumettes... 
    
    " Mon cher homard! mon cher homard! " qu'il s'écrie, qu'il s'attendrit... Il a compris... 
    A partir de cet instant, on nous parlerait certainement beaucoup moins des Russes, de 
    ces grandes alliances Judéo-Tartares, impérieuses, absolument indispensables à notre 
    bonheur... à l'affranchissement de nos esprits. Quand les Juifs se rendront bien 
    compte, absolument compte, que c'est de leurs tripes qu'il s'agit pour fabriquer le 
    boudin de bataille ils découvriront de suite que c'est bien affreux les " Alliances "... 
    Quand il faut payer de sa barbaque, les pires frénétiques " Risquetout " s'interrogent... 
    Je vous assure qu'ils en trouveront des compromis originaux pour résoudre la 
    Question Sociale... Les Juifs ils sont à leur aise dans la dégonflette. On les laisserait 
    retomber sec, dans leur Barbarie, les Russes!... dans leur nuit mongole... De tous les 
    
    
    
    58 
    
    
    
    côtés de l'Univers, par l'effet d'un soupir magique, on découvrirait tout soudain, qu'ils 
    sont vraiment impossibles, irrespirables, ces asiates! défécatoires... stercophages, 
    mongoloïdes à dégueuler, qu'on aurait jamais dû laisser des affreux pareils nous 
    distraire... qu'il faut les bouter promptement, qu'ils aillent tous se faire carrer derrière 
    les Murailles... Kirgizes, Mandchous, Papaoutjans! On ne causerait plus entre Apôtres 
    dans les caves de la culture que de la Scandinavie... Des miracles norvégiens... On 
    étudierait en détails la collaboration des classes... les syndicats ententophiles. On ne 
    parlerait plus du tout ni d'interventions, ni de croisades, ni de très fermes attitudes... 
    Ca serait des apaisements partout! On inviterait tous les fascistes à venir à Garches 
    picoler... à jouer du biniou à la ronde, à couronner les " rosières "... Ca se passera tel 
    quel, idyllique... le jour où les Juifs, tous les Juifs, seront intimement convaincus, 
    absolument persuadés, qu'i! s monteront tous à la riflette, et eux d'abord, et eux 
    premiers dès l'instant de la première gâchette, de la première salve et puis en ligne 
    jusqu'au dernier, jusqu'au bout du dernier Juif, pipe inclus. 
    
    [96] 
    
    Puisqu'il est question de conquêtes et de colonies... je dois bien avouer pour ma part 
    que je fais aucune différence entre l'armée juive des Blum et l'armée boche des 
    Falkenhayn... Pour moi c'est du kif au semblable L'armée Blum en légions larvaires et 
    en formations visqueuses... l'autre plus grossière, mais pas plus furieusement rapace 
    même humiliation, même contrainte, même avilissement, même honte... Aucune 
    différence je déclare, entre la paix juive et la paix allemande Et je préfère la paix 
    allemande n'importe quand. Monsieur Blum pour la marche de ses services, peut 
    compter bien certainement sur autant de traîtres et d'espions français, entièrement 
    dévoués à ses ordres qu'il s'en serait voué à de Moltke s'il était venu jusqu'ici. De ce 
    côté pas d'illusion, les mêmes Juifs, les mêmes francs-maçons. Monsieur Blum 
    possède déjà un joli corps de militants youtres d'environ deux millions d'hommes tous 
    parfaitement disciplinés, tous parfaitement déterminés à nous mettre au garde à vous, 
    nous les piteux autochtones... à nous consigner dans nos niches, attendant de nous 
    mettre en daube à la sauce " Croisade anti-nazi ". Il faudrait prévoir qu'avant un an, à 
    la manière qu'ils s'y donnent, nos services juifs aux promptes naturalisations, ces 
    effectifs auront doublé... Tous les Français " à tour de bras " échappés de tous les 
    ghettos : Valaques, métèques refoulés par toutes les " émigrations " du monde (surtout 
    U.S. A.) arrivent ici pourris de tares, " inaptes au service " la plupart, mais 
    merveilleusement rapaces, pétris d'exigences, arrogants, effrénés, [97] revendicateurs, 
    en chasse, en conquête farouche, à l'agression implacable de tous les emplois, des 
    fonctions les plus réservées (voir Guerre et Marine) et puis par-dessus tout, haineux, 
    d'une rage démoniaque, talmudique, contre tout ce qui pourrait, même un instant 
    différer, empêcher qu'ils surprennent, saisissent, escamotent, accaparent 
    immédiatement toutes les professions, toutes les places. Qui peut se dresser contre 
    cette meute ?... Nous autres les Français d'avant-guerre ?... Les jeunes soufflés de 
    maçonnisme ne voient rien. Précaires survivants de 14, que les Juifs jugent 
    évidemment au plus bas décatis, de race alcoolique vannée, foutue, méprisable 
    énormément, détestable à mort ?... 
    
    Monsieur Blum pour son campement, pour la progression de sa horde en pays 
    conquis, pour la soumission de l'indigène, peut compter sur nos caïds... nos francs- 
    maçons autochtones, ils lui sont entièrement dévoués, intrigants, cupides et fats. M. 
    Blum détient en ses mains juives tous leurs moyens d'existence, leurs décorations, 
    
    
    
    59 
    
    
    
    toute leur raison d'être... Ils encadrent, matent, dressent le natif au mieux des intérêts 
    du maître, du conquérant juif... Rien à dire... C'est ainsi que les choses se passent en 
    Afrique. Seulement de ce côté, en France c'est nous les bicots... Même arrogance, 
    même injustice, même droit du seigneur juif. L'occupation Blum en fin de compte, 
    plus hypocrite, plus larvaire est plus dégradante, certainement, que l'aurait été pour 
    nous l'occupation Falkenhayn. La force détruit moins, dégrade, pourrit moins sur son 
    passage que l'intrigue et la ruse. La colonisation " par l'intérieur " est la plus 
    infamante, la plus ignoble des colonisations. La colonisation par les négrites juifs 
    représente le comble de toutes les abjections morales et physiques. 
    
    Falkenhayn, autre avantage, ne demandait pas aux Belges d'aller se battre pour les 
    Allemands. Les Allemands font leurs guerres eux-mêmes. 
    
    [98] 
    
    " Les cadeaux des Juifs sont des Pestes. " 
    Tridon, Membre de la Commune de Paris. 
    
    Par les circonstances de la vie, je me suis trouvé pendant quatre ans titulaire d'un petit 
    emploi à la S. D. N., secrétaire technique d'un Juif, un des potentats de la Maison. 
    C'était un drôle de boulot, assez marrant, faut bien le dire, mais pour la douillance 
    assez terne, pas très généreux. Pas de quoi se régaler du tout. Je faisais partie moi, du 
    " petit Cadre "... des " auxiliaires ", des gens de peu Les places notables, les vrais 
    nougats sont occupés, là comme ailleurs, par les Juifs et les " maçons "... Faut jamais 
    confondre. Ecole Normale, Oxford, Polytechnique, les beaux Inspecteurs des 
    Finances, etc. Enfin l'Aristocratie... Je briguais rien, soyez tranquilles. Je suis pas 
    jaloux. C'est pas mon genre de réussir C'était seulement une aventure... Je suis pas fait 
    pour m'incruster... Mais alors, en fait d'expérience, je peux dire qu'elle m'a bien servi! 
    Je regrette pas mon temps de Genève. J'ai vu travailler les grands Juifs dans les 
    coulisses de l'Univers, préparer les gros fricots... Ils y viennent tous tôt ou tard. C'est 
    un endroit de leurs dévotions. C'est la plus grande Synagogue dans le plus grand 
    Temple " Maçon " de l'univers... C'est l'antre des combinaisons les plus vicieuses de 
    l'Epoque et de l'Avenir... Depuis le Secrétaire Général jusqu'au dernier journaliste il 
    faut avoir une drôle d'odeur pour faire florès dans la tôle... Il faut " en être " quoi! il 
    faut en être!... Tout ce qu'est pas youpin ou " mascaille " est assez vite éliminé... Je 
    me faisais pas de grandes illusions... C'est regarder qui m'intéressait. Ma carrière 
    administrative elle a quand même duré quatre [99] ans. C'est un bail. Je les ai vus 
    venir les grands Juifs! Les plus grands " maçons " de la planète, les plus inquiets les 
    plus arrogants, les plus endurcis, les plus emmerdants, les plus mégalophraseurs, les 
    plus muets, les plus opulents, les plus tristes, depuis Bergson et Curie Madame, 
    jusqu'aux Ben Simons britanniques, et Ras Tafaris... Il faut entendre comme ça 
    cafouille tout ce petit monde... J'avais appris aussi moi, la chinoiserie des 
    Commissions... la dialectique des compromis. Seulement faut pas être trop curieux, se 
    montrer friand " d'origines "... c'est pas bien vu dans la maison. Pas trop de précision 
    S. V. P.! Quand je devenais inquisiteur, mon grand patron Yubelblat, il m'expédiait en 
    voyage, en mission d'études... J'ai fait ainsi les continents à la recherche de la vérité. 
    Si les voyages forment l'âge mûr. je peux dire que je suis bien fait. Craquelure! 
    comme j'ai voyagé! pour m'instruire, pour accroître toutes mes connaissances! 
    Comme j'en ai vu des hôpitaux, comparé des laboratoires! épluché les comptes des 
    nurseries... vu fonctionner des belles casernes! cavale dans les abattoirs! admiré tant 
    
    
    
    60 
    
    
    
    de crématoires! expertisé tellement de laiteries, des " modèles " et des moins propres... 
    de la Gold Coast à Chicago! et de Berg-op-Zoom à Cuba! Je devrais être de l'Institut, 
    tellement qu'on m'a enseigné des choses, des techniques et des pires encore... 
    extraordinairement ennuyeuses!... Comme j'en ai vu des savants, barbus, chauves, 
    postillonneux, bigles... Comme ils m'en ont donné des leçons... d'Harley Street à San 
    Francisco! de Leyden, songeuse aux tulipes, à Port-Lagos en Nigérie... bouillante de 
    fièvre jaune. Je devrais être presque parfait en dix mille matières scientifiques, dont je 
    ne sais plus un traître mot... Je suis vraiment l'un des crétins les plus fieffés de la 
    planète. Ainsi va la vie... 
    
    On s'est donné un mal inouï pour me sortir de ma torpeur. Comme j'en ai parcouru des 
    maîtres, et tous admirés jusqu'au bout, sur toutes les coutures, des heures et des 
    heures... chacun... des fins cliniciens ventropètes, des hygiénistes si convaincus, si 
    transformateurs, rénovateurs, si prometteurs que simplement leur salive valait déjà le 
    prix des diamants. Irisés mirages! J'en ai vu des cardiologistes! des endocriniens 
    éperdus! des physiopathes sympatologues, et des encore bien plus étranges, plus 
    péremptoires, confusionnistes, superspicaces les uns que les autres... Graine de 
    Dieu!... quel tourment! quelle engeance! Tous les néo-Diafoirus du Progrès moderne 
    ils se sont donné rendez-vous pour éberluer ma pauvre [100] gomme... Ah! ce que j'ai 
    pu les subir!... vertigineux, impérieux, vindicatifs ou miellés... toujours à se prendre, 
    se déprendre... se perdre un peu, s'entortiller... se faire " venir " sur un glaviot, sur une 
    pelure de lentille, sur un poil pénien, une sottise, un mot, des heures encore pour une 
    virgule, dans tous les sens... Comme c'est bavard, puéril et fat, étroit, râleux, boudah, 
    inquiet, mégalomane, persécutant, un humble chercheur!... Le pire des cabots, un 
    Sacha, c'est encore qu'une pâle violette auprès d'un loucheur en " micro ", d'un effileur 
    de pipettes... Les pires " m'as-tu-lu " du monde, les plus susceptibles cabotins, les plus 
    irascibles vedettes c'est dans les " Congrès " qu'on les trouve, dans les bagarres de 
    vanité, pour les " Avancements des Sciences ". Faut entendre alors ces gueulements! 
    faut observer ces tours de vache! Ils sont prêts à tous les crimes pour voir leurblaze 
    en compte rendu élogieux. Yubelblat, mon cher patron, c'était son métier tout spécial, 
    son œuvre internationale d'entretenir des relations suivies avec tous les grands ténors 
    de la Découverte... Moi, mon petit afur personnel, ça consistait à l'aider dans le cours 
    de sa politique, l'approche, la diplomatie, l'art de faire plaisir à tout le monde, à la 
    mère, au père, aux cousins... Tâche bien aride s'il en fut! A travers ces bilieux ingrats 
    au possible... les échecs tournent en vinaigre, en instantanées ruptures, en vexations 
    considérables, diplomatiques... Les savants sont impitoyables sous le rapport vanité... 
    C'est pas, croyez, une petite pause que de rassurer un savant, de bien lui ancrer dans le 
    cassis, que c'est bien lui le premier du monde, le tout excellentissime, qu'on en connaît 
    pas deux comme lui... sous le rapport intuition... bouleversantes synthèses... probité, 
    etc.. Ca demande beaucoup de gestes et de paroles et des écritures continuelles et des 
    ruses irréprochables, et puis un culot pas croyable, et puis une mémoire des bobards, 
    absolument extraordinaire, impeccable, extra-lucide. C'est la question de vie ou de 
    mort, de se rappeler ce qu'on a dit. La moindre gaffe c'est la bascule!... en toute 
    occasion et par tous les moyens valables ou probables, les savants doivent jubiler d'un 
    bout à l'autre des Etats, des 48, pas une seconde de répit pour leur passer des 
    pommades, leur envoyer des petits " rappels ", des petits fafiots, des transports 
    gratuits, mille " frais ", dix mille confidences, cent mille compliments et puis des tours 
    de Commissions, pour qu'ils puissent venir en personne à Genève, s'acheminer... 
    s'étaler discourir encore. Bernard Léon de Paris, ce gros rabbin médical, parfaitement 
    prétentieux et nul était 
    
    
    
    61 
    
    
    
    [10] (p. 101-110) 
    
    [101] 
    
    un des grands assidus de la Princesse du Léman... On l'a bien connu nous autres, 
    c'était un raciste effréné (presque aussi actif que Widal, et c'est pas une bagatelle !). Il 
    a fait énormément pour l'invasion des médecins youtres, leur triomphe en ville. Toute 
    sa carrière a consisté, sous des apparences, à faire naturaliser 5 à 6 médecins juifs par 
    semaine... tous racistes évidemment... Ils lui doivent une vraie statue, ces 
    alluvionnaires, dans la cour de la Faculté en or ! sur un veau. Yubelblat, faut lui 
    rendre justice, il était bien moins con que les autres, dans le genre des grands savants, 
    bien moins mesquin, moins abruti, moins prétentieux. Il pigeait parfaitement l'astuce. 
    Il délirait pas dans sa glace. Mais il était erratique comme tous les vrais prépuces, il 
    tenait pas en place. Il fallait qu'il trace, qu'il revendique. Son genre de voyage favori, 
    c'était la Chine... Il allait militer par là... Il faisait un saut jusqu'au Japon... Il préparait 
    les petites affaires... Et puis il rentrait dare-dare... Il retraversait toute la planète pour 
    un télégramme, pour un soupir... pour rien du tout... Il repassait par la Russie... Il 
    repassait plus par la Russie... Il rappliquait par le Sud. Il rattrapait son télégramme... 
    son soupir... son rien du tout. Et puis floc ! je le voyais jaillir ! un matin ! je le 
    retrouvais d'un seul coup ! derrière son bureau... Il émergeait de l'autre bout du 
    monde... comme ça... Il faisait le juif errant, l'homme-lubie, l'insolite... Pour réfléchir, 
    il s'arrêtait, derrière ses binocles, il oscillait en avant... tout doucement sur ses 
    tatanes... des vrais bateaux... comme le pendule... Cette manière de se tenir, bizarre, 
    dans la vie, de disparaître dans les fugues et puis de revenir " courant d'air " ... ça 
    ressemblait pas à grand' chose. On aurait bien pu penser : cette agitation est grotesque, 
    ce n'est que de la dispersion, du " pas sérieux ", de l'étourderie. Cet homme travaille 
    du grelot. Et pourtant c'était l'essentiel faut pas se fourvoyer. Regardez un peu les 
    fourmis comment elles s'agitent... elles font pas toutes vraiment quelque chose, elles 
    transportent pas toutes une bricole... elles vont, elles passent... c'est leur boulot ! ... 
    elles reviennent... elles se dépêchent... elles lambinent... elles ont plus l'air de savoir... 
    de se promener au petit bonheur... et puis pourtant elles fourmillent., elles ont leur 
    idée... c'est ça l'essentiel : fourmiller. 
    
    Comme les Juifs ils sont pas beaucoup en proportion sur la terre (15 millions) , il faut 
    que partout ils se montrent, qu'ils soient partout à la fois, qu'ils essaiment les bonnes 
    paroles à travers les colonies juives et les puissants de la juiverie, et les tout petits 
    
    [102] 
    
    Juifs aussi, occultes ou avoués, apparents ou camouflés, mais tous bien racistes... il 
    faut que la ferveur s'entretienne, l'excellente entente, les courants ardents de l'œuvre, 
    la passion du triomphe prochain, avec des " chiffres ", à l'aide des " chiffres ", de 
    statistiques, d'autres bilans encore, d'autres ,victoires partielles, des Congrès à l'infini, 
    pour la Paix, pour la Paix toujours, pour le progrès, la lumière, l'avancement des 
    sciences et des hommes... Comme ça et toujours et tout le temps, de Washington 
    jusqu'en Chine, de Gênes en Grèce, au Canada... C'est un afur formidable Pas une 
    minute d'interruption... Promettre... Promettre... flatter en traçant ... réveiller le zèle ou 
    la haine... qui s'attardent, s'affaiblissent, se perdent ... Relancer ! Quel tam-tam... 
    Veiller au grain ! Parcourir ... Parcourir ! Disparaître... Il était infatigable en ses 
    pirouettes, prestes échappées, trapèzes... colloques furtifs, mystères et passe-passe 
    
    
    
    62 
    
    
    
    internationaux, le frêle Yubelblat. Toujours en " coléanisme ", en voltige, vertiges, 
    entre deux câbles, deux télégrammes, deux rappels. Toujours en train de se relancer 
    un peu plus loin, dans la pagaïe, dénicher encore d'autres trames, d'autres filins plus 
    embrouillés, raccrocher le tout en énigmes, et puis défendre toutes ces intrigues par 
    des petites trappes bien occultes, il arrêtait pas... On le voyait... on le voyait plus... Il 
    me rappelait du Zoo de Londres, cet animal extravagant l'ornithorynx qu'est si habile, 
    le faux castor incroyable, qu'a un bec énorme d'oiseau, qu'arrête pas aussi de plonger, 
    de fouiner, de revenir... Il disparaissait imprévisible la même chose Yubelblat... 
    Piaf !... il enfonce, plonge dans les Indes... on le voit plus ! ! Une autre fois c'est dans 
    la Chine... dans les Balkans dans les ombres du monde... dans la profondeur... Il 
    revenait à la surface tout éberlué, clignotant... Il était habillé tout noir comme 
    l'ornithorynx... et puis aussi l'énorme tarin, exactement aussi marrant... cornu comme 
    l'ornithorynx... Il était souple à l'infini... extraordinaire à regarder, mais au bout des 
    poignes par exemple, il avait aussi des griffes... et des venimeuses comme 
    l'ornithorynx... Il fallait déjà le connaître depuis vraiment un bon moment pour qu'il 
    vous les montre... la confiance c'était pas son faible... Enfin je vais pas prétendre que 
    je m'ennuyais sous ses ordres... Ça serait mentir... Tel qu'il était il me plaisait bien... 
    J'avais même pour lui de l'affection... Bien sûr il oubliait pas de m'arranger de temps à 
    autre... de me faire déguster une vacherie... Mais moi, je ne me gênais pas non plus... 
    Y avait une petite lutte sournoise. Un jour qu'il [103] m'avait laissé comme ça trop 
    longtemps à Genève, dans les boulots imbéciles, à mariner sur les dossiers, j'ai 
    comploté dans mon genre, une petite pièce de théâtre, c'était assez inoffensif " l'Eglise 
    ". Elle était ratée, c'est un fait... mais quand même y avait de la substance... je lui ai 
    fait lire à Yubelblat. Lui qui se montrait dans la vie le plus éclectique des youtres, 
    jamais froissé de rien du tout, ce coup-là quand même, il s'est mordu... Il a fait une 
    petite grimace... Il a jamais oublié... Il m'en a reparlé plusieurs fois. J'avais pincé la 
    seule corde qu'était défendue, qu'était pas bonne pour les joujoux. Lui il avait 
    nettement compris. Il avait pas besoin de dessin... 
    
    Quant aux Aryens, c'est la détresse... Si on leur annonce pas les choses avec du néon » 
    ... Quel est l'animal, je vous demande, de nos jours plus sot ?... plus épais qu'un 
    Aryen ? Quel Zoo le reprendrait ?... Le Paradis ? ... 
    
    [104] Yubelblat, il a essayé, c'est un fait, de me rendre parfaitement " technique ", 
    diplomatique et sagace, et puis aussi, et puis surtout, que je devienne à ses côtés un 
    parfait administrateur. Il m'avait en sympathie, malgré mes petits défauts... ma tête de 
    cochon... Il voulait que je m'initie à tous les maniements de ficelles, les grosses 
    goupilles du métier, les fines astuces, qui font marcher les Assemblées, les 
    Commissions, 2e, 3e, 4e, 5e... les têtes de pipes et les Finances... surtout les 
    Finances... 
    
    - Moi, voyez- vous, Ferdinand, je suis toujours Secrétaire, rien que Secrétaire, à 
    travers toutes les circonstances, vous ne me verrez qu'en Secrétaire... C'est le titre que 
    j'ai choisi, jamais davantage... jamais ! ... Secrétaire ! pas plus ! voilà tout !... J'arrive, 
    je ne dis mot... La discussion est commencée... Bien... Je vais m'asseoir tout 
    doucement, bien tranquille, à la gauche du Président... Remarquez, je ne dérange 
    personne... Les débats s'ouvrent et se déroulent... ternes ou passionnés... burlesques ou 
    moroses... Aucune importance ! ... Dans tous les cas, aucune suite dans les idées... 
    c'est impossible... aucune cohérence... C'est la grande règle absolue de toutes les 
    
    
    
    63 
    
    
    
    assemblées du monde... de n'importe quelle réunion d'hommes... aussitôt qu'ils 
    ouvrent la bouche ils ne disent plus que des sottises... 
    
    Voici la pesanteur du " nombre "... la loi écrasante des Pendules de la Bêtise... Elle 
    entraîne tout, elle fatigue tout, elle écrase tout... Il ne s'agit pas de lutter... Tous ces 
    niais autour de la table, bavardent, s'ébrouent, vitupèrent... oublient dès les premières 
    paroles ce qu'ils avaient à raconter... Ils s'écoutent et ça leur suffit... Ils disent, au fond 
    n'importe quoi... Ils s'affriolent, ils se trémoussent... Ils sont là pour se dépenser... Plus 
    ils [105] cafouillent, plus ils s'excitent, plus ils se perdent... C'est très facile dans notre 
    cas avec toutes les langues... Ils se comprennent mal ou de travers... Ils se 
    comprennent mal eux-mêmes... Ils s'embrouillent dans les quiproquos... ils se 
    jaugent... ils se défient... d'un bout à l'autre du tapis... Ces effets les perdent... Ils 
    s'emballent ... Les voilà franchement qui divaguent... Ils ne se retiennent plus... Ils 
    sont venus pour discourir ... et de fort loin, le plus souvent... délégués au bavardage... 
    du Venezuela... d'Arabie... de la Nouvelle-Zemble... des Petites Comores... Les micros 
    ne sont pas faits pour les chiens... Plus ils se font vieux les délégués et plus ils 
    babillent... La vieillesse c'est tout féminin, ça se déglingue, ça se débroquille, ça se 
    débine tout en cancans... d'époumonements ils se surpassent... Ils montent de vrais 
    concours d'Asthme... La pauvre question initiale existe plus... tant bousculée par ces 
    absurdes, tiraillée, calamiteuse, elle a perdu tous contours... On sait même plus ce 
    qu'elle est devenue... On la cherche... on la retrouve pas... Les débats se poursuivent 
    quand même et d'autant plus véhéments... Y a un embouteillage terrible pour la prise 
    de la parole, ils veulent tous la garder tout le temps... Mais les délégués empêtrés qui 
    n'arrivent pas à placer un traître mot de leur discours... ils trouvent le président 
    infâme... C'est mauvais les harangues rentrées... Ils rongent leur frein dans le coin de 
    leur chaise, ils préparent les pires vacheries... des vitriols infernals pour assaillir ceux 
    qui gardent comme ça tout le crachoir... Au bout d'une heure à peu près de ces 
    effrénés jacassages, des délégués " tous contre tous ", ils savent même plus où ils se 
    trouvent ... ils ont perdu le Nord et le Sud, le sens de la porte, le large et le travers... 
    Ils savent même plus de quoi il retourne... La question elle est dans les pommes... 
    dans les gueulements, les hoquets... dans les fumées... 
    
    Haletants, fourbus, ravagés, sur les boulets, ils s'écroulent... Une sorte d'angoisse les 
    étreint... ils savent plus comment finir... Ils se cramponnent après la table... A la façon 
    que je les entends comme ils expirent rauque, à la manière qu'ils enrayent, qu'ils râlent 
    en saccades... aux bribes d'injures qui arrivent ... Je me dis : " Yubelblat, c'est le 
    moment !..." L'instant exact d'intervenir... Faut pas une seconde en retard ! pas une 
    seconde en avance ! ... Faut que ça tombe pile exactement, partir juste à " l'optimum 
    "... Alors c'est gagné ! je les délivre ! Je les affranchis d'un coup... J'organise, 
    Ferdinand, 1'" extase " ... C'est après ça qu'ils suffoquent au bout d'une heure de 
    pancrace... de cette ébullition de mots... je connais [106] le moyen de les faire jouir... 
    Je donne à tout ce bavardage une sorte d' " éjaculation "... Je l'ai toujours là dans ma 
    poche... dans un petit bout de papier... Au moment où ils en peuvent plus, où ils 
    s'étranglent de confusion, où ils implorent l'atmosphère... Je leur sors mon petit texte... 
    je déplie mon petit bout de papier, une "Résolution" ... retenez ce nom... une " 
    Résolution ". Je la glisse au président, le pire radoteur de la bande, le plus éperdu de 
    tous... Il se jette dessus, il l'agrippe, c'est écrit... Il a plus qu'à lire, ânonner... C'est 
    fait !... En entendant ce texte bien net, qui leur arrive par miracle, qui clôt si bien leurs 
    débats, les autres alors ils viennent au pied... ils se rendent ils " adoptent " !... dans 
    une allégresse ! ... éjaculant à qui mieux mieux... L'orgasme ! Ils se détendent... ils se 
    
    
    
    64 
    
    
    
    pardonnent... ils se caressent... ils se délectent... ils se congratulent... La vanité fait le 
    reste... Ils se persuadent immédiatement... qu'ils ont fini par jouir tout seuls... je ne 
    reste pas là, moi-même, je disparais, je m'efface... je les laisse à leurs effusions. Je n'ai 
    rien dit... Je n'ai rien fait... Je les,ai toujours dans ma poche... mes " résolutions " tout 
    le temps des débats... Chaque matin, je les prépare... Ce sont mes petites 
    ordonnances... Je les rédige à la maison, dans le calme même, dans mon lit, avant de 
    descendre les retrouver dans cette pagaïe... Je sais bien moi, ce que je veux, je sais 
    donc ce qu'il leur faut tous, aux délégués des cinquante peuples... Ce qu'ils sont faits 
    pour " adopter " ... Je suis là pour ça, Ferdinand, et c'est " écrit "... tout écrit, mon 
    ami... noir sur blanc à l'avance... dans ma poche... avec mon petit crayon... C'est la 
    décision, c'est l'ordre au bout du chaos. Je leur apporte leur délivrance, Ferdinand. 
    Tous ces petits verbeux, hagards, diffus, chiffonnés, ils montent au plaisir tous 
    ensemble. J'avais leur coït dans ma poche... depuis le matin... Et je n'ai rien dit, 
    Ferdinand !... pas dit un mot à ce propos. J'ai glissé le petit papier, au bon moment, 
    voilà tout !... Ce n'est pas très difficile... Ce n'est pas moi qui ai brillé... Ce n'est pas 
    moi qui ai parlé... On ne m'a presque pas vu... Je ne cause jamais, Ferdinand... Je ne 
    brille jamais, Ferdinand... Jamais... Retenez bien ceci... jamais ne briller... jamais, 
    Ferdinand... 
    
    Il faisait alors un grand effort de myope, pour me toiser sous ses carreaux... pour 
    s'apercevoir un petit peu, si vraiment je comprenais les choses. " Il faut que nous 
    passions "inaperçus", Ferdinand, comme des Jésuites, des Jésuites du monde 
    moderne... vous me comprenez, "inaperçus"... ou alors tout ira mal... vraiment très 
    mal, Ferdinand... " 
    
    [107] Considérez bien Ferdinand, n'oubliez jamais, lorsque vous examinez, que vous 
    observez de près l'allure de nos commissions, que plus vive est l'intelligence de 
    chacun des participants en particulier, plus grotesque, plus abominable sera leur grand 
    cafouillage une fois qu'ils seront réunis... Et remarquez au surplus que je les ai fait 
    venir pour l'examen d'un problème nettement de leur spécialité... qui ne leur réserve 
    forcément aucune espèce de surprise... qu'ils connaissent par cœur, à fond, sur toutes 
    les coulures... sous tous les aspects... Plus ils seront éminents, plus fantastiques seront 
    leurs bourdes... plus proliférantes, abracadabrantes, leurs conneries.... leurs méprises, 
    plus inouïes leurs absurdités... Plus vous les trouverez élevés, considérés séparément 
    dans le domaine de l'esprit, de la création, plus ineptes ils deviendront une fois qu'ils 
    seront tous ensemble... Voici une règle, un théorème, une loi de l'esprit... L'esprit 
    n'aime pas les rassemblements. 
    
    Nous possédions, à cet égard à la S. D. N. un exemple vraiment illustre, 
    cataclysmique pour mieux dire... la Commission fameuse, dite des " Courants 
    Intellectuels " pour 1' " Expansion de la Culture et des Grandes Forces Idéologiques ". 
    Rien que des Génies ! triés sur le volet... des génies prouvés, des personnes qui 
    bouleversent l'Histoire des Sciences et des Arts, toutes les techniques de l'Esprit... " 
    Regardez pourtant, Ferdinand, écoutez-moi bien ces illustres... il suffit que je leur 
    souffle, que je leur propose le moindre prémisse de dilemme... que j'agite devant leur 
    génie la plus [108] vague broutille dialectique... le plus petit hochet pratique pour 
    qu'ils se mettent à déconner... que je leur demande leur avis sur le retrait d'un seul 
    tréma, la disjonction d'une parenthèse... le projet d'achat d'un crayon... pour qu'ils se 
    mettent à divaguer ! ... pour qu'ils s'enlisent éperdument, se déroutent, s'affalent... Il 
    faut avoir bien compris, Ferdinand, bien observé de près les phases de cette 
    
    
    
    65 
    
    
    
    divaguerie cafouilleuse... Il faut que je vous affecte pendant quelque temps aux débats 
    de cette commission, à son " Compte Rendu ". 
    
    En racontant des choses semblables on a toujours l'air de se moquer... viser à l'effet.... 
    Mais les débats c'était pas le pire... La pire des épreuves pour les grands " Céphalo- 
    Bills ", c'était le moment des adieux... alors, c'était peines et douleurs... Ils savaient 
    plus comment faire ... Comment se remettre en branle, fallait pourtant qu'ils 
    retournent chez eux qu'ils se décident à reprendre le train. Quand ils avaient secoué 
    leurs marottes, saccadé, branlé leurs osselets, comme ça, pendant huit, dix séances, 
    fuite leurs derniers lécithines, ils retrouvaient plus la comprenette, ils savaient plus 
    comment se tourner, comment sortir des colloques, comment résoudre ce rébus... 
    lever la dernière séance... repartir encore un coup et puis de revenir un peu plus tard... 
    Ils savaient plus comment s'y prendre... Ils hésitaient de partout ... Ils se choquaient en 
    confusion les uns dans les autres... à travers les chaises affolés autour de la table... ils 
    faisaient des bruits de noisettes en sac... Ils se ratatinaient encore plus... Ils en 
    devenaient... vieux... vieux... vieux... C'était la débâcle des carcasses... 
    
    Sur la question de calendrier, il fallait vraiment qu'on les aide... Pour savoir la date 
    qu'ils reviendraient... qu'ils supposaient revenir... ils en auraient vomi du sang... 
    tellement ils confondaient les jours... ils s'étranglaient dans les dates... pour ne pas 
    arriver à choisir... C'était déjà un hôpital rien qu'à les regarder se débattre dans les 
    convulsions... Ils faisaient toujours grande honte aux secrétaires de service et puis 
    forcément bien pitié !... Ils avaient perdu toute couleur, ces frêles damnés, et passaient 
    du blanc au diaphane, chevrotant a perte de chicots, après tant de séances de fausses 
    luttes... Une terrible cruauté ! ... dans l'apné ils râlaient encore, tous les sphincters en 
    déroute, agoniques méticuleux... ils se maudissaient sur l'Agenda... sur les petites 
    dates en astériques... et puis à cause du mois de juin et puis encore de l'autre mois, 
    l'avril... qui n'avaient pas tous les dimanches et puis un jeudi en plus... et puis un jour 
    de congé qui tombait en travers de l'autre... 
    
    [109] La " Résolution " les sauvait là encore, au bord de la tombe... Ils s'arrachaient le 
    petit papier... On leur passait les horaires... ils savaient plus où ils allaient... Ils se 
    souvenaient plus de leurs origines, il fallait qu'on les remette en gare... Ils retrouvaient 
    l'exubérance qu'une fois sur le quai... devant les grosses locomotives... Hatchou ! 
    Hatchou !... Une autre frénésie les prenait... Ils s'amusaient comme des petits fous à 
    tous les échos... Ils imitaient les grosses machines, les départs et les grêles 
    trompettes... les sifflets... ta ! ... Ta! ... ta ! ... Ta ! ... Psiii ! 
    
    Pssiii ! ... En revoyant comme ça de la " technique ", ils reprenaient la confiance... Ils 
    faisaient amis !... amis !... bien gentiment aux voyageurs, à tout le monde autour, avec 
    leurs petites menottes... On les installait dans le wagon... bien calés, loin des portières, 
    on les recommandait aux personnes qu'étaient dans le couloir... Et puis le convoi 
    s'ébranlait... ils retournaient à leurs travaux... 
    
    [110] Quand je lui rédigeais ses longues lettres, ses délicates procédures, il me faisait 
    recommencer souvent, Yubelblat C'était sa manière... trois fois... dix fois... quinze fois 
    de suite... vingt fois, un beau jour... C'était son sadisme... à propos de la même 
    broutille, d'une finesse circonlocutoire. 
    
    
    
    66 
    
    
    
    " Trop catégorique ! Ferdinand ! Beaucoup trop catégorique ! trop aventuré !... 
    Beaucoup trop formel !... Vous nous engagez, Ferdinand ! faites attention !... 
    Enveloppez !... Enveloppez toujours ! Des propositions... oui certes, il en faut... mais 
    tout doucement... conditionnelles !... Ces précisions sont inutiles... elles intriguent... 
    ils en demanderont davantage... toujours davantage... si vous commencez... Laissez- 
    les donc... ils imagineront beaucoup mieux... ils imagineront des prodiges si vous 
    demeurez assez vague... encourageant mais discret !... un petit peu subtil ! pas trop... 
    un doute... vous me comprenez ?... Un doute... de la nuance... toujours dans la note 
    élégante, vous me comprenez ?... nous ménager les " surprises ", pour nous les " 
    surprises "... nous pourrons ainsi démentir... nous reprendre ... L'insignifiance ! 
    Ferdinand ! je vous l'ai recommandée ! ... l'Insignifiance ! ... comme les jésuites... 
    C'était son dada les jésuites, sa litanie... Toujours enveloppés, on nous redoutera... 
    vous serez craint... vous serez cru... parce qu'on supposera des choses... on 
    imaginera... Le prestige c'est le doute... Faites ça pour moi, Ferdinand. Je vous veux 
    du bien... ne m'engagez pas... Des informations... précises... pour nous... des 
    renseignements vagues pour les autres... Vous me comprenez ?... " 
    
    [II] (p. 111-120) 
    
    [III] A la fin il m'avait dressé, je rédigeais, super-malin, amphigourique comme un 
    sous-Proust, quart-Giraudoux, para-Claudel... je m'en allais circonlocutant, j'écrivais 
    en juif, en bel esprit de nos jours à la mode... dialecticulant... elliptique, fragilement 
    réticent, inerte, lycée, moulé, élégant comme toutes les belles merdes, les académies 
    Franco ngourt et les fistures des Annales... 
    
    Ça m'embarrassait forcément. Cette application, cette débauche, ça me gênait mon 
    développement... Je fus excédé un matin, je claquai la porte... Après tant d'années, 
    quand je réfléchis, c'est dans un coup d'héroisme que j'ai quitté la S. D. N. Je me suis 
    sacrifié, au fond, je suis un martyr dans mon genre... J'ai perdu un bien joli poste, pour 
    la violence et la franchise des Belles-Lettres Françaises... On me doit une 
    compensation... je sens que ça vient. 
    
    [1 12] Le monde est une Société anonyme, un Trust dont les Juifs possèdent toutes les 
    actions. Trust à filiales : La Communiste »... La Royaliste »... La Démocratique » et 
    peut-être bien La Fasciste ». 
    
    Il ne faudrait pas tout de même conclure que de servir Yubelblat ça n'apprenait pas 
    certaines choses... je parle du domaine scientifique, de la médecine appliquée, des arts 
    sanitaires et de l'hygiène... Il connaissait, le petit sagouin, tous les secrets du métier. Il 
    avait pas son pareil pour dépister l'entourloupe, pour percer les petits brouillards dans 
    les recoins d'un rapport. Il aimait pas les fariboles, fallait qu'on lui ramène des 
    chiffres... rudement positifs... de la substance contrôlable, pas des petites 
    suppositions... des conjectures aventureuses, des élégants subterfuges... des fins récits 
    miragineux... ça ne passait pas,... des chiffres d'abord ! et avant tout ! ... Les sources ! 
    ... les recettes du budget ! ... avant les dépenses !... Des faits basés sur des "espèces" ... 
    en dollars... en livres si possible... Pas des "courants d'air" ... Que ce soit de Chicago, 
    dont il s'agisse, ou de la Chine, de Papworth ou de Mauritanie... fallait pas qu'on lui en 
    raconte... Il interrompait tout de suite le narrateur... bien poliment il faut le dire... Il 
    sortait son petit crayon : 
    
    
    
    67 
    
    
    
    - Attendez, voulez-vous... je note... Combien ?... Combien vous m'avez dit ?... je ne 
    retiens pas très bien les chiffres... 
    
    Les brouillards, les- jeux de phrases... c'était pour les autres... il encaissait lui que le 
    pognon... L'Avenir, les paroles d'espérance ne lui inspiraient que méfiance... Il 
    appréciait pas beaucoup les douces promesses de l'Avenir... L'Avenir c'était pour les 
    autres, pour lui c'était du présent... du pondérable " Les phrases, l'ima[113]gination, 
    donnons tout aux délégués, Ferdinand, aux hommes politiques, aux artistes. Nous, 
    comprenez-moi, Ferdinand, si nous ne sommes pas très sérieux, alors il vaut mieux 
    disparaîtrez... nous n'y arriverons jamais... Les phrases pour les Commissions... Pour 
    nous Ferdinand, la Caisse ! " C'était vraiment raisonnable, dans la pratique, j'ai vite 
    compris... cet admirable principe... j'ai appris à lire les budgets... à ne jamais croire 
    rien sur parole... à tout de suite aller regarder au profond des comptes... refaire toutes 
    les soustractions... Forcer l'homme toujours escroc, le meilleur, le plus pur, la dupe, 
    bon de son brouillard avant qu'il vous enveloppe de même... 
    
    Maintenant, prenons un exemple, quand on vient vous raconter que l'U.R.S.S. c'est le 
    pays de la santé, des merveilles nosocomiales, des émulations éperdues, que des 
    progrès prodigieux marquent tous les pas de la médecine... Coupez court à tout ce 
    verbiage, demandez seulement ce qu'ils dépensent dans un hôpital, moyen, de ce 
    fameux U. R. S. S., pour le courant, le casuel, demandez le nombre de lits ? les 
    salaires du personnel... nourri... pas nourri... le prix du fricot... Vous laissez pas 
    égarer... le prix du linge, des médicaments en vrac, du blanchissage... du chloroforme, 
    de la lumière, de l'entretien du bazar... des mille bricoles du roulement... Ça sera bien 
    moins fatigant et cela vous révélera d'un coup mille exactitudes, que mille discours, 
    mille articles ont précisément pour but d'escamoter à vos regards... Refaites un peu 
    ces additions, considérez tout en roubles, en carotte, en margarine, en chaussures, 
    anthracite... Vous aurez des sacrées surprises... Voici du sérieux ! du solide!... Tout le 
    reste n'est que batifoles, bulles... entourloupes et mouvements de pompe... Gidisme, 
    hypothèses, poésies... 
    
    Je ne voudrais pas vous faire un cours, une petite leçon pédantique, non, non, non, 
    c'est pas mon goût... Mais enfin pour ceux qui ne savent pas il faut bien que j'éclaire 
    ma lanterne... Et puis ça vous amusera peut-être... Or, voici donc l'essentiel : Quand 
    un pays, si moche soit-il, si cave, si pauvre, si perclus qu'il se trouve, au terme de 
    queldistinguer, les reconnaître parmi les malades, elles semblaient 
    encore plus déchues, navrées, perdues, fondantes de misère que tous les malades 
    hospi- 
    
    
    
    72 
    
    
    
    [12] (p. 121-130) 
    
    [121] 
    
    talisés... Elles vacillaient toutes, littéralement entre les parois du couloir, exsangues, 
    décharnées, croulantes en guenilles... d'un bord crasseux sur l'autre. 
    
    - Combien gagnent-elles ?... 
    
    - 80 roubles par mois... (une paire de chaussures coûte 250 roubles en Russie) ... Et 
    puis, il a ajouté, en surplus (dans son tonnerre habituel), mais elles sont nourries ! 
    confrère, nourries !... 
    
    Il se bidonne ! Tout va très bien ! » qu'il vocifère. Mais le meilleur de cette visite 
    c'était pour la fin ! Les traitements gynécologiques !... la spécialité de 
    Touvabienovitch. le bouquet ! ... Un bazar, une collection, une rétrospective 
    d'instruments, d'antiquités ébréchées, tordues, grinçantes maudites... qu'on ne 
    trouverait plus qu'au Val-de-Grâce, dans les cantines et les trousses du baron Larrey, 
    avec bien du mal... Pas un broc, un trépied, une sonde, pas le moindre bistouri, la plus 
    courante pince à griffes, de cette répugnante quincaille rien qui ne date au moins des 
    Tzars... des vraies ordures, un fouillasson bien déglingué de saloperies innommables, 
    tessons rongés, sublimés, pourris de permanganate à ce point qu'aux Puces » personne 
    n'en voudrait... les rabouins refuseraient sans appel... pas la valeur du transport en 
    voiture à bras... une poubelle très décourageante... Tous les plateaux, corrodés, 
    écaillés jusqu'à l'envers... macérés... je ne parle pas du linge, des trous et de la merde... 
    
    Toutvabienovitch, dans cette zone, il était aux anges... C'était sa consultation ! le 
    moment de son art !... Retroussant ses manches, il se met en devoir aussitôt, et le voici 
    qui fonctionne ! Les culs partout se ressemblent. Les malades attendent leur tour... 
    une ribambelle pour grimper sur le chevalet. Les étudiants, un peu abrutis, un peu 
    boutonneux, un peu malveillants, comme tous les étudiants du monde prennent de la 
    graine... il s'agissait de farfouillages, de décollages des replis de grands suintements 
    du vagin... du col... de tamponnements à pleine vulve, de pressurer les Bartholins... 
    enfin la bricole ordinaire... le casuel glaireux des métrites... Toutvabienovitch s'en 
    donnait... toujours cordial... bien pétulant... haut de verbe... à son affaire 
    gaillardement. Il m'en promenait plein la vue... c'est vrai qu'il était habile... il 
    manipulait fort crânement avec une rude dextérité tous ces attirails en déroute, ces 
    annexes, ces purulences... en grande série un petit jet de permanganate et floutt ! ... Je 
    te plonge dans une autre motte la moitié du bras... en pleine fièvre il faisait rendre un 
    peu les glandes... toujours pérorant... il se secouait à peine les doigts... et floup ! 
    fonçait dans [122] la prochaine... pas une seconde de perdue... comme ça !... mains 
    nues !... velues... dégoulinantes de jus jaune... sans doigtier absolument... 
    
    Je voulais pas du tout le gêner... paraître indiscret, mais quand même je voulais 
    savoir... Quand il a eu trifouillé comme ça des douzaines de vulves, j'ai fini par lui 
    demander : 
    
    
    
    Vous ne portez jamais de gants 
    
    
    
    •? 
    
    
    
    73 
    
    
    
    - Oh ! pas la peine !... pas la peine confrère ! Ici Tout va Bien ! Tout va 
    Parfaitement !... et de se gondoler... de plus en plus drôle... en pleine forme... Bien sûr 
    que c'était pas de sa faute si le caoutchouc manque en Russie... Il profitait du 
    voisinage pour regarder un petit peu dans le trou du cul... Il cherchait là aussi les 
    gonos en bringue dans le pot de lentilles, les petits replis de l'anus. Il jetait d'abord un 
    peu d'eau et un peu de vaseline alentour, et puis encore du menthol, il grattait avec ses 
    ongles... enfin une petite cuisine. Et puis tout de suite, immédiatement, il refilait dans 
    la prochaine vulve... Il s'arrêtait à l'entrée, une pression sur les Bartholins » ... Il était 
    tout à fait heureux quand ça rendait vert, un jus bien épais, bien lié... Deux, trois 
    tampons. Tout va Bien ! Confrère ! Tout va Bien !... 
    
    Mais il fallait que je me trisse... Ça pouvait pas durer toujours... On s'est quitté en 
    plein accord. Je suis repassé chez le directeur, un Juif, celui-là, bien juif... et son 
    secrétaire de même... Ils parlaient allemand tous les deux... Ils ont déplié devant moi, 
    pour mon édification, toute une série de plans splendides, des relevés... des esquisses, 
    des projections, des diagrammes, immenses, des rapports. Tout ça ayant trait à 
    l'Avenir... Un projet de construction d'un hôpital magnifique... Ça m'intéresse pas 
    l'avenir, c'est tout du mensonge... C'est l'astrologie des Juifs. Moi, ce qui me 
    passionne, c'est le présent... 
    
    De quelles ressources vous disposez pour la marche de votre hôpital ? Combien vous 
    avez de malades ?... Médecins ? personnel ?... et alités ? ambulants ?..., etc., 
    surface ?... combustible ? literie ?... » enfin les choses pondérables... qu'il faut savoir 
    pour pas baver pour pas perdre son temps... 
    
    J'aime pas assez les hôpitaux pour y passer quatre heures pour rien de ma garce de vie 
    et puis m'en retourner comme un sale con calfaté... Quand il faut s'instruire on 
    s'instruit... Quand il faut se marrer, on se marre... Tout l'un !... tout l'autre !... J'ai 
    regardé ses livres, J'ai bien tout examiné, scrupuleusement... il m'a montré les [123] 
    colonnes (les chiffres c'est les mêmes en russe). Il recevait dans cet immense, sanieux 
    taudis, à peu près 5.000 malades, bon an, mal an, alités, plus autant d'externes en 
    traitement... Je calcule qu'avec les cadres, son personnel existant, les 90 femmes de 
    ménage à demeure, les infirmières, la lumière, les transports, le prix de la nourriture, 
    des médicaments, etc., etc., c'était besoin au minimum d'un budget de 12 à 16 
    millions de roubles pour étaler tant bien que mal... Pour qu'un tel hôpital fonctionne 
    dans des conditions à peu près décentes... ne demeure pas, comme je le trouvai, une 
    sorte de morgue en veilleuse... Or cet Institut, pour tout dire, pour toute allocation, ne 
    reçoit que 2 millions de roubles annuels, soit dix fois moins que son minimum vital... 
    Et certes, je me garde de comparer les choses de Russie aux conditions Scandinaves, 
    aux hôpitaux de Copenhague. Je me réfère tout simplement à quelque standard très 
    médiocre, au standard français pour mieux dire. Un Standard pour besogneux » 
    
    Mais, sur ce plan, nous demeurons encore très loin de compte... 
    
    Toutes les organisations administratives russes souffrent, sont accablées, condamnées 
    à la même grotesque pénurie, aux mêmes similaires balivernes en hommes, en 
    matières, en fonds »... Toutes, sauf les théâtres, la police, les militaires, les 
    commissaires, la Propagande... à la même mégoterie crasseuse, à la même contraction 
    au 1/1 0e du budget normal (par normal, nous entendons quelque train- train très 
    modeste, très regardant »). 
    
    
    
    74 
    
    
    
    Mais ne vous impatientez pas, vous ne perdez rien pour attendre ! Bientôt les Russes 
    nous feront envie !... Nous serons comme eux ! Et puis encore bien plus bas qu'eux ! . 
    Ce qui paraît invraisemblable ! plus bas que les Russes !... Nous l'aurons leur 
    maladie ! la maladie russe ! nous l'avons déjà ! On nous ramassera dans la rue. 
    
    [124] 
    
    
    
    Le Mensonge n'est pas seulement un moyen qu'il est permis d'employer, mais c'est le 
    
    moyen le plus éprouvé de la lutte bolchevique. 
    
    Lénine. 
    
    
    
    Il faut apprendre, sous peine de demeurer plus sot, plus opaque, plus crédule qu'un 
    veau dans sa première semaine, à repérer la marque, la trace, l'emprise, l'initiative des 
    Juifs, dans tous les chambardements du monde, où qu'ils s'effectuent... en Europe, en 
    Amérique, en Asie... en n'importe quel lieu où se préparent les hécatombes, la 
    destruction systématique, acharnée, des esprits et des viandes aryennes... Il faut 
    apprendre à déceler dans la pratique quotidienne, la couleur et le ton, la jactance, de 
    l'impérialisme juif, de la propagande juive (ou franc-maçonne), il faut apprendre à 
    percer, déterminer, au fond de toutes les ombres, à travers tous ces dédales 
    phrasoui Heurs, entre les trames de toutes les calamités, derrière toutes les grimaces, 
    l'universel mensonge, l'implacable mégalomanie conquérante juive... ses tartuferies, 
    son racisme, tantôt larvaire, tantôt arrogant, tantôt délirant. Son imposture, l'énorme 
    armement de cette cosmique permanente apocalypse. 
    
    Il faut renifler le diable de très loin... dans tous les coins, à travers le monde... entre 
    les minces paragraphes de n'importe quel apparemment innocent quotidien... (droite 
    ou gauche), ce petit coup de pouce, furtif... appuyé ... signalétique... l'épithète 
    favorable... louangeuse... la mise en valeur, franchement publicitaire... le dénigrement 
    soi-disant impartial... Rien n'est indifférent au Triomphe juif... L'addition opportune et 
    même hors de Propos d'un décigramme, d'une demi-teinte de louange... pour le succès 
    de la moindre présentation » youtre compte... Les facéties de [125] n'importe quel 
    Juif, du plus insignifiant peintre juif, pianiste juif, banquier juif, vedette juive, filou 
    juif, auteur juif, livre de juif, pièce juive, chanson juive... viennent ajouter quand 
    même toujours, une petite pierre, un atome vibrant, à l'édification de notre prison, 
    notre prison pour aryens, directeurs juifs... A la perfection de la Tyrannie juive, rien 
    n'est perdu, si tout fait ventre », tout fait juif ». Cette colonisation interne s'opère en 
    douceur ou par force, au beau milieu des intérêts, des rythmes juifs du moment ...En 
    France, cette mainmise s'entoure encore d'un peu de gant, pas pour longtemps, bientôt 
    les cartes seront abattues, ceux qui ne seront pas d'avis seront égorgés (ils le sont déjà) 
    et le juif apparaîtra aux regards admiratifs du cheptel prosterné, comme il faut ! 
    campé, implacable, le knout au poing... Déjà, par un effet du hasard, nos journalistes, 
    speakers, auteurs, cinéastes, ne trouvent plus rien d'admirable à travers le présent, le 
    passé, l'Histoire et l'Avenir, dans les arts, gazettes politiques, finances, sciences, que 
    du Juif... les efforts juifs, les succès juifs, des projets de juifs ou d'enjuivés (Voir 
    Montaigne, Racine, Stendhal, Zola. Cézanne, Maupassant, Modi, Prout-Proust, etc.). 
    
    
    
    75 
    
    
    
    L'Exposition 37 nous apporte à ce propos une magnifique démonstration, écrasante, 
    de cette furie colonisatrice juive, de moins en moins soucieuse des ressentiments et 
    des réactions indigènes, plus avérée, plus clamoreuse chaque jour, à mesure que 
    l'indigène plus soumis, rampe plus gluant, plus lâche. Ce fanatisme traîtreusement 
    étrangleur va bientôt délirer... Ainsi cette asperge de la Paix, plantée, monumentale, 
    en plein Trocadéro... Qu'en dites-vous ? Avec son immense étoile juive en buisson au 
    sommet (Etoile du Roi David, étoile des synagogues)... Que vous apprend-elle ? ... 
    Ceci : Français ! les Juifs, à partir de ce moment, vous enculent tous ! Comme ils 
    veulent, où ils veulent ! quand ils veulent !... Ce long gode pourri, consacre leur 
    triomphe ! Qu'on se le répète ! Foules ! Pour la paix juive, vous irez demain porter vos 
    tripes aux quatre coins du monde... C'est ainsi cuit ! A genoux peuple !... et silence !... 
    Tendez vos fesses, en attendant de nouveaux ordres et passez la monnaie... 
    
    Avant de quitter le ghetto triomphal 37, profitant de l'occasion, passez donc jeter un 
    coup d'œil aux stands littéraires si vantés... Même salade engluante, même supercherie 
    tendancieuse. Examinez d'un peu plus près tout le tarabiscotage de pancartes 
    pieusement explicatives, ces précautionneuses références, ces ellip[126]tiques 
    schémas... Que veulent-ils nous apprendre ? Nous faire admettre séance tenante, 
    avouer, proclamer ? désormais ceci et au garde-à-vous : Décision de nos maîtres : 
    Ministres ! ci-devant artistes, critiques juifs, leur décision lentement mijotée! 
    préméditée ! conçue ! amenée officielle ! A savoir : Qu'il est bien prouvé, bien net, 
    tout classique, à partir de ce jour que l'enculailleur irrésolu poitrineux Prout-Proust, la 
    Miche juive aux Camélias » prendra le même rang d'éminence en tout et partout, dans 
    les manuels et les esprits qu'Honoré de Balzac !... Sonnez clairon ! » C'est brandi ! 
    C'est triomphal ! C'est à prendre ou se la tordre ! comme je vous l'affirme ! ... 
    Maintenant voulez-vous entendre une autre musique ? un autre son de trompette un 
    peu plus sérieux ?... d'accord ! veuillez écouter dans ce cas Mr. Hoare Belisha, Juif, 
    Ministre de la Guerre d'Angleterre. Il nous exprime sa confiance, son bel 
    enthousiasme, au retour des manœuvres françaises... son émerveillement, pour la 
    tenue, la résistance aux pires fatigues, l'allure magnifiquement martiale de nos petits 
    pioupious... Harangue de Ben Hoare Belisha : Je suis à présent convaincu que l'armée 
    française est la première armée du monde ! qu'elle saura en tout et partout faire front, 
    s'opposer victorieusement à toutes tentatives d'invasion !... Notre frontière est sur le 
    Rhin ! » C'est net, c'est gracieux. Bien traduit du juif en français, cela signifie : Bidart 
    ! Norbert ! Lacassagne ! Miraillet ! Lendormi ! à vos boyaux ! mes petits potes !... 
    Brutes ! Et très prochainement ! Tâchez de pas faire les zigotos ! de bien franchement 
    vous faire ouvrir ! de vous élancer dans les fils !... Oui ! Comme autant de vendus que 
    vous êtes !... Que vos viandes servent à quelque chose !... Il est temps ! Que ça 
    préserve joliment bien, la prospérité, le bonheur des Iles judéo-britannique ! vos os 
    feront des belles barrières pour nos splendides jardins anglais... Vous êtes donc pas 
    tous jubilants ?... Merde ! A quoi que vous voulez servir ? Taratboum ! Di ! yié ! By 
    gosh ! Vive le Roi ! Vivent les Lloyds ! Vive Tahure ! Vive la Cité ! Vive Madame 
    Simpson ! Vive la Bible ! Bordel de dieu ! le Monde est un lupanar juif ! 
    
    
    
    76 
    
    
    
    [127] 
    
    
    
    Les quinze millions de juifs enculeront les cinq cent millions d'Aryens. 
    
    
    
    En France, le petit peuple, celui qui va écoper qui va garnir toutes les tranchées, il 
    connaît pas beaucoup les Juifs, il les reconnaît pas dans la masse... Il ne sait même pas 
    où ils se trouvent... les gueules qu'ils ont, qu'ils peuvent avoir, leurs manières... 
    D'abord, ils sont tous camouflés, travestis, caméléons, les Juifs, ils changent de noms 
    comme de frontières, ils se font appeler tantôt bretons, auvergnats, corses, l'autre fois 
    Turandots, Durandards, Cassoulets... n'importe quoi... qui donne le change, qui sonne 
    trompeur... 
    
    Dans la bande, c'est les Meyers, Jacobs, Lévys qui sont encore les moins dangereux, 
    les moins traîtres. Il faut se donner un peu de mal, pour s'y reconnaître dans les Juifs, 
    le peuple il aime pas se donner de mal. Pour le peuple un Juif c'est un homme comme 
    un autre »... ça lui suffit 100 pour 100 comme explication... Les caractères physiques, 
    moraux du Juif, son arsenal infini de ruses, de cautèles, de flagorneries, son avidité 
    délirante... sa traîtrise prodigieuse.. .son racisme implacable... son pouvoir inouï de 
    mensonge, absolument spontané, monstrueux de culot... l'Aryen les encaisse en toutes 
    occasions... en plein, les subit, s'en dissout, s'en effondre, en crève sans se demander 
    un seul petit instant tout ce qui lui arrive... ce qui se passe ?... quelle étrange 
    musique ?... Il crève comme il a vécu, jamais détrompé, cocu jusqu'aux tripes. Il 
    fonctionne entièrement et de toute sa viande... esprit et carcasse pour la prospérité, la 
    gloire de son parasite le plus intraitable, le plus vorace, le plus dissolvant : le Juif ! et 
    ne s'en aperçoit [128] jamais ; sur vingt sous que nous dépensons, quinze vont aux 
    financiers juifs. Même la charogne de l'Aryen, ça sert encore et toujours la gloire du 
    Juif, sa propagande. Il n'existe dans la nature que quelques rares espèces d'oiseaux 
    pour se démontrer aussi peu instinctifs, aussi cons, aussi faciles à duper que ces 
    enfiotés d'Aryens... Quelques espèces, les plus niaises du règne aviaire, couvent ainsi 
    les œufs du coucou, les poussins revendicateurs » du coucou qui s'empressent, à peine 
    éclos, de virer en bas du nid tous les œufs, toute la couvée de leurs parents adoptifs ! 
    tout ce qui n'est pas coucou !... Ces espèces d'oiseaux si stupides ne reconnaissent pas 
    plus le coucou dans leur nid, que le Français ne reconnaît le Juif, en train de goinfrer, 
    saccager, carambouiller, dissoudre son propre patrimoine, même grotesque 
    insouciance, même placidité infecte, même méninge butée de sale piaf. 
    
    L'Occidental, représente la dupe idéale, toute cuite, absolument offerte aux Juifs... au 
    prismatisme juif ! à la dialectique brouillamineuse, prophétisante du Juif... son 
    verbiage socialistico-oraculo-communiste !... Quelles facettes miroitantes !... 
    Idéo logiquement l'Aryen est le cocu, l'alouette immanquable de toutes les entreprises 
    youpines... Dans n'importe quel bobard la sauce scientifico-progresso-socialisante 
    juive, l'Aryen fonce ! Il est sinoqué d'avance, frit... On ne peut plus l'arrêter ! il est 
    voué, effréné, exubérant cacatoès de tous bobards sémitiques... Il est prêt à s'en faire 
    mourir... L'Aryen admirablement préparé, notons-le, par toute son hérédité... 
    absolument racorni par toutes les sales habitudes hypermesquines du passé paysan... Il 
    
    
    
    77 
    
    
    
    fait un splendide cocu, méfiant et jobard, un passif orgueilleux » par excellence, une 
    dupe extraordinaire... 
    
    L'Aryen ne voyage jamais, il est bouzeux, provincial, ragotier de tradition, de 
    constitution, incurablement. Il ne sait rien, il ne lit rien... il parle toujours, il se grise 
    de ses propos, de ses propres paroles... Il est fat, il se croit critique... A beau mentir, 
    qui vient de loin », le juif ment mieux qu'il respire ! ... Êtes-vous youtre ?... Ah ! mais 
    voyons!... Y pensez- vous?... Je suis catalan !... voyez mon poil ! ... je suis basque ! 
    mataf ! Sorcier ! Albanais ! joueur de boules, marchand de cithares, pompier 
    nanterrois, n'importe quoi mais Juif ? fi donc ! jamais juif !... 
    
    Le peuple ne croit pas aux Juifs, il croit dur comme fer que les juifs n'existent plus. Il 
    s'agit pour lui d'une nouvelle fable malveillante, invention des nazis » buveurs de 
    sang. 
    
    [129] Son journal sa radio, son cinéma ne lui disent jamais rien des Juifs, ou bien 
    alors, s'ils abordent ce sujet scabreux c'est avec d'infinies louangeuses précautions, 
    une nuée de commentaires infiniment respectueux, bien dévotieusement admiratifs. 
    La suprêmissime intelligence, l'extraordinaire prescience politique, phénoménalement 
    bouleversante du généralissime Raba Bloum !... » c'est tout ce qu'il entend à longueur 
    de semaines et d'années aussitôt qu'il est question des Juifs... 
    
    Oser ? le Français moyen ? avouer, faire entendre, directement, qu'il n'aime pas les 
    Juifs ? le racisme juif ? la gigantesque escroquerie juive ? c'est, se faire classer 
    irrémédiablement, à l'instant même, parmi les plus infréquentables fieffés cancreux 
    tardigènes, absolument irrespirables, de l'univers ! obtus, immobiles à tout progrès, 
    opaques fonds de poubelles glaireux, navrants tessons tout enfientés de préjugés 
    raciaux puants... Rétrogrades magots, momies vicieuses, pauvres étrons racornis, 
    cloîtrés, navrés dans leur vase depuis les grands cloaques ! Dreyfus ! Enfin des choses 
    pas regardables... effroyablement monstrueuses, pas écoutables, pas pensables... 
    
    Un Juif est composé de 85% de culot et de 15 % de vide !... L'Aryen n'a aucun culot... 
    Il n'est brave qu'à la guerre... timide dans la vie... mouton... On lui fait honte ? il a 
    honte ! immédiatement!... Il a honte de sa propre race !... On lui fait croire tout ce 
    qu'on veut... C'est-à-dire tout ce que le Juif veut... Les Juifs, eux, n'ont pas honte du 
    tout de leur race juive, tout au contraire, nom de Dieu ! ... ni de la circoncision ! S'ils 
    avaient éprouvé la moindre honte d'être Juif, Il y a belle lurette, au cours des siècles, 
    qu'ils se seraient fondus dans la masse... qu'ils n'existeraient plus du tout en tant que 
    Juifs et racistes juifs... Leur juiverie n'est plus leur tare, c'est tout leur orgueil au 
    contraire, leur culot suprêmissime, leur hystérie, leur religion, leur bagout, leur raison 
    d'être, leur tyrannie, tout l'arsenal des fantastiques privilèges juifs... Seigneurs du 
    monde juif, ils entendent bien demeurer seigneurs du monde juif et puis despotes, de 
    plus en plus... Le Mythe des Races », c'est pour nous le mensonge préjudicieux ! pour 
    nous le foutre dans le cul ! que ça nous ouvre bien grandes les fesses ! pendant qu'ils 
    nous mettent et se régalent. Il faut être cul comme un Aryen pour ne pas avoir pigé 
    ces caractéristiques pourtant extrêmement évidentes, de la juiverie qui nous possède, 
    qui nous cerne, nous écrase, et nous saigne de toutes les façons possibles, 
    inimagina[130]bles... Le Juif possède le goye jusqu'à la racine des entrailles, 
    jusqu'aux vertèbres, immanquablement, sans effort, par la vanité, par la muflerie... Il 
    gagne à tous les coups. L'Aryen, si simple, si fruste, le Juif l'a rendu snob, et soi- 
    
    
    
    78 
    
    
    
    disant critique, dressé au dénigrement, à la méfiance envers ses frères de race, à la 
    destruction de ses frères de race automatiquement et jamais à la Critique » de la 
    fantasmagorie juive. L'Aryen n'est plus que le singe du Juif. Il fait des grimaces sur 
    commande. De nos jours, le goye le plus obtus, se cabre, se révolte, s'il pressent qu'il 
    pourrait peut-être conserver au fond de sa musette quelques petits préjugés de race... Il 
    s'inquiète, il s'angoisse de n'être pas suffisamment à la page, moderne, libéral, 
    international, cosy-corner, démocratique, smoking, politiquement affranchi, c'est-à- 
    dire pratiquement parlant, assez bien orienté assez profondément, tenacement, par les 
    youtres possédé, tétaré, loti, fourgué, transpiré, négrifié dans chaque poil des sourcils 
    chaque goutte de sperme, chaque morpion, de la tunique de chaque viscère à la 
    granule de son pain... de la coiffe de son calot à la douille qui va le transpercer... 
    jamais assez glué, conchié par les Juifs... pour les Juifs... S'il se montre un petit peu 
    curieux, un petit peu soupçonneux, on le rappelle vite à l'ordre, on lui enseigne 
    promptement, on lui fait tout de suite comprendre, rabâcher, pour qu'il aille répéter 
    partout (bon jobard perroquet d'Aryen) la bonne leçon : Qu'on ne peut rêver plus 
    élevé, plus éminent, plus parfait au monde qu'un savant juif ! un ministre juif une 
    vedette juive ! une chanson juive ! un peintre juif ! un metteur en scène juif ! une 
    couturière juive ! un financier juif ! un architecte juif ! un médecin juif etc. ! ... Qu'ils 
    surpassent tout ces Juifs... Ronflements de tambours ! Race élue ! suprêmement 
    douée ! suppriment, que dis-je ? effacent ! surclassent au delà de toute comparaison ! 
    réciproque ou conteste ! laissent à l'infini derrière eux, pitoyables, mineux, la 
    broutille, le rebut des castes indigènes ! ces quarterons de bafouilleurs, d'écervelés 
    aigris, moisis prétentieux, racaille puérile... embarrassants même à regarder ! 
    tellement ils sont moches à voir, honteux ces ignares rivaux, prétendant grotesques 
    hi ! hi ! h ! cannibales, cancaniers, baladins, pitres morveux et tristes, engeances 
    salement dégénérées, rebut d-âme, caste soumise à laquelle il ne faut plus jamais se 
    vanter d'avoir appartenu... Honte des Hontes ! Souillure ! ne pas avoir quelques 
    gouttes de sang juif c'est être de nos jours intouchable » plus ou moins. 
    
    Ceux qui exercent encore par-ci par-là, leur petite malice, qui 
    
    [12 bis] (p. 131-140) 
    
    [131] gardent encore un semblant d'existence, ne doivent ce sursis d'extinction qu'à la 
    grande mansuétude des pouvoirs juifs, sursis d'ailleurs à tout instant révocable... S'il 
    se tient peinard, bien soumis, s'il ne sort pas de ses bleds, du fond de ses campagnes, 
    ce "minimisé", fragile rebut, "spécimen intellectuel blanc", on ne lui dira pas 
    grand'chose : maître d'école, rebouteux, garde champêtre, garde mobile, barbouilleur, 
    tâcheron... On le laissera peut-être encore un peu respirer... Mais s'il devient 
    prétentieux, s'il parle de se rendre en ville, alors Tudieu ! malheur à lui ! ... Tant pis 
    pour lui ! ... L'écrasement ! ... Larve ! ... Dans un monde juif, le "blanc" ne peut être 
    que manuel ou soldat, rien de plus... L'intellectuel, l'artiste, le "chef" doit être Juif, 
    toujours. La sélection est bien >faite, le barrage fonctionne admirablement, 
    impitoyablement... Tous les journaux de droite, ou de gauche, sont tous si 
    parfaitement enjuivés, tellement tributaires des juifs, que s'ils pipaient d'un traître mot 
    sur ce qui se passe véritablement dans les commandes de notre pays colonial, dans le 
    fond de nos affaires, il ne leur resterait pas une syllabe, pas un caractère pour la mise 
    en page, du jour au lendemain. 
    
    
    
    79 
    
    
    
    S'il subsiste encore par-ci, par-là, dans les fonds de quelque crevasse, quelques 
    possibles antisémites, miraculeusement entêtés, ces épouvantails doivent faire rire, 
    c'est leur rôle, par leurs propos incongrus, leurs boutades, leurs nasardes, leurs 
    gesticulations parfaitement vaines. Aux masses agenouillées, démontrer plus 
    évidemment encore par leurs farces mutines, rieurs pseudo-révoltes tout le grotesque, 
    toute la fatuité, l'écœurante sottise de tels sporadiques, burlesques entreprises. Divertir 
    le peuple, le faire s'esbaudir aux dépens de pareilles clowneries ! C'est parfait. Depuis 
    l'affaire Dreyfus la cause est enterrée, la France appartient aux Juifs, corps, biens et 
    âmes, aux Juifs internationaux. Ils le sont tous. - La France est une colonie du pouvoir 
    juif international, toute velléité de chouannerie est condamnée d'avance à la faillite 
    honteuse... La France matérialisée, rationalisée, parfaitement muflisée, parfaitement 
    subjuguée, par la bassesse juive, alcoolisée jusqu'aux moelles, mesquinement 
    resquilleuse, vénale, absolument stérilisée de tout lyrisme, malthusienne par surcroît, 
    est vouée à la destruction, au massacre enthousiaste par les Juifs. Tout soulèvement ne 
    peut que rapidement être circonscrit, se liquider par l'écrasement des rebelles et 
    provoquer le déclenchement des pires représailles... 
    
    [132] tout un appareil de sévices et de servitudes encore plus cruel, Plus méticuleux, 
    punitif. C'est tout... 
    
    Les Français n'ont plus d'âme, un cancer leur a bouffé l'âme, un cancer de muflerie, 
    une tumeur maligne, mais ils sont encore plus obtus, plus raccornis que mufles et 
    malins. Toute tentative anti-juive, ravive instantanément le prurit juif, qui lui ne 
    s'endort jamais... la grande propagande juive "au martyr juif" pour la cause jamais 
    complètement, suffisamment couronnée, triomphante d'Israël... Jusqu'à la fin des âges 
    le Juif nous crucifiera pour venger son prépuce. C'est écrit... C'est gai !... Toute 
    campagne anti-youtre justifie par réplique immédiate, le rassemblement de mille 
    congrès encore plus surchauffés de revendications juives, dégoulinants de fiévreuses 
    pleurnicheries juives, l'envol de cent mille autres pétitions, enfin tout le hurlement, 
    sarabande, empapaoutage, terriblement, tous les jeux d'orgue sursoufflés de l'éternelle 
    jérémiade juive... les vrombissants anathèmes juifs. Rien n'est assez bas, assez 
    infamant dès lors, pour dépeindre au monde indigné toute la monstruosité de ces 
    rarissimes effrontés, ces phénomènes, ces rebelles d'animaux aryens qui ne peuvent 
    déglutir, digérer, encaisser, se résoudre, au culot diabolique, à la myriade de 
    saloperies cataclysmiques juives. - Vampires des cavernes ! Cromagnons salaces ! 
    Valets de cirque ! Pourchasseurs de martyrs ! Deiblers de la détresse humaine! Bêtes 
    délirantes assoiffées du sang démocratique ! Sous-fascistes lépreux ! tout le fracas 
    d'apocalypse s'empare à l'instant de l'univers ! pulvérise les microphones, déferle à 
    travers tout l'écho, toutes les ondes ! assourdit, écrabouille, vaporise toute objection 
    possible... Inutile ! miteux ! vous ne serez jamais entendu !... Vous pouvez crever ! 
    L'infernal battage juif à la persécution domine, éteint, efface, de si haut, d'un tel 
    écrasement, toute vérité, toute réalité, que toute tentative de redressement est 
    absolument risible... Le dégueulasse, infini chantage juif ahurit à ce point la terre 
    entière, depuis tellement de siècles, qu'on ne peut plus du tout s'entendre... la grande 
    confusion de toutes les valeurs, le cosmique carambouillage, vient de là, de l'universel 
    tam-tam des youtres, escrocs, pervers, fracasseurs et stériles... Les sentiments les plus 
    nobles, les plus purs et sans doute les plus précieux aux sociétés humaines... pitié, 
    amicale affection, loyauté, estime, scrupules d'authenticité, vérité, confiance, ont été 
    au cours des âges tellement souvent, par tous les Juifs, cabotinisés, abusés, agiotes, 
    bafoués, escroqués, violés, vendus, survendus de cent mille [133] manières, qu'ils ont 
    
    
    
    80 
    
    
    
    perdu tout cours, toute valeur, tout crédit d'échange. Absolument suspects, désormais, 
    ces anciens sentiments ne sont plus aux yeux du monde qu'autant de piteuses ou 
    burlesques supercheries, dissimulant à coup certain quelque espèce d'immonde 
    intention, quelque nouvelle canaillerie, manigance criminelle. Mais en dépit de tant 
    d'expériences le coup du Juif "traqué", "martyr", prend encore toujours, 
    immanquablement, sur ce con de cocu d'Aryen. La petite histoire lamentable du 
    persécuté juif, la jérémiade juive, le "Chaplinisme" le fait toujours mouiller. 
    Infaillible L.Les siens s'ils viennent se plaindre un peu, ses propres frères de race, de 
    quelque malheur bien aryen, comment qu'il les envoie rebondir ! Il les exècre 
    immédiatement pour leurs plaintes, pour cela même, il les juge au plus sévère... il les 
    hait pour leur culot, leur vue, leur astuce... Seuls les malheurs de Juifs le touchent à 
    coup sur ! Le récit de ces "horreurs" le trouve sans méfiance, sans résistance, sans 
    scepticisme. Il avale tout. Les malheurs juifs font partie de la légende... la seule 
    légende d'ailleurs à laquelle croit encore l'Aryen... Suprême miracle ! ... Quand le 
    volé, le pillard juif hurle au secours, la poire aryenne sursaute d'emblée... blète... 
    chute... Dégustation !.. .C'est ainsi que les Juifs possèdent toute la richesse, tout l'or du 
    monde. L'agresseur hurle qu'on l'égorgé ! Le truc est vieux comme Moïse... Il 
    fonctionne toujours... C'est sûrement un Juif pris la main dans le sac, qui nous a valu 
    le Déluge, tous les Déluges. Le Juif fait noyer tout le monde, lui saute dans l'Arche et 
    sauve sa peau. Le peuple ne voit pas ses Juifs, pas plus qu'à la guerre les troupiers ne 
    fréquentent les généraux. Et pourtant ce sont bien eux, les généraux, qui les font 
    monter à la pipe, les généraux "pour des Juifs", instruments eux-même des juifs... Ce 
    sont les juifs qui possèdent tout l'or du monde. Sans or pas de guerre. Le peuple ? ses 
    tripes sont déjà percluses, grevées de milliards d'hypothèques, tous les abatis du 
    peuple sont numérotés, promis, jurés, solennel ! à tous les Juifs de la terre, banquiers, 
    courtiers, Commissaires, de New- York à Helsingford, de Pernambouc à Moscou... 
    fourgués, dépiautés, supputés, suppliciés, agiotes, intégralement ! tous à l'avance et 
    "sur pied" ... pour l'immense tuerie prochaine... Comme je vous le dis... Et pour faire 
    mieux valser les choses, on fera donner toute la musique !... l'Impulsion, la bonne 
    cadence... Celle qui semble au mieux provoquer, pimenter, inciter le fond de la 
    viande... précipiter dans la horde le terrible Instinct de Mort... [134] les "Chevaux de 
    bois" de la grande boucherie... L'air communiste, par exemple, la grande fanfare des 
    délire? juifs ! ... Elle est à la mode présente... de la Mort présente... Le principal c'est 
    que ça tourne... que ça bondisse et que ça ronfle... Que les affaires ne traînent pas, se 
    déplacent, que le monde sursaute, que les Etats culbutent, que les inflations 
    s'avalanchent..., Le Juif tient toutes les ficelles, loges, banques, Etats, commandes, 
    opinions, musiques, il fera débiter les Aryens en tranches, en boisseaux, à la sauce 
    mitraille le jour qu'il aura choisi, leÔ jour où ça lui fera plaisir, à l'heure H ! vite !... 
    
    Il est temps, je crois, Aryens, de faire votre prière, de bien avouer que vous êtes tous 
    condamnés, victimes heureuses, consentantes, parfaitement exaucées, bien pourvues 
    transies et reconnaissantes... "Mon cher youtre, mon cher tyran, culotté !" Allons tous 
    ensemble ! "je vous implore! montrez-vous! mon atroce cher cruel maître ! Daignez ! 
    ô mon chéri monstre ! trop discret crucificateur ! trop rare à mes yeux ! je vous 
    adore ! Exaucez tous mes vœux! Vous me faites languir ! vous me voyez éploré ! 
    transi de bonheur à la pensée que je vais enfin souffrir encore bien davantage... plus 
    profondément que jamais ... Moi qui vous ai tout donné déjà ! Tout ce que j'ai 
    possédé ! Toute ma terre ! Tous mes enfants ! Il me reste cependant encore quelques 
    bols de sang dans les veines ! je veux qu'on m'écorche tout vif ... pour vous ! Vous 
    verrez mon sang couler pour vous ! tout pour vous ! féconder votre terre, ô mon Juif 
    
    
    
    81 
    
    
    
    adorable !... Daignez _! daignez ! je vous adjure ! si vous êtes bon comme on le 
    prétend, comme on l'assure... de tous côtés, alors, égorger nous, vous-même, ô mon 
    Juif ! Egorgez-moi, les yeux grands ouverts ! O votre divine cruauté ! Vous tous, vous 
    voir enfin tous ! tous rassemblés, réjouis ! mes impitoyables bourreaux ! Tous ! Vous 
    voir tous rayonnants une suprême fois. Et puis mourir pour vous ! Sous votre couteau 
    enfin... " 
    
    Voici la bonne prière du veau, bien parfait, le veau le plus con du monde ! de tous les 
    abattoirs du monde ! de tous les sacrifiés du monde ! le veau le mieux dressé de 
    l'univers ! celui qui beugle ! qui galope après son boucher pour le supplier qu'il 
    l'égorgé. 
    
    [135] Soyons accommodants. Etablissons un compromis. 
    
    Mais tout d'abord, comment faut-il les appeler. Rien n'est plus délicat... Sa Grâce 
    Madame Edouard, la juive, presque reine ? ... et lui ?... Monsieur Simpson VIII ?... On 
    ne sait plus... Toujours cette question d'identifier les Juifs, maçons et enjuivés... Je me 
    demande si un numéro d'ordre dans chaque profession ne ferait pas mieux l'affaire ?... 
    un matricule par exemple, ainsi tout simplement... Monsieur le Cinéaste 350. Inutile 
    d'ajouter juif, tout le monde comprendra... Monsieur le grand peintre 792... Monsieur 
    le virtuose admirable 1617 ? 
    
    - Oh ! comment trouvez-vous cette jolie chanteuse folkloriste ? 
    
    - Mais c'est la petite 1 873 ! Je la reconnais parfaitement ! Quel piquant ! quelle 
    allure ! quels pieds ! ... quel brio ! Mais ne passait-elle pas jeudi dernier à l'X.Y.Z. ? 
    
    Je l'applaudis en connaissance de cause... 
    
    - De qui cet émouvant article ? 
    
    - Mais du grand journaliste 7735 ... Tiens ! tiens ! relisons de plus près. 
    
    Ainsi plus d'équivoque, plus de faux-blases, de noms qui dissimulent... Des 
    matricules !.. 
    
    - De qui ce joli pavillon tellement bien doré ?... 
    
    - Mais de l'illustre architecte 1871 ! Ah ! Ah ! combien ? ... 
    
    - Et lette délégation splendide, qui s'en va représenter la France aux fêtes 
    d'Amérique ?... 
    
    [136] - Mais voyons, comme d'habitude, Messieurs et Dames les grands 
    missionnaires représentatifs : 1411, 742, 635, 14 et 10357... Tout simplement. 
    
    -Pas un Durand ? ... 
    
    - Non ! Non ! Non ! mon ami ! jamais un Durand ! ou bien un Durand juif. 
    
    
    
    82 
    
    
    
    - Et ce professeur, dont on va répétant partout qu'il a tant de génie ? 
    
    - Vous ne le savez pas ?... Mais c'est l'inouï 42186 ! 
    
    - Vous m'en direz tant ! ... 
    
    On nous va rebattant les oreilles depuis des années avec ces fameuses 200 familles. 
    Encore un flan fantastique ! Il n'y a qu'une grande famille, bien plus puissante que 
    toutes les autres... la grande famille juive internationale, et leurs petits cousins " 
    maçons" ... 
    
    Puisque le grand Frédéric a renfloué ses finances par la vente de "noms" aux juifs, 
    pourquoi ne pourrions-nous pas, à notre tour gagner un peu d'or, en obligeant les Juifs 
    à nous acheter des matricules ?... Suivant l'importance... le goût... la réussite... la 
    profession du client ! en monnaie internationale bien entendu ! en shillings, en Livres, 
    100 Livres, d'après l'opulence... par unité du matricule. Les nouveaux arrivants à "six 
    chiffres" paieraient ainsi toujours bien davantage que les anciens immigrés... Justice ! 
    
    Le petit professeur, chiffonnier, ouvrier tailleur... etc., un shilling par unité. Les 
    banquiers, 100 Livres par unité. Justice... Certaines professions comme médecins, 
    avocats, surpeuplées, deviendraient hors de prix !.. d'ailleurs les matricules seraient 
    annuels, plaque annuelle, comme pour les vélos, taxe annuelle... il faut se décider ... 
    Faire quelque chose ! 
    
    [137] Adhérent du Front Commun, le salut poing fermé et levé est le "signe de croix» 
    du Juif depuis 2.000 ans. Ils le font encore dans les synagogues. 
    
    J'ai reçu un livre récemment de J.-R. Bloch, un livre sur la guerre d'Espagne, orné 
    d'une violente dédicace 
    
    "A Louis-Ferdinand Céline, 
    parce que là-bas on tue !" 
    
    Possible ! mais toujours est-il qu'on n'a pas tué, J.-R. Bloch ! Tant mieux ! Nom de 
    Dieu ! Tant mieux ! S'ils ont respecté la vie et la liberté de J.-R. Bloch, bel et bien 
    remonté d'Espagne sain et sauf ! documenté, gaillard, imprécateur, martial comme 
    général Cherfils, interventionniste à tous cris ! plus ultra, plus passionné que 
    jamais !... Veni, Vedi, Retournit, Donnit quelques conférences, fort applaudies, 
    emb rassit la Passionaria !... remontit dans bel avion, ronflit, remontit moral, revenit ! 
    ... C'est une drôle de guerre quand même la guerre d'Espagne !... On y entre, on en 
    sort comme dans un moulin... Les vraies guerres sont celles dont on ne sort pas... 
    Déjà, les "délégations parlementaires" au front ? déjà ? déjà les petites casquettes 
    "poincarillées" ? déjà ?... Petits jouisseurs, petits sadiques d'événements, frémissants 
    de vivre à fond "les heures extraordinaires" d'un monde en catastrophe... Mais en 
    artistes bien préparés, spectateurs, ne confondons pas. Tout pour le vago-tonique ! ... 
    et rien dans la culotte ! ... La race des pousse-au-crime est toujours semblable à elle- 
    même, "va-t-en-guerre" bourgeois, "pousse-au-crime" communiste, du kif 
    absolument ! comme fiente, identique ! Apôtres et stratèges de la tripe [138] d'autrui... 
    Il s'agit d'éprouver d'inédites sensations, rien de plus, rien de moins... "mieux-que- 
    cocaïne". 
    
    
    
    83 
    
    
    
    Il se peut fort bien qu'à brève échéance, les meneurs révolutionnaires soient obligés 
    d'assassiner, obligés ? de faire assassiner les personnes de l'opposition avant qu'eux- 
    mêmes on les repasse... Ceci est dans l'ordre des choses, fatal, classique... Cela 
    commence même sous nos yeux... Mais combattre, n'est-ce pas, pour le fameux idéal 
    ou sans idéal... c'est une tout autre paire de burnes... tout à fait différente... Je ne parle 
    pas d'entrer en ligne contre "le ramassis d'armée Franco", mais de combattre bel et 
    bien contre des troupes absolument régulières... Troupes régulières allemandes, par 
    exemple, et parfaitement au point, parfaitement armées... La vraie bigorne en 
    somme... Pas d'amateurisme... Alors ? ... à qui la musette ?... Répandre, éparpiller des 
    conseils, des ordres, des manifestes rageurs, stimuler le moral, émoustiller les 
    abattoirs... tout cela c'est du joujou... du frisson de la tricherie, alibibi... théâtre... 
    rodomontades ... cinéma... La seule épreuve dans les choses de l'idéal, c'est la 
    dérouillade personnelle, sans phrases, sans spectateurs, au petit matin... sortir du 
    couvert, comme un condamné à mort, amener sa viande aux "barbelés", au niveau des 
    plus hautes idées, beaucoup plus haut en fait que les plus hautes Idées... Voilà qui 
    compte... Et voici des épreuves dont on revient très rarement, par conséquent, pas très 
    "artistes", guère utilisables fructueuses... Tout ce qui est artiste doit avoir une suite, 
    une "exploitation" ... La véritable sincérité n'a jamais de suite... Le culte des héros 
    c'est le culte de la veine. 
    
    - Etes- vous d'accord ?... Avez- vous l'âme en face des trous ?... au bout de chacun de 
    vos gestes ?... oui ? Je ne crois pas... J'ai l'impression que vous voyez faux... que vous 
    vivez faux... tout en vous sonne faux ... Spectateurs [...jouisseurs ! vous êtes, vous 
    vous cherchez, vous voulez jouir ... profiter du grand triomphe juif et maçonnique... 
    vous n'entendez pas qu'il vous coûte l'existence - vous ne risquez même pas votre 
    place... Vous serez plus embusqués dans la prochaine que les bourgeois ne le furent 
    dans la précédente... Lembusquage comme la mitrailleuse a fait des progrès énormes, 
    à ce que je découvre, on se planque, on se superplanque à présent des années 
    d'avance... Je ne connais pas un apôtre qui ne soit au moins dans l'Etat-Major ... ou de 
    la super-aviation bavarde et photogénique... 
    
    Ceux qui brûlant de foi et d'apostolisme soviétique ne sont pas [139] à l'heure actuelle 
    en tranchées devant Madrid ou Saragosse, ne sont au fond que d'équivoques "petites 
    causeuses". A eux, les caves de la Culture ! les picnics aux Fausses-Reposes. 
    
    Pour la prochaine, qui se dessine, qui s'organise autour de nous, jamais on aura surpris 
    au fond de tant de cachettes et d'armoires, tant d'apôtres et de fervents bellicistes 
    planqués... Le monde est pourri, c'est un fait par le cinéma, le cabotinage... (O ces 
    charges de cavaleries légères ! ...) Le matuvuisme le plus exorbitant, le plus indécent 
    est à la base, au fond, de tous les grands mouvements d'Idées actuels, inséparable.... 
    Le monde était en 14 beaucoup plus simpliste, plus nature, plus sincère, beaucoup 
    moins ficelle, moins vicieux qu'aujourd'hui. En 37, le cabotinage, le phrasage s'étale 
    partout, domine tout, mine tout, même le peuple, hélas ! lui-même déjà très faisandé, 
    bien avancé en pourriture cabotine ... Je me souviens d'être monté en rifle avec des 
    combattants bretons. Ils ne savaient pas lire, ni écrire, brigadiers compris... Ils 
    inspiraient une confiance absolue, qui ne s'est jamais démentie ! "ac cadaver". je me 
    méfie beaucoup des soldats qui savent lire... qui vont au cinéma... Qui sait lire devant 
    le péril devient facilement raisonneur, un peu hésitant, subtil... Il se croit au cinéma, il 
    demande à voir la suite... Il n'y a pas de suite ! ... Attention !.. Il faudra dans les rangs 
    oublier le cinéma ! ... Voici qui promet beaucoup de travail à la Prévôté... Elle ne 
    
    
    
    84 
    
    
    
    chômera guère. Elle sera sur les dents derrière tous ces "spectateurs". Les pelotons 
    non plus ne chômeront pas... les recommandations non plus... 
    
    
    
    [140] 
    
    
    
    Chaque guerre, chaque révolution rapproche le moment où 
    nous atteindrons le but suprême vers lequel nous tendons... 
    
    Grand Sanhédrin, 1884. 
    
    
    
    Cette révolution s'annonce décidément comme une énorme, fanatique prise de 
    sécurité... Une adroite et gigantesque consolidation des beefsteaks acquis. 
    
    A ce propos, rien de plus démonstratif et plus allégrant que de parcourir et examiner 
    d'assez près, les longues listes de personnalités qui ornent, dont se recommandent les 
    fougueux partis, pacifistes, libérateurs, interventionnistes, affranchissants, etc.. Les 
    organisateurs de gauche lancent, à tout propos, quotidiennement, de tels documents, 
    pamphlets, etc., à travers toute la presse et les cénacles soviétophiles... Rien de plus 
    bouffon. Parcourez un peu ces listes des grands amis de l'U. R. S. S.. Tous ou à peu 
    près tous, fonctionnaires, politiciens, rentes, retraités juifs ou francs-maçons... Et 
    comment ! Tous amplement appointés, je dirai même parfaitement opulents, une 
    centaine de damnés absolument douillets, effrontément, grassement parasitaires, une 
    moyenne de 100.000 francs annuels chacun... (francs Blum). Parasites des super- 
    Etats ! Unissez-vous ! rassurez-vous autour des Grands Juifs ! 
    
    Debout les "nantis" de la Terre !... D'entre ces "gras" combien partagent un peu leurs 
    rentes avec la communauté maigre ?... Je demande ? Combien s'en iront de ces preux, 
    mourir si les choses tournent mal, aux créneaux de Madrid ?... Toc ! Toc ! Toc !... qui 
    va là ?... C'est l'ami ! l'ami de qui ? l'ami des Juifs ! l'ami du peuple ! l'ami de lui !... 
    l'ami de soi ! l'ami du sofa !... Des vrais combattants pour l'Espagne, on peut en voir 
    des quantités, 
    
    [13] (p. 141-150) 
    
    [141] il en débarque de troisième classe de n'importe quel Transatlantique, rentrant de 
    New-York. Ceux-là, en fait de combattants, ce sont des vrais, des authentiques... Ils 
    n'iront pas aux Conférences ! ils n'embrasseront pas la Passionaria. Comme tous les 
    vrais héros du monde, ils ne feront qu'un seul saut des soutes aux tranchées.... Ils ne 
    sont pas juifs !... Il ne faut pas qu'ils confondent, qu'ils se perdent dans le train ! Ils 
    sont marqués pour la pipe, ce sont des retours d'émigrants. Le Grand "Comité 
    Morgenthau, Barush, Loeb, Warburg pour l'affranchissement des peuples" leur a payé 
    un beau voyage. Ils vont connaître le fond des choses... Ils rembourseront largement... 
    Veni, Vidi, Clabotit. 
    
    [142] Denoël m'a fait remettre ces jours derniers, pour mon instruction personnelle, un 
    rapport de la "C.G.T." sur la crise du livre en France. Document pas très substantiel 
    où s'essoufflent "le pour et le contre" ... où l'on se demande à longueur de chapitre ce 
    qui va finir par se décider après tant de "chèvre et choutage". Rien du tout. Le 
    contraire nous aurait surpris... Cependant un court passage, sur ce fond, ce magma de 
    
    
    
    85 
    
    
    
    doléances tout à fait anodines, réveille tout à coup le lecteur... Allégresse ! ... 
    Passages, tout en chiffres, qui veulent eux, enfin, dire quelque chose. Je cite : 
    
    " Moyenne annuelle dépensée dans quelques pays, par habitant, par an, pour l'achat de 
    livres (seule base, de comparaison possible) 
    
    Etats-Unis: 25 francs par tête. 
    
    Allemagne: 20 francs par tête. 
    
    Grande-Bretagne: 10 francs par tête. 
    
    Belgique: 3 fr. 50 par tête. 
    
    France: fr. 50 par tête." 
    
    Voici qui nous comble! et qui vient le plus simplement du monde, révéler à nos yeux 
    toute la crudité du problème, pourquoi notre fille est muette, et comment le Français 
    se fout éperdument du livre! dans son ensemble et son particulier... Rien à chiquer, 
    noir sur blanc. Acceptons le fait pour ce qu'il vaut... Bien plus amusant que tragique... 
    aussi gaillardement qu'il est énoncé. Pas de quoi fouetter un chat... Mais par exemple 
    refusons net, pour [143] injurieuses, comme bien répugnants mensonges, les 
    explications qu'on nous propose académiquement, endormeuses, à savoir que le 
    cinéma, la radio, les sports, les périodiques, etc., etc., sont responsables de la crise... 
    empêchent les Français de lire, de se payer les bon auteurs... Culottées niaiseries, 
    foutrissures dévergondées! Les Etats-Unis, l'Angleterre, l'Allemagne possèdent dix 
    fois autant que nous autres de tous ces genres de distractions! et regardez comme ils 
    continuent à lire... 
    
    Bénin Duhamel l'endormeur, ému très mesurément, par tout le bruit qu'autour du livre 
    on mène, à travers Revues et Congrès, vient à son tour chichiter, gominer un peu la 
    sentence, troufignoliser quelques pertinents adjectifs, adverbialiser l'agonique. Il ne 
    rate pas de nous donner en cette délicate occasion encore un magnifique bouquin (les 
    critiques raffolent du mot "bouquin", cela sonne familier, mais tout de même 
    respectueusement admiratif, tendre, filial). Sur l'égrotant il s'épanche, Bénin Duhamel, 
    en deux cents pages fignolées, le voici qui se donne en tendresses moulées... s'évertue 
    en mille cursives guimauves... "Ah! mais! Ah! mais!... " qu'il se demande le Bénin 
    rien ne va plus! Quelle crise, mes empereurs! Mais on se navre à la fin!... être si peu 
    demandé! de se mourir en flanelle!... Où s'en va donc ? Où se disperse ? Je vous 
    interroge ? le petit plâtre ?... le petit pognon des clients ?... Je boude! je boude! Le 
    voilà!... où se dissipent les petits frics de nos clients, nos chers clients si mesurés, si 
    fins, si français si subtils si nuancés, etc.! etc.. " Mais Duhamel, cher illustre, vous 
    donnez pas mal à la tête! mon cher Dumouton, mais c'est bien simple, tout facile, 
    élémentaire, tout leur pognon part à la vinasse! C'est pas difficile à trouver! le petit 
    pognon des clients voyons, remettons nos lunettes, admirons un autre passage du joli 
    rapport, d'autres chiffres... "l'Alcoolisme en France" parfaitement éloquents, 
    substantiels aussi. "La France est le pays le plus fort consommateur d'alcool du 
    monde... 21 litres 300 d'alcool pur, taxé par tête d'habitant... par an... (en comptant les 
    bouilleurs de cru, ce chiffre s'élève à 26 litres par tête environ...). Les autres peuples 
    d'Europe ont tous une consommation inférieure... D'un quart, de moitié, de trois 
    
    
    
    86 
    
    
    
    quarts... 14 litres 84 Italie, 14 litres 80 Espagne, 9 litres 27 Belgique, 8 litres 87 
    Suisse, 5 litres 64 Autriche, 4 litres 89 Angleterre et Hongrie, 4 litres 52 
    Tchécoslovaquie, 3 litres 85 Allemagne, 3 litres 5 Pays-Bas, 2 litres 99 Suède, 2 litres 
    Danemark, 2 litres 77 Islande, 1 litre 81 [144] Norvège. Si la consommation des 
    boissons distillées a baissé depuis la guerre d'environ 1/4 (3 litres d'alcool par habitant 
    au lieu de 4), cette diminution a été compensée largement par une augmentation de la 
    consommation du vin, qui était avant 1900, environ 35 millions d'hectolitres annuels, 
    devenue en ces dernières années environ 50 millions d'hectolitres annuels... 
    
    Il est donc inexact d'affirmer que l'alcoolisme diminue en France, au contraire, il 
    progresse, mais il est aujourd'hui produit plus souvent qu'autrefois par les boissons 
    fermentées... La répartition, l'habitude de boire a gagné les milieux féminins, certaines 
    habitudes alcooliques sont devenues particulièrement tyranniques, par exemple, celle 
    de l'apéritif. (P. Rieman). 
    
    Voyez qu'en France, on sait encore se distraire... Sur la question du casse-poitrine, il 
    est donc absolument officiel, tangible, palpable, que le Français ne craint personne... 
    Il se démontre au chronomètre à plein comptoir, à la bonbonne, à la péniche, aux 
    litres, au récipient qu'on désire, l'universel champion de vinasse!... foudroyant, 
    imbattable et de très loin!... Lecteur piteux, c'est possible, mais insurpassable 
    alcoolique! Il n'est même pas question de rivaliser... Qui veut le verre ? Même 
    l'Anglais qu'on cite parfois comme un fier ivrogne, à l'épreuve, n'existe pas. Quel 
    bluff! quelle prétention! C'est bien simple, aucun nordique, aucun nègre, aucun 
    sauvage, aucun civilisé non plus n'approche et de très loin le Français, pour la 
    rapidité, la capacité de pompage vinassier. Seule la France pourrait battre ses propres 
    records de vinasse, ses descentes de picton. Ce sont d'ailleurs à peu près les seuls 
    records qu'elle puisse battre. Mais dans cette épreuve "Hors Concours", "Prima 
    Classa". Aux autres sports, de muscles, de souffle, le Français se ménage, il se 
    réserve... Il ne se montre jamais très ardent, très en train. Lui si brillant dans la vie, sur 
    les stades il ne brille plus... Que le Français haïsse la lecture ? Cela peut fort bien se 
    comprendre, se défendre et même devenir à tout prendre une aimable originalité... 
    Qu'il préfère le bavardage aux textes, la rhétorique labiale aux déchiffrages de 
    paragraphes... Et pourquoi pas ?. . Où est le mal ? Mais qu'il se démontre, sans faiblir 
    jamais, en toute occasion, où on le met en ligne, et depuis 50 ans bientôt, aussi 
    platement, infailliblement galette, infantile, en n'importe quel sport, la rigolade des 
    stades de l'univers à vrai dire, ceci pour être une originalité aussi, n'est pas moins 
    tenacement humiliant. Cette énorme, infinie quantité de vestes sportives [145] trouble 
    un peu l'assurance, la naturelle jactance du peuple français. Pour une fois devant 
    toutes ces défaites aussi régulières qu'imposantes, qu'immanquables, ses maîtres 
    ergotent un petit peu, les masses se méfient... se troublent... méditent... Mais pourquoi 
    méditer ?... La réponse est là, tout à fait éclatante, elle coule à pleins bords, si j'ose 
    dire: Vinasse!... 
    
    Ce préambule n'est pas vain, il nous met en présence d'un autre petit roi de France, 
    monarque à son tour, secondaire, suzerain, vizir fidèle du grand roi juif... vieux preux 
    lui-même, chevronné, de l'abrutissement des masses, par le zinc, le bavardage et le jus 
    de grappe à la chimie... Le Roi Bistrot, possède, lui aussi, tous les droits, par accord 
    politique absolument intangible, à l'immunité complète, au silence total, à tous les 
    encouragements, pour l'exercice de son formidable trafic d'empoisonneur et 
    d'assassin... Rien ne peut le troubler: la presse, la radio, les Préfets, l'Etat entier lui 
    
    
    
    87 
    
    
    
    sont, pour son négoce, entièrement soumis, à ses ordres, empressés, effrénés à mieux 
    le servir... Les deux lions rugissants de la publicité contemporaine au-dessus de tous 
    les autres fifres, sont Cinéma l'abrutisseur et Vinico l'empoisonneur. Effleurer les 
    abracadabrants privilèges de la vinasse, voici le seul crime en France rapidement 
    châtié... La France est entièrement vendue, foie, nerfs, cerveau, rognons aux grands 
    intérêts vinicoles. Le vin poison national!... Le bistrot souille, endort, assassine, 
    putréfie aussi sûrement la race française que l'opium a pourri, liquidé complètement la 
    race chinoise... le haschisch les Perses, la coca les Aztèques... 
    
    Le Juif, quand on lui demande de voir un petit peu ses papiers, se déclare 
    instantanément vieil auvergnat laborieux, bigouden fidèle, corse loyal, tourangeau, 
    landais, etc.. Le picrate lui aussi ne possède que des vertus, des références 
    unanimement, suprêmement favorables une bonne fois pour toutes, c'est entendu ! 
    promulgué à milliards annuels... Le pinard n'est jamais autre chose qu'inoffensif, anti- 
    rachitique, hygiénique, gaulois, digestif, antiseptique, fortifiant, carburant de 
    l'Intelligence (le peuple le plus spirituel du monde) et panacée au surplus de "longue 
    vie". Mais la mortalité française demeure malgré tout l'une des plus élevées du 
    monde... 
    
    France, 15.7 (pour 100), Angleterre, 11.7, Allemagne; 11.8, Belgique, 12, Espagne, 
    15.6, Irlande, 14.4, Grèce, 15.5, Suède, 11.2, Suisse, 12.1, Norvège, 10.2, Australie, 
    9.5, Nouvelle-Zélande, 8.2 . 
    
    A cet égard, comme à tous les égards ou presque, en dépit des [146] lourds 
    tombereaux d'écœurantes flagorneries que nous déverse à pleines colonnes poubelles 
    et chaque matin notre jolie presse démagogique, la France demeure un des pays les 
    plus arriérés du monde... Chiffres en mains. Rendons cependant justice au pinard. 
    Rien ne saurait le remplacer pour pousser les masses au crime et à la guerre, les 
    abrutir au degré voulu. L'anesthésique moral le plus complet, le plus économique 
    qu'on connaisse, c est le vin! et de première force... "Un coup de clairon! et ils 
    voleront tous aux frontières! " prétend Gutman. Il a raison Gutman, il voit juste. 
    "Ayant bu! " ajoutons! Le clairon ne suffit pas. Le cœur au ventre c'est " vin à 
    discrétion "... Le clairon cocoricant c est la musique, l'âme même du vin... 
    
    Les élections de la gauche je trouve se font encore plus au bistrot que les élections de 
    la droite, sans parti pris. Jamais les bistrots n'ont connu d'affluences comparables à 
    celle que leur vaut "les 40 heures ". Le peuple ? Jamais tant de loisirs, Jamais tant 
    picolé... Jamais les affaires de la limonade n'ont été si encourageantes, jamais les 
    grands apéritifs n'ont connu pareille prospérité. Regardez un peu leur matériel ?... 
    Quel luxe!... Un perpétuel 14 juillet... La démocratie déborde... Jamais la publicité du 
    vin (et dérivés vins cuits etc.) ne fut tellement effrontée, tellement insolente... 
    L'outrecuidance des grands nectars est à son comble... Que risquent-ils ?... Rien!... 
    Les 350.000 bistrots de France ont tout remplacé dans la vie des masses... l'église, les 
    chants, les danses populaires, les légendes, etc.. Le petit peuple, la foule la plus 
    pauvre, est amenée, drainée au zinc comme le veau à l'abreuvoir, machinalement, la 
    première station avant l'abattoir. Le peuple ne ressent plus le besoin d'autres choses 
    que de nouveaux bistrots, "plus de loisirs et plus de bistrots " . 
    
    Les bibliothèques ?... Demandez un peu, si davantage on les fréquente depuis les 40 
    heures... On lui a ôté même jusqu'à l'idée, au peuple, l'imagination, qu'il pourrait peut- 
    
    
    
    être s'évader, se "transposer" d'une autre manière qu'en se saoulant... chroniquement... 
    Le centre spirituel, le foyer d'esprit, d'attraction, la puissance, la "catalyse" du village 
    n'est plus l'église, ni le château ni la mairie même... C'est le bistrot, bel et bien... Quel 
    gain spirituel!... et dans les villes le bistrot plus le cinéma... le " complet " de 
    ahurissement moderne. Les 350.000 bistrots de France, garde-chiourmes flatteurs et 
    mielleux du petit peuple ouvrier sont 350.000 fois plus redoutables, inamovibles, 
    méticuleux que tous [147] les autres tyrans évidents, précédents, patrons, châtelains, 
    curés, bourriques... Aucune comparaison... Ils saignent et sonnent le peuple à la base... 
    Ils le livrent aux Juifs, aux généraux le peuple, moulu, roteur, titubant, dégueulasse, 
    parfaitement consentant à toutes les galères, à tous les massacres... 
    
    Qu'ont-ils entrepris ? qu'ont-ils même tenté nos immenses humanitaires? nos grands 
    frères douloureux ? Ces "infinis participants" à toutes les souffrances du peuple, pour 
    affranchir le peuple de son plus intime, son plus implacable, son plus insatiable 
    bourreau, l'alcool ?... Absolument rien du tout!... Au contraire! Ainsi que Jamais les 
    spéculateurs en Bourse, agioteurs de tous poils, en matières premières, juifs ou 
    enjuivés n'avaient connu de période semblable aussi magnifiquement fructueuse, que 
    celle que nous traversons depuis le triomphe du Front des masses, de même les 
    "grands vinicoles et distillateurs", doivent la plus merveilleuse des chandelles au 
    gouvernement "Boom Bloum" pour les miraculeuses quarante heures et 
    l'accroissement inouï des pouvoirs vinassiers des foules. 
    
    Qu'ont-ils fait, nos frémissants dissipateurs, dispersateurs de ténèbres, pour disperser 
    un petit peu tout cet alcool dont nous crevons ?... Ah! ils seraient eux-mêmes 
    dispersés bien vite par le plus vrombissant orage qui souffla jamais dans les 
    porcheries de Lucifer!... s'ils risquaient un traître mot! Qu'ont-ils tenté nos grands 
    révoltés de la grande gueule, nos mirifiques pourfendeurs de toutes les iniquités pour 
    assainir un peu la rue ?... Pour secouer même un petit peu, la plus écœurante, la plus 
    vile et la plus lâche de toutes les dictatures connues, celle des 350.000 bistrots ? tout 
    éblouissants, miroitants en pleine gloire et fortune... drainant, décimant, putréfiant, 
    avec la pleine protection de tous les pouvoirs publics, à pleins goulots tous les fameux 
    loisirs ? Toute l'étendue de ce territoire n'est plus qu'une formidable entreprise 
    d'abrutissement, un gigantesque cloaque de Juifs et de vinasse... Personne n'est au 
    courant ?... Personne ne moufte ?... Pas un simple bœuf mais un Himalaya sur la 
    langue des grands Juifs! "Commodo et incommodo "... Quelle faribole ?... Le Français 
    est livré pieds et poings liés aux grands industriels de la vinasse, juifs ou pas... La 
    Limonade est reine, si le Juif est roi... On s'en va tracasser, croisade! deux ou trois 
    malheureux bordels en province, au nom de l'hygiène générale, de la moralité 
    publique, de telles ou telles calembredaines, mais impunément à côté, on vous file 
    [148] de la folie, du crime, du gâtisme à plein comptoir, sur la longueur de quatre cent 
    mille zincs et personne ne tique! et tout le monde est bien content!... Quelles 
    saloperies d'hypocrites fumiers! 
    
    D'ailleurs tous nos youtres du grand socialisme (eux qui ne trinquent guère), se 
    montrent dans la pratique, dans la cuisine politique, solidaires à fond de toutes les 
    vinasses, ils vont ramper naturellement vers l'empereur Bibine, pour se faire avaliser, 
    voter, introniser. Précautions, hommages, et reconnaissance... Leur seconde 
    circoncision. Le Midi bavard, resquilleur et vaniteux est un excellent bled pour les 
    Juifs, absolument accueillant. L'opium du peuple ce n'est plus la religion, pauvre 
    légende aux abois, mais bien la vinasse en plein triomphe. La religion se discute, se 
    
    
    
    89 
    
    
    
    réfute, offre mille prises au ridicule mais pas la vinasse... Entre lui et le néant, le 
    Français n'a plus que le juif et la vinasse... Juifs et vinasse triomphent ensemble... 
    n'oublions jamais que 80 pour cent de l'énorme quantité d'alcool consommé en France 
    provient du vin "Le long vaing de nos pères!"... Nos pères qui ne buvaient eux, en 
    vérité, ces simples, que d'innocentes "petites bières " familiales et de naïves piquettes. 
    Jamais ils n'ont soupçonné l'existence même, ces aïeux, de nos terribles casse- 
    poitrine, de nos poisons farcis, de ces vitriols d'étiquettes, de nos Elixirs d'Asile, dont 
    on garnit, surplombe, inonde aujourd'hui comme s'il en pleuvait les guéridons et les 
    zincs du peuple souverain, sous l'œil ravi de ses grands apôtres! La Bastille ?... 
    Rigolade!... Mais regardez donc tout autour sur l'emplacement même de la Bastille... 
    tous les bistrots étalés. . Mais ils valent à eux tous cent mille Bastilles!... pour la férule 
    et l'exploitation. Le peuple souverain?... Mais depuis 93 il souveraine dans un 
    alambic! Il en est jamais sorti! Il n'en sortira jamais!... Pas une mesure, un Edit, un 
    simple arrêt, depuis ce fameux souverain jour, qui n'ait été médité, promulgué, conçu 
    à la gloire, pour la gloire, pour l'impunité, l'insolence, pour la parfaite prospérité du 
    proliférant bistrot! Nous avons tout vu, le comble! Nous avons vu un ministre, et de 
    l'Instruction Publique, pousser par circulaires formelles à la [96] consommation du vin 
    dans toutes les écoles de France!... Peur que l'on y pense un peu moins... Presser les 
    instituteurs, par très vives exhortations, à se donner entièrement dans leur classe à 
    l'éloge de la vinasse, la fabrication de plus nombreux épileptiques en somme par ordre 
    souverain. 
    
    O le gouvernement du peuple pour le peuple, par la vinasse! 
    
    [149] O l'Hydre de l'ignorance!... 
    
    Dans un pays, notons-le, où 50 % des conscrits sont éliminés, à chaque année pour 
    diverses causes rachitiques, "ajournés" tout à fait minables, par le Conseil de 
    Révision, de plus en plus indulgent, très soucieux de maintenir les effectifs et de 
    retenir le plus de monde possible sous les drapeaux... 50 % de la population française, 
    grâce au pinard, est donc ainsi tombé très nettement au rang de rebut physiologique. 
    Cette imbibition, ce massacre alcoolique de la race entière n'est d'ailleurs pas l'une des 
    moindres causes à ce fléchissement général... à cette très grande anémie, stérilité, 
    banalité, ennui, à cette carence de toute inspiration, efféminisation, rabâchage, 
    ragotage vétilleux, mesquinement vindicatif, ensemble de tares bien fâcheuses, mais 
    fort remarquables, dont semble grevée depuis bientôt cent ans, toute la production 
    intellectuelle française... Les intellectuels, après le peuple, ont perdu peu à peu toute 
    signification, toute puissance, toute entreprise, toute véritable musique... Velléitaires 
    enfermés dans une viande profondément, fatalement alcoolisée, diluée dans la 
    vinasse... Le drame habituel de la dégénérescence mentale et physique des races 
    alcooliques, condamnées. Les grands juifs du front populaire parfaitement avertis, ne 
    s'y trompent pas... Ils établissent tout naturellement leurs quartiers généraux dans les 
    grands départements viticulteurs... Ils savent bien qu'une dictature en France ne peut 
    tenir, ne peut durer que dans l'énorme imbibition, la trempette, le colossal 
    ahurissement vinassier de tous les individus, enfants compris, héréditaire... Le 
    Français est actuellement le seul être vivant sous la calotte des cieux, animal ou 
    homme, qui ne boive jamais d'eau pure... Il est tellement inverti dans ses goûts, que 
    l'eau lui paraît à présent toxique... Il s'en détourne, comme d'un poison. De quelle 
    manière les Chinois, je vous le demande, furent-ils, en définitive, absolument 
    détroussés, conquis annihilés, dissous, affalés ? Par l'opium!... Et les Peaux-Rouges ? 
    
    
    
    90 
    
    
    
    eux qui dérouillaient si splendidement tout d'abord les Yankees partout où ils les 
    rencontraient, par qui furent-ils, ces vaillants, finalement réduits en esclavage ?... par 
    le brandy!... et tous les nègres ?... tous les colonisables en général ? par le tafia!... par 
    le poison le plus populaire à l'époque de la conquête... Rien de plus malin... 
    
    Les Français subiront leur sort, ils seront mis, un jour, à la sauce vinasse... Ils le sont 
    déjà. Pas d'erreur!... Le conquérant doit être [150] sûr de ses esclaves en tous lieux, 
    toujours en mains, sordidement soumis, il doit être certain de pouvoir les lancer, au 
    jour choisi, parfaitement hébétés... dociles... jusqu' aux os... gâteux de servitude, dans 
    les plus ronflants, rugissants fours à viande... sans que jamais ils regimbent, sans 
    qu'un seul poil de ce troupeau ne se dresse d'hésitation, sans qu'il s'échappe de cette 
    horde le plus furtif soupçon de plainte... Le cheptel gravit d'ailleurs admirablement, il 
    faut le dire, tous les calvaires qu'on lui présente, il monte au crématoire fort bien, tout 
    seul, simplement stimulé par les exhortations, les hurlements de la galerie c'est 
    entendu. Ce miracle est devenu banal, il a lieu chaque jour depuis le commencement 
    des siècles, des tyrannies et des guerres... mais tout se passe encore bien mieux, bien 
    plus admirablement, plus spontanément, vertigineusement pour tout dire quand les 
    organisateurs peuvent amorcer, préparer, bercer le grand sacrifice dans les buées de 
    quelques philtres, de quelque magie pourriture chimique bien tassée, quelque solide, 
    constant, indéfectible, économique poison nervin, pour nous Français, notre vinasse... 
    Alors, c'est du plein billard! du Paradis de charnier sur terre, on gagne en tout, sur 
    tout, en surface comme en profondeur... D'un côté l'abattoir, on le pomponne et 
    l'apprête... de l'autre côté l'on distille à pleins tuyaux, muids, péniches... Les banques 
    sont heureuses, on presse, on filtre, on souque, à tout cabestan!... L'instinct fait le 
    reste... Toujours là, présent, tapi, l'instinct, immanquable, intrompable, l'instinct de 
    Mort, au fond des hommes, au fond des races qui vont disparaître, l'instinct dont on ne 
    parle jamais, qui ne parle jamais, le plus tenace, le plus solide, impeccable, l'instinct 
    muet... Lui qui n'est jamais ivre, attend, entend... Que d'affiches! que de promesses! 
    que d'euphories!... la démagogie nectarde, tonitrue, explose!... C'est la foire! le grand 
    carnaval du verbe mentir... Ecoutez ces valets de torture ce qu'ils hurlent à pleins 
    mensonges devant leurs victimes... Ils ont des mensonges plein la gueule: 
    
    "Que veut le peuple ?... Qu'exige le peuple ?... 
    
    " Du travail. Et du pain!..." 
    
    Mais non! saloperies! mais non!... Et vous le savez bien! mieux que tout autre!... Le 
    peuple il exige du loisir et de la vinasse! avant tout. Il s'achète dans une famille 
    ouvrière en France beaucoup plus de vin que de lait ou de pain... L 'alcool et le tabac 
    coûtent au peuple beaucoup plus cher que sa nourriture. Avouez-le donc pourris!.. 
    
    [14] (p. 151-160) 
    
    [151] Wendel! Wendel! Wendel! Tartuferies! Pouffantes offusqueries ! Je connais cent 
    distillateurs, cent fois plus criminels que Wendel!... qui tuent bon an, mal an, cent fois 
    plus de monde que tous les Wendel de la terre... Et leurs affaires en sont beaucoup 
    plus solides, beaucoup moins menacées que celles de Wendel!... Mais, ceux-là 
    tiennent, vous le savez bien, tous vos électeurs toutes les listes en mains, et vous 
    fermez tous vos sales gueules puantes de cabotins torves, parce que vous avez peur, 
    une trouille infernale des distillateurs vos maîtres ?... Regardez un peu leurs 
    
    
    
    91 
    
    
    
    "actions" ?... Leurs augmentations de capital!... Les avez- vous même effleurés d'un 
    commencement de rigueur ?... Pas si sots!... Ce sont les chouchous du régime, de tous 
    les régimes et de celui que vous préparez. Ils peuvent toujours, ces prétoriens du 
    poison, attendre, comme les Juifs, sous l'orme, avec leurs "permanences bistrots" en 
    toute sérénité, la fin de vos pitreries, mascarades, bouleversements fariboles,., ils 
    savent ce que vaut l'aune de toute Révolution... Ils les ont pesées toutes en muids, en 
    barriques, toutes, ils savent que sans eux, toute autorité en France s'effondrera, sans 
    recours, sans appel... Ils savent qu'on ne se passera jamais d'eux... Ce sont eux qui 
    font ramper vos électeurs aux urnes, ce sont eux qui font bouillir le sang de vos 
    soldats. Sans bistrots, vous n'êtes rien, avec les bistrots vous êtes tout. Demain, la 
    révolution faite, la "communiste", plus de bistrots que jamais sur le territoire... "La 
    France libre, titubante, dégueulasse et heureuse!..." 
    
    Aussi vains, bornés et frivoles que vous puissiez être... il est des leçons de l'Histoire 
    que l'on retient... Vous avez sûrement retenu que le Tzar a payé durement pour ses 
    derniers "Ukases", ses rescrits contre la Vodka. Ce sont ses propres édits qui l'ont fait 
    basculer le Tzar, dégringoler du trône, et finalement étriper dans la cave de Sibérie... 
    bien mieux que tous les bavardages du juif Oulianov-Lenine. Staline lui, n'est pas si 
    fou... Il laissera toujours malgré tout, quelques roubles à ses moujiks pour qu'ils 
    puissent, n'importe comment se noircir, en dépit de toutes leurs misères, bien 
    profondément la gueule. Celui d'abord, qui n'est pas de tout temps, plus ou moins 
    saoul, "entre deux vins", ne sera jamais ici, ou là-bas, qu'un pâle citoyen, pointilleux 
    con, vilain camarade et douteux soldat. C'est un homme équivoque, tout bouffi de 
    défiance, un anarchiste plein d'eau, qu'il convient de trouer. 
    
    [152] Avec la rançon que vous versez aux Juifs, à vos maîtres, banquiers 
    internationaux, demain grands commissaires du Peuple, vous auriez de quoi vivre à 
    rien faire deux jours sur trois. 
    
    Encore un effronté mensonge, un credo pour gueules vinasseuses, une culottée 
    d'infamie, "l'Internationale prolétaire"! Il n'existe en tout au monde qu'une seule vraie 
    internationale, c'est la raciale tyrannie juive, bancaire, politique absolue... Celle-là, est 
    internationale! on peut le dire! sans interruption, sans une défaillance, totale, 
    d'Hollywood, de Wall-Street la youtre, de Washington (Roosevelt n'est que 
    l'instrument cabotin des grands Juifs Morgenthau, Loeb Schiff, Hayes, Barush et 
    consorts) à Moscou, de Vancouver à Milan... Une véritable internationale, bien 
    intégrale, bien intriquée, bien inflexible, bien sinueuse, aurifiée, racleuse, 
    soupçonneuse, criminelle, angoissée, insatiable, toujours en conquête, jamais 
    assouvie, jamais lassée, jamais somnolente... L'Internationale" des Aryens, des 
    ouvriers, c'est qu'une chanson... exactement! rien qu'une chanson pour esclaves, rien 
    de plus... Il faudrait que le peuple s'arrache un jour violemment, furieusement, la mite 
    des cils pour se rendre compte que son "Internationale" de gueule, sa fameuse 
    tonitruelle, c'est encore qu'un autre bidon, un autre disque bien tordu, bien gondolé, 
    l'énorme fantastique fumisterie de ses meneurs attitrés... Encore une escroquerie de 
    youtres!... pas plus d' "Internationale" pour les "damnés de la Terre" que de beurre au 
    balcon!... L'Internationale ouvrière c'est la prestidigitation, l'imposture socio- 
    gigantesque du très grand ancêtre "Marx Brother" le premier de nom... l'Hirsute, pour 
    arnaquer les cons d'Aryens. Il a joliment [153] réussi! Aux Juifs les ors et les 
    beefsteaks, aux cons d'Aryens trique et chansons... chacun son genre... sa destinée. 
    
    
    
    92 
    
    
    
    Une clameur: l'Internationale! Une complainte d'ivrogne, une berceuse pour captifs. 
    Pas plus de fraternité ouvrière à travers ce grand monde que de Juifs en première 
    ligne... C'est même tout le contraire qui existe, c'est l'évidence même, d'un bout à 
    l'autre de la planète... Ces peuples qui se cherchent pour s'étreindre, se rejoindre par- 
    dessus les frontières maudites... empêchés qu'ils sont les malheureux de se presser 
    cœur à cœur par les méchants capitalistes... Quelle effroyable turlutaine! Quelle 
    dévergondée imposture!... Rien de plus absolument contraire à toute réalité!... Dans 
    les Congrès, mais oui! sans doute! dans les palabres et les bavures, bien sûr! à la 
    Grange-aux-Belles, ou ailleurs, certainement qu'on se fraternise! entre "délégués" bien 
    verveux, bien cossus, pas fatigués, pas empotés, qu'on gueule à s'enrouer de pareilles 
    sottises ! Cette bonne foutaise ! Qu'est-ce qu'on risque ? On trinque ! on remet ça ! on se 
    [99] promet!... et comment qu'on fustige!... à hure que veux-tu! tous les profiteurs des 
    Régimes, les iniquités, les exploiteurs, les organisants de la "Rareté" ah! ah! cette 
    bonne craque!... les gavés de par-ci... les repus féroces de cela... Mais dans la 
    pratique ? Messieurs, Mesdames ?... Une fois retournés chez eux, les mêmes, 
    exactement les mêmes vendus, comment qu'ils foncent à la police, exiger, supplier 
    qu'on renforce les restrictions, sévérise l'immigration, tourne la vis! Alors plus de 
    phrases, Messieurs, Mesdames, plus de soupirs! plus de salades!... plus de trémolos!... 
    Des réalités! des directives bien égoïstes, bien vaches, bien formelles... Sus aux 
    pouilleux!... Sus aux communistes "de fait"! A ceux qui voudraient tâter, partager 
    entre les peuples les richesses du sol!... organiser la justice, la répartition... Tous ces 
    chiens maigres, errants, renifleurs! au large! nom de Dieu! et puis à la trique! Voici le 
    concret langage des fraternisants délégués des plus opulents "trade unions" une fois 
    qu'ils ont rentrés chez eux... 
    
    Les patries existent plus! Mais les beaux "standards" d'existence, ils ont jamais tant 
    existé... Autant de pays, autant de "standards" d'existence et férocement défendus, je 
    vous prie de le croire, par ceux qui se régalent... et fébrilement enviés par ceux qui la 
    sautent... C'est la guerre profonde, permanente... sourde... inavouable... entre tous les 
    prolétariats... et non moins féroce que l'autre... entre les plus bas "standards" et puis 
    "les standards-[154]plein-la-tête"... Les standards ont des frontières et barbelées, je 
    vous l'affirme, encore plus que les Patries... Allez donc vous essayer, vous, prolétaire, 
    tourneur, coiffeur, modiste, dactylo, barbouilleur quelconque, de gagner un peu votre 
    croûte aux Etats-Unis!... en Angleterre, en Suède, en Hollande... comme ça, au flan... 
    tout nature!... de vous régaler un petit peu... d'un plus haut "standard d'existence" (de 
    marner donc un peu moins tout en se faisant payer plus), vous allez voir un petit peu, 
    comme vous allez rebondir! et séance tenante! sans discussion... éliminé à grands 
    coups de lattes, comme un effronté purulent galeux! Ah! ça sera pas beau à voir!... 
    Ah! Elle est bien morte, c'est trop triste, la fraternité ouvrière!... si elle a jamais 
    existé!... Au moment qu'on sort des formules, qu'on s'amène gueule enfarinée, naïf 
    croyant, pour déguster les fruits de la promesse, l'excellente chose fraternelle, tant 
    vantée, hurlée, la grande participation dont on parle dans tous les congrès, à tous les 
    échos du monde, alors comment qu'on se fait étendre!... C'est pas la peine d'insister! 
    Cette adorable fraternité, c'est une rhétorique, elle existe pas!... On vous fait voir, dès 
    la frontière, une de ces triques implacables, une de ces matraques "embouties fer", qui 
    vous précipite d'autor dans la niche dont vous sortez! impertinent fou!... pas de pitié! 
    pas de jérémiades!... dans la pratique des esclaves, chacun sa galère... Pas de 
    rêvasseries... Le bord où on est mieux nourri il prend pas du tout les fuyards, les 
    resquilleurs des autres chiourmes... ceux qui viennent nager le long des bonnes coques 
    comment qu'on les rebute! à grands coups de mandrins plein la fiole! qu'ils aillent au 
    
    
    
    93 
    
    
    
    fond ces saloperies! se faire gonfler!... Ah! C'est bien organisé la défense des bonnes 
    frontières démocratiques! Pas de pitié! Pas d'erreur! Pas de resquille! Les envieux! les 
    pougnasses, aux chiots! Chaque peuple pour soi!... Et au surin! à la grenade si c'est 
    utile! A la porte de chaque pays c'est écrit, bien noir sur rose... le bel accueil qui vous 
    attend tous les prolétaires du monde! "ICI C'EST COMPLET"... Voilà! c'est pesé!... 
    Allez pas vous imaginer pour vous faire une explication, que ce sont spécialement les 
    "gros", les "deux cents familles", qui refoulent les truands d'ailleurs... Mais non! mais 
    non! comprenez bien... ça leur ferait plutôt plaisir... les "exploiteurs" d'en recevoir des 
    quantités! des "peigne-cul" des autres hémisphères !... Pourquoi pas ? Ils auraient qu'à 
    y gagner... Main-d'œuvre moins coûteuse... clients plus nombreux... Pour leur gueule 
    tout bénéfice !... Ce sont [155] bel et bien pour la circonstance, dans chaque pays, les 
    prolétaires farouchement en quart, syndiqués, organisés, retranchés derrière les 
    patrons qui défendent absolument leurs abords... leur "standard" acquis leur radio, leur 
    frigidaire, leur auto leur habit-à-queue, l'espèce de luxe en somme (à crédit le plus 
    souvent) par tous les moyens de la force et de la mauvaise foi... par "l'Emigration" 
    surtout, par la police intraitable. Il faut en découdre de ces billevesées affectueuses 
    qu'on déconne à plein tube, à longueur de parlotes. N'importe quel "Trade-Union" 
    anglais, américain, danois, etc.. est infiniment plus charogne envers les travailleurs 
    "maigres" des autres pays, que tous les patrons possibles ensemble réunis... 
    implacable !... L'Hypocrisie puante de tout cet immense racolage, sentimentalo- 
    maçonnique, de cet infernal babillage à la fraternité des classes constitue bien la farce 
    la plus dégueulasse de ce dernier siècle... Tous les faits de toutes les frontières 
    contractées devant nous, prouvent absolument l'opposé, dans la pratique de la 
    "croque", la seule qui entre en ligne de compte, "ouvrièrement parlant". Jamais les 
    prolétaire "favorisés" n'ont été si fort attaches à leurs relatifs privilèges patriotiques, 
    ceux qui détiennent dans leurs frontières des richesses du sol abondantes, n'ont aucune 
    envie de partager. "La nature ne fait pas de frontières" Salut ! Elle a parfaitement doté 
    certains territoires de toutes les richesses du Monde tandis qu'elle laissait aux autres 
    pour toute fortune appréciable, des silex et du choléra. Les frontières sont venues 
    toutes seules, tout naturellement... Les hommes ils se mettent en quart terrible tant 
    qu'ils peuvent, ils y tiennent plus qu'à l'honneur, à ces bonnes richesses du sol... Ils les 
    défendent à vrai dire, comme la prunelle de leurs yeux... contre toute immixtion, 
    contre tout genre de partage avec les prolétaires des autres pays miteux, avec les 
    enfants de la malchance, qui sont pas nés sur du pétrole... Tout le reste n'est que 
    batifoles, pitreries, marxeries. Jamais on a vu, entendu, la riche "Trade-Union 
    britannique" présenter à ses "Communes" quelque jolie motion d'accueil en faveur des 
    chômeurs spécialistes belges, français, japonais, espagnols, valaques, "frères de 
    classe" dans le malheur. Jamais !... Ni les syndicats U. S. A demander qu'on débride 
    un peu les "quotas" féroces... Pas du tout ! des clous ! au contraire !... Pour les 
    prolétariats cossus, les autres n'ont qu'à se démerder ou tous crever dans leur fange... 
    ni plus ni moins... C'est mérité... C'est des ennemis... ennemis de la même [156] 
    "classe" sur la terrible question du bœuf... Catégorique ! Chacun pour soi !... 
    Galériens sans doute ! Tous ! Mais ne pas confondre galères et galères !... Celles qui 
    râlent au banc d'avirons, celles qui bondissent au mazout, les "à voiles" et les "à 
    vapeur"... Y a de la différence partout ! Des nuances capitales... Pas de transfuges... 
    Pas de stratagèmes ! Ceux qui doivent rester resteront !... C'est pas une armée du 
    Salut !... du très solide manche, plein la gueule pour celui qui comprendra pas !... 
    Seuls les Juifs, peuvent à toute heure, tout moment, pénétrer, filtrer, s'installer dans 
    tous les Etats du monde, ils jouissent en tout et partout, des mêmes privilèges 
    exactement que les citoyens romains d'autrefois à travers tout leur Empire... Les Juifs 
    
    
    
    94 
    
    
    
    sont chez eux, partout... dès lors c'est justice !... Les Juifs, "Civis devorans", n'arrêtent 
    pas de foncer, te remonter à la curée, toujours, encore, sur quelques nouvelles 
    étendues... Ils s'amènent alors par bande! tous camouflés, bien sinueux, bien souples, 
    bien avides... banquiers, Virtuoses, pèlerins, cousins, cinéastes, ministres, Puissances 
    d'équivoque... Ils sont tout de suite adoptés, adaptés, choyés, dopés, rencardés à 
    fond... chéris... Ce sont les seigneurs du monde... Rien n'est plus normal !... Ils se 
    régalent dès l'arri- [101] vée. Mais nous, les simples boulots, les frustes taquins, que 
    nos seules mains recommandent et nos petites astuces... qu'est-ce qu'on va foutre, 
    nous dans l'aventure ?... si loin de nos clochers ?... L'Aryen peut pas peser très lourd 
    aux barrières de l'immigration... On va lui faire perdre d'un coup toutes ses illusions, 
    ses "humanités" prolétaires. Il va se faire, dès la première douane sursauter, expulser, 
    propulser, dissoudre. Il aura pas jeté un regard, un premier coup d'œil sur la terre 
    promise, le rivage heureux, qu'il sera déjà déconfit, navré, mis en boîte, relancé dans 
    les fonds de cargo... Ça lui apprendra ce cave, à répéter les ritournelles, des choses 
    qu'il peu pas comprendre... Jamais les frontières, les, ports n'ont été pour les Aryens si 
    farouchement interdits, hérisses de règlements absolument exclusifs, de prescriptions 
    draconiennes, de lazarets et de bourriques... L'amende, les interrogatoires, la fouille, 
    les quarantaines dégueulasse, c'est tout pour lui... tout le brelan des humiliations 
    policières, crasseuses et prophylactiques, tous les armements de la bonne guerre 
    contre le fumier qui s'apporte, il faut le rembarrer d'emblée ! lui enlever et pour 
    toujours l'idée de revenir... de repiquer au petit truc le guérir de 1 aventure... qu'il se 
    tisse ! qu'il aille pourrir ailleurs ! C'est la loi des pays forts. Des "quotas" [157] 
    impitoyables protégeant très bien tous les Etats, où la vie est un peu moins dure, 
    contre la ruée des mendigots... le "prolétariat possesseur"... contre l'invasion des 
    affamés qui viennent geindre à ses frontières, roder autour du pot-au-feu... 
    
    Il n'est qu'en France qu'on reçoive tout... C'est-à-dire tout ce qu'entrainent derrière 
    eux, nos conquérants juifs... tous bicots, toute l'Afrique, le proche Orient, tous leurs 
    janissaires, leurs tueurs, leurs hommes de main, tous ! électeurs de plus en plus... 
    
    Evidemment, comprenons bien que le bas youtre, le fias, funichemise" qui sort tout 
    juste de son souk... du fond de son ghetto roumain, il trouve une sérieuse différence, 
    un drôle de changement quand il voit la place Pigalle... Tous ces magasins, ces 
    torrents d'ampoules, ces pyramides de bricoles, Ça lui en jette plein les mires... toutes 
    ces petites vendeuses bien suçantes ça lui plaît énormément... Il se trouve à l'instant, 
    ravi, transposés sinoqué, lui qui depuis 14 siècles, arrête pas de ruser, de tressaillir 
    d'un choléra dans l'autre, d'un typhus dans trente-six massacres, de chier du sang de 
    déroute, de toutes les steppes et les pogroms, il trouve ce pays tout ouvert, joliment, 
    follement délicieux... Faut pas s'étonner qu'il délire... qu'il se prenne rapidement pour 
    un pape... Mais nous faudrait pas qu'on déraille, qu'on déclare que c'est arrivée... La 
    réalité c'est tout autre !... 
    
    La France n'est pas un pays riche, loin de là !... C'est un pays pauvre même, un pays 
    de petite ressource, de petite économie, un pays naturellement avare et mesquin dans 
    ses entournures. Un sol qui ne peut donner ni pétrole, ni cuivre, ni coton, qui ne 
    permet en tout, pour tout, qu'une très médiocre agriculture, n'est pas un sol riche ! 
    C'est un pays au sol miteux, pour miteux... C'est un pays ou l'on doit ramer, trimer, 
    pour simplement vivre. Surtout avec l'énorme dîme que nous payons à nos parasites 
    juifs, nationaux et internationaux (les 3/4 de nos revenus, à peu près). Si les natifs 
    extravaguent, ils tardent pas à la sauter. C'est la loi des sols miteux, "regardants". C'est 
    
    
    
    95 
    
    
    
    ainsi que les choses se présentent ni plus ni moins. Il nous faut nous procurer 
    l'essentiel de notre existence, nos matières premières au dehors (sauf le vin hélas !) 
    Ces conditions économiques nous rendent parfaitement tributaires au départ des 
    étrangers... Pas plus de terre "bénie des dieux" que de sucre au balcon... Les régions 
    bénies des dieux sont l'Amérique, l'Angleterre (et colonies), les Scandinaves (à cause 
    de leur situation), la Hollande et quelques autres, dont les [158] prolétariats ipso facto 
    n'ont aucune espèce d'envie de partager leurs ressources natales avec les miteux d'ici... 
    Mieux que cela, ils nous exploitent ! et sans pitié, et comment ! derrière leurs Juifs... 
    comme un seul homme !... Ce sont des esclaves privilégiés, des captifs de la bonne 
    galère... Il ne faut jamais confondre... 
    
    Tout bon prolétaire anglais se trouve joliment heureux, "in petto", solidaire à fond des 
    Lords sur ce point, que 300 millions d'Hindous en loques et d'autres exploités 
    frimards, lui font bien plaisir, demi-animaux, demi-humains, épars au fond de 
    l'univers, fellahcieux, Incas à plumes, coolies, benibouffes, anthropogans, cafres 
    rouges, orthocudes, Karcolombèmes, tout à fait d'avis que tous ces misérables la 
    sautent, là-bas, la fument, la tortillent, la faminent, se cassent le cul tous pour lui... 
    Farfouillent les mines, taillent les rizières, ratissent les pampas, pour lui envoyer son 
    confort... Sur ça, il est impitoyable !... Egoïste, "Briton d'abord" ! Il se trouve pas du 
    tout "frère de peine...". Il a pas envie de partager ni avec moi, ni avec lui... ni avec 
    vous... Avec les "britons" seulement et ses maîtres juifs. Il trouve que la conquête des 
    faibles représente bien des avantages... C'est l'hypocrisie puritaine, vous la connaissez 
    pas encore, elle est reprise par les Syndicats et puis alors en "surbrasé"... Si vous 
    voulez vous amuser, allez donc tenter l'expérience, vous présenter un petit peu, aux 
    "Alien offices" (du latin alienus: fou) en n'importe quel port de la côte... Douvres, 
    Folkestone ou ailleurs... Allez donc vous renseigner si vous pouvez pas débarquer... 
    vous chercher à Londres un petit boulot... quelque chose un peu dans vos cordes... Si 
    vous avez jamais valsé de votre pénible existence, vous allez apprendre en moins de 
    deux... Vous serez soufflé, volatilisé dans les atmosphères tellement vous 
    provoquerez, violente, leur indignation... Kif ! pour l'Amérique, la Suède, la Hollande, 
    les ports argentins, Cuba, Canada... Honduras... etc.. Partout où on peut se démerder, 
    dans tous les coins ou c'est mangeable... on vous attend pas... 
    
    Si vous voulez du pétrole, du coton, du cuivre, prolétaire d'ici, mon ami, il faut 
    d'abord, éclairer, engraisser, un petit peu et sérieusement les copains, les prolos d'en 
    face... de l'autre côté de la frontière, les boniments humanitaires, à ce moment-là, ne 
    suffisent plus !... Il faut d'abord payer la dîme à ton frère de classe, mieux partagé que 
    ta pomme par la naissance, le sol, la chance... Il est né là-bas, sur un puits de pétrole, 
    ça compte... Et comment ! Et tant mieux pour lui ! II ne te fera jamais cadeau d'une 
    bribe du [159] gâteau qu'il croque... Il attend ta dîme... joyeusement ! Tu peux crever 
    le long de son bord, il est tout à fait insensible sur la question du partage, comme un 
    Juif, comme un patron... Il devient chauvin inflexible à partir de ce moment- là... 
    "Confort" n'a pas d'oreilles à travers le monde... Tes salades tu peux les garder !... Le 
    partage absolu de tous les biens de la terre, c'est un orchestre pour les Congrès, un 
    orphéon populaire !... Ça va pas plus loin que la musique, comme le bel hymne à 
    Degeyter... C'est tout... Dans la pratique, les frères de classe, une fois qu'ils ont 
    franchi leur douane, qu'ils sont rentrés des parlotes, qu'ils ont séché la salive, 
    deviennent parfaitement patriotes, pour t' empêcher d'être emmerdant, ils se trouveront 
    parfaitement solidaires de leur police, de leurs patrons, pour que tu restes crever 
    dehors. Même qu'ils ont de la came en rab, à ne plus savoir où la fourguer, ils 
    
    
    
    96 
    
    
    
    préfèrent qu'on la bouzille plutôt que de t'en faire cad_eau... ça leur ferait mal... 
    Textuel... Ça ferait baisser tous leurs prix, leur train de vie, leur dîme sur ta pomme, et 
    leur salle de bains. Dés lors, plus d'amis, plus de phrases ! plus de fraternité 
    galerie nne ! Chien va coucher !... Ils veulent pas de ça, nom de Dieu ! Tout mais pas 
    ça !... Effroyablement patriotes dès qu'on veut reprendre leur salle de bain... Bas les 
    pattes ...Arrière ! Hors d'ici ! sales calamités ! crassouillants, morpionneux, 
    faisandés !... Voilà comment qu'ils vous reçoivent ! Vous êtes renseignés... 
    Immensément partageux ! humanitaires certes à perte de vue, redresseurs de torts 
    infinis, tant que ça coûte pas un petit croc, pas un plus petit ressort de confort, de 
    sommier, de la super-radio... ou alors... Rien ! ils se foutent en transe, en tétanos... Y a 
    pas de quoi se frapper, vociférer au scandale, c'est humain, c'est bien naturel ! 
    Seulement il faut bien se prévenir qu'on est pays "tributaire" et c'est le cas du nôtre, 
    exactement, pour les denrées essentielles, pour les matières indispensables à la vie de 
    tous les jours, que si l'on se met à fonctionner, au petit bonheur, à crédit, à la 
    providence des oiseaux, alors c'est la fin des amours ! On peut s'attendre à un réveil, 
    qui n'est pas dans une musette quand on se laisse prendre par l'absurde, qu'on 
    outrepasse les moyens qu'on se met à flamber les réserves... qu'on pète plus haut qu'on 
    a l'oignon... La fatalité vous attend... et elle est pas du tout marrante... Ça peut devenir 
    bien étrange... Encore pire qu'on a jamais vu... se retrouver un beau matin avec ses 
    boulets si lourds, tellement pesants après les pompes qu'on est esclave de tous les 
    autres, décidément une fois pour [160] toutes... de tous les Anglais de la terre, des 
    Brésiliens, des cow-boys, de tous... et encore en plus des Juifs... Ça devient le bagne 
    infernal, ça vous fait un poids énorme... on dégringole automatiquement au rang des 
    botocudos, circonfits, yatagans, zouzous, cafres, tous les flagellés, des "Colonial 
    Governments". Toute la pouillerie des sousesclaves qui laissent leurs os un peu 
    partout, dans les déserts, les plaines, les glaces, pour que les gentlemen là-haut, 
    bourgeois aussi bien qu'ouvriers pâtissent pas trop des temps si durs, que leur saison 
    du cricket débute quand même à son heure, que la crise fasse pas trop souffrir les 
    magnifiques chiens anglais, que tous les petits chats boivent leur lait, que la saison du 
    football amène pas aux gentlemen trop de grippes et de catarrhes, que la pluie trouve à 
    qui causer... des étoffes de premier ordre, des whisky à deux cents francs le litre, des 
    dignités impériales. 
    
    [15] (p. 161-170) 
    
    [161] J'étais en train de vous entretenir de certaines choses professionnelles à propos 
    de la crise du livre... et puis je me suis interrompu... Je vais reprendre un petit peu... 
    Ça vous délassera. Le "Livre" ce n'est pas très sérieux... C'est un sujet bien 
    accessoire... un divertissement je l'espère... Tout le monde parle de "littérature". Je 
    peux bien aussi, à mon tour donner ma petite opinion... 
    
    Je me soutiens, à ce propos, d'une petite série d'articles qui m'ont semblé fort 
    marrants... dans les "Nouvelles Littéraires" (quand je veux me crisper je les achète)... 
    
    Yves Gandon, soi-disant critique, armé d'une forte brosse à reluire, passait en revue, 
    avec quel soin ! pour l'admiration des lecteurs, quelques textes les mieux choisis, de 
    quelques grands contemporains... L'astuce du commentateur, sa prouesse en tout 
    admirable, consistait à souligner tout le Charme, les fins artifices, les pertinentes 
    subtilités, tout le sortilège de ces Maîtres, leurs indicibles magies, par l'analyse 
    intuitive, très "proustageuse", de quelques textes particulièrement chargés de génie. 
    
    
    
    97 
    
    
    
    Labeur, entreprise, dévotion d'une extrême audace ! d'une périlleuse délicatesse ! Le 
    commentateur frissonnant se risquait encore plus oultre... mais alors, perlant 
    d'angoisse ! jusqu'au Saint des Saints ! jusqu'au Trésor même ! jusqu'au style ! au 
    reflet de Dieu ! jusqu'aux frémissements de la Forme chez ces Messies de la Beauté ! 
    Après quelles pieuses approches ! Quel luxe inouï de préambules !... Que de fragiles 
    pâmoisons !... Ah ! Si l'on me traitait de la sorte, comme je deviendrais impossible ! 
    Regardons-le travailler... Bientôt [162] chancelant... tout ébloui... notre guide se 
    reprend encore... défaille. Les mots viennent à lui manquer... Haletant, il nous 
    demande si nous pouvons encore le suivre... endurer tant de splendeurs... Somme- 
    nous dignes ?... Sommes-nous dignes ? Lui-même qui croyait tout connaître... il se 
    trouble à perdre les sens... Il se faisait une idée... quelque imagination confuse de 
    l'étendue, de la profondeur, des gouffres de ces styles !... Présomptueux !... Il ne 
    connaissait rien !... Les Prémices à peine !... Dans ce manoir aux mille et une 
    merveilles, tout succombant d'admiration... Gandon titube !... tout chancelant... 
    Grelotte !... Tragédie !... La Tragédie ! Ah ! l'Intrépide !... d'ornements indicibles en 
    cascades exquises... de passages sublimes en plus sublimes encore... en chutes 
    vertigineuses... ces textes de maîtrise... littéralement magiques se révèlent ruisselants 
    d'apports infinis esthétiques... de bouleversants Messages... d'inappréciables gemmes 
    spirituelles... On ne sait plus ou se prosterner davantage... Ah ! vraiment c'en est 
    trop !... Gandon, lui-même transposé cependant par la foi qui l'embrase, n'en peut 
    plus... Il se rend !... Il se donne !... Il nous adjure à son secours. Ah ! vite ! Agissons, 
    assistons ! Soutenons Gandon !... Prévenons le pire ! Devançons quelque atroce 
    dénouement... Pitié ! Détaillons ! Partageons son extase ! L'humanité le commande ! 
    Courage ! Vaillance ! Pour lui tout seul, c'est bien simple s'il insiste, s'il s'obstine ! 
    C'est la mort ! Dans les phrases ! par les phrases ! Trépassé de beauté !... de Beauté 
    phrasuleuse ! Gandon ! Ah ! 
    
    C'est trop ! Tant de perfection verbatile... pour un seul adulateur... C'est la 
    damnation !... nous suffoquons pour lui !... 
    
    O délices littéraires assassines ! O les encrières meurtrières délectations 
    phrasiformes ! A quels paroxysmes atroces ! épargnés aux vulgaires, n'entraînez-vous 
    point Purismologie ! vos meilleurs enfants ! Bienheureux frustes crottés ! Brutes 
    béates !... accroupies clans les consonances !... De cuirs en velours vous monterez au 
    ciel !... 
    
    Mais lui Gandon n'appartient pas à la race des officiants à peu-près-istes... qui 
    montent des textes en abat-jour... C'est un janséniste, Mordieu ! foutrement 
    impeccable... la tiédeur le pousserait au meurtre... Il ne veut notre salut que par 
    l'extase... et pas une extase roupilleuse... Une extase palpitante !... transfigurante !.,. 
    Ah ! de grâce, il nous exhorte... recueillez-moi là... cette nuance... ci !... au déduit de 
    cette tournure instable... Ah ! devant qu'un horrible zéphyr en disperse à jamais... 
    l'onde irisée... l'avez-vous saisie ?... Je n'y survivrai pas !... Ah ! Tenez-moi, je 
    succombe... Ah ! J'en défaille [163] cher lecteur, à ravir... Ah ! la force de cette 
    "épiphore"... à peine après cette "synthote" ah ! ah !... Je m'affole... je blêmis... 
    l'audace impayable... Ah ! comme le Maître nous transfixe ! Ah ! quel virtuose 
    miraculant... Ah ! malheur à qui ne soupire ! Et la violence ! Imaginez ! de cette 
    simple virgule ! Mais c'est le génie ! C'est le génie !... Et la faiblesse irrésistible de 
    cette chute différée ? Ah ! mordez ce trait singulier... ces deux conjonctions... qui 
    s'affrontent... Ah ! l'est-il caractéristique !... Il refait Pascal en trois mots... Racine en 
    
    
    
    98 
    
    
    
    douze !... Ah ! comme il nous prend par l'adverbe ! Ah ! le monstre ! Ah ! le divin !... 
    Ah ! Ce Gide enfin! ... Ce Maurras ! Ah ! ce Maurois ! Qu'en dirait Proust ?... Ah ! les 
    vertiges de ce Claudel ! Ah ! l'infini Giraudoux ! Ah ! Gandon ! Pourquoi ne 
    chanterais-tu pas ?... Ce serait encore, je l'assure, bien plus meilleur, bien plus 
    merveilleux !... plus amoureux !... 
    
    Voyez par ci ! Voyez par là ! 
    
    Comment trouver ceci ?... 
    
    Voyez par ci ! Voyez par là ! 
    
    Comment troooouuvez-voûs cela ? 
    
    C'est ainsi dans les Cloches de Corneville avec la musique, l'ombrelle et les 
    intonations... 
    
    Je ne voudrais pas certainement venir sur l'effort de Gandon, sur sa Messe, ses transes 
    dévotieuses, venir faire le petit malin, le fielleux athée, le petit cracheur, le vandale, le 
    dénigreur à toute force, par système et sadique plaisir... C'est pas mon genre, mon 
    intention... mais quand même je suis pas d'avis... Puisque les Lettres c'est pas bien 
    grave on peut bien dire ce qu'on en pense... Moi, dans tout ceci, qu'il admire Gandon, 
    je ne trouve pas un pet de lapin, je devrais peut-être avoir honte ! mais j'ai beau 
    m'écarquiller, les clartés ne m'arrivent pas... Je dois être bien opaque... Pour moi c'est 
    tout du "Goncourt"... me rassembler, me raidir, me pincer encore, me suspendre, je ne 
    trouve rien du tout... Dans aucun de ces gens- là, et puis non plus dans tous les autres 
    de la même vendange. Je dois être vaguement infirme. A mon sens obtus, ils se 
    ressemblent tous... farouchement dans l'insignifiance... Un petit peu plus un petit peu 
    moins de plastronnage, de cuistrerie, tortillage, de velléités, d'onanisme. C'est tout ce 
    que je peux découvrir !... Je me rends bien compte qu'ils essayent de faire des grands 
    et des petits effets, qu'ils se donnent du mal, c'est exact pour faire lever un peu la pâte 
    sur ces platitudes... mais la pâte ne lève [164] jamais... C'est un fait... qu'on a beau 
    prétendre le contraire, c'est loupé... ça flanche... ça découle... 
    
    Et plus ils se décarcassent, se malmènent la pauvre traguitte, plus ils sonnent 
    affreusement factices de tous leurs organes et tambours... Plus ils sont pénibles à 
    regarder... plus ils déconnent intimement et plus ils s'ébullitionnent de rage et de 
    haine !... qu'on s'en doute et s'en aperçoive... Ils ne peuvent plus émettre jamais que de 
    "l'informe", c'est indiqué dans les oracles du magma, de "l'inorganique"... Ils ne sont 
    plus assez vivants pour engendrer autre chose que des histoires creuses et qui ne 
    tiennent plus debout... Ce sont des grossesses nerveuses, infiniment prétentieuses, 
    autoritaires, susceptibles, délirantes, d'orgueil. L'os à moelle est devenu tout creux... 
    Ça fait encore des drôles de bruits... mais ils ne rendent plus de moelle du tout... C'est 
    de la faute à personne, et ils en veulent à tout le monde... La plus belle fille du 
    monde... Ils peuvent plus jamais aboutir... Ils ne parlent que de créations comme les 
    femmes frigides ne parlent entre elles que de sexe... à perte de vue, habilleuses, 
    idiotes vipérines, moralisantes. Ils ont jamais joui non plus, les grands artistes de nos 
    grands styles... Ce sont les plus mauvaises affaires qui passent leur temps à juger, 
    prétendre, modifier, les affaires du sexe et des arts... Ce sont les pires pelures du livre 
    qui nous font chier... interminable avec les ressources de leur style. Ils en ont 
    
    
    
    99 
    
    
    
    foutrement jamais eu de style ! ils en auront jamais aucun ! Le problème les dépasse 
    de partout. Un style c'est une émotion, d'abord avant tout, par-dessus tout... Ils ont 
    jamais eu d'émotion... donc aucune musique. Se rattrapent-ils sur l'intelligence ?... Ça 
    se verrait. 
    
    Ce n'est pas tout à fait de leur faute... à ces grands écrivains... Ils sont voués depuis 
    l'enfance, depuis le berceau à vrai dire, à l'imposture, aux prétentions, aux 
    ratiocinages, aux copies... Depuis les bancs de l'école, ils ont commencé à mentir, à 
    prétendre que ce qu'ils lisaient ils l'avaient en personne vécu... A considérer l'émotion 
    "lue", les émotions de seconde main comme leur émotion personnelle ! Tous les 
    écrivains bourgeois sont à la base des imposteurs ! escrocs d'expérience et 
    d'émotions... Ils sont partis dans la vie du pied d'imposture... ils continuent... ils ont 
    débuté dans l'existence par une imposture... l'originale planque, "Le lycée"... Ce 
    séminaire du franc-maçon, la couveuse de tous les privilèges, de toutes les tricheries, 
    de tous les symboles. Ils se sont sentis supérieurs, nobles "appelés" spéciaux, dès la 
    sixième année de leur [165] âge... Un monde émotif, toute une vie, toute la vie, sépare 
    l'école communale du lycée... Les uns sont de plain-pied, dès l'origine, dans 
    l'expérience, les autres seront toujours des farceurs... Ils n'entrent dans l'expérience 
    que plus tard, par la grande porte, en seigneurs, en imposteurs... même Vallès. Ils ont 
    fait la route en auto, les mômes de la communale, à pompes... les uns ont lu la route, 
    les autres l'ont retenue, butée, soumise pas à pas... Un homme est tout à fait achevé, 
    émotivement c'est-à-dire, vers la douzième année. Il ne fait plus ensuite que se 
    répéter, c'est le vice ! jusqu'à la mort... Sa musique est fixée une fois pour toutes... 
    dans sa viande, comme sur un film photo, la première impression... C est la première 
    impression qui compte. Enfance des petits bourgeois, enfance de parasites et de 
    mufles, sensibilités de parasites, de privilégiés sur la défensive, de jouisseurs, de petits 
    précieux, maniérés, artificiels, émotivement en luxation vicieuse jusqu'à la mort... Ils 
    n'ont jamais rien vu... ne verront jamais rien... humainement parlant... Ils ont appris 
    l'expérience dans les traductions grecques, la vie dans les versions latines et les 
    bavardages de M. Alain... Ainsi qu'une recrue mal mise en selle, montera sur les 
    couilles de travers, pendant tout le reste de son service... tous les petits produits 
    bourgeois sont loupes dès le départ, émotivement pervertis, séchés, ridés, maniérés, 
    préservés, faisandés, du départ, Renan compris... 
    
    Ils ne feront que "penser" la vie... et ne "l'éprouveront" jamais... même dans la 
    guerre... dans leur sale viande de "précieux", de sournois crâneurs... Encroûtés, 
    sclérosés, onctueux, bourgeoises, supériorisés, muffisés dès les premières 
    compositions, Ils gardent toute leur vie un balai dans le trou du cul, la pompe latine 
    sur la langue... Ils entrent dans l'enseignement secondaire, comme les petites chinoises 
    dans les brodequins rétrécis, ils en sortiront émotivement monstrueux, amputés, 
    sadiques, frigides, frivoles et retors... Ils ne comprendront plus que les tortures, que de 
    se faire passer des syntaxes, des adverbes les uns aux autres, à travers les moignons... 
    Ils n'auront jamais rien vu... Ils ne verront jamais rien... A part les tortures formalistes 
    et les scrupules rhétoriciens, ils resteront fortement bouchés, imperméables aux ondes 
    vivantes. Les parents, les maîtres, les ont voués, dès le lycée, c'est-à-dire pour toujours 
    aux simulacres d'émotion, à toutes les charades de l'esprit, aux impostures 
    sentimentales, aux jeux de mots, aux incantations équivoques... Ils resteront affublés, 
    ravis, pénétrés, solennels encuistrés de toutes leurs membrures, [166] convaincus, 
    exaltés de supériorité, babilleux de latino-bobarderie, soufflés de vide gréco-romain, 
    de cette "humanité" bouffonne, cette fausse humilité, cette fantastique friperie 
    
    
    
    100 
    
    
    
    gratuite, prétentieux roucoulis de formules, abrutissant tambourin d'axiomes, maniée, 
    brandie d'âge en âge, pour l'abrutissement des jeunes par la pire clique parasiteuse, 
    phrasuleuse, sournoise, retranchée, politicarde, théorique vermoulue, profiteuse, 
    inextirpable, retorse, incompétente, énucoide, désastrogène, de l'Univers: le Corps 
    stupide enseignant... 
    
    Les versions latines, le culte des Grecs, les balivernes prétentieuses et tendancieuses, 
    enjuivées des Alain, des PluriBendas... auront toujours raison dans l'esprit du 
    bachelier contre l'expérience directe, les émotions directes dont la vie simple et vécue 
    directement avec tous les. risques personnels abonde... Il est inverti du "sympathique" 
    le bachelier, dès la "sixième" et c'est encore plus grave que les premières branlettes et 
    les inversions "d'oigne"... La vie est un immense bazar où les bourgeois pénètrent, 
    circulent, se servent... et sortent sans payer... les pauvres seuls payent... la petit 
    sonnette du tiroir-caisse... c'est leur émotion... Les bourgeois, les enfants petits 
    bourgeois, n'ont jamais eu besoin de passer à la caisse... Ils n'ont jamais eu 
    d'émotions... D'émotion directe, d'angoisse directe, de poésie directe, infligée dès les 
    premières années par la condition de pauvre sur la terre... Ils n'ont jamais éprouvé que 
    des émotions lycéennes, des émotions livresques ou familiales et puis plus tard, des 
    émotions "distinguées"... voire "artistiques"... Tout ce qu'ils élaborent par la suite, au 
    cours de leurs "œuvres" ne peut être que le rafistolage d'emprunts, de choses vues à 
    travers un pare -brise... un pare-choc ou simplement volées au tréfonds des 
    bibliothèques... traduites, arrangées, trafiquées du grec, des moulures classiques. 
    Jamais, absolument jamais, d'humanité directe. Des phonos. Ils sont châtrés de toute 
    émotion directe, voués aux infinis bavardages dès les premières heures de l'enfance... 
    comme les Juifs sont circoncis, voués aux revendications... Tout cela est biologique, 
    implacable, rien à dire. Leur destin de petits bourgeois aryens et de petits juifs, 
    presque toujours associés, engendrés, couvés par les familles, l'école, par l'éducation, 
    consiste avant tout à les insensibiliser, humainement. Il s'agit d'en faire avant tout des 
    fourbes, des imposteurs, et des cabots, des privilégiés, des frigides sociaux, des 
    artistes du "dissimuler"... 
    
    Le français finement français, "dépouillé", s'adapte [167] merveilleusement à ce 
    dessein. C'est même le corset absolument indispensable de ces petits châtrés émotifs, 
    il les soutient, les assure, les dope, leur fournit en toutes circonstances toutes les 
    charades de l'imposture, du "sérieux" dont ils ont impérieusement besoin, sous peine 
    d'effondrement... Le beau style "pertinent" mais il se trouve à miracle ! pour équiper 
    tous ces frigides, ces rapaces, ces imposteurs !... Il les dote de la langue exacte, le 
    véhicule providentiel, ajusté, méticuleux, voici l'abri impeccable de leur vide, le 
    camouflage hermétique de toutes les insignifiances. "Style" monture rigide 
    d'imposture sans lequel ils se trouveraient littéralement dénués, instantanément 
    dispersés par la vie brutale, n'ayant en propre aucune substance, aucune qualité 
    spécifique... pas le moindre poids, la moindre gravité... Mais avec ce fier classique 
    corset tout bardé de formules, d'emprunts, de références, ils peuvent encore et 
    comment ! jouer leurs rôles, les plus monumentaux de la farce sociale... si 
    mirifiquement fructueuse aux eunuques. C'est toujours le toc, le factice, la camelote 
    ignoble et creuse qui en impose aux foules, le mensonge toujours ! jamais 
    l'authentique... Dès lors, c'est gagné ! La cause est enlevée... Le "français" de lycée, le 
    "français" décanté, français filtré, dépouillé, français figé, français frotté (modernisé 
    naturaliste), le français de mufle, le français montaigne, racine, français juif à bachots 
    français d'Anatole l'enjuivé, le français goncourt, le français dégueulasse d'élégance, 
    
    
    
    101 
    
    
    
    moulé, oriental, onctueux, glissant comme la merde, c'est l'épitaphe même de la race 
    française. C'est le chinois du mandarin. Pas plus besoin d'émotion véritable au chinois 
    mandarin, que pour s'exprimer en français "lycée"... Il suffit de prétendre. C'est le 
    français idéal pour Robots. L'Homme véritablement, idéalement dépouillé, celui pour 
    lequel tous les artistes littéraires d'aujourd'hui semblent écrire, c'est un robot. On peut 
    rendre, notons-le, tout Robot, aussi luisant, "lignes simples", aussi laqué, 
    aérodynamique, rationalisé qu'on le désire, parfaitement élégantissime, au goût du 
    jour. Il devrait tenir tout le centre du Palais de la Découverte le Robot... Il est lui 
    l'aboutissement de tant d'efforts civilisateurs "rationnels"... admirablement naturalistes 
    et objectifs (toutefois Robot frappé d'ivrognerie ! seul trait humain du Robot à ce 
    jour)... Depuis la Renaissance l'on tend à travailler de plus en plus passionnément 
    pour l'avènement du Royaume des Sciences et du Robot social. Le plus dépouillé... le 
    plus objectif des langages c'est le parfait [168] journalistique objectif langage Robot... 
    Nous y sommes... Plus besoin d'avoir une âme en face des trous pour s'exprimer 
    humainement... Que des volumes ! des arêtes ! des pans ! et de la publicité !... et 
    n'importe quelle baliverne robotique triomphe ! Nous y sommes... 
    
    Tous ces écrivains qu'on me vante, qu'on me presse d'admirer... n'auront jamais, c'est 
    évident, le moindre soupçon d'émotion directe. Ils œuvrent en "arpenteurs" maniérés 
    jusqu'au moment assez proche, où ils ne travailleront plus qu'en arpenteurs tout 
    court... Peut-être au dernier moment, au moment de mourir ressentirons-ils une petite 
    émotion authentique, un petit frisson de doute... Rien n'est moins sûr... Leur fameux 
    style dépouillé néoclassique, cette cuirasse luisante, biseautée, strictement ajustée, 
    impitoyable, impeccable qui les barde contre toute effraction de la vie depuis le lycée, 
    leur interdit aussi à jamais, sous peine d'être immédiatement dissous, résorbés par les 
    ondes vivantes, d'en laisser pénétrer aucune à l'intérieur de leur carcasse... Le moindre 
    contact émotif direct avec le torrent humain et c'est la mort !... cette fois, sans phrase 
    ... Ils se meuvent au fond du courant, comme au fond d'un fleuve trop lourd, sous un 
    énorme poids de caressantes traîtrises sourdement, en scaphandre, éberlués, empêtrés 
    de cent mille précautions ! Ils ne communiquent avec l'extérieur que par micros, vers 
    la surface. Ils pontifient en style "public", impeccable, envers et contre tout, 
    saltimbanques, devins cocus... Ils grandissent avec leur cuirasse ... Ils crèvent avec 
    leur cuirasse, dans leur cuirasse, étreints, bandages, saucissonnés au plus juste, 
    bouclés, couques, polis, reluisants robots, scaphandres rampants sous l'attirail énorme, 
    emprunté de dix mille tuyaux et ficelles à peu près immobiles, presque aveugles, à 
    tâtons, ils rampent ainsi vers le joli but lumineux de ces existences, au fond au fond 
    ténèbres... la Retraite... Il n'émane des pertuis de leur armure, des fissures de ces 
    robots "d'élite" que quelques gerbes, bouquets graciles, d'infinis minuscules 
    glouglous, leurs bulles qui remontent, à l'air libre. On ne les félicite jamais de ce qu'ils 
    sont enfin parvenus à crever un jour, dépecer leur extraordinaire carcan métallique, 
    mais au contraire de ce qu' ils réussissent parfois à s'harnacher encore plus pesamment 
    que la veille, se mieux caparaçonner, s'affubler d'autres accablants apports "culturels" 
    et puis de garder malgré tout, au fond de leurs ténèbres, une sorte de possibilité de 
    menues gesticulations... manigances badines, ruses mignardes, réticences équivoques, 
    dites "finesses de style". 
    
    [169] Une fois remontés en leurs "cabinets douillets", à hauteur de camomille, 
    l'angoisse les enserre, les tenaille longtemps, très longtemps, étranglés, livides, 
    obsédés par le souvenir de ces infinis glauques, de ces abîmes. Ils en dépeignent avec 
    d'éperdues réticences tous les monstres entraperçus... les autres monstres... Ils se 
    
    
    
    102 
    
    
    
    relèvent toujours très mal... très meurtris, très douloureux, sous les caresses de la 
    lampe, de ces boyscouteries tragiques, de ses descentes aux origines. Il leur faut 
    "œuvrer" ensuite bien laborieusement, d'épreintes en contractures, pour que se 
    dissipent, se bercent, enfin toutes ces frayeurs, pour qu'elles se déposent, adhèrent, 
    tiennent enfin au papier, enfin noires, molles et tièdes sur blanc... Que d'amour encore 
    plus d'amour pour que leur pétoche bien massée, adorablement caressée, les relâche 
    un peu aux tripes... Toute l'affection si attentive, si vigilante d'une famille tout émue 
    pour que leur colique s'atténue, leurs dents s'apaisent... L'amour le plus grand Amour 
    cette redondance de vide, leur grand écouteur d'âme creuse. Que viennent-ils donc 
    tous ces châtrés nous infecter de leurs romans ? de leurs simulacres émotifs ? 
    Puisqu'ils sont une bonne fois pour toutes, opaques, aveugles, manchots et sourds! 
    Que ne se donnent-ils uniquement à la description, c'est-à-dire au rabâchage 
    rafistolage de ce qu'ils ont lu dans les livres ?... Que ne font-ils strictement carrière 
    dans le "Beadeker" amusant, dans le goncourtisme descriptique, le farfouillage 
    objectif à toute force, le Zolaïsme à la 37, encore plus scientifico-judolâtre, 
    dreyfusien, libérateur, que l'autreou la très minusculisante analyse d'enculage à la 
    Prout- Proust, "montée-nuance" en demi-dard de quart de mouche ? ou plus 
    simplement encore, furieux de constipation, que ne se mettent-ils opiniâtres, au sciage 
    acharné du bois ? par tous les temps, quelques stères, tous les jours après déjeuner, et 
    puis au milieu de la nuit ? Leur fatalité insensible et robotique les voue tous, une fois 
    pour toutes, aux rigides estimations, descriptions, à l'arpentage des sentiments, aux 
    grimaces, aux mouvements d'ensemble, aux opuscules sur commandes de tourisme, 
    aux encartages, aux explications pour photographies aux sous-titres publicitaires, aux 
    manchettes d'événements... Sortis de là, ils sont foutus. Sans atrocement gaffer, ils ne 
    peuvent se risquer, se mêler de la moindre reproduction émotive. La honte vous 
    monte à les observer, s'ébrouer, patauger dès qu'ils s'aventurent dans les moindres 
    expressions de sentiments les plus naturels, les plus élémentaires, c'est alors une 
    abjecte [170] écœurante catastrophe. Indécents, grossiers, pétardiers, ils 
    s'ensevelissent instantanément sous une avalanche de balourdises et d'obscénités. A la 
    moindre incitation sentimentale ils gonflent, ils explosent en mille excréments 
    infiniment fétides. Il n'est qu'un maquis de salut pour tous ces robots sursaturés 
    d'objectivisme. Le sur-réalisme. Là, plus rien à craindre ! Aucune émotivité 
    nécessaire. S'y réfugie, s'y proclame génie qui veut !... N'importe quel châtré, 
    n'importe quel mastic, youtre en délire d'imposture s'y porte de soi même au pinacle. 
    Il suffit d'une petite entente, bien facile à conclure avec le critique, c'est-à-dire entre 
    Juifs... "Ma grand-mère dans la stratosphère chasse les bielles de M. Picard. Les petits 
    poissons de l'Exposition pensent à la guerre... se taisent en Seine... mal de mer... 
    n'iront jamais en Amérique... anguilles... munitions... mes 42 tantes..." 
    
    Admirable truc juif !... Kif la critique juive !... D'un seul coup au-dessus de tous les 
    jugements !... de tous les repères !... de tous les textes humains... Et plus il est châtré, 
    impuissant, stérile, prétentieux et farceur, pis imposteur, plus emmerdant, et plus il 
    aura de culot forcément, et plus il aura de génie et de fantastique succès... (publicité 
    juive "aux ordres", bien entendu). Admirablement simple ! miracle !... La Renaissance 
    avait splendidement préparé, par son fanatisme enjuivé, son culte pré-scientifique 
    cette évolution puante vers toutes les bassesses. Cette promotion catastrophique de 
    tous les châtrés du monde à la royauté des Arts... Le naturalisme, ce manifeste culturel 
    de "garçons de laboratoires francs-maçons", foutaise encore plus ligotée, plus enferrée 
    de Positivisme, que la Renaissance a porté la même gigantesque sottise, le même 
    
    
    
    103 
    
    
    
    calamiteux préjugé à l'ultime puissance en fariboles. Le truc n'est pas tombé dans 
    l'oreille d'un Juif sourd... 
    
    Les Juifs, stériles, fats, ravageurs, monstrueusement mégalomaniaques, pourceaux, 
    achèvent à présent, en pleine forme, sous le même étendard, leur conquête du monde 
    l'écrasement monstrueux, l'avilissement, annihilement systématique et total, de nos 
    plus naturelles émotions de tous nos arts essentiels, intinctifs, musique, peinture, 
    poésie, théâtre... "Remplacer l'émotion aryenne par le tam-tam nègre." 
    
    Le sur-réatisme, prolongement du naturalisme, art pour robots haineux, instrument du 
    despotisme, d'escroquerie, d'imposture juive... Le sur-réalisme, prolongement du 
    naturalisme imbécile, sécateur, férule des eunuques juifs, c'est le cadastre de notre 
    
    [16] (p. 171-180) 
    
    [171] déchéance émotive... l'arpent de notre charnier, de notre fosse commune de 
    crétins idolâtres Aryens, cosmiques, jobards et cocus... Et puis c'est entièrement tapé! 
    admirablement... pour nos gueules!... A la porte du sur-réalisme, frémissants depuis 
    longtemps d'impatience, d'objectivisme, à tous les degrés, de dépouillerie, tous nos 
    écrivains, ou à peu près, n'arrêtent plus de se dépouiller infiniment à perte de "grelot", 
    de toute leur ultime substance. S'ils se malmènent encore un peu, s'ils s'évertuent au 
    fantastique, s'ils se portent à l'idéalisme, à la poésie, les voici alors tout de suite 
    fatalement si dépouillés qu'ils se trouvent après tant d'analyses, en train de 
    surréaliser... C'est-à-dire lancés, embusqués, délirants d'impunité, dans la plus 
    abracadabrante imposture de ce siècle, pour l'époustoufflement du peuple et des 
    bourgeois... par l'accumulation des frénésies creuses, des simulacres parasymboliques, 
    le frénétique branlochage frauduleux... Des grelots tous!... des grelots!... même pas 
    des bourdons ! de vils petits grelots ! pour petites bêtes rageuses ! 
    
    Chaque fois, qu'ils s'agitent un peu ou beaucoup ça remue... ca bouge... il en sort des 
    petits bruits insolites, des grêles tintements, des petites fausses notes. Et puis c'est 
    marre, et puis c'est tout... L'invasion surréaliste, je la trouve absolument prête, elle 
    peut déferler sans hésitation, par l'effet de la loi du nombre... Il ne reste pour ainsi dire 
    plus rien devant l'art Robot, prêt a fondre. 
    
    Les tenants de la grande culture, les continuateurs des classiques, sont à tel point 
    avachis, parvenus à force de constipation styliforme, à un tel degré d'affaiblissement 
    par grattage, branlette, pitrerie oiseuse, transmutations de fausses vessies, effilochage 
    des symboles tombés en un tel degré de marasme, boursouflés de tels anasarques en 
    fadeurs, insignifiances bullomateuses, qu'ils se ressemblent maintenant tous 
    horriblement, gisants sur toutes les paillasses, dans toutes les soupentes du lupanar 
    juif officiel!... Ils sortent tous de la même vaisselle, de la même rincette infinie... de 
    l'insignifiance goncourtisane, du Zolasime putassier recrépit, le la même lessive 
    surmenée, de la même plonge des choses molles, opaques, sournoises et 
    médusoïdes!... 
    
    J'ai peut-être le goût mal formé, mais enfin pour mon humble part, je trouve que 
    Monsieur Duhamel prolonge admirablement M. Theuriet dans ses œuvres pies... son 
    pouvoir édificateur, que la maison Bordeaux, Bazin, Bourget cousin, Mauriac fils, 
    peut se substituer admirablement à M. Gide pour l'enfilage des cocons. [172] Les 
    
    
    
    104 
    
    
    
    "bébés compliqués Goncourt", peuvent tenir encore parfaitement toutes les notes et 
    tous les concours, il suffit qu'on les "freudise" avec un peu de soin... M. Giraudoux, 
    c'est un fait bien pertinent, fignolise quand il s'y donne, tout aussi bien que Prout- 
    Proust. M. Paul des Cimetières Valéry mousse, picore, disparaît dans les vagues, 
    beadekerinne, unanimise, surréalise s'il le faut comme un Romain... reparaît au bord 
    comme Maurras, revient en Barrés, se perd encore, bergsonise, entesté, nous nargue 
    de petits riens... Et finalement M. Maurois qui n'est par tout à fait du Gard, mais 
    quand même sérieusement Vautel nous les ferait bien oublier tous... En s'entraînant 
    quelques mois, les effacerait complètement... pourrait suffire à lui tout seul à tout 
    l'avenir juif. Pourquoi pas ?... 
    
    Je ne vois rien dans ces babioles qui puisse vraiment nous passionner... de quoi 
    réveiller une vraie mouche, une mouche vivante, une mouche qui vole... la cause me 
    paraît entendue, Renaissance, naturalisme, objectivisme, surréalisme, parfaite 
    progression vers le Robot. Nous y sommes. Je me trouve pour ce qui me concerne 
    admirablement d'accord. Hochets, batifoles, parpaillotes, vernis "Vermot". 
    baedekertises, et trou du cul. Pas de quoi faire bouillir l'eau de la vaisselle. 
    Groupignoteux falots mélangés, croûtons de manuels édulcorés, latiniseries 
    bigoudineuses, poulets "traduction" sauce "mesure" le tout carton-farci nuancé. 
    Insignifiance au myriacube. Frime, foire d'eunuques en godes-prétextes, grosse caisse, 
    bidon, lanterne, vessie, plus trempettes et lamelles prépuces reconcis! Rien de toutes 
    ces velléités, de ces effrontés racolages, qui n'ait été au moins cent fois rafistolé, sur 
    toutes les faces, à la bonne franquette des réminiscences lycéennes. Toutes ces 
    histoires, ces styles, ces poses, ces grâces viennent de la tête et de l'école... Jamais du 
    bonhomme en propre. Ce ne sont qu'autant d'alibis, de petits prétextes d'arrivisme, de 
    consolidation de carrière, de pétulants prurits académiques, ornementaleries pour 
    caveaux... Littérature contemporaine calamiteux croulant catafalque en phrases, 
    acrostiches, falbalas, si secs, si rêches, que les asticots eux-mêmes n'y viennent plus 
    grouiller, cadavre sans lendemain, sans vie, larvaire, magma sans couleur sans 
    horreur, plus désespérant, plus répugnant mille fois plus décevant que la plus verte, 
    franche, bourdonnante, dégoulinante charogne, littérature en somme bien plus morte 
    que la mort, infiniment. 
    
    [173] 
    
    Qui ne veut pas être négrifé est un fasciste à pendre. 
    
    
    
    Tout ce qui pourrait provoquer le moindre sursaut émotif, la plus furtive révolte, au 
    sein des masses parfaitement avilies, abusées, trompées de cent mille manières, 
    réveiller chez les indigènes la moindre velléité, le moindre rappel de leur authentique, 
    instinctive émotion, trouve la critique en immédiate, haineuse, farouche, irréductible 
    opposition. Le débat devient personnel. C'est leur propre viande commercialisée que 
    l'on déprécie... Elle si benoîte, tellement passive, d'habitude, parfaitement prête a 
    passer des "fourrées" d'un mètre dans toutes les fentes qu'on lui propose, estampillées 
    juives... se crispe en quart, immédiat, au moindre rappel du fond émotif aryen, du 
    fond spontané. Elle sursaute. Elle flaire qu'on va l'étrangler elle et tous les enjuivants 
    négroides. L'authentique la tue c'est bien simple, elle le sait indéniablement, elle s'en 
    
    
    
    105 
    
    
    
    gourre de manière horrible, elle possède le flair du péril, de la catastrophe, comme 
    tous les rats flairent le naufrage. 
    
    [174] 
    
    Lorsque les Français monteront une ligue antisémite, 
    le Président, le Secrétaire et le Trésorier seront Juifs. 
    
    Puisque tous nos grands auteurs ceux qui donnent le ton, la loi du bon genre, sortent 
    tous du lycée des langues mortes, qu'ils ont appris dès le biberon à s'engraisser de la 
    bonne alimentation mixte, stérilisante parfaitement racines grecques, parchemins, 
    maniérismes mandarinades, examinines et plutacrottes de Dictionnaires, ils ne sont 
    plus du tout à craindre, émasculés pour la vie. Rien d'imprévu, de déroutant, ne peut 
    plus jamais jaillir de ces eunuques en papillottes humanitaires. C'est fini, 
    soigneusement ratiboisé. Ce ne seront pour toujours qu'autant de bébés prétentieux? 
    voués aux choses défuntes, strictement amoureux, passionnés de substances 
    momifiées. Ils prendront toute leur expérience dans les traités académiques, les 
    cendres psychologiques, salonnières, médicamenteuses, les "préparations". Ils sont 
    voués dès la nourrice à l'existence par oui dire, aux émotions supposées, aux fines 
    embuscades pour tricheurs passionnés, aux couveuses en cénacles, bibliothèques, 
    Bourses, Institut ou Députations, enfin toutes les planques étonnamment diverses, qui 
    vont des Gobelins aux Maisons de Culture, des Mines aux Tabacs, et de la Transat 
    aux Finances, planques, où toutes les viandes douillettes, infiniment préservées, 
    enveloppées de leurs "versions", retrouveront à longueur d'existence, tout le confort et 
    la sécurité du berceau familial. Ils se préservent ainsi une bonne fois pour toutes, 
    anxieusement de tous les chocs du dehors, de la vie véritable, pleurésie, séisme de la 
    canaille, toutes les catastrophes qui [175] peuvent disséminer, vaporiser en un instant 
    tous les grands bébés d'Art et d'Administration, dès qu'ils se risquent au grand jour... 
    au grand vent du monde. Il faut se rendre à l'évidence, la pluplupart de nos auteurs ne 
    sont jamais sevrés, ils restent accrochés toute la vie à des problèmes pour nourrissons, 
    dont ils ne se détachent ensuite que bribe après bribe, avec d'infinis scrupules, 
    d'interminables réticences dites "œuvres de maturité"... Ils basculent tous finalement 
    dans le gâtisme, et dans la mort sans avoir jamais commis à perte de carrière, que des 
    petites bulles irisées et puis les fragments de lexique mâchonnés, remâchés mille fois, 
    infiniment resucés, en boules, en surprises, en rébus. Ils sont tout à fait exaucés, s'ils 
    ont pu en train de vagir, agripper le bicorne à plumes, l'épée chatouillante et puis 
    surtout, comble des combles, se faire graver en plein oigneul, la belle creuse épitaphe 
    eunuque: "Tout en ce monde a été dit". Un tel brelan d'insignifiance, militante, 
    implacable, cette gigantesque pitrerie de toutes les frayeurs infantiles, travesties, 
    pompeuses, fait admirablement le jeu, cadre au mieux avec tous les plans, toutes les 
    astuces des Juifs. Puisque tous ces balbutieurs, ces pontifes emmaillotés sont 
    foutrement incapables de réveiller le goût des masses pour l'émotion authentique, en 
    avant toutes les "traductions!" Pourquoi se gêner?... Standardisons! le monde entier! 
    sous le signe du livre traduit! du livre à plat, bien insipide, objectif, descriptif, 
    fièrement, pompeusement robot, radoteur, outrecuidant et nul. Le livre pour spectateur 
    tout cuit de cinéma, pour amateur de théâtre juif, de peinture juive, de musique judéo- 
    asiatique international.. Le livre éteignoir d'esprit, d'émotion authentique, le livre du 
    "Chat qui pêche", à la Wicki Baum... le livre pour l'oubli, l'abrutissement du goye, qui 
    lui fait oublier tout ce qu'il est, sa vérité, sa race, ses émotions naturelles, qui lui 
    apprend mieux encore le mépris, la honte de sa propre race, de son fond émotif, le 
    
    
    
    106 
    
    
    
    livre pour la trahison, la destruction spirituelle de l'autochtone, l'achèvement en 
    somme de l'œuvre bien amorcée par le film, la radio, les journaux et l'alcoolisme. 
    
    [176] Puisque tous les auteurs "d'origine", du sol, s'acharnent à écrire de plus en plus 
    "dépouillé", banalement, tièdement, insignifiant, insensible, exactement comme des 
    "traductions". Puisque élevés dans les langues mortes ils vont naturellement au 
    langage mort, aux histoires mortes, à plat, aux déroulages des bandelettes de momies, 
    puisqu'ils ont perdu toute couleur, toute saveur, toute vacherie ou ton personnel, racial 
    ou lyrique, aucun besoin de se gêner! Le public prend ce qu'on lui donne. Pourquoi ne 
    pas submerger tout! simplement, dans un suprême effort, dans un coup de suprême 
    culot, tout le marché français, sous un torrent de littérature étrangère? parfaitement 
    insipide?... La critique juive (pour le moins soigneusement enjuivée, dans ses plus 
    minimes rubriques, droite ou gauche), prépare, ordonne le passage des muscades. Le 
    vent tourne d'un jour à l'autre, elle pourtant si balourde, la critique si prosaïque, si 
    parfaitement obtuse à tout ce qui n'est pas son habituel ronron-ragotage, ne se connaît 
    plus d'anglomanie, d'enthousiasme, pour les plus essorés navets de l'anglo-judéo- 
    saxonie. Elle se met à vaticiner, tout éperdue de reconnaissance, elle si naphtalinée, si 
    parfaitement "orme du mail"... casanière a en vivre "en bière!"... tressaille soudain 
    hyperbolique de mille coulants internationaux... On ne la reconnaît plus! Magie!... 
    Que se passe-t-il ? Les adjectifs lui manquent pour mieux vanter encore ces 
    "tendresses admirablement réticentes" des auteurs anglais... leurs palpitations si 
    merveilleusement [177] elliptiques, leurs trésors de profondeurs supervirtuelles... Nos 
    plus chevronnés poncifiants zolateux, "durs de durs" naturalistes, "théâtre-libristes" de 
    la première heure foncent balbutier en cures d'attendrissement chez "Miss Baba"... Ils 
    en reviennent tout transis d'exquises ferveurs... ils ne fleurissent plus qu'en épithètes 
    bonbonneuses de campagne anglaise printanière... Ceci pour la poésie... Mais s'il 
    s'agit de psycholodrames, alors ils ne jurent plus que par les audaces du 
    transbouleversant génial Lawrence... la bravoure inouïe de ses messages sexuels... 
    (une pauvre bite de garde-chasse pour 650 pages) de ses prémonitions mondio- 
    rénovatrices... de ses tortures inspirationnelles... de ses déboires trans-médullaires... 
    ses retournements matrimoniaux... L'était-elle? L'était-il?... En était-elle? En était-il? 
    Enfin tout le tabac juif, la charabiade publicitaire, intimiaire, hollywoodienne, qui 
    porte d'autant mieux sur les cons, que la marchandise est plus vaine, plus creuse, plus 
    effrontée, plus catastrophique. Du moment, où les Juifs, décident, promulguent et font 
    admettre, une bonne fois pour toutes que l'on peut désormais supprimer de toutes les 
    œuvres d'art l'émotion... la mélodie, le rythme vivant, (seul test de valeur authentique) 
    la confusion règne et triomphe, la farce, la publicité, l'imposture remplacent tout, 
    s'installent, prolifèrent instantanément. Elles n'attendent que ce moment juif pour tout 
    remplacer, tout envahir, tout effacer. Nous y sommes. En avant les descriptions "à 
    plat!" les pâtes loupées!... les braguettes sans bites! les sphincters mous! les faux 
    nichons, toutes les saloperies d'impostures. Elles deviennent tout aussitôt 
    admirablement licites, officielles, prépondérantes, dogmatiques, despotiques, 
    intraitables... La dictature des larves est la plus étouffante, la plus soupçonneuse de 
    toutes. Du moment où elles gouvernent tout peut se violer, s'engluer, se travestir, se 
    trafiquer, se détruire, se prostituer... N'importe quelle croulante charognerie peut 
    devenir à l'instant l'objet d'un culte, déclencher des typhons d'enthousiasme, ce n'est 
    plus qu'une banale question de publicité, faible ou forte, de presse, de radio, c'est-à- 
    dire en définitive, de politique et d'or, donc de juiverie. 
    
    
    
    107 
    
    
    
    [178] 
    
    
    
    On se croit enculé d'un petit centimètre, 
    on l'est déjà de plusieurs mètres. 
    
    
    
    Le pauvre petit marché du livre français, déjà si parfaitement rabougri, traqué, aux 
    abois, se trouve bientôt écrasé par les romans, les feuilletons de M. et Mme Lehmann, 
    Rosamonde, Virginie Woolf... Vicki Baum... M. Ludwig... M. Cohen... M. Davis... 
    Mlle "Chat qui pêche"... toutes et tous juifs et juives... à qui mieux mieux plus 
    tendancieux, plus nuls, plus plagiaires, plus truqueurs, plus "génie", plus 
    démarqueurs, salisseurs, sournois, vicieux, méprisants, voraces, pleurnichards, 
    humoristes ou sentencieux les uns que les autres. Annoncés tous bien entendu, lancés, 
    consacrés, soufflés, sursoufflés, à grands renforts de jurys, cénacles littéraires 
    internationaux juifs... (prix de Littérature Internationaux juifs) amenés en France par 
    l'intermédiaire des agences juives... adoptés d'enthousiasme par tous les journaux 
    enjuivés (ils le sont tous). Grands cocktails juifs... Champs-Elysées... partouzes... 
    cocaïnes juives... enculages de juifs, etc.. Si tous les auteurs traduits ne sont pas juifs, 
    ils sont pour le moins soigneusement enjuivés, épouseurs de juives, projuifs, 
    dévotement, insatiablement... proyoutres, plus que youtres, otages... Tous les agents 
    littéraires, les imprésarios de la littérature, tels les autres imprésarios de toute 
    "l'expression artistique" sont juifs. Les directeurs, les vedettes, les producteurs et 
    bientôt tous les soi-disant créateurs du théâtre, du film, de la radio, chanson, danse, ou 
    peinture seront juifs. Le public, c'est-à-dire la horde roteuse des cocus aryens ivrognes 
    (province, villes et campagnes), [179] se tape indistinctement, de la même fringale, se 
    régale admirablement de tous les navets de M. Sacha, des éculeries de M. Bernstein, 
    des salsifis de M. Maurois, des fricassettes de la Comédie, des épluchures de M. 
    Cocteau. Nos snobs avalent tout aussi bien les dos Passos que les Sinclair Lewis, que 
    les Mauriacs, les Lawrences, les Colettes... même mouture, même graissage, même 
    insignifiant jacassage, abrutissant ronron, péricycles de gros et petits "renfermés"... 
    Traduits ou pas traduits, ils restent identiques, absolument, à eux-mêmes, 
    boursouflerie, muflerie, mêmes tambourins, même carambouille, même inutilité, 
    même insensibilité, truquée, laborieuse, même dévalorisation, même crapuleuse 
    faillite. Pour le triomphe de ces sottises, la critique juive, évidemment donne à fond 
    (elle n'existe que dans ce but, pour cet office) insiste, encense, pontifie, acclame, 
    proclame... Phrasibule d'or toutes ces vessies... Cependant qu'elle traque et voue bien 
    entendu aux pires gémonies, aux ultimes supplices, les rares voyous, les derniers 
    douteux, les suprêmes raclures d'iconoclastes qui se permettent d'ici, de là... de jeter 
    un peu d'eau sur ces ferveurs... de ne pas absolument trouver que tout ce qui est juif, 
    n'est pas absolument, transfiguramment divin. 
    
    [180] 
    
    Nous sommes en plein fascisme juif. 
    
    Faut pas croire que je m'égare, que je déconne pour le plaisir, j'ai fait un petit détour, 
    mais je reviens à mon dada... Dans ce grand dégueulant, plasmatique dégoulinage, 
    cette mélasserie phrasibole, tout en filaments moisis, en fourres de bigoudis 
    rhétoriques resucés, les Juifs ne restent pas inactifs... Ils prospèrent à merveille. 
    
    
    
    108 
    
    
    
    Toutes les décadences, toutes les époques pourries, foisonnent de Juifs, de critiques et 
    d'homosexuels. Les Juifs actuellement sont aux anges, dans les finances, la politique 
    et dans les arts. Vermiculaires, persuasifs, enlaçants, envahissants plus que jamais, ils 
    filent le train derrière Prout-Proust les Picassos, les Sachas, les Cézannes... ils 
    déferlent en croissantes marées, ils submergent tout... Au train des Juifs colle la 
    suprême Réforme, la suprême déconfiture des Aryens. La mise en ghetto des Aryens 
    ne saurait tarder... sous la férule nègre. Elle coïncide avec l'avènement du plus grand 
    Art Juif de l'art Robotsurréalistepour indigènes robotisés. La "taichnique" de cette 
    conquête du monde par le cloaque juif, de la consécration de l'Impérialisme juif, 
    l'apothéose du Juif, spirituelle et matérielle, n'a rien d'occulte, de secret. Tout le 
    monde peut l'admirer... Elle se déploie sous nos fenêtres... Il n'est que de se pencher 
    un peu... 
    
    [17] (p. 181-190) 
    
    [181] Il est excellent que M. Faulkner, Mlle Baum, M. Cohen, M. Lévy, M. Juif 
    Genialsten, copient à longueur de carrière triomphale plagient, fouillent, démarquent 
    nos plus chenus éculés naturalistes, nous les rebèctent au goût "tough" américain sec. 
    Ils ne peuvent que gagner à tous les coups... et la cause juive avec eux. Nos juifs du 
    théâtre d'ici et d'ailleurs ne font jamais autre chose que de démarquer, piller, revendre 
    tous les folklores et les classiques des pays qu'ils dévastent. Ils s'en portent 
    admirablement. La foule des universels cocus indigènes, fonce en trombe à tous leurs 
    guichets, ravie et suppliante. On lui revend fort cher, à la foule aryenne des copies de 
    son patrimoine, bien conchiées, souillées, salopées de toutes les façons... Mais c'est un 
    nougat fantastique!... Le con devenu or!... Tout ça par l'entr'aide juive... le racisme, le 
    culot et la publicité. La critique ne pipe jamais, il ferait beau voir! Quelle virée 
    instantanée! irréparable! Non seulement elle encaisse tout, mais elle exulte à tous les 
    coups! Elle reluit! Elle porte aux nues, au paradis, les supercheries les plus rances, les 
    impostures les plus dégueulasses. Le Français lui, ne reconnaît jamais son bien. Il a 
    tout oublié tout son patrimoine. Il n'a d'yeux et de cœur que pour son petit 4 pour 100! 
    que les Juifs étouffent aussi d'ailleurs, par la même aubaine. Il fait sous lui le Français, 
    de toute sa tête, de tous ses boyaux, de tout son pognon... Lui toujours si avare, ne 
    peut plus rien garder. Ce n'est plus un homme, c'est un véritable cadeau... Miracle 
    juif! Il [182] rachète ses propres tripes au juif. Shylock revend à Du con sa propre livre 
    de barbaque, après l'avoir bien salopée, pressurée, bien fait rendre tout le jus, et puis 
    enduite, farcie de glaires et de merde juive. Ducon délire de gratitude, c'est le plus 
    beau de l'aventure. (Grande victoire des coucous sur les cocus.) Durand fait le jeu des 
    Juifs, tout ce qui peut encore mieux l'abrutir, l'invertir, le pervertir plus profondément, 
    gâcher sa sensibilité, fausser son jugement, et surtout son rythme émotif, Durand 
    l'adule... La critique?... On ne lui trouve qu'une seule voix, mais quels accents! pour 
    louanger, encenser, porter aux nues tout ce qui facilite, prépare, achève l'imbibition 
    des masses par ces saloperies, les chiasses publicitaires juives. 
    
    C'est elle qui plante tous les jalons, qui fignole toutes les étapes de la conquête 
    mondiale juive, âmes, biens et viandes. A part rarissimes exception, des enfants de 
    chœur bien enculés. Messieurs les youtres, les semi-nègres, vous êtes nos dieux! 
    
    
    
    109 
    
    
    
    [183] 
    
    
    
    Pourquoi M. Martin du Gard vient-il de remporter 
    
    le Prix Nobel? parce qu'il a très bien parlé 
    
    de l'affaire Dreyfus dans ses livres. 
    
    (Voir Univers Israélite, 3 décembre.) 
    
    
    
    Une bonne standardisation littéraire internationale, bien avilissante, bien ahurissante, 
    viendrait en ce moment fort à point, parachever l'œuvre d'insensibilisation, de 
    nivellement artistique que les Juifs ont parfaitement accomplie déjà dans la peinture, 
    la musique et le cinéma. Ainsi le cycle de la robotisation internationale des esprits 
    serait chose parfaite. Le serpent juif, comme dans les oracles, aurait enfin fait le tour 
    de la terre et tout dilacéré, englué, perverti, charognisé sur son passage, à la sauce 
    bien entendu démagogique, pacificatrice, édifiante-progressiste, affranchissante, 
    franc-maçonne, soviétique et salutiste. Le Juif ne redoute en ce monde que 
    l'authentique émotion, spontanée, rythmée, sur les éléments naturels. Tout travail non 
    frelaté, non putinisé jusqu'au tréfonds, jusqu'aux suprêmes cordes, provoque chez le 
    Juif, les réactions les plus farouches de défense. Il y flaire immédiatement sa perte, 
    tout le châtiment de son cosmique effroyable battage, de la phénoménale, 
    cataclysmique imposture juive. Le Juif se gare de l'authentique comme le serpent de la 
    mangouste. Le serpent sait bien que la mangouste ne rigole pas, qu'elle l'étrangle, à 
    coup sûr... L'authentique, seule balance pour peser le Juif à son poids d'ordure et de 
    supercherie. 
    
    Piller, voler, pervertir, abrutir, polluer, saigner tout ce qu'il rencontre, pudeur, 
    musique, rythme, valeur, c'est le don du Juif, son antique raison d'être. Egypte, Rome, 
    Monarchies, Russie, demain nous autres, tout y passe. Il macère la moindre des [184] 
    littératures comme les plus grands empires, même " Art et Taichnique", à la satanerie, 
    aux venins, aux plagiats, aux incantations, aux escroqueries de mille sortes. Dix mille 
    poisons divers pour toutes les œuvres de mort comme certains crapauds. Il n'a guère le 
    Juif, d'autre talent, mais celui-là, il le possède jusqu'à la racine du prépuce. Le plus 
    obtus, le plus glaireux, le plus gaffeur des Juifs possède quand même ultimement ce 
    sens d'alerte pour tout ce qu'il peut saisir, ce qui doit entrer dans ses cordes, culbuter 
    dans sa tinette, à pourrir avec ses autres rapines, dans sa cuve aux maléfices. 
    
    Le reste, tout ce qu'il ne peut absorber, pervertir, déglutir, saloper standardiser, doit 
    disparaître. C'est le plus simple. Il le décrète. Les banques exécutent. Pour le monde 
    robot qu'on nous prépare, il suffira de quelques articles, reproductions à l'infini, fades 
    simulacres, cartonnages inoffensifs, romans, voitures, pommes, professeurs, généraux, 
    vedettes, pissotières tendancieuses, le tout standard, avec énormément de tam-tam 
    d'imposture et de snobisme La camelote universelle, en somme, bruyante, juive et 
    infecte... Le Juif tient tous les gouvernements, il commande toutes les machines à 
    standardiser, il possède tous les câbles, tous les courants, demain tous les Robots. 
    
    
    
    110 
    
    
    
    [185] 
    
    Que voulez-vous que j'espère parmi ces cœurs 
    abâtardis, sinon de voir mon livre jeté aux ordures. 
    
    D'Aubigné. 
    
    Le Standard en toutes choses, c'est la panacée du Juif. Plus aucune révolte à redouter 
    des individus pré-robotiques, que nous sommes, nos meubles, romans, films, voitures, 
    langage, l'immense majorité des populations modernes sont déjà standardisés. La 
    civilisation moderne c'est la standardisation totale, âmes et corps sous le Juif. Les 
    idoles "standard", nées de la publicité juive, ne peuvent jamais être redoutables pour 
    le pouvoir juif. Jamais idoles, à vrai dire, ne furent aussi fragiles, aussi friables, plus 
    facilement et définitivement oubliables, dans un instant de défaveur. L'adulation des 
    foules est au commandement du Juif. 
    
    Idoles politiques, scientifiques, artistiques, etc., manigancées par les Juifs de toutes 
    pièces. Toutes ces vedettes, scénaristes, musiciens, modernes, de la moderne pacotille, 
    tous démarqueurs, pilleurs (de folklores et de classiques), à qui mieux mieux, 
    angoissés de bluffer et de plaire et de mentir, putassiers jusqu'aux fibres, se créent, se 
    détruisent, s'effacent absolument au moindre gré de l'or et de la publicité du moment. 
    Ces prétendus immenses créateurs ne sont qu'autant de fantoches imbéciles, virtuoses 
    ventriloques, juifs ou pas, que leurs maîtres, les potentats de la haute juiverie, les 
    Sages, laissent parader, pirouetter, à travers le monde pour l'ahurissement, l'anesthésie 
    des avilis colonisés, de leurs nègres à rebours. Jusqu'au moment où, las de leurs 
    grimaces, ils leur coupent net toutes les ficelles, où ces petites ordures refilent net au 
    néant. Cela ne cause même pas un vide, il n'y avait rien. [186] Les auteurs de faux, de 
    camelote, de factice, de bigophoneries modernes, tout l'art moderne, en truquages sur- 
    réalisés, fignolés, sauce drame, humour ou rigolade, ne seront jamais redoutables pour 
    leurs maîtres tyrans juifs. Strictement dénués de toute émotion directe, chantante, ces 
    clowns ne peuvent rien éveiller, déclencher de dangereux dans les masses. Ce ne 
    seront jamais que des employés, des larbins de pouvoir, lèche-culs, esclaves suceurs 
    du despotisme juif. Pour tel de ces pitres venant à crever, cent aussitôt se précipitent 
    pour farcer à sa place, plus lâches, plus serviles, plus ignobles si possible... Les grands 
    lupanars d'arts modernes, les immenses clans hollywoodiens, toutes les sous-galères 
    de l'art robot, ne manqueront jamais de ces saltimbanques dépravés... Le recrutement 
    est infini. Le lecteur moyen, l'amateur rafignolesque, le snob cocktailien, le public 
    enfin, la horde abjecte cinéphage, les abrutis-radios, les fanatiques envedettés, cet 
    international prodigieux, glapissant, grouillement de jobards ivrognes et cocus, 
    constitue la base piétinable à travers villes et continents, l'humus magnifique le 
    terreau miraculeux, dans lequel les merdes juives publicitaires vont resplendir, 
    séduire, ensorceler comme jamais. Le public moderne dégoûté soigneusement par la 
    science, l'objectivisme et le Juif de toute authentique émotion, inverti jusqu'aux 
    mœlles, ne demande qu'à se régaler de merde juive... 
    
    A l'appel, au battage (le sémite, nègre en réalité, n'est qu'une perpétuelle brute en tam- 
    tam), la foule aryenne rapplique frémissante, elle déleste de tout son pognon, pour 
    mieux sauter, elle engage tout pour mieux jouir juif, se vautrer juif, se pourrir Juif, sa 
    tête, sa viande, son âme et toute sa connerie. Elle se donne. Elle se damne. La foule 
    aryenne ne croit plus que les affiches des politiciens et des cinémas juifs, les journaux 
    et comptes rendus de films et les critiques d'art, tous juifs. 
    
    
    
    111 
    
    
    
    Par contre, tout le reste lui semble entièrement conventionnel, odieusement fabriqué, 
    ratiocineur, grossier, vulgaire, cabotin. 
    
    Jamais domestiques, jamais esclaves ne furent en vérité si totalement, intimement 
    asservis, invertis corps et âmes, d'une façon si dévotieuse, si suppliante. 
    
    Rome? En comparaison?... Mais un empire du petit bonheur! une Thélème 
    philosophique! Le Moyen Age?... L'Inquisition?... Berquinades! Epoques libres! 
    d'intense débraillé! d'effréné libre arbitre! le duc d'Albe? Pizarro? Cromwell? Des 
    artistes! 
    
    [187] 
    
    Dans tous les tonnerres, les fracas du grand charabia 
    communiste, socialo-confusionniste, un seul cri du cœur, 
    une seule furie ! Tout pour les youtres et mort aux goyes ! 
    
    Ça n'allait déjà pas très fort dans le Royaume des Beaux-Arts, depuis la Renaissance, 
    ce grand triomphe du "chantez-faux"! Nous allions, tout désemparés, copieusement 
    enjuivés, négrifiés déjà, de salsifis en fausses lanternes, mais à présent nous basculons 
    définitivement dans la merde, nous voici tombés, déchus au sous-rang des sous- 
    prousteries, dans l'invertébré, l'insensible à force de bourgètes analyses, de 
    discipleries, d'objectivisme désinvolte, de "plus près des faits et des causes", de 
    scientificologie émasculante, de jacasseries effrontées, de scénarios superbranleurs, à 
    l'immense débâcle spirituelle, organique, aux grandes averses de mufleries, à 
    l'écroulement confusionniste, au déluge juif, communisard, prédicant, à l'arche juive, 
    la prison juive, c'est-à-dire tout prêts à flotter sur l'océan des meurtres juifs. Le Ranz 
    des Robots... Vous n'entendez rien, Monsieur l'Evêque Turpin?... 
    
    Non! Non! Ce sont des âmes qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes... 
    
    L'immense astuce des Juifs consiste à enlever progressivement aux foules à 
    standardiser tout goût pour l'authentique et puis aux artistes autochtones toute 
    possibilité d'exprimer, de communiquer leur sensibilité à leurs frères de race, de 
    réveiller chez eux quelque authentique émotion. Les Juifs revanche des Abyssins ! ont 
    inverti le goût des blancs, à ce point, si profondément, que les Français préfèrent à 
    présent le faux à l'authentique, la grimace à la sensibilité, à l'émotion directe le 
    mimétisme imbécile. Les temps ne sont [188] pas éloignés où les Français rougiront 
    de Couperin. La musique moderne n'est qu'un tam-tam en transition... C est le nègre 
    juif qui nous tâte pour savoir à quel point nous sommes dégénérés et pourris, notre 
    sensibilité aryenne négrifiée... Alors tous les nègres juifs, nous ayant robotisés, nous 
    refileront uniquement des camelotes de traite, stakhano visées, bien assez bonnes pour 
    nos sales viandes d'esclaves. (Voir Russie.) 
    
    A partir de ce moment, de la parfaite réalisation de tous ces grands desseins, les Juifs 
    pourront jouir tout à fait tranquilles de leur omnipotence. Ils tiendront le monde 
    entier, par la police et par l'or, en esclavage absolu. Nous reviendrons aux grands 
    pharaons juifs. Nous ne serons plus sous les pieds des Juifs qu'une intense pullulation 
    de bêtes butées, bâtées de pancartes. 
    
    
    
    112 
    
    
    
    [189] 
    
    Le négociant chrétien fait seul son commerce, chaque maison 
    
    est en quelque sorte isolée, tandis que les Juifs, ce sont des 
    
    particules de vif-argent, à la moindre pente, ils se réunissent en bloc. 
    
    (Requête de six corps de marchands à Louis XV.) 
    
    Il n'est pas inutile de revenir sur ce sujet. Nous disions qu'au départ, tout article à 
    "standardiser": vedette, écrivain, musicien, politicien, soutien-gorge, cosmétique, 
    purgatif, doit être essentiellement, avant tout, typiquement médiocre. Condition 
    absolue. Pour s'imposer au goût, à l'admiration des foules les plus abruties, des 
    spectateurs, des électeurs les plus mélasseux, des plus stupides avaleurs de sornettes, 
    des plus cons jobardeurs frénétiques du Progrès, l'article à lancer doit être encore plus 
    con, plus méprisable qu'eux tous à la fois. Cette espèce de crétins scientificolâtres, 
    matérialistiques, "cosy-cornériens", prolifie, pullule depuis la Renaissance... Ils se 
    feraient tuer pour le Palais de la Découverte. Quant aux productions littéraires 
    "standardisables", désirées par ces néo-brutes, pires, bien moins artistes (mille 
    preuves) que les Cromagnons, les "chefs-d'œuvre" anglo-saxons modernes en 
    représentent assez bien l'atterrant niveau. Qu'est-il de plus abusif en fait de prédicante 
    connerie, à part les films, qu'un roman anglais très prétentieusement littéraire, dans le 
    genre de Lawrence? ou tout autre genre?... Hardy, Chesterton, Lewis et là suite? Je 
    vous le demande?... De plus fabriqué, de plus vain, bêtement bêlant?... de plus 
    sottement vicelard? gaffeusement "tranche de vie"? cahotique par impuissance, que 
    les Dos-Passos, les Faulkner, les Cohen et complices?... Fadasseries "montées force", 
    outrances gratuites "montées délires", ressassages de nos plus désuets naturalistes, des 
    plus cartonnées, des plus éculées "mea âneries", resservies, travesties, "sauce 
    gangster"?... encore et encore... 
    
    [190] Je les connais un petit peu tous ces personnages éminents de l'art hébraïque 
    anglo-saxon, "damnés" de Bloomsbury, néo-murgériens du "Village", la plus foutue 
    clique en vérité de petits larbins de Juifs, imposteurs esthétiformes qui se puisse 
    imaginer... le plus éculé brelan de mystifiants petits fantoches cocaino-littéraires 
    rassemblé à baver, tortiller, sous la calotte des juives pissotières de copies. Tous ces 
    délicats transis, à la "Wilde", tous ces petits derviches maquillés "Frankenstein" ne 
    persistent dans leur pitrerie, façon "lyrisme", ou façon "puissance" que par 
    l'outrecuidance, par l'énormité des publicités juives, la jobardise croulante des snobs 
    aryens. Voici les clowns pourris de notre débâcle, les fossoyeurs pédérastes de 
    l'époque aryenne. 
    
    [18] (p. 191-200) 
    
    [191] 
    
    Le Juif vit non pas de son travail, 
    mais de l'exploitation du travail des autres. 
    
    Rochefort. 
    
    Il ne semble guère possible de prendre tous ces petits escrocs en flagrant délit 
    d'imposture, à moins qu'ils ne se mêlent de "transposer", de "lyriser"... Copier, 
    plagier, comme ils s'en donnent!... Toutes nos bibliothèques grincent, gémissent, 
    
    
    
    113 
    
    
    
    d'être tant pillées à tort, à travers... Mais transposer directement la vie, c'est une autre 
    paire de couilles!... Les bons rêves ne s'élèvent que de la vérité, de l'authentique, ceux 
    qui naissent du mensonge, n'ont jamais ni grâce ni force. Qui s'en soucie?... Le monde 
    n'a plus de mélodie. C'est encore le folklore, les derniers murmures de nos folklores, 
    qui nous bercent... Après ce sera fini, la nuit... et le tam-tam nègre. Les bons rêves 
    viennent et naissent de la viande, jamais de la tête. Il ne sort de la tête que des 
    mensonges. La vie vue par la tête ne vaut pas mieux que la vie vue par un poisson 
    rouge. C'est un jardin à la française. 
    
    La seule défense, le seul recours du blanc contre le robotisme, et sans doute contre la 
    guerre, la régression à "pire que cavernes" bien pire, c'est le retour à son rythme 
    émotif propre. Les Juifs circoncis sont en train de châtrer l'Aryen de son rythme 
    émotif naturel. Le nègre juif est en train de faire dégringoler l'Aryen dans le 
    communisme et l'art robot, à la mentalité objectiviste de parfaits esclaves pour Juifs. 
    (Le Juif est un nègre, la race sémite n'existe pas, c'est une invention de franc-maçon le 
    Juif n'est que [192] le produit d'un croisement de nègres et de barbares asiates.) Les 
    Juifs sont les ennemis nés de l'émotivité aryenne, ils ne peuvent pas la souffrir. Les 
    Juifs ne sent pas émotifs, à notre sens, ce sont les fils du Soleil du désert, des dattes et 
    du tam-tam... Ils ne peuvent que nous haïr à fond... de toute leur âme de nègres, toutes 
    nos émotions instinctives, ils les abhorrent. Etablis, émigrés, pillants, imposteurs, sous 
    nos cieux, dépaysés, désaxés, ils singent nos réactions, gesticulent, ratiocinent, 
    enculent mille fois et mille fois la mouche avant de commencer à vaguement 
    comprendre, ce qu'un Aryen pas trop abruti, pas trop alcoolique, pas trop vinassier, 
    saisit au vol, une fois pour toutes en vingt secondes... émotivement, silencieusement, 
    directement, impeccablement. Le Juif ne s'assimile jamais il singe salope et déteste. Il 
    ne peut se livrer qu'à un mimétisme grossier, sans prolongements possibles. Le Juif 
    dont les nerfs africains sont toujours plus ou moins de "zinc", ne possède qu'un réseau 
    de sensibilité fort vulgaire, nullement relevé dans la série humaine, comme tout ce qui 
    provient des pays chauds, il est précoce, il est bâclé. Il n'est pas fait pour s'élever 
    beaucoup spirituellement, pour aller très loin... L'extrême rareté des poètes juifs, tous 
    d'ailleurs resuceurs de lyrisme aryen... Le Juif, né rusé, n'est pas sensible. Il ne sauve 
    les apparences qu'à coup de perpétuelles pitreries, simulacres, grimaces, imitations, 
    parodies, poses, "cinégéisme", photographies, bluff, arrogance. Dans sa viande même 
    pour l'émouvoir il ne possède qu'un système nerveux de nègre des plus rudimentaires, 
    c'est-à-dire un équilibre de rustre. Le Juif nègre, métissé, dégénéré, en s'efforçant à 
    l'art européen, mutile, massacre et n'ajoute rien. Il est forcé un jour ou l'autre de 
    revenir à l'art nègre, ne l'oublions jamais. L'infériorité biologique du nègre ou du 
    demi-nègre dans nos climats est évidente. Système nerveux "expédié", rançon de la 
    précocité, il ne peut aller bien loin... L'adolescence nègre est extrêmement brève. Un 
    nègre est fini à quatre ans. Le Juif est anxieux de raffinement; une obsession, 
    s'entourer d'or et d'objets précieux, "faire raffiné". Or il n'est jamais intimement 
    raffiné, somatiquement raffiné, impossible. J'ai vécu longtemps chez les nègres, je les 
    connais. Grimaces. Il faut au nègre comme au Juif de la dorure, beaucoup de dorures 
    de tambour, de tam-tam, de publicité pour qu'il se réveille... Il ne comprend que la 
    grosse caisse, ou la seringante trompette arabe, au mieux. Il passe à travers toutes les 
    nuances, il bondit, galope, s'écroule, chie sur les violettes dès qu'on le lance sur les 
    jardins, [193] comme un chien mal dressé... Et dire que nous sommes devenus les 
    esclaves soumis de ces sous-brutes dépaysées! Le Juif demeure, en dépit de tant de 
    contorsions au bout de toutes ces pitreries, beaucoup plus bûche que violon... 
    désastreusement impénétrable à toutes les ondes de l'intuition, aux enthousiasmes 
    
    
    
    114 
    
    
    
    impersonnels, une buse avide, follement prétentieuse et vaine. Et puis, au comble du 
    culot, il se fait critique. 
    
    [194] 
    
    Je veux avoir à mon enterrement la Fanfare de 
    Tel-Aviv et les "Cadets" de la rue Triangle. 
    
    Dieu sait si le Juif essaye de se polir, de s'affiner "aryennement", pour mieux nous 
    tromper, nous engluer, nous étrangler. En dépit de ce gigantesque labeur, il demeure 
    après tant de siècles, l'insurpassable gaffeur des cinq continents. 
    
    Il est en fait extrêmement difficile de découvrir parmi les plus abrutis alcooleux, 
    déjetés Aryens bouzeux, quelque individu qui puisse être comparé question de 
    "gaffe", au plus "raffiné" des Juifs. En toutes circonstances un peu délicates, vous 
    reconnaîtrez le Juif à ce qu'il se précipite littéralement pour gaffer. Il se trahira, 
    pataugeant à deux pieds et quels pieds! (d'afro-asiatique, enfant des sables, palmés). Il 
    est normal qu'il nous haïsse, tout autant pour notre sens émotif spontané, notre 
    sensibilité d'Aryen, notre lyrisme aryen pour notre humanité directe, que pour toutes 
    les autres raisons du monde à là fois. Pourtant déjà fort suffisantes... Cette supériorité 
    biologique le vexe intimement l'humilie, l'irrite au possible, l'enfurie bien plus que 
    toutes les résistances pondérables qu'il lui arrive de soupçonner... Anxieux de gaffer, 
    il redouble aussitôt de tyrannie. Mais après la grande "standardisation", le Juif sera 
    bien tranquille, les gaffes ne compteront plus... Qui s'en apercevra?... Pas les robots! 
    Vive la Liberté juive gaffeuse!... 
    
    [195] 
    
    Je ne suis pas "M. Chèvre et Chou". Je ne pèse pas le Pour 
    
    et le Contre. Les Juifs, eux, foncent, raflent et nous expulsent. 
    
    C'est pour nous les dosages "pour et contre", 
    
    les enfioteries pusillanimes. Nous en crevons. 
    
    Le Juif a déjà presque tout "standardisé" dans le domaine des arts majeurs. Il tait en ce 
    moment de très grands efforts pour standardiser la littérature mondiale, traductions, 
    agences littéraires, cénacles, académies, sont à pied d'œuvre, donnent à fond. Un tout 
    petit fait entre mille: Pensez- vous, chers cocus, que ce soit naïvement, par effet du pur 
    hasard, que l'Académie Goncourt, dans ses choix, lauréats, académiciens... s'enjuive 
    chaque année davantage?... Il faut au pouvoir juif de nombreux agents, des fourriers 
    très zélés, bien placés, dociles, dévoués, finement gangsters, ils sont indispensables 
    pour que l'armée de standardisation juive procède sans coup férir à l'étranglement de 
    l'art indigène dans tous les domaines, les moindres replis, spirituels, matériels. Les 
    traductions feront le reste, le gros ouvrage d'abrutissement. Mais il est indispensable 
    d'ores et déjà que soigneusement l'on dégoûte, minimise, sape, scie, sans répit, 
    implacablement, par tous les moyens, tous les créateurs, toute l'élite aryenne, Que le 
    lit, le dais, les sinécures, les assurances, les trônes de toutes les pelures, les pires 
    resucées, spongieuses galettes juives, rapidement s'édifient sur les décombres de l'art 
    autochtone. La grande invasion par le film et les traductions ne doit être arrêtée par 
    rien. On encule au millimètre, le premier centimètre c'est le plus dur, le plus coûteux... 
    pour les suivants ça va tout seul! Tous les pédérastes nous l'affirment. N'importe quel 
    
    
    
    115 
    
    
    
    trou du cul peut devenir, bien enculé de publicité, un immense n'importe quoi, l'objet 
    d'un culte, une [196] suprêmissime vedette, un criminel horriblissime, une léviathane 
    catastrophe, un film dantesque, une pâte à rasoir cosmique, un transatlantique qui fait 
    déborder la mer, un apéritif qui fait tourner la terre, le plus grand Lépidaure des Ages, 
    le Président du Conseil qui bouffe les casquettes vivantes. Plus c'est cul et creux, 
    mieux ça porte. Le goût du commun est à ce prix. Le "bon sens" des foules c'est : 
    toujours plus cons. L'esprit banquiste, il se finit à la puce savante, achèvement de l'art 
    réaliste, sur-réaliste. Tous les partis politiques le savent bien. Ce sont tous des puciers 
    savants. La boutonneuse Mélanie prend son coup de bite comme une reine, si 25.000 
    haut-parleurs hurlent à travers tous les échos, par-dessus tous les toits, soudain qu'elle 
    est Mélanie l'incomparable... Un minimum d'originalité, mais énormément de réclame 
    et de culot. L'être, l'étron, l'objet en cause de publicité sur lequel va se déverser la 
    propagande massive, doit être avant tout au départ, aussi lisse, aussi insignifiant, aussi 
    nul que possible. La peinture, le battage-publicitaire se répandra sur lui d'autant mieux 
    qu'il sera plus soigneusement dépourvu d'aspérités, de toute originalité, que toutes ses 
    surfaces seront absolument planes. Que rien en lui, au départ, ne peut susciter 
    l'attention et surtout la controverse. La publicité pour bien donner tout son effet 
    magique, ne doit être gênée, retenue, divertie par rien. Elle doit pouvoir affirmer, 
    sacrer, vociférer, mégaphoniser les pires sottises, n'importe quelle himalayesque, 
    décervelante, tonitruante fantasmagorie... à propos d'automobiles, de stars, de brosses 
    à dents, d'écrivains, de chanteuses légères, de ceintures herniaires, sans que personne 
    ne tique... ne s'élève au parterre, la plus minuscule naïve objection. Il faut que le 
    parterre demeure en tout temps parfaitement hypnotisé de connerie. 
    
    [197] 
    
    Vous savez combien leur multitude est considérable, 
    
    combien ils (les Juifs) sont unis, combien ils ont 
    
    d'influence dans nos assemblées. 
    
    Cicéron. 
    
    Evidemment que les Juifs, au départ, avaient grand intérêt à choisir les auteurs judéo- 
    anglo-saxons pour mener à bien leur standardisation mondiale littéraire, même tabac 
    que pour les films. Identiques manigances. Une langue immensément répandue dans 
    le monde, dont les livres se vendent déjà parfaitement sur leur marché d'origine. Voici 
    l'immense atout de ces Juifs "standardistes". Prenez un auteur "moyen" français, qui 
    se tire en France, dans les bonnes passes, par exemple à 20.000 exemplaires, le même 
    auteur, tout à fait moyen, mais anglais, sur son propre marché anglo-saxon, se "tire", 
    très normalement, automatiquement, à 200, 300.000 exemplaires. 
    
    Pour cette simple raison que le marché judéo-anglo-saxon est infiniment 
    potentiellement beaucoup plus riche que le marché miteux français (100 millions de 
    lecteurs possibles au lieu de 2 à 3 millions). Parfaitement égaux en tous points de 
    toute leur médiocrité, l'auteur anglais deviendra cependant un auteur "très connu", 
    d'un "immense talent" par tirage décuplé, donc gavé de droits et de ristournes, tandis 
    que le pauvre auteur français végète ou crève littéralement de misère (s'il n'est pas 
    quelque part fonctionnaire de l'Etat, soit deux fois abruti). 
    
    Il existe au théâtre quelques exceptions, mais ce sont forcément tous des Juifs. Ils 
    misent sur tous les tableaux, les plus faisandés de l'Internationale juive: cinéma, 
    
    
    
    116 
    
    
    
    police, radio-théâtre, politique, banque, ils se sont voués dès le prépuce au troc des 
    moulures [198] internationales. Mais quant au livre, l'avantage immense, 
    incomparable, le privilège royal des anglo-saxons, c'est leur marché centuple du 
    nôtre... 
    
    C'est ainsi, par l'effet du "nombre" que les très insignifiants Lawrence, Huxley, 
    Cohen, Wells, Cahen, Lewis, Shaw, Faulkner, Passos, etc.. dont on nous bassine 
    interminablement à longueur de Revues enthousiastes atteignent avec un peu de 
    snobisme et de gonflage publicitaire des renommées fantastiques! des "Victor Hugo 
    Prix uniques"!... tout à fait marrantes quand on connaît les oiseaux. Les Juifs, pour 
    nous les imposer, comptent énormément sur le snobisme et la jacasserie des petites 
    cliques dites "d'avant-garde"... judé-artistico-enculagaillantes-communisardes et ne se 
    trompent guère. Tout ira parfaitement, nos miches en ont vu d'autres. 
    
    [199] 
    
    Vive la Liberté! Non! Vive la Libéria! Avec quelque chose de Tartare! En plus! 
    
    Lorsque les Juifs se passionnent pour le Folklore et les classiques (voir Comédie- 
    Française aux 8/10 juive) c'est pour mieux vous étouffer, mes enfants! mettre peu à 
    peu leurs propres ouvrages juifs au niveau des classiques, et puis éliminer les 
    classiques, les sacquer, le Folklore de même, tout à fait, vous verrez! Les Juifs sont 
    les plus grands lecteurs du monde, ils démarquent, fouinent, pillent, enjuivent sans 
    arrêt, tout ce qui leur tombe sous les lunettes, qui peut leur servir, les servir, tout ce 
    qui peut se traduire en propagande juive, chansons, romans, musique, s'enjuiver. 
    
    Les Aryens surtout les Français, détestent les livres, les "idées creuses" (Ah! mais!. . 
    Ah! mais!... on se fout d'eux alors?). Ils exigent du positif! de la substance! quelque 
    chose de rationnel! d'objectif! Pour qui les prend-on? Bon sang! Bon sens! Nom de 
    Dieu! Bon sens! Descartes! Cette exigence en "positif" quand on l'examine un peu, 
    consiste à se vautrer rotant, sans dessein précis, sur tous les "cancans" du jour et du 
    guéridon bafouiller à tort et à travers entre les bobards d'affiches. La grande prouesse, 
    l'orgueil, l'exploit, c'est d'apprendre et savoir par cœur une pancarte électorale, une 
    entière, bien éclairante (toute juive forcément). Vinasser, ragoter encore, beloter, 
    affûter les panoplies, lancer de nouveaux défis. Voici pour le positif, la vie spirituelle, 
    artistique et morale de l'Aryen complet. 
    
    Peut-être ira-t-on de loisir, clabauder au gré des hoquets... un peu partout... le temps 
    que s'épuise la vinasse... qu'elle remonte... [200] roter encore les bonnes consignes des 
    journaux juifs... montrer sa culture aux passants... leur faire apprendre aussi, à ceux- 
    là, les longs mots d'ordre des meneurs juifs... Les ordres en somme qu'on a déchiffrés 
    tant bien que mal... Les instructions des invisibles maîtres... qui ne vous oublient pas... 
    ceux qui commandent... inévitablement... invariablement de se haïr de mieux en 
    mieux entre frères de race blanche, de se nuire par tous les moyens en attendant la 
    prochaine guerre, à "l'heure juive"... ils seront alors tous ensemble les Aryens cocus, 
    d'un cœur vraiment unanime, enfin unanime... Ils se feront massacrer tous ensemble 
    pour les Juifs. 
    
    Les femmes, tout aussi alcooliques que les hommes, sont encore si possible un peu 
    plus abruties que les hommes... par les ragots interminables, leur mesquinerie 
    
    
    
    117 
    
    
    
    délirante "ménagère", "l'espionnite des bignolles", la rage, l'hystérie de tout 
    médiocriser, de tout juger, de tout ravaler au plus bas, encore plus bas, de plus en plus 
    bassement, toute parole, tout inconnu, toute œuvre, tout lyrisme, tout mystère, sauf la 
    merde bien entendu, la magnifique merde juive, dont elles raffolent et se régalent 
    encore plus effrénément, plus aveuglément que les hommes... Ce sont elles qui 
    entraînent leurs maris, qui les forcent au cinéma les habituent aux superfadaises de 
    l'écran, à la bonne "idéolochie", matérialiste objectiviste, youtre... A la vénération du 
    super-confort, des superproductions; des super-branlées platitudes youtres, aux super- 
    smokings, super-cocktails, super-bagnoles, enfin toute la super-connerie mécanisante 
    et robotisante des salles obscures, de ces cavernes cent mille fois plus abrutissantes 
    que les pires idolâtriques catacombes des premiers siècles. Tous ces miséreux, ces 
    serfs délirants, complètement vermoulus par la propagande "idéolochique" de la radio 
    du film et du "cancan" délirent à présent de désirs matériels et de muflerie militante. 
    Les chômeurs louent des smokings ! 
    
    "On s'en foutra nous aussi, plein la gueule! on les enculera vos putains." Voire cocus! 
    Les Juifs vous attendent au détour, abrutis dévergondés ! pour vous sonner drôlement 
    les cloches, pour l'incarcération finale, le passage définitif des menottes, du tabac, au 
    moment précis... au moment où les geôles juives impeccables, communistes, déjà 
    prêtes (modèle russe) se refermeront sur vous sur vos paroles, vos pipes, roteurs, 
    bourriques! Elles se refermeront sur vous!... On vous les fera ravaler à grands coups 
    de crosses dans le buffet, vos paroles de haine et de revendications. Vous 
    
    [19] (p. 201-210) 
    
    [201] vous écroulerez dans les fers entièrement avilis, pourris, vous continuerez à 
    roter, complètement décervelés par tant et tant de sottises vociférées pour tout 
    jugement, sur tous les tons de l'univers, Aryens devenus bien "Robots", vous voterez 
    tous comme des robots, pour les ceusses qui remonteront vos mécaniques, toutes vos 
    pendules, qui vous fourniront tout le courant: les Juifs. 
    
    [202] 
    
    Pourquoi n'aurais-je pas le droit, dans mon pays, de hurler que je n'aime 
    
    pas les Juifs Les francs-maçons se gênent-ils pour mener une 
    
    guerre à mort contre les curés. Nous sommes en fascisme juif. 
    
    En vous parlant de toutes ces choses de traductions, de librairie... je me suis animé un 
    peu... N'allez point m'estimer jaloux! Ce serait mal reconnaître ma parfaite 
    indépendance. Les Juifs, je les emmerde bien, ils peuvent gentiment me le rendre, à 
    droite, comme à gauche, comme au centre, en travers, au particulier. Ils ne me gênent 
    personnellement qu'un petit peu, presque pas. Il s'agit d'un conflit tout à fait 
    "idéolochique". 
    
    Certes, j'observe que par l'entremise des youpins: éditeurs, agents, publicistes, etc., 
    sous l'influence des films, scénarios juifs, agresseurs, branleurs pourrisseurs, de la 
    politique juive en somme des consignes juives, occultes où officielles, la petite 
    production artistique française, déjà si maigrichonne, si peu rayonnante, est en train 
    bel et bien de crever... Les Juifs doivent écraser tout c'est entendu... Mais la vie n'est 
    pas si longue, ni si joyeuse que cela puisse en vérité vous empêcher de dormir. Et puis 
    
    
    
    118 
    
    
    
    demeurons tout à fait équitables, les Juifs furent toujours bien aidés dans leur œuvre 
    de destruction, d'asservissement spirituel par les maniérismes "façon noble, 
    renaissant" et puis ensuite pusillanimes, bourgeois officiels, enfin toute la châtrerie 
    académique, puristique, désespérément obtuse dont succombent nos arts dits français. 
    
    Ce qui nous gêne le plus dans les Juifs, quand on examine la situation, c'est leur 
    arrogance, leur revendicarisme, leur perpétuelle martyrologo-dervicherie, leur sale 
    tam-tam. En Afrique, chez les mêmes nègres, ou leurs cousins au Cameroun, j'ai vécu 
    des [203] années seul, dans un de leurs villages, en pleine forêt, sous la même 
    paillotte, à la même calebasse. En Afrique, c'étaient des braves gens. Ici, ils me 
    gênent, ils m'écœurent. Ils ne devenaient tout à fait insupportables au Cameroun, 
    qu'au moment de la pleine lune, ils devenaient torturants avec leur tam-tam... Mais les 
    autres nuits, ils vous laissaient roupiller bien tranquille, en toute sécurité. Je parle du 
    pays "pahoin", le plus nègre pays de nègres. Mais ici, à présent, en France, Lune ou 
    pas Lune, toujours tam-tam!... Nègres pour nègres, je préfère les anthropophages... et 
    puis pas ici... chez eux... Au fond, c'est le seul dommage qu'ils me causent, un 
    dommage esthétique, je n'aime pas le tam-tam... Quant à la matérielle, mon Dieu! il 
    m'était extrêmement facile de m' arranger... Je pouvais me payer le luxe, non 
    seulement d'ignorer toutes ces turpitudes, mais il m'était enfantin de profiter, et 
    comment, fort grassement, mirifiquement de cette invasion murine... putréfiante... 
    Mille moyens, mille précédents! Il m'était loisible entre autres, si l'on considère mes 
    charmes, mon très avantageux physique, ma situation pécuniaire solide, d'épouser 
    sans faire tant d'histoires, quelque petite juive bien en cour... bien apparentée... (Il en 
    vient toujours rôder, tâter un peu le terrain), me faire naturaliser par là même, "un 
    petit peu juif"... Prouesse qui se porte superbement en médecine, dans les Arts, la 
    noblesse, la politique... Passeport pour tous les triomphes, pour toutes les immunités... 
    Tous ces propos, j'en conviens, tiennent du babillage... Bagatelles!... Babillons!... 
    Nous avons noté que les Juifs semblent avoir choisi l'anglais pour la langue de 
    standardisation universelle (ils faillirent opter pour l'allemand)... 
    
    N'est-il pas amusant à ce propos d'observer que les jeunes Juifs des meilleures 
    familles (Juifs français compris), se rendent le plus souvent à Oxford pour achever 
    leurs études. "Finishing touch!" Suprême vernis! Si je voulais, si les circonstances 
    m'obligeaient, je pourrais peut-être écrire directement mes livres en anglais. C'est une 
    corde pour me défendre, une petite corde à mon arc. Je ne devrais pas me plaindre... 
    Mais personne ne m'a fait cadeau de mon petit arc... J'aurais bien voulu qu'on me 
    fasse dans la vie quelques cadeaux! Tout est là!... Pour le moment je préfère encore 
    écrire en français. . Je trouve l'anglais trop mou, trop délicat, trop chochote. Mais s'il 
    le fallait... Et puis les Juifs anglo-américains me traduisent régulièrement, autre 
    raison... et me lisent!... Nous ne sommes pas très nombreux, parmi les auteurs français 
    [204] de la "classe internationale". Voilà le plus triste. Cinq ou six, je crois... tout au 
    plus, qui pouvons étaler... C'est peu... beaucoup trop peu!... L'invasion est à sens 
    unique, cela me gêne. 
    
    Les éditeurs judéo-anglo-saxons, très au courant des choses de la fabrication littéraire, 
    les reconnaissent les romans "standard", ils en font fabriquer d'exactement 
    semblables, tous les ans, par milliers, chez eux. Ils n'ont que faire de "répliques", 
    s'embarrasser d'autres postiches... Personnellement, il me sera possible, sans doute, de 
    me défendre encore pendant quelque temps, grâce à mon genre incantatoire, mon 
    lyrisme ordurier vociférant, ana thématique, dans ce genre très spécial, assez juif par 
    
    
    
    119 
    
    
    
    côtés, je fais mieux que les Juifs, je leur donne des leçons. Cela me sauve. Je passe 
    chez les Juifs des Etats-Unis pour un esprit fort. Pourvu que ça dure! 
    
    [205] 
    
    Nous ordonnons que tout Juif maudisse trois fois par jour 
    
    tout le peuple chrétien et prie Dieu de l'exterminer 
    
    avec ses rois et ses princes. 
    
    Le Talmud. 
    
    Tout à fait par hasard je tombe l'autre jour sur un journal que j'ignorais: "L'Univers 
    Israélite", du 15 novembre 1937... Nous avons tort de ne pas lire régulièrement 
    "L'Univers Israélite". Un seul numéro de cet U.I nous apprend beaucoup plus de 
    choses essentielles sur la marche du monde, que toute notre presse trahisonnante, pour 
    esclaves, pendant tout un mois. 
    
    Ainsi nous lisons: "L'Art de Hâbimah. A l'Exposition 37". Vous allez voir comme 
    s'est instructif... 
    
    "L'art en général peut être divisé en deux catégories: art national et art international... 
    
    "Au premier, appartiennent principalement les artistes de la parole: 
    
    poètes, orateurs, acteurs... 
    
    "Au deuxième, les peintres, les sculpteurs, les musiciens, les chanteurs. Le rayon des 
    artistes de la parole est très limité; il s'étend sur tel pays, ou tel autre - parfois il 
    embrasse aussi un pays voisin. En d'autres termes les artistes de la parole sont 
    organiquement liés à leur terre, et seul leur peuple les connaît, les comprend, les 
    apprécie à leur juste valeur. 
    
    "Plus heureux est l'art international: ses enfants doués sont chéris dans le monde 
    entier, ils sont partout chez eux, pour eux, tous les peuples ont des yeux et des 
    oreilles. Les exemples ne manquent pas! Picasso et Chagall, Rodin et Epstein, Duncan 
    et Fokine, Menuhin, Heifetz, Chaliapine... 
    
    [206] «De très grands artistes de la parole rompent de temps à autre les barrières de 
    leur langue et de leur pays et deviennent internationaux - telles la Duse et Sarah 
    Bernhardt. Mais cela n'arrive que très rarement, il faut pour cela un talent 
    extraordinaire, prodigieux, une situation particulière, une rare énergie, une langue 
    universellement répandue. 
    
    "Vachtangoff, ce génial metteur en scène russo-arménien - et en certain sens aussi juif 
    - s'est créé une méthode nouvelle. Il n'a pas voulu attendre que le grand, le très grand 
    artiste fût né: il l'a pétri lui-même, lui a insufflé une âme vivante. Il y est parvenu 
    principalement parce qu'il a su unir tous les talents de la parole en un ensemble 
    magnifique, tous les tempéraments artistiques en un seul rythme, avec les qualités des 
    uns suppléer aux défauts des autres. De plus, il avait incorporé dans chaque pièce 
    théâtrale tous les arts possibles, - musique et peinture, chœurs, danses et chants. Il ne 
    
    
    
    120 
    
    
    
    l'a pas fait d'une façon mécanique mais d'une manière organique comme la religion 
    dans ses extases de prières et de foi. 
    
    «La langue de la Bible, si belle qu'elle paraisse dans la bouche des artistes de 
    "Habimah" ne joue qu'un rôle minime. 
    
    «Ce n'est pas en vain que de nombreux théâtres se sont mis à imiter "Habimah" dans 
    son art, ils ont entrevu la colombe de l'Arche de Noé, l'annonciateur d'une expression 
    internationale pour les artistes de la parole, ces émissaires spirituels qui créent des 
    liens entre les peuples mieux que n'importe quel représentant diplomatique. C'est 
    pourquoi nous devons tous saluer "Habimah" et ses artistes, à l'occasion de leur 
    nouvelle apparition à Paris, contribuer à leur succès moral et matériel. Nul mieux que 
    "Habimah" ne saurait parler pour nous au cœur des peuples étrangers qui ne nous 
    connaissent pas ou ne veulent pas nous connaître. " 
    
    
    
    
    
    
    On nous communique: 
    
    «Qu'à l'occasion des représentations du théâtre "Habimah", un comité de réception a 
    été formé et est compos... faut pas faire semblant!... 
    J'aime encore mieux Claude Farrère que douze ou treize faux-monnayeurs. Pour mon 
    petit personnel je dois beaucoup à Barbusse, à Daudet du "Rêve éveillé". Vlaminck 
    me semble parmi les peintres celui qui se rapproche le plus de mon idéal avec Gen 
    Paul et Mahé... Il ne faut pas imaginer que tous ces gens- là sont des potes ou le 
    furent... Ce serait une erreur fatale! Peut-être sans doute qu'ils me détestent ou me 
    détestaient de leur garce vivant. La plupart, je les ai jamais vus. Je tiens pas du tout à 
    les voir, ni à leur plaire, au contraire, ce sont les coiffeurs de la vie, qui tiennent 
    toujours beaucoup à plaire, les putains. Plus on est haï, je trouve, plus on est 
    tranquille... Ça simplifie beaucoup les choses, c'est plus la peine d'être poli, je ne tiens 
    pas du tout à être aimé... Je n'ai pas besoin de "tendresse"... C'est toujours les pires 
    saloperies de l'existence que j'ai entendu soupirer après les "tendraîsses"... C'est ainsi 
    qu'ils se rassurent. C'est comme l'honnêteté, la probité, la vertu... Quels sont les murs 
    au monde qui entendent le plus parler de ces choses-là?... Ce sont les murs d'un 
    cabinet de Juge d'instruction... Quelles sont les arènes où l'on vocifère maximum au 
    nom de toutes les [217] Libertés? de la France aux Français? de l'abolition des 
    injustices et des privilèges?... Dans les arènes du Communisme pleines à craquer de 
    Juifs délirants de racisme et de voracité. C'est pesé! Chers fauves, arrivez donc me 
    déchirer tous ces veaux!... 
    
    Revenons à nos gais moutons... Je digresse comme une vieille chaisière. Question de 
    "littérature" je ne me donne donc pas pour modèle, nenni! On m'a énormément copié, 
    certes, sans rien dire! rien divulguer, c'était fatal... Ici et là, un peu partout et dans bien 
    d'autres pays... Ceux qui me copient m'abominent forcément, m'éreintent dès qu'ils 
    peuvent, plus que tous les autres à la fois. Je suis le papa de bien des petits enfants, à 
    maigres couillettes, qui font à mes frais les petits farauds, les petits inspirés, les petits 
    fiévreux prophètes, d'une petite "sauterie" dans une autre à droite, au centre et surtout 
    
    
    
    126 
    
    
    
    à gauche. Je ne veux pas les déranger, je suis discret par nature, les papas savent bien 
    qu'il faut s'effacer, que c'est le plaisir des enfants de faire leurs petits crâneurs... Je 
    veux pas les déranger, m'amener en trouble-fête... J'ai même pour eux, je l'avoue, une 
    petite tendresse bien compréhensible... Je voudrais pouvoir leur passer un petit peu de 
    glycéro-phosphate, qu'ils se renforcent un peu les os... une armature plus solide... En 
    général, ils sont mous, ils puent le lycée, le babillage, la branlette, le c_ur leur 
    manque. Ils me font de là peine à regarder... Pour un peu je les renierais. C'est 
    malheureux, en fait, en somme, qu'ils aient pas plutôt continué à écrire poli 
    "goncourtien"... Ça vient tout seul chez les mufles, ce genre goncourtien. Tous les 
    gens polis sont des mufles. Pas plus poli qu'un bourreau... Quand on a pris le temps 
    d'étudier si bien l'adjectif convenable, au moment qu'il monte à la plume, c'est qu'on 
    est sec comme un coup de trique. Croyez-moi j'ai fait souvent l'expérience. Notre 
    belle littérature néo-classique, goncourtienne et proustophile n'est qu'un immense 
    parterre de mufleries desséchées, une dune infinie d'osselets frétillants. Pour bien 
    réussir dans le franc grossier, l'émotion directe, il ne suffit pas, ce serait trop facile, 
    d'invoquer la merde chaque fois qu'on se trouve à court. Tels romantiques et 
    classiques dès qu'ils se sentaient bafouilleux, fourvoyés un petit peu en traître terrain, 
    prenaient à rescousse Dieu le père! l'imposaient aussitôt. Ficelles! silence! et 
    vénération! Pour bien donner au "vulgaire" il est tout à fait impérieux que tout 
    d'instinct vous en retienne, que tout vous éloigne... et c'est le paradoxe, des vautreries 
    ordurières... des abandons lâches du commun... de la matière morte en [218] somme... 
    de tout le rebut en un mot... Que tout vous rappelle au contraire despotiquement à la 
    vie, au fluide, à la danse. 
    
    La grossièreté n'est supportable qu'en langage parlé, vivant, et rien n'est plus difficile 
    que de diriger, dominer, transposer la langue parlée, le langage émotif, le seul sincère, 
    le langage usuel, en langue écrite, de le fixer sans le tuer.. Essayez... Voici la terrible 
    "technique" où la plupart des écrivains s'effondrent, mille fois plus ardue que l'écriture 
    dite "artiste" ou "dépouillée", "standard" moulée, maniérée, que l'on apprend branleux 
    en grammaire de l'école. Rictus, que l'on cite toujours, n'y réussissait pas toujours, 
    loin de là! Force lui était de recourir aux élisions, abréviations, apostrophes 
    Tricheries! Le maître du genre, c'est Villon, sans conteste. Montaigne, plein de 
    prétentions à cet égard, écrit tout juste à l'opposé, en juif, semeur d'arabesques, 
    presque du "France" avant la lettre, du Pré-Proust... 
    
    Dès qu'on se sent un peu "commun" dans la fibre et l'intimité, le mieux, de beaucoup, 
    sans conteste, c'est de se vouer aux bonnes manières, de faire carrière en "dépouillerie 
    " en élégante concision, sobriété délicate, finement tremblotante, colettisme. Tous les 
    "parfaits styles" dès lors vous appartiennent avec plus ou moins de petit doigt, lon- 
    laire I 
    
    Plus rien à craindre de vos élans!... Vous ne serez jamais découvert, le monde, si 
    bourbeux, si porc, tellement irrémédiablement bas du cul, ses "chiots" toujours si près 
    des talons, ne se torche que de papillottes, pasteurisées... Toute sa distinction!... La 
    seule à vrai dire. Pour cette raison et nulle autre, vous observerez que les dames 
    s'effarent et se déconcertent, interpellées en durs propos, tressaillent des moindres 
    grossièretés. Elles toujours si près du balai, toujours si boniches par nature, dès 
    qu'elles écrivent, c'est au plus précieux, au plus raffiné, aux orchidées qu'elles 
    s'accordent... Elles n'empruntent qu'à Musset, Marivaux, Noailles, ou Racine leurs 
    séductions, leurs travestis. Supposons qu'elles se laissent aller... quel déballage! une 
    
    
    
    127 
    
    
    
    minute! Jugement de Dieu!... Ce serait alors vraiment la fin du monde! Écrire pourtant 
    de cul de bite, de merde, en soi n'est rien d'obscène, ni vulgaire. La vulgarité 
    commence, Messieurs, Mesdames, au sentiment, toute la vulgarité, toute l'obscénité! 
    au sentiment! Les écrivains, comme les écrivaines, pareillement enfiotés de nos jours, 
    enjuivés domestiqués jusqu'aux ventricules depuis la Renaissance, n'ont de cesse, 
    s'évertuent, frénétiques au "délicat", au "sensible", à "l'humain"... [219] comme ils 
    disent... Dans ce but, rien ne leur paraît plus convaincant, plus décisif, que le récit des 
    épreuves d'amour... de l'Amour... pour l'Amour... par l'Amour... tout le "bidet lyrique" 
    en somme... Ils en ont plein les babines ces croulants dégénérés maniéreux cochons de 
    leur "Amour I!» ... 
    
    C'est en écrivant d'Amour à perte d'âme, en vocabulant sur mille tons d'Amour, qu'ils 
    s'estiment sauvés... Mais voici précisément, canailles! le mot d'infamie! le rance des 
    étables, le vocable le plus lourd d'abjection qu'il soit!... l'immondice maléfique! le mot 
    le plus puant, obscène, glaireux, du dictionnaire! avec "cœur!". Je l'oubliais cet autre 
    renvoi visqueux! La marque d'une bassesse intime, d'une impudeur, d'une insensibilité 
    de vache vautrée, irrévocable, pour litières artistico-merdeuses extraordinairement 
    infamantes... Chaque lettre de chacun de ces mots suaves pèse sa bonne demi-tonne 
    de chiasse exquise... Tous les jurys Feminas s'en dégustent, ne respirent que par ces 
    étrons, à longueur de pâmoison, s'en ravissent intimement, festoyeusement "tout à la 
    merde", s'en affriolent en sonnets, pellicules, conférences, mille tartines et téléphones 
    et doux billets... 
    
    Racine? Quel emberlificoté tremblotant exhibitionniste! Quel obscène, farfouilleux 
    pâmoisant chiot! Au demi-quart juif d'ailleurs!... Regardez les bêtes sauvages un petit 
    peu, toujours nobles, toujours pudiques... Mais les lapins en clapiers, les chiens en 
    chenils, les porcs dans leurs bauges, en voilà des êtres qui parlent, rêvent, pensent, 
    agissent pour l'Amour! Toute la pourriture, la servitude des races commence, s'achève 
    par l'amour, les "tournois", les émois, les sussurages de l'Amour!... Un bon coup 
    d'alcool par là-dessus et c'est l'écroulement! Les voici bien abâtardis, bien mûrs pour 
    tous les esclavages, pourvu qu'ils s'enculent encore et toujours plus et plus toujours... 
    dans tous les chenils, les clapiers qu'on leur présente... vautrés dans leurs arguties, 
    dans leurs arabesques d'Amour, ils exultent!... C'est leur paille!... Il n'existe à parler 
    franc qu'une seule obscénité. Mais celle-ci élémentaire, inexorable, biologique 
    infiniment corruptrice, c'est le "Parlez-moi d'amour" putréfiant. Rien ne lui résiste. 
    Tout s'en trouve, en très peu de temps, corrompu, vermoulu, "muflisé" à jamais... 
    C'est la vraie "débauche"... L'effrénée putasserie des sentiments et des mots doit se 
    payer en définitive très cher, se solder par de très cruels supplices. Aux hordes 
    avachies, "amorosées", les infinies servitudes!... Toutes les prostitutions du cul ne 
    sont que [220] vétilles auprès de ce "niagaresque" dégueulé de "doux murmures" de 
    "sentiments brûlants", "d'ineffables ivresses"... tout ce déluge d'enfioteries dont on 
    nous submerge pour notre décadence. La veulasserie des choses de l'âme nous 
    confectionne plus d'abrutis, de serfs et de fous ennuyeux, de maniaques obtus et 
    sourds que toutes les véroles d'un siècle renforcées ensemble. 
    
    
    
    128 
    
    
    
    [21] (p. 221-230) 
    
    [221] 
    
    Le Juif qui viole ou corrompt une femme non juive et même 
    la tue doit être absous en justice, parce qu'il n'a fait de mal qu'à une jument. 
    
    Le Talmud. 
    
    Qu'est-ce qui rentre dur et sort mou?" Voici une bonne devinette... 
    
    Ceux qui savent répondent: le biscuit!... Les films c'est pareil... Ils commencent durs 
    et finissent mous... guimauve à la merde!... au jus "sentiment". Les foules se régalent, 
    c'est leur bonheur, leur ivresse, il leur faut leur merde, leur bonne merde juive, merde- 
    radio, merde-sport (tous les combats de boxe, toutes les compétitions de la route et du 
    vélodrome sont truqués), merde-alcool, merde-crime, merde -politique, merde-cinéma, 
    ils s'en font crever!... Jamais trop! Jamais trop d'étrons! Jamais trop coûteux! La 
    littérature d'ailleurs les prépare à bien apprécier cette jolie fiente. La littérature se met 
    au niveau, il faut bien, des plus accablants scénarios, des plus surbranlés. Elle ne 
    végète plus qu'à ce prix, ne sait plus comment s'enjuiver davantage, plaire par 
    conséquent, s'envaser encore un peu plus, renchérir dans la sentimentalerie... Tout en 
    étrons!... Plus près toujours! Plus près du peuple! plus politique! plus démagogue! 
    L'esprit "banquiste" en somme... L'esprit du pitre Tabarin (1630 est déjà youtre)... Au 
    prochain acte la puce savante! Messieurs, Mesdames, le peuple vous renverra aux 
    gogs un de ces trois matins!... Alors tous en prison!... et Robots Nom de Dieu!... et en 
    avant le surréalisme!.. Le truc d'art moderne est encore plus simple!... je vais vous 
    l'indiquer pour rien... Vous photographiez un objet, n'importe quel objet, chaise, 
    parapluie, télescope, autobus, et puis vous le découpez en "puzzle"... Vous éparpillez 
    les miettes, ces lambeaux, tout à travers [222] une immense feuille de papier, vert, 
    crème orange. Poésie!... Vous avez compris ?... Quand le robot veut de la poésie on le 
    régale... Nous n'en sommes encore qu'au dernier stade de la décrépitude naturaliste, 
    maniérée, cosmétiquée, napolitanisée, persuasive, flagornante, hurleuse. Vous 
    attendrez quelques mois!... Vous l'aurez l'art robot! On pourrit l'esclave aryen, on le 
    prépare de toutes les manières: et tant qu'il peut s'en goinfrer!... Si quelque petit Juif 
    s'amène, d'aventure détenteur d'une nouvelle façon de miner, d'ahurir encore mieux 
    l'Aryen, plus intimement... Son avenir est assuré... Et quel avenir!... Quel contrat 
    fulgurant! Il ne faut à Hollywood que trois semaines de publicité mondiale intensive 
    pour transmuter le plus grêle, frelaté, en train de surir normalement, rance 
    ulcéromateux petit fifre de youtre en épatantissime Phénix, le réincarner Michel 
    Ange! plus Rembrandt, plus Mirandole! Voyez-vous d'ici! Vous n'existez pas!... Le 
    Juif est à l'origine de tout le cinéma... aux commandes, Hollywood, Moscou, 
    Billancourt... Meyers sur Meyers... Korda, Hayes, Zukor Chaplin, Paramount... 
    Fairbank... Ulmann... Cantor..., etc., etc. Il est au milieu dans les salles "circuits", 
    dans les rédactions... les critiques. Il est au bout... à la caisse... Il est partout... Ce qui 
    vient du Juif retourne aux Juifs! automatique!... inexorablement. Ayant drainé au 
    passage, repassage sur toutes les routes du monde, toute la subsistance spirituelle et 
    tout le flouze des cons d'Aryens, abrutis, cocus, avinés, fanatisés par ces merdes! pour 
    ces merdes! dans la merde!... Comme ils ont bien appris aux foules, les youtres de la 
    pellicule, l'obscénité sentimentale! toutes les "caresses et les aveux"!... le dépotoir des 
    longs baisers... l'indignité... l'énorme dégueulis "d'Amour!"... 
    
    
    
    129 
    
    
    
    Le théâtre va culbuter, un soir, bientôt, tout entier, sans faire un gros plouf dans le 
    cinéma!... étron tortilleur! dans la fosse commune, dans la gigantesque vidange! dans 
    l'Attraction Universelle! l'art mondial juif. Vous observerez que le courant de vedettes 
    (tous grands génies évidemment, théâtreux et cinéatiques), se fait de plus en plus 
    animé, intensif, ces derniers mois entre Hollywood, Moscou et les capitales 
    d'Europe... Ces "artistes" ne voyagent qu'en service commandé... Ils participent tous à 
    la grande colonisation mondiale par le cinéma juif... Chacun apportant à Hollywood 
    tour à tour, sa petite trahison personnelle, ses petits renseignements intimes, ses 
    petites félonies, infiniment anxieux de plaire encore aux Ben Mayer, Ben Zuckor... 
    frémissant de leur rapporter [223] encore une autre ficelle émotive, volée aux arts 
    autochtones, aux arts aryens, pour faire mieux encore passer la marchandise filmée 
    juive pourrissante. Un petit secret de pénétration... Tout cela soigneusement rétribué, 
    trafic abject je vous assure... spirituellement... Juifs de toutes les grimaces unissez- 
    vous!... C'est fait!... 
    
    Autre trafic parallèle, pour les apprenties vedettes, entre l'Europe et Hollywood. 
    Trafic des plus belles, des plus désirables petites Aryennes bien suceuses, bien 
    dociles, bien sélectionnées, par les khédives négrites juifs d'Hollywood "Metteurs en 
    scène" (!) écrivains (?) gouines de pachas, machinistes... banquiers assortis... Tous nos 
    vizirs de l'Univers juif!... Ce n'est plus la route de Buenos... c'est la route de Californie 
    et de "haut luxe" et vice versa. Les petits culs d'Aryennes, les plus tendres, bien 
    junéviles, et mignons, tout ce qu'il y a de mieux dans le cheptel, absolument tout 
    premier choix, pour les gros vielloques, négrifiants... les plus fermentées pourritures 
    concentrées youtres du suprême cinéma!... Juif partout! au cul! de tout! et dans la 
    pipe!... le bon foutre juif! ... Tu les boufferas les hémorroïdes du gros paneux, 
    suiffeux fameux youtre, haineux pacha, petite sœur de race!... reine de beauté!... Ils en 
    raffolent des chichis fourrés! Tu n'as pas seize ans pour les prunes! Tu veux faire 
    carrière ?... Minois ? Tu veux être adulée! dis-moi ?... Tu veux être Reine de l'Univers 
    juif! Minute!... Attends un petit peu d'abord... frémissante! A la pipe enfant!... Tu 
    crois qu'il suffit d'être belle ?... Ouvre d'abord ton gentil ventre... Tu crois les journaux 
    de cinéma ?... Tu n'as pas fini! Tu veux passer souveraine, petite garce?... Mondiale 
    favorite? Très bien! Alors descends un petit peu d'abord à l'anus de M. Lévy-Lévy, dit 
    Samuel l'Abyssin, dit Kalkeinstein, dit Ben Cinéma, lui amuser sa procidence... suce 
    tout doucement le lourd paquet... qu'il t'éprouve!... Assez de phrases! là!... Ne crève 
    rien de tes quenottes!.. La gloire c'est un trou du cul! bien compliqué, fragilement 
    boursouflé, de suiffeux juif... doucement!... N'abîme rien, ma charmante, surtout! Ne 
    fais pas saigner M. Kalkeinstein... Il t'attend!... Dépêche-toi chérie. Tout doux!... A 
    présent une autre! raffole des "blondes" par-dessus tout, M. Kalkeinstein, Ben 
    Cinéma... comme tous les nègres... Il possède, chères postulantes! toutes les 
    photographies déjà bien en place, sur son grand bureau directorial... Il mouille. Le 
    Parc aux Cerfs Abdul-Hamid? Rio-Janeiro? Primitives bordelleries ! Hollywood fait 
    lui bien mieux... une sélection bien plus fine... bien plus astucieuse, plus rationnelle... 
    Préface de [224] la grande Réserve des plus belles blanches pour les Juifs 
    exclusivement. Razzia tous les dimanches. La sélection française des petits tendrons 
    de beauté se trouve particulièrement guettée par les grands chacals juifs de Californie. 
    Une magnifique réputation de suceuses, de très mignoteuses putains précède les 
    Françaises partout... Le nabab judéo-canaque d'Hollywood, tard sorti de son ghetto... 
    veut, c'est naturel, il est le roi... se rendre compte... J'ai connu l'un de ces pachas, il 
    était splendide dans son genre. Il est mort d'ailleurs à la tâche... Au moment où il 
    débarquait il arrêtait pas de se réjouir jusqu'à son départ... Il éprouvait en personne à 
    
    
    
    130 
    
    
    
    longueur de bite et de nuit, toutes les aspirantes vedettes... C'était pas possible 
    d'imaginer la consommation de cet homme... Le nombre de mignonnes qui se 
    présentent pour se faire calcer rien qu'à la furtive perspective d'un engagement pour 
    Hollywood ...ou même un petit rôle d'essai aux environs de Paris... Complètement 
    affriolées! C'est par douzaines que ça radine! plus mignonnes les unes que les autres 
    pour sucer la bite du monsieur... et sa chaude -pisse et sa vérole... Et pas des blèches, 
    je vous assure! rien que des tendrons. !... toutes présentées par leurs familles, et même 
    des pucelles. Rien que des Aryennes et des petites bourgeoises pas faméliques. Rien 
    au-dessus de la "majorité" ... L'ambition!... Et l'Abyssin horrible en plus! laid, vieux et 
    sale, lourdingue et con, une vraie ordure, en tout et partout... une vraie dégueulure de 
    ghetto. Jamais il avait de résistance... Il se les farcissait toutes... à l'espérance, au 
    mirage juif, au bon mot! Ah! Don Juan! quel causeur! Les mères auraient fait 
    l'impossible peur qu'ils les enculent davantage, leurs jolies fillettes! si douées pour les 
    Arts... Il en pouvait plus... Elles le léchaient sur toutes les faces... ses vieilles burnes 
    flasques... Hollywood! Plus elles étaient "fiancées" plus ça plaisait... Il tenait un petit 
    carnet pour numéroter les pucelages... parfois 25 dans un mois... Il était sadique 
    comme 36 chats de Perse... De temps en temps ca tournait mal, y avait du tabac, des 
    pères, des frères de familles qui se montraient... des petits chantages en perspective... 
    Mais les pachas sont protégés... il avait même, celui-là, tout spécialement, pour son 
    service, un vrai commissaire de police attaché à sa personne pour le dépêtrer., quand 
    ça fumait un peu fort... La police intervenait. On réveillait même la nuit le Préfet dans 
    sa Préfecture pour qu'il donne des ordres... pour qu'on lui ramène ses mignonnes, 
    quand elles se faisaient la valise... absolument comme sous Louis XV... quand sa 
    queue l'empêchait [225] de dormir... Ça. sert à quelque chose nos impôts. Seulement 
    faudrait pas que je vous gâte, que vous alliez vous croire Pacha... Il y a l'énorme 
    différence!... Le "Bon Plaisir" ça subsiste... c'est plus les mêmes qui en profitent, voilà 
    tout... Faut pas confondre!... Vous petite cloche, vous cave d'Aryen, vous vous feriez 
    drôlement sonner s'il vous prenait la fantaisie de jouer comme ça les petits satyres! 
    même le quart! même le dixième! on vous ferait passer vite le goût... Vous auriez 
    même pas le coup de Bastille! Vous auriez droit aux "castagnettes"... Pfoui! la raclure 
    d'indigène! qui pisse à présent partout! Le sale coyote! La débranlure! à la niche! 
    infect... couché!... Ce ne sont là, je vous l'affirme, que tout autant de gamineries... 
    Délassements de conquérants! distractions de khédives. Bagatelles! L'_uvre sérieuse 
    n'en pâtit pas! Au contraire!... Le programme talmudique ne souffre aucun retard 
    d'exécution. L'érotisme polluant fait partie du programme. C'est tout. Chapitre intime. 
    
    Quant aux principes généraux ils sont intangibles. Observez que tous les films 
    français, anglais, américains, c'est-à-dire juifs, sont infiniment tendancieux, toujours, 
    des plus bénins aux plus amoureux!... des plus historiques aux plus idéalistes... Ils 
    n'existent et ne se propagent que pour la plus grande gloire d'Israël... sous divers 
    masques: démocratie, l'égalité des races, la haine des "préjugés nationaux", l'abolition 
    des privilèges, la marche du progrès, etc.. l'armée des bobards démocratiques en 
    somme... leur but strict est d'abrutir le goye toujours davantage... de l'amener le plus 
    tôt possible à renier toutes ses traditions, ses malheureux tabous, ses "superstitions", 
    ses religions, à lui faire abjurer en somme tout son passé, sa race, son propre rythme 
    au profit de l'idéal juif. De faire naître en lui, par le film, le goût bientôt irrésistible 
    pour toutes les choses juives qui s'achètent, de la matière, du luxe, qu'il se fabrique 
    ainsi lui-même, l'Aryen, les verges pour se battre et les chaînes pour s'enferrer, qu'il 
    paye pour comble, chemin faisant, avec quel exorbitant "surplus" tout l'appareil de 
    son servage et de tout son abrutissement. 
    
    
    
    131 
    
    
    
    Vous noterez que, dans les films, le Juif, en tant que "personnage juif " n'apparaît 
    jamais à vos yeux qu'en "persécuté", touchant personnage, écrasé par ta malignité des 
    choses, la malchance... et surtout par la brutalité des Aryens... (Voyez Chaplin)... 
    "Pleurnicher nourrit" admirablement! L'humour juif est toujours unilatéral, toujours 
    dirigé contre les institutions aryennes; on ne nous [226] montre jamais le Juif avide, 
    vorace, larvaire et vautour, arrogant ou limande, tel qu'il se transforme, se frégolinise 
    inlassablement, dans la vie de tous les jours, selon les besoin de la conquête. Quel 
    champ prodigieux pourtant offert à la verve des humoristes! analystes, satiristes, 
    redresseurs virulents de tous les torts, fanatiques justiciers, fins scalpels de l'iniquité! 
    Quelle manne! quel matériel abracadabrant d'imprévus! d'inouis imbroglios cette ruée 
    gigantesque des rats youtres sur l'univers, inassouvibles voraces en délire, insatiables, 
    enragés d'un virus dont le Monde s'anéantit... sous nos yeux, avec eux, sous eux, quel 
    cyclone universel!... Du grotesque en cataclysme aux plus déchirantes grandes 
    guignoleries... de tout!... De la Russie subcarpatique aux déserts américains... aux 
    petits "cafés lapidaires". Le monde en torture! 
    
    Drôle! Au moment d'aborder ces infernaux parages, le Juif, le djibouk des arts, de 
    toucher a son propre problème, son propre destin, l'enjuivé se résorbe, s'évapore, 
    élude... Plus personne!... Au moment d'affronter la réelle, la seule question humaine 
    du moment, la ritournelle typique de la terre, de débrider un peu cet anthrax: la 
    Conjuration juive... son infiltration, l'accaparement par la youtrerie de tous les 
    ressorts, de tous les leviers et commandes du monde... La trame en somme de la 
    Démiurgie, l'apostolique hébraique... Plus rien!... Plus un Juif!... Ces mêmes foudres 
    d'humour, ces impitoyables scalpels, ces dramaturges supervibrants, s'attendrissent... 
    tous ces extra-lucides s'embrouillent... ces effarants super- analystes se mettent à 
    badiner, toute la clique superartiste youtre, biaise, ondoie, évite, triche, se glace et 
    revient, girouette, au galop, piquer, piper encore, morfondre davantage, si possible, 
    abolir, remariner, dilacérer la bonne vieille charogne bourgeoise (toujours nationale), 
    la vieille carne bien dissolue, bien fétide, fatiguée de pourrir... à ne plus savoir 
    comment... L'on nous sert encore un coup, les "privilèges de la naissance"... les 
    "préjugés nobiliaires", les "jalousies criminelles", les "amours" contrariées... les 
    suramours de la cinquantaine... les scrupules désastreux, les traditions désuètes, les 
    perversions de l'héritage, la sottise des industriels aryens... les ménopauses du 
    Génie..., etc., etc., enfin tout le théâtre Bernstein... international... l'antique friperie 
    surmenée, la foire des fantômes abusifs, délavés, écheveaux de nouilles 
    dramatulantes... Tout cela creux absolument, grossièrement inactuel, fictif, tricherie 
    hurlante... Toujours autour des "200 familles" plus ou moins!... Mais qui vient nous 
    raconter les saloperies foncièrement [227] juives des 500.000 familles effrénément 
    juives, campées sur notre sol?... La progression effroyable de la horde juive 
    mondiale? Personne!... Notre étranglement progressif? Voici pourtant le véritable 
    drame! Aucun autre drame n'existe en comparaison... Du petit au grand, de l'individu 
    au tout... 
    
    Je ne me suis pas fait faute moi-même de foncer à tour de bras dans la bourgeoisie. Je 
    fais cela bien mieux qu'un Juif, beaucoup mieux, en pleine connaissance de cause. 
    Mais chacun son tour! à la volée d'orties!... Je voudrais bien, c'est le moment, que les 
    Juifs aussi se régalent! Ils le méritent! énormément!... Qu'attendent-ils pour se gâter 
    ces fins bistouris, ces violoncelles supervibrants de l'humour et de la tragédie?... 
    Impitoyables, méticuleux, effrénés, en tous Régimes, à dévoiler tous les travers, les 
    lèpres, fanatisés par les moindres pustules sociales, héros à débrider les plus 
    
    
    
    132 
    
    
    
    dégoulinantes écrouelles, maintenant qu'ils gouvernent... je les surprends transis, 
    éperdus de verve? Quelle surprise! Quelle désillusion! En humour comme à la guerre, 
    ceux qui commandent doivent trinquer en tout premier lieu! Mais c'est élémentaire! 
    justice immanente! Le magnifique Louis XIV (et toute sa cour de fripouilles) en 
    entendait de fort roides et de toutes les couleurs! et se faisait gloire de les écouter. Nos 
    juifs sont bien plus vétilleux, intolérants, susceptibles, mauvais joueurs... J'attends 
    toujours quelque pièce bien substantielle, une œuvre vraiment d'époque, de nos 
    Bernstein, Verneuil, Achart, Passeur, Deval, Jouvet, Sacha et tous autres... qui nous 
    montrerait les Juifs à leur grand boulot d'asservissement, de conquête, de pénétration. 
    Et comme ils doivent être renseignés! aux premières loges! C'est le moment d'être 
    objectifs! fulgurants! "tranche de vie!"... Si le sujet ne s'y prête pas! nul ne s'y prête! 
    Avec ou sans périphrases! chacun selon sa nature! son humeur! sa prédilection! Nous 
    montrer sans façon, le Juif en train de nous secouer notre blé... de se faire reluire dans 
    nos conneries... de bien enlacer nos gonzesses... de se torcher le fias dans nos rideaux, 
    de nous délivrer "y a de la joie!" nos fascicules pour la prochaine... Chiche qu'on ne 
    verra jamais ca!... ni en film! ni en chansonnettes! Au tragique ? Au rocambolesque ? 
    l'affaire Prince, et mille autres ? Tout simplement! Quels super-romans policiers! Bien 
    juifs au tréfonds, classiques! maçonniques! Décidément le fameux humour juif... 
    l'objectivisme à tout rompre... l'analyse suprêmement poussée... l'arabesque 
    idéologique... prophétologiquement transposée... 
    
    [228] Toutes ces merveilles illuminantes ne vont pas plus loin que l'Aryen, toutes ces 
    vérités: pour l'Aryen... analyse de l'Aryen... pulvérisation de l'Aryen! jamais du Juif! 
    Tous les films juifs sont farcis d'outrages pour l'Aryen, toujours de flatteries pour le 
    Juif. C'est la règle... Examinez de près, chers cocus... comme tous les Marxs, ces 
    Chaplins, ces Cantors... etc., se foutent de notre pauvre tranche. Si l'on nous montre 
    un petit Juif quelque part au théâtre... dans un film... au music-hall (tous les music- 
    halls sont entièrement juifs) en tant que juif, "juif avoué", alors pariez à coup sûr! On 
    vous le servira sous la forme idéaliste, infiniment! touchant illuminé! voire enjoué, 
    spirituel, frémissant néo-petit jésus, voué corps et âme au rachat de nos dépravations 
    infinies, de nos sanguignolents accès, de nos frénésies de pithécanthropes incurables, 
    de massacreurs invétérés. Il s'offre... Brute! nous le lacérons!... Ton cul! Boule à 
    merde! Jamais on ne nous le représente tel qu'il est le juif, en implacable petit choléra 
    raciste polluant, relié par chaque filament de son être de larve juive à tous les 
    maléfices de tous les âges et de tout l'univers... Et c'est ça qui me désespère. C'est 
    celui-là précisément de petit Juif que je voulais voir à l'écran. 
    
    [229] 
    
    Dans les films (tous juifs) tout le grotesque, le crime, l'imbécillité 
    
    c'est pour nous, tout le beau rôle, la Gloire, la Finesse, l'Humour, 
    
    la Bonté, la Beauté, l'Humanité, c'est pour les Juifs. 
    
    Tout petit Juif, à sa naissance, trouve dans son berceau toutes les possibilités d'une 
    jolie carrière de metteur en scène, de grand acteur, de grand rabbin, de grande salope, 
    de grand banquier... Si quelque audacieux non-juif s'aventure dans le cinéma, il devra 
    donner de ces preuves de servilité absolue... que ça relèvera du génie dans la brosse à 
    reluire ?... s'il arrive à se faire tolérer, admettre, parmi les Juifs, il faudra qu'il en 
    ajoute, tellement sans cesse et sans fin... de l'enjuivage qu'il se fasse enrouter si fort... 
    si profondément! d'une manière! qu'il s'ouvre!... super-ouvre les derrières!... pour les 
    
    
    
    133 
    
    
    
    aimer tous à la fois!... Que ça sera pas commode!... Que ses films littéralement 
    dégoulineront "d'idéolochie" messianique et d'humour super- tendancieux... S'il 
    n'arrive pas à donner cent mille et cent mille autres preuves de limacerie éperdument 
    gluante, très irréfutable, il n'ira pas à Hollywood! Il ne pourra jamais ramper jusqu'aux 
    cimes de la carrière... Jamais il ne connaître Ben-Cameraman, le Suprêmissime en 
    personne! le "Jérusalem vivant" d'aujourd'hui! dont nous adorons, Aryens, tous les 
    Messages, par les miracles de la lumière... qu'il nous mande de bien rester à genoux 
    ...de prier... d'attendre... bien mignons dociles... Qu'on sera tous enfouraillés... qu'on 
    en aura chacun son tour! qu'on en aura pour tout le monde... que c'est l'Hostie 
    d'Hollywood... Jérusalem Ben YiyiL. qu'en attendant on passe tout le pèze pour la 
    quête... Qu'il pense à nous Ben YiyiL. Qu'il est là-bas pour notre bonheur! qu'il est 
    Dieu déjà!... qu'il nous mettra jusqu'au cœur!... Enfin toutes les espérances qu'on a 
    besoin dans nos pots, si tristes... si vides... 
    
    [230] Autrefois, certains nobles entretenaient un théâtre dans leurs châteaux. Il s'y 
    donnaient la comédie, en famille: auditoire, acteurs, auteurs, tout était de la famille. 
    
    Aujourd'hui les théâtres parisiens sont encore des théâtres de famille, ils fonctionnent 
    d'après le même principe, tout y est juif: acteurs, auteurs, auditoire, critiques... Ils 
    appartiennent tous (et les Music-Halls) à la grande famille juive, les pièces aussi 
    forcément... ou tellement arrangées, trafiquées, enjuivées... tendancieuses... 
    "silencieuses"... qu'elles sont juives quand même. Nous voici donc revenus au théâtre 
    de famille, pour une "certaine catégorie sociale", les grands profiteurs du moment, nos 
    maîtres juifs... Le succès des pièces que l'on joue dépend entièrement de la juiverie, ce 
    succès est entretenu, soutenu, propagé par la juiverie: bijoutiers, haute coulure, 
    banque, snobs, fourreurs, putanat..., etc.. Si vous pénétrez par hasard dans l'un de ces 
    théâtres (d'avant-garde ou d'arrière-garde) vous leur trouvez, à ces théâtres, un drôle 
    de petit air... étrange... équivoque.., C'est vous l'étrange... l'étranger!... Vous n'êtes 
    jamais véritablement intéressé par les spectacles... Ils ne vous concernent guère. Ils ne 
    parlent pas votre langue... Vous vous trouvez mal a votre aise... Un certain snobisme... 
    une certaine outrance... vous gênent... un certain mielleux... vous met en garde... une 
    certaine insistance tendancieuse... Obscénité sentimentale... un très certain horrible 
    mauvais goût... un certain rythme vous agacent... Ces gens parlent d'une drôle 
    
    [22] (p. 231-240) 
    
    [231] de manière spécieuse, réticente... prédicante par instant... et puis 
    empapaou tante... Ils se tiennent ces acteurs d'une drôle de façon... boutiquière... ils ont 
    toujours l'air de vendre... On ne sait quoi... de l'amour?... des sentiments? de vanter 
    quelque camelote?... Parbleu! Vous êtes dans un souk!... Dans un "théâtre de famille" 
    juif... Vous êtes un intrus... Et les "Théâtres pour les Masses!" (encore plus juifs si 
    possible que les autres théâtres) malgré tous leurs anathèmes, leurs déclamations, 
    leurs transes, n'échappent pas à la grande règle du jour: "Théâtres pour familles 
    juives" créés, conçus, subventionnés pour la virulente forcenée défense des intérêts 
    mondiaux juifs: strictement! des privilégiées familles juives, de la grande famille 
    mondiale juive (contre nous). 
    
    Pas plus de "sozial" dans toutes cette aventure que de beurre au cul! impossible! 
    
    
    
    134 
    
    
    
    Strictement "familiaux et juifs" ces théâtres dits populaires, communistes, d'où tous 
    ces terribles fiascos inéluctables, très facilement prévisibles, en Russie tout comme en 
    France: Théâtres du Boulevard, Théâtres de Culture... même tabac!... 
    méticuleusement!... même hantise! même mission! 
    
    Ces théâtres de famille ne peuvent vraiment intéresser que les familles juives, nos 
    potentats négroïdes, c'est-à-dire leurs parasites, leurs putains et leurs clients, francs 
    maçons et autres traîtres... Tout comme les spectacles si spéciaux que montait dans 
    son château de Passy, Grimaud de la Reynière, n'intéressaient que lui, sa famille, sa 
    clique, ses putains, les autres fermiers généraux et les grands parasites des Fermes, 
    infiniment jouisseurs, tous satrapes extravagants qui pensaient tous forcément à peu 
    près de la même manière sur les questions essentielles et les façons de s'amuser. 
    
    [232] 
    
    La Terre est le Paradis des Juifs. Ils ont tout. Ils peuvent tout se permettre. 
    
    Puisque nous en sommes aux Beaux- Arts, ne quittons pas ce chapitre sans parler un 
    petit peu de l'Exposition Poly- Juive-Maçonnique 37. Je l'intitule assez bien puisque 
    tous les grands boulots furent équitablement répartis, moitié-moitié entre Juifs et 
    francs-maçons. L'indigène pur 100 pour 100, de la guerre dernière et de la prochaine, 
    il a eu des clous pour ses miches, pour se les blinder, et puis le droit de passer son fric 
    dans les tourniquets payants. Elle va fermer nous dit-on, cette exposition, c'est 
    dommage, mais le souvenir reste, le souvenir d'une prise officielle du grand pouvoir 
    youtre, temporel et spirituel sur toute la France et les Français, depuis le Comité des 
    Forges jusqu'aux Instructions Publiques, depuis le moindre petit souk, jusqu'au plus 
    vielleux "régional". Tout ça parfaitement enyoutré, autant par les architectes que par 
    toute l'Ecole des Beaux-Arts, ce bon pavillon soviétique... et les mots d'ordre C. G.T. 
    Toutes ces bonnes choses, bien entendu, sous l'égide de "l'Affranchissement ", de la 
    Paix, encore plus de Paix, du Progrès Sozial, de plus de "Clarté"... de "Lumière"... de 
    "Franchise"... de "Justice"... "d'Humanité"... de "Découvertes"... enfin de youtrerie... 
    de Djiboukerie messianique... Je veux bien que c'était tout cuit, que les Juifs n'ont eu 
    en France qu'à se baisser pour prendre le pouvoir... Se baisser?... que dis-je ?... se 
    redresser seulement un peu!... Nos bourgeois aryens sont accroupis, vagissants, mille 
    fois plus méprisables encore que les youtres les plus fétides... bien plus rampants, 
    [233] crougnoteurs, sournois, resquilleurs, matérialisés, immobiles, rances cupides, 
    anti-artistes, anti- lyriques, déchansonnés, mufles kératinisés parfaitement. Le plus 
    infâme ramassis de larves en vérité qui puisse se résoudre dans les crevasses d'un 
    aussi spongieux fumier social. Une tourbe extraordinairement abjecte de paysans 
    anarchiques, désaxés, dépravés, débauchés jusqu'aux glaires, bouffeurs tournés 
    boyaux, effrénés de basses prudences, délirants de tractations louches, de chiasse et de 
    trahison... Enfin le bouquet pourri d'une décadence en torrents de purin vinasseux. Je 
    ne puis rien imaginer de pire qu'un conseil d'administration chrétien, une "fabrique de 
    cathédrale" par exemple d'ailleurs presque toujours soigneusement enjuivée. Les Juifs 
    encore à la rigueur peuvent nous donner du spectacle, être marrants, nous procurer de 
    bons moments avec leurs turlutaines racistes, leur manège incessant de martyrs, leur 
    jactance, leurs epoustouflettes, leurs paranoïaques entreprises, leurs queues toujours 
    en mouvement, toujours prises, reprises dans les portes, écrasées, récupérées dans les 
    mille transes et contorsions. C'est une pitrerie perpétuelle, toute une entourloupe de 
    djibouks, le manège des voraces coucous - ça peut faire rire. Ils peuvent vous 
    
    
    
    135 
    
    
    
    distraire. Tandis que nos bourgeois du sol, ils sont franchement pas regardables... 
    ennuyeux à s'en dissoudre, dans leurs foyers "genre cimetière", leurs Salles d attente 
    familiales. Ils ne parlent que pour mentir. Ils vendraient le soleil et la terre, et tous les 
    innocents dessus pour s'ajouter un petit nougat, pour se préserver un coupon. Tressés 
    les uns dans les autres ils forment le paillasson des "Loges". C'est sur leur dos que les 
    Juifs dansent et caracolent. Ils vendraient tous leurs frères de race pour bien moins 
    que trente deniers. Judas Dupont bien pire que l'autre. 
    
    [234] Je vais me permettre encore une petite remarque à propos de cette exposition 
    37. C'est drôle que les Juifs, toujours si "prognostiqueurs", si "oraculants" pour mieux 
    dire, se soient comme ça, pour une fois, complètement ratatinés, déconcertés... qu'ils 
    aient pas mieux tout prévu, l'Avenir, la grandeur du Phénomène inévitable du grand 
    Empire Juif. C'est tout dérisoire, insipide, "postiche et moumoute" une Exposition à 
    l'époque actuelle. C'est suranné, c'est mesquin, ça fait pour toujours 1900. Ça peut 
    plus émouvoir personne. Le trèpe a déjà vu tout ça dans les films mirobolants, tout 
    entendu dans la radio jacasseuse. C'était bon sous Félix Faure, "A la descente de 
    l'Omnibus", maintenant ça fait spectacle paumé, bizarrement cracra, une foire de chef- 
    lieu agricole. Maintenant les gens sont blasés. Ils attendent toujours plus fort. Faut 
    leur retourner le blanc des yeux, les crever d'angoisse, les suspendre la tête en bas, 
    leur faire respirer la Mort, pour qu'ils commencent à se divertir... C'est fini, on est 
    surpassé, la science est devenue trop bluffeuse, du côté Barnum c'est tout cuit, ça peut 
    plus couvrir les frais. Mais pour faire du sensationnel! pour en jeter plein la musique, 
    que ça soye vraiment dans la mesure et à l'échelle de notre temps, gigantissime, fallait 
    montrer des grands travaux... des vrais labeurs pharamineux, mammouthéens, des 
    entreprises titanesques... qu'ils en rotent alors des oursins... que la langue leur en 
    pendrait aux bizus des quatre hémisphères... des genres de super-Pyramides... des 
    pluri-canaux [235] de la Mer Blanche... le nivellement des Hautes-Alpes... le 
    remplissage de la Manche... enfin des choses bien monstrueuses... dont on puisse se 
    montrer crâneurs... Pas des ébauches, des cafouillettes architectiques... non! non! Des 
    vraies merveilles dans la Ligne... dans le plan super-orgueilleux. De pareilles super- 
    entreprises pourraient fort bien employer des millions, des millions d'esclaves pendant 
    des années, voire plusieurs décades!... Voici l'argument décisif... Mais à quoi riment, 
    je vous le demande, ce pisseux grotesque ramassis de ternes, friables, venteuses! 
    bicoques?... tout cet infiniment minable, croulant, prétentieux agglomérat de fausses 
    splendeurs ?... Quelle confiance peuvent inspirer! quelle vénération? ces pauvres 
    amas de carambouilles plâtreuses?... Mais c'est burlesque, voyons!.. Ce n'est pas ainsi 
    que l'on contraint l'esclave à se jeter à genoux, tout éperdu de reconnaissance... Mais 
    non!... Mais non! L'esclave, observez-le, redouble en ces parterres, de sarcasmes, de 
    gouaille et de saucissonage... Ce n'est point sérieux!... Ce n'est point du tout le but, le 
    rôle essentiel de tant de palais, de merveilles, d'attractions sur-éblouissantes ! 
    Calamiteux échec vraiment, sur tous les tableaux! Comment les Juifs, eux qui se 
    déplacent tant et tant à travers le monde, qui n'arrêtent pas de voyager, n'ont-ils pas 
    compris tout de suite que leur nouveau Trocadéro ferait encore, si possible, un peu 
    plus miteux, plus ridicule que l'autre... Démolir ça suffit pas! Regardez ces deux 
    pauvres "stucs" qu'ils ont mis en place, ne dirait-on pas deux "Caisses d'Epargne" très 
    médiocres pour une petite banlieue de New-York ?... Puisqu'on veut nous jeter de la 
    matière, ils ne se sont pas aperçus, les Juifs, que la plupart de tous ces édicules, chétifs 
    pavillons, qu'ils ont mijotes tant de mois, feraient tout juste des bons petits chiots, 
    sans flaflas, dans n'importe quel Chicago ? Puisque c'est la Tour Eiffel qu'est toujours 
    le clou, eh bien Citroën pour l'esbrouffe il en tirait bien davantage! Il en obtenait des 
    
    
    
    136 
    
    
    
    effets... des véritables incendies... absolument, vraiment superbes... que ceux-ci sont 
    pas foutus... rien de comparable!... Quant à leurs feux d'artifices... Nogent-le-Routrou 
    les ferait pâlir! On doit bien se fendre dans les campagnes!... En somme nos 
    fantastiques khédives du Front Populaire, récapitulons, ils ont réussi qu'une seule 
    chose, c'est de nous produire la plus sale foire, la plus toc et la plus coûteuse que le 
    peuple aura jamais vue... Oui, c'est bien une frime sans excuse, une loupaille 
    abracadabrante... Si nous parlons de [236] mécanique, mais leur Palais de la 
    Découverte, il arrive pas au petit dixième de l'ancienne Galerie des Machines: C'est 
    un berlingot truqué. Tout ça, je n'en disconviendrai, a coûté sans doute des milliards, 
    qui ne sont pas perdus pour tout le monde, mais le peuple il est arrangé, il n'en a pas 
    pour ses chaussures, à part l'asperge bien entendu, qui l'enfouine du Trocadéro, le 
    supermirliton des youtres, la Bite-Blum, que c'est vraiment la seule chose, vraiment 
    mémorable. Tout de même ça peut pas suffire pour hypnotiser l'étranger... Il fallait s'y 
    prendre autrement, tout différemment. Je voudrais pas donner de conseils! mais enfin 
    si c'était moi-même, j'aurais attaqué d'autor quelque gigantesque boulot. Par exemple 
    tripler la Seine jusqu'à la mer, en large comme en profondeur... Voilà un programme 
    qui existe! C'est des choses qui peuvent compter! Rendre la Seine super-maritime! 
    Assez de ces "bergeries"... ces rognages de bout d'égouts, ces épissures de 
    "collecteurs"... Qu'on en sorte sacré nom de Dieu! une bonne fois pour toutes! C'est 
    horrible tous ces petits biefs en suints de vidanges, ces lourds dépotoirs stagnants, ces 
    décantages pestilentiels de tout le purin de vingt provinces... A la mer! Vos péniches 
    elles naviguent même plus, elles rampent visqueuses sur la merde .. La Seine 
    maritimisante, c'est déjà fort beau, mais ça ne suffit pas!... Non! Non! Non . Je 
    décréterais davantage, il faut amplifier le trafic direction la mer d'une manière très 
    monstrueuse! léviathane! Je décréterais la construction du plus bel autostrade du 
    monde, d'une immense ampleur alors, cinquante mètres de large, quatre voies, 
    direction Rouen et la Manche. Vous voyez ça?... Voila ce qu' ils auraient dû penser! 
    Ça valait un petit peu mieux que toute cette soukerie crouleuse, cette calamiteuse 
    carambouille de bistrots et de "Je-sais-tout-tisme". Et puis encore vingt autostrades 
    que je lancerais vers les falaises, vers les plages, vers le grand air, à partir de Rouen... 
    J'en ouvrirais un éventail, comme on en aurait jamais vu, sur ces paysages... Ils ne 
    demandent que ça entre le Havre et le Tréport! un éventail de vifs accès vers le 
    bonheur, vers les poumons, vers le grand vent, vers les globules, vers la mer!... Des 
    autobus populaires Paris-La Bleue aller et retour: 20 francs... Ça existerait comme 
    travail et comme résultat. Ça serait plus des djiboukeries... Voilà qui aurait du son, du 
    fond, de la couleur, de la durée, du vrai progrès! sans palais, sans toit, sans cloche! 
    Paris, puisque nous en sommes là, est une ville qu'on ne peut plus reconstruire, [237] 
    même plus aménager, d'une façon d'une autre. Les temps des rafistolages, des 
    bricoles, des petites malices, des affûteries sont révolus... C'est une ville qu'a fait toute 
    sa vie, qu'est devenue maintenant toute nuisible, mortelle pour ceux qui l'habitent. Le 
    mieux c'est qu'elle reste croupir en retrait définitif en "touchant" musée, avec 
    tourniquets si l'on veut, une exposition permanente, en arrière des événements, 
    comme Aiguës Mortes, Bruges ou Florence... Faut la démembrer tout à fait, lui laisser 
    juste les parties mortes, tout le faisandé qui lui convient. Pour les humains c'est autre 
    chose, ils peuvent pas vivre dans un cadavre... Paris jolie ville croupissante, gentiment 
    agonique entre la noble Place des Vosges et le Musée Carnavalet... Parfait. L'agonie 
    est un spectacle qui intéresse bien des personnes. Vieilllarde fétide qui se disloque en 
    sussurant des choses d'Histoire... La seule banlieue possible d'une ville de quatre 
    millions d'habitants, c'est la mer. La mer seule assez puissante, assez généreuse, pour 
    assainir quotidiennement ce terrible infernal ramassis, cet effrayant conglomérat de 
    
    
    
    137 
    
    
    
    pourritures organiques, inhalantes, expirantes, chiatiques, fermenteuses, fébricilantes, 
    virulogènes. La ville la plus malsaine du monde, la plus emboîtée, la plus encastrée, 
    infestée, confinée, irrémédiable c'est Paris! dans son carcan de collines. Un cul-de-sac 
    pris dans un égout, tout mijotant de charognes, de millions de latrines, de torrents de 
    mazout et pétrole bien brûlants, une gageure de pourriture, une catastrophe 
    physiologique, préconçue, entretenue, enthousiaste. Population à partir de mai, 
    plongée, maintenue, ligotée dans une prodigieuse cloche au gaz, littéralement à 
    suffoquer, strangulée dans les émanations, les volutes de mille usines, de cent mille 
    voitures en trafic... les dégagements sulfureux, stagnants de millions de chiots, 
    absolument corrodée, minée, putréfiée jusqu'en ses derniers hémoblastes, par les plus 
    insidieuses, les plus pernicieuses ordures aériennes... Ventilation nulle, Paris un pot 
    d'échappement sans échappement. Buées, nuages de tous les carbures, de toutes les 
    huiles, de toutes les pourritures jusqu'au deuxième étage de la tour Eiffel. Une cuve, 
    asphyxiante au fond de laquelle nous rampons et crevons... Densité de pourriture 
    vaporeuse infranchissable à tous les rayons solaires directs. La nuit, le fameux 
    "Ouessant" lui-même avec ses 500.000.000 de bougies, sèche risible contre ce rideau 
    de toutes les pourritures parisiennes stagnantes, parfaitement opaques. Aucune 
    lumière ne peut percer, disperser cette bouillie. [238] Pourriture prodigieuse, 
    surchauffée, enrichie infiniment, pendant tous les mois de l'été, par tant d'autres 
    saloperies permanentes, exsudats organiques, résidus chimiques, électrifiés, de 
    millions de carburations abjectes qui nous filent tout droit dans les bronches et le 
    trésor de notre sang. A la bonne santé pour la ville lumière! Une poubelle gazeuse 
    pour tortures imbéciles!... Salut! Les humains se traînent dans Paris. Ils ne vivent plus, 
    c'est pas vrai!... Jamais ils n'ont leur compte humain de globules, 3 à 5 milliards au 
    lieu de 7. Ils n'existent qu'au ralenti, en larves inquiètes Pour qu'ils sautent il faut les 
    doper! Ils ne s'émoustillent qu'à l'alcool. Observez ces faces d'agoniques... C'est 
    horrible à regarder... Ils semblent toujours un peu se débattre dans un suicide... 
    
    Une capitale loin de la mer c'est une sale cuve d'asphyxie, un Père-Lachaise en 
    convulsions. C'est pas de 1' "Urbanisme" qu'il nous faut!... C'est plus d'Urbanisme du 
    tout! La banlieue faut pas l'arranger, faut la crever, la dissoudre. C'est le bourrelet 
    d'infection, la banlieue, qu'entretient, préserve toute la pourriture de la ville. Tout le 
    monde, toute la ville à la mer!, sur les artères de la campagne, pour se refaire du sang 
    généreux, éparpiller dans la nature, au vent, aux embruns, toutes les hontes, les fientes 
    de la ville. Débrider toutes ces crevasses, ces rues, toutes ces pustules, ces glandes 
    suintantes de tous les pus, les immeubles, guérir l'humanité de son vice infect: la 
    ville... 
    
    Quant à nos grandes industries, ces immenses empoisonneuses, toujours en train de 
    gémir après la Seine et les transports, on pourrait bien les contenter, les combler dans 
    leurs désirs... les répartir immédiatement sur tous les trajets d'autostrades, sur tout 
    l'immense parcours rural. C'est par la place qui leur manquerait par catégories. Elles 
    auraient des mille kilomètres de grands espaces de verdure pour dégager leurs 
    infections... Ça dissout bien les poisons, des mille kilomètres d'atmosphère, le vert ça 
    prend bien les carbones... Extirper les masses asphyxiques de leurs réduits, de leur 
    asphalte, les "damnés de la gueule vinasseuse", les arracher du bistrot, les remettre un 
    peu dans les prairies avec leurs écoles et leurs vaches, pour qu'ils réfléchissent un peu 
    mieux, voir s'ils seraient un peu moins cons, les femmes un peu moins hystériques, 
    une fois moins empoisonnés.. 
    
    
    
    138 
    
    
    
    Les distances plus ou moins grandes, pour les boulots ou l'école, c'est pas une 
    question. Les transports, il faut qu'ils servent... Plus [239] c'est distant mieux ca vaut... 
    "Transports" c'est fait pour transporter... Paris souqué dans sa ceinture tient encore du 
    genre Lutèce, le genre de l'empereur Julien. Il utilisait des chevaux pour le transporter, 
    cet homme, qu'étaient harnachés comme des clebs, avec un collier de même, qui les 
    étranglait au trot, c'était pas pratique. Ca serait moins long en autostrade de Paris à 
    Rouen, que pour aller de nos jours de la Porte Montrouge à la Place Clichy... C'est ça 
    qu'on aurait dû montrer aux étrangers! insatiables, frénétiques de sensationnel! toute 
    une capitale de l'Europe en train de se débiner, de se faire les valises, de s'en aller par 
    monts, par vaux, avec tout son personnel, de déménager vers les plages... Ils seraient 
    pas venus pour rien, les touristes "tant par tête" ... Ils auraient eu de quoi causer, de se 
    faire des réflexions pendant les longues soirées d'hiver. C'est pas difficile de 
    comprendre que Paris est plus habitable. Regardez un peu les gens riches, ils y 
    habitent presque plus. Quand ils y passent deux mois par an, c'est le bout du monde!... 
    Paris manque à présent de tout, ils le savent bien les miches, tout ce qui peut 
    permettre à l'homme une vie à peu près supportable, pas trop asthénique: l'eau claire, 
    le vent, les poumons, les fleurs, les espaces, les jardins, les globules rouges, le 
    silence... On a enlevé tout ça aux masses, sournoisement. C'est la plus vilaine 
    manigance, la plus dégueulasse escroquerie qu'une administration sinistre de rapaces 
    vendus assassins ait jamais commise, en pleine connaissance de cause. 
    
    L'Exposition c'est le comble, on pouvait pas faire plus ignoble, que ce bourbier 
    surfaisandé de tous les résidus de camelote, de toutes les moulures d'alcool de tous les 
    relents de l'univers... un tout à l'égout. Toute l'hystérie juive au mazout, en haut- 
    parleurs et guignols, bistrots et saucisses, c'est ça le bouquet de notre ville, son cœur 
    véritable... 
    
    Il ne faut plus urbaniser, il faut crever, émietter, dissoudre les villes! et Paris... pour 
    l'exemple, d'abord! 
    
    Eparpiller ce Paris, faire avec lui, petit Poucet, jusqu'au bord des vagues. Ça me fait 
    toujours chier énorme, quand j'entends tel fumier d'écrivain en crise d'effets 
    dithyrambiques, journaleux dopé, chanter du "Credo" , entonner encore une fois 
    l'Hosanna de la ville merveilleuse (ville infâme et merveilleuse). Il n'est que ces sous- 
    fienteux, déboulinants de leurs "wagons pommes", le cul encore tout empaillé des 
    étables du bled natal, pour s'égosiller d'enthousiasme... "Quand je foulais, en mes 
    vingt ans, ce pavé [240] magique... le Boulevard Saint- Michel! je me sentais venir des 
    ailes!..." Fines emblavures de fausses coliques!... Petites saloperies si oiseuses! Si 
    vous aviez été élevés un petit peu Passage Choiseul, dessous les vitraux caloriques, si 
    vous aviez un peu connu les soirs de tortures d'étuve, dans le fournil des gaz sulfurés, 
    vous parlerez pas pour des riens... Vous seriez peut-être moins ardents... beaucoup 
    moins férus, moins "bardiques" sur les délices parisiens... sur les dessous affriolants 
    de l'incomparable capitale! Toujours la même banale raison... pour tous ces Credos 
    dégueulasses... ces flagorneries urbanitaires... pour toutes ces jactances imbéciles: 
    l'aveuglement! la muflerie c'est tout! C'est ça le ronron adulateur des éberlués de "leur 
    province"... Ce n'est pas extrêmement grave que ces petits croquants déconnent, ils 
    ont pas grande voix au chapitre. Mais où l'erreur est déplorable, c'est quand les grands 
    Juifs se fourvoyent. C'est eux qui devraient penser à démantibuler Paris, à nous 
    emmener tous au bon air... au grand bruit des flots... C'est ça leur terrible omission! 
    
    
    
    139 
    
    
    
    accablante!... Sozial! SozialL. c'est vite dit. Mais "sozial" d'abord avant tout, c'est une 
    question d'air et de globules! 
    
    Il faut entretenir le cheptel, qu'il arrive pas mou à la guerre. Les Juifs aiment pas 
    beaucoup la Manche, c'est entendu... le climat leur convient pas... leur genre c'est la 
    Côte d'Azur, les Sénégalais c'est pareil. Jamais plus haut que le Vaucluse! Mais il faut 
    bien qu'ils se contentent, Paris c'est une capitale, on peut pas l'emmener au diable! 
    
    [23] (p. 241-250) 
    
    [241] 
    
    Il faut étrangler le meilleur les chrétiens, car celui qui répand 
    le sang des impies offre un sacrifice agréable à Dieu. 
    
    Le Talmud. 
    
    Lorsque Lord Samuel, vicomte juif anglais, chef du parti libéral, nous déclare de but 
    en blanc: 
    
    «La France est la première puissance intéressée en Méditerranée", nous comprenons 
    parfaitement ce que veut dire sa Grâce: "Toute la Franscaille à vos guidouilles! Tous 
    les hommes du péritoine sur le pont!" Il n'est au fond que de s'entendre, une bonne 
    fois pour toutes. M. Léon Blum, raciste implacable, pacifiste très sanguinaire, ne 
    pense lui aussi qu'à notre mort, et ne s'en cache pas. Il précise très notablement les 
    paroles de sa Grâce Samuel. Il nous met les points sur les i. Dans un style d'ailleurs 
    très sémite, tout ramifié, tout enveloppé, tout nègre, c'est-à-dire précieux, réticent, 
    sucé, onctueux, surduhamélisé, sirupeux, enculeux, un vrai lambeau d'Harach- 
    loucoum, ce que les Français du lycée invertis, négrifiés de même, appellent le Beau 
    Style. Ah! comme il écrit bien notre Bloum! Comme il est intelligent! Ah! l'Orient! 
    avec une grosse longue guiguite bien prousteuse à souhait! bien youtre!... Pour tes 
    sales foireuses miches fondantes de croquant torve! Voilà ce qu'il susurre le Bloum: 
    "Les engagements internationaux sont défiés ou mis en échec si les puissances qui les 
    ont souscrits ne sont pas résolues d'aller jusqu'au bout. D'accord, mais aller jusqu'au 
    bout c'est accepter le risque d'aller à la guerre. Il faut accepter l'éventualité de guerre 
    pour préserver la paix. " 
    
    Ne dirait-on pas deux larrons, deux chirurgiens juifs associés, qui se sont mis en 
    cheville, M. Samuel et M. Blaoum, pour pousser le patient au billard... pour l'amener, 
    persuasifs, à se faire ouvrir... 
    
    [242] Petit détail amusant, avez-vous idée du rythme de l'invasion juive à Paris?... 
    
    Avant 1789 500 Juifs 
    
    En 1800 4.000- 
    
    Enl830 10.000- 
    
    Enl848 18.000- 
    
    Enl870 30.000- 
    
    Enl914 90.000- 
    
    Enl936 400.000- 
    
    
    
    140 
    
    
    
    Autre détail pittoresque, notons que sous Philippe-Auguste, les Juifs furent 
    propriétaires de la moitié de Paris et furent chassés par le peuple lui-même tellement 
    ils avaient su se rendre odieux par leurs exactions, par leur pratique de l'usure. Ils 
    furent à nouveau bannis sous Philippe le Bel, Charles VI Louis XII, Louis XIV, Louis 
    XVI finalement, plus faible que ses prédécesseurs, paya de sa tête la résistance des 
    autres rois aux Juifs. Pas plus de démocratie, de libération des peuples dans toute cette 
    histoire, en tous points fétide, que de vives truites au Bas-Meudon... 
    
    Savez- vous, c'est assez piquant, ce que répondit notre grand patriote Poincaré (marié a 
    une juive) aux représentants d'une très importante société financière venus le 
    pressentir, le solliciter de plaider éventuellement contre les Rothschild?... 
    
    "Messieurs! vous n'y pensez pas!... Une première fois déjà ministre des Finances, Je 
    peux à tout instant être appelé de nouveau... et il suffirait d'un mot du Baron de 
    Rothschild... " 
    
    Tardieu, notre grand néo-puritain, doit bien partager cet avis... Pardieu! s'il est fixé! 
    Pensez donc! Jamais il ne nous parle, lui non plus, des Juifs!... Celui qui se montre 
    assez fol pour se mettre à dos les banques juives peut dire adieu pour toujours au 
    Pouvoir, à tous les Pouvoirs! même à ces Pouvoirs maquillés, "protestataires 
    fasciformes " a fortiori!... Feintes! Diversions! morphine!... Il n'existe qu'une seule 
    chose sérieuse au fond de toutes les [243] politiques: la conjuration mondiale juive, 
    tout le reste n'est que babillage, sucettes, ronrons, confetti! 
    
    En dépit des apparences, des rodomontades d'Histoire, les Français n'ont jamais eu le 
    sens national. Ils ont fait de nombreuses guerres, très longues et très sanglantes, entre 
    eux et contre l'étranger, mais presque jamais pour leur compte, toujours pour le 
    bénéfice d'une clique étrangère. Successivement colonie romaine et puis italienne, 
    pendant des siècles... à l'Espagnole, à l'Anglaise, à la Germanique, à présent colonie 
    juive, la France se donne en réalité à l'équipe la plus astucieuse, la plus effrontée des 
    gangsters du moment qui la courbent, la bluffent et la saignent... 
    
    La France est une nation femelle, toujours bonne à tourner morue. Écoutez les 
    femmes à Victor, comment qu'elles jaspinent à vide sur toutes les courbes de trottoir, 
    dans tous les coins de chiots, à jacter de menues conneries, à s'en faire crever... 
    enragées de mesquines sottises... c'est des "vraies Frances "... La France aussi, comme 
    les femmes à Victor, descend plus bas chaque année dans l'ordre des maquereaux et 
    dans l'ordre des ragots comme toutes les putains. Dans le milieu; examinez les vieilles 
    mômes: elles finissent toutes par les nègres, bien contentes, bien ivrognes, bien 
    régalées, bien enculées, bien battues... La France en est à ce moment au poil! Au 
    moment du nègre. Le Juif dans le cul c'est son bonheur, il la fera crever, c'est son 
    rôle... Le destin est assez simple. Il suffit d'avoir l'expérience. 
    
    Tout Français de race qui prend le pouvoir se sent perdu sans étrangers, sans cadres de 
    l'étranger. Il se dépêche tout aussitôt de se vendre, c'est son premier souci... 
    
    Nous n'avons jamais eu de roi, de président du Conseil, de conventionnel, de "chef" 
    qui n'ait été au moins deux ou trois fois vendu à quelque puissance étrangère. C'est-à- 
    dire en définitive à la juiverie. 
    
    
    
    141 
    
    
    
    [244] Parlons de choses moins graveleuses, connaissez- vous cette prédiction de 
    Dostoïewsky (après la Commune de 71): "Lorsque toutes les richesses le l'Europe 
    seront dissipées, il nous restera la Banque des Juifs!" 
    
    Parlons encore de la guerre: "Savez- vous pourquoi les Juifs, pendant la grande 
    hécatombe de 14-18, ne comptèrent que 1.350 tués? Je sais vous affranchir: parce que 
    le Juif Abrahami, dit Abrami, sujet turc, originaire du ghetto de Constantinople fut, 
    durant toutes les hostilités Sous-Secrétaire d'Etat aux effectifs - c'est simple -. Il fut 
    amplement secondé par le juif Rheims, colonel-directeur du Recrutement de la Seine. 
    Ainsi soit-il. 
    
    Ce n'est pas tout! Savez-vous pourquoi notre Justice Militaire, jusqu'au dernier jour de 
    la guerre, se montra toujours si implacable sur la répression farouche envers le simple 
    soldat français? Parce que la Justice Militaire était sous les ordres de M. Isaac Israël, 
    revanche Dreyfus, S ou s- Secrétaire d'Etat aux Basses Œuvres, tout simplement, avec 
    Mandel-Joroboam Rothschild, fils du véritable roi de France, comme dictateur effectif 
    auprès du pantin Clemenceau. Admirable distribution du travail. Général Mordacq, 
    Juif, directeur du Grand- Quartier. Voilà l'abattoir aryen au complet... Et pour le 
    Registre des Réclamations ! ! 
    
    Ne quittons pas sitôt la guerre. Savez-vous que toutes les guerres, et pas seulement la 
    dernière, sont préméditées par les Juifs, réglées par eux longtemps d'avance, comme 
    papier à musique? Il est même amusant d'observer d'un peu près, les détails de cette 
    entreprise. De retrouver les paroles juives (même d'antiquité) prophétiques. Le 
    prophète Daniel (Lévitique XXVI) ne prédisait-il pas pour l'année 1914 "le Grand 
    Bouleversement mondial, le commencement de la fin des empires goyes? " 
    Bafouillages d'illuminé? Sans doute... 
    
    Mais plus sérieux, savez-vous que l'étudiant Princip, l'assassin de Sarejevo, 
    actuellement statufié à Belgrade, était juif?... 
    
    [245] Connaissez- vous intégralement la réponse de Guillaume II, pendant la guerre, à 
    la supérieure de l'Abbaye de Mendret (Belgique): "Non, Madame, je n'ai pas voulu la 
    guerre, le responsable n'est pas moi. La guerre m'a été imposée par les Juifs et la 
    franc-maçonnerie. " 
    
    Un plus récent, tardif écho de la "Grande Illusion ": Déclaration de Lloyd George à la 
    Chambre des Communes le 19 Juin 1936 (sur le problème palestinien): "En 1917, 
    l'armée française se mutina, l'Italie était défaite, la Russie mûre pour la révolution et 
    l'Amérique n'était pas encore rangée de notre côté... De tous côtés, nous arrivait 
    l'information qu'il était d'importance vitale, pour les Alliés, d'avoir le soutien de la 
    Communauté juive. " 
    
    Puisque nous sommes en Angleterre, savez-vous que l'Intelligence Service anglais, 
    création de Cromwell, constitue en fait le super-gouvernement d'Angleterre, 
    organisme occulte aux ressources illimitées, bien au-dessus des monarques et du 
    Parlement, émanation juive, entièrement à la dévotion des intérêts juifs, de la 
    politique mondiale juive... qu'il y a deux reines en Angleterre... Mrs. Simpson et 
    l'autre. La reine de la juiverie anglaise et de l'Intelligence Service et puis l'autre-l'une 
    
    
    
    142 
    
    
    
    bien plus puissante que l'autre, le passé... l'avenir... Un vice-roi des Indes, au surplus, 
    toujours plus ou moins juif. 
    
    Et cette guerre sino-japonaise? Elle appartient à la même espèce que toutes les guerres 
    de la planète. Elle ne représente que l'un des actes du Mondial Conflit sur le Théâtre 
    Jaune, de la lutte à mort entre les juifs et antijuifs judéo-sino-russes communistes 
    contre militaristes nippons... Il n'y aura plus avant bien des siècles, de temps, de place, 
    de peuples au monde pour s'occuper d'autre chose que de ce Conflit: Juifs contre anti- 
    Juifs... 
    
    Ce sont les livres des Juifs qui vous renseignent le mieux sur l'état des revendications 
    juives, sur leur température de haine et de [246] racisme. Nous lisons dans le livre du 
    professeur juif Arthur Ruppin, professeur de Sociologie à l'Université hébraïque de 
    Jérusalem: "S'il était vrai, comme les nazis le prétendent, que la place prise par la 
    minorité juive dans la vie économique et culturelle germanique était insupportable 
    aux Allemands non-juifs, il n'en reste pas moins que la manière dont le gouvernement 
    allemand a essayé de résoudre le problème, dans un mépris total du droit des Juifs, 
    constitue un véritable outrage. Quand Napoléon 1er voulut résoudre le problème juif 
    en France, il convoqua le "Sanhédrin juif" et lui soumit un certain nombre de 
    questions..." 
    
    Tiens! tiens! voyez-moi ce petit rusé! Ce professeur Arthur Ruppin! Ah! qu'il est 
    cocasse! avec son "Sanhédrin"! Mais le "Sanhédrin"... Napoléon en est précisément 
    crevé! Ce fut le "Sanhédrin" bel et bien qui sucra Napoléon! Pas Wellington! Pas 
    Nelson! 
    
    Non Napoléon ne serait pas mort à Sainte-Hélène 
    Si Napoléon n'avait jamais "sanhédrisé". 
    
    Sanhédrin! mais voici l'artisan majeur de toute la débâcle napoléonienne, de la 
    catastrophe. C'est par le Sanhédrin, ce grand Consistoire juif que fut sauvagement 
    sabotée la suprême tentative d'unification aryenne de l'Europe... 
    
    Ce que l'on intitule dans les revues diplomatiques, la tradition anglaise, n'est en réalité 
    que la politique juive mondiale (comme le fameux optimisme dit anglo-saxon, n'est en 
    réalité que l'optimisme juif, leur chant triomphal de nègres exultants). Toujours les 
    Juifs ont miné, déconfit, salopé, carambouillé très rapidement par leurs tractations, et 
    quelles tractations!... toutes les tentatives sérieuses de fédération européenne. Toutes, 
    elles ont échoué, démolies par les Juifs... 
    
    Les Juifs, en fait d'unification de l'Europe et du monde ne veulent entendre parler que 
    de leur unification juive, sous les talons juifs et pas d'autre chose, l'Empire mondial 
    tyrannique juif. 
    
    Et ce passage du même auteur, Ruppin, ne vous rend-il pas songeur ? Vous explique- 
    t-il un petit peu l'implacable marche au ghetto, la nôtre cette fois! 
    
    "Au Moyen Age, alors que la vie économique reposait sur le système des guildes 
    (corporations aryennes), [247] il était considéré comme malhonnête de rechercher un 
    bénéfice très élevé, puisqu'on aurait ainsi attenté au gagne-pain des autres membres de 
    
    
    
    143 
    
    
    
    la corporation. Mais le Juif, exclu des guildes, ne pouvait voir que des compétiteurs, 
    non des confrères, en ceux qui avaient la même profession que lui. Il était 
    perpétuellement en conflit avec l'esprit de l'organisation des guildes. Sa manière de 
    comprendre les affaires paraissait immorale, condamnable, du point de vue qu'on 
    avait au Moyen Age. Il reste un vestige de cette manière de voir dans le code 
    professionnel des médecins et des avocats, auxquels il est tacitement interdit de 
    solliciter malades ou clients. En matière de commerce, cette conception a 
    complètement disparu avec le système des guildes, et les méthodes commerciales des 
    Juifs se trouvèrent réhabilitées, par l'adoption générale qui en fut faite, puisque la 
    recherche du gain et la libre compétition devinrent les bases du système capitaliste. 
    Les Juifs prirent rapidement une situation importante dans la banque, le commerce et 
    l'industrie, améliorèrent et élargirent leurs affaires, parvinrent au premier rang des 
    professions libérales, et réussirent d'une manière générale à s'assurer une existence 
    meilleure et délivrée d'anxiété. En bien des cas, ils parvinrent même à la fortune, 
    parfois à la grande opulence." 
    
    Il vous dit ainsi tout M. Ruppin et pourquoi votre presse est muette et pourquoi vous 
    vous trouvez tout en bas de la mélasse et pourquoi vous en crèverez... Judaïquement 
    strangulé. Pourquoi vous serez en enfer "boulluz", juif. D'ailleurs le Juif Kurt Munger 
    dans son livre "Les voix de Sion", vous l'annonce: 
    
    "Il sera impossible de se débarrasser de nous. Nous avons corrodé le corps des 
    peuples et nous avons infesté et déshonoré les races, brisé leur vigueur, putréfié tout, 
    par notre civilisation moisie. " 
    
    Voulez-vous savoir comment le juif Léon Trotzky, créateur de l'Armée rouge, traite 
    dans son livre "Ma vie ", les soldats de cette même armée? "Des singes sans queue, 
    fiers de leur technique et qui se prétendent des hommes. " 
    
    Vous imaginez bien que si les Soviets avaient voulu exécuter Trotzky, depuis belle 
    lurette que ça serait fait! S'il les avait [248] vraiment gênés!... Mais Trotzky? un 
    compère!... Il représente le Diable dans cette farce... Le "baron " de Staline, il travaille 
    dans "l'exportation " voilà tout... 
    
    D'après ce que racontent des Juifs de New- York, la guerre prochaine devrait éclater 
    vers la fin de juin 38. Ragots... 
    
    Vous connaissez peut-être de nom le "Rassemblement Universel pour la Paix "?... 
    Création de l'Union Soviétique financée par l'URSS, ébauche d'un vaste front 
    populaire international? Savez-vous comment le Dr Temple, archevêque anglican 
    (pro-juif) de New- York s'exprima lors du dernier Rassemblement?... En ces termes: 
    
    "Il sera peut-être nécessaire qu'il survienne de nouveau une terrible grande guerre 
    pour rétablir l'autorité de la Société des Nations... Il faudra peut-être que la génération 
    actuelle et les générations futures soient décimées, sacrifiées, dans une nouvelle 
    guerre mondiale, pour que la Ligue genevoise en sorte raffermie, tout comme la 
    dernière guerre fut indispensable à sa création." 
    
    Tiens! Tiens! Les protestants aussi? Cette bonne blague! Le protestantisme n'est 
    qu'une chapelle de la plus grande juiverie. Le protestantisme doit tout à la juiverie, sa 
    
    
    
    144 
    
    
    
    propre "Réforme" pour commencer. Le Pacte universel anglo juif repose sur le 
    Protestantisme. Religion de Transition. Quand l'on vous tapera dans les rues pour le 
    "Rassemblement Universel" ... Vous saurez de quoi il s'agit. 
    
    A bâtons rompus, plus près de nous, et beaucoup moins grave, savez-vous pourquoi 
    l'Académie Française semble subir un renouveau de brocards?... de verveux, 
    venimeux assauts? Pourquoi les pamphlétaires et les frondeurs de la gauche enragent 
    à nous les montrer les Académiciens dans leurs revues et satires plus incontinents, 
    plus "sucrotteurs" que jamais?... Pourquoi les festivités juives, les grandes 
    youstrikades 37, semblaient sonner le glas funèbre de l'Académie. Pourquoi ses 
    journaux l'abandonnent ?... Parce que son compte est bon... Ah! que ne s'est-elle un 
    peu davantage grouillée, pendant qu'il était temps encore, que n'a t-elle vivement fait 
    monter chez elle MM. Bernstein, Maurois, Picasso, Sacha, [249] Golding, Carco, tous 
    les Alexandre et les Samuel, et les Léo, qui se trouvaient en instance, et puis quelques 
    généraux juifs pour colorer l'assortiment. Elle se sauvait de justesse! Mais à présent il 
    est trop tard! Mille platitudes n'y changent rien, ses mois sont comptés. Vieille 
    Toilette, vieille garde-robe impertinente, vous serez rasée! Vous y passerez toute 
    première! 
    
    Observez donc, c'est amusant comme les petites académies, dans les pourtours, toutes 
    anxieuses au vent, se dépêchent, l'heure très pressante de faire tout leur plein de 
    youtres, de donner à la grande youtrerie, cent mille gages de soumission rampante... 
    de compréhension absolue... de se faire bien voir par M. de Rothschild... de s'enjuiver 
    à tout rompre. Tortillant spectacle!... Il serait piquant que je vole à mon tour, effréné, 
    à la rescousse de la vieille putain! Non! Non! Bévue! L'Académie Française a fait 
    beaucoup, énormément, tout son possible pour le triomphe de la Juiverie, pour notre 
    colonisation par les Juifs dans tous les domaines. Très antique vieille croulante 
    ribaude veut à présent fermer son cul! Barricader son pourri ? De quoi ? Quelle façon 
    ? Voilà des chichis impossibles! Des offusquements très burlesques! Des tartes! Elle 
    doit crever la vieille ordure, par les nègres, comme elle a vécu, le fias énormément 
    ouvert. Justice. 
    
    [250] Le Français s'il était curieux, il en apprendrait des choses, s'il voulait un petit 
    peu, par exemple, connaître tous les noms, véritables, de ceux qui le dirigent, et 
    surtout les noms des parents et des grands-parents de ceux qui le commandent, qui 
    gouvernent tout dans sa maison, qui lui font sa politique (droite et gauche), son 
    théâtre, son administration, sa finance, son Instruction Publique, sa peinture, sa 
    musique, ses romans, ses chansons, sa médecine, sa justice, sa police, son aviation, et 
    bientôt tous les hauts cadres de sa marine et de l'armée (pas les combattants). Il 
    s'apercevrait qu'au fur et à mesure des années, depuis l'affaire Dreyfus surtout, les 
    Français de race ont été à peu près complètement évincés, découragés, minimisés, 
    éliminés, bannis de toutes les places de commandement officielles ou occultes, qu'ils 
    ne peuvent plus sur leur propre sol par châtrerie, désarmement systématique, former 
    autre chose qu'un cheptel amorphe entre les mains des Juifs, fin prêts pour tous les 
    abattoirs. Que chaque nouvelle fonction se trouve immédiatement occupée, chaque 
    vide comblé par un Juif, enjuivé, maçon, époux de juive, etc. Le nègre monte 
    implacable, métis sadique, intransigeant. Et je ne parle pas de notre Noblesse si 
    parfaitement saturée de sang nègre!... L'on me citait l'autre jour le cas d'une très 
    grande famille, d'un des plus grands noms de France où sur 135 porteurs valables 
    authentiques du nom et du titre, 73 étaient Juifs! par mariages, alliances, 
    
    
    
    145 
    
    
    
    reconnaissances, etc., etc. Et ce cas n'est pas spécial, la proportion est valable pour 
    presque toutes les "grandes familles "... Les Juifs-négrites ne sont pas chez nous. C'est 
    nous qui sommes chez eux. 
    
    [24] (p. 251-260) 
    
    [25 1 ] Les meneurs communistes français s'imaginent une fois le pouvoir communiste 
    instauré en France, que ce seront eux qui dirigeront encore leurs communistes 
    français! Burlesque illusion!... Aussi fripouilles soumis, vicieux, cocus communistes 
    aryens que vous puissiez être, vous serez butés, chefs! vous tout d'abord! Aux 
    premières pipes! C'est indispensable! vos masses faut pas qu'elles se fourvoyent. On 
    va leur apprendre d'un seul coup, toutes les bonnes manières. Et d'abord à vous 
    oublier. A ne plus reconnaître au-dessus d'elles que le pouvoir officiel juif, l'autorité 
    juive absolue... On va vous l'apprendre d'un seul coup l'abolition des "stupides 
    préjugés de race!" dont vous avez plein la gueule! Ah! sales dupes! effarants cocus! 
    En vous butant! Par la seule raison, en vertu du seul fait que vous n'êtes pas juifs! 
    N'avez-vous jamais pressenti à travers les mielleries juives, tout leur mépris, 
    l'extraordinaire écœurement des Juifs pour "l'intouchable", insupportable fanfaron, 
    sapajou idiot que vous êtes?... Stupides outrecuidants crédules pantins?... Ils vous 
    feront rentrer dans l'ordre vos maîtres de la suprême pensée! dès les premières balles, 
    dans les premiers trous. Vos condamnations, chefs communistes français, sont toutes 
    pointées, registrées, signées sur le bureau du Comitern, et pour la "première heure ". 
    Vous aurez mené, imbéciles, frivoles ou roués, futés resquilleurs de mégots, vos 
    hordes jusqu'à l'abattoir. Vous irez jamais plus loin. Votre rôle s'arrête là! Vous ne 
    dépasserez pas l'abattoir. Vos maîtres juifs n'auront plus besoin de vous... Pour toutes 
    leurs coudées franches, votre disparition s'impose, sans délai. Perroquets, vos maîtres 
    n'ont que trop [252] entendu toutes vos jacasseries! Vous ne savez pas à quel point 
    vous leur portez sur les nerfs! Vos masses, Révolution faite, devront apprendre 
    d'autres chansons, mais pas avec vous! plus jamais avec vous!... Dès les Soviets 
    instaurés, fondront sur nous du Comitern, tout un terrible brelan de corbeaux 
    mystiques, des milliers de Juifs djibouks implacables, commissaires du nouvel ordre 
    atroce, celui que vous trépignez de mieux, toujours mieux connaître, meneurs 
    communistes français! Vous serez servis! régalés!... Il est parfaitement écrit dans les 
    astres, que c'est vous qui garnirez les premiers poteaux, avec vos propres barbaques 
    larbines. C'est pas des têtes que vous avez, c'est des noix de coco, vous savez 
    comment ça s'ouvre! Un coup sec 
    
    Vous y entrerez dans le nouvel ordre! les pieds devant!... suppliciés par vos propres 
    troupes!... et d'enthousiasme ! au commandement juif!... Je ne suis pas très au courant 
    des circonstances espagnoles... 
    
    [253] Les Juifs eux mêmes, de temps en temps, veulent bien se donner le mal de nous 
    prévenir un petit peu. Écoutez, ce sera bref, cet excellent Juif, Elie Marcus Ravage, 
    comme il est intéressant: 
    
    "Nous (les Juifs) sommes des intrus; nous sommes des destructeurs; nous nous 
    sommes emparés de vos biens propres, de vos idéaux, de votre destinée. Nous les 
    avons foulés aux pieds. C'est nous qui avons été la cause première de la dernière 
    guerre et non seulement de la dernière, mais de presque toutes vos guerres. Nous 
    
    
    
    146 
    
    
    
    n'avons pas seulement été les auteurs de la révolution russe, mais les instigateurs de 
    toutes les grandes révolutions de votre histoire. " 
    
    (Century Magazine, janvier 1928.) 
    
    Ah! le Juif, quand il se déboutonne, il est curieux à écouter, il est plus du tout 
    casuistique... C'est pas midi à quatorze heures! C'est franco! (ah ce mot!)... 
    
    Et celui-ci encore plus net: 
    
    "Si dans cinquante ans, vous ne nous avez pas tous pendus, vous les chrétiens, il ne 
    vous restera même pas de quoi acheter la corde pour le faire." 
    
    Le Juif Mires. 
    
    Réagir? Mais comment? Mais pourquoi?... Puisqu'ils possèdent tout l'or du monde en 
    vertu de quelle sophistiquerie les Juifs ne tendraient-ils pas à prendre le pouvoir?... 
    Tout le pouvoir? Tout simplement?... Affronter la juiverie mondiale mais c'est 
    affronter le Vésuve avec un petit arrosoir, pour l'éteindre. 
    
    [254] Diversion... 
    
    Une belle histoire... la Grande Epoque Arverne... 
    
    "Attaqué par les Romains, Bituit, roi des Gaules Barbares fit appel à tous ses 
    guerriers... Sur son char plaqué d'argent, aux essieux de bronze, il s'avançait coiffé 
    d'airain, paré de l'or des colliers et des bracelets. Sa meute de chasse l'accompagnait. 
    Derrière les escadrons de son escorte se pressaient deux cent mille Gaulois avec leurs 
    longues épées à deux tranchants, leurs épieux aux fers étincelants et leurs grands 
    boucliers plats d'osier ou de bois, peints de vives couleurs. Lorsque du haut des 
    collines, le roi aperçut dans la vallée du Rhône le petit carré des Légions romaines: "Il 
    y en aura à peine aujourd'hui" s'exclama-t-il, "pour la curée de mes chiens...» 
    
    Une autre histoire vieille et vilaine... les Gaulois de la décadence... 
    
    "On trouve des Gaulois sur toutes les rives de la Méditerranée, à la solde de tous les 
    princes ou de tous les Etats qui ont une injure à venger ou des ambitions à réaliser. Il 
    ne se passa pas de guerre au cours du nie siècle, à laquelle ne prissent part, souvent 
    dans les deux camps et les uns contre les autres, des contingents gaulois... Et plus 
    d'une fois, la guerre finie, pour échapper aux revendications de leurs mercenaires, les 
    Ptolémée d'Egypte ou le Sénat de Carthage, les prirent à quelque piège et les firent 
    massacrer..." 
    
    (Extrait des "Gaulois" par Albert Granier.) 
    
    [255] 
    
    Les Juifs sont la substance même de Dieu, mais 
    les non- Juifs ne sont que la semence du bétail. 
    
    Le Talmud 
    
    
    
    147 
    
    
    
    Admirez à présent, le Juif honnête homme, en train de nous travailler à "l'estime 
    réciproque". Voyez comme il est insidieux, patelin, pseudo-scrupuleux, inoffensif et 
    philosophique 
    
    (Extrait du Forum, grand périodique américain, octobre 1937.) 
    
    Enfants de la race martyre 
    par Maurice M. Feuerlicht 
    
    "J'ai appris très tôt dans ma vie que j'étais Juif et qu'il y avait une "question juive". Par 
    la suite, je devais apprendre en plus que les Juifs, en tant que groupe, ne se conduisent 
    pas comme dés gens normaux, c'est-à-dire pas comme la majorité des citoyens. 
    
    "Fils de rabbin, issu d'une famille israélite typique, je ne saurais guère nourrir de 
    préjugés contre les Juifs et je n'ai pas du tout envie de me cacher d'en être un. Mais 
    que personne ait jamais eu le sentiment inné de sa qualité de juif, je ne le crois pas. 
    C'est là, un sentiment qu'on inculque aux petits Juifs à peu près en même temps qu'on 
    leur apprend à parler et tout enseignement religieux tendra par la suite, à ne pas leur 
    laisser oublier qu'ils sont différents des Gentils. Mon plus ancien souvenir a trait à la 
    célébration de la "Fête des Lumières" (Chanukah). Assis aux pieds de mon père, 
    comme ce fut le cas d'innombrables autres petits Juifs, je l'écoute raconter la 
    palpitante histoire [256] de Judas Macchabée et de ses vaillants soldats qui risquèrent 
    leurs vies pour leur religion. J'allume des bougies, je chante: 
    
    "Enfants de la race martyre, 
    
    Libres ou dans les fers, 
    
    Éveillez l'écho de vos chants, 
    
    Où que vous soyez dispersés sur terre 
    
    "Ce thème des "enfants de la race martyre", on m'en a si fort battu et rebattu les 
    oreilles que ma sensibilité en a été très vite et très profondément pénétrée. "Peuple 
    opprimé", "martyre", "préjugé", "persécution": voici presque les premiers mots dont 
    j'ai compris le sens. Si les petits Gentils m'appelaient Juif, on avait grand soin de 
    m'expliquer à la maison qu'ils avaient voulu m'insulter et que le monde n'aime pas les 
    Juifs. L'instruction que je recevais chez moi ne me permettait jamais d'oublier le 
    passé. Chaque petit Juif, doit passer à son tour par toutes les persécutions qu'a pu 
    subir son peuple depuis 3.000 ans. 
    
    "Après la "Fête des Lumières", je célébrai la Pâque et détestai de toute la force de 
    mon cœur d'enfant le pharaon qui avait persécuté les Juifs. De crainte que j'oublie la 
    fuite précipitée à travers la Mer Rouge, on me fit manger du pain sans levain - 
    évocateur d'épreuves vieilles de 2.000 ans A l'école du dimanche, chez moi, là où les 
    autres enfants écoutaient des contes de fées, ou jouaient avec les soldats de plomb, 
    j'apprenais les atrocités de l'inquisition espagnole, l'emprisonnement des Juifs dans les 
    enceintes réservées et des ghettos. 
    
    "Il en résulta pour moi, comme pour les autres enfants juifs un complexe de persécuté 
    qui s'accusa à mesure que je grandissais. Je n'avais pas appris grand'chose des 
    principes religieux du judaïsme, mais je n'ignorais rien de l'affaire Dreyfus, du Ku- 
    Klux-Klan, de l'exclusivisme de tels clubs, de tels hôtels, des "quotas" universitaires. 
    
    
    
    148 
    
    
    
    C'est un tel ensemble de connaissances qui, plus que tout autre chose, donne à un Juif 
    d'aujourd'hui le sentiment d'être juif, car nous avons beaucoup plus conscience des 
    torts qu'on nous a fait subir que de notre religion. Notre maladie de la persécution 
    pervertit nos rapports avec notre entourage. Le Juif qui rate un examen ou une affaire, 
    qui tente en vain de trouver une situation ou d'entrer dans un club s'écriera: "C'est de 
    la prévention, c'est parce que je suis juif! " [257] Il ne s'en trouvera pas beaucoup 
    parmi nous pour avoir le courage de reconnaître qu'il pourrait bien y avoir là-dessous 
    d'autres raisons et toutes personnelles. Certes l'homme qui échoue cherche partout la 
    cause de son échec excepté chez lui. C'est un trait général de la nature humaine. Mais 
    nous nous éloignons de la norme, nous autres Juifs, sur ce point aussi parce que nous 
    avons fait de ce penchant une habitude d'esprit à laquelle nous avons constamment 
    recours pour nous consoler de tous les déboires. 
    
    "Dans l'important établissement universitaire où j'ai achevé mes études, 15% des 
    étudiants étaient des Juifs, plusieurs membres distingués du corps enseignant l'étaient 
    aussi. On n'en reprochait pas moins à ce collège d'écarter systématiquement les Juifs, 
    et un nombre incroyable de parents criaient non moins incroyablement à 
    l'antisémitisme parce que leurs fils n'avaient pas réussi à faire partie d'une association, 
    d'une équipe, avaient été refusés à un examen, n'avaient pas obtenu une distinction. 
    Moi qui avais affaire à eux tous les jours, je savais qu'il s'agissait de garçons mal 
    élevés, gâtés, paresseux, perpétuellement dressés sur leurs ergots, qu'on eût tenus pour 
    tout aussi indésirables s'ils avaient été protestants ou bouddhistes. 
    
    "On pourrait citer un nombre infini d'exemples de ce genre s'appliquant à tous les 
    âges, à tous les types d'Israélites. Car si, en de nombreux cas, l'antisémitisme entre 
    réellement enjeu, il n'en demeure pas moins que, trop souvent, le prétendu préjugé 
    raciste est, en fait, un légitime réflexe de défense dirigé contre un individu. Bon 
    nombre de Gentils sont équitables, enclins à juger les gens selon leurs mérites 
    personnels. C'est le Juif qui provoque les malentendus avec sa susceptibilité toujours 
    en éveil. 
    
    "Une personne affligée de la maladie de la persécution est toujours habitée par 
    l'aveugle désir de rendre coup pour coup. La présence d'un Gentil à une cérémonie 
    juive est sévèrement critiquée par les Juifs qui brûlent le plus d'être reçus chez les 
    Gentils. Qu'un Juif commette le crime entre tous haïssable de prendre femme chez les 
    Gentils, et il sentira toute la force du préjugé que les Juifs ont eux-mêmes élevé autour 
    d'eux 
    
    "Certaines conséquences de ce complexe de martyrisé sont à longue portée et causent, 
    en tout cas, un préjudice irrémédiable à l'individu juif. Elles entament jusqu'aux 
    mieux disposés des [258] Gentils. Le Juif se montrant en effet d'une sensibilité 
    morbide au sujet de son judaïsme, les Gentils se retiennent de faire une critique 
    éclairée de la question, de peur d'être accusés de donner dans le travers antisémite. Et 
    ainsi le Juif se voit privé du bénéfice qu'il retirerait d'un examen loyal de différences 
    et de préjugés qui existent réellement. 
    
    "Le côté tout à fait tragique de cette situation naît de l'attitude inconséquente du Juif - 
    lequel se plaint amèrement qu'on voie en lui en premier lieu le Juif et non l'individu. Il 
    oublie que son premier mouvement à lui est toujours d'un Juif. Les journaux publient- 
    ils qu'Isaac Rubens, 26 ans, a cambriolé la nuit dernière l'épicerie Smith ? Tous les 
    
    
    
    149 
    
    
    
    Juifs de la ville se dressent et crient à la diffamation. Mais qu'Albert Einstein 
    révolutionne le monde des sciences par ses théories, et les mêmes Juifs rayonnent de 
    satisfaction en lisant un article sur "le grand savant israélite». Il faudrait pourtant que 
    nous nous décidions à choisir ce que nous attendons du monde ? Qu'il nous tienne 
    pour des individus ou pour des Juifs ? 
    
    "Je crois que nous ne serons jamais des individus normaux tant que nous resterons en 
    proie à notre complexe de martyrisés, tant que nous nous déroberons à la tâche de 
    notre perfectionnement individuel, tant que nous trouverons plus commode de blâmer 
    les autres de nos propres défauts." 
    
    Voyez- vous ce bénin! Cette petite ficelle! Il écrit comme Mr. Duhamel, il pense 
    comme Mr. Duhamel. 
    
    [259] Après l'eau de Rose, les avertissements... 
    
    Le journal "Le Moment", publié à Varsovie, en yiddish, le plus important des 
    journaux juifs de l'Europe orientale, nous a donné dans son numéro 260 B. du 13 
    novembre 1934 un bien intéressant article intitulé "Laser Moissejevitch Kaganovitch, 
    le représentant de Staline et son alter ego"... 
    
    Quelques passages bien instructifs, prophétiques: 
    
    «"C'est vraiment un très grand homme ce Laser Moissejevitch... C'est lui qui régnera 
    un jour sur le pays des Tzars... Sa fille qui va sur ses 21 ans est maintenant la femme 
    de Staline. Il est excellent à l'égard des Juifs, ce Laser Moissejevitch... Vous voyez, il 
    y a profit à avoir un homme à nous au meilleur endroit. " 
    
    [260] Il ne se passe pas de jour où vous ne trouviez - si vous êtes un peu averti - dans 
    votre journal habituel, droite ou gauche ou d'informations, c'est-à-dire trituré selon 
    votre goût futile pour telle ou telle politique (en réalité toutes parfaitement juives, 
    divers rayons simplement du grand bazar des supercheries) cent petits échos... des 
    articles entiers consacrés au triomphe, à la gloire de la plus grande juiverie. Votre 
    journal habituel est littéralement farci de ces petits échos, entrefilets de théâtre et de 
    cinéma... revues de grande diplomatie... palmarès de beauté., badins... anodins... 
    pompeux... frivoles... philosophiques... tous les genres. Au petit bonheur, je vous livre 
    ce petit pataquès, prélevé dans "Paris-Soir " (fin octobre). Il n'est pas plus inepte, plus 
    sirupeux, plus écœurant qu'un autre, de la même intention: "enjuivage, colonisation 
    juive ". Il donne assez bien, je trouve, le "la" général de cette grande musique, tantôt 
    symphonique, tantôt rigodon... plus tard Carmagnole... 
    
    "La Carrière et les carrières" 
    
    «Mme Lévy de Tact, belle-fille de l'ambassadeur de France à Moscou, puis à Berne, a 
    fait ses débuts à la Radio, au poste Radio 37. Elle chanta, et fort bien. Son succès fut 
    très grand. 
    
    «Il est curieux de noter que la famille de Mme Lévy de Tact jouit d'un privilège 
    artistique assez rare. Chacun y possède un talent d'amateur qui pourrait aisément, du 
    jour au lendemain, 
    
    
    
    150 
    
    
    
    [25] (p. 261-270) 
    
    [261] se transformer en professionnel. Sa mère est compositeur et pianiste virtuose. Sa 
    sœur fait de la danse et son mari est un imitateur de premier ordre qui pourrait tenir la 
    scène en empruntant la voix de Louis Jouvet, aussi bien que celle de Michel Simon ou 
    de Joseph Caillaux. 
    
    "Quant à Mme Lévy de Tact, elle aime chanter les chansons anciennes avec une 
    diction qui s'apparente à celle d'Yvette Guilbert, et une voix d, un charme 
    incomparable. 
    
    "Si M. Lévy de Tact, ambassadeur, appartient à la Carrière, on peut dire que celles de 
    sa famille auraient, si elles se manifestaient en public, un sort fort enviable. " 
    
    Que de "wunderkinder" n'est-ce pas dans une seule famille?... Mais de quoi fouetter 
    un chat? Non! Je vous l'accorde! De tels vaniteux babillages ne peuvent alarmer 
    personne... ne peuvent déclencher nulle émeute! Certes!... Je vous abandonne aussi ce 
    ton!... Cette très juive surenchère en flagornerie... Nous sommes au Congo! ne 
    l'oublions pas!... cette accablante concentrée balourdise, ce narcissisme si pabouin, si 
    tropical... Nous n'y pouvons rien... Les échos mondains (presque tous juifs) tiennent 
    presque tous cette même note, ce même diapason de foire équatoriale... Tout ce très 
    mauvais goût nous arrive de la brousse aux calebasses, par des voies très frénétiques, 
    très ardentes, très anciennes et tarabiscotées, ne l'oublions jamais... Cette vulgarité 
    hurlante, trépidante, abrutissante, vous la retrouverez toujours autour de tous les tam- 
    tams!... Fatalement aussi dans tous les salons, puisque tous les salons, ou à peu près 
    tous, sont juifs, autant de tam tams dits mondains. 
    
    Rien n'est plus "monroviesque", plus farce en fait, en pratique, que cette drôle de 
    prétention des salons au "bon goût"... au "raffinement"... Dans n'importe quel salon, 
    en dix minutes d'assemblage, il se commet plus d'impairs, d'horreurs de goût et de 
    tact, que dans tous les Corps de garde de France en dix ans... Le seul fait d'aller dans 
    le monde dénote déjà chez le bonhomme une impudeur de cochon... une sensibilité de 
    bûche. Le Monde, c'est un vrai paradis pour les sapajous exhibitionnistes. 
    
    - Ah! mais, me répondrez-vous, gros pervers dégueulasse vous-même?... Voici tout 
    autant de remarques absolument inutiles, futiles, insolentes et vilaines... 
    
    - Mais non! mais non! pas futiles du tout! Ce puéril "écho" non plus... Ah! 
    l'abominable erreur! Il a sa place dans le Grand [262] Tout. Il n'est pas à mépriser. La 
    pénétration juive, l'infiltration, l'imbibition de juiverie, s'effectue en nappe, 
    concevez!... par mille filets publicitaires... Rayonnants... pondérables... occultes... Ce 
    petit écho dans sa toute suffisante niaiserie, jouera très bien son petit rôle, comme tant 
    d'autres avant lui, semblables... après lui... Il va donner au grand public, parfaitement 
    jobard et cocu, la bonne pensée, que tous ces noms, ces vedettes, et ces mondains et 
    ces radios qu'on lui révèle (tous parfaitement juifs, demi-juifs, ou enjuivés) 
    représentent tout autant [161] d'étoiles dans un certain firmament... adorablement 
    mystérieux... vers lequel il s'habitue à prier... à ne plus prier que "juif". Toutes ses 
    ferveurs, toutes ses prières d'Aryen iront désormais aux Juifs... Un petit écho comme 
    celui-ci... mais c'est un " Ave Maria"... un petit "Ave Maria" de la juiverie... ce n'est 
    pas grand'chose, bien sûr un petit " Ave Maria". Mais c'est avec des millions de 
    
    
    
    151 
    
    
    
    millions de ces "Ave Maria"... que les Juifs font tourner la terre... juive... dans le sens 
    juif. 
    
    [263] 
    
    Dieu donna toute puissance aux Juifs sur 
    les biens et le sang de tous les peuples. 
    
    Le Talmud. 
    
    Dans le "Paris-Soir" du lendemain... musant... j'en découvrais encore deux ou trois... 
    des petits échos du même ordre... superbes en vérité... sans effort... Vous les trouverez 
    aussi... si vous les cherchez un peu... et sans vous donner aucun mal: 
    
    "Le Baron de Cahen ou le lyrisme dans les Finances" 
    
    "L'Odéon vient de présenter une pièce en vers du baron Léo de Cahen, sur "Sapho et 
    l'Académie de Lesbos", et, aujourd'hui, l'Association France-Grande-Bretagne 
    organise à la Sorbonne une conférence du même baron de Cahen sur Abraham. 
    
    "Tout le monde connaît la situation qu'occupe dans la Cité de Londres le fameux 
    financier qui, même dans ses affaires, n'a pas négligé de mêler un certain lyrisme. Il 
    s'est consacré, en effet, à deux projets grandioses: le tunnel sous la Manche et la voie 
    ferrée du Cap au Caire. Le tunnel sous la Manche. Son histoire mériterait un volume. 
    Ses vicissitudes furent nombreuses; il choquait l'esprit insulaire de la Grande- 
    Bretagne. 
    
    "Le chemin de fer du Cap au Caire, fut, lui, commencé. Il n'est pas achevé malgré les 
    efforts de la maison Cahen qui commandita la construction de la voie jusqu'à Kenya et 
    les travaux du fort de Monbassa. 
    
    "Le baron Cahen appartient à une véritable dynastie de lettrés et d'artistes. Son frère 
    Alexandre, avait dans son sérail mauresque de Sidi-bou-Saïd, à Carthage, recueilli les 
    mélodies du [264] folklore arabe, tandis que l'autre, Samuel, a composé la musique 
    "des Mille baisers" que le Covent Garden représenta naguère avec succès pendant la 
    saison des Ballets Russes. 
    
    «La baronne de Cahen, née de Grand-Bey, est un peintre de talent et son accueillante 
    maison de Piccadilly est l'un des centres où rayonnent sur Londres l'esprit français et 
    le goût parisien. 
    
    "Ses petites-filles Sarah, Esther et Rachel, sont les compagnes favorites de jeux de la 
    petite princesse Elisabeth, future reine d'Angleterre." 
    
    Je ne vous expliquerai plus rien... J'espère qu'à présent vous savez lire "juif... Tout au 
    plus pourrais-je, par quelques mots opportuns, souligner les qualités exceptionnelles 
    de ce cru très spécialement riche... le commenter très dévotieusement, comme un 
    grand vin d'une célèbre cuvée. Bouquet d'arômes "juifs" tout à fait précieux... Grande 
    classe!... très riche en "Tunnel sous la Manche"... Intimité monarchique... 
    
    
    
    152 
    
    
    
    dynastique!.... soutenu d'ensorcelants parfums exquis de "Cité"... Sérail de Carthage... 
    chemin de fer et ballets russes... "Mille baisers:"... le "certain lyrisme"... le tout très 
    capiteux... très soutenu, très saphique, très enveloppé... sur Paris-Londres... Immense 
    année d'Hébralsme!... Jouissez-vous ? 
    
    
    
    [265] 
    
    
    
    Si vous étiez des enfants spirituels d'Abraham vous feriez les 
    
    œuvres d'Abraham... le père spirituel dont vous êtes issus 
    
    c'est le diable... Et il n'y a point de vérité en lui. 
    
    Jésus. 
    
    
    
    Vous souvenez-vous? 
    
    
    
    "Toute la production d'Hollywood l'Infâme... monstrueuse permanente insulte au 
    labeur prolétaire... à toute la vertu prolétarienne... la plus monstrueuse entreprise 
    idéologique de corruption capitaliste... la plus éhontée de tous les âges... Un torrent de 
    navets pourris... bla... bla... bla... Prolétaires! en masses! sifflez toutes ces ordures!... 
    Fuyez les salles obscures, où l'on vous contamine, vous abrutit intégralement, 
    systématiquement!... Ah! Nous ne sommes pas dupes! nous les "responsables" du 
    prolétariat! La pureté prolétarienne doit se raidir contre cet immense danger de 
    souillure! toutes les énergies de saine révolte se trouvent minées par cette mondiale 
    infection!... Toutes ces vedettes, putains surplâtrées dont les salaires astronomiques 
    d'une seule journée de grimaces surpassent bien souvent ceux que touchent plusieurs 
    familles ouvrières misérables! au labeur acharné! pendant des mois!... Quelle honte! 
    Quel défi à notre immense détresse! La collusion des Banques... la complicité des 
    Trusts!... Haro!... Haro!... Cette prostitution, cette dégradation sans vergogne de tous 
    les Arts... de tous les sentiments, ce mercantilisme sacrilège, pourrisseur des élans les 
    plus nobles de la nature humaine... bla... bla... fait! On leur en donne! Et d'entonner leur propre "Dies irae"... 
    
    Les Juifs: "Bravo! Bravo! Très beau courage! magnifique allure! splendide 
    attitude...". 
    
    Quant à l'intellectuel aryen, le "Pindare" de cette aventure, on nous le présente dès le 
    début, rendu déjà en tel état de futilité, de gâtisme précoce, d'inconsistance, de 
    rabâchage bulleux, qu'il se dissipe tout seul dans le cours du film... Nous le perdons... 
    évaporé... 
    
    Cette "Grande Illusion" nous célèbre donc le mariage du simple, fruste, petitement 
    démerde ouvrier aryen, confiant tourlourou devenu monteur, avec le petit Juif, 
    djibouk, milliardaire, visqueux Messie, demain tout naturellement Commissaire du 
    Peuple, prédestiné. Tout ce qu'il faut pour réaliser le Soviet juif-ouvrier, le strict 
    nécessaire, rien de trop, rien de moins! L'Avenir monte son ménage! Le Sinaï vient de 
    tonitruer pour la troisième fois: "Pelure de Goye, quitte plus ton youtre! Ou ça va 
    chier horriblement! Le Juif, c'est ton ange gardien!...". Et tout de suite ces sentences 
    pénètrent au profond du cœur aryen! 
    
    Mordez ce pilote d'aviation qui ne sait même plus lire une carte du moment où le petit 
    Juif prend le commandement! l'est-ce suffisamment symbolique? 
    
    Et vous, là, Mr. Figure!... Mr. Chèvre et Chou!... qui n'êtes rien de bien avouable... ni 
    militaire... ni militant... ni professeur... ni grand duc... ni archevêque... ni 
    milliardaire... ni Juif... ni manœuvre... Que restez-vous là, planté?... Vous attendez 
    peut-être un rôle?... Qu'attendez-vous pour disparaître?... Allons, youp! là... Qu'on 
    vous pousse?... Allons, un peu de courage!... Vous encombrez! Vous êtes grotesque! 
    Vous êtes obscène! Vous n'êtes pas de la noce!... Que foutez-vous ici?... Votre seule 
    présence est immonde! Vous décomposez l'air... Comprenez-vous les symboles?.. Le 
    marc de café?... Allons oust! un peu d énergie!... Les pistolets sont sur la table!... Tous 
    ces acteurs se donnent du mal!... Ne demeurez pas insensible!... figé!... Sachez finir 
    bellement!... Il est temps!... Il est "moins cinq" juif! - La Grande Illusion? - 
    "L'Univers Israélite" ne saurait s'y tromper, voici ce qu, il nous déclare: 
    
    "... L'un des meilleurs films que la guerre ait inspirés: 
    
    [274] "La Grande Illusion", nous a donné, cet hiver, à ce propos une belle scène d'un 
    symbolisme bien français. Deux prisonniers de guerre, de conditions et d'origines très 
    différentes (ouvrier aryen, "millionnaire juif) dont les épreuves communes ont fait 
    deux camarades, avant de tenter une dangereuse évasion, se séparent: "Au revoir, sale 
    Juif!" dit affectueusement l'un. "Au revoir, vieille noix!", répond vigoureusement 
    l'autre. Et les deux soldats se séparent après une émouvante accolade. Ils se 
    retrouvent... Ils se réunissent..." 
    
    
    
    158 
    
    
    
    Grande Illusion? Grande Illusion?... Ah! bien certes, oui! la Grande Illusion!... Et 
    comment! L'Enorme Illusion! Au Prodige! Belzébuth! Moloch! A vos ordres! la 
    formidable myriacube stratosphère d'Illusion! Nom de Dieu! La plus suprémifique 
    illusion du plus pharamineux Têtard qu'on aura jamais fourgué pour la surfusion des 
    pyrites dans la prochaine Bacchanale! L'Idéofournaise Mongo-youtre 1940! 
    
    [275] Les Américaines yankees, qu'on entend pousser de tels cris, créer de tels raffuts, 
    d'universels hurlements (lynchages, pétitions, procès, etc.) dès q'un nègre les encule 
    (en public!) comment qu'elles se marient aux Juifs! et à toute berzingue! et tant que ça 
    peut! et plein les miches! Les Juifs font prime comme épouseurs aux Etats-Unis. Le 
    Juif est vicieux, le Juif est riche, le Juif bourre bien. Le Juif "négrite", bien plus bas 
    que le nègre. 
    
    Encore un flan très prodigieux cette fameuse barrière des races U. S. A.! Une barrière 
    en bites! Mais minute! Je vais, à mon tour, vous dire un peu l'avenir: Un jour, les Juifs 
    lanceront les nègres, leurs frères, leurs troupes de choc sur les derniers "cadres" 
    blancs, les réduiront, tous ivrognes, à l'esclavage. Harlem sera le quartier "blanc"... 
    Les nègres en bringue, ils iront voir, ils feront danser les blancs pour eux, la "blanc - 
    boula". 
    
    [276] 
    
    "Il faut avoir vécu dans les coulisses de la Politique pour se rendre 
    
    compte que le monde est dirigé par des personnes tout à fait 
    
    différentes de celles que s'imagine le peuple." 
    
    Disraëli-juif, 
    Premier ministre d'Angleterre 
    
    Toujours certains Juifs, depuis l'Egypte, depuis Moise, grand occultiste, se sont 
    signalés par leur pouvoir "pronostiqueur", Juifs, dervicheurs, prophètes, hermétistes, 
    incantateurs, initiés, talmudistes, féticheurs, khabalistes, mages, francs-maçons, 
    messies, gris-gris, djibouks, etc., toute la sauce. 
    
    Ces spécimens superhumains, forment, au-dessus de la juiverie, le super-clan des 
    guides mystiques, toujours écoutés, toujours suivis, en fait les véritables chefs de 
    l'univers juif. Il en est ainsi d'ailleurs de tous les régimes asiates ou nègres. Les Juifs 
    gardent comme leur plus précieux trésor toute leur magie noire sous la peau. 
    
    Dans toutes les époques de bouleversement l'on voit surgir, c'est automatique, leurs 
    représentants prophétiques, les devins, leurs oracles juifs... Nostradamus... 
    Cagliostro... Mesmer... Marat... Marx... etc. Ces Juifs, super-juifs, encore plus 
    "émetteurs de maléfices" que les autres youtres, semblent à travers leur charabia 
    posséder cependant le sens, la prémonition des grandes crises, des grands 
    bouleversements juifs... Ce sont des "cataleptiques hébraïques mondiaux"... Leurs 
    prédictions, leurs avertissements, sont très souvent admirables de justesse et de 
    pertinence. Ils se trompent, mais souvent ils tombent pile... Ainsi Nostradamus, vers 
    1620, annonçait déjà fort exactement, la date de notre grande Révolution 1793 (date 
    écrite)... Nous aurions tort de nous moquer... Moise [277] avait bien fait les choses... 
    Il avait doté son petit trachomateux peuple, pas fait pour voir clair du même côté que 
    nous, de très curieuses armes, les mystères Khabalistes ne sont peut-être pas tous 
    
    
    
    159 
    
    
    
    aussi vains, charabiatiques et phrasuleux que le prétendent nos petits malins 
    "expérimentalistes", athées, positifs, dupés et cocus de toujours. Un petit sortilège qui 
    vous culbute successivement l'Empire Égyptien, l'Empire Romain, la Monarchie 
    Française, l'Empire Napoléonien, l'Empire Allemand, l'Empire Russe, demain toute la 
    démocratie, l'Empire Britannique n'est pas un mirliton... Et je compte pour rien les 
    Croisades, la Réforme, etc., qui sortent toutes aussi bel et bien du même philtre... 
    
    Trouvons-nous encore, de nos jours parmi nous, quelques prophètes de cette grande 
    lignée?... de la même force?... même envergure? Certainement!... Le fameux 
    "Protocole des Sages de Sion", n'est pas autre chose qu'une vaticination de ce genre, 
    une de ces hystéries divinisantes juives, dont on se gausse à première lecture, 
    tellement à première vue elles relèvent par le ton, le fond, le style du tétanisme, de la 
    fumisterie d'Asile, des farces de P. G. des écrits de "camisole", de l'insanité, de la 
    furie vicieuse, trompeusement cohérente par hasard... et puis... et puis l'on découvre à 
    l'usage... avec le temps... qu'elles furent parfaitement raisonnables... que de tels 
    frénétiques, fanatiques abracadabrants fantasmes, correspondent très exactement à 
    l'évolution des choses... C'est l'évolution des choses qui vient se superposer très 
    exactement, géométriquement, miraculeusement sur de tels cauchemars. Et nous n'en 
    revenons pas... Le pronostic des fous se vérifie... Toute notre connerie n'est pas faite 
    seulement de crédulité, il faut en convenir, elle est faite aussi de scepticisme. Ces 
    Protocoles publiés vers 1932 ont très exactement prédit tout ce qui s'est passé de juif 
    dans le monde depuis lors... et il s'en est passé des choses juives dans le monde!... La 
    vérité juive c'est sa couleur, son rythme, s'exprime dans les transes, c'est une vérité de 
    forêt vierge... Dans le genre "visionneur" nous avons peut-être encore mieux que des 
    Protocoles, plus substantiel, plus bref, plus haineux si possible... Ainsi le discours que 
    l'on connaît assez peu, du rabbin Rzeichhorn, prononcé au cimetière de Prague en 
    1865 sur la tombe d'un autre grand rabbin prophétique, Siméon-ben-Jahouda. Ce texte 
    ne fut reproduit que onze années plus tard dans le "Contemporain"... et puis dans le 
    "Compte Rendu" de Sir John Radcliff. Les auteurs de cette reproduction 
    n'emportèrent pas leur audace en [278] paradis... Sir John Radcliff fut tué peu de 
    temps plus tard, ainsi que Lasalle, le juif félon, qui l'avait communiquée. 
    
    Voici les principaux passages de cette magnifique composition, si prophétique, l'on 
    s'en rendra compte: 
    
    "L'or manié par des mains expertes sera toujours le levier le plus utile pour ceux qui le 
    possèdent et objet d'envie pour ceux qui ne le possèdent pas. Avec l'or on achète les 
    consciences les plus rebelles, on fixe le taux de toutes les valeurs, le cours de tous les 
    produits, on subvient aux emprunts des États qu, on tient ensuite à sa merci. 
    
    «Déjà les principales banques, les Bourses du monde entier, les créances sur tous les 
    gouvernements sont entre nos mains. L'autre grande puissance est la presse. En 
    répétant sans relâche certaines idées, la presse les fait admettre à la fin comme des 
    vérités. Le Théâtre rend des services analogues (le cinéma c et la T. S. F. n, existaient 
    pas alors). Partout le théâtre et la "presse obéissent à nos directions. 
    
    "Par l'éloge infatigable du régime démocratique, nous diviserons les chrétiens en 
    partis politiques, nous détruirons l'unité de leurs nations, nous y sèmerons la discorde. 
    Impuissants, ils subiront la loi de notre Banque, toujours unie, toujours dévouée à 
    notre cause. 
    
    
    
    160 
    
    
    
    «Nous pousserons les chrétiens aux guerres en exploitant leur orgueil et leur stupidité. 
    Ils se massacreront et déblaieront la place où nous pousserons les nôtres. 
    
    "La possession de la terre a toujours procuré l'influence et le pouvoir. Au nom de la 
    justice sociale et de l'égalité, nous morcellerons les grandes propriétés; nous en 
    donnerons les fragments aux paysans qui les désirent de toutes leurs forces, et qui 
    seront bientôt endettés par l'exploitation. Nos capitaux nous en rendront maîtres. Nous 
    serons à notre tour les grands propriétaires, et la possession de la terre nous assurera le 
    pouvoir. (La Palestine n'est pas autre chose qu, un camp d'entraînement de 
    commissaires juifs à l'Agriculture pour la prochaine Révolution mondiale.) 
    
    "Efforçons-nous de remplacer dans la circulation, l'or par le papier- monnaie; nos 
    caisses absorberont l'or, et nous réglerons la valeur du papier, ce qui nous rendra 
    maîtres de toutes les existences. 
    
    "Nous comptons parmi nous des orateurs capables de feindre [279] l'enthousiasme et 
    de persuader les foules; nous les répandrons parmi les peuples, pour annoncer les 
    changements qui doivent réaliser le bonheur du genre humain. Par l'or et la flatterie, 
    nous gagnerons le prolétariat, qui se chargera d'anéantir le capitalisme chrétien. Nous 
    promettrons aux ouvriers des salaires qu'ils n'ont jamais osé rêver, mais nous 
    élèverons aussi le prix des choses nécessaires, tellement que nos profits seront encore 
    plus grands. 
    
    "De cette manière, nous préparerons les révolutions que les chrétiens feront eux- 
    mêmes et dont nous cueillerons les fruits. 
    
    "Par nos railleries, par nos attaques, nous rendrons leurs prêtres ridicules, et puis 
    odieux, leur religion aussi ridicule, aussi odieuse que leur clergé. Nous serons alors 
    maîtres de leurs âmes. Car notre pieux attachement à notre religion, à notre culte, leur 
    prouvera la supériorité de nos âmes... 
    
    "Nous avons déjà établi de nos hommes, dans toutes les positions importantes. 
    Efforçons-nous de fournir aux goyims des avocats et des médecins; les avocats sont 
    au courant de tous les intérêts; les médecins une fois dans la maison, deviennent des 
    confesseurs et des directeurs de conscience. Mais surtout accaparons l'enseignement. 
    Par là, nous répandrons les idées qui nous sont utiles, et nous pétrirons les cerveaux à 
    notre gré. 
    
    "Si l'un des nôtres tombe malheureusement dans les griffes de la Justice chez les 
    chrétiens, courons à son aide; trouvons autant de témoignages qu'il en faut pour le 
    sauver de ses juges, en attendant que nous soyons nous-mêmes les juges. 
    
    "Les monarques de la chrétienté, gonflés d'ambitions et de vanité, s'entourent de luxe 
    et d'armées nombreuses. Nous leur fournirons tout l'argent que réclament leurs folies, 
    et nous les tiendrons en laisse. " 
    
    Rappelons pour plaisir et pour mémoire, les principales dispositions des Protocoles 
    (souvenons-nous 1902). Rien n'est plus revigorant que cette lecture pour un Aryen. 
    Elle vaut pour notre salut bien des prières qui se perdent... Dieu sait comment! entre 
    ciel et terre... 
    
    
    
    161 
    
    
    
    "Encourager le luxe effréné, les modes fantastiques, les dépenses folles et éliminer 
    graduellement la faculté de jouir des choses saines et simples... 
    
    [280] "Distraire les masses par les amusements populaires, les jeux, les compétitions 
    sportives, etc., amuser le peuple pour l'empêcher de penser 
    
    "Empoisonner l'esprit par des théories néfastes; ruiner le système nerveux par le 
    vacarme incessant et affaiblir les corps par l'inoculation de virus de diverses maladies. 
    (Le petit juif Rosenthal le répète dans la "Grande Illusion".) 
    
    "Créer un mécontentement universel, et provoquer la haine et la méfiance entre les 
    classes sociales. 
    
    "Dépouiller l'aristocratie, aux vieilles traditions, de ses terres, en les grevant d'impôts 
    formidables, la forçant ainsi de contracter des dettes; substituer les brasseurs d'affaires 
    aux gens de race et établir partout le culte du Veau d'Or. 
    
    "Envenimer les relations entre patrons et ouvriers par des grèves et des "lock-out" et 
    éliminer ainsi toute possibilité de bons rapports d'où résulterait une coopération 
    fructueuse. 
    
    "Démoraliser les classes supérieures par tous les moyens et provoquer la fureur des 
    masses par la vue des turpitudes et des stupidités commises par les riches. 
    
    "Permettre à l'industrie d'épuiser l'agriculture et graduellement transformer l'industrie 
    en folles spéculations. - Encourager toutes sortes d'utopies afin d'égarer le peuple 
    dans un labyrinthe d'idées impraticables. - Augmenter les salaires sans bénéfice aucun 
    pour l'ouvrier, vu la majoration simultanée du coût de la vie... 
    
    "Faire surgir des a incidents provoquant des suspicions internationales; envenimer les 
    antagonismes entre les peuples; faire éclore la haine, et multiplier les armements 
    ruineux. 
    
    "Accorder le suffrage universel, afin que les destinées des nations soient confiées à 
    des gens sans éducation. 
    
    "Renverser toutes les monarchies et établir partout des républiques, intriguer pour que 
    les postes les plus importants soient a confiés à des personnages ayant à cacher 
    quelques secrets inavouables, afin de pouvoir les dominer par la crainte d'un scandale, 
    les tenir par la Police. 
    
    "Abolir graduellement toute forme de Constitution, afin d'y substituer le despotisme 
    absolu du Communisme. 
    
    "Organiser de vastes monopoles dans lesquels sombreront toutes les fortunes, lorsque 
    sonnera l'Heure de la crise politique. 
    
    "Détruire toute stabilité financière; multiplier les crises 
    
    [27] (p. 281-290) 
    
    
    
    162 
    
    
    
    [281] économiques et préparer la banqueroute universelle; arrêter les rouages de 
    l'industrie; faire crouler toutes les valeurs; concentrer tout l'or du monde dans 
    certaines mains; laisser des capitaux énormes en stagnation absolue; à un moment 
    donné suspendre tout crédit et provoquer la panique. Préparer l'agonie des Etats, 
    épuiser l'humanité par la souffrance, les angoisses et les privations, car la faim crée 
    des esclaves." 
    
    Tout ceci colle, concorde, je le pense admirablement avec les événements en cours. 
    Le Juif Blumenthal était donc dans son plein droit, en écrivant pour qu'on le sache, 
    dans le "Judisk Tidskrift " (No 57, année 1929): 
    
    «Notre race a donné au monde un nouveau prartirez à la guerre, à l'heure choisie par Mr. 
    le Baron de Rothschild, votre seigneur et maître absolu... à l'heure fixée, en plein 
    accord, avec ses cousins souverains de Londres, de New- York et Moscou. C'est lui, 
    Mr. de Rothschild, qui signera votre Décret de Mobilisation Générale, par la personne 
    interposée, par la plume tremblotante de son pantin-larbin-ministre. 
    
    Ah! Si nous avions encore en France, un tout petit peu de couilles... notre petit mot à 
    dire... Ah! Si nous pouvions rédiger encore la "Timide Supplique"... Mais nous ne 
    pouvons plus rien... Plus un mot à dire... Nous irions ramper à genoux... la corde au 
    cou... jusqu'au Consistoire... le plus humblement du monde... implorer qu'on nous 
    épargne... encore une année... 18 mois... qu'on nous foute la paix une bonne fois pour 
    toutes... "La Paix aryenne"... 
    
    [289] Nous recevrait-on?... Les fameuses 200 familles, aryennes ou pas, mais je vous 
    les donne! je n'en retiens pas une!... Je vous en fais, moi aussi, le très royal cadeau... 
    Je ne vais pas pleurer sur leur sort infect! Soyez bien tranquilles! Tous les Patenôtres, 
    Lederlins, Dupuys... Renaults... Wendels... Schneiders... Michelins et tutti cotys... 
    Mais vous pouvez les emporter... Je leur dois rien... je vous assure... Seulement 
    
    
    
    169 
    
    
    
    puisqu'on s'amuse, je voudrais bien alors quand même, que nous jouions franc jeu! 
    franc jeu jusqu'au bout!... Qu'on n'oublie pas le Consistoire dans la bigorne générale... 
    ni les belles familles associées... Ni les grands trusts youtres affameurs... les L. L. 
    Dreyfus, par exemple (pluri-milliardaires) ni les Baders et consorts... les grands amis 
    de MM. Blum... Mais non!... Mais non!... Pas du tout!... Je ne me régalerai pas de 
    quelques comparses et de quelques raclures apeurées... entités fuyantes boucs 
    émissaires... fondantes Têtes de turc... Mais voyons! Pas du tout!... Je refuse ces 
    "courants d'air"!... Je veux du solide!... Des réalités!... des vrais responsables!... des 
    "durs de Khabales"... J'ai la dent!... Une dent énorme!... Une vraie dent totalitaire!... 
    Une dent mondiale!... Une dent de Révolution!... Une dent de conflagration 
    planétaire!... De mobilisation de tous les charniers de l'Univers! Un appétit sûrement 
    divin! Biblique!... 
    
    [290] 
    
    Ni promesse, ni serment n'obligent 
    
    le Juif à l'égard des chrétiens 
    
    Le Talmud 
    
    A présent la bonne grosse tranche de ce beau Thorez... sur sa couverture "Ma vie"... 
    bonne grosse bouille bien offerte... Boubouroche en triomphe... Invraisemblable!... en 
    bras de chemise... bien en chaleur, bien en chair, bien vain, bien poupin... l'Aryen 
    idéal pour prestidigitateur juif... Le cocu rêvé... Le sergent tout frais promu... ravi... 
    exultant... tout en "roue"... première sortie!... miroitant du galon... Pitié!... 
    
    Quelle splendide pièce à promener dans la cage aux vampires! Quel propice, 
    savoureux dindon! Pauvre innocent super-guignolet!... Voici donc le bébé-fiihrer!... 
    L'arroseur arrosé!... qui va jouer notre pauvre petite partie, déjà si compromise, sur les 
    damiers internationaux?... contre la clique des maquignons politiques, diplomates, 
    "gris-gris", commissaires juifs, la plus rusée, la plus perverse, la plus complexe, la 
    plus faisandée, maléfiante, torve, vénéneuse, scorpionique imaginable!... Le ramassis 
    de fripouilles, djibouks, agents doubles, magiciens, bourriques, illusionnistes 
    charlatans, le plus complet, le plus blindé, le mieux assorti, le plus raciste, le plus 
    effronté de la planète, bonneteurs avérés, chevronnés, sorcelleux, officieux, officiels, 
    vertigineux, de l'intrigue maléfique, magique, à centuple fond, de l'esquive, des cent 
    mille passe-passes asiates, des tarots qui assassinent, des déserts miragineux... des 
    cadavres sans tête... des cordes sans pendus... des mots 
    
    [28] (p. 291-300) 
    
    [291] 
    
    Les non-Juifs ont été créés pour servir le Juif jour et nuit. 
    
    Le Talmud. 
    
    Les Juifs, directement ou par personnes interposées, possèdent en France les Trusts 
    suivants soit 750 milliards sur les 1.000 milliards de la fortune française: 
    
    Trust: des Banques et de l'Or. 
    
    
    
    170 
    
    
    
    de l'Alimentation. 
    
    des Articles de Paris 
    
    de la Fourrure. 
    
    de la Confection et des Bas. 
    
    des Pétroles et de ses Dérivés. 
    
    de lAmeublement. 
    
    de la Chaussure. 
    
    des Transports et Chemins de Fer. 
    
    de l'Electricité. 
    
    de l'Eau et du Gaz. 
    
    des Produits Chimiques et Pharmaceutiques. 
    
    des Agences Télégraphiques. 
    
    des Stupéfiants. 
    
    des Armements. 
    
    des Gaz de Combat. 
    
    des Grands Moulins. 
    
    du Blé. 
    
    de la Presse et du Journalisme. 
    
    des Objets de Piété. 
    
    de la Maroquinerie. [292] 
    
    de l'Industrie du Livre. 
    
    des Magasins à Prix Uniques. 
    
    des Théâtres (auteurs et salles). 
    
    du Cinéma (Studios). 
    
    des Ventes (Bandes noires). 
    
    171 
    
    
    
    de l'Automobile (en formation). 
    
    des Eponges et Fibres pour Brosserie. 
    
    de la Joaillerie. 
    
    de la Spéculation Immobilière. 
    
    de l'Usure et Escroquerie. 
    
    des Stations Radiophoniques. 
    
    des Organisations Politiques. 
    
    des Objets d'Art et Antiquités. 
    
    des Maisons à succursales multiples. 
    
    des Produits Photographiques. 
    
    des Eaux Minérales. 
    
    des Sociétés Immobilières. 
    
    des Grands Magasins. 
    
    des Modes et Haute Couture. 
    
    des Assurances. 
    
    des Cuirs et Peaux. 
    
    des Houillères. 
    
    des Cellules et Moteurs d'Avions. 
    
    des Compagnies de Navigation. 
    
    de l'Optique Médicale. 
    
    de la Bonneterie. 
    
    de la Chemiserie. 
    
    des Fonderies et Forges. 
    
    des Matières Premières (trust mondial). 
    
    des Grandes Brasseries. 
    
    
    
    172 
    
    
    
    - du Tourisme (Grands Hôtels, stations thermales, Casinos, etc.). 
    
    - des Raffineries de Sucre. 
    
    - des Adjudications Militaires. 
    
    - des Lampes T. S. F. 
    
    - des Professions Libérales (en formation). 
    
    - et Lisieux! et le Pape! 
    
    Il faut être beaucoup plus sot qu'un veau de la première semaine pour ne pas admettre, 
    dans ces conditions, que les Juifs [293] sont bien nos tyrans... absolus, qu'ils décident 
    absolument, souverainement de notre existence ou de nos suppressions: Révolution, 
    guerre, famine. Dans n'importe quelle société anonyme, lorsque l'un des actionnaires 
    détient la majorité des actions (l'énorme majorité), c'est lui qui commande, les autres 
    obéissent. Autant de fragiles têtards. Et nous ne sommes même pas têtards, nous 
    autres... pas actionnaires!... sous-têtards! 
    
    [294] Nous ne devons jamais oublier que... 
    
    "C'est à la Franc-Maçonnerie qu'on doit la République de cette époque; que ce sont les 
    Maçons et les Loges qui ont fait la République." 
    
    Convent du G. Orient 1887. 
    
    "Le premier acte des Francs-Maçons sera de glorifier la race juive, qui a gardé inaltéré 
    le dépôt divin de la science. Alors ils s'appuieront sur elle pour effacer des frontières." 
    
    "Le Symbolisme", revue maçonnique, 1926. 
    
    "La Franc-Maçonnerie est une institution juive dont l'Histoire, les degrés, les rites, les 
    mots de passe et les explications sont juifs du commencement à la fin. " 
    
    Rabbin Wise Isaac, 
    Israélite of America, 1886. 
    
    "La Révolution Internationale est pour demain l'œuvre de la Franc-Maçonnerie." 
    
    Bulletin Officiel de la Grande Loge de France, 
    
    Octobre 1922. 
    
    
    
    173 
    
    
    
    [295] "Les Hommes au pouvoir en ce siècle n'ont pas affaire seulement aux 
    Gouvernements, aux Rois, aux Ministres, mais encore aux Sociétés secrètes. Au 
    dernier moment elles peuvent mettre à néant tous les accords. Elles possèdent des 
    agents partout, des agents sans scrupules, qui poussent à l'assassinat. Elles peuvent, si 
    elles le jugent à propos, amener un massacre." 
    
    Disraeli, Premier Ministre Anglais. 
    
    "L'Esprit de la Franc-Maçonnerie, c'est l'esprit du judaisme dans ses croyances les 
    plus fondamentales; ce sont ses idées, c'est son langage, c'est presque son 
    organisation." 
    
    "La Vérité Israélite". 
    
    "La Maçonnerie n'est rien de plus, rien de moins que la révolution en action, la 
    conspiration en permanence. " 
    
    Initiations secrètes au 33e degré. 
    
    [296] 
    
    L'Epoque messianique sera l'époque glorieuse où s'accomplira l'extermination des 
    Chrétiens et des Gentils. 
    
    Grand Rabbin Ahabanel. 
    
    Tout de même, il suffit de regarder, d'un petit peu près, telle belle gueule de youtre 
    bien typique, homme ou femme, de caractère, pour être fixé à jamais... Ces yeux qui 
    épient, toujours faux à en blêmir... ce sourire coincé... ces babines qui relèvent: la 
    hyène... Et puis tout d'un coup ce regard qui se laisse aller, lourd, plombé, abruti... le 
    sang du nègre qui passe... Ces commissures naso-labiales toujours inquiètes... 
    flexueuses, ravinées, remontantes, défensives, creusées de haine et de dégoût... pour 
    vous!... pour vous l'abject animal de la race ennemie, maudite, à détruire... Leur nez, 
    leur "toucan" d'escroc, de traître, de félon, ce nez Stavisky, Barmat, Tafari... de toutes 
    les combinaisons louches, de toutes les trahisons, qui pointe, s'abaisse, fonce sur la 
    bouche, leur fente hideuse, cette banane pourrie, leur croissant, l'immonde grimace 
    youtre, si canaille, si visqueuse, même chez les Prix de Beauté, l'ébauche de la trompe 
    suceuse: le Vampire... Mais c'est de la zoologie!... élémentaire!... C'est à votre sang 
    qu'elles en veulent ces goules!... Cela devrait vous faire hurler... tressaillir, s'il vous 
    restait au fond des veines le moindre soupçon d'instinct, s'il vous passait autre chose 
    dans la viande et la tête, qu'une tiède pâte rhétorique, farcie de fifines ruselettes, le 
    petit suint tout gris des formules ronronnées, marinées d'alcool... De pareilles 
    grimaces comme l'on en trouve sur la gueule des Juifs, sachez-le, ne s'improvisent 
    pas, elles ne datent pas d'hier ou de l'Affaire Dreyfus... Elles surgissent du fond des 
    âges, pour notre épouvante, des [297] tiraillements du métissage, des bourbiers 
    sanglants talmudiques, de tout l'Apocalypse en somme!... 
    
    Malheur au damné! Crève donc animal impossible!... Rebut! Tu ne sursautes même 
    plus d'effroi à la vue de tels monstres! Tu ne vois pas ta torture et ta mort inscrites, 
    ravinées sur ces hures ? Quel miroir te faut il donc ?... Pour voir ta propre mort ?... 
    
    
    
    174 
    
    
    
    Toutes les laideurs veulent dire toutes quelque chose. Regarde! Puisque tu es trop 
    fainéant pour lire dans les livres, déchiffre au moins apprends à lire sur la figure des 
    Juifs l'arrêt qui te concerne, personnellement, l'Arrêt, l'Annonce vivante, grimacière, 
    de ton massacre. 
    
    
    
    [298] 
    
    
    
    Nous avons mille fois, cent mille fois pire que les Fermiers 
    Généraux. Nous avons les Juifs et les francs-maçons. 
    
    
    
    Juifs! Fixe! Vous crevez pas l'imagination! 
    
    Vous l'avez lourde et gaffeuse 
    
    Je ne suis pas le cagoulard No- 1 
    
    Je ne suis pas payé par Goering. 
    
    Ni par Musso ni par TardieuL. 
    
    Ni même par Mr. Rothschild! (Tout est possible) 
    
    Je ne suis paye par personne... 
    
    Je ne serai Jamais paye par personne. 
    
    Je ne veux fonder aucun parti. 
    
    Je ne veux pas monter sur l'estrade. 
    
    Je ne veux dominer personne Je n'ai pas besoin d'argent. 
    
    Je n'ai pas besoin de puissance 
    
    Vraiment je n'ai besoin de rien. 
    
    Mais je suis chez moi, et les Juifs m'emmerdent 
    
    Et leurs manigances me font chier 
    
    Je le dis tout haut, à ma manière... 
    
    Comme je le pense. 
    
    Repos! 
    
    Fixe!... Si l'on refoulait tous les Juifs, qu'on les renvoie 
    
    En Palestine avec leurs caids francs-maçons - puisqu'ils s'adorent 
    
    Nous cesserions d'être "Intouchables" 
    
    Au pays des Emirs nègrites... [299] 
    
    Nous n'aurions ni guerre, ni faillite... 
    
    Avant longtemps... longtemps... longtemps... 
    
    Et nous aurions beaucoup de places vides... immédiatement 
    
    Tout de suite... les meilleures en vérité... 
    
    Nos enfants n'auraient plus besoin 
    
    D'aller supplier, quémander... 
    
    Aux Juifs... francs-maçons... et autres bouliphages Ténias... 
    
    Vermines, "Fermiers lombricaux" de la Viande commune... 
    
    Quelques petits restes de pitance... 
    
    L'aumône... la charité... 
    
    Ils n'auraient plus besoin de supplier les Juifs 
    
    De bien vouloir les laisser vivre... 
    
    Subsister, sur leur propre territoire, encore un petit instant... 
    
    Sursis! Avant d'aller crever pour eux... 
    
    Pour leurs diableries, leurs farces, leurs complexes... 
    
    
    
    175 
    
    
    
    Leurs prodigieuses ventrées 
    
    De pieuvres juives 
    
    Dans les furieuses terribles batailles. 
    
    Dans les grandes fournaises Kabaliques. 
    
    Repos! 
    
    [300] Autrefois, quand les Juifs devenaient rétifs et insolents, les Rois devenaient 
    cruels. Le Juif Simon ne voulait pas ouvrir ses trésors au Roi Henri III, le roi le fit 
    venir, lui fit arracher 17 dents, séparant chacune de ces extractions de cette demande: 
    "Prête-moi tes trésors..." 
    
    A la dix-septième le Juif céda. Ce mode d'emprunt a été abandonné par les chefs 
    d'Etat modernes, mais pour ne pas laisser perdre le procédé, les gens de finance l'ont 
    appliqué à leur façon de prêter. 
    
    Aujourd'hui, en effet, ce sont les gens de haute finance (les Juifs) qui arrachent les 
    dents des gouvernements jusqu'à ce que ceux-ci leur aient livré l'argent de leurs 
    administrés. 
    
    Ceci balance cela. 
    
    Sous Louis XV et sous Louis XVI, l'égalité tendait à se faire, la finance montait, la 
    dignité descendait. La masse était dépouillée, mais on faisait vivre les talents 
    individuels. 
    
    Aujourd'hui celle-ci et ceux-là meurent également. 
    
    (Extrait de l'Histoire des Gens de Finance, par John Grand Carteret.) 
    
    [29] (p. 301-310) 
    
    [301] 
    
    Ohé! Oyez la Juiverie! la Mascaille! 
    
    Et couvrez-moi d'ordures! Je vous entends branler! fouiller! foutriquer vos poubelles! 
    Que vous êtes loursingues et cons! Plus souffleux! Plus lâches! Plus vils que le banc 
    des rhinos dans la fiente en panique! 
    
    Beau dire! Beau crosser! Beau faire! "Princes!" Beau tuer! Bourriques! Loufes! Popes 
    de la trahison! 
    
    Compagnons! Gueule au charron! 
    
    Ding ! Ding ! Dong ! 
    
    Que vous l'avez dans le cul! 
    
    Carillon! Charades! Tornades! 
    
    
    
    176 
    
    
    
    Que vous l'avez dans le cul! 
    
    Chiasse! 
    
    [302] [Cette page répète la p. 290. C'est une erreur de mise en page] 
    
    Ni promesse, ni serment n'obligent le Juif à l'égard des chrétiens. 
    
    Le Talmud 
    
    A présent la bonne grosse tranche de ce beau Thorez... sur sa couverture "Ma vie"... 
    bonne grosse bouille bien offerte... Boubouroche en triomphe... Invraisemblable!... en 
    bras de chemise... bien en chaleur, bien en chair, bien vain, bien poupin... L'Aryen 
    idéal pour prestidigitateur juif... Le cocu rêvé... Le sergent tout frais promu... ravi... 
    exultant... tout en "roue"... première sortie!... miroitant du galon... Pitié!... 
    
    Quelle splendide pièce à promener dans la cage aux vampires! Quel propice, 
    savoureux dindon! Pauvre innocent super-guignolet!... Voici donc le bébé-fuhrer!... 
    L'arroseur arrosé!... qui va jouer notre pauvre petite partie, déjà si compromise, sur les 
    damiers internationaux ?... contre la clique de maquignons-politiques, diplomates, 
    "gris-gris", commissaires juifs, la plus rusée, la plus perverse, la plus complexe, la 
    plus faisandée, maléfiante, torve, vénéneuse, scorpionique imaginable!... Le ramassis 
    de fripouilles, djibouks, agents doubles, magiciens, bourriques, illusionnistes 
    charlatans, le plus complet, le plus blindé, le mieux assorti, le plus raciste, le plus 
    effronté de la planète, bonneteurs avérés, chevronnés, sorcelleux, officieux, officiels, 
    vertigineux, de l'intrigue maléfique, magique, à centuple fond, de l'esquive, des cent 
    mille passe-passes asiates, des tarots qui assassinent, des déserts miragineux... des 
    cadavres sans tête... des cordes sans pendus... des mots [303] sans suite... des malles 
    sans couvercles... des nuages messagers... Insurpassables virtuoses pour tous dédales 
    et pertes casuistiques... acrobates inimaginables pour tous catacombes et toutes 
    oubliettes... La quintessence même des plus infinies vicieuses gangstériques crapules 
    de l'Univers... Et puis alors pour nous défendre?... nos os, nos pauvres "carrés"... Qui? 
    Ce Cadum?... Merde!... Ça va mal!... Ça va très mal!... Ils en feront qu'un coup de 
    glotte les youtres. 
    
    [304] 
    
    "Que sonne l'heure de la mobilisation et, avant de partir sur la route 
    
    glorieuse de leurs destinées, les mobilisés abattront 
    
    MM. Béraud et Maurras comme des chiens." 
    
    (Le Populaire, novembre 1933.) 
    
    Ah! qu'on ne m'oublie pas! 
    
    D'autant que les "brigades juives d'assassins" ne montent pas elles, en ligne! 
    
    Petits crépus, tirez vite! tirez juste! Attention! 
    
    [305] 
    
    
    
    177 
    
    
    
    "Les Juifs seuls sont des hommes et les autres nations 
    
    ne sont que des variétés d'animaux. " 
    
    (Le Talmud.) 
    
    Je ne sais plus quel empoté de petit youtre (j'ai oublié son nom, mais c'était un nom 
    youtre) s'est donné le mal, pendant cinq ou six numéros d'une publication dite 
    médicale (en réalité chiots de Juifs), de venir chier sur mes ouvrages et mes 
    "grossièretés" au nom de la psychiatrie. La rage raciste de ce pleutre, sa folie d'envie 
    se déguisaient pour la circonstance en vitupération "scientifique". Il en écumait 
    d'insultes, cet infect, dans son charabia psycholo-freudien, délirant, pluricon. Cet 
    imbécile d'après son verbiage, sa marotte, son pathos, devait être aliéniste. Les 
    aliénistes sont presque tous idiots, mais celui-ci donnait l'impression d'un véritable 
    tétanique en "sottise", d'un super critique en somme. Je ne sais plus par quelles tares, 
    mentales et physiques, par quelles abjectes perversions, monstrueuses dispositions, 
    obsession très cadavérique, pourriture d'âme, ce sous-enculé de la cuistrerie expliquait 
    tous mes livres, mais, dans tous les cas, jamais crapaud pustuleux (ma pomme) tout 
    dégoulinant de fiente vénéneuse ne fut plus hideux, plus insupportable aux regards de 
    la blanche, parfaite colombe (lui-même). Tout ceci sans importance, mais une petite 
    remarque s'impose, amusante: le Freudisme a fait énormément pour les Juifs de la 
    médecine et de la psychiatrie. Il a permis à tous ces sous-nègres grotesques, 
    diafoireux, dindonnants, du Diplôme, de donner libre cours à toutes leurs lubies, 
    vésanies, rages saccageuses, mégalomanies inavouables, despotismes intimes... Les 
    voici tout pontifiants de freudisme ces saltimbanques de brousse, [306] post- 
    congolais, avec tout leur culot diabolique, de néo-féticheurs... "Tout Libéria dans nos 
    murs!" Rien de plus comique aux colonies, plus vif sujet de rigolade que 
    l'outrecuidante jactance des médecins indigènes frais émoulus des Facultés coloniales. 
    Ils valent leur pesant de ridicule. Mais ici nous prenons, nous, la bamboula des 
    médecins, juifs pires négrites oniriques, pour argent comptant!... Prodige! Le moindre 
    diplôme, la moindre nouvelle amulette, fait délirer le négroide, tous les négroides 
    juifs, rugir d'orgueil! Tout le monde sait cela... Kif avec nos youtres depuis que leur 
    Boudah Freud leur a livré les clefs de l'âme! (Elie Faure me déclarait quelques jours 
    avant sa mort que Freud avait découvert l'endroit où se trouvait Dieu ! où se trouvait 
    l'âme!) Admirez comme ils jugent, tranchent, à présent, décident nos youtres super- 
    mentaux menteurs, de toute valeur, de la vérité, de la puissance, souverainement, de 
    toutes les productions spirituelles! Sans appel! Freud! Lalter-ego de Dieu! Comme 
    Kaganovitch est l'alter-ego de Staline! 
    
    C'est en bêlant que nous, petits enfants transis de crainte, nous devons désormais aller 
    nous faire juger par ces émanations de Dieu-même! 
    
    J'en chie un tous les matins moi, de critique juif, et c'a ne me fait pas de mal au fias! 
    Qu'on se le dise... 
    
    Mais d'où tiennent ils tous ces canaques tant d'insolence? Qui fera rentrer sous 
    paillotte tous ces gris-gris en rupture?... tous ces bouffons négroides, "tam-tameurs" 
    dépravés du Parchemin?... ces Démiurges en noix de coco? Quelle chicotte remettra 
    du plomb dans les charniers de tous ces singes? les fera ramper dans leurs tanières? 
    fermer leurs gueules à manioc, garder un peu leurs ordures? Quelle chicotte?... 
    Experts juifs? Psychiatres juifs? Voilà les juges de nos pensées! de nos volontés! de 
    
    
    
    178 
    
    
    
    nos arts! C'est le coup de grâce! Plus bas que macaques nous voici! Foireux au cul des 
    singes! Demander l'avis, la permission de la merde même, pour respirer! 
    
    [307] Le Dr Faust parle avec le Diable. Le Dr Freud parle avec Dieu. Tout va très 
    bien. 
    
    [308] 
    
    Petites citations: 
    
    Aucun homme, écrivain, politique ou diplomate, ne peut être considéré comme mûr 
    tant qu'il n'a pas abordé carrément le problème juif. 
    
    Wickham Stead. 
    
    L'admission de cette espèce d'hommes ne peut être que très dangereuse. On peut les 
    comparer à des guêpes qui ne s'introduisent dans les ruches que pour tuer les abeilles, 
    leur ouvrir le ventre et en tirer le miel qui est dans leurs entrailles: tels sont les Juifs... 
    
    Requête des marchands à Louis XV (1777). 
    
    Ah! si seulement Titus n'avait pas détruit Jérusalem, nous aurions été préservés de 
    cette peste juive, et les vainqueurs n'auraient pas gémi sous le joug des vaincus. 
    
    Claudius Rutilius Numatianuss 
    Poète gaulois (An 350 après J.-C). 
    
    En Allemagne, les Juifs jouent les premiers rôles et sont des révolutionnaires de 
    premier ordre. Ce sont des écrivains, des philosophes, des poètes, des orateurs, des 
    publicistes, des banquiers qui portent sur leurs têtes et dans leurs cœurs le poids de 
    leur vieille infamie. Ils deviendront un fléau pour l'Allemagne... Mais ils connaîtront 
    probablement un lendemain qui leur sera néfaste. 
    
    Metternich(1849). 
    
    Tout ce qui est compliqué est faux et pourri. 
    
    [309] 
    
    C'est ma croyance superstitieuse que si la Dictature du Prolétariat finit 
    par succomber, c'est qu'elle n'aura pas versé assez de sang. 
    
    Bêla Kun. 
    
    Mais je le sais bien que t'aimes pas les Juifs! qu'il m'a répondu Gustin, mais tu me 
    remplis les oreilles... C'est pas la peine de seriner. Tu nous casses avec tes salades... 
    Moi non plus, je ne peux pas les sentir, cependant, je m'en accommode... Il faut vivre 
    avec son mal... Dans ma pratique de clientèle entre Epinay et les "Bastions", c'est eux 
    maintenant qui raflent tout... Y en a plus que pour eux dans la plaine... On était 
    tranquille autrefois... Y avait le père Comart et Gendron... Je te parle d'avant la 
    guerre... On existait sans se faire de mal... Maintenant, ils sont quatorze Juifs et trois 
    
    
    
    179 
    
    
    
    Arméniens dans le même espace. Ils nous expulsent tous les natifs... Fallait pas partir 
    à la guerre, on s'est suicidé... Pour chaque Français tué à Verdun il est arrivé vingt 
    youtres. Il s'en fabrique par cohortes des youtres médicaux dans nos facultés. Tous les 
    jurys sont bien propices, dévoués aux Juifs, enjuivés corps et âme... Les meilleurs 
    clients des grands maîtres sont les Juifs, faut pas oublier... Ce sont eux qui payent nos 
    grands maîtres... qui paye commande finalement!... Ils se font soigner tant et plus... 
    Ça prédispose bien pour les Juifs, les petits Juifs, pour les examens... les concours, les 
    magnifiques "équivalences"... à eux, toutes les clefs de la Maison... Le Français lui 
    "son équivalence" c'est le "con béni"... C'est bien pour sa gueule, c'est tout ce qu'il 
    mérite!... Ils s'établissent comme champignons nos petits youtres de la médecine... au 
    nom des Droits de l'Homme... Ça se "naturalise" comme ça pisse un petit Juif... C'est 
    syndiqué [310] de tous côtés, ça embolise toutes les Loges... C'est la "taichnique" de 
    l'invasion... le "coucouisme" médical... Pourquoi résister?... Ils tiennent tout!... même 
    l'archevêque ils le tiennent par les grands Juifs... Rien comme un Juif dit converti pour 
    retaper les Eglises... Le médecin du pape doit être juif... C'est une tradition... Le 
    Vatican est un ghetto comme un autre... La politique du Vatican toujours propice à la 
    juiverie... Nous avons eu des évêques, des papes juifs... tout un clergé franc-maçon... 
    Quand on ne veut plus d'eux, nulle part, qu'on les brûle un peu partout, où les Juifs, je 
    te demande, trouvent-ils refuge?... Mais au Vatican!... Pour la résistance?... notre 
    armée?... enjuivée jusqu'à la garde!... depuis Dreyfus, depuis Alexandre Millerand 
    Juif (fils d'un gardien de synagogue!) Tous les généraux? dans la fouille! et la 
    Police?... Mais voyons... Tous ceux qui détiennent les clefs du garde-manger, de la 
    Bourse, de la Cave, de l'Enseignement, du Livre, du Cinéma, de la Chanson... Juifs!... 
    Tous les Music-Halls! tous les théâtres (et la Comédie-Française), tous les journaux, 
    toutes les radios sont juifs et juives, militants de juiverie, bouillonnants de juiverie... 
    folkloristes s'il le faut!... que diable! "pour mieux te séduire, mon enfant, pour mieux 
    t'étrangler"... Toutes les vedettes (à de rares exceptions près) de la scène, du film, de 
    la chanson, de la science, de "l'esprit", sont juives (1/2, 1/3 ou 1/4...) Le peuple ne 
    fredonne, ne mange, ne boit, ne lit, n'admire, n'entend parler, ne vote que du juif... 
    Alors toi mironton! radoteux tordu petit scribouillant, que viens-tu nous emmerder?... 
    que viens-tu nous étourdir avec tes marottes?... Je te demande un petit peu? dis 
    chapelure?... Mais ils vont te résoudre! mon ami! sais-tu les Juifs?... Tu les connais 
    pas encore... Mais non... mais non... pas encore... Raconte, ils t'ont pas des fois 
    soulevé une gonzesse?... dis, Rhumatisme? 
    
    - J'en ai pas... J'en ai jamais eu de gonzesse... 
    -Pourquoi?... 
    
    - J'ai peur d'aimer... 
    
    - T'es un haineux, et puis c'est marre... C,est ta sale nature... 
    Il vinassait dur Gustin, mais quand même il voyait juste. 
    
    - Ils ont tout... Il continuait. Ils sont un million de Juifs en France répartis... deux 
    millions peut-être, si l'on compte les enjuivés... les "mascailles". Ils font comme ils 
    veulent au fond... d'opposition? y en a pas!... les "Colonels"... les "Doriots"... c'est des 
    simples divertis seurs... c'est pas sérieux... c'est des Terreurs 
    
    
    
    180 
    
    
    
    [30] (p. 311-320) 
    
    [311] à la morphine... Ils ne seront dans la Tragédie que les comparses d'un moment... 
    Que le colon en ait croqué?... La belle importance!... Aucune! mon petit!... 
    bagatelle!... Il ne parle jamais des youtres le colonel! dès lors, il peut dire tout ce qu'il 
    veut... comme Tardieu... il a toute licence!... babillages!... Celui qui ne parle pas des 
    Juifs, qui n'a pas dans son programme de les mettre en l'air, avant tout... il cause pour 
    causer... Il conserve des arrière pensées... ou bien c'est un terrible con... encore mille 
    fois plus dangereux... quelque présomptueux aveugle... C'est un fourvoyeur des 
    masses... Même tabac pour l'autre Jacques... des "banquistes"... je te dis, des agents de 
    voyages... Pas des croisades! non! des croisières. Ils organisent des "avantages"... tu te 
    rends compte?... des "avantages"... Ils séduisent, rassurent les petits jouisseurs par des 
    "avantages"... Tous ces Judex fabulaires absolument anodins, ils font partie du grand 
    programme... des amusements pour la galerie... du chapitre: les Diversions... Leurs 
    états-majors d'ailleurs très longtemps d'avance, très soigneusement enjuivés, 
    orchestrent tous les concerts... toutes les phases de la Croisière... "Par ici! Messieurs, 
    Mesdames! encore un point de vue merveilleux!..." II n'en peut être autrement de ces 
    "Sauvegardeurs d'Avantages"... Ils s'effondreront comme tant d'autres depuis toujours, 
    depuis cent ans, se sont effondrés dans une vraie cascade de fous rires. Tous ces Preux 
    de la gueule, ces redresseurs de salive, sont faits tout juste pour s'effondrer... au 
    moment voulu, décidé, prémédité par les banquiers juifs, les commissaires juifs, 
    l'internationale juive. Ils n'auront qu'un mot à dire, les grands Juifs, les Warburg, les 
    Rothschild, pour dissoudre tous ces cabotins, à l'heure choisie du Kahal, comme ils 
    ont vaporisé tous les autres pantins de même, les bavardeurs: Boulanger... Poincaré... 
    Clemenceau... etc. Un petit bouton qu'ils tournent et... flouff!... petit bonhomme file 
    au néant!... disparaît... On n'en parle plus!... 
    
    La France est une colonie juive, sans insurrection possible sans discussion, ni 
    murmure... Il faudrait pour nous libérer un véritable Sinn-Finn... un instinct de race 
    implacable... Mais nous n'avons pas la "classe" des Sinn FinnersL. Beaucoup trop 
    enfiotés déjà avinés, avilis, efféminés, enjuivés, maçonnisés, mufflisés de toutes les 
    manières. Des chancres pourris d'alcool et toujours plus avides rongeurs rongés. 
    Atroce! ... des petites fistules bien honteuses!... Pour vaincre, s'affranchir du Juif, il 
    faudrait pouvoir, avant tout lui annoncer en plein pif: "Toi, ton puant, pourri pognon, 
    tu [312] peux te le filer dans la fente, et puis maintenant trisse! infect! ou je te bute!..." 
    Qui c'est qui peut causer comme ça?... c'est pas notre cheptel... Ivrogne, mégotier, 
    resquilleur, vénal, imbécile, et survendu! ... Aucune chance! Toutes les chouanneries 
    d'ailleurs en France échouent piteusement!... Grand malheur!... Toute malédiction à 
    celui que l'envie peut prendre de s'occuper des Français!... relisez, relisez donc, un 
    petit peu les plus effarantes histoires des Dupleix... des La Salle... des Montcalm... 
    vous serez pour toujours édifiés!... Quel Peuple porte, à sa honte, d'aussi prodigieuses 
    pages de vertigineuse muflerie?... Rien à dire, le sort en est jeté! Et puis la guerre 
    viendra toute seule, justicière, à l'heure de "l'Intelligence Service"... et puis nous 
    aurons trois fronts à garnir... et puis tous les Juifs planqués à l'arrière... chez les 
    généraux francs-maçons... à la présidence du Conseil... Je vais te dire, tiens, moi, 
    Ferdinand, le secret des astres. La Diplomatie c'est jamais, en somme, à l'abri des 
    mots spécieux, des petites ristournes de formules, que l'Art, la Manière de préparer le 
    partage, le démembrement, le hachis de l'Etat le plus pourri d'une époque, d'un 
    continent... pour la curée générale... la pâtée des plus voraces... Après la Pologne, la 
    Turquie, l'Autriche... C'est à présent notre tour... C'est simple... c'est normal... Les 
    
    
    
    181 
    
    
    
    Juifs décidément, faut qu'on y passe!... Pourquoi tous ces pauvres chichis?... Veaux 
    vous êtes?... Veaux?... oui ou flûte?... Résister qui?... Résister quoi?... On a jamais vu 
    des veaux "objecteurs de conscience"?... Veux-tu te faire bien buter salope? ... Toi le 
    premier! toi tout d'abord!... Tu vas voir un peu les martyrs! Comment ils vont se 
    mettre en quart... comment ils vont rappliquer!... T'as chié à présent sur tout le monde! 
    tu vas payer! bulleux crabe!... Tu peux plus compter sur personne... T'es tout seul!... 
    C'est méchant, tu sais, les martyrs... Tu vas te faire drôlement étendre... Et puis t'iras 
    même pas au ciel... parce que j'aime mieux te prévenir tout de suite, le Bon Dieu est 
    juif. T'excèdes tout le monde... tu vas gagner quoi?... Dans ce grand latin pays, tout, 
    parfaitement tout est à vendre, retiens ceci, et d'ailleurs parfaitement vendu... La 
    bourgeoisie tout en gueuletons, cupide, crétine et cancaneuse, est à foutre en avant, 
    derrière!... Elle sait plus où tendre ses vieilles miches pour se faire enculer quand 
    même!... toujours!... davantage!... se faire fourrer en sauvette par la première bite qui 
    régale!... la plus offrante... Elle est propice comme un vieux fiacre, elle a fourgué tout 
    aux youtres, tout ce qu'elle savait, toutes les [313] clefs de la ville et des champs... Ses 
    fils... ses filles... ses fausses dents... au plus offrant!... La noblesse, cette vieille 
    imposture, se roule et quémande des sursis... Sous tous les lits de Juifs on en trouve... 
    La noblesse c'est un lupanar pour youtres... une basse tribu sous-juive, quelque chose 
    comme des Ouednails toujours à la traîne des Bat d'Af. Les nobles ils suivent les Juifs 
    de même pour manger... pour tenir... La noblesse c'est la vraie capote des youtres à 
    travers les âges, tellement les youtres s'en sont filé des vierges de nobles sur le panais. 
    La noblesse française a sucé plus de foutre nègre qu'il n'en faut pour noyer la plaine 
    d'Azincourt... Ce sont les gloutons du prépuce. Quant aux Rois de France, pour tout 
    bien dire, je trouve qu',ils ont des drôles de nez... Ferdinand! ... des vraiment drôles de 
    nez "bourbons "... Vers le Trois ou Quatrième siècle, maman la Reine, quelque part... 
    a bien dû se faire régaler, un tout petit peu... par quelque joli Commissaire... Judéo- 
    chrétien... bolchevique d'alors. Crépu... ne trouves-tu pas Ferdinand?... qu'ils ont 
    vraiment des drôles de nez?... qu'ils ont un peu l'air abyssin, nos grand rois de France? 
    Qu'ils sont tous un peu Tafaresques?... Regarde Henri IV. 
    
    Pour le clergé catholique, c'est encore beaucoup plus simple c'est même une 
    limpidité... c'est des vrais youtres... De peur de perdre leurs tabernacles, ils sont prêts 
    à n'importe quoi... Ils viennent bénir tout ce qu'on leur montre... Les trous des chiens 
    de chasse... les Temples maçons... les troncs de Pauvres... les mitraillettes... Ils ont pas 
    de préjugés du tout... Ils font jamais la petite bouche du moment que la personne 
    éclaire. Ils vont bénir des ascenseurs... les souris de l'Abbe Jouvence... bien d'autres 
    petites reliquettes... Ils demandent qu'à faire plaisir... Voici la troupe de cabotins la 
    plus servile de l'Univers. 
    
    Quant au peuple, je vais t'expliquer... Bonnard, dupe, lui, toujours cocu, farci de 
    meneurs, pourvu qu'on le divise par pancartes, qu'on lui refile un coup de fanfare, il 
    ira vinasseux à tordre, où l'on voudra! toupillonner! se faire résoudre dans les rafales... 
    C'est son destin... C'est sa bonne chance!... A la bonne fortune des riflettes! pour la 
    marrante magie des mots! pour le plus grand stupre d'Israël!... Israël Shylocratique, 
    démocratique, allié à mort de la Cité, de 1' "Intelligence", de M. Loeb et Comitern, 
    triple tablier de peau de cochon. Il finira tout ce bon peuple, absolument viande et 
    "Kachaire " dans le fond des "tombeaux Maginot ", au son du clairon, International 
    cette fois-ci! la gueule encore toute [314] miroitante des bulles d'enthousiasme! C'est 
    bien écrit dans les astres, c'est absolument gagné! La pente est savonnée comme tout... 
    Notons, pour ne rien omettre, que l'on voit des ouvriers, par les temps qui courent, 
    
    
    
    182 
    
    
    
    devenir assez vicieux, se livrer à des petits calculs qui manquent [190] d'élégance, 
    pousser dur et sauvagement à la "pipe", à toutes les interventions, fanatiques, 
    solidaires, pour la circonstance des plus pires youtres du Consistoire... Ce n'est pas 
    joli joli... Ce n'est pas aimable... Qu'espèrent-ils ces petits futés?... pour la 
    prochaine?... Encore être les petits gâtés?... les petits marioles sursitaires?... Les 
    "tombeurs d'usines?"... Ils s'accommodent, il me semble, un peu facilement du trépas 
    des "frères de la terre"... parce que, n'est-ce pas... la dernière: sur trois tués... deux 
    paysans!... C'est considérable!... Faut pas oublier les choses... Seulement peut être 
    qu'ils jouent de travers les frères de l'usine... Le coup n'est plus le même du tout!... 
    Les choses se ressemblent jamais à vingt et quatre ans de distance!... Peut être qu',ils 
    se gourent... qu'ils visionnent... Les Juifs promettent certaines choses... et puis, n'est 
    ce pas, ils ravisent... Les chiens blancs monteront à la rifle! tous les chiens blancs... 
    sans exception!... Le cheptel n'est plus abondant, on l'a énormément razzié de 14 
    jusqu'en 18... Cette fois-ci on n'en laissera rien... C'est les femmes qui feront les 
    usines... Comme en Russie... les hommes ils iront se faire ouvrir... Ouvriers ou pas 
    ouvriers... du kif !... à l'égalité des entrailles!... Vous êtes pas vous des Juifs?... n'est-ce 
    pas? Souvenez- vous donc toujours que vous êtes les otages des Juifs!... La viande 
    d'expérience. Les blancs ils la verront même pas la Paix de la France en morceaux... 
    De l'Ariège à la rue Lappe, de Billancourt à Trégastel on emmènera tout!... Boudins!... 
    Vous passerez tous dans la farce! Olivet! Dufour! BidartL. Dudule et grand Lulu!... et 
    la Gencive! et le Tondu!... Keriben et Vandenput... vous verrez pas ça!... Vous y 
    verrez qu'un nuage de sang et puis vous serez morts!... éclatés!... tout écartelés 
    vivants... le long des trois fronts... Dans un entonnoir vous laisserez à tremper vos 
    tripes... dans l'autre vous tournerez la soupe, le grand rata des gadouilles avec vos 
    moignons... vos poumons sortis, travaillés en franges, translucides, feront de la 
    broderie dans les fils de fer... Ça sera pas beau? Déjà pour vous marrer le dimanche 
    allez donc ajouter vos noms sur le Monument aux morts, celui de votre paroisse... Ça 
    vous fera un but de promenade avec la famille... Comme ça on vous oubliera pas... 
    tout à fait... Occupez-vous-en dès demain... Ainsi [315] gravés dans le marbre, vous 
    pourrez partir tranquilles, l'esprit plus libre. C'est même le seul endroit, ce marbre, de 
    nos jours, que les Juifs essayent pas de truster... Vous serez là, entre frères de race, je 
    vous le garantis... Vous trouverez pas beaucoup de noms juifs sur les Monuments de 
    la dernière... les monuments de vos morts... nos pissotières à fantômes, nos dolmens 
    pour cons dociles, pour nos cadavres super cocus... ils disent pourtant bien notre 
    passé, nos infects "monuments aux morts"... notre présent, tout notre avenir... On les 
    regarde pas d'assez près, jamais d'assez près, je trouve, ces méridiens de notre 
    chance... Tout est pourtant bien nettement écrit dessus... dans le granit et dans le 
    marbre. 
    
    Cette fois l'occasion est splendide, jamais si magnifique riflette ne fut offerte aux 
    hordes paumées, une étendue extraordinaire pour rendre leurs âmes éperdument! Du 
    renfrogné Dunkerque au sémillant Biarritz!... Tous les goûts! Que d'espace pour nos 
    écumoirs!... Il va falloir drôlement qu'on fouille, trifouille les Recrutements pour 
    garnir tout ça d'effectifs!... qu'on racle, qu'on ratisse à fond qu'on expurge les 
    moindres crevasses du terroir, qu'on déterge les moindres fissures où l'indigène peut 
    se planquer... Ah! Ah! Laridoire, vous frétillez mon pote! Vous gambadez déjà! Vous 
    aimez les cocardes je vois! Vous exultez de bigornes! Attends un peu, ma petite 
    ficelle! Mais je vous trouve, mon garçon, pâle du fascicule!... C'est un grand médecin 
    qui vous cause! Je vous sens déjà "disparu"... Je vois déjà votre carne tiède toute 
    boudinée sur un poteau... Est-ce là une gauloise attitude?... Vous pouvez disposer mon 
    
    
    
    183 
    
    
    
    ami!... Le Paradis est ouvert!... Ne vous retournez je vous prie, jamais!... sous aucun 
    prétexte! Ne vous en faites pas pour les Juifs!... Ils ont leur confort. Le Juif est exempt 
    par nature... Il est ceci... il est cela... Il est médecin... avocat... trop gros... trop 
    myope... trop riche... trop long. Je vous l'ai dit!... Il est pas dans son climat... Il souffre 
    d'être avec vous... Il a toujours donné des ordres... Il est bien trop instruit pour vous... 
    trop fin pour être mêlé... trop vicieux... plus interprète que combattif... as-tu compris 
    brute médusée?... Tu n'exigerais quand même! délirant! qu'on aille semer dans la 
    gadouille le Sel de la Terre?... Tu n'oserais pas le dire trop haut!... C'est bon pour toi 
    l'immonde!... Sais-tu qu'en ce moment présent, dans la prévision des événements, qui 
    se rapprochent... on "épure" ferme et à tour de bras, tous les bureaux de tous les 
    Ministères de la Guerre... Il ne restera bientôt [316] plus dans les Commandes et les 
    Etats Majors... et dans les coulisses, que des officiers tout dévoués, vendus de toute 
    leur âme à la cause des banquiers juifs... 
    
    Ce n'est pas moi qui parle ainsi, c'est le Vénérable Paul Perrin, lors d'une récente 
    tenue de Loges. Il t'avertit, c'est de la bonté, que ta tripe au ministère, elle est comme 
    le franc à la Bourse, elle perd de valeur chaque jour... Sache! et tiens compte! Encore 
    peut-être un ou deux mois du régime actuel, tu n'auras plus de valeur humaine, tu 
    seras complètement dévalué, tu seras "nombre" dans les effectifs... Robot de toutes les 
    façons, civiles et soldatesques. Assure tes cornes! Tu devrais prévoir!... Flairer un peu 
    le sens des vapes. Tu vas les payer tes "vacances"! prolétaire maudit!... T'auras pas 
    assez de derrières ta Révolution venue, pour te torcher dans les affiches, les Décrets 
    qui paraîtront... quatre fois par jour... Mais ça fera pas baisser du tout, d'un seul petit 
    sou, le prix du beurre... 
    
    Quand ça deviendra trop compliqué, Thorez s'en ira au Caucase, Blum à Washington 
    (s'ils sont pas butés) chargés de mission très complexes, toi t'iras voir dans les 
    Ardennes, te rendre compte un petit peu, de l'imitation des oiseaux par les petites 
    balles si furtives... si bien piaulantes au vent... des vrais rossignols, je t'assure... qui 
    viendront picorer ta tête... 
    
    - Ferdinand, quand c'est la bataille, le fascisme vaut le communisme... Dans la 
    prochaine Walkyrie, tu peux le croire très fermement, que ça soye Hitler qui remporte 
    ou son cousin Staline... ça sera du pareil au même... la façon qu'on sera têtards, nous. 
    Le Français dans le cours des âges, il a jamais su ce qu'il voulait, ni dans la paix, ni 
    dans la guerre. Pendant quinze siècles, il s'est battu, révolutionné, embouti dans tous 
    les panneaux pour s'approprier la terre, se débarrasser des Jésuites, la terre maintenant 
    il en veut plus, il a remplacé les Jésuites par les Juifs et les francs-maçons qui sont 
    cent mille fois plus charognes... Maintenant il veut les usines... une fois qu'il les aura 
    prises, il en voudra plus, c'est fatal!... Il voudra autre chose... Il passe que des 
    enfantillages dans son pauvre cassis, des éberluteries d'éméchés, des petits caprices de 
    vieillards, jamais un ferme propos. Toujours des trucs qui n'ont pas de sens, ni de 
    suite... Personne actuellement peut lui dire: "Français t'es le pire con si tu bouges, t'es 
    le pire cocu de l'univers, le cave fatal. Ta barbaque est à l'étal... un sale enculé cobaye 
    voici pour ta gloire! On va te filer en poivrade". [317] Personne le lui dit. Il se rend 
    pas compte, il ne sait rien. Pourtant faut l'avouer tout de suite, les guerres, toutes les 
    guerres, que les Juifs veulent nous faire faire valent pas un pipi de douanier... une 
    demi-couille d'amiral, un schako de pantomime, la quille pourrie d'un bateau- 
    mouche... Ça vaut rien. Je regrette de le dire. Qu'il en plaise au Consistoire, moi je 
    m'en fous énormément qu'Hitler aille dérouiller les Russes. Il peut pas en tuer 
    
    
    
    184 
    
    
    
    beaucoup plus, dans la guerre féroce, que Staline lui-même en fait buter, tous les 
    jours, dans la paix libre et heureuse. Ça peutpas faire grande différence!... qu'il 
    s'envoye donc toutes les Ukraines Hitler! en veine de conquête! et puis encore la 
    Roumanie! et les Tchèques avec! je trouve pas un petit mot à redire... Je suis pas 
    champion pour ghettos... Ah! Mais pas du tout!... Pourvu qu'il écroule pas ma 
    crèche!... C'est les Juifs chez nous qui le provoquent... C'est leurs crosses et leurs 
    ambitions... C'est pas du tout, du tout les nôtres... Moi je voudrais bien faire une 
    alliance avec Hitler. Pourquoi pas? Il a rien dit contre les Bretons, contre les 
    Flamands... Rien du tout... Il a dit seulement sur les Juifs... il les aime pas les Juifs... 
    Moi non plus... J'aime pas les nègres hors de chez eux... C'est tout. 
    
    Je trouve pas ça un divin délice que l'Europe devienne toute noire... Ca me ferait pas 
    plaisir du tout... C'est les Juifs de Londres, de Washington et de Moscou 
    qu'empêchent l'alliance franco allemande. C'est "l'Intelligence Service"... C'est les 
    descendants de Zaharoff. C'est pas d'autres intérêts. On peut plus bouger, se 
    mouvoir... nos tripes sont sur-hypothéquées, sur spéculées, sur-agiotées, sur-vendues 
    pour la Croisade juive. C'est infernal!... Chaque fois qu'on remue, qu'on esquisse un 
    tout petit rapprochement, une protestation anti youtre... On nous rappelle... de haut 
    lieu, brutalement, au garde à vous... qu'on est de la viande d'abattoir, qu'on est déjà 
    aux bestiaires... On prend le coup de caveçon sur le mufle, la chambrière dans les 
    fesses... Je veux pas faire la guerre pour Hitler, moi je le dis, mais je veux pas la faire 
    contre lui, pour les Juifs... On a beau me salader à bloc, c'est bien les Juifs et eux 
    seulement, qui nous poussent aux mitrailleuses... Il aime pas les Juifs Hitler, moi non 
    plus!... Y a pas de quoi se frapper pour si peu... C'est pas un crime qu'ils vous 
    répugnent... Je les répugne bien moi, intouchable!... Les Juifs à Jérusalem, un peu plus 
    bas sur le Niger, ils ne me gênent pas! ils me gênent pas du tout!... Je leur rends moi 
    tout leur Congo! toute leur Afrique!... [318] La Libéria, je la connais, leur République 
    nègre, ça ressemble foutrement à Moscou. A un point que vous ne pourriez croire... 
    Eh bien ça ne me gêne pas du tout que les nègres dominent Libéria et la Palestine... 
    Pourvu que moi on me transforme pas en esclave des Libériens tartarifiés, russifiés. 
    C'est tout ce que je demande. C'est la différence. Mais dans une alliance pensez donc, 
    entre le faible et le fort, le faible est toujours croqué. Voire! Voire! Re voire! Hitler il 
    aurait tant de travail, des telles complications inouies à défendre ses vaches conquêtes, 
    dans toutes les steppes de la Russie, dans les banlieues du Baikal, que ça l'occuperait 
    foutrement. Il en aurait bien pour des siècles avant de venir nous agacer... Dans des 
    siècles... n'est-ce pas... le Roi... l'âne... et moi... on aura plus besoin de musettes... Et 
    puis, pour être colonisés, pour vous dire bien franchement la chose, on peut pas l'être 
    davantage que nous le sommes aujourd'hui par les Juifs, par les nègres, par la plus 
    immonde alluvion qui soit jamais suintée d'Orient. Par des métis, des mâtinés, le plus 
    bas "conglomérat" de toutes les ordures de l'Egypte... ordures multipliées par merde... 
    Salut! votre bonne santé! Colonisés de l'intérieur, par les métèques judéo-russes c'est 
    la suprême infamie... Fientes on peut pas tomber plus bas!... Demandez un peu ce 
    qu'ils en pensent tous les Etats limitrophes de votre Russie adorable... Ceux qui savent 
    par expérience séculaire, ce que Tartare juif veut dire!... Ils vous éduqueront un petit 
    peu... Ils peuvent pas concevoir, ces experts, plus immonde, plus dégradante, plus 
    infernale, torturante enculade, qu'une tyrannie youtromongole... Deux millions de 
    boches campés sur nos territoires pourront jamais être pires, plus ravageurs, plus 
    infamants que tous ces Juifs dont nous crevons. 
    
    
    
    185 
    
    
    
    Portant les choses à tout extrême, pas l'habitude de biaiser, je le dis tout franc, comme 
    je le pense, je préférerais douze Hitler plutôt qu'un Blum omnipotent. Hitler encore je 
    pourrais le comprendre, tandis que Blum c'est inutile, ça sera toujours le pire ennemi, 
    la haine à mort, absolue. Lui et toute sa clique d'Abyssins, dans la même brouette, ses 
    girons, son Consistoire. Ils le savent d'ailleurs parfaitement, et ils le hurlent de temps 
    à autre que c'est entre nous une haine à mort, entre noirs et blancs, ça leur part du 
    cœur... Il suffit de retenir les mots. Nous aurions tort de chichiter... Nous n'avons plus 
    rien à perdre... Les boches au moins, c'est des blancs... Finir pour finir, je préfère... 
    
    - Alors tu veux tuer tous les Juifs? 
    
    [319] - Je trouve qu'ils hésitent pas beaucoup quand il s'agit de leurs ambitions, de 
    leurs purulents intérêts... (10 millions rien qu'en Russie)... S'il faut des veaux dans 
    l'Aventure, qu'on saigne les Juifs! c'est mon avis! Si je les paume avec leurs charades, 
    en train de me pousser sur les lignes, je les buterai tous et sans férir et jusqu'au 
    dernier! C'est la réciproque de l'Homme. 
    
    Je voudrais qu'il soit proclamé, pour que le peuple sans vertèbres, dit français, 
    retrouve un peu son amour propre, absolument conclu, certain, trompeté 
    universellement, qu'un seul ongle de pied pourri, de n'importe quel vinasseux ahuri 
    truand d'Aryen, vautré dans son dégueulage, vaut encore cent mille fois plus, et cent 
    mille fois davantage et de n'importe quelle façon, à n'importe quel moment, que cent 
    vingt-cinq mille Einsteins, debout, tout dérétinisants d'effarante gloire rayonnante... 
    J'espère que l'on m'a bien compris?... 
    
    Gustin était pas convaincu... Il s'en allait en arabesques, comme un Juif, il fuyait... 
    
    - Ils ont peut-être l'avenir pour eux, Ferdinand... à travers tous leurs charognages... 
    C'est peut être pour l'avenir qu'ils travaillent... 
    
    - Si l'on étranglait tout d'abord, tous ceux qui nous parlent de l'Avenir... ça 
    simplifierait bien les choses... Quand un homme vous parle d'Avenir c'est déjà une 
    finie crapule... C'est bien dans les temps présents que les Juifs s'engraissent! eux!... 
    qu'ils font "coucous" dans nos afurs... Ils te disent pas: "J'attendrai un peu! ... Non! 
    jamais! Ils te disent: "Trisse salope indigène! va te laver! con de cocu!" Ils se beurrent 
    les Juifs au présent!... pas d'Avenir! ... 
    
    - Ils te font pas de tort personnel?... 
    
    - Ils m'excèdent... J'en ai plein mon page... Je me tourne, j'en écrase... Je m'en gratte 
    dans la vie... Je peux plus ouvrir un cancan, sans retrouver leurs traces de bave... de 
    petits filaments, des moindres échos... insidieux... des colonnes... de haut en bas... 
    C'est des paravents de l'armée youtre.. Y en a plein derrière... ça grouille., ça monte... 
    ça dévale... y en a plein dans les commentaires... ils me tâtonnent pour m'investir... Ils 
    viennent m'apprécier la connerie, à chaque tour de page... chaque minute... pour voir 
    combien j'ai molli, fléchi davantage... que je vais m'en apercevoir de cette nouvelle 
    traître ficelle, d'encore cette petite ordure, de l'imprévisible entourloupe... la 
    progression pénétrante... l'infiltration [320] au mot à mot... Si je roupille pas... des 
    fois... par où ils peuvent encore me mettre... si j'ai pas encore une absence... Un jour 
    c'est un radiophone... le lendemain c'est un grand tambour... Un jeune poète 
    
    
    
    186 
    
    
    
    évanissime... Un escroc si financier qu'il est plus grand que mille honnêtes... Le 
    lendemain c'est des prix de Charme... de beauté... toutes juives par hasard... Tout ça 
    travesti, vénéneux... C'est plus qu'un sous-bois plein de vampires, faut pas somnoler... 
    des vermines qui rampent dans les ombres... gluantes, visqueuses, dans toutes les 
    mousses... C'est plus du tout une existence... C'est un "reptarium" fantastique! Je sors 
    de chez moi, l'autre matin, que vois-je sur le mur d'en face?... Une affiche: 
    "l'Humanité"... Pour la "France libre et heureuse!" Leur tarte pour cons à là crème... Je 
    m'approche, une photographie... souriante... une youtre béate!... merde!... C'est un 
    culot phénomène!... C'est le défi véritable!... Je vais pas afficher des bretonnes, moi, 
    sur Tel-Aviv... Je suis plus discret... Et puis le camarade Lipchitz, quand il s'épanche 
    en pleine forme, la façon qu'il nous avertit. "Si les Français sont pas contents, nous les 
    ferons sortir." Je trouve pas ça du tout raisonnable!... Je trouve ça grossier, 
    préjudicieux. Charles Martel, qu'était pas fou, quand les nègres lui parlaient de la sorte 
    pendant la bataille de Poitiers, il leur ouvrait à tous la gorge... Alors ils faisaient plus 
    du tout de bruit... 
    
    [31] (p. 321-320) 
    
    [321] 
    
    Si l'on me retrouve un de ces matins avec un petit porte-manteau... 
    Inutile de faire semblant d'avoir l'air de chercher... 
    
    (Il n'en coûte que 3 à 4.000 francs, pour faire abattre un homme, n'importe quel jour à 
    Paris, un peu moins à New-York, un peu plus à Londres...). 
    
    Gutman bien poussé à fond, il s'est dévoilé tel qu'il est, une méchante, rancuneuse 
    nature... Comme je recommençais à lui dire, tout ce que je pensais de bien des Juifs... 
    Il s'est tout à fait fâché!... Il s'est foutu en quart affreux... Il est parti dans une crise! 
    une vraie colère de maudit... 
    
    - Mais tu délires, Ferdinand!... Nom de Dieu t'es saoul!... T'es noir à rouler, ma 
    parole, t'es qu'un sale buveur "habituel"... Mais je vais te faire interner! Je te jure!... 
    T'as beau être confrère!... Ça ne va pas traîner... J'ai des relations dans les Asiles, 
    moi.. Tu vas voir un petit peu... Ils sont tous juifs dans les Asiles!... Ça va bien les 
    divertir... d'entendre ton numéro de folies... tes bêtises... Ils vont te faire capitonner... 
    Tiras, là-bas, médire des Juifs comme tu les appelles... dans un joli cabanon... Je te 
    ferai faire une camisole exactement sur mesure... Alors, tu nous foutras la paix... Tu 
    retourneras à tes romans... Si t'es sage t'auras un crayon... D'abord c'est des insanités... 
    la "Race" ça n'existe plus... c'est des mythes... 
    
    - Voilà le grand bobard gode! pour nous!... à nous filer dans la bagouze... le "mythe 
    des races."!... Les Juifs, eux leur métissage, leur faux-bamboula, ils en sont pas fiers 
    comme d'une race!... Fiers comme Artaban. Ils en ont pas honte eux d'être Juifs!... Ils 
    [322] savent d'où ils sortent... Ils se poussent au train comme des clebs... C'est eux qui 
    sont les pires racistes... Eux dont tout le triomphe est raciste... Ils causent que pour 
    nous égarer, pour nous étourdir... pour nous désarmer davantage... Tous les 
    professeurs anthropologistes, francs-maçons du Front Populaire bien juifs, bien payés, 
    nous l'affirment, que c'est fini, urbi-orbi, et voilà... C'est irréfutable... Le Front 
    Populaire n'a jamais menti... C'est une berlue, c'est une chimère... un détraquement de 
    
    
    
    187 
    
    
    
    la vision... bien navrante, une déconfiture de tes pauvres sens d'onaniste! une véritable 
    idéorrhée... une perte de substance lécithique... Tu t'es trop poigne Ferdinand... Tu 
    sais, ce qu'elle dit la "tante Annie" ?... Que ferai -je pour te guérir?... C'est l'épuisement 
    de la ménopause?... T'as des bouffées?... Prends les Souris de l'abbé Jouvence... 
    
    - Pourtant, dis donc, ils sont crépus?... Et la Palestine? C'est pas le berceau de la 
    "Race"... 
    
    Ça y est, il venait de me remonter, il venait d'effleurer le sujet où je suis cataleptique... 
    Je redevenais intarissable... volubile... incoercible... 
    
    - Ils sont myopes! tes sémites! panards!... bas de cul! ils puent le nègre... est-ce 
    exact?... déconnai-je encore?... Je te laisse deux souffles pour répondre...? Ont-ils les 
    énormes nougats d'avoir poulopé dans les sables, si tant, si fort... et les bédouinages... 
    dans les sables... à la chasse aux dattes, aux vieilles urines de chameaux... des siècles 
    et des siècles?... Irréfutable!... Ces feuilles des écoutes en moulin... les panards 
    palmés, je dis: juifs!... l'odeur! et les lunettes donc!... Ces vieux granulomes!... les 
    suites... les séquelles miteuses... 
    
    Ah! Ah! je marquais facilement un point sur la chasse aux dattes... Je lui montrai tout 
    de suite, les siens "de transat", qu'étaient vraiment d'amplitude! pour sa taille si 
    brève... Là il était confondu... 
    
    - C'est le martyre des belles youtres, que j'ai insisté, d'avoir les pieds un peu trop 
    "forts"... Tous les bottiers de New- York le savent... Ils se trompent pas eux sur les 
    races... 
    
    - Tu les accables bien lâchement, Ferdinand, qu'il se rebiffe aussitôt. Toi aussi tu sors 
    des sauvages... Si tu sors pas du désert, tu sors des cavernes, c'est bien pire! C'était 
    encore bien plus fétide, bien plus écœurant... Un désert c'est toujours propre... C'est 
    pas des dattes qu'ils se tapaient tes cons d'Aryens pères... C'était de la catafouine de 
    renne! de la vraie mouscaille bien fondante! et [323] pour l'Hiver des boules de fiente 
    malaxées! pétries! voilà ce qu'ils s'envoyaient tes pères!... et puis du suif à la tourbe, 
    bien rance bien fumé.. Des vrais mangeurs de choses immondes... Voilà ce que tu 
    crânes?... 
    
    - Voici un portrait bien textuel!... mais c'est pas pareil... pas pareil.. . 
    
    - Toi aussi t'as plein de paille au train... De quoi tu te plains?... et pas encore de si 
    longtemps!... 
    
    - En vérité!... mais pas la même!... Chacun son odeur! je dis!... Tout est là!... Je force 
    pas la mienne sur les Juifs.... C'est eux qui montent pour me renifler... J'aime pas leur 
    odeur c'est tout... J'ai le droit... Je suis chez moi. J'y vais pas moi, à Tel-Aviv... 
    D'abord ils sont bien trop racistes! à Tel-Aviv! encore bien plus féroces qu'Hitler! ... 
    Ils sont "exclusifs" comme personne! 
    
    - Mais alors, dis donc, Mr. Blum? tu le trouves petit lui?... bas du cul? Ah! Ah! 
    Bisque!... Bisque!... 
    
    
    
    188 
    
    
    
    Il marquait un point... 
    
    - M. Blum Karfulkenstein le Bulgare? que tu veux dire?... Ah! mais lui c'est une autre 
    gomme! il est de Genève et de Lausanne!... C'est une exception! Il confirme la règle 
    "bas du cul"... Il est le double bas du cul!... Il est le prince des Bas-du-culL. 
    
    Le coup était nul... 
    
    La conversation devenait aigrelette... un peu incisive... On parlait à bâtons rompus... 
    
    - Je veux pas périr par les Juifs! Je préfère un cancer à moi!. . pas le cancer juif!.. 
    
    - Personne te force!... 
    
    - Si! Si!... Ils me forcent!... C'est eux les Juifs, qu'ont inventé le Patriotisme, après les 
    Croisades!... la Réforme! pour faire bouziller les chrétiens... 
    
    - Tu crois?... 
    
    - Positif! C'est eux qu'ont tout découvert... Les Croisades et la Réforme, ça leur a très 
    bien réussi, seulement le Patriotisme, je voudrais bien qu'ils le prennent dans le cul, ça 
    me rendrait service... 
    
    - Ils ont été persécutés... 
    
    - C'est eux qui nous persécutent... C'est jamais nous... Ils se vengent de trucs 
    qu'existent pas!.. On est les victimes des martyrs!... C'est nous les vampés! pas eux, 
    salades, transis de [324] mensonges, cocus, croulants dupés, sous toutes les 
    oppressions juives. Tyrannies travesties, sournoises, genre "Optimiste" comme chez 
    les Britons... écraseuse comme en Russie... pédante, cauteleuse, vineuse et patriote 
    comme chez nous... Du kif !... Le monde ne marche pas tout seul... Je te dis... il peut 
    pas marcher tout seul... Il faut que quelqu'un s'en occupe... commande... Ce sont les 
    Juifs qui commandent... Le monde commandé par les Juifs, c'est un enfer pour les 
    Aryens... sans abus, textuellement un enfer! avec les flammes! des crapauds partout! 
    d'éternelles tortures... des révolutions, des guerres, des boucheries, à n'en plus finir... 
    les unes dans les autres, et les Juifs toujours au fond de toute la musique!... toujours 
    en train d'en remettre, délirer, de comploter d'autres calvaires pour nos viandes... 
    d'autres abracadabrants massacres, d'enpuruler! insatiables! toujours agioteurs! 
    voyeurs! bandocheurs! effrénément... c'est leur vie!., leur raison d'être... Ils crucifient. 
    Voilà, j'ai tout dit, je pense... les Juifs. 
    
    - C'est pas beaucoup, Ferdinand!... 
    
    - Ah! si encore un petit mot, faut pas compter pour la prochaine que je me déplace... 
    Je suis objecteur 700 pour 100. Le pacifiste, c'est plus le Juif... c'est moi!... La 
    médaille militaire je l'ai depuis le 27 novembre 1914... Elle me rapporte 200 francs 
    Blum par an... (20 francs suisses), j'en veux pas une autre... Ça sera la médaille 
    d'Israël l'autre... Alors tu comprends... 
    
    - C'est pas très vif, comme esprit, Ferdinand... pour un Aryen t'es assez lourd!... 
    
    
    
    189 
    
    
    
    - Je sais, pote, ton genre, je le connais, pour l'esprit c'est Eddie Cantor... Marx 
    Brothers... 
    
    -Jabote toujours garde mobile!... C'est nous les Sels de la terre!... Tu l'as dit toi- 
    même! 
    
    "Sel de la terre!...» Voilà le vocable dont je sursaute!... Je voulais lui rentrer dans la 
    glotte... Il venait de provoquer encore mon humeur la plus intraitable!... 
    
    - A!h! sel de la Terre! ... Ah! Consistoire! ... Ah! Sage de SionL. Ah! macchabée... 
    Ah! grimace!... Ah! alors, elle est indicible!... mais foutriquet de burnes de taupes!... 
    Mais vous vous tenez tous qu'au bidon!... Un Juif c'est 100 pour 100 culot!... 
    Tambour! ... Tambourin! Baguettes! Escamoteurs de vessies! .. Qu'on vous arrache le 
    haut parleur... l'Ecran du vide! baudruches pourries!... Vous effondrez!... Au vice! A 
    l'estampe? des Titans!... Au "travail loyal" comme vous dites! devant votre frêle [325] 
    intérieur... des Faisans!... des faux féticheurs sursoufflés!... pas même des loufiats!... 
    des éponges!... des vrais chiftirs, vous prenez tout!.. Plus de jus à sucer: Plus 
    personne!... Tout autant vous Juifs! pauvres merdures rêches! tout épuisés du 
    chromosome, tout filasseux!... ça gonfle qu'en trempant bien dans la soupe! comme 
    tous les croûtons!... Dans le bouillon!... dans notre soupe!... 
    
    - Tu vas te faire avoir, Ferdinand, dans la voie que tu t'engages... T'auras le monde 
    entier contre toi, figure de légume!... Ça sera pas toujours facile de te faire passer pour 
    inconscient... T'es un genre de fou qui raisonne... Les gens peuvent pas toujours 
    savoir... Ils se trompent des fois... Ils peuvent se méprendre... Tu peux vexer des 
    personnes... Tiens! moi, qui te veux du bien... Je t'ai jamais trompé Ferdinand... Je t'ai 
    jamais tendu des pièges... Je t'ai jamais dit "Tu peux y aller"... que c'était une 
    entourloupe?... pas vrai?... Hein?... dis-le?... 
    
    - Gutman! c'est exact!... 
    
    - Alors je te dis, moi nègre, Ferdinand, laisse tomber ces affreux propos.,, viens avec 
    nous... tu seras content... T'es indigène?... tes frères de race, comme tu les nommes, ils 
    te chient sur le tronc... 
    
    - C'est exact Gutman... c'est exact, autant que les Juifs... 
    
    - Parce que tu sais pas les prendre... les Juifs, si tu savais les aborder, ils 
    t'apprendraient à réussir... t'es qu'un sale raté dans ton genre... d'où, ces aigreurs 
    imbéciles, ta tête de cochon... Regarde un peu les indigènes, les Juifs les contrarient 
    jamais, eux... Au contraire, "Y a de la joie!" qu'ils chantent... Tu comprends a y a de 
    la joie" de se faire enrouter!... Toi tu les engueules!... C'est pas une façon!... C'est toi 
    qui les indisposes... Tu les humilies!... C'est vilain!... Regarde comme ils sont heureux 
    tes "Français de race" d'avoir si bien reçu les Romains... d'avoir si bien tâté leur 
    trique... si bien rampé sous les fourches... si bien orienté leurs miches... si bien avachi 
    leurs endosses. Ils s'en congratulent encore à 18 siècles de distance!.. Toute la 
    Sorbonne en jubile!... Ils en font tout leur bachot de cette merveilleuse enculade! Ils 
    reluisent rien qu'au souvenir!... d'avoir si bien pris leur pied... avec les centurions 
    bourrus... d'avoir si bien pompé César... d'avoir avec le dur carcan, si étrangleur, si 
    féroce, rampé jusqu'à Rome, entravés pire que les mulets, croulants sous les chaînes... 
    
    
    
    190 
    
    
    
    sous les chariots d'armes... de s'être bien fait glavioter par la populace romaine... Ils 
    s'esclaffent encore tout transis, tout émus de cette [326] rétrospection... Ah! qu'on s'est 
    parfaitement fait mettre!... Ah! la grosse! énorme civilisation!... On a le cul crevé pour 
    toujours... Ah! monpopotas!... fiotas! fiotum!... Ils s'en caressent encore l'oigne... de 
    reconnaissance... éperdue... Ah! les tendres miches!... Dum tu déclamas!... RomaL. 
    Rosa! Rosa!... Tu pederum!... Rosa! Rosa! mon Cicéron! 
    
    Tout recommence et c'est parfait!.. Et voilà! tout! C'est la cadence! C'est la ronde! 
    C'est les ondes! avec d'autres pafs! Le paf de youtre c'est bas, j'admets! dans la série 
    animale, mais enfin quand même, ça bouge... Ça vaut bien une bite d'Empereur 
    mort ?... Tu n'es pas d'avis?... 
    
    - Mais si, mais si... j'étais d'avis... 
    
    - Puisque c'est le destin des Français de se faire miser dans le cours des âges... 
    puisqu'ils passent d'un siècle à l'autre... d'une bite d'étrusque sur une bite maure... sur 
    un polard de ritain... Une youtre gaule ou une saxonne?... Ça fait pas beaucoup de 
    différence! C'est abusif de bouder... Tous les conquérants, ils doivent, c'est bien 
    naturel, mettre les conquis! c'est la loi des plus vives Espèces!... Si fait... Si fait... 
    
    - Regarde un peu toutes les mignonnes, les Aryennes... c'est facile à discerner où 
    qu'elles vont leurs préférences... au théâtre, au cinéma, dans n'importe quel salon... 
    "première", croisière, musette, tennis?... Elles foncent toutes, remarque, littéralement 
    sur le Juif, sur le crépu, sur le "toucan". Le crépu c'est le Roi du jour... Il monte... Le 
    blanc descend... C'est lui qui a tous les honneurs!... C'est pour lui qu'on se met dans 
    les frais... Elles raisonnent pas les mignonnes, elles suivent leur instinct, leur ventre... 
    Le Juif il est parfait pour elles, il a l'avenir, il a le pognon... On n'a pas besoin de leur 
    apprendre... Elles sentent ces choses-là de nature... Elles vibrent... Elles reçoivent les 
    ondes... les ondes nègres... C'est le beau môme d'aujourd'hui! le Juif! le Juif dans tous 
    les films, légèrement crépu, bas du pot, panard, un peu myope! Oh! comme il est 
    distingué!... Surtout à la ville!... Ah! Comme il a l'air raffiné!... avec ses jolies 
    lunettes!... Ah! c'est pas un fou celui-là, ni un paysan!... 
    
    - C'est vrai, c'est irréfutable, les Juifs gagnent de tous les côtés. Toutes les gonzesses 
    aux Abyssins! La race plein les miches! ... Elles en ont le panier en compote! elles 
    peuvent plus s'les 
    Russes au travail. Ils rappellent le régiment, au poil... Ce sera toujours les mêmes 
    ornières... un peu plus creuses et puis c'est tout... C'est l'Asie... quoi... c'est l'Asie... 
    Toutes les voitures, elles en crèveront... A peine un immeuble neuf... depuis la 
    "Bolchevique 17"... le strict absolu nécessaire: Le Guépéou... autre chose... ça aurait 
    juré... Pourquoi faire?... L'autre "opulent", ce ténor boudah, voilà qu'il se met à parler 
    entre les cahots... Ah! mais je trouve qu'il est cordial... et puis même qu'il est spirituel 
    et tout... et qu'il est carrément jovial... Enfin voici un Russe qui cause... qu'est drôle... 
    en plus... et qu'a l'air tout déboutonné... à plaisir!., qu'en rajoute! c'est étonnant!, qu'a 
    pas un barillet dans le cul!... qu'a pas l'air de se gratter du tout!... Il semble penser tout 
    haut... c'est le premier!... Il parle anglais comme père et mère... On se comprend.. 
    C'est bizarre, à mesure que je l'entends, il me semble que sa voix je la reconnais... 
    C'est pas moi qui pose les questions, c'est lui qui adresse... Il me fait: 
    
    - Monsieur, aimez-vous la Russie?... 
    
    - Et vous, dear Sir?... est-ce qu'elle est bonne?... 
    
    J'ai pas l'habitude de ruser, je suis d'un naturel assez simple, j'aime pas les mystères... 
    Puisque mes impressions le passionnent je vais lui faire part immédiatement de mes 
    réflexions... qu'elles sont pas très favorables... Nathalie se recroqueville dans le coin 
    opposé... elle me fait du genou. Très inoffensif à vrai dire tout ce que je proclame... 
    que j'aime pas beaucoup leur cuisine... (et moi la cuisine ça me laisse tiède), que 
    j'aime pas l'huile de tournesol... J'en ai le droit... Que bagne pour bagne ils pourraient 
    mieux... Que c'est un mauvais ordinaire de prison bien mal tenue... enfin des futilités... 
    que les concombres c'est pas digeste... que les cafards plein les crèches., (je payais la 
    mienne trois cents francs par nuit) ça faisait pas un progrès sensible... Qu'ils avaient 
    tous l'air dans la rue à première vue, médicalement, leurs travailleurs "régénérés"... 
    d'une terrible débâcle de cloches... effroyablement anémiques... chlorotiques... flapis... 
    une vraie retraite de Russie... décavés jusqu'aux ratamoelles... que ça me surprenait 
    pas du tout... avec leur genre de régime... que moi même avec Nathalie, tout en 
    flambant des sommes orgiaques, on arrivait à se nourrir qu'avec des [338] galtouses 
    bien suspectes... à vous couper net le sifflet... des brouets si équivoques... des petits 
    arrière-goûts si suris... incroyables... Si je parlais tant de boustifaille, dont je me fous 
    énormément, c'est parce que là-bas, n'est-ce pas, ils se proclament matérialistes, "tout 
    pour la gueule". C'est leur gloriole le matérialisme... Alors je faisais des remarques 
    matérialistes... qu'étaient dans la note... des choses que devait comprendre ce beau 
    sénateur bonzoide... Ça l'a pas mis en colère mon impertinence... Il se fendait même 
    les babouines de m'entendre avec mes sarcasmes... persifleux... Il se tamponnait de 
    rigolade dans le fond du bahut... Ça n'avait pas l'air de le froisser. Nathalie n'en menait 
    pas large... Quand j'ai eu fini enfin de faire comme ça le bel esprit... Il est revenu à 
    l'assaut d'une autre manière... Il s'est enquis d'autre façon... 
    
    - Il paraît que Monsieur Céline n'aime beaucoup nos hôpitaux?... 
    
    Ça y était! Cette provocation m'avait à l'instant suffi! ... un éclair!... m'avait débrouillé 
    la mémoire... Je m'y retrouvais parfaitement! je lui répondis coup sur coup: 
    
    
    
    196 
    
    
    
    - Mais si! Monsieur Borodine, quelle erreur navrante!... mais j'en suis 
    "enthousiastic"... de vos hôpitaux! .. voyons!... vous êtes, pour ce qui me concerne, 
    très mal renseigné!... A mon tour, puis-je me permettre?... puisque nous sommes aux 
    confidences... C'est un nouveau nom, n'est-ce pas, Borodine?... 
    
    Il se fendait de mieux en mieux... 
    
    - Là bas, à Dartmoor, sur la lande, quand vous fabriquiez des petits sacs... vous vous 
    appeliez?... 
    
    - Et vous, là-bas, Monsieur Céline, à Hercules Street... est-ce bien exact?... quand 
    vous preniez des leçons d'anglais, à la jaune cantine "Au Courage"... sous le grand 
    pont... Suis-je dans l'erreur?... Waterloo... Waterloo over the Bridge!... la gare des 
    morts... Ah! Ah! Ah!... Vous êtes un fils de "Dora"... Top là!... Top! Top! ... 
    
    - Vous en êtes un autre!... il faut l'avouer haut et fièrement! 
    
    On s'est serré la louche en force... c'était plus la peine de pré tendre ... 
    
    Il avait énormément forci et jauni... je l'avais connu très mince et très pâle... 
    
    - Et cet excellent Yubelblat... hein?... toujours myope?... toujours lecteur en pensée?... 
    [339] Ah! il évoquait une époque. C'était amusant comme souvenir Yubelblat! ... 
    
    - Il m'a bien servi à Anvers vous savez Monsieur Céline... 
    -Yubelblat?... 
    
    - Je suis resté trois mois chez lui., dans sa cave mon ami... dans sa cave! ... Pas un rat 
    dans sa cave! ... Je vous garantis... Mais que de chats!... mon Dieu!.. Tous les chats 
    d'Anvers!... Quels chats!... 
    
    -Bien vrai?... 
    
    -Bien vrai!... 
    
    - Dans la cave?... 
    
    - Comme Romanoff!... 
    
    -17?... 
    
    - Quel âge avez- vous donc Céline?... "Doucement chauffeur!" Il commande à 
    présent... "Doucement... faites le tour!... Il faut que je parle encore à mon ami, le 
    "Gentleman"... Toujours "Ferdinand la migraine"?... Ah! l'on ne se retrouve pas tous 
    les jours!... "enthousiastic"!... Encore il partait à se marrer. 
    
    - Yubelblat... non plus d'ailleurs!... Il avait bien promis, ce cher, de passer pourtant 
    une fois... encore une fois... me faire une petite surprise... une petite visite... en 
    
    
    
    197 
    
    
    
    véritable camarade... comme cela sans cérémonie... pour son retour de Pékin... Il avait 
    promis... Il y va de moins en moins, n'est ce pas à Pékin?... N'est-ce pas?... Il me 
    semble!... 
    
    - Je ne suis plus très au courant Mr. Borodine... 
    
    - Il est fantasque ce Yubelblat... savez vous?... imprévisible en vérité!... Il a préféré 
    reprendre encore ce sale bateau... Il n'aime plus le "Transsibérien". Ah! Ah! Ah! ... (Il 
    se ramponnait la brioche). Quel voyage... Terrible détour!... La Mer Rouge 
    vraiment!... Un bien disgracieux voyage en vérité... 
    
    On s'en esbaudissait tous deux, tellement c'était drôle tout ce détour de Yubelblat... 
    
    - Et vous alors? Monsieur Céline?... Vous n'aimez pas la Russie?... Pas du tout... Mais 
    vous aimez bien au moins, notre grand théâtre?... Vous êtes raffiné comme un Lord, 
    Monsieur Céline... pas seulement pour les hôpitaux... Ah! Ah! Ah!... Vous êtes raffiné 
    comme un duc... Un grand duc!... Monsieur Céline!... On vous voit beaucoup au foyer 
    de la danse... Suis je mieux renseigné?... 
    
    Nathalie n'avait rien à dire... Elle regardait loin... très loin... la rue. Elle se faisait 
    menue , tou te petite . . . 
    
    [340] - Vous voulez bien, Monsieur Céline, que je vous pose une question? Une 
    question vraiment personnelle?... Une vraie question d'ami... un peu brutale... 
    
    - Je vous écoute. 
    
    - En cas de guerre de quel côté seriez-vous?... Avec nous? Ou avec l'Allemagne?... 
    Monsieur Céline?... 
    
    Le petit youtre de l'Intourist, sur le siège avant, il se démanchait pour mieux 
    entendre... 
    
    - J'attendrais... Je verrais bien... Monsieur Borodine... J'applaudirais comme au 
    tennis... au plus adroit... au plus tenace... au plus corsaire... au plus fort! Je 
    m'intéresserais... 
    
    - Mais les plus forts, c'est nous! cher Monsieur!... Tous les experts vous le diront!... 
    
    - Les experts se trompent parfois... Les Dieux se trompent bien... Nous avons des 
    exemples... 
    
    A ces mots nets, le voilà qui change de contenance... la colère le saisit, immédiate... Il 
    sursaute... Il bafouille... Il s'agite... Il ne tient plus sur la banquette... le feu lui monte, 
    d'entendre des bafouillages pareils!... Une vilaine rage de Chinois... 
    
    - Oh! ami!... ami!... qu'il suffoque... Vous dites des choses si imbéciles... - Chauffeur! 
    chauffeur!... Faites donc le tour un peu par Houqué! ... Vous ne connaissez pas, 
    Monsieur Céline, Houqué?... Houqué! cela ne vous dit rien?... Vous ne savez pas?... 
    Hou! que? Non?... Jamais on ne vous a parlé de Hou! que!... Nous allons avec mon 
    
    
    
    198 
    
    
    
    ami, vous montrer HouquéL. Passez chauffeur, tout doucement... là... -Ici... devant... 
    regardez Céline... ces maisons si basses... si trapues... voyez-vous bien closes... C'est 
    le quartier de Pierre le Grand! ici Monsieur Céline! ... je vous le montre... C'est là, 
    qu'il menait s'amuser... s'éduquer un peu les personnes qui causaient un peu de 
    travers... qui ne voulaient pas causer... qui répondaient mal aux questions... Elles 
    faisaient tellement de bruit ces personnes, des bruits si forts!... quand elles s'amusaient 
    avec Pierre, quand elles commençaient à reparler... qu'elles retrouvaient leurs 
    paroles... Un tel vacarme des poumons! Monsieur Céline... de la gorge... Hou! que!... 
    comme ça!... Hou...! que!... comme cela! si fort!... qu'on entendait plus que leurs cris! 
    à travers tout le quartier... à travers toute la Neva... jusqu'à Pierre et Paul... C'est 
    encore le nom qu'on lui donne à ce quartier. HouquéL. Regardez bien, Monsieur 
    Céline, toutes ces demeures... si trapues... si profondes... bien closes!... Ah! C'est un 
    vraiment beau 
    
    [33] (p. 341-350) 
    
    [341] quartier!... On ne fera jamais mieux!... Vous voyez un peu du dehors... Mais 
    alors à l'intérieur!... Un très grand tzar Pierre 1er!... un très grand tzar, Monsieur 
    Céline!... 
    
    L'auto ralentissait encore... au pas... Nous avons eu tout le temps de parcourir toutes 
    les rues... de bien visiter en détail... en détours l'ancien "Houqué"... Comme ça 
    toujours en plaisantant... à propos des appareils dont se servait le tzar... pour mettre de 
    l'animation dans les confidences... pour faire venir la confiance... l'affection. 
    
    - De la confiance, Monsieur Céline!... de la confiance!... 
    
    Pourtant il fallait en finir... revenir à l'hôtel... Nous allions encore au théâtre avec 
    Nathalie. 
    
    Il connaissait, Borodine, encore bien d'autres histoires, excellentes! des vraiment 
    splendides anecdotes sur Pierre 1er... Nous étions devant notre porte... Il ne m'en 
    voulait plus du tout... Nous ne pouvions plus nous quitter... 
    
    - Allons! Allons! Montez me voir... sans faute! Tenez demain!... à l'Astoria!... Nous 
    dînerons tous les trois avec Nathalie... dans ma chambre... sans façon... en 
    camarades!... N'est-ce pas?... en camarades?... Je vous raconterai des aventures 
    extraordinaires! des "faits"!... Seulement des "faits"! Sur la Chine! Et puis venez donc 
    à Moscou... Là-bas, nous avons des choses encore beaucoup plus curieuses à 
    regarder!... à vous montrer! Que je vous montrerai moi-même! ... Pourquoi rester à 
    Leningrad ? ... Venez donc! ... Confiance! 
    
    - Pourrai-je visiter le Kremlin?... 
    
    - Tout ce que vous voudrez, Céline... 
    -Vrai de vrai?... 
    
    -Je crache!... 
    
    
    
    199 
    
    
    
    - Les caves aussi ?... 
    
    - Toutes les caves!... 
    
    Encore un bon sujet pour rire!... On en gigotait sur le trottoir... de drôlerie!... 
    
    - Je peux emmener mon interprète?... 
    
    - Mais certainement!... Bien sûr!... bien sûr!... 
    
    - A fond? le Kremlin?... 
    -A fond!... 
    -Promis?... 
    -Promis!... 
    
    - Juste un mot par le téléphone ! et je vous fais prendre! 
    
    [342] Ah! que penserez-vous... tout exagérément... Ce garçon exagère!... Voyons! Ces 
    bolcheviques, ces "bombes entre les dents"... ne sont pas si désastreux!... Ils n'ont pas 
    tout écrabouillé quand même!... tout réduit en poudre infâme!... Ah! Vous me prenez 
    sur le vif!... Ah! La remarque est pertinente!... Ainsi tenez, leurs théâtres!... 
    admirablement préservés!... très exact! beaucoup mieux que leurs musées!... qui 
    présentent je ne sais quel aspect de brocante, de "saisie-warrant"... Mais leurs 
    théâtres! en pleine splendeur!... Incomparables!... éblouissants!... L'intérieur surtout!... 
    Les bâtiments, l'édifice... toujours un peu casernes... colosses... un peu "boches"... 
    Mais l'intérieur! les salles! ... Quelles prestigieuses parures! Quel transport!... Le plus 
    beau théâtre du monde? Mais le "Marinski"! sans conteste!... Aucune rivalité 
    possible!... Lui seul vaut tout le voyage!... Il doit bien compter dans les deux mille 
    places... C'est le genre du Grand-Gaumont... du Roxy... pour l'ampleur... Mais quel 
    style!... Quelle admirable, unique réussite!... quel ravissement! ... Dans le genre 
    mammouth... la perfection... léger... on ne peut mieux... du mammouth léger... aérien 
    de grâce... décoré tout de bleu ciel, pastel filé d'argent... Autant de balcons, autant de 
    cernes., franges d'azur... en corbeilles... Le lustre, une nébuleuse d'étoiles... une pluie 
    suspendue... cristallin... toute scintillante... Tout le parterre, tous les rangs en 
    citronnier... résilles de branchages aux tons passés... bois tournés, velours sur pastel... 
    un éparpillement de palette... une poésie dans les sièges!... Le miracle [343] même! 
    Opéras de Paris, Milan, New- York, Londres!... délires de bains turcs!... pâtisseries 
    dégorgées d'un Grangousier mort!... Ce serait comparer vraiment le Mont Saint- 
    Michel au Sacré-Cœur, notre grand oriental lavabo... Pour vous convaincre, vous irez 
    peut-être vous-mêmes à Leningrad... vérifier... (Réclame absolument gracieuse). Je 
    pourrais encore avec un peu d'espace... Ce serait très facile... jaboter 
    descriptive ment... mais le temps?... Vous dépeindre de mon mieux... tant d'autres 
    prodigieuses perspectives... évoquer dans la mesure de mes dons futiles, toute la 
    majesté de ces impériales demeures... leur "baroque" aussi... leur cocasse... et d'autres 
    châteaux... toujours plus grandioses... devant la mer... bien d'autres élans magnifiques 
    de sculptures et de grâce... Et puis l'esplanade du Palais d'Hiver... Ce vélodrome pour 
    éléphants... où l'on pourrait perdre, sans le savoir, deux brigades!... entre deux 
    
    
    
    200 
    
    
    
    revues!... deux charges!... Et puis tout autour, en pourtour, tout un gratte-ciel écrasé, 
    fainéant, couché, tout en éventail... à cent mille petits trous, lucarnes etpertuis... les 
    Bureaux du Tzar. 
    
    [344] Je vous parle du "Marinski" avec un tel enthousiasme... Je vous vois venir... 
    toujours suspicieux... J'avoue!... Minute!... Avec Nathalie, nous fûmes de toutes les 
    soirées... Nous avons tout admiré, tout le répertoire... et la "Dame de Pique"... six 
    fois... "Dame de Pique" mélodique vieille garce... Lutine sorcière, trumeau faisandé... 
    Impératrice des âmes... "Pique" ! attend au fond du cœur russe "Dame" ! l'heure des 
    fêtes du charnier... "Dame de Pique", messe inavouée, inavouable... charme de tous 
    les meurtres... flamme sourde de massacre, mutine, au fond d'un monde en cendres... 
    Un jour, la flamme timide remontera... jaillira plus haut!... si haut!... bien plus haut 
    que le plus haut clocher d'or! ... La flamme en attente... vacille... grelotte... berce... 
    toute la musique haletante... plus tendre... berce... le hasard... "Tré carias!"... Trois 
    suicides!... au jeu de la Reine dans les griffes de la momie... Trois suicides doucement 
    montent de l'orchestre chaque soir... Dans les rouleaux d'énormes vagues brûlantes... 
    du fond... qu'aucune police ne sait voir... Trois petits oiseaux de suicide s'envolent... 
    trois âmes menues... si menues... que les vagues emportent furieuses... je vous dis... 
    grondantes... mugissantes... du fond du monde... que la police ne voit pas... La vieille 
    carne, corbeau de tous les âges... douairière tout en meurtres... en bigoudis... en 
    falbalas... vaporeuse de guipures, en crève chaque soir... chantante... au bord de 
    l'abîme... Tant de pourriture cascade... d'un corps si menu!... si frêle!... tant de 
    choses!... dans un torrent [345] d'arpèges... étouffent l'auditoire... tous ces Russes... 
    étranglent... "Tré carias"!... Foule maudite!... Russes blêmes!... fourbes!... conjurés!... 
    Que personne ne sorte!... Votre destin va s'abattre! Un soir! dans une trombe 
    d'accords... Le fou là-haut va sortir votre carte... "Tré carias"! L'officier au jeu de la 
    Reine... Qui bouge?... Du vieil enfer... tous les démons en queues d'étoupe, 
    bondissent, jaillissent, gigotent... toutes les joies, regrets, remords, s'étreignent, 
    cabrioles de toutes les haines... de tous les gouffres il en surgit... Sarabande!... De 
    l'orchestre tout en feu... toutes les âmes et les supplices arrachent les violons... Le 
    malheur hante... canaille... rugit!... ouvre son antre... La vieille s'écroule... Elle n'a rien 
    dit... la Dame de Pique avait tout à dire! ... Pouvait tout dire!... Pourtant elle ne pesait 
    rien... moins qu'un flocon de laine... moins qu'un oiseau qui chavire... moins qu'une 
    âme en peine... moins qu'un soupir du Destin... Son corps dans cette chute ne fit le 
    moindre bruit... sur la scène immense, petit monstre fripé, tout en papillottes... La 
    musique est plus lourde... bien plus lourde que ce petit froissement d'étoffes... Une 
    feuille morte et jaunie, soyeuse., s'abat tremblante sur le monde. Un sort. 
    
    [346] Les "Soviets" de Leningrad occupent la loge du Tzar... Ouvriers dans le fond, 
    en tenue du dimanche. Au premier rang, les Juifs à lunettes... quelques hirsutes... de la 
    "tradition Bakounine"... Prisonniers vétérans politiques. Tous les Brichanteaux du 
    Martyrologe. la parodie périlleuse! ... Ce défi! ... Aux autres balcons, les 
    provinciaux, tassés, massés... Ingénieurs., bureaucrates... enfin les stakhanovistes... les 
    plus bruyants, hauts de verbe, hystériques du Régime... par rangs entiers, fébriles... 
    dopés... exhibitionnistes... pas très bien blairés, semble-t-il par les autres... spectateurs 
    de la moyenne... Tous les balcons, tous les pourtours, parterres, parquet, bondés, 
    compacts... de-ci, de-là, quelques groupes de petits Juifs genre étudiants, casquettes 
    blanches à bandeau rouge... des petits Juifs français... sans doute une école politique... 
    Voici pour la "Dame de Pique"... Mais la Danse?... Les Ballets Russes?... Les 
    authentiques?... Leur plus grande gloire?... Autres vertiges!... Quel déploiement de 
    
    
    
    201 
    
    
    
    décors!... de parures!... Quelle richesse aussi de talents!... Il faut tout dire!... Et quel 
    nombre!... Une armée de "sujets"!... Rectifions! richesse de talents "moyens"!... mais 
    quelle fougue! Quel brio de scène! Quelle vie!... insensée!... Troupe certainement fort 
    bien nourrie. Je ne fis grâce à Nathalie d'aucune soirée de ces féeries... Nathalie, 
    préférait à tout, la "Dame de Pique"... Chacun ses faiblesses, ses sortilèges... les miens 
    dansent... Vive la danse!... Les "Fontaines de Batchichara"!... Quelle bataille!... Une 
    mêlée... de démons! [347] ailés, emportés, jaillissants... de tous les portants vers les 
    cintres... Et quel massacre! traversé d'éclairs et de tonnerres à faire crouler le 
    théâtre!... 400 diables, voltigeurs, massacreurs. Pas un artiste qui ne prenne feu dans 
    ce terrible brasier de musique, qui ne se consume tout entier dans cette démence des 
    flammes! Pour les "Cygnes" mêmes prestigieux propos d'enchantement... avec toutes 
    les grâces... 
    
    Cependant déclinante... beaucoup moins heureuse... une fièvre qui mijote... insipide... 
    le repli vers la Raison... des grimaces... les "illusions perdues"... à d'énormes frais!... 
    Nous sommes au navet! bien perdues!... Dans l'ensemble des "Saisons", beaucoup de 
    fours en somme! déjà!... Répertoire terriblement jonché d'exorebitantes épaves... Que 
    de débandades!... leur bilan est accablant!... Combien de directeurs fusillés ?... pour 
    de vrai ?... Combien de capitaines ne sont pas revenus!... La faute ?... A tous! à 
    personne!... la mienne!... la vôtre!... Ballet veut dire féerie. Voici le genre le plus 
    ardent, le plus généreux, le plus humain de tout!... Qui l'ose ?... L'âme décline et se 
    lasse... La verve n'est plus soutenue par une folie d'ensemble. Plus aucun créateur au 
    cœur de tous ces poèmes... Comment les accabler ?... Ils sont partis vers la Raison... 
    La Raison leur rend bien... Ils ne parlent plus que Raison... raisonnablement... brelan 
    de cloches si fêlées... Les voici tout croulants de raison... Tant pis! ... Les catastrophes 
    les plus irrémédiables, les plus infamantes ne sont pas celles où s'écroulent nos 
    maisons, ce sont celles qui déciment nos féeries... Ils semblent condamnés les Russes 
    auprès de leur Musique... reniés par leur passé... "mourants de soif auprès de la 
    fontaine"... Leurs "succès"?... Il en faut Mordieu! pour peupler ces nefs gigantesques! 
    et les places ne sont pas données!... Il s'en faut!... Alors?... Les vieux dadas! tout 
    bêtement! Leurs "Carmen"... leurs "Manon"... leurs "Onéguine"... l'inévitable 
    "Dame"... "Ruslan et Ludmila"... MazeppaL. pire encore!... J'assure le triomphe, 
    toutes les couronnes de la Russie, à l'audacieux manager qui remontera "Michel 
    Strogoff" avec chœurs, soldats, grand orchestre, sur les scènes de Leningrad... Le 
    Palais d'Hiver est à lui ! 
    
    Revenons aux artistes?... Parmi les danseurs: deux sujets admirables... Lyrisme, haute 
    technique, tragédie, de véritables poètes... Les femmes? d'excellentes ouvrières, bien 
    douées... sans plus... une ballerine exceptée-Oulianova... Mais leurs ensembles? La 
    divinité!... Des orgues du mouvement humain. Essaims de coryphées [348] à remplir 
    tout le ciel... Leurs "Pas de quatre"? comètes frémissantes... Les sources miroitantes 
    du Rêve... les abords du Mirage!... Toutes les soirées du Marinski! Quelles voluptés! 
    deux et trois fois tous les programmes!... A la fin, j'y tenais plus. L'idée me reprit... 
    l'obsession... Il me semblait que moi-même, malgré tout.. Ah! que l'orgueil est 
    fielleux conseiller!... Comme il décuple, centuple toute sottise. Tenter ma chance?... 
    Qui ne risque rien... Mes poèmes?... s'ils allaient eux, ces Russes, s'en éprendre?... 
    Sait-on jamais?... Echec à Paris... peut-être succès en Russie... L'un de mes "ours"?... 
    Les deux peut-être? Je donnerais mon âme en prime... Qu'on se hâte!... elle commence 
    à m'échapper... 
    
    
    
    202 
    
    
    
    - Nathalie, ma chère enfant, voulez- vous de ma part, téléphoner au Directeur?... s'il 
    veut me recevoir?... m' entendre quelques minutes... J'ai tout un complot dans ma 
    poche ! 
    
    [349] 
    
    C'est moi l'empressé, le galant Ferdinand, le tourbillon des dames! 
    
    Jour conclu... présentation de mon poème au directeur. Ils étaient bien une trentaine 
    dans cet immense salon... si je compte, clairsemés autour d'une table ovale... de 
    prodigieuse ampleur... Artistes... musiciens... administrateurs... secrétaires... à 
    m'attendre... Quel cadre!... impérial!... à la mesure!... salon fort bien préservé dans son 
    jus Epoque Alexandre... pour nous "Tilsit"... Meubles parfaits d'acajou sombre... 
    tentures poudreuses... naphtalinées... tapis pelés... à la trame... semis d'abeilles sur 
    fond jonquille... Le directeur un Juif chafouin, parfaitement aimable et hostile... Son 
    secrétaire politique... un bouffi tout en silence... tout en petites notes... hérissé de 
    crayons... Compositeurs variés... quelques vieux virtuoses à "moumoutes", figurants 
    muets de l'entrevue... hauts de caractères... des masques de "plein effet" par Dullin... à 
    ma droite la Vaganova... fluette épargnée du grand cataclysme... sur la défensive... 
    distante... suprême tenante d'une tradition qui flanche. Etoile blêmie, plâtrée, crispée, 
    guettée... aux aguets... 
    
    Dans cette réunion, tout le monde s'épie... souriant... Après de brèves présentations... 
    la parole m'est donnée... 
    
    Je me lance dans le récit d'emblée... la "Naissance d'une Fée"... Ils me comprennent 
    tous parfaitement... mais aucun d'eux ne sourcille... parfaitement inertes, atones. Je 
    fournis toute l'animation... Je suis remonté!... tout le spectacle!... je me donne!... Je 
    mime... je me dépense à fond... comme je m'ébroue! volubile!... évoque [350] tant et 
    plus! cavalcade!... Je me surpasse!... Je suis théâtre, orchestre, danseuses! tous les 
    "ensembles" à la fois... moi tout seul!... Je fais l'œuf!... je sautille, je jaillis hors de ma 
    chaise!... Je personnifie toute la "Naissance d'une Fée"... Toute la joie, la tristesse, la 
    mélancolie... Je suis partout!... j'imite les violons... l'orchestre... les vagues 
    entraînantes... et voici les "adages"... Personne ne me retient, ils demeurent ces pétris, 
    soudés à leur table, "jurés d'assises". Je me fends... développe... d'autres entrées!... les 
    quadrilles!... Je rejaillis à l'autre bout... rebondis... cabri!... multiplié, tout en 
    arabesques, à l'entour de ces énigmes!... Je m'échappe possédé! innombrable... 
    m'élance encore... Ah! et puis net! stop!... cambré... tourbillonne!... enchaînant, 
    repars... débouline... dans les méandres de l'intrigue... souligne au passage mille 
    grâces du thème... en demi-pointes... en relevés .. Très bien!... deux arabesques!... 
    Dans le fredonnement aérien d'une valse... encore deux "fouettés"... très en dehors... je 
    m'évade... intrigue... me dérobe... volte!... viens... En attitude! je pique!... Sarabande... 
    J'atterris en grande "cinquième"! à la portée du directeur... Je plonge... à l'assistance 
    éblouie... grande révérence!... 
    
    Enfin je les ai "décidés"!... la glace est rompue!... Ces bonzes se dégèlent... 
    Murmures!... approbations!... clameurs!... et l'on me complimente!... L'on me 
    cajole!... L'on me fête!... Vidi! Vici! Vici! C'est très évident! ... Quel don! ... quel 
    essor! ... L'esprit! ... L'envol!... Taglione!... Ils sont aux anges!... C'est visible! Mais 
    
    
    
    203 
    
    
    
    tout brusquement tout se tait, tous se ratatinent... Le directeur, leur chafouin tape dans 
    ses mains, commande le silence, il va parler... 
    
    "Cher Monsieur, tout ceci est fort plaisant évidemment, fort bien venu certes... et je 
    vous félicite... Mais veuillez me relire encore... je vous prie... très lentement, certains 
    passages... et puis tout le livret voulez-vous?..." 
    
    Ah! Il ne désirait pas mieux, que de monter un tel spectacle d'un auteur étranger... 
    d'une telle importance!... Très désireux... Mais cependant pas tout à fait sur ce thème... 
    Si je voulais bien tenir compte... D'après une autre poésie... moins désuète... moins 
    frivole... moins "archaique"... une formule moins rêvasseuse... quelque structure plus 
    réaliste, plus impétueuse... qui se prêterait bien davantage aux accords de musique 
    moderne... aux ressources harmoniques du contre-ton... un peu brutale, voire 
    violente... Les Russes raffolent de la violence. Lignorais-je ?... Il leur en faut!... Ils 
    l'exigent!... Quelques batailles!... de l'émeute!... pourquoi pas?... 
    
    [34] (p. 351-360) 
    
    [351] des meurtres!... d'amples massacres bien amenés... Peut-être au surplus 
    pourrais-je prévoir dans mon histoire, quelques passages en dialogues... Ah! voilà qui 
    serait innover!... du dialogue!... des paroles dansantes!... Une danseuse par mot... par 
    lettre! A pays neuf, des spectacles de "choc"!... Et puis d'autres conseils... éviter 
    comme le choléra... comme trente-six mille pestes!... l'Evasion!... Ah! plus 
    d'Evasion!... plus de Romantisme!... d'éplorées Elégies!... Plus de ces gigoteries en 
    Parnasse mythologique! Fini! ... Les Ballets doivent faire "penser"! comme tous les 
    autres spectacles!... et penser "sozial"! 
    
    Emouvoir... certes!... charmer... mais charmer "sozial" n'est-ce pas? Plus le poème est 
    réussi... plus il est z sozial"!... 
    
    "Voici, cher Monsieur Céline, le point de réalité que nous devons toujours atteindre, 
    le "sozial" au cœur des foules... Le "sozial" en charme et en musique... Poème dansé! 
    vigoureux! émouvant! tragique! sanglant! émeutier!... libérateur!... Voici le souffle!... 
    voici le thème!... et "sozial" par dessus tout!... Voici la ligne!... la commande!... 
    Artiste! celui qui nous comprend! Voici les œuvres attendues par les Ballets russes du 
    "Plan ". Et plus du tout, plus jamais! ces grêles perfides anémies! ces languissements 
    mélodieux!... Honteuses tricheries, cher Monsieur Céline, du Devenir "sozial"!... 
    Peut-être vers 1906... vers 1912 ces agaceries pouvaient-elles encore se défendre... 
    mais de nos jours... pouah!..." 
    
    Je me tenais l'oreille très basse... je l'avoue... sur mon tabouret... Peu sensible au 
    ridicule, nullement vexé, je n'éprouvais de cet échec qu'un chagrin très sincère... Au 
    seuil du Temple je m'effondrais... Je me faisais saquer, par les connaisseurs parfaits, 
    comme un cotillon miteux... J'en aurais pleuré... 
    
    Tous alors, devant ma mine déconfite, changèrent à l'instant de ton... Redressement à 
    toute vapeur!... 
    
    - Mais non! Mais non! monsieur Céline! C'est nous comprendre tout de travers! 
    Espoir! Espoir! au contraire! cher monsieur Céline! Grands espoirs! Ce sont là, 
    
    
    
    204 
    
    
    
    paroles amicales! Nous comptons sur vous pour la saison prochaine! Revenez nous 
    voir au printemps prochain!... Nous serons toujours si heureux de vous accueillir!... 
    toujours prêts à vous entendre, je vous assure... infiniment favorables... je ne peux pas 
    mieux vous dire... 
    
    Le petit directeur se montrait à présent plus encourageant que tous les autres... 
    
    "Ne nous oubliez pas... Revenez!... Apportez-nous de Paris [352] un autre manuscrit... 
    dans la note... Nous connaissons vos dons admirables!... Ce sera réellement sublime! 
    Nous le savons!... ". 
    
    Tous en chœur: "Nous le savons! Rien est perdu! Tout au contraire! Nous l'étudierons 
    aussitôt tous ensemble!... Nous le monterons, il va de soi! Et comme ceci!... Et 
    comme cela!... " 
    
    Je suis prompt à me requinquer... un petit compliment me suffit... me rambine comme 
    une strychnine... Je me tétanise... Je me trouve à l'instant reprêt... aux plus rebutantes 
    performances... en un clin d'œil... Pour un peu, j'allais recommencer tout! Ils m'ont 
    calmé gentiment... joyeusement... Nous ne parlions plus que de l'année prochaine! 
    Nous étions devenus si aimables, si extrêmement copains... que c'était un genre de 
    féerie... Ils ont bien vu mon caractère... La façon que je reprends confiance... Tout en 
    dégustant le thé... les petits fours... les cigarettes et cigares... Et les voila tous qui 
    s'enveloppent dans une fumée si épaisse, massés au rebord de la table, que je les 
    apercevais plus... Ils me parlent très fort, dans les nuages... leur langage de 
    locomotive... Arracho! ... Harracho! ... Harracho! ... arrou! ... Harrou! ... de plus en 
    plus violemment... à emporter tout!... Ça pouvait pas être un complot... Le petit Juif, il 
    arrêtait pas de m'expliquer, encore, toujours, les thèmes de la danse de l'Avenir!... la 
    tête dans les mains... il monologuait: "Vous me comprenez, cher monsieur Céline... 
    une facture plus vigoureuse... "sozial "... C'est le mot!... pas trop historique! ... pas 
    trop d'actualité non plus... Mais cependant bien moderne... et puis surtout qui fasse 
    penser!... " 
    
    A ce moment le secrétaire politique fut pris de quintes... il toussait fort... à s'étouffer... 
    dans ses crayons... L'entretien devait prendre fin... Nous nous séparâmes, ravis... 
    
    En bourrasque, j'ai repris la porte... voltigeant... effréné de zèle... à travers d'infinis 
    couloirs... des kilomètres de dédales... à chaque détour... chaque tambour... un corps 
    de garde en alerte... Ce merveilleux opéra, dans l'intimité: une forteresse!... une 
    citadelle en transe!... tous les labyrinthes traqués!... sur la défensive!... tous les boyaux 
    en qui-vive... l'attentat rôde... Des yeux vous suivent du fond de toutes les ombres, 
    vous épient... Vite dans la rue!... Ah! l'allégresse, le délire m'emporte!... j'effleure les 
    trottoirs à peine... en plein essor... souffle d'allégresse!... admirablement résolu!... 
    L'esprit me possède... 
    
    "Dine! Paradine! Crèvent! Boursouflent! Ventre dieu!... 487 millions! d'empalafiés 
    cosacologues! Quid? Quid? Quod? Dans [353] tous les chancres de Slavie! Quid? de 
    Baltique slavigote en Blanche Altramer noire? Quam? Balkans! Visqueux! Ratagan! 
    de concombres!... mornes! roteux! de ratamerde! Je m'en pourfentre... Je m'en 
    pourfoutre! Gigantement! Je m'envole! coloquinte!... Barbatoliers? immensément! 
    Volgaronoff!... mongomoleux TartaronesquesL. Stakhano viciants!... Culodovitch!... 
    
    
    
    205 
    
    
    
    Quatre cent mille verstes myriamètres... de steppes de condachiures, de peaux de 
    Zébis-LaridonL. Ventre Poultre! Je m'en gratte tous les Vesuves!... Déluges!... 
    fongueux de margachiante!... Pour vos tout sales pots flottés d'entzarinavés!... 
     des 
    tourmentes révolutionnaires... des transbordements sociaux... des mondes en fusion... 
    Elle avait appris toute petite... Elle venait d'avoir juste quatre ans, au moment de la 
    guerre civile... Sa mère, c'était une bourgeoise, une actrice... Un soir de perquisition, y 
    avait beaucoup de monde dans leur cour... sa mère lui avait dit comme ça, tout 
    gentiment: "Nathalie, ma petite fille, attends-moi bien, ma petite chérie... Sois bien 
    sage... Je vais descendre voir jusqu'en bas... ce qui se passe... Je remonterai tout de 
    suite avec le charbon...". Jamais sa mère n'était remontée, jamais elle n'était revenue... 
    C'est les Bolchévics qui l'avaient élevée Nathalie, dans une colonie, près de la ville 
    d'abord, un peu plus tard, très au Nord... Et puis après, en caravanes... Plusieurs 
    années comme ça... tout à travers la Russie... Elle racontait les frayeurs, et la rigolade 
    aussi des petits enfants... Toutes les pérégrinations! ... Des années... qu'on évacuait 
    tout le pensionnat quand les troupes ennemies [362] rappliquaient.. Les "rebelles" 
    d'abord le Kolchak... et puis le Wrangel... et puis encore le Denikine... Chaque fois, 
    c'était une aventure à travers les steppes... ça durait des mois et des mois... tous les 
    petits enfants trouvés... Il faut reconnaître, les bolcheviques, ils avaient fait tout leur 
    possible, pour qu'ils crèvent pas tous et toutes comme des mouches... tout le long des 
    pistes... Des fois, il faisait si froid, que les petits morts devenaient tout durs comme 
    des petites bûches... Personne pouvait creuser la terre... On pouvait pas les enterrer. 
    On les balançait du chariot, c'était défendu de descendre. Elle avait bien vu, Nathalie, 
    toute la guerre civile... et puis ensuite les Kaoulaks pourris d'or!... Elle avait dansé 
    avec eux... foiriné... mené fusiller des dizaines et des dizaines... Et puis ensuite les 
    privations, encore, toujours, d'autres privations... biennales, décennales, triquennales, 
    "quinquennales"... les torrents de jactance... maintenant elle guidait... Elle avait appris 
    le français, l'allemand, l'anglais, toute seule... Il lui passait par les doigts, à 
    "l'Intourist", les plus curieux hurons de la Boule... et puis infiniment de Juifs (95 pour 
    100)... Elle était discrète, secrète, Nathalie, c'était un caractère de fer, je l'aimais bien, 
    avec son petit nez astucieux, toute impertinente. Je ne lui ai jamais caché, une seule 
    minute, tout ce que je pensais... Elle a dû faire de beaux rapports... Physiquement, elle 
    était mignonne, une balte, solide, ferme, une blonde, des muscles comme son 
    caractère, trempés. Je voulais l'emmener à Paris. Lui payer ce petit voyage. Le Soviet 
    n'a pas voulu... Elle était pas du tout en retard, elle était même bien affranchie, pas 
    
    
    
    210 
    
    
    
    jalouse du tout, ni mesquine, elle comprenait n'importe quoi... Elle était butée qu'en 
    un point, mais alors miraculeusement, sur la question du Communisme... Elle 
    devenait franchement impossible, infernale, sur le Communisme... Elle m'aurait buté, 
    céans, pour m' apprendre bien le fond des choses... et la manière de me tenir... la 
    véritable contradiction!... Je me ratatinais. Il lui passait de ces éclairs à travers les 
    "iris" pervenche... qu'étaient des couperets... 
    
    On s'est cogné qu'une seule fois, mais terrible, avec Nathalie... C'était en revenant de 
    Tzarkoi, le dernier château du Tzar... Nous étions donc en auto... nous allions assez 
    bonne allure... cette route-là n'est pas mauvaise... Quand je lui fais alors la remarque... 
    à la réflexion... que je trouvais pas de très bon goût... cette visite... chez les victimes... 
    cette exhibition de fantômes... agrémentée de commentaires, de mille facéties... Cette 
    désinvolte, hargneuse [363] énumération... acharnée, des petits travers... mauvais 
    goût... ridicules manies "Romanoff... à propos de leurs amulettes, chapelets, pots de 
    chambre... Elle admettait pas... Elle trouvait parfaitement juste, Nathalie. J'ai insisté. 
    Malgré tout, c'est de là, de ces quelques chambres, qu'ils sont partis tous en chœur, 
    pour leur destin, les Romanoff... pour leur boucherie dans la cave... On pourrait peut- 
    être considérer... faire attention... Non! Je trouvais ça, moi, de mauvais goût! Encore 
    bien pire comme mauvais goût, cent fois pire que tous les Romanoff ensemble... Un 
    vrai très mauvais impair de dégueulasses sales Juifs... Ça me faisait pas plaisir du tout 
    de voir comme ça les assassins en train de faire des plaisanteries... dans la crèche de 
    leurs victimes... Je me trouvais d'un seul coup tzariste... Car ils furent bien assassinés, 
    mère, père, cinq enfants... jamais jugés, assassinés bel et bien, massacrés, absolument 
    sans défense dans la cave de Sibérie... après quels transbahutages!... des mois!... avec 
    ce môme hémophile... entre tous ces gardes sadiques et saouls, et les commissaires 
    judéotartars... Enfin la grande rigolade... On se rend compte... L'intimité des morts... 
    les pires salopes, avant de crounir... ça regarde plus personne... C'est pas toujours aux 
    assassins de venir dégueuler sur leurs tombes... Révolution ?... Bien sûr!... Certes! 
    Pourquoi pas ?... Mais mauvais goût, c'est mauvais goût... Le mauvais goût du Juif, la 
    bride sur le cou, c'est le massacre du blanc, sa torture. C'est la torture du blanc et le 
    profond instinct du Juif, le profond instinct du nègre. Toutes les saturnales 
    révolutionnaires d'abord puent le nègre, à plein bouc, le Juif et l'Asiate... Marat... 
    Kérenski... Béhanzin,... l'Euphrate... le Vaudoo... les magies équatoriales... les 
    esclaves aux requins... Saint-Domingue... c'est la même horreur qui surgit... Tout ça 
    c'est la même sauce dans le fond... ça suinte de la même barrique... 
    
    - Pourquoi ?... Pourquoi ?... qu'elle ressautait... Elle voulait pas, la carne, 
    comprendre... Le Tzar, il était sans pitié!... lui!... pour le pauvre peuple!... Il a fait 
    tuer!... fusiller!... déporter!... des milles et des milles d'innocents!... 
    
    - Les bolchévicks l'ont bien promené pendant des semaines, à travers toute la Sibérie. 
    Ils l'ont buté finalement dans la cave, avec tous ses gnières! à coups de crosse!... Alors 
    il a payé!... Maintenant on peut lui foutre la paix... le laisser dormir... 
    
    - Il faut que le peuple puisse apprendre!... s'instruire!... Qu'il puisse voir de ses 
    propres yeux, comme les Tzars étaient stupides... [364] bourgeois... bornés... sans 
    goût... sans grandeur... Ce qu'ils faisaient de tout l'argent! les Romanoff! des millions 
    des millions de roubles qu'ils extorquaient au pauvre peuple... Le sang du peuple!... 
    des amulettes!... Avec tout le sang du peuple ils achetaient des amulettes! 
    
    
    
    211 
    
    
    
    - C'est pas quand même une raison... Ils ont payé... C'est fini!... 
    
    Elle était insultante, la garce!... Je me suis monté au pétard... Je suis buté comme 
    trente-six buffles, quand une gonzesse me tient tête... 
    
    - Vous êtes tous des assassins! que je l'ai insultée... encore pire que des assassins, 
    vous êtes tous que des sacrilèges vampiriques violeurs!... Vous criiez maintenant sur 
    les cadavres tellement vous êtes pervertis... Vous avez plus figure humaine... 
    Pourquoi vous les faites pas en cire ?... comme chez les Tussauds ? avec les blessures 
    béantes ?... et les vers qui grouillent?... 
    
    Ah! mais elle rebiffait, terrible. Elle voulait pas du tout admettre... la petite arrogante 
    saloperie... elle rebondissait dans la bagnole... Elle s'égosillait... "La Tzarine était pire 
    que lui!... encore pire... Mille fois plus!... cruelle je vous dis!... Un cœur de pierre!... 
    Elle! la vampire!... mille fois plus horrible que toute la Révolution. Jamais elle a 
    pensé au peuple!... Jamais à toutes les souffrances! de son pauvre peuple! qui venait la 
    supplier!... A tout ce qu'il endurait par elle!... Jamais!... Elle avait jamais souffert 
    elle!... 
    
    - La Tzarine ?... mais vertige d'horreur! mais trombe d'ordures! Mais elle avait eu 
    cinq enfants! Tu sais pas ce que c'est cinq enfants ? Quand toi t'auras eu le cul grand 
    ouvert comme elle! cinq fois de suite, alors tu pourras causer! ... Alors t'auras des 
    entrailles! de souffrances! de souffrances!... Purin! 
    
    C'est dire si j'étais en furie... C'était de sa faute! Je voulais la virer de la bagnole!... Je 
    me sentais plus! de brutalité! Je devenais tout Russe!... 
    
    Il fallut que le chauffeur il ralentisse... il arrête... qu'il intervienne, qu'il nous sépare... 
    on se bigornait... Elle a pas voulu remonter! elle était têtue... elle a fait tout le retour 
    jusqu'à Leningrad à griffe. Je l'ai pas revue pendant deux jours. Je croyais que je la 
    reverrais jamais... Et puis voilà, elle est revenue... C'était déjà oublié!... On était pas 
    rancuneux... Ça m'a fait plaisir de la revoir. Je l'aimais bien la Nathalie. J'ai eu d'elle 
    qu'une seule confidence, je parle une véritable confidence... quand je lui [365] parlais 
    de révolution... Je lui disais que bientôt, on l'aurait, nous aussi en France, le beau 
    communisme... qu'on avait tous les Juifs déjà... que ça mûrissait joliment... alors 
    qu'elle viendrait à Paris... que ça serait permis alors... qu'elle viendrait me voir avec 
    un Juif... 
    
    - Oh! vous savez, Monsieur Céline... c'est pas comme ça la révolution... Pour faire 
    une révolution, il faut deux choses bien essentielles... Il faut d'abord avant tout, que le 
    peuple crève de faim... et puis il faut qu'il ait des armes... toutes les armes... Sans ça... 
    rien à faire!... Il faudrait d'abord une guerre chez vous... une très longue guerre... et 
    puis des désastres... que vous creviez tous de faim... après seulement... après la guerre 
    civile... après la guerre étrangère... après les désastres... Il lui venait des doutes... 
    
    Jamais elle ne m'a reparlé de la sorte... Toujours elle était en défense... en attitude, 
    plus ou moins... Jamais elle-même... Je l'estimais... Je l'aurais bien ramenée à Paris... 
    C'était une parfaite secrétaire, secrète. 
    
    
    
    212 
    
    
    
    [366] J'ai des idées, moi, d'ailleurs sur la monarchie absolue, je les tiens d'un 
    anarchiste, que j'ai connu autrefois, à Londres, un anarchiste authentique - un Bulgare 
    
    - un pachyderme pour le poids. Il avait deux professions, il cumulait, accordeur de 
    piano et puis chimiste-teinturier. Je l'écoutais religieusement. On l'appelait 
    "Borokrom". J'étais qu'un petit jeune homme pas très affranchi à l'époque. Je 
    l'admirais énormément. J'étais facile à mystifier... 
    
    - J'ai gâché mon existence, tel que tu me vois, Ferdinand, qu'il me disait toujours. 
    J'aurais voulu être, moi, le Roi, tu vois, d'un immense, puissant Royaume... Et puis 
    que tous mes sujets, tu m'entends, tous! sans aucune espèce d'exception, ils m'auraient 
    tous hai à la mort! Ils n'auraient pensé qu'à cela... me faire la peau... me résoudre... 
    semaine et dimanche... ça les aurait réveillés en sursaut, une idée pareille... Ils 
    auraient ourdi, comploté sans interruption contre mes jours... Chaque fois que je serais 
    sorti de mon château magnifique, dans mon carrosse de grand gala... il me serait 
    tombé sur la gueule quelque chose comme affreuses bombes! Des pluies! mon ami, 
    des averses! des déluges des plus terribles grenades!... des "fulminants" de tous 
    calibres... Je n'aurais jamais survécu que par miracle... par l'effet de tout un subtil 
    agencement, de tout un concours de prodigieuses circonstances... J'aurais été de mon 
    côté royal plus fumier encore si possible que tous mes sujets à la fois... absolument 
    sans pitié... [367] sans parole... sans merci... J'aurais gouverné cette masse haineuse 
    encore plus haineusement et absolument solitaire! par la menace, les exécutions, 
    l'outrage et le défi perpétuel!... A l'abri de ma formidable citadelle, j'aurais imaginé 
    sans répit d'autres insultes, d'autres forfaitures, d'autres outrages! encore! toujours 
    plus abominables! pour navrer mes odieux sujets! D'autres moyens de me rendre 
    toujours plus abject, plus démoniaque, plus implacable! plus impopulaire! Ainsi je les 
    aurais définitivement fascinés. Jamais je n'aurais eu un de ces gestes de clémence, de 
    faveur, d'abandon qui vous discréditent un tyran mieux que cent mille pendaisons. Je 
    n'aurais pendu, moi, que les tendres, les compréhensifs, les pitoyables... les 
    évangéliques... les bienfaisants de tous poils... J'aurais organisé d'immenses concours 
    de rosiers et de rosières... pour les fouetter tous et toutes ensuite à mort... devant toute 
    la populace... Je me serais parjuré sans cesse, sans limite, sans répit... sauf pour 
    infliger à mes sujets d'autres vexations., les opprimer, les saccager davantage, dans 
    tous les sens et façons. Haine pour haine! et sans limite!... ma devise royale. J'aurais 
    vécu tout seul, campé sur les revenus de mon immense Trésor, retranché dans mes 
    carrosses de grand gala... Je les aurais tenu, mes abominables sujets, angoissés, 
    haletants, attentifs à mes moindres gestes, toujours aux aguets, sous le coup d'une 
    nouvelle iniquité, et cela pendant toute la durée de mon règne. Jamais un seul jour ne 
    se serait passé sans quelque horrible déni de justice, quelque atroce méfait royal... 
    l'écarté lement d'un juste, l'ébouillantage d'un innocent... Ah! ce peuple ignoble! le 
    vois-tu? toujours fébrile, délirant de fragiles, fugaces espoirs de me réduire très 
    prochainement en bouillie, en pâtée sanglante sous les débris de mon magnifique 
    carrosse? Mon règne aurait été de cette façon, j'en suis certain, exceptionnellement 
    réussi, le plus heureux en vérité de tous les règnes, de toute l'Histoire - sans guerre, 
    sans révolution, sans famine, sans banqueroute. Ces calamités n'affligent en effet les 
    peuples que parce qu'elles sont très longtemps à l'avance désirées, amenées, 
    préméditées, pensées, mijotées, par toute la rumination des masses... l'oisiveté 
    sadique, ruineuse des peuples. Mes sujets surhaineux n'auraient jamais eu le temps, 
    eux, de penser à ces sottises, à ces catastrophes! Je les aurais bien trop occupés par 
    mes inépuisables trouvailles, mes infernales vacheries!... Ils se seraient bien trop 
    passionnés sur la meilleure, prompte manière, la plus effroyable, de me réduire en 
    
    
    
    213 
    
    
    
    caillots, en marmelade de [368] viscères. J'aurais fait, moi leur monarque, l'accord de 
    toutes les haines de mon Royaume, je les aurais centralisées, magnétisées, fanatisées 
    sur ma propre royale personne. Voici le seul moyen royal, Ferdinand, de 
    véritablement régner! gouverner! Ah! Ferdinand! ma vie eût été alors autre chose! une 
    destinée merveilleusement utile... tandis qu'à présent, tu vois, je parle... je me gaspille 
    comme je peux... 
    
    [369] Elle l'emportait facilement Nathalie dans la controverse... la doctrine... A vrai 
    dire je n'existais pas... Elle avait suivi tous les cours de "Dialectique Matérialiste". 
    Elle possédait comme les curés sur le bout du doigt, toutes les questions, toutes les 
    réponses. 
    
    - Les capitalistes que font-ils ?... 
    
    - Ils exploitent le malheureux peuple, ils spéculent, ils accaparent!... 
    
    - Que font-ils de leurs capitaux ?... 
    
    - Ils agiotent encore et toujours... ils trustent les matières premières... ils créent la 
    rareté... 
    
    - Que font-ils de leur fortune? dorment-ils chaque nuit dans trois lits ?... Possèdent-ils 
    quatorze maîtresses?... Se promènent-ils à la fois dans dix-huit automobiles?... 
    Habitent-ils vingt-deux maisons?... Se gavent-ils dix-sept fois par jour?... des mets les 
    plus faisandés? Que font-ils en définitive de tout ce terrible pognon? qu'ils extorquent 
    à l'écrasé, courbé, gémissant peuple? 
    
    Ah! ça ne troublait pas Nathalie, ces petites astuces. 
    
    - Ils se passent tous leurs caprices... 
    
    Voilà ce qu'elle avait trouvé... Du coup, je la possédais... Je reprenais tout l'avantage. 
    Elle était collée, malhabile, sur la question du "caprice"... Caprice pour elle, c'était un 
    mot... Rien de plus! Elle en avait jamais vu des "caprices"... des caprices de 
    capitalistes... Elle était bien incapable de me définir, de me citer un bon exemple de 
    caprice... Je la mettais en boîte avec son [370] "caprice"... je la faisais enrager... Un 
    jour quand même, sur la fin, elle a demandé "pouce"... Ça l'intriguait que je lui 
    raconte ce que c'était vraiment un "caprice". J'ai cherché un bon exemple, pour qu'elle 
    sache dorénavant, quand elle parlerait aux touristes: 
    
    - Voilà, j'ai dit, écoute-moi bien, je vais t'affranchir, ma mignonne. J'étais tout jeune à 
    l'époque, ça se passait à Nice, vers 1910, je faisais le livreur pour la saison chez un 
    bijoutier très fameux, M. Ben Corème... boulevard Masséna... J'avais tout à fait la 
    confiance de mon patron, Ben Corème, "le joaillier des élégantes" et des "Grands 
    Cercles et du Casino". Mes parents, si pauvres, mais si foncièrement honnêtes, avaient 
    juré sur leur vie, que je ne ferais jamais tort d'un sou... qu'on pouvait me confier des 
    trésors. En fait, on m'en confiait souvent - c'était pas des mots. Mr. Ben Corème 
    m'avait tout de suite mis à l'épreuve... et puis ne voyait plus que moi pour me confier 
    ses diadèmes, ses parures les plus mirifiques, ses sautoirs de plusieurs mètres... Je me 
    tapais plusieurs fois par jour la grimpette du Mont-Boron, vers les Palaces de la Côte, 
    
    
    
    214 
    
    
    
    surchargé, à pleins écrins, de gemmes en pagaie, d'ors, de platines, et de "rivières»... 
    pour le choix des "élégantes"... des plus grandes cocottes de l'époque... aux lubies 
    d'une clientèle "high-life", la plus extravagante d'Europe, des "cercleux" les plus 
    fantasques, des Reines du Boudoir. Dans mes poches, fermées par épingles de 
    nourrice, je promenais dans une seule journée plus de richesses qu'un galion 
    d'Espagne, retour du Pérou. Mais il fallait que je fasse vinaigre, que je drope 
    drôlement dans la côte... pour revenir au magasin le plus vite possible. J'avais encore 
    un autre travail également de confiance - auquel Mr. Ben Corème tenait aussi 
    essentiellement. Je devais rester debout dans l'arrière -boutique, derrière de petits 
    carreaux, derrière les brise-bise... Mais je devais jamais me montrer... jamais rentrer 
    dans la boutique! C'est moi qui surveillais les mains des clients et des clientes... 
    C'était ma consigne... épier les moindres furtifs gestes... surtout les furtifs gestes... Les 
    poignes!... Pas quitter des yeux les poignes!... jamais... Voilà... C'est délicat pour un 
    vendeur, quand on réfléchit, d'observer comme ça les mains... Il peut pas tout faire... Il 
    doit rester, lui, tout sourires. Il doit faire le joli cœur au-dessus du guéridon... tout 
    prévenant... tout désinvolte... Il doit pas loucher vers les poignes... C'est pas une 
    manière... C'était moi le bigleur... le lynx... Je connaissais tous les clients... Ils me 
    connaissaient pas... Je connaissais tous les voleurs. Dans les 
    
    [36] (p. 371-379) 
    
    [371] Italiens et les Slaves il y avait des pervers... surtout chez les femmes... les 
    Russes, les plus huppées aristocrates... y en avait des drôles parmi... des piqueuses 
    friponnes!... taquines!... C'était leur vice d'estoufarès une petite parure... Ah! les 
    "manchettes" c'était la mort... Je gafais... je voyais venir... A l'instant... Pssss!... où ça 
    filait dans le manchon. Je "toc-toc-toc"! trois petits coups à ma porte... C'était entendu 
    avec Ben Corème... Ça s'arrangeait toujours très bien, jamais un scandale. 
    
    Faut pas que je pleurniche, y avait du plaisir dans mon rôle... des compensations... 
    quand elles étaient belles les clientes... assises... froufroutantes... je prenais des jetons 
    terribles, je regardais les jambes. Je m'hypnotisais... Ah! le moulé des cuisses... Ah! ce 
    que je me suis bien branlé... Ah! ces divines poignes ! Ah! ça je peux bien l'avouer sur 
    toutes les Reines de l'époque je me suis taillé des rassis... tout debout, dans l'arrière- 
    boutique, en faction pour Mr. Corème. J'ai eu une belle puberté, des rages de cul 
    fantastiques. Ça m'empêchait pas d'être honnête et d'une vigilance impeccable... Pour 
    toute cette confiance, cet alpinisme aux livraisons, cette lynxerie préventive et puis le 
    ménage de la boutique (ouverture et fermeture avec le garçon), je gagnais 55 francs 
    par mois... Avec les pourliches, j'arrivais très bien - sauf pour les tatanes où j'avais du 
    mal... à cause surtout du Mont-Boron... des pentes de cailloux terribles... que je 
    m'arrachais toutes les semelles... Elles me faisaient pas 15 jours, mes chaussures, 
    tellement je poulopais... Mr. Ben Corème a compris, à la fin c'est lui qui me faisait 
    ressemeler. 
    
    Nous avions dans la clientèle un grand personnage merveilleux, pas voleur du tout 
    celui-là, au contraire, un vrai prodigue, le propre oncle du Tzar, le Très Grand Duc 
    Nicolas Nicolaievitch. Il est facile à se souvenir, ne serait-ce que par la taille... il 
    faisait au moins deux mètres. C'est lui, cet immense, qu'a perdu la guerre en définitive 
    et les armées russes. Ah! j'aurais pu leur annoncer déjà en 1910 qu'il allait tout 
    perdre... Il savait jamais ce qu'il voulait... Un tantôt, comme ça, il est entré dans la 
    
    
    
    215 
    
    
    
    boutique... il était pressé, il fallait qu'il se baisse pour franchir la porte, le cadre. Il se 
    cogne... Il était pas content... Il s'assoit. Il se tâte... 
    
    - Dites donc, qu'il fait, Ben Corème, je voudrais un cadeau pour une dame. Il me faut 
    un bracelet... 
    
    Vite on lui amène les objets... des plateaux entiers... y en avait pour des fortunes... 
    C'était pas du toc chez Corème... Il regarde... il regarde, Grand Nicolas... Il trifouille... 
    il examine... Il pouvait pas se décider... Il se relève, il relève ses deux mètres.. Il va 
    pour sortir... "Au revoir"! BingL. Il se recogne dans le haut de la porte... Ça le fait 
    rebondir à l'intérieur... Il s'assiste... Il se retâte le crâne. Il avait mal... 
    
    - Ah! tenez, donnez-moi tout ça Corème!... 
    
    A pleines poignes, alors, il fauche tous les bracelets sur la table... Il s'en remplit son 
    pardessus... plein ses poches... 
    
    - Là!... qu'il fait... Maintenant montrez-moi les porte-cigarettes! On lui passe tout le 
    choix sous les yeux... Il reste abruti devant un moment... toutes les boîtes en or... les 
    "serties" diamants... après il les ouvre toutes... il les referme sec... il s'amuse à les faire 
    claquer... PlocL. PlacL. Ploc!... PlacL PlocL. Puis ça l'agace.. Il rafle tout 
    l'assortiment... deux... trois douzaines... Il force le tout dans ses poches en plus des 
    bracelets... Il se lève... Il se dirige vers la porte... "Sire! Sire! attention! la tête!...". Ben 
    Corème il a bondi... Le Grand Duc s'incline... avec le sourire... il passe... Mais là, sur 
    le seuil, il se ravise... il pivote... brusquement demi-tour... Il va rentrer dans la 
    boutique... Bamm!... il se refout un grand coup dans le chambranle! Il se tient la tête à 
    deux mains... Il recule... 
    
    - Corème! Corème!... Vous enverrez votre note à Saint-Pétersbourg! à mon neveu... Il 
    choisira là-bas... lui!... là bas!... Ça vaudra mieux!... Ça vaudra beaucoup mieux!... 
    
    Voilà du caprice!... Nathalie... Voilà de l'authentique caprice!... ou alors je m'y 
    connais plus... Il faut retenir, Nathalie, ce bon exemple de caprice... 
    
    Pauvre Nicolas Nicolaievitch, les caprices continuent toujours pour ce qui concerne sa 
    mémoire... 
    
    Par l'effet des circonstances, son grand Palais sur la Neva, il est devenu depuis 18 
    "L'Institut pour le Cerveau", l'Etude des Phénomènes Psychiques. 
    
    C'est fortuit, mais ça tombe pile. 
    
    -Tu vois comme la vie passe drôlement... et comme le monde est petit, même pour le 
    grand Nicolas Nicolaievitch, qui n'avait pas lui, de tête du tout... 
    
    Ça la faisait rire Nathalie... cette petite histoire, mais modérément, elle croyait que 
    j'allais recommencer, comme pour Tsarkoi-Selo... me repayer une crise... Elle me 
    trouvait retors. 
    
    
    
    216 
    
    
    
    [373] Cela suffit au fond ces trois mots qu'on répète: le temps passe... cela suffit à 
    tout... 
    
    Il n'échappe rien au temps... que quelques petits échos... de plus en plus sourds... de 
    plus en plus rares... Quelle importance?... 
    
    Il m'est parvenu quelques lettres de Russie... de Nathalie... Je ne réponds jamais aux 
    lettres... Un long silence... et puis un dernier petit message... 
    
    Cher Monsieur Céline, 
    
    Ne me croyez pas morte, ni disparue... J'étais bien malade seulement pendant ces mois 
    et je ne pouvais pas vous écrire. C'est passé! Je suis guérie, seulement je ne suis pas si 
    forte qu'autrefois... L'hiver est fini, c'est le printemps chez nous aussi, avec le soleil 
    que j'attendais... avec tant d'impatience. Mais je me sens encore très faible et un peu 
    triste. Vous n'écrivez plus... Est-ce que vous m'avez oubliée déjà ?... Nous avons des 
    visiteurs de chez vous maintenant à Leningrad et nous en attendons beaucoup pour les 
    fêtes de juin. Allez- vous venir aussi un jour ?... Ce sera ravissant. Je voudrais bien 
    avoir des nouvelles de vous et je vous donne l'adresse de ma maison. 
    
    Mes meilleurs sentiments. 
    
    Nathalie. 
    
    Et puis voilà... 
    
    Tout doucement, ils deviendront tous fantômes... et tous... et [374] tous... et Yubelblat 
    et Borokrom... et la Grand'mère... et Nathalie... tout à fait comme Elisabeth... l'autre 
    Impératrice... comme le Nicolas Nicolaievitch qu'avait tant de mal à choisir... comme 
    Borodine... comme Jacob Schiff... qu'était si riche et si puissant... comme toute 
    "l'Intelligence Service"... et "l'Institut du Cerveau"... comme mes chaussures au Mont 
    Boron... tout ça partira fantôme... loûû!... loûûû!... On les verra sur les landes... Et ce 
    sera bien fait pour eux... Ils seront plus heureux, bien plus heureux, dans le vent... 
    dans les plis de l'ombre... vloûûû... vloûûû... dansant en rond... Je ne veux plus partir 
    nulle part... Les navires sont pleins de fantômes... vers l'Irlande... ou vers la Russie... 
    Je me méfie des fantômes... Ils sont partout... Je ne veux plus voyager... c'est trop 
    dangereux... Je veux rester ici pour voir... tout voir... Je veux passer fantôme ici, dans 
    mon trou... dans ma tanière... Je leur ferai à tous... Hou! rouh!... Hou!... rouh!... Ils 
    crèveront de peur... Ils m'ont assez emmerdé du temps que j'étais vivant... Ça sera 
    bien mon tour... 
    
    Et puis ce ballet?... Il était prêt... J'en étais assez content... Toujours à propos de 
    fantômes... Je le destinais à Leningrad... Et puis voilà!... Les circonstances... 
    dommage... tant pis!... Je vais vous lire le début de ce long divertissement... une 
    bagatelle! Tout?... Je vous ennuierais... Est-ce une épopée bien plausible?... une 
    intention très pondérable?... Non!... Un petit sursaut simplement entre la mort et 
    l'existence... exactement à notre mesure... voici qui danse exactement entre la mort et 
    l'existence... cela distrait... vous emporte!... Vous me suivez?... Un peu de lumière et 
    d'accord... Le Rêve nous emporte... Mais la Musique?... Ah! Voici toute mon 
    angoisse... Je retombe tout empêtré!... Musique!... ailes de la Danse! Hors la musique 
    
    
    
    217 
    
    
    
    tout croule et rampe... Musique édifice du Rêve!... Je suis encore une fois frit... Si 
    vous entendiez causer, par hasard, dans vos relations... d'un musicien assez fragile... 
    qui ne demande qu'à bien faire... Je vous prie... un petit signe... Je lui ferai des 
    conditions... entre la mort et l'existence... une situation légère... Nous pourrons 
    sûrement nous entendre... 
    
    [375] 
    
    VAN BAGADEN 
    Grand Ballet Mime et quelques paroles 
    
    Ces événements se déroulent à Anvers, aux environs de 1830. La scène représente 
    l'intérieur d'un hangar immense. Tout un peuple de portefaix, dockers, douaniers, 
    s'affairent, colportent, transbordent, dépiautent, éventrent... colis... tissus... soieries... 
    coton... graines... cargos de tous ordres... Ils vont... ils viennent d'une porte vers 
    l'autre... Dans le fond du hangar, entre cloisons... de hauts, très hauts amas de 
    marchandises en vrac... entassées... Thé... café... épices... draperies... campèche... 
    boiseries... bambous... cannes à sucre... Dans l'animation qui règne, la grande 
    bousculade, l'on remarque un groupe de pimpantes ouvrières... gracieuses... mutines... 
    au possible!... Elles passent... et reviennent... ailées... chatoyantes... coquettes... parmi 
    ces équipes de lourds, suants, tâcherons... s'affairent... vont et reviennent... Les 
    parfumeuses! ... Elles apprêtent, versent les parfums... en flacons... avec mille 
    délicatesses... les parfums d'Arabie... des Indes... d'Orient... Grande crainte d'être 
    bousculées... avec leurs précieux flacons... petits cris d'émoi!... d'effroi!... froufrous! 
    Hument toutes [376] premières, les essences des flacons... délices! Petites extases!... 
    Elles se querellent à propos des parfums... du rangement des flacons... Elles occupent 
    avec leurs étagères et leurs fioles... bonbonnes... leurs comptoirs... tout un côté du 
    hangar... une volière... toujours pépiante... tout agitée... Les "cigarières" autres 
    coquettes, occupent tout l'angle opposé... perdent aussi beaucoup de temps en menus 
    manèges... vont, viennent... jabotent... caquettent... Tout ce petit monde évolue entre 
    les "corvées" de dockers... qui vont et reviennent des navires... Lente procession de 
    "forts", chargés à rompre de très lourds fardeaux... "balles" énormes... troncs d'arbre... 
    quelques porte-faix se moquent... lutinent les parfumeuses... chipent aux cigarières... 
    au passage... plongent dans les barils pleins de "carottes"... Grand vacarme... 
    disputes... danses... ensembles... Tohu-bohu... de l'énorme hangar... bourdonnement 
    d'activité... de travail... de disputes... On entend aussi les rumeurs du grand port... les 
    sirènes... les appels... les chants des hommes en corvées... des chansons de 
    manœuvres... à haler... etc.. et puis d'autres musiques... des orgues de Barbarie... des 
    musiciens de la rue... Un nègre surgit... bondit du quai en plein hangar... petit 
    intermède sauvage... Il s'en va comme il est venu, le nègre... d'un bond! ... 
    
    L'on remarquera dès le début que l'une des parfumeuses se montre plus gracieuse, 
    plus enjouée que toutes les autres... plus coquette que toutes... pimpante au possible... 
    la première danseuse... Mitje. Dans un coin, dans un angle de ce hangar, un réduit... 
    Le spectateur verra l'intérieur de cette cahute: le Bureau de l'Armateur... séparé de la 
    cohue générale du grand hangar par un énorme paravent. Dans le réduit, l'armateur 
    Van Bagaden... ratatiné au possible... au fond d'un formidable fauteuil, très desséché, 
    podagre et quinteux... Van Bagaden! Il ne peut plus bouger de son fauteuil... remuer à 
    peine... Il ne quitte plus jamais son fauteuil, ce réduit... C'est là qu'il vit, sacre, jure, 
    peste, dort, menace, mange, crache jaune, et garde tout son or... l'or qui lui arrive par 
    
    
    
    218 
    
    
    
    cent bateaux... Armateur sur toutes les mers du monde!... Ainsi nous voyons Van 
    Bagaden, tyran des mers et des navigateurs, dans son antre. Il porte autour de la tête 
    un grand turban noir qui le protège des courants d'air... Il est emmitouflé de laines 
    épaisses. La tête seule émerge de tous ces pansements... Il n'arrête pas de sacrer, jurer, 
    vitupérer son commis, le malheureux Peter... Celui-ci, toujours auprès de lui, haut 
    perché sur son tabouret de [377] comptable, n'arrête pas d'aligner des chiffres... 
    d'additionner... d'énormes registres... Tout le pupitre est encombré par ces registres 
    monstrueux... Le très vieux Van Bagaden, enrage, menace, momie coriace, maudit! 
    Peter, à son gré, ne va jamais assez vite... dans ses comptes... Van Bagaden, de sa 
    grosse canne, frappe le plancher... Il se trémousse dans son fauteuil... Il n'arrête 
    jamais... Peter sursaute à chaque coup de canne... Le bruit du vacarme, le tohu-bohu 
    du hangar... Van Bagaden en est excédé... Ses ouvriers s'amusent donc au lieu de 
    travailler!... Il entend les fillettes, les rires des ouvrières, les joyeuses clameurs. Il n'a 
    donc plus d'autorité! Il est trop vieux!... Toutes ces petites canailles le narguent! lui 
    échappent!... Il ne peut plus se faire obéir! Damnation!... Il veut s'extirper de son 
    fauteuil!... Il retombe... Et chaque fois qu'il cogne, en colère, le plancher... avec sa 
    terrible canne... les petites ouvrières, loin de s'émouvoir, et les gars aux corvées, tout 
    ce peuple en labeur, se moque et scande! à la cadence! de la canne!... Désespoir du 
    vieux Van Bagaden défié!... ridicule!... (Les souris dansent, le vieux chat ne peutplus 
    bouger...) Les petites parfumeuses, espiègles, viennent jeter un regard au paravent... et 
    puis s'enfuient, toutes boudeuses... surtout la coquette Mitje, la plus vivace, la plus 
    friponne... de tout cet essaim effronté... Peter, le commis fidèle, est lui amarré à ses 
    énormes registres par une chaîne... et puis retenu encore à son tabouret par une solide 
    ferrure... Peter est le souffre-douleur du terrible vieux tyran Bagaden... Il sursaute, 
    Peter, de terreur, avec son tabouret... chaque fois que la canne du vieux cogne le 
    plancher. Il recommence encore une fois toutes ses additions... 
    
    Un capitaine au long cours pénètre dans le hangar, fend, traverse les groupes... Il vient 
    avertir le vieux Bagaden... 
    
    A l'oreille, il lui murmure quelques mots... Le vieux Bagaden, cogne... recogne... le 
    plancher à toute volée... Peter sursaute... Bagaden passe à Peter une petite clef... Peter 
    ouvre le cadenas de son entrave. Il peut descendre de son tabouret... Il sort du hangar 
    avec le capitaine... 
    
    Grand intérêt dans le hangar... Grand émoi... Grand bavardage... Commentaires... On 
    attend... 
    
    Au bout d'un moment Peter revient, traînant derrière lui dans un lourd filet, captive 
    dans ce filet, une énorme masse... un entassement prodigieux de perles... un 
    formidable sautoir... un bijou fantastique... tout en perles... chacune grosse comme 
    une orange... [378] Peter refuse qu'on l'aide à traîner ce magnifique fardeau jusqu'aux 
    pieds de son maître Van Bagaden... La danse est interrompue... Toute la foule dans le 
    hangar... manœuvres, marins, ouvriers, ouvrières... commentent admirativement 
    l'arrivée de ce nouveau trésor. Van Bagaden, ne sourcille pas. Il fait déplacer un peu 
    son fauteuil... Il fait ouvrir à Peter le coffre très profond qui se trouve juste derrière 
    lui. Peter referme avec beaucoup de précautions, dans cette petite caverne, 
    l'extraordinaire joyau... et puis regrimpe sur son tabouret, refixe la chaîne autour de sa 
    cheville... ferme le cadenas, remet la petite clef à Van Bagaden, recommence ses 
    additions... Et le travail reprend partout... Un moment passe... et puis un autre 
    
    
    
    219 
    
    
    
    capitaine revient... chuchoter une autre nouvelle à l'oreille du vieux Van Bagaden... 
    Exactement tout le même manège recommence. Peter revient cette fois chargé de 
    coffrets et de besaces... d'autres joyaux, doublons... pierres précieuses... rubis... 
    émeraudes géantes... Tout ceci encore est enfermé à triple tour, même cérémonie, 
    derrière le vieux Bagaden... 
    
    Interrompu un petit moment... tout le trafic du hangar, le colportage des lourds 
    fardeaux... reprend endiablé... 
    
    Sur le quai... du lointain... nous parviennent, à présent, les échos d'une fanfare très 
    martiale... fanfare qui se rapproche... elle passe. On la voit passer devant la grande 
    porte... grande ouverte... Dans le fond... soldats... bourgeois... matelots... en franche 
    bordée... Gais lurons... ivrognes... une foule en pleine effervescence... joyeuse... 
    déchaînée... Immenses drapeaux flottants qui passent... au-dessus de la foule... 
    Bannières imagées... et puis un "saint" tout minuscule sur un palanquin... et puis 
    d'immenses géants tout en carton... emportés par la foule... en goguette!... Le vieux 
    Bagaden, cloué dans son réduit... peste... enrage... contre toute cette nouvelle 
    bacchanale, ce tintamarre... qui déferle!... 
    
    Quelle rage de se divertir possède donc tout le monde!... Van Bagaden, lui, ne s'est 
    jamais amusé! ... La joie lui fait horreur et les grossières farandoles de cette canaille 
    plus que tout le reste! ... Il se soulève un peu de son fauteuil, au prix de quels 
    efforts!... quelles souffrances!... de quelle agonie!... Enfin il aperçoit un peu... Quelle 
    horreur! tous ces fantoches en délire... Il dépêche vite Peter... vers cette nouvelle 
    cohue!... Cette sarabande insultante!... "Rappelle au labeur, tout de suite... à l'ordre! 
    toute cette crapule!... Prends ma canne! donc! Peter!... bâtonne!... assomme-moi tous 
    ces voyous!... Qu'on m'obéisse!"... 
    
    [379] Mais la fête à présent monte... enfle... submerge tout le quai... tout l'espace!... 
    tous les échos!... 
    
    Le pauvre Peter, tout éperdu, avec son bâton, se démène tout seul contre toute cette 
    foule... contre toute cette joie, cette folie... l'immense farandole 
    
    FIN 
    
    
    
    220 
    

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  • I

    M. MYRIEL

     

    En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque de Digne. C’était un vieillard d’environ soixante-quinze ans ; il occupait le siége de Digne depuis 1806.

    Quoique ce détail ne touche en aucune manière au fond même de ce que nous avons à raconter, il n’est peut-être pas inutile, ne fût-ce que pour être exact en tout, d’indiquer ici les bruits et les propos qui avaient couru sur son compte au moment où il était arrivé dans le diocèse. Vrai ou faux, ce qu’on dit des hommes tient souvent autant de place dans leur vie et souvent dans leur destinée que ce qu’ils font. M. Myriel était fils d’un conseiller au parlement d’Aix ; noblesse de robe. On contait que son père, le réservant pour hériter de sa charge, l’avait marié de fort bonne heure, à dix-huit ou vingt ans, suivant un usage assez répandu dans les familles parlementaires. Charles Myriel, nonobstant ce mariage, avait, disait-on, beaucoup fait parler de lui. Il était bien fait de sa personne, quoique d’assez petite taille, élégant, gracieux, spirituel ; toute la première partie de sa vie avait été donnée au monde et aux galanteries.

    La révolution survint, les événements se précipitèrent ; les familles parlementaires, décimées, chassées, traquées, se dispersèrent. M. Charles Myriel, dès les premiers jours de la révolution, émigra en Italie. Sa femme y mourut d’une maladie de poitrine dont elle était atteinte depuis longtemps. Ils n’avaient point d’enfants. Que se passa-t-il ensuite dans la destinée de M. Myriel ? L’écroulement de l’ancienne société française, la chute de sa propre famille, les tragiques spectacles de 93, plus effrayants encore peut-être pour les émigrés qui les voyaient de loin avec le grossissement de l’épouvante, firent-ils germer en lui des idées de renoncement et de solitude ? Fut-il, au milieu d’une de ces distractions et de ces affections qui occupaient sa vie, subitement atteint d’un de ces coups mystérieux et terribles qui viennent quelquefois renverser, en le frappant au cœur, l’homme que les catastrophes publiques n’ébranleraient pas en le frappant dans son existence et dans sa fortune ? Nul n’aurait pu le dire ; tout ce qu’on savait, c’est que, lorsqu’il revint d’Italie, il était prêtre.

    En 1804, M. Myriel était curé de B. (Brignolles). Il était déjà vieux, et vivait dans une retraite profonde.

    Vers l’époque du couronnement, une petite affaire de sa cure, on ne sait plus trop quoi, l’amena à Paris. Entre autres personnes puissantes, il allait solliciter pour ses paroissiens M. le cardinal Fesch. Un jour que l’empereur était venu faire sa visite à son oncle, le digne curé, qui attendait dans l’antichambre, se trouva sur le passage de sa majesté. Napoléon, se voyant regarder avec une certaine curiosité par ce vieillard, se retourna, et dit brusquement :

    Quel est ce bonhomme qui me regarde ?

    Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme, et moi je regarde un grand homme. Chacun de nous peut profiter.

    L’empereur, le soir même, demanda au cardinal le nom de ce curé, et quelque temps après M. Myriel fut tout surpris d’apprendre qu’il était nommé évêque de Digne.

    Qu’y avait-il de vrai, du reste, dans les récits qu’on faisait sur la première partie de la vie de M. Myriel ? Personne ne le savait. Peu de familles avaient connu la famille Myriel avant la révolution.

    M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une petite ville où il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu de têtes qui pensent. Il devait le subir, quoiqu’il fût évêque et parce qu’il était évêque. Mais, après tout, les propos auxquels on mêlait son nom n’étaient peut-être que des propos ; du bruit, des mots, des paroles, moins que des paroles, des palabres, comme dit l’énergique langue du midi.

    Quoi qu’il en fût, après neuf ans d’épiscopat et de résidence à Digne, tous ces racontages, sujets de conversation qui occupent dans le premier moment les petites villes et les petites gens, étaient tombés dans un oubli profond. Personne n’eût osé en parler, personne n’eût osé s’en souvenir.

    M. Myriel était arrivé à Digne accompagné d’une vieille fille, mademoiselle Baptistine, qui était sa sœur et qui avait dix ans de moins que lui.

    Ils avaient pour tout domestique une servante du même âge que mademoiselle Baptistine, et appelée madame Magloire, laquelle, après avoir été la servante de M. le curé, prenait maintenant le double titre de femme de chambre de mademoiselle et femme de charge de monseigneur.

    Mademoiselle Baptistine était une personne longue, pâle, mince, douce ; elle réalisait l’idéal de ce qu’exprime le mot « respectable » ; car il semble qu’il soit nécessaire qu’une femme soit mère pour être vénérable. Elle n’avait jamais été jolie ; toute sa vie, qui n’avait été qu’une suite de saintes œuvres, avait fini par mettre sur elle une sorte de blancheur et de clarté, et, en vieillissant, elle avait gagné ce qu’on pourrait appeler la beauté de la bonté. Ce qui avait été de la maigreur dans sa jeunesse était devenu, dans sa maturité, de la transparence ; et cette diaphanéité laissait voir l’ange. C’était une âme plus encore que ce n’était une vierge. Sa personne semblait faite d’ombre ; à peine assez de corps pour qu’il y eût là un sexe ; un peu de matière contenant une lueur ; de grands yeux toujours baissés ; un prétexte pour qu’une âme reste sur la terre.

    Madame Magloire était une petite vieille, blanche, grasse, replète, affairée, toujours haletante, à cause de son activité d’abord, ensuite à cause d’un asthme.

    À son arrivée, on installa M. Myriel en son palais épiscopal avec les honneurs voulus par les décrets impériaux qui classent l’évêque immédiatement après le maréchal de camp. Le maire et le président lui firent la première visite, et lui de son côté fit la première visite au général et au préfet.

    L’installation terminée, la ville attendit son évêque à l’œuvre.

     

    II

    M. MYRIEL DEVIENT MONSEIGNEUR BIENVENU

     

    Le palais épiscopal de Digne était attenant à l’hôpital.

    Le palais épiscopal était un vaste et bel hôtel bâti en pierre au commencement du siècle dernier par monseigneur Henri Puget, docteur en théologie de la faculté de Paris, abbé de Simore, lequel était évêque de Digne en 1712. Ce palais était un vrai logis seigneurial. Tout y avait grand air, les appartements de l’évêque, les salons, les chambres, la cour d’honneur, fort large, avec promenoirs à arcades, selon l’ancienne mode florentine, les jardins plantés de magnifiques arbres. Dans la salle à manger, longue et superbe galerie qui était au rez-de-chaussée et s’ouvrait sur les jardins, monseigneur Henri Puget avait donné à manger en cérémonie, le 29 juillet 1714, à messeigneurs Charles Brûlart de Genlis, archevêque prince d’Embrun, Antoine de Mesgrigny, capucin, évêque de Grasse, Philippe de Vendôme, grand-prieur de France, abbé de Saint-Honoré de Lérins, François de Berton de Crillon, évêque baron de Vence, César de Sabran de Forcalquier, évêque seigneur de Glandève, et Jean Soanen, prêtre de l’Oratoire, prédicateur ordinaire du roi, évêque seigneur de Senez. Les portraits de ces sept révérends personnages décoraient cette salle, et cette date mémorable, 29 juillet 1714, y était gravée en lettres d’or sur une table de marbre blanc.

    L’hôpital était une maison étroite et basse, à un seul étage, avec un petit jardin.

    Trois jours après son arrivée, l’évêque visita l’hôpital. La visite terminée, il fit prier le directeur de vouloir bien venir jusque chez lui.

    Monsieur le directeur de l’hôpital, lui dit-il, combien en ce moment avez-vous de malades ?

    Vingt-six, monseigneur.

    C’est ce que j’avais compté, dit l’évêque.

    Les lits, reprit le directeur, sont bien serrés les uns contre les autres.

    C’est ce que j’avais remarqué.

    Les salles ne sont que des chambres, et l’air s’y renouvelle difficilement.

    C’est ce qui me semble.

    Et puis, quand il y a un rayon de soleil, le jardin est bien petit pour les convalescents.

    C’est ce que je me disais.

    Dans les épidémies, nous avons eu cette année le typhus, nous avons eu la suette miliaire il y a deux ans, cent malades quelquefois, nous ne savons que faire.

    C’est la pensée qui m’était venue.

    Que voulez-vous, monseigneur ? dit le directeur, il faut se résigner.

    Cette conversation avait lieu dans la salle à manger-galerie du rez-de-chaussée.

    L’évêque garda un moment le silence, puis il se tourna brusquement vers le directeur de l’hôpital.

    Monsieur, dit-il, combien pensez-vous qu’il tiendrait de lits rien que dans cette salle ?

    Dans la salle à manger de monseigneur ? s’écria le directeur stupéfait.

    L’évêque parcourait la salle du regard et semblait y faire avec les yeux des mesures et des calculs.

    Il y tiendrait bien vingt lits ! dit-il, comme se parlant à lui-même ; puis élevant la voix : — Tenez, monsieur le directeur de l’hôpital, je vais vous dire. Il y a évidemment une erreur. Vous êtes vingt-six personnes dans cinq ou six petites chambres. Nous sommes trois ici, et nous avons place pour soixante. Il y a erreur, je vous dis. Vous avez mon logis, et j’ai le vôtre. Rendez-moi ma maison. C’est ici chez vous.

    Le lendemain, les vingt-six pauvres malades étaient installés dans le palais de l’évêque, et l’évêque était à l’hôpital.

    M. Myriel n’avait pas de bien, sa famille étant ruinée par la révolution. Sa sœur touchait une rente viagère de cinq cents francs qui, au presbytère, suffisait à sa dépense personnelle. M. Myriel recevait de l’état comme évêque un traitement de quinze mille francs. Le jour même où il vint se loger dans la maison de l’hôpital, M. Myriel détermina l’emploi de cette somme, une fois pour toutes, de la manière suivante. Nous transcrivons ici une note écrite de sa main.

     

    NOTE POUR RÉGLER LES DÉPENSES DE MA MAISON.

    Pour le petit séminaire :

    quinze cents livres.

    Congrégation de la mission :

    cent livres.

    Pour les lazaristes de Montdidier :

    cent livres.

    Séminaire des missions étrangères à Paris :

    deux cents livres.

    Congrégation du Saint-Esprit :

    cent cinquante livres.

    Établissements religieux de la Terre-Sainte :

    cent livres.

    Sociétés de charité maternelle :

    trois cents livres.

    En sus, pour celle d’Arles :

    cinquante livres.

    Œuvre pour l’amélioration des prisons :

    quatre cents livres.

    Œuvre pour le soulagement et la délivrance des prisonniers :

    cinq cents livres.

    Pour libérer des pères de famille prisonniers pour dettes :

    mille livres.

    Supplément au traitement des pauvres maîtres d’école du diocèse :

    deux mille livres.

    Grenier d’abondance des Hautes-Alpes :

    cent livres.

    Congrégation des dames de Digne, de Manosque et de Sisteron, pour l’enseignement gratuit des filles indigentes :

    quinze cents livres.

    Pour les pauvres :

    six mille livres.

    Ma dépense personnelle :

    mille livres.

    Total :      

    quinze mille livres.


    Pendant tout le temps qu’il occupa le siège de Digne, M. Myriel ne changea rien à cet arrangement. Il appelait cela, comme on voit, avoir réglé les dépenses de sa maison.

    Cet arrangement fut accepté avec une soumission absolue par mademoiselle Baptistine. Pour cette sainte fille, M. de Digne était tout à la fois son frère et son évêque, son ami selon la nature et son supérieur selon l’église. Elle l’aimait et elle le vénérait tout simplement. Quand il parlait, elle s’inclinait ; quand il agissait, elle adhérait. La servante seule, madame Magloire, murmura un peu. M. l’évêque, on l’a pu remarquer, ne s’était réservé que mille livres, ce qui, joint à la pension de mademoiselle Baptistine, faisait quinze cents francs par an. Avec ces quinze cents francs, ces deux vieilles femmes et ce vieillard vivaient.

    Et quand un curé de village venait à Digne, M. l’évêque trouvait encore moyen de le traiter, grâce à la sévère économie de madame Magloire et à l’intelligente administration de mademoiselle Baptistine.

    Un jour, il était à Digne depuis environ trois mois, l’évêque dit :

    Avec tout cela je suis bien gêné !

    Je le crois bien ! s’écria madame Magloire, monseigneur n’a seulement pas réclamé la rente que le département lui doit pour ses frais de carrosse en ville et de tournées dans le diocèse. Pour les évêques d’autrefois c’était l’usage.

    Tiens ! dit l’évêque, vous avez raison, madame Magloire.

    Il fit sa réclamation.

    Quelque temps après, le conseil général, prenant cette demande en considération, lui vota une somme annuelle de trois mille francs, sous cette rubrique : Allocation à M. l’évêque pour frais de carrosse, frais de poste, et frais de tournées pastorales.

    Cela fit beaucoup crier la bourgeoisie locale, et, à cette occasion, un sénateur de l’empire, ancien membre du conseil des cinq-cents favorable au dix-huit brumaire et pourvu près de la ville de Digne d’une sénatorerie magnifique, écrivit au ministre des cultes, M. Bigot de Préameneu, un petit billet irrité et confidentiel dont nous extrayons ces lignes authentiques :

    « — Des frais de carrosse ! pourquoi faire dans une ville de moins de quatre mille habitants ? Des frais de tournées ? à quoi bon ces tournées d’abord ? ensuite comment courir la poste dans ces pays de montagnes ? Il n’y a pas de routes. On ne va qu’à cheval. Le pont même de la Durance à Château-Arnoux peut à peine porter des charrettes à bœufs. Ces prêtres sont tous ainsi. Avides et avares. Celui-ci a fait le bon apôtre en arrivant. Maintenant il fait comme les autres. Il lui faut carrosse et chaise de poste. Il lui faut du luxe comme aux anciens évêques. Oh ! toute cette prêtraille ! Monsieur le comte, les choses n’iront bien que lorsque l’empereur nous aura délivrés des calotins. À bas le pape ! (les affaires se brouillaient avec Rome). Quant à moi, je suis pour César tout seul. Etc., etc. »

    La chose, en revanche, réjouit fort madame Magloire. — Bon, dit-elle à mademoiselle Baptistine, monseigneur a commencé par les autres, mais il a bien fallu qu’il finît par lui-même. Il a réglé toutes ses charités. Voilà trois mille livres pour nous. Enfin !

    Le soir même, l’évêque écrivit et remit à sa sœur une note ainsi conçue :

     

    FRAIS DE CARROSSE ET DE TOURNÉES.

    Pour donner du bouillon de viande aux malades de l’hôpital :

    quinze cents livres.

    Pour la société de charité maternelle d’Aix :

    deux cent cinquante livres.

    Pour la société de charité maternelle de Draguignan :

    deux cent cinquante livres.

    Pour les enfants trouvés :

    cinq cents livres.

    Pour les orphelins :

    cinq cents livres.

    Total :           

    trois mille livres.

    Tel était le budget de M. Myriel.

    Quant au casuel épiscopal, rachats de bans, dispenses, ondoiements, prédications, bénédictions d’églises ou de chapelles, mariages, etc., l’évêque le percevait sur les riches avec d’autant plus d’âpreté qu’il le donnait aux pauvres.

    Au bout de peu de temps, les offrandes d’argent affluèrent. Ceux qui ont et ceux qui manquent frappaient à la porte de M. Myriel, les uns venant chercher l’aumône que les autres venaient y déposer. L’évêque, en moins d’un an, devint le trésorier de tous les bienfaits et le caissier de toutes les détresses. Des sommes considérables passaient par ses mains ; mais rien ne put faire qu’il changeât quelque chose à son genre de vie et qu’il ajoutât le moindre superflu à son nécessaire.

    Loin de là. Comme il y a toujours encore plus de misère en bas que de fraternité en haut, tout était donné, pour ainsi dire, avant d’être reçu ; c’était comme de l’eau sur une terre sèche ; il avait beau recevoir de l’argent, il n’en avait jamais. Alors il se dépouillait.

    L’usage étant que les évêques énoncent leurs noms de baptême en tête de leurs mandements et de leurs lettres pastorales, les pauvres gens du pays avaient choisi, avec une sorte d’instinct affectueux, dans les noms et prénoms de l’évêque, celui qui leur présentait un sens, et ils ne l’appelaient que monseigneur Bienvenu. Nous ferons comme eux, et nous le nommerons ainsi dans l’occasion. Du reste, cette appellation lui plaisait. — J’aime ce nom-là, disait-il. Bienvenu corrige monseigneur.

    Nous ne prétendons pas que le portrait que nous faisons ici soit vraisemblable ; nous nous bornons à dire qu’il est ressemblant.

     

    III

    A BON ÉVÊQUE DUR ÉVÊCHÉ

     

    M. l’évêque, pour avoir converti son carrosse en aumônes, n’en faisait pas moins ses tournées. C’est un diocèse fatigant que celui de Digne. Il a fort peu de plaines et beaucoup de montagnes, presque pas de routes, on l’a vu tout à l’heure ; trente-deux cures, quarante et un vicariats et deux cent quatre-vingt-cinq succursales. Visiter tout cela, c’est une affaire. M. l’évêque en venait à bout. Il allait à pied quand c’était dans le voisinage, en carriole quand c’était dans la plaine, en cacolet dans la montagne. Les deux vieilles femmes l’accompagnaient. Quand le trajet était trop pénible pour elles, il allait seul.

    Un jour, il arriva à Senez, qui est une ancienne ville épiscopale, monté sur un âne. Sa bourse, fort à sec dans ce moment, ne lui avait pas permis d’autre équipage. Le maire de la ville vint le recevoir à la porte de l’évêché et le regardait descendre de son âne avec des yeux scandalisés. Quelques bourgeois riaient autour de lui. — Monsieur le maire, dit l’évêque, et messieurs les bourgeois, je vois ce qui vous scandalise ; vous trouvez que c’est bien de l’orgueil à un pauvre prêtre de monter une monture qui était celle de Jésus-Christ. Je l’ai fait par nécessité, je vous assure, et non par vanité.

    Dans ces tournées, il était indulgent et doux, et prêchait moins qu’il ne causait. Il n’allait jamais chercher bien loin ses raisonnements et ses modèles. Aux habitants d’un pays il citait l’exemple du pays voisin. Dans les cantons où l’on était dur pour les nécessiteux, il disait : — Voyez les gens de Briançon. Ils ont donné aux indigents, aux veuves et aux orphelins le droit de faire faucher leurs prairies trois jours avant tous les autres. Ils leur rebâtissent gratuitement leurs maisons quand elles sont en ruine. Aussi est-ce un pays béni de Dieu. Durant tout un siècle de cent ans, il n’y a pas eu un meurtrier.

    Dans les villages âpres au gain et à la moisson, il disait : — Voyez ceux d’Embrun. Si un père de famille, au temps de la récolte, a ses fils à l’armée et ses filles en service à la ville, et qu’il soit malade et empêché, le curé le recom mande au prône ; et le dimanche, après la messe, tous les gens du village, hommes, femmes, enfants, vont dans le champ du pauvre homme lui faire sa moisson, et lui rapportent paille et grain dans son grenier. — Aux familles divisées par des questions d’argent et d’héritage, il disait : — Voyez les montagnards de Devolny, pays si sauvage qu’on n’y entend pas le rossignol une fois en cinquante ans. Eh bien, quand le père meurt dans une famille, les garçons s’en vont chercher fortune, et laissent le bien aux filles, afin qu’elles puissent trouver des maris. — Aux cantons qui ont le goût des procès et où les fermiers se ruinent en papier timbré, il disait : — Voyez ces bons paysans de la vallée de Queyras. Ils sont là trois mille âmes. Mon Dieu ! c’est comme une petite république. On n’y connaît ni le juge, ni l’huissier. Le maire fait tout. Il répartit l’impôt, taxe chacun en conscience, juge les querelles gratis, partage les patrimoines sans honoraires, rend des sentences sans frais ; et on lui obéit, parce que c’est un homme juste parmi des hommes simples. — Aux villages où il ne trouvait pas de maître d’école, il citait encore ceux de Queyras : — Savez-vous comment ils font ? disait-il. Comme un petit pays de douze ou quinze feux ne peut pas toujours nourrir un magister, ils ont des maîtres d’école payés par toute la vallée, qui parcourent les villages, passant huit jours dans celui-ci, dix dans celui-là, et enseignent. Ces magisters vont aux foires, où je les ai vus. On les reconnaît à des plumes à écrire qu’ils portent dans la ganse de leur chapeau. Ceux qui n’enseignent qu’à lire ont une plume, ceux qui enseignent la lecture et le calcul ont deux plumes ; ceux qui enseignent la lecture, le calcul et le latin ont trois plumes. Ceux-là sont de grands savants. Mais quelle honte d’être ignorants ! Faites comme les gens de Queyras.

    Il parlait ainsi gravement et paternellement ; à défaut d’exemples inventant des paraboles, allant droit au but, avec peu de phrases et beaucoup d’images, ce qui était l’éloquence même de Jésus-Christ, convaincu et persuadant.

     

    IV

    LES ŒUVRES SEMBLABLES AUX PAROLES

     

    Sa conversation était affable et gaie. Il se mettait à la portée des deux vieilles femmes qui passaient leur vie près de lui ; quand il riait, c’était le rire d’un écolier.

    Madame Magloire l’appelait volontiers Votre Grandeur. Un jour il se leva de son fauteuil et alla à sa bibliothèque chercher un livre. Ce livre était sur un des rayons d’en haut. Comme l’évêque était d’assez petite taille, il ne put y atteindre. Madame Magloire, dit-il, apportez-moi une chaise. Ma Grandeur ne va pas jusqu’à cette planche.

    Une de ses parentes éloignées, madame la comtesse de Lô, laissait rarement échapper une occasion d’énumérer en sa présence ce qu’elle appelait « les espérances » de ses trois fils. Elle avait plusieurs ascendants fort vieux et proches de la mort dont ses fils étaient naturellement les héritiers. Le plus jeune des trois avait à recueillir d’une grand’tante cent bonnes mille livres de rentes ; le deuxième était substitué au titre de duc de son oncle ; l’aîné devait succéder à la pairie de son aïeul. L’évêque écoutait habituellement en silence ces innocents et pardonnables étalages maternels. Une fois pourtant, il paraissait plus rêveur que de coutume, tandis que madame de Lô renouvelait le détail de toutes ces successions et de toutes ces « espérances ». Elle s’interrompit avec quelque impatience : — Mon Dieu, mon cousin ! mais à quoi songez-vous donc ? — Je songe, dit l’évêque, à quelque chose de singulier qui est, je crois, dans saint Augustin : « Mettez votre espérance dans celui auquel on ne succède point. »

    Une autre fois, recevant une lettre de faire part du décès d’un gentilhomme du pays, où s’étalaient en une longue page, outre les dignités du défunt, toutes les qualifications féodales et nobiliaires de tous ses parents : — Quel bon dos a la mort ! s’écria-t-il. Quelle admirable charge de titres on lui fait allègrement porter, et comme il faut que les hommes aient de l’esprit pour employer ainsi la tombe à la vanité !

    Il avait dans l’occasion une raillerie douce qui contenait presque toujours un sens sérieux. Pendant un carême, un jeune vicaire vint à Digne et prêcha dans la cathédrale. Il fut assez éloquent. Le sujet de son sermon était la charité. Il invita les riches à donner aux indigents, afin d’éviter l’enfer, qu’il peignit le plus effroyable qu’il put, et de gagner le paradis, qu’il fit désirable et charmant. Il y avait dans l’auditoire un riche marchand retiré, un peu usurier, nommé M. Géborand, lequel avait gagné deux millions à fabriquer de gros draps, des serges, des cadis et des gasquets. De sa vie M. Géborand n’avait fait l’aumône à un malheureux. À partir de ce sermon, on remarqua qu’il donnait tous les dimanches un sou aux vieilles mendiantes du portail de la cathédrale. Elles étaient six à se partager cela. Un jour, l’évêque le vit faisant sa charité et dit à sa sœur avec un sourire : — Voilà monsieur Géborand qui achète pour un sou de paradis.

    Quand il s’agissait de charité, il ne se rebutait pas même devant un refus, et il trouvait alors des mots qui faisaient réfléchir. Une fois, il quêtait pour les pauvres dans un salon de la ville ; il y avait là le marquis de Champtercier, vieux, riche, avare, lequel trouvait moyen d’être tout ensemble ultra-royaliste et ultra-voltairien. Cette variété a existé. L’évêque, arrivé à lui, lui toucha le bras : — Monsieur le marquis, il faut que vous me donniez quelque chose. Le marquis se retourna, et répondit sèchement : — Monseigneur, j’ai mes pauvres.Donnez-les-moi, dit l’évêque.

    Un jour, dans la cathédrale, il fit ce sermon :

    « Mes très chers frères, mes bons amis, il y a en France treize cent vingt mille maisons de paysans qui n’ont que trois ouvertures, dix-huit cent dix-sept mille qui ont deux ouvertures, la porte et une fenêtre, et enfin trois cent quarante mille cabanes qui n’ont qu’une ouverture, la porte. Et cela, à cause d’une chose qu’on appelle l’impôt des portes et fenêtres. Mettez-moi de pauvres familles, des vieilles femmes, des petits enfants, dans ces logis-là, et voyez les fièvres et les maladies ! Hélas ! Dieu donne l’air aux hommes, la loi le leur vend. Je n’accuse pas la loi, mais je bénis Dieu. Dans l’Isère, dans le Var, dans les deux Alpes, les hautes et les basses, les paysans n’ont pas même de brouettes, ils transportent les engrais à dos d’hommes ; ils n’ont pas de chandelles, et ils brûlent des bâtons résineux et des bouts de corde trempés dans la poix résine. C’est comme cela dans tout le pays haut du Dauphiné. Ils font le pain pour six mois, ils le font cuire avec de la bouse de vache séchée. L’hiver, ils cassent ce pain à coups de hache et ils le font tremper dans l’eau vingt-quatre heures pour pouvoir le manger. — Mes frères, ayez pitié ! voyez comme on souffre autour de vous. »

    Né provençal, il s’était facilement familiarisé avec tous les patois du midi. Il disait : — Eh bé ! moussu, sès sagé ? comme dans le bas Languedoc. — Onté anaras passa ? comme dans les basses Alpes. — Puerte un bouen moutou embe un bouen froumage grase, comme dans le haut Dauphiné. Ceci plaisait beaucoup au peuple et n’avait pas peu contribué à lui donner accès près de tous les esprits. Il était dans la chaumière et dans la montagne comme chez lui. Il savait dire les choses les plus grandes dans les idiomes les plus vulgaires. Parlant toutes les langues, il entrait dans toutes les âmes.

    Du reste, il était le même pour les gens du monde et pour les gens du peuple.

    Il ne condamnait rien hâtivement, et sans tenir compte des circonstances. Il disait : Voyons le chemin par où la faute a passé.

    Étant, comme il se qualifiait lui-même en souriant, un ex-pécheur, il n’avait aucun des escarpements du rigorisme, et il professait assez haut, et sans le froncement de sourcil des vertueux féroces, une doctrine qu’on pourrait résumer à peu près ainsi :

    « L’homme a sur lui la chair, qui est tout à la fois son fardeau et sa tentation. Il la traîne et lui cède.

    « Il doit la surveiller, la contenir, la réprimer, et ne lui obéir qu’à la dernière extrémité. Dans cette obéissance-là, il peut encore y avoir de la faute ; mais la faute, ainsi faite, est vénielle. C’est une chute, mais une chute sur les genoux, qui peut s’achever en prière.

    « Être un saint, c’est l’exception ; être un juste, c’est la règle. Errez, défaillez, péchez, mais soyez des justes.

    « Le moins de péché possible, c’est la loi de l’homme. Pas de péché du tout est le rêve de l’ange. Tout ce qui est terrestre est soumis au péché. Le péché est une gravitation. »

    Quand il voyait tout le monde crier bien fort et s’indigner bien vite : — « Oh ! oh ! disait-il en souriant, il y a apparence que ceci est un gros crime que tout le monde commet. Voilà les hypocrisies effarées qui se dépêchent de protester et de se mettre à couvert. »

    Il était indulgent pour les femmes et les pauvres sur qui pèse le poids de la société humaine. Il disait : — Les fautes des femmes, des enfants, des serviteurs, des faibles, des indigents et des ignorants sont la faute des maris, des pères, des maîtres, des forts, des riches et des savants.

    Il disait encore : — À ceux qui ignorent, enseignez-leur le plus de choses que vous pourrez ; la société est coupable de ne pas donner l’instruction gratis : elle répond de la nuit qu’elle produit. Cette âme est pleine d’ombre, le péché s’y commet. Le coupable n’est pas celui qui fait le péché, mais celui qui fait l’ombre.

    Comme on voit, il avait une manière étrange et à lui de juger les choses. Je soupçonne qu’il avait pris cela dans l’évangile.

    Il entendit un jour conter dans un salon un procès criminel qu’on instruisait et qu’on allait juger. Un misérable homme, par amour pour une femme et pour l’enfant qu’il avait d’elle, à bout de ressources, avait fait de la fausse monnaie. La fausse monnaie était encore punie de mort à cette époque. La femme avait été arrêtée émettant la première pièce fausse fabriquée par l’homme. On la tenait, mais on n’avait de preuves que contre elle. Elle seule pouvait charger son amant et le perdre en avouant. Elle nia. On insista. Elle s’obstina à nier. Sur ce, le procureur du roi avait eu une idée. Il avait supposé une infidélité de l’amant, et était parvenu, avec des fragments de lettres savamment présentés, à persuader à la malheureuse qu’elle avait une rivale et que cet homme la trompait. Alors, exaspérée de jalousie, elle avait dénoncé son amant, tout avoué, tout prouvé. L’homme était perdu. Il allait être prochainement jugé à Aix avec sa complice. On racontait le fait, et chacun s’extasiait sur l’habileté du magistrat. En mettant la jalousie en jeu, il avait fait jaillir la vérité par la colère, il avait fait sortir la justice de la vengeance. L’évêque écoutait tout cela en silence. Quand ce fut fini, il demanda :

    Où jugera-t-on cet homme et cette femme ?

    À la cour d’assises.

    Il reprit : — Et où jugera-t-on monsieur le procureur du roi ?

    Il arriva à Digne une aventure tragique. Un homme fut condamné à mort pour meurtre. C’était un malheureux pas tout à fait lettré, pas tout à fait ignorant, qui avait été bateleur dans les foires et écrivain public. Le procès occupa beaucoup la ville. La veille du jour fixé pour l’exécution du condamné, l’aumônier de la prison tomba malade. Il fallait un prêtre pour assister le patient à ses derniers moments. On alla chercher le curé. Il paraît qu’il refusa, en disant : Cela ne me regarde pas. Je n’ai que faire de cette corvée et de ce saltimbanque ; moi aussi je suis malade ; d’ailleurs ce n’est pas là ma place. On rapporta cette réponse à l’évêque qui dit : — Monsieur le curé a raison. Ce n’est pas sa place, c’est la mienne.

    Il alla sur le champ à la prison, il descendit au cabanon du « saltimbanque » ; il l’appela par son nom, lui prit la main et lui parla. Il passa toute la journée auprès de lui, oubliant la nourriture et le sommeil, priant Dieu pour l’âme du condamné et priant le condamné pour la sienne propre. Il lui dit les meilleures vérités, qui sont les plus simples. Il fut père, frère, ami, évêque pour bénir seulement. Il lui enseigna tout, en le rassurant et en le consolant. Cet homme allait mourir désespéré. La mort était pour lui comme un abîme. Debout et frémissant sur ce seuil lugubre, il reculait avec horreur. Il n’était pas assez ignorant pour être absolument indifférent. Sa condamnation, secousse profonde, avait en quelque sorte rompu çà et là autour de lui cette cloison qui nous sépare du mystère des choses et que nous appelons la vie. Il regardait sans cesse au dehors de ce monde par ces brèches fatales, et ne voyait que des ténèbres. L’évêque lui fit voir une clarté.

    Le lendemain, quand on vint chercher le malheureux, l’évêque était là. Il le suivit et se montra aux yeux de la foule en camail violet et avec sa croix épiscopale au cou, côte à côte avec ce misérable lié de cordes.

    Il monta sur la charrette avec lui, il monta sur l’échafaud avec lui. Le patient, si morne et si accablé la veille, était rayonnant. Il sentait que son âme était réconciliée et il espérait Dieu. L’évêque l’embrassa, et, au moment où le couteau allait tomber, il lui dit : « — Celui que l’homme tue, Dieu le ressuscite ; celui que les frères chassent retrouve le Père. Priez, croyez, entrez dans la vie ! le Père est là. » Quand il redescendit de l’échafaud, il avait quelque chose dans son regard qui fit ranger le peuple. On ne savait ce qui était le plus admirable de sa pâleur ou de sa sérénité. En rentrant à cet humble logis, qu’il appelait en souriant son palais, il dit à sa sœur : Je viens d’officier pontificalement.

    Comme les choses les plus sublimes sont souvent aussi les moins comprises, il y eut dans la ville des gens qui dirent, en commentant cette conduite de l’évêque : C’est de l’affectation. Ceci ne fut du reste qu’un propos de salons. Le peuple, qui n’entend pas malice aux actions saintes, fut attendri et admira.

    Quant à l’évêque, avoir vu la guillotine fut pour lui un choc, et il fut longtemps à s’en remettre.

    L’échafaud, en effet, quand il est là, dressé et debout, a quelque chose qui hallucine. On peut avoir une certaine indifférence sur la peine de mort, ne point se prononcer, dire oui et non, tant qu’on n’a pas vu de ses yeux une guillotine ; mais, si l’on en rencontre une, la secousse est violente, il faut se décider et prendre parti pour ou contre. Les uns admirent, comme de Maistre ; les autres exècrent, comme Beccaria. La guillotine est la concrétion de la loi ; elle se nomme vindicte ; elle n’est pas neutre, et ne vous permet pas de rester neutre. Qui l’aperçoit frissonne du plus mystérieux des frissons. Toutes les questions sociales dressent autour de ce couperet leur point d’interrogation. L’échafaud est vision. L’échafaud n’est pas une charpente, l’échafaud n’est pas une machine, l’échafaud n’est pas une mécanique inerte faite de bois, de fer et de cordes. Il semble que ce soit une sorte d’être qui a je ne sais quelle sombre initiative ; on dirait que cette charpente voit, que cette machine entend, que cette mécanique comprend, que ce bois, ce fer et ces cordes veulent. Dans la rêverie affreuse où sa présence jette l’âme, l’échafaud apparaît terrible et se mêlant de ce qu’il fait. L’échafaud est le complice du bourreau ; il dévore ; il mange de la chair, il boit du sang. L’échafaud est une sorte de monstre fabriqué par le juge et par le charpentier, un spectre qui semble vivre d’une espèce de vie épouvantable faite de toute la mort qu’il a donnée.

    Aussi l’impression fut-elle horrible et profonde ; le lendemain de l’exécution et beaucoup de jours encore après, l’évêque parut accablé. La sérénité presque violente du moment funèbre avait disparu ; le fantôme de la justice sociale l’obsédait. Lui qui d’ordinaire revenait de toutes ses actions avec une satisfaction si rayonnante, il semblait qu’il se fît un reproche. Par moments, il se parlait à lui-même, et bégayait à demi-voix des monologues lugubres. En voici un que sa sœur entendit un soir et recueillit : — Je ne croyais pas que cela fût si monstrueux. C’est un tort de s’absorber dans la loi divine au point de ne plus s’apercevoir de la loi humaine. La mort n’appartient qu’à Dieu. De quel droit les hommes touchent-ils à cette chose inconnue ?

    Avec le temps, ces impressions s’atténuèrent, et probablement s’effacèrent. Cependant on remarqua que l’évêque évitait désormais de passer sur la place des exécutions.

    On pouvait appeler M. Myriel à toute heure au chevet des malades et des mourants. Il n’ignorait pas que là était son plus grand devoir et son plus grand travail. Les familles veuves ou orphelines n’avaient pas besoin de le demander, il arrivait de lui-même. Il savait s’asseoir et se taire de longues heures auprès de l’homme qui avait perdu la femme qu’il aimait, de la mère qui avait perdu son enfant. Comme il savait le moment de se taire, il savait aussi le moment de parler. Ô admirable consolateur ! il ne cherchait pas à effacer la douleur par l’oubli, mais à l’agrandir et à la dignifier par l’espérance. Il disait : — « Prenez garde à la façon dont vous vous tournez vers les morts. Ne songez pas à ce qui pourrit. Regardez fixement. Vous apercevrez la lueur vivante de votre mort bien-aimé au fond du ciel. » Il savait que la croyance est saine. Il cherchait à conseiller et à calmer l’homme désespéré en lui indiquant du doigt l’homme résigné, et à transformer la douleur qui regarde une fosse en lui montrant la douleur qui regarde une étoile.

     

    V

    QUE MONSEIGNEUR BIENVENU FAISAIT DURER TROP LONGTEMPS SES SOUTANES

     

    La vie intérieure de M. Myriel était pleine des mêmes pensées que sa vie publique. Pour qui eût pu la voir de près, c’eût été un spectacle grave et charmant que cette pauvreté volontaire dans laquelle vivait M. l’évêque de Digne.

    Comme tous les vieillards et comme la plupart des penseurs, il dormait peu. Ce court sommeil était profond. Le matin, il se recueillait pendant une heure, puis il disait sa messe, soit à la cathédrale, soit dans sa maison. Sa messe dite, il déjeunait d’un pain de seigle trempé dans le lait de ses vaches. Puis il travaillait.

    Un évêque est un homme fort occupé ; il faut qu’il reçoive tous les jours le secrétaire de l’évêché, qui est d’ordinaire un chanoine, presque tous les jours ses grands-vicaires. Il a des congrégations à contrôler, des privilèges à donner, toute une librairie ecclésiastique à examiner, paroissiens, catéchismes diocésains, livres d’heures, etc., des mandements à écrire, des prédications à autoriser, des curés et des maires à mettre d’accord, une correspondance cléricale, une correspondance administrative, d’un côté l’état, de l’autre le saint-siège, mille affaires.

    Le temps que lui laissaient ces mille affaires, et ses offices, et son bréviaire, il le donnait d’abord aux nécessiteux, aux malades et aux affligés ; le temps que les affligés, les malades et les nécessiteux lui laissaient, il le donnait au travail. Tantôt il bêchait dans son jardin, tantôt il lisait et écrivait. Il n’avait qu’un mot pour ces deux sortes de travail : il appelait cela jardiner. « L’esprit est un jardin », disait-il.

    Vers midi, quand le temps était beau, il sortait et se promenait à pied dans la campagne ou dans la ville, entrant souvent dans les masures. On le voyait cheminer seul, tout à ses pensées, l’œil baissé, appuyé sur sa longue canne, vêtu de sa douillette violette ouatée et bien chaude, chaussé de bas violets dans de gros souliers, et coiffé de son chapeau plat qui laissait passer par ses trois cornes trois glands d’or à graine d’épinards.

    C’était une fête partout où il paraissait. On eût dit que son passage avait quelque chose de réchauffant et de lumineux. Les enfants et les vieillards venaient sur le seuil des portes pour l’évêque comme pour le soleil. Il bénissait et on le bénissait. On montrait sa maison à quiconque avait besoin de quelque chose.

    Çà et là, il s’arrêtait, parlait aux petits garçons et aux petites filles et souriait aux mères. Il visitait les pauvres tant qu’il avait de l’argent ; quand il n’en avait plus, il visitait les riches.

    Comme il faisait durer ses soutanes beaucoup de temps, et qu’il ne voulait pas qu’on s’en aperçût, il ne sortait jamais dans la ville autrement qu’avec sa douillette violette. Cela le gênait un peu en été.

    En rentrant il dînait. Le dîner ressemblait au déjeuner.

    Le soir, à huit heures et demie, il soupait avec sa sœur, madame Magloire debout derrière eux et les servant à table. Rien de plus frugal que ce repas. Si pourtant l’évêque avait un de ses curés à souper, madame Magloire en profitait pour servir à monseigneur quelque poisson des lacs ou quelque fin gibier de la montagne. Tout curé était un prétexte à bon repas ; l’évêque se laissait faire. Hors de là, son ordinaire ne se composait guère que de légumes cuits dans l’eau et de soupe à l’huile. Aussi disait-on dans la ville : Quand l’évêque ne fait pas chère de curé, il fait chère de trappiste.

    Après son souper, il causait pendant une demi-heure avec mademoiselle Baptistine et madame Magloire ; puis il rentrait dans sa chambre et se remettait à écrire, tantôt sur des feuilles volantes, tantôt sur la marge de quelque in-folio. Il était lettré et quelque peu savant. Il a laissé cinq ou six manuscrits assez curieux ; entre autres une dissertation sur le verset de la Genèse : Au commencement l’esprit de Dieu flottait sur les eaux. Il confronte avec ce verset trois textes ; le verset arabe qui dit : Les vents de Dieu soufflaient ; Flavius Josèphe qui dit : Un vent d’en haut se précipitait sur la terre ; et enfin la paraphrase chaldaïque d’Onkelos qui porte : Un vent venant de Dieu soufflait sur la face des eaux. Dans une autre dissertation, il examine les œuvres théologiques de Hugo, évêque de Ptolémaïs, arrière-grand-oncle de celui qui écrit ce livre, et il établit qu’il faut attribuer à cet évêque les divers opuscules publiés, au siècle dernier, sous le pseudonyme de Barleycourt.

    Parfois, au milieu d’une lecture, quel que fût le livre qu’il eût entre les mains, il tombait tout à coup dans une méditation profonde, d’où il ne sortait que pour écrire quelques lignes sur les pages mêmes du volume. Ces lignes souvent n’ont aucun rapport avec le livre qui les contient. Nous avons sous les yeux une note écrite par lui sur une des marges d’un in-quarto intitulé : Correspondance du lord Germain avec les généraux Clinton, Cornwallis et les amiraux de la station de l’Amérique. À Versailles, chez Poinçot, libraire, et à Paris, chez Pissot, libraire, quai des Augustins.

    Voici cette note :

    « Ô vous qui êtes !

    « L’Ecclésiaste vous nomme Toute-Puissance, les Machabées vous nomment Créateur, l’Épître aux Éphésiens vous nomme Liberté, Baruch vous nomme Immensité, les Psaumes vous nomment Sagesse et Vérité, Jean vous nomme Lumière, les Rois vous nomment Seigneur, l’Exode vous appelle Providence, le Lévitique Sainteté, Esdras Justice, la création vous nomme Dieu, l’homme vous nomme Père ; mais Salomon vous nomme Miséricorde, et c’est le plus beau de tous vos noms. »

    Vers neuf heures du soir, les deux femmes se retiraient et montaient à leurs chambres au premier, le laissant jusqu’au matin seul au rez-de-chaussée.

    Ici il est nécessaire que nous donnions une idée exacte du logis de M. l’évêque de Digne.

     

    VI

    PAR QUI IL FAISAIT GARDER SA MAISON

     

    La maison qu’il habitait se composait, nous l’avons dit d’un rez-de-chaussée et d’un seul étage ; trois pièces au rez-de-chaussée, trois chambres au premier, au-dessus un grenier. Derrière la maison, un jardin d’un quart d’arpent. Les deux femmes occupaient le premier. L’évêque logeait en bas. La première pièce, qui s’ouvrait sur la rue, lui servait de salle à manger, la deuxième de chambre à coucher, et la troisième d’oratoire. On ne pouvait sortir de cet oratoire sans passer par la chambre à coucher, et sortir de la chambre à coucher sans passer par la salle à manger. Dans l’oratoire, au fond, il y avait une alcôve fermée, avec un lit pour les cas d’hospitalité. M. l’évêque offrait ce lit aux curés de campagne que des affaires ou les besoins de leur paroisse amenaient à Digne.

    La pharmacie de l’hôpital, petit bâtiment ajouté à la maison et pris sur le jardin, avait été transformée en cuisine et en cellier.

    Il y avait en outre dans le jardin une étable qui était l’ancienne cuisine de l’hospice et où l’évêque entretenait deux vaches. Quelle que fût la quantité de lait qu’elles lui donnassent, il en envoyait invariablement tous les matins la moitié aux malades de l’hôpital. Je paye ma dîme, disait-il.

    Sa chambre était assez grande et assez difficile à chauffer dans la mauvaise saison. Comme le bois est très cher à Digne, il avait imaginé de faire faire dans l’étable à vaches un compartiment fermé d’une cloison en planches. C’était là qu’il passait ses soirées dans les grands froids. Il appelait cela son salon d’hiver.

    Il n’y avait dans ce salon d’hiver, comme dans la salle à manger, d’autres meubles qu’une table de bois blanc, carrée, et quatre chaises de paille. La salle à manger était ornée en outre d’un vieux buffet peint en rose à la détrempe. Du buffet pareil, convenablement habillé de napperons blancs et de fausses dentelles, l’évêque avait fait l’autel qui décorait son oratoire.

    Ses pénitentes riches et les saintes femmes de Digne s’étaient souvent cotisées pour faire les frais d’un bel autel neuf à l’oratoire de monseigneur ; il avait chaque fois pris l’argent et l’avait donné aux pauvres. — Le plus beau des autels, disait-il, c’est l’âme d’un malheureux consolé qui remercie Dieu.

    Il avait dans son oratoire deux chaises prie-Dieu en paille, et un fauteuil à bras également en paille dans sa chambre à coucher. Quand par hasard il recevait sept ou huit personnes à la fois, le préfet, ou le général, ou l’état-major du régiment en garnison, ou quelques élèves du petit séminaire, on était obligé d’aller chercher dans l’étable les chaises du salon d’hiver, dans l’oratoire les prie-Dieu, et le fauteuil dans la chambre à coucher ; de cette façon, on pouvait réunir jusqu’à onze sièges pour les visiteurs. À chaque nouvelle visite on démeublait une pièce.

    Il arrivait parfois qu’on était douze : alors l’évêque dissimulait l’embarras de la situation en se tenant debout devant la cheminée si c’était l’hiver, ou en se promenant dans le jardin si c’était l’été.

    Il y avait bien encore dans l’alcôve fermée une chaise, mais elle était à demi dépaillée et ne portait que sur trois pieds, ce qui faisait qu’elle ne pouvait servir qu’appuyée contre le mur. Mademoiselle Baptistine avait bien aussi dans sa chambre une très grande bergère en bois jadis doré et revêtue de pékin à fleurs, mais on avait été obligé de monter cette bergère au premier par la fenêtre, l’escalier étant trop étroit ; elle ne pouvait donc pas compter parmi les en-cas du mobilier.

    L’ambition de mademoiselle Baptistine eût été de pouvoir acheter un meuble de salon en velours d’Utrecht jaune à rosaces et en acajou à cou de cygne, avec canapé. Mais cela eût coûté au moins cinq cents francs, et, ayant vu qu’elle n’avait réussi à économiser pour cet objet que quarante-deux francs dix sous en cinq ans, elle avait fini par y renoncer. D’ailleurs qui est-ce qui atteint son idéal ?

    Rien de plus simple à se figurer que la chambre à coucher de l’évêque. Une porte-fenêtre donnant sur le jardin ; vis-à-vis, le lit, un lit d’hôpital en fer avec baldaquin de serge verte ; dans l’ombre du lit, derrière un rideau, les ustensiles de toilette trahissant encore les anciennes habitudes élégantes de l’homme du monde ; deux portes, l’une près de la cheminée, donnant dans l’oratoire ; l’autre, près de la bibliothèque, donnant dans la salle à manger ; la bibliothèque, grande armoire vitrée pleine de livres ; la cheminée de bois peint en marbre, habituellement sans feu ; dans la cheminée, une paire de chenets en fer ornés de deux vases à guirlandes et cannelures jadis argentés à l’argent haché, ce qui était un genre de luxe épiscopal ; au-dessus de la cheminée, un crucifix de cuivre désargenté fixé sur un velours noir râpé dans un cadre de bois dédoré. Près de la porte-fenêtre, une grande table avec un encrier, chargée de papiers confus et de gros volumes. Devant la table, le fauteuil de paille. Devant le lit, un prie-Dieu, emprunté à l’oratoire.

    Deux portraits dans des cadres ovales étaient accrochés au mur des deux côtés du lit. De petites inscriptions dorées sur le fond neutre de la toile à côté des figures indiquaient que les portraits représentaient, l’un, l’abbé de Chaliot, évêque de Saint-Claude, l’autre, l’abbé Tourteau, vicaire général d’Agde, abbé de Grand-Champ, ordre de Citeaux, diocèse de Chartres. L’évêque, en succédant dans cette chambre aux malades de l’hôpital, y avait trouvé ces portraits et les y avait laissés. C’étaient des prêtres, probablement des donateurs, deux motifs pour qu’il les respectât. Tout ce qu’il savait de ces deux personnages, c’est qu’ils avaient été nommés par le roi, l’un à son évêché, l’autre à son bénéfice, le même jour, le 27 avril 1785. Madame Magloire ayant décroché les tableaux pour en secouer la poussière, l’évêque avait trouvé cette particularité écrite d’une encre blanchâtre sur un petit carré de papier jauni par le temps, collé avec quatre pains à cacheter derrière le portrait de l’abbé de Grand-Champ.

    Il avait à sa fenêtre un antique rideau de grosse étoffe de laine qui finit par devenir tellement vieux que, pour éviter la dépense d’un neuf, madame Magloire fut obligée de faire une grande couture au beau milieu. Cette couture dessinait une croix. L’évêque le faisait souvent remarquer. — Comme cela fait bien ! disait-il.

    Toutes les chambres de la maison, au rez-de-chaussée ainsi qu’au premier, sans exception, étaient blanchies au lait de chaux, ce qui est une mode de caserne et d’hôpital.

    Cependant, dans les dernières années, madame Magloire retrouva, comme on le verra plus loin, sous le papier badigeonné, des peintures qui ornaient l’appartement de mademoiselle Baptistine. Avant d’être l’hôpital, cette maison avait été le parloir aux bourgeois. De là cette décoration. Les chambres étaient pavées de briques rouges qu’on lavait toutes les semaines, avec des nattes de paille devant tous les lits. Du reste, ce logis, tenu par deux femmes, était du haut en bas d’une propreté exquise. C’était le seul luxe que l’évêque permît. Il disait : — Cela ne prend rien aux pauvres.

    Il faut convenir cependant qu’il lui restait de ce qu’il avait possédé jadis six couverts d’argent et une cuiller à soupe que madame Magloire regardait tous les jours avec bonheur reluire splendidement sur la grosse nappe de toile blanche. Et, comme nous peignons ici l’évêque de Digne tel qu’il était, nous devons ajouter qu’il lui était arrivé plus d’une fois de dire : — Je renoncerais difficilement à manger dans de l’argenterie.

    Il faut ajouter à cette argenterie deux gros flambeaux d’argent massif qui lui venaient de l’héritage d’une grand’tante. Ces flambeaux portaient deux bougies de cire et figuraient habituellement sur la cheminée de l’évêque. Quand il avait quelqu’un à dîner, madame Magloire allumait les deux bougies et mettait les deux flambeaux sur la table.

    Il y avait dans la chambre même de l’évêque, à la tête de son lit, un petit placard dans lequel madame Magloire serrait chaque soir les six couverts d’argent et la grande cuiller. Il faut dire qu’on n’en ôtait jamais la clef.

    Le jardin, un peu gâté par les constructions assez laides dont nous avons parlé, se composait de quatre allées en croix rayonnant autour d’un puisard ; une autre allée faisait tout le tour du jardin et cheminait le long du mur blanc dont il était enclos. Ces allées laissaient entre elles quatre carrés bornés de buis. Dans trois, madame Magloire cultivait des légumes ; dans le quatrième, l’évêque avait mis des fleurs. Il y avait çà et là quelques arbres fruitiers. Une fois madame Magloire lui avait dit avec une sorte de malice douce : — Monseigneur, vous qui tirez parti de tout, voilà pourtant un carré inutile. Il vaudrait mieux avoir là des salades que des bouquets. — Madame Magloire, répondit l’évêque, vous vous trompez ; le beau est aussi utile que l’utile. — Il ajouta après un silence : Plus peut-être.

    Ce carré, composé de trois ou quatre plates-bandes, occupait M. l’évêque presque autant que ses livres. Il y passait volontiers une heure ou deux, coupant, sarclant, et piquant çà et là des trous en terre où il mettait des graines. Il n’était pas aussi hostile aux insectes qu’un jardinier l’eût voulu. Du reste aucune prétention à la botanique ; il ignorait les groupes et le solidisme ; il ne cherchait pas le moins du monde à décider entre Tournefort et la méthode naturelle ; il ne prenait parti ni pour les utricules contre les cotylédons, ni pour Jussieu contre Linné. Il n’étudiait pas les plantes ; il aimait les fleurs. Il respectait beaucoup les savants, il respectait encore plus les ignorants, et, sans jamais manquer à ces deux respects, il arrosait ses plates-bandes chaque soir d’été avec un arrosoir de fer-blanc peint en vert.

    La maison n’avait pas une porte qui fermât à clef. La porte de la salle à manger, qui, nous l’avons dit, donnait de plain-pied sur la place de la cathédrale, était jadis ornée de serrures et de verrous comme une porte de prison. L’évêque avait fait ôter toutes ces ferrures, et cette porte, la nuit comme le jour, n’était fermée qu’au loquet. Le premier pas sant venu, à quelque heure que ce fût, n’avait qu’à la pousser. Dans les commencements, les deux femmes avaient été fort tourmentées de cette porte jamais close ; mais M. de Digne leur avait dit : Faites mettre des verrous à vos chambres, si cela vous plaît. Elles avaient fini par partager sa confiance ou du moins par faire comme si elles la partageaient. Madame Magloire seule avait de temps en temps des frayeurs. Pour ce qui est de l’évêque, on peut trouver sa pensée expliquée ou du moins indiquée dans ces trois lignes écrites par lui sur la marge d’une Bible : « Voici la nuance : la porte du médecin ne doit jamais être fermée, la porte du prêtre doit toujours être ouverte. »

    Sur un autre livre, intitulé Philosophie de la science médicale, il avait écrit cette autre note : « Est-ce que je ne suis pas médecin comme eux ? Moi aussi j’ai mes malades ; d’abord j’ai les leurs, qu’ils appellent les malades ; et puis j’ai les miens, que j’appelle les malheureux. »

    Ailleurs encore il avait écrit : « Ne demandez pas son nom à qui vous demande un gîte. C’est surtout celui-là que son nom embarrasse qui a besoin d’asile. »

    Il advint qu’un digne curé, je ne sais plus si c’était le curé de Couloubroux ou le curé de Pompierry, s’avisa de lui demander un jour, probablement à l’instigation de madame Magloire, si monseigneur était bien sûr de ne pas commettre jusqu’à un certain point une imprudence en laissant jour et nuit sa porte ouverte à la disposition de qui voulait entrer, et s’il ne craignait pas enfin qu’il n’arrivât quelque malheur dans une maison si peu gardée. L’évêque lui toucha l’épaule avec une gravité douce, et lui dit : Nisi Dominus custodierit domum, in vanum vigilant qui custodiunt eam.[1] Puis il parla d’autre chose.

    Il disait assez volontiers : « Il y a la bravoure du prêtre comme il y a la bravoure du colonel de dragons. » — « Seulement, ajoutait-il, la nôtre doit être tranquille. »

     

    VII

    CRAVATTE

     

    Ici se place naturellement un fait que nous ne devons pas omettre, car il est de ceux qui font le mieux voir quel homme c’était que M. l’évêque de Digne.

    Après la destruction de la bande de Gaspard Bès, qui avait infesté les gorges d’Ollioules, un de ses lieutenants, Cravatte, se réfugia dans la montagne. Il se cacha quelque temps avec ses bandits, reste de la troupe de Gaspard Bès, dans le comté de Nice, puis gagna le Piémont, et tout à coup reparut en France, du côté de Barcelonnette. On le vit à Jauziers d’abord, puis aux Tuiles. Il se cacha dans les cavernes du Joug-de-l’Aigle, et de là il descendait vers les hameaux et les villages par les ravins de l’Ubaye et de l’Ubayette. Il poussa même jusqu’à Embrun, pénétra une nuit dans la cathédrale et dévalisa la sacristie. Ses brigandages désolaient le pays. On mit la gendarmerie à ses trousses, mais en vain. Il échappait toujours ; quelquefois il résistait de vive force. C’était un hardi misérable. Au milieu de toute cette terreur, l’évêque arriva. Il faisait sa tournée au Chastelar. Le maire vint le trouver et l’engagea à rebrousser chemin. Cravatte tenait la montagne jusqu’à l’Arche, et au-delà. Il y avait danger même avec une escorte. C’était exposer inutilement trois ou quatre malheureux gendarmes.

    Aussi, dit l’évêque, je compte aller sans escorte.

    Y pensez-vous, monseigneur ? s’écria le maire.

    J’y pense tellement, que je refuse absolument les gendarmes et que je vais partir dans une heure.

    Partir ?

    Partir.

    Seul ?

    Seul.

    Monseigneur ! vous ne ferez pas cela.

    Il y a là, dans la montagne, reprit l’évêque, une humble petite commune grande comme ça, que je n’ai pas vue depuis trois ans. Ce sont mes bons amis. De doux et honnêtes bergers. Ils possèdent une chèvre sur trente qu’ils gardent. Ils font de fort jolis cordons de laines de diverses couleurs, et ils jouent des airs de montagne sur de petites flûtes à six trous. Ils ont besoin qu’on leur parle de temps en temps du bon Dieu. Que diraient-ils d’un évêque qui a peur ? Que diraient-ils si je n’y allais pas ?

    Mais, monseigneur, les brigands ?

    Tiens ! dit l’évêque, j’y songe. Vous avez raison. Je puis les rencontrer. Eux aussi doivent avoir besoin qu’on leur parle du bon Dieu.

    Monseigneur ! mais c’est une bande ! un troupeau de loups !

    Monsieur le maire, c’est peut-être précisément de ce troupeau que Jésus me fait le pasteur. Qui sait les voies de la providence ?

    Monseigneur, ils vous dévaliseront.

    Je n’ai rien.

    Ils vous tueront.

    Un vieux bonhomme de prêtre qui passe en marmottant ses momeries ? Bah ! à quoi bon ?

    Oh ! mon Dieu ! si vous alliez les rencontrer !

    Je leur demanderai l’aumône pour mes pauvres.

    Monseigneur, n’y allez pas, au nom du ciel ! vous exposez votre vie.

    Monsieur le maire, dit l’évêque, n’est-ce décidément que cela ? Je ne suis pas au monde pour garder ma vie, mais pour garder les âmes.

    Il fallut le laisser faire. Il partit, accompagné seulement d’un enfant qui s’offrit à lui servir de guide. Son obstination fit bruit dans le pays, et effraya fort.

    Il ne voulut emmener ni sa sœur ni madame Magloire. Il traversa la montagne à mulet, ne rencontra personne, et arriva sain et sauf chez ses « bons amis » les bergers. Il y resta quinze jours, prêchant, administrant, enseignant, moralisant. Lorsqu’il fut près de son départ, il résolut de chanter pontificalement un Te Deum. Il en parla au curé. Mais comment faire ? pas d’ornements épiscopaux. On ne pouvait mettre à sa disposition qu’une chétive sacristie de village avec quelques vieilles chasubles de damas usé ornées de galons faux.

    Bah ! dit l’évêque. Monsieur le curé, annonçons toujours au prône notre Te Deum. Cela s’arrangera.

    On chercha dans les églises d’alentour. Toutes les magnificences de ces humbles paroisses réunies n’auraient pas suffi à vêtir convenablement un chantre de cathédrale.

    Comme on était dans cet embarras, une grande caisse fut apportée et déposée au presbytère pour M. l’évêque par deux cavaliers inconnus qui repartirent sur-le-champ. On ouvrit la caisse ; elle contenait une chape de drap d’or, une mitre ornée de diamants, une croix archiépiscopale, une crosse magnifique, tous les vêtements pontificaux volés un mois auparavant au trésor de Notre-Dame d’Embrun. Dans la caisse, il y avait un papier sur lequel étaient écrits ces mots : Cravatte à monseigneur Bienvenu.

    Quand je disais que cela s’arrangerait ! dit l’évêque. Puis il ajouta en souriant : À qui se contente d’un surplis de curé, Dieu envoie une chape d’archevêque.

    Monseigneur, murmura le curé en hochant la tête avec un sourire, Dieu — ou le diable.

    L’évêque regarda fixement le curé et reprit avec autorité : — Dieu !

    Quand il revint au Chastelar, et tout le long de la route, on venait le regarder par curiosité. Il retrouva au presbytère du Chastelar mademoiselle Baptistine et madame Magloire qui l’attendaient, et il dit à sa sœur : — Eh bien, avais-je raison ? Le pauvre prêtre est allé chez ces pauvres montagnards les mains vides, il en revient les mains pleines. J’étais parti n’emportant que ma confiance en Dieu, je rapporte le trésor d’une cathédrale.

    Le soir, avant de se coucher, il dit encore : — Ne craignons jamais les voleurs ni les meurtriers. Ce sont là les dangers du dehors, les petits dangers. Craignons-nous nous-mêmes. Les préjugés, voilà les voleurs ; les vices, voilà les meurtriers. Les grands dangers sont au dedans de nous. Qu’importe ce qui menace notre tête ou notre bourse ! Ne songeons qu’à ce qui menace notre âme.

    Puis, se tournant vers sa sœur : — Ma sœur, de la part du prêtre jamais de précaution contre le prochain. Ce que le prochain fait, Dieu le permet. Bornons-nous à prier Dieu quand nous croyons qu’un danger arrive sur nous. Prions-le, non pour nous, mais pour que notre frère ne tombe pas en faute à notre occasion.

    Du reste, les événements étaient rares dans son existence. Nous racontons ceux que nous savons ; mais d’ordinaire il passait sa vie à faire toujours les mêmes choses aux mêmes moments. Un mois de son année ressemblait à une heure de sa journée.

    Quant à ce que devint « le trésor » de la cathédrale d’Embrun, on nous embarrasserait de nous interroger là-dessus. C’étaient là de bien belles choses, et bien tentantes, et bien bonnes à voler au profit des malheureux. Volées, elles l’étaient déjà d’ailleurs. La moitié de l’aventure était accomplie ; il ne restait plus qu’à changer la direction du vol, et qu’à lui faire faire un petit bout de chemin du côté des pauvres. Nous n’affirmons rien du reste à ce sujet. Seulement on a trouvé dans les papiers de l’évêque une note assez obscure qui se rapporte peut-être à cette affaire, et qui est ainsi conçue : La question est de savoir si cela doit faire retour à la cathédrale ou à l’hôpital.

     

    VIII

    PHILOSOPHIE APRÈS BOIRE

     

    Le sénateur dont il a été parlé plus haut était un homme entendu qui avait fait son chemin avec une rectitude inattentive à toutes ces rencontres qui font obstacle et qu’on nomme conscience, foi jurée, justice, devoir ; il avait marché droit à son but et sans broncher une seule fois dans la ligne de son avancement et de son intérêt. C’était un ancien procureur, attendri par le succès, pas méchant homme du tout, rendant tous les petits services qu’il pouvait à ses fils, à ses gendres, à ses parents, même à des amis ; ayant sagement pris de la vie les bons côtés, les bonnes occasions, les bonnes aubaines. Le reste lui semblait assez bête. Il était spirituel, et juste assez lettré pour se croire un disciple d’Épicure en n’étant peut-être qu’un produit de Pigault-Lebrun. Il riait volontiers, et agréablement, des choses infinies et éternelles, et des « billevesées du bonhomme évêque ». Il en riait quelquefois, avec une aimable autorité, devant M. Myriel lui-même, qui écoutait.

    À je ne sais quelle cérémonie demi-officielle, le comte *** (ce sénateur) et M. Myriel durent dîner chez le préfet. Au dessert, le sénateur, un peu égayé, quoique toujours digne, s’écria :

    Parbleu, monsieur l’évêque, causons. Un sénateur et un évêque se regardent difficilement sans cligner de l’œil. Nous sommes deux augures. Je vais vous faire un aveu : j’ai ma philosophie.

    Et vous avez raison, répondit l’évêque. Comme on fait sa philosophie on se couche. Vous êtes sur le lit de pourpre, monsieur le sénateur.

    Le sénateur, encouragé, reprit :

    Soyons bons enfants.

    Bons diables même, dit l’évêque.

    Je vous déclare, repartit le sénateur, que le marquis d’Argens, Pyrrhon, Hobbes et M. Naigeon ne sont pas des maroufles. J’ai dans ma bibliothèque tous mes philosophes dorés sur tranche.

    Comme vous-même, monsieur le comte, interrompit l’évêque.

    Le sénateur poursuivit :

    Je hais Diderot ; c’est un idéologue, un déclamateur et un révolutionnaire, au fond croyant en Dieu et plus bigot que Voltaire. Voltaire s’est moqué de Needham, et il a eu tort ; car les anguilles de Needham prouvent que Dieu est inutile. Une goutte de vinaigre dans une cuillerée de pâte de farine supplée le fiat lux. Supposez la goutte plus grosse et la cuillerée plus grande, vous avez le monde. L’homme, c’est l’anguille. Alors à quoi bon le Père éternel ? Monsieur l’évêque, l’hypothèse Jéhovah me fatigue. Elle n’est bonne qu’à produire des gens maigres qui songent creux. À bas ce grand Tout qui me tracasse ! Vive Zéro qui me laisse tranquille ! De vous à moi, et pour vider mon sac, et pour me confesser à mon pasteur comme il convient, je vous avoue que j’ai du bon sens. Je ne suis pas fou de votre Jésus, qui prêche à tout bout de champ le renoncement et le sacrifice. Conseil d’avare à des gueux. Renoncement ! pourquoi ? Sacrifice ! à quoi ? Je ne vois pas qu’un loup s’immole au bonheur d’un autre loup. Restons donc dans la nature. Nous sommes au sommet ; ayons la philosophie supérieure. Que sert d’être en haut, si l’on ne voit pas plus loin que le bout du nez des autres ? Vivons gaîment. La vie, c’est tout. Que l’homme ait un autre avenir, ailleurs, là-haut, là-bas, quelque part, je n’en crois pas un traître mot. Ah ! l’on me recommande le sacrifice et le renoncement, je dois prendre garde à tout ce que je fais, il faut que je me casse la tête sur le bien et le mal, sur le juste et l’injuste, sur le fas et le nefas. Pourquoi ? parce que j’aurai à rendre compte de mes actions. Quand ? Après ma mort. Quel bon rêve ! Après ma mort, bien fin qui me pincera. Faites donc saisir une poignée de cendres par une main d’ombre. Disons le vrai, nous qui sommes des initiés et qui avons levé la jupe d’Isis : il n’y a ni bien, ni mal ; il y a de la végétation. Cherchons le réel. Creusons tout à fait. Allons au fond, que diable ! Il faut flairer la vérité, fouiller sous terre, et la saisir. Alors elle vous donne des joies exquises. Alors vous devenez fort, et vous riez. Je suis carré par la base, moi. Monsieur l’évêque, l’immortalité de l’homme est un écoute-s’il-pleut. Oh ! la charmante promesse ! Fiez-vous-y. Le bon billet qu’a Adam ! On est âme, on sera ange, on aura des ailes bleues aux omoplates. Aidez-moi donc, n’est-ce pas Tertulien qui dit que les bienheureux iront d’un astre à l’autre ? Soit. On sera les sauterelles des étoiles. Et puis, on verra Dieu. Ta ta ta. Fadaises que tous ces paradis. Dieu est une sornette monstre. Je ne dirais point cela dans le Moniteur, parbleu ! mais je le chuchote entre amis. Inter pocula. Sacrifier la terre au paradis, c’est lâcher la proie pour l’ombre. Être dupe de l’infini ! pas si bête. Je suis néant. Je m’appelle monsieur le comte Néant, sénateur. Étais-je avant ma naissance ? Non. Serai-je après ma mort ? Non. Que suis-je ? un peu de poussière agrégée par un organisme. Qu’ai-je à faire sur cette terre ? J’ai le choix. souffrir ou jouir. Où me mènera la souffrance ? Au néant. Mais j’aurai souffert. Où me mènera la jouissance ? Au néant. Mais j’aurai joui. Mon choix est fait. Il faut être mangeant ou mangé. Je mange. Mieux vaut être la dent que l’herbe. Telle est ma sagesse. Après quoi, va comme je te pousse, le fossoyeur est là, le Panthéon pour nous autres, tout tombe dans le grand trou. Fin. Finis. Liquidation totale. Ceci est l’endroit de l’évanouissement. La mort est morte, croyez-moi. Qu’il y ait là quelqu’un qui ait quelque chose à me dire, je ris d’y songer. Invention de nourrices. Croquemitaine pour les enfants, Jéhovah pour les hommes. Non ; notre lendemain est de la nuit. Derrière la tombe, il n’y a plus que des néants égaux. Vous avez été Sardanapale, vous avez été Vincent de Paul, cela fait le même rien. Voilà le vrai. Donc vivez, par-dessus tout. Usez de votre moi pendant que vous le tenez. En vérité, je vous le dis, monsieur l’évêque, j’ai ma philosophie, et j’ai mes philosophes. Je ne me laisse pas enguirlander par des balivernes. Après ça, il faut bien quelque chose à ceux qui sont en bas, aux va-nu-pieds, aux gagne-petit, aux misérables. On leur donne à gober les légendes, les chimères, l’âme, l’immortalité, le paradis, les étoiles. Ils mâchent cela. Ils le mettent sur leur pain sec. Qui n’a rien a le bon Dieu. C’est bien le moins. Je n’y fais point obstacle, mais je garde pour moi monsieur Naigeon. Le bon Dieu est bon pour le peuple.

    L’évêque battit des mains.

    Voilà parler ! s’écria-t-il. L’excellente chose, et vraiment merveilleuse, que ce matérialisme-là ! Ne l’a pas qui veut. Ah ! quand on l’a, on n’est plus dupe ; on ne se laisse pas bêtement exiler comme Caton, ni lapider comme Étienne, ni brûler vif comme Jeanne d’Arc. Ceux qui ont réussi à se procurer ce matérialisme admirable ont la joie de se sentir irresponsables, et de penser qu’ils peuvent tout dévorer sans inquiétude, les places, les sinécures, les dignités, le pouvoir bien ou mal acquis, les palinodies lucratives, les trahisons utiles, les savoureuses capitulations de conscience, et qu’ils entreront dans la tombe, leur digestion faite. Comme c’est agréable ! Je ne dis pas cela pour vous, monsieur le sénateur. Cependant il m’est impossible de ne point vous féliciter. Vous autres grands seigneurs, vous avez, vous le dites, une philosophie à vous et pour vous, exquise, raffinée, accessible aux riches seuls, bonne à toutes les sauces, assaisonnant admirablement les voluptés de la vie. Cette philosophie est prise dans les profon deurs et déterrée par des chercheurs spéciaux. Mais vous êtes bons princes, et vous ne trouvez pas mauvais que la croyance au bon Dieu soit la philosophie du peuple, à peu près comme l’oie aux marrons est la dinde aux truffes du pauvre.

     

    IX

    LE FRÈRE RACONTÉ PAR LA SŒUR

     

    Pour donner une idée du ménage intérieur de M. l’évêque de Digne et de la façon dont ces deux saintes filles subordonnaient leurs actions, leurs pensées, même leurs instincts de femmes aisément effrayées, aux habitudes et aux intentions de l’évêque, sans qu’il eût même à prendre la peine de parler pour les exprimer, nous ne pouvons mieux faire que de transcrire ici une lettre de mademoiselle Baptistine à madame la vicomtesse de Boischevron, son amie d’enfance. Cette lettre est entre nos mains.

    Digne, 16 décembre 18…

    « Ma bonne madame, pas un jour ne se passe où nous ne parlions de vous. C’est assez notre habitude, mais il y a une raison de plus. Figurez-vous qu’en lavant et époussetant les plafonds et les murs, madame Magloire a fait des découvertes ; maintenant nos deux chambres tapissées de vieux papier blanchi à la chaux ne dépareraient pas un château dans le genre du vôtre. Madame Magloire a déchiré tout le papier. Il y avait des choses dessous. Mon salon, où il n’y a pas de meubles, et dont nous nous servons pour étendre le linge après les lessives, a quinze pieds de haut, dix-huit de large carrés, un plafond peint anciennement avec dorure, des solives comme chez vous. C’était recouvert d’une toile, du temps que c’était l’hôpital. Enfin des boiseries du temps de nos grand’mères. Mais c’est ma chambre qu’il faut voir. Madame Magloire a découvert, sous au moins dix papiers collés dessus, des peintures, sans être bonnes, qui peuvent se supporter. C’est Télémaque reçu chevalier par Minerve ; c’est lui encore dans les jardins, le nom m’échappe ; enfin où les dames romaines se rendaient une seule nuit. Que vous dirai-je ? j’ai des romains, des romaines (ici un mot illisible), et toute la suite. Madame Magloire a débarbouillé tout cela ; cet été elle va réparer quelques petites avaries, revernir le tout, et ma chambre sera un vrai musée. Elle a aussi trouvé dans un coin du grenier deux consoles en bois genre ancien. On demandait deux écus de six livres pour les redorer, mais il vaut mieux donner cela aux pauvres ; d’ailleurs c’est fort laid, et j’aimerais mieux une table ronde en acajou.

    « Je suis toujours bien heureuse. Mon frère est si bon. Il donne tout ce qu’il a aux indigents et aux malades. Nous sommes très gênés. Le pays est dur l’hiver, et il faut bien faire quelque chose pour ceux qui manquent. Nous sommes à peu près chauffés et éclairés. Vous voyez que ce sont de grandes douceurs.

    « Mon frère a ses habitudes à lui. Quand il cause, il dit qu’un évêque doit être ainsi. Figurez-vous que la porte de la maison n’est jamais fermée. Entre qui veut, et l’on est tout de suite chez mon frère. Il ne craint rien, même la nuit. C’est sa bravoure à lui, comme il dit.

    « Il ne veut pas que je craigne pour lui, ni que madame Magloire craigne. Il s’expose à tous les dangers, et il ne veut même pas que nous ayons l’air de nous en apercevoir. Il faut savoir le comprendre.

    « Il sort par la pluie, il marche dans l’eau, il voyage en hiver. Il n’a pas peur de la nuit, des routes suspectes ni des rencontres.

    « L’an dernier, il est allé tout seul dans un pays de voleurs. Il n’a pas voulu nous emmener. Il est resté quinze jours absent. À son retour, il n’avait rien eu ; on le croyait mort, et il se portait bien, et il a dit : Voilà comme on m’a volé ! Et il a ouvert une malle pleine de tous les bijoux de la cathédrale d’Embrun, que les voleurs lui avaient donnés.

    « Cette fois-là, en revenant, je n’ai pu m’empêcher de le gronder un peu, en ayant soin de ne parler que pendant que la voiture faisait du bruit, afin que personne ne pût entendre.

    « Dans les premiers temps, je me disais : il n’y a pas de dangers qui l’arrêtent, il est terrible. À présent j’ai fini par m’y accoutumer. Je fais signe à madame Magloire pour qu’elle ne le contrarie pas. Il se risque comme il veut. Moi j’emmène madame Magloire, je rentre dans ma chambre, je prie pour lui, et je m’endors. Je suis tranquille, parce que je sais bien que s’il lui arrivait malheur, ce serait ma fin. Je m’en irais au bon Dieu avec mon frère et mon évêque. Madame Magloire a eu plus de peine que moi à s’habituer à ce qu’elle appelait ses imprudences. Mais à présent le pli est pris. Nous prions toutes les deux, nous avons peur ensemble, et nous nous endormons. Le diable entrerait dans la maison qu’on le laisserait faire. Après tout, que craignons-nous dans cette maison ? Il y a toujours quelqu’un avec nous qui est le plus fort. Le diable peut y passer, mais le bon Dieu l’habite.

    « Voilà qui me suffit. Mon frère n’a plus même besoin de me dire un mot maintenant. Je le comprends sans qu’il parle, et nous nous abandonnons à la Providence.

    « Voilà comme il faut être avec un homme qui a du grand dans l’esprit.

    « J’ai questionné mon frère pour le renseignement que vous me demandez sur la famille de Faux. Vous savez comme il sait tout et comme il a des souvenirs, car il est toujours très bon royaliste. C’est de vrai une très ancienne famille normande de la généralité de Caen. Il y a cinq cents ans d’un Raoul de Faux et d’un Thomas de Faux, qui étaient des gentilshommes, dont un seigneur de Rochefort. Le dernier était Guy-Étienne-Alexandre et était mestre-de-camp, et quelque chose dans les chevaux-légers de Bretagne. Sa fille Marie-Louise a épousé Adrien-Charles de Gramont, fils du duc Louis de Gramont, pair de France, et colonel des gardes françaises et lieutenant général des armées. On écrit Faux, Fauq et Faoucq.

    « Bonne madame, recommandez-nous aux prières de votre saint parent, M. le cardinal. Quant à votre chère Sylvanie, elle a bien fait de ne pas prendre les courts instants qu’elle passe près de vous pour m’écrire. Elle se porte bien, travaille selon vos désirs, m’aime toujours. C’est ce que je veux. Son souvenir par vous m’est arrivé, je m’en trouve heureuse. Ma santé n’est pas trop mauvaise, et cependant je maigris tous les jours davantage. Adieu, le papier me manque et me force à vous quitter. Mille bonnes choses.

    « Baptistine.

    « P. S. — Votre petit-neveu est charmant. Savez-vous qu’il a cinq ans bientôt ? Hier il a vu passer un cheval auquel on avait mis des genouillères, et il disait : Qu’est-ce qu’il a donc aux genoux ? — Il est si gentil, cet enfant ! Son petit frère traîne un vieux balai dans l’appartement comme une voiture, et dit : Hu ! »

    Comme on le voit par cette lettre, ces deux femmes savaient se plier aux façons d’être de l’évêque avec ce génie particulier de la femme qui comprend l’homme mieux que l’homme ne se comprend. L’évêque de Digne, sous cet air doux et candide qui ne se démentait jamais, faisait parfois des choses grandes, hardies et magnifiques, sans paraître même s’en douter. Elles tremblaient, mais elles le laissaient faire. Quelquefois madame Magloire essayait une remontrance avant ; jamais pendant ni après. Jamais on ne le trou blait, ne fût-ce que par un signe, dans une action commencée. À de certains moments, sans qu’il eût besoin de le dire, lorsqu’il n’en avait peut-être pas lui-même conscience, tant sa simplicité était parfaite, elles sentaient vaguement qu’il agissait comme évêque ; alors elles n’étaient plus que deux ombres dans la maison. Elles le servaient passivement, et, si c’était obéir que de disparaître, elles disparaissaient. Elles savaient, avec une admirable délicatesse d’instinct, que de certaines sollicitudes peuvent gêner. Aussi, même le croyant en péril, elles comprenaient, je ne dis pas sa pensée, mais sa nature, jusqu’au point de ne plus veiller sur lui. Elles le confiaient à Dieu.

    D’ailleurs Baptistine disait, comme on vient de le lire, que la fin de son frère serait la sienne. Madame Magloire ne le disait pas, mais elle le savait.

     

    X

    L’ÉVÊQUE EN PRÉSENCE D’UNE LUMIÈRE INCONNUE

     

    À une époque un peu postérieure à la date de la lettre citée dans les pages précédentes, il fit une chose, à en croire toute la ville, plus risquée encore que sa promenade à travers les montagnes des bandits.

    Il y avait près de Digne, dans la campagne, un homme qui vivait solitaire. Cet homme, disons tout de suite le gros mot, était un ancien conventionnel. Il se nommait G.

    On parlait du conventionnel G. dans le petit monde de Digne avec une sorte d’horreur. Un conventionnel, vous figurez-vous cela ? Cela existait du temps qu’on se tutoyait et qu’on disait : Citoyen. Cet homme était à peu près un monstre. Il n’avait pas voté la mort du roi, mais presque. C’était un quasi-régicide. Il avait été terrible. Comment, au retour des princes légitimes, n’avait-on pas traduit cet homme-là devant une cour prévôtale ? On ne lui eût pas coupé la tête, si vous voulez, il faut de la clémence, soit ; mais un bon bannissement à vie. Un exemple enfin ! etc., etc. C’était un athée d’ailleurs, comme tous ces gens-là. — Commérages des oies sur le vautour.

    Était-ce du reste un vautour que G. ? Oui, si l’on en jugeait par ce qu’il y avait de farouche dans sa solitude. N’ayant pas voté la mort du roi, il n’avait pas été compris dans les décrets d’exil et avait pu rester en France.

    Il habitait, à trois quarts d’heure de la ville, loin de tout hameau, loin de tout chemin, on ne sait quel repli perdu d’un vallon très sauvage. Il avait là, disait-on, une espèce de champ, un trou, un repaire. Pas de voisins ; pas même de passants. Depuis qu’il demeurait dans ce vallon, le sentier qui y conduisait avait disparu sous l’herbe. On parlait de cet endroit-là comme de la maison du bourreau.

    Pourtant l’évêque songeait, et de temps en temps regardait l’horizon à l’endroit où un bouquet d’arbres marquait le vallon du vieux conventionnel, et il disait : Il y a là une âme qui est seule.

    Et au fond de sa pensée il ajoutait : Je lui dois ma visite.

    Mais, avouons-le, cette idée, au premier abord naturelle, lui apparaissait, après un moment de réflexion, comme étrange et impossible, et presque repoussante. Car au fond, il partageait l’impression générale, et le conventionnel lui inspirait, sans qu’il s’en rendît clairement compte, ce sentiment qui est comme la frontière de la haine et qu’exprime si bien le mot éloignement.

    Toutefois, la gale de la brebis doit-elle faire reculer le pasteur ? Non. Mais quelle brebis !

    Le bon évêque était perplexe. Quelquefois il allait de ce côté-là, puis il revenait.

    Un jour enfin le bruit se répandit dans la ville qu’une façon de jeune pâtre qui servait le conventionnel G. dans sa bauge était venu chercher un médecin ; que le vieux scélérat se mourait, que la paralysie le gagnait, et qu’il ne passerait pas la nuit. — Dieu merci ! ajoutaient quelques-uns.

    L’évêque prit son bâton, mit son pardessus, à cause de sa soutane un peu trop usée, comme nous l’avons dit, et aussi à cause du vent du soir qui ne devait pas tarder à souffler, et partit.

    Le soleil déclinait et touchait presque à l’horizon, quand l’évêque arriva à l’endroit excommunié. Il reconnut avec un certain battement de cœur qu’il était près de la tanière. Il enjamba un fossé, franchit une haie, leva un échalier, entra dans un courtil délabré, fit quelques pas assez hardiment, et tout à coup, au fond de la friche, derrière une haute broussaille, il aperçut la caverne.

    C’était une cabane toute basse, indigente, petite et propre, avec une treille clouée à la façade.

    Devant la porte, dans une vieille chaise à roulettes, fauteuil du paysan, il y avait un homme en cheveux blancs qui souriait au soleil.

    Près du vieillard assis se tenait debout un jeune garçon, le petit pâtre. Il tendait au vieillard une jatte de lait.

    Pendant que l’évêque regardait, le vieillard éleva la voix : — Merci, dit-il, je n’ai plus besoin de rien. Et son sourire quitta le soleil pour s’arrêter sur l’enfant.

    L’évêque s’avança. Au bruit qu’il fit en marchant, le vieux homme assis tourna la tête, et son visage exprima toute la quantité de surprise qu’on peut avoir après une longue vie.

    Depuis que je suis ici, dit-il, voilà la première fois qu’on entre chez moi. Qui êtes-vous, monsieur ?

    L’évêque répondit :

    Je me nomme Bienvenu Myriel.

    Bienvenu Myriel ! j’ai entendu prononcer ce nom. Est-ce que c’est vous que le peuple appelle monseigneur Bienvenu ?

    C’est moi.

    Le vieillard reprit avec un demi-sourire :

    En ce cas, vous êtes mon évêque ?

    Un peu.

    Entrez, monsieur.

    Le conventionnel tendit la main à l’évêque, mais l’évêque ne la prit pas. L’évêque se borna à dire :

    Je suis satisfait de voir qu’on m’avait trompé. Vous ne me semblez, certes, pas malade.

    Monsieur, répondit le vieillard, je vais guérir.

    Il fit une pause, et dit :

    Je mourrai dans trois heures.

    Puis il reprit :

    Je suis un peu médecin ; je sais de quelle façon la dernière heure vient. Hier, je n’avais que les pieds froids ; aujourd’hui, le froid a gagné les genoux ; maintenant je le sens qui monte jusqu’à la ceinture ; quand il sera au cœur, je m’arrêterai. Le soleil est beau, n’est-ce pas ? je me suis fait rouler dehors pour jeter un dernier coup d’œil sur les choses. Vous pouvez me parler, cela ne me fatigue point. Vous faites bien de venir regarder un homme qui va mourir. Il est bon que ce moment-là ait des témoins. On a des manies ; j’aurais voulu aller jusqu’à l’aube. Mais je sais que j’en ai à peine pour trois heures. Il fera nuit. Au fait, qu’importe ! Finir est une affaire simple. On n’a pas besoin du matin pour cela. Soit. Je mourrai à la belle étoile.

    Le vieillard se tourna vers le pâtre.

    Toi, va te coucher. Tu as veillé l’autre nuit, tu es fatigué.

    L’enfant rentra dans la cabane.

    Le vieillard le suivit des yeux, et ajouta, comme se parlant à lui-même :

    Pendant qu’il dormira, je mourrai. Les deux sommeils peuvent faire bon voisinage.

    L’évêque n’était pas ému comme il semble qu’il aurait pu l’être. Il ne croyait pas sentir Dieu dans cette façon de mourir ; disons tout, car les petites contradictions des grands cœurs veulent être indiquées comme le reste, lui qui, dans l’occasion, riait si volontiers de Sa Grandeur, il était quelque peu choqué de ne pas être appelé monseigneur, et il était presque tenté de répliquer : citoyen. Il lui vint une velléité de familiarité bourrue, assez ordinaire aux médecins et aux prêtres, mais qui ne lui était pas habituelle, à lui. Cet homme, après tout, ce conventionnel, ce représentant du peuple, avait été un puissant de la terre ; pour la première fois de sa vie peut-être, l’évêque se sentit en humeur de sévérité.

    Le conventionnel cependant le considérait avec une cordialité modeste, où l’on eût pu démêler l’humilité qui sied quand on est si près de sa mise en poussière.

    L’évêque, de son côté, quoiqu’il se gardât ordinairement de la curiosité, laquelle, selon lui, était contiguë à l’offense, ne pouvait s’empêcher d’examiner le conventionnel avec une attention qui, n’ayant pas sa source dans la sympathie, lui eût été probablement reprochée par sa conscience vis-à-vis de tout autre homme. Un conventionnel lui faisait un peu l’effet d’être hors la loi, même hors la loi de charité.

    G., calme, le buste presque droit, la voix vibrante, était un de ces grands octogénaires qui font l’étonnement du physiologiste. La révolution a eu beaucoup de ces hommes proportionnés à l’époque. On sentait dans ce vieillard l’homme à l’épreuve. Si près de sa fin il avait conservé tous les gestes de la santé. Il y avait dans son coup d’œil clair, dans son accent ferme, dans son robuste mouvement d’épaules, de quoi déconcerter la mort. Azraël, l’ange mahométan du sépulcre, eût rebroussé chemin et eût cru se tromper de porte. G. semblait mourir parce qu’il le voulait bien. Il y avait de la liberté dans son agonie. Les jambes seulement étaient immobiles. Les ténèbres le tenaient par là. Les pieds étaient morts et froids, et la tête vivait de toute la puissance de la vie et paraissait en pleine lumière. G., en ce grave moment, ressemblait à ce roi du conte oriental, chair par en haut, marbre par en bas.

    Une pierre était là. L’évêque s’y assit. L’exorde fut ex abrupto.

    Je vous félicite, dit-il du ton dont on réprimande. Vous n’avez toujours pas voté la mort du roi.

    Le conventionnel ne parut pas remarquer le sous-entendu amer caché dans ce mot : toujours. Il répondit. Tout sourire avait disparu de sa face.

    Ne me félicitez pas trop, monsieur ; j’ai voté la fin du tyran.

    C’est l’accent austère en présence de l’accent sévère.

    Que voulez-vous dire ? reprit l’évêque.

    Je veux dire que l’homme a un tyran, l’ignorance. J’ai voté la fin de ce tyran-là. Ce tyran-là a engendré la royauté, qui est l’autorité prise dans le faux, tandis que la science est l’autorité prise dans le vrai. L’homme ne doit être gouverné que par la science.

    Et la conscience, ajouta l’évêque.

    C’est la même chose. La conscience, c’est la quantité de science innée que nous avons en nous.

    Monseigneur Bienvenu écoutait, un peu étonné, ce langage très nouveau pour lui.

    Le conventionnel poursuivit :

    Quant à Louis XVI, j’ai dit non. Je ne me crois pas le droit de tuer un homme ; mais je me sens le devoir d’exterminer le mal. J’ai voté la fin du tyran. C’est-à-dire la fin de la prostitution pour la femme, la fin de l’esclavage pour l’homme, la fin de la nuit pour l’enfant. En votant la république, j’ai voté cela. J’ai voté la fraternité, la concorde, l’aurore ! J’ai aidé à la chute des préjugés et des erreurs. Les écroulements des erreurs et des préjugés font de la lumière. Nous avons fait tomber le vieux monde, nous autres, et le vieux monde, vase des misères, en se renversant sur le genre humain est devenu une urne de joie.

    Joie mêlée, dit l’évêque.

    Vous pourriez dire joie troublée, et aujourd’hui, après ce fatal retour du passé qu’on nomme 1814, joie disparue. Hélas ! l’œuvre a été incomplète, j’en conviens ; nous avons démoli l’ancien régime dans les faits, nous n’avons pu entièrement le supprimer dans les idées. Détruire les abus, cela ne suffit pas ; il faut modifier les mœurs. Le moulin n’y est plus, le vent y est encore.

    Vous avez démoli. Démolir peut être utile ; mais je me défie d’une démolition compliquée de colère.

    Le droit a sa colère, monsieur l’évêque, et la colère du droit est un élément du progrès. N’importe, et, quoi qu’on en dise, la révolution française est le plus puissant pas du genre humain depuis l’avènement du Christ. Incomplète, soit, mais sublime. Elle a dégagé toutes les inconnues sociales; elle a adouci les esprits ; elle a calmé, apaisé, éclairé ; elle a fait couler sur la terre des flots de civilisation. Elle a été bonne. La révolution française, c’est le sacre de l’humanité.

    L’évêque ne put s’empêcher de murmurer :

    Oui ? 93 !

    Le conventionnel se dressa sur sa chaise avec une solennité presque lugubre, et, autant qu’un mourant peut s’écrier, il s’écria :

    Ah ! vous y voilà ! 93 ! J’attendais ce mot-là. Un nuage s’est formé pendant quinze cents ans. Au bout de quinze siècles, il a crevé. Vous faites le procès au coup de tonnerre.

    L’évêque sentit, sans se l’avouer peut-être, que quelque chose en lui était atteint. Pourtant il fit bonne contenance. Il répondit :

    Le juge parle au nom de la justice ; le prêtre parle au nom de la pitié, qui n’est autre chose qu’une justice plus élevée. Un coup de tonnerre ne doit pas se tromper.

    Et il ajouta en regardant fixement le conventionnel :

    Louis XVII ?

    Le conventionnel étendit la main et saisit le bras de l’évêque :

    Louis XVII ! voyons. Sur qui pleurez-vous ? Est-ce sur l’enfant innocent ? alors soit. Je pleure avec vous. Est-ce sur l’enfant royal ? je demande à réfléchir. Pour moi, le frère de Cartouche, enfant innocent, pendu sous les aisselles en place de Grève jusqu’à ce que mort s’ensuive, pour le seul crime d’avoir été le frère de Cartouche, n’est pas moins douloureux que le petit-fils de Louis XV, enfant innocent, martyrisé dans la tour du Temple pour le seul crime d’avoir été le petit-fils de Louis XV.

    Monsieur, dit l’évêque, je n’aime pas ces rapprochements de noms.

    Cartouche ? Louis XV ? pour lequel des deux réclamez-vous ?

    Il y eut un moment de silence. L’évêque regrettait presque d’être venu, et pourtant il se sentait vaguement et étrangement ébranlé.

    Le conventionnel reprit :

    Ah ! monsieur le prêtre, vous n’aimez pas les crudités du vrai. Christ les aimait, lui. Il prenait une verge et il époussetait le temple. Son fouet plein d’éclairs était un rude diseur de vérités. Quand il s’écriait : Sinite parvulos…, il ne distinguait pas entre les petits enfants. Il ne se fût pas gêné de rapprocher le dauphin de Barabbas du dauphin d’Hérode. Monsieur, l’innocence est sa couronne à elle-même. L’innocence n’a que faire d’être altesse. Elle est aussi auguste déguenillée que fleurdelysée.

    C’est vrai, dit l’évêque à voix basse.

    J’insiste, continua le conventionnel G. Vous m’avez nommé Louis XVII. Entendons-nous. Pleurons-nous sur tous les innocents, sur tous les martyrs, sur tous les enfants, sur ceux d’en bas comme sur ceux d’en haut ? J’en suis. Mais alors, je vous l’ai dit, il faut remonter plus haut que 93, et c’est avant Louis XVII qu’il faut commencer nos larmes. Je pleurerai sur les enfants des rois avec vous, pourvu que vous pleuriez avec moi sur les petits du peuple.

    Je pleure sur tous, dit l’évêque.

    Également ! s’écria G., et, si la balance doit pencher, que ce soit du côté du peuple. Il y a plus longtemps qu’il souffre.

    Il y eut encore un silence. Ce fut le conventionnel qui le rompit. Il se souleva sur un coude, prit entre son pouce et son index replié un peu de sa joue, comme on fait machinalement lorsqu’on interroge et qu’on juge, et interpella l’évêque avec un regard plein de toutes les énergies de l’agonie. Ce fut presque une explosion.

    Oui, monsieur, il y a longtemps que le peuple souffre. Et puis, tenez, ce n’est pas tout cela, que venez-vous me questionner et me parler de Louis XVII ? Je ne vous connais pas, moi. Depuis que je suis dans ce pays, j’ai vécu dans cet enclos, seul, ne mettant pas les pieds dehors, ne voyant personne que cet enfant qui m’aide. Votre nom est, il est vrai, arrivé confusément jusqu’à moi, et, je dois le dire, pas très mal prononcé ; mais cela ne signifie rien ; les gens habiles ont tant de manières d’en faire accroire à ce brave bonhomme de peuple. À propos, je n’ai pas entendu le bruit de votre voiture, vous l’avez sans doute laissée derrière le taillis, là-bas, à l’embranchement de la route. Je ne vous connais pas, vous dis-je. Vous m’avez dit que vous étiez l’évêque, mais cela ne me renseigne point sur votre personne morale. En somme, je vous répète ma question. Qui êtes-vous ? Vous êtes un évêque, c’est-à-dire un prince de l’église, un de ces hommes dorés, armoriés, rentés, qui ont de grosses prébendes, — l’évêché de Digne, quinze mille francs de fixe, dix mille francs de casuel, total, vingt-cinq mille francs, — qui ont des cuisines, qui ont des livrées, qui font bonne chère, qui mangent des poules d’eau le vendredi, qui se pavanent, laquais devant, laquais derrière, en berline de gala, et qui ont des palais, et qui roulent carrosse au nom de Jésus-Christ qui allait pieds nus ! Vous êtes un prélat ; rentes, palais, chevaux, valets, bonne table, toutes les sensualités de la vie, vous avez cela comme les autres, et comme les autres vous en jouissez, c’est bien, mais cela en dit trop ou pas assez ; cela ne m’éclaire pas sur votre valeur intrinsèque et essentielle, à vous qui venez avec la prétention probable de m’apporter de la sagesse. À qui est-ce que je parle ? Qui êtes-vous ?

    L’évêque baissa la tête et répondit : — Vermis sum.

    Un ver de terre en carrosse ! grommela le conventionnel.

    C’était le tour du conventionnel d’être hautain, et de l’évêque d’être humble.

    L’évêque reprit avec douceur :

    Monsieur, soit. Mais expliquez-moi en quoi mon carrosse, qui est là à deux pas derrière les arbres, en quoi ma bonne table et les poules d’eau que je mange le vendredi, en quoi mes vingt-cinq mille livres de rentes, en quoi mon palais et mes laquais prouvent que la pitié n’est pas une vertu, que la clémence n’est pas un devoir, et que 93 n’a pas été inexorable.

    Le conventionnel passa la main sur son front comme pour en écarter un nuage.

    Avant de vous répondre, dit-il, je vous prie de me pardonner. Je viens d’avoir un tort, monsieur. Vous êtes chez moi, vous êtes mon hôte. Je vous dois courtoisie. Vous discutez mes idées, il sied que je me borne à combattre vos raisonnements. Vos richesses et vos jouissances sont des avantages que j’ai contre vous dans le débat, mais il est de bon goût de ne pas m’en servir. Je vous promets de ne plus en user.

    Je vous remercie, dit l’évêque.

    G. reprit :

    Revenons à l’explication que vous me demandiez. Où en étions-nous ? Que me disiez-vous ? que 93 a été inexorable ?

    Inexorable, oui, dit l’évêque. Que pensez-vous de Marat battant des mains à la guillotine ?

    Que pensez-vous de Bossuet chantant le Te Deum sur les dragonnades ?

    La réponse était dure, mais elle allait au but avec la rigidité d’une pointe d’acier. L’évêque en tressaillit, il ne lui vint aucune riposte ; mais il était froissé de cette façon de nommer Bossuet. Les meilleurs esprits ont leurs fétiches, et parfois se sentent vaguement meurtris des manques de respect de la logique.

    Le conventionnel commençait à haleter ; l’asthme de l’agonie, qui se mêle aux derniers souffles, lui entrecoupait la voix ; cependant il avait encore une parfaite lucidité d’âme dans les yeux. Il continua :

    Disons encore quelques mots çà et là, je veux bien. En dehors de la révolution, qui, prise dans son ensemble, est une immense affirmation humaine, 93, hélas ! est une réplique. Vous le trouvez inexorable, mais toute la monarchie, monsieur ? Carrier est un bandit ; mais quel nom donnez-vous à Montrevel ? Fouquier-Tinville est un gueux ; mais quel est votre avis sur Lamoignon-Bâville ? Maillard est affreux, mais Saulx-Tavannes, s’il vous plaît ? Le père Duchêne est féroce, mais quelle épithète m’accorderez-vous pour le père Letellier ? Jourdan-Coupe-Tête est un monstre, mais moindre que M. le marquis de Louvois. Monsieur, monsieur, je plains Marie-Antoinette archiduchesse et reine, mais je plains aussi cette pauvre femme huguenote qui, en 1685, sous Louis le Grand, monsieur, allaitant son enfant, fut liée, nue jusqu’à la ceinture, à un poteau, l’enfant tenu à distance ; le sein se gonflait de lait et le cœur d’angoisse ; le petit, affamé et pâle, voyait ce sein, agonisait et criait ; et le bourreau disait à la femme, mère et nourrice : Abjure ! lui donnant à choisir entre la mort de son enfant et la mort de sa conscience. Que dites-vous de ce supplice de Tantale accommodé à une mère ? Monsieur, retenez bien ceci, la révolution française a eu ses raisons. Sa colère sera absoute par l’avenir. Son résultat, c’est le monde meilleur. De ses coups les plus terribles il sort une caresse pour le genre humain. J’abrège. Je m’arrête, j’ai trop beau jeu. D’ailleurs je me meurs.

    Et, cessant de regarder l’évêque, le conventionnel acheva sa pensée en ces quelques mots tranquilles :

    Oui, les brutalités du progrès s’appellent révolutions. Quand elles sont finies, on reconnaît ceci : que le genre humain a été rudoyé, mais qu’il a marché.

    Le conventionnel ne se doutait pas qu’il venait d’emporter successivement l’un après l’autre tous les retranchements intérieurs de l’évêque. Il en restait un pourtant, et de ce retranchement, suprême ressource de la résistance de monseigneur Bienvenu, sortit cette parole où reparut presque toute la rudesse du commencement :

    Le progrès doit croire en Dieu. Le bien ne peut pas avoir de serviteur impie. C’est un mauvais conducteur du genre humain que celui qui est athée.

    Le vieux représentant du peuple ne répondit pas. Il eut un tremblement. Il regarda le ciel, et une larme germa lentement dans ce regard. Quand la paupière fut pleine, la larme coula le long de sa joue livide, et il dit presque en bégayant, bas en se parlant à lui-même, l’œil perdu dans les profondeurs :

    Ô toi ! ô idéal ! toi seul existes !

    L’évêque eut une sorte d’inexprimable commotion.

    Après un silence, le vieillard leva un doigt vers le ciel, et dit :

    L’infini est. Il est là. Si l’infini n’avait pas de moi, le moi serait sa borne, il ne serait pas infini ; en d’autres termes, il ne serait pas. Or il est. Donc il a un moi. Ce moi de l’infini, c’est Dieu.

    Le mourant avait prononcé ces dernières paroles d’une voix haute et avec le frémissement de l’extase, comme s’il voyait quelqu’un. Quand il eut parlé, ses yeux se fermèrent. L’effort l’avait épuisé. Il était évident qu’il venait de vivre en une minute les quelques heures qui lui restaient. Ce qu’il venait de dire l’avait approché de celui qui est dans la mort. L’instant suprême arrivait.

    L’évêque le comprit, le moment pressait ; c’était comme prêtre qu’il était venu. De l’extrême froideur, il était passé par degrés à l’émotion extrême ; il regarda ces yeux fermés, il prit cette vieille main ridée et glacée, et se pencha vers le moribond :

    Cette heure est celle de Dieu. Ne trouvez-vous pas qu’il serait regrettable que nous nous fussions rencontrés en vain ?

    Le conventionnel rouvrit les yeux. Une gravité où il y avait de l’ombre s’empreignit sur son visage.

    Monsieur l’évêque, dit-il, avec une lenteur qui venait peut-être plus encore de la dignité de l’âme que de la défaillance des forces, j’ai passé ma vie dans la méditation, l’étude et la contemplation. J’avais soixante ans quand mon pays m’a appelé, et m’a ordonné de me mêler de ses affaires. J’ai obéi. Il y avait des abus, je les ai combattus ; il y avait des tyrannies, je les ai détruites ; il y avait des droits et des principes, je les ai proclamés et confessés. Le territoire était envahi, je l’ai défendu ; la France était menacée, j’ai offert ma poitrine. Je n’étais pas riche ; je suis pauvre. J’ai été l’un des maîtres de l’État, les caves du Trésor étaient encombrées d’espèces au point qu’on était forcé d’étançonner les murs, prêts à se fendre sous le poids de l’or et de l’argent ; je dînais rue de l’Arbre-Sec à vingt-deux sous par tête. J’ai secouru les opprimés, j’ai soulagé les souffrants. J’ai déchiré la nappe de l’autel, c’est vrai ; mais c’était pour panser les blessures de la patrie. J’ai toujours soutenu la marche en avant du genre humain vers la lumière, et j’ai résisté quelquefois au progrès sans pitié. J’ai, dans l’occasion, protégé mes propres adversaires, vous autres. Et il y a, à Peteghem en Flandre, à l’endroit même où les rois mérovingiens avaient leur palais d’été, un couvent d’urbanistes, l’abbaye de Sainte-Claire en Beaulieu, que j’ai sauvé en 1793. J’ai fait mon devoir selon mes forces et le bien que j’ai pu. Après quoi j’ai été chassé, traqué, poursuivi, persécuté, noirci, raillé, conspué, maudit, proscrit. Depuis bien des années déjà, avec mes cheveux blancs, je sens que beaucoup de gens se croient sur moi le droit de mépris, j’ai pour la pauvre foule ignorante visage de damné, et j’accepte, ne haïssant personne, l’isolement de la haine. Maintenant, j’ai quatre-vingt-six ans ; je vais mourir. Qu’est-ce que vous venez me demander ?

    Votre bénédiction, dit l’évêque.

    Et il s’agenouilla.

    Quand l’évêque releva la tête, la face du conventionnel était devenue auguste. Il venait d’expirer.

    L’évêque rentra chez lui profondément absorbé dans on ne sait quelles pensées. Il passa toute la nuit en prière. Le lendemain, quelques braves curieux essayèrent de lui parler du conventionnel G. ; il se borna à montrer le ciel. À partir de ce moment, il redoubla de tendresse et de fraternité pour les petits et les souffrants.

    Toute allusion à ce « vieux scélérat de G. » le faisait tomber dans une préoccupation singulière. Personne ne pourrait dire que le passage de cet esprit devant le sien et le reflet de cette grande conscience sur la sienne ne fût pas pour quelque chose dans son approche de la perfection.

    Cette « visite pastorale » fut naturellement une occasion de bourdonnement pour les petites coteries locales :

    « — Était-ce la place d’un évêque que le chevet d’un tel mourant ? Il n’y avait évidemment pas de conversion à attendre. Tous ces révolutionnaires sont relaps. Alors pourquoi y aller ? Qu’a-t-il été regarder là ? Il fallait donc qu’il fût bien curieux d’un emportement d’âme par le diable. »

    Un jour, une douairière, de la variété impertinente qui se croit spirituelle, lui adressa cette saillie : — Monseigneur, on demande quand Votre Grandeur aura le bonnet rouge. — Oh ! oh ! voilà une grosse couleur, répondit l’évêque. Heureusement que ceux qui la méprisent dans un bonnet la vénèrent dans un chapeau.

     

    XI

    UNE RESTRICTION

     

    On risquerait fort de se tromper si l’on concluait de là que monseigneur Bienvenu fût « un évêque philosophe » ou « un curé patriote ». Sa rencontre, ce qu’on pourrait presque appeler sa conjonction avec le conventionnel G., lui laissa une sorte d’étonnement qui le rendit plus doux encore. Voilà tout.

    Quoique monseigneur Bienvenu n’ait été rien moins qu’un homme politique, c’est peut-être ici le lieu d’indiquer, très brièvement, quelle fut son attitude dans les événements d’alors, en supposant que monseigneur Bienvenu ait jamais songé à avoir une attitude.

    Remontons donc en arrière de quelques années.

    Quelque temps après l’élévation de M. Myriel à l’épiscopat, l’empereur l’avait fait baron de l’empire, en même temps que plusieurs autres évêques. L’arrestation du pape eut lieu, comme on sait, dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809 ; à cette occasion, M. Myriel fut appelé par Napoléon au synode des évêques de France et d’Italie convoqué à Paris. Ce synode se tint à Notre-Dame et s’assembla pour la première fois le 15 juin 1811 sous la présidence de M. le cardinal Fesch. M. Myriel fut du nombre des quatre-vingt-quinze évêques qui s’y rendirent. Mais il n’assista qu’à une séance et à trois ou quatre conférences particulières. Évêque d’un diocèse montagnard, vivant si près de la nature, dans la rusticité et le dénuement, il paraît qu’il apportait parmi ces personnages éminents des idées qui changeaient la température de l’assemblée. Il revint bien vite à Digne. On le questionna sur ce prompt retour, il répondit : — Je les gênais. L’air du dehors leur venait par moi. Je leur faisais l’effet d’une porte ouverte.

    Une autre fois il dit : — Que voulez-vous ? ces messeigneurs-là sont des princes. Moi, je ne suis qu’un pauvre évêque paysan.

    Le fait est qu’il avait déplu. Entre autres choses étranges, il lui serait échappé de dire, un soir qu’il se trouvait chez un de ses collègues les plus qualifiés : — Les belles pendules ! les beaux tapis ! les belles livrées ! Ce doit être bien importun ! Oh ! que je ne voudrais pas avoir tout ce superflu-là à me crier sans cesse aux oreilles : Il y a des gens qui ont faim ! il y a des gens qui ont froid ! il y a des pauvres ! il y a des pauvres !

    Disons-le en passant, ce ne serait pas une haine intelligente que la haine du luxe. Cette haine impliquerait la haine des arts. Cependant, chez les gens d’église, en dehors de la représentation et des cérémonies, le luxe est un tort. Il semble révéler des habitudes peu réellement charitables. Un prêtre opulent est un contre-sens. Le prêtre doit se tenir près des pauvres. Or peut-on toucher sans cesse, et nuit et jour, à toutes les détresses, à toutes les infortunes, à toutes les indigences, sans avoir soi-même sur soi un peu de cette misère, comme la poussière du travail ? Se figure-t-on un homme qui est près d’un brasier, et qui n’a pas chaud ? Se figure-t-on un ouvrier qui travaille sans cesse à une fournaise, et qui n’a ni un cheveu brûlé, ni un ongle noirci, ni une goutte de sueur, ni un grain de cendre au visage ? La première preuve de la charité chez le prêtre, chez l’évêque surtout, c’est la pauvreté.

    C’était là sans doute ce que pensait M. l’évêque de Digne.

    Il ne faudrait pas croire d’ailleurs qu’il partageât sur certains points délicats ce que nous appellerions « les idées du siècle ». Il se mêlait peu aux querelles théologiques du moment et se taisait sur les questions où sont compromis l’église et l’état ; mais si on l’eût beaucoup pressé, il paraît qu’on l’eût trouvé plutôt ultramontain que gallican. Comme nous faisons un portrait et que nous ne voulons rien cacher, nous sommes forcé d’ajouter qu’il fut glacial pour Napoléon déclinant. À partir de 1813, il adhéra ou il applaudit à toutes les manifestations hostiles. Il refusa de le voir à son passage au retour de l’île d’Elbe, et s’abstint d’ordonner dans son diocèse les prières publiques pour l’empereur pendant les Cent-Jours.

    Outre sa sœur, mademoiselle Baptistine, il avait deux frères ; l’un général, l’autre préfet. Il écrivait assez souvent à tous les deux. Il tint quelque temps rigueur au premier, parce qu’ayant un commandement en Provence, à l’époque du débarquement de Cannes, le général s’était mis à la tête de douze cents hommes et avait poursuivi l’empereur comme quelqu’un qu’on veut laisser échapper. Sa correspondance resta plus affectueuse pour l’autre frère, l’ancien préfet, brave et digne homme qui vivait retiré à Paris, rue Cassette.

    Monseigneur Bienvenu eut donc, aussi lui, son heure d’esprit de parti, son heure d’amertume, son nuage. L’ombre des passions du moment traversa ce doux et grand esprit occupé des choses éternelles. Certes, un pareil homme eût mérité de n’avoir pas d’opinions politiques. Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée, nous ne confondons point ce qu’on appelle « opinions politiques » avec la grande aspiration au progrès, avec la sublime foi patriotique, démocratique et humaine, qui, de nos jours, doit être le fond même de toute intelligence généreuse. Sans approfondir des questions qui ne touchent qu’indirectement au sujet de ce livre, nous disons simplement ceci : Il eût été beau que monseigneur Bienvenu n’eût pas été royaliste et que son regard ne se fût pas détourné un seul instant de cette con templation sereine où l’on voit rayonner distinctement, au-dessus du va-et-vient orageux des choses humaines, ces trois pures lumières, la vérité, la justice et la charité.

    Tout en convenant que ce n’était point pour une fonction politique que Dieu avait créé monseigneur Bienvenu, nous eussions compris et admiré la protestation au nom du droit et de la liberté, l’opposition fière, la résistance périlleuse et juste à Napoléon tout-puissant. Mais ce qui nous plaît vis-à-vis de ceux qui montent nous plaît moins vis-à-vis de ceux qui tombent. Nous n’aimons le combat que tant qu’il y a du danger ; et, dans tous les cas, les combattants de la première heure ont seuls le droit d’être les exterminateurs de la dernière. Qui n’a pas été accusateur opiniâtre pendant la prospérité doit se taire devant l’écroulement. Le dénonciateur du succès est le seul légitime justicier de la chute. Quant à nous, lorsque la providence s’en mêle et frappe, nous la laissons faire. 1812 commence à nous désarmer. En 1813, la lâche rupture de silence de ce corps législatif taciturne enhardi par les catastrophes n’avait que de quoi indigner, et c’était un tort d’applaudir, en 1814, devant ces maréchaux trahissant, devant ce sénat passant d’une fange à l’autre, insultant après avoir divinisé, devant cette idolâtrie lâchant pied et crachant sur l’idole, c’était un devoir de détourner la tête ; en 1815, comme les suprêmes désastres étaient dans l’air, comme la France avait le frisson de leur approche sinistre, comme on pouvait vaguement distinguer Waterloo ouvert devant Napoléon, la douloureuse acclamation de l’armée et du peuple au condamné du destin n’avait rien de risible, et, toute réserve faite sur le despote, un cœur comme l’évêque de Digne n’eût peut-être pas dû méconnaître ce qu’avait d’auguste et de touchant, au bord de l’abîme, l’étroit embrassement d’une grande nation et d’un grand homme.

    À cela près, il était et il fut, en toute chose, juste, vrai, équitable, intelligent, humble et digne, bienfaisant, et bienveillant, ce qui est une autre bienfaisance. C’était un prêtre, un sage, et un homme. Même, il faut le dire, dans cette opinion politique que nous venons de lui reprocher et que nous sommes disposé à juger presque sévèrement, il était tolérant et facile, peut-être plus que nous qui parlons ici. — Le portier de la maison de ville avait été placé là par l’empereur. C’était un vieux sous-officier de la vieille garde, légionnaire d’Austerlitz, bonapartiste comme l’aigle. Il échappait dans l’occasion à ce pauvre diable des paroles peu réfléchies, que la loi d’alors qualifiait propos séditieux. Depuis que le profil impérial avait disparu de la Légion d’honneur, il ne s’habillait jamais dans l’ordonnance, comme il disait, afin de ne pas être forcé de porter sa croix. Il avait ôté lui-même dévotement l’effigie impériale de la croix que Napoléon lui avait donnée ; cela faisait un trou, et il n’avait rien voulu mettre à la place. Plutôt mourir, disait-il, que de porter sur mon cœur les trois crapauds ! Il raillait volontiers tout haut Louis XVIII. Vieux goutteux à guêtres d’anglais ! disait-il, qu’il s’en aille en Prusse avec son salsifis ! heureux de réunir dans la même imprécation les deux choses qu’il détestait le plus, la Prusse et l’Angleterre. Il en fit tant qu’il perdit sa place. Le voilà sans pain sur le pavé avec femme et enfants. L’évêque le fit venir, le gronda doucement, et le nomma suisse de la cathédrale.

    En neuf ans, à force de saintes actions et de douces manières, monseigneur Bienvenu avait rempli la ville de Digne d’une sorte de vénération tendre et filiale. Sa conduite même envers Napoléon avait été acceptée et comme tacitement pardonnée par le peuple, bon troupeau faible, qui adorait son empereur, mais qui aimait son évêque.

     

    XII

    SOLITUDE DE MONSEIGNEUR BIENVENU

     

    Il y a presque toujours autour d’un évêque une escouade de petits abbés comme autour d’un général une volée de jeunes officiers. C’est là ce que ce charmant saint François de Sales appelle quelque part « les prêtres blancs-becs ». Toute carrière a ses aspirants qui font cortège aux arrivés. Pas une puissance qui n’ait son entourage. Pas une fortune qui n’ait sa cour. Les chercheurs d’avenir tourbillonnent autour du présent splendide. Toute métropole a son état-major. Tout évêque un peu influent a près de lui sa patrouille de chérubins séminaristes, qui fait la ronde et maintient le bon ordre dans le palais épiscopal, et qui monte la garde autour du sourire de monseigneur. Agréer à un évêque, c’est le pied à l’étrier pour un sous-diacre. Il faut bien faire son chemin ; l’apostolat ne dédaigne pas le canonicat.

    De même qu’il y a ailleurs les gros bonnets, il y a dans l’église les grosses mitres. Ce sont les évêques bien en cour, riches, rentés, habiles, acceptés du monde, sachant prier sans doute, mais sachant aussi solliciter, peu scrupuleux de faire faire antichambre en personne à tout un diocèse, traits d’union entre la sacristie et la diplomatie, plutôt abbés que prêtres, plutôt prélats qu’évêques. Heureux qui les approche ! Gens en crédit qu’ils sont, ils font pleuvoir autour d’eux, sur les empressés et les favorisés, et sur toute cette jeunesse qui sait plaire, les grasses paroisses, les prébendes, les archidiaconats, les aumôneries et les fonctions cathédrales, en attendant les dignités épiscopales. En avançant eux-mêmes, ils font progresser leurs satellites ; c’est tout un système solaire en marche. Leur rayonnement empourpre leur suite. Leur prospérité s’émiette sur la cantonade en bonnes petites promotions. Plus grand diocèse au patron, plus grosse cure au favori. Et puis Rome est là. Un évêque qui sait devenir archevêque, un archevêque qui sait devenir cardinal, vous emmène comme conclaviste, vous entrez dans la rote, vous avez le pallium, vous voilà auditeur, vous voilà camérier, vous voilà monsignor, et de la Grandeur à l’Éminence il n’y a qu’un pas, et entre l’Éminence et la Sainteté il n’y a que la fumée d’un scrutin. Toute calotte peut rêver la tiare. Le prêtre est de nos jours le seul homme qui puisse régulièrement devenir roi ; et quel roi ! le roi suprême. Aussi quelle pépinière d’aspirations qu’un séminaire ! Que d’enfants de chœur rougissants, que de jeunes abbés ont sur la tête le pot au lait de Perrette ! Comme l’ambition s’intitule aisément vocation, qui sait ? de bonne foi peut-être et se trompant elle-même, béate qu’elle est.

    Monseigneur Bienvenu, humble, pauvre, particulier, n’était pas compté parmi les grosses mitres. Cela était visible à l’absence complète de jeunes prêtres autour de lui. On a vu qu’à Paris « il n’avait pas pris ». Pas un avenir ne songeait à se greffer sur ce vieillard solitaire. Pas une ambition en herbe ne faisait la folie de verdir à son ombre. Ses chanoines et ses grands vicaires étaient de bons vieux hommes, un peu peuple comme lui, murés comme lui dans ce diocèse sans issue sur le cardinalat et qui ressemblaient à leur évêque, avec cette différence qu’eux étaient finis, et que lui était achevé. On sentait si bien l’impossibilité de croître près de monseigneur Bienvenu qu’à peine sortis du séminaire, les jeunes gens ordonnés par lui se faisaient recommander aux archevêques d’Aix ou d’Auch, et s’en allaient bien vite. Car enfin, nous le répétons, on veut être poussé. Un saint qui vit dans un excès d’abnégation est un voisinage dangereux ; il pourrait bien vous communiquer par contagion une pauvreté incurable, l’ankylose des articulations utiles à l’avancement, et, en somme, plus de renoncement que vous n’en voulez ; et l’on fuit cette vertu galeuse. De là l’isolement de monseigneur Bienvenu. Nous vivons dans une société sombre. Réussir, voilà l’enseignement qui tombe goutte à goutte de la corruption en surplomb.

    Soit dit en passant, c’est une chose assez hideuse que le succès. Sa fausse ressemblance avec le mérite trompe les hommes. Pour la foule, la réussite a presque le même profil que la suprématie. Le succès, ce ménechme du talent, a une dupe, l’histoire. Juvénal et Tacite seuls en bougonnent. De nos jours, une philosophie à peu près officielle est entrée en domesticité chez lui, porte la livrée du succès, et fait le service de son antichambre. Réussissez : théorie. Prospérité suppose capacité. Gagnez à la loterie, vous voilà un habile homme. Qui triomphe est vénéré. Naissez coiffé, tout est là. Ayez de la chance, vous aurez le reste ; soyez heureux, on vous croira grand. En dehors des cinq ou six exceptions immenses qui font l’éclat d’un siècle, l’admiration contemporaine n’est guère que myopie. Dorure est or. Être le premier venu, cela ne gâte rien, pourvu qu’on soit le parvenu. Le vulgaire est un vieux Narcisse qui s’adore lui-même et qui applaudit le vulgaire. Cette faculté énorme par laquelle on est Moïse, Eschyle, Dante, Michel-Ange ou Napoléon, la multitude la décerne d’emblée et par acclamation à quiconque atteint son but dans quoi que ce soit. Qu’un notaire se transfigure en député, qu’un faux Corneille fasse Tiridate, qu’un eunuque parvienne à posséder un harem, qu’un Prudhomme militaire gagne par accident la bataille décisive d’une époque, qu’un apothicaire invente les semelles de carton pour l’armée de Sambre-et-Meuse et se construise, avec ce carton vendu pour du cuir, quatre cent mille livres de rente, qu’un porte-balle épouse l’usure et la fasse accoucher de sept ou huit millions dont il est le père et dont elle est la mère, qu’un prédicateur devienne évêque par le nasillement, qu’un intendant de bonne maison soit si riche en sortant de service qu’on le fasse ministre des finances, les hommes appellent cela Génie, de même qu’ils appellent Beauté la figure de Mousqueton et Majesté l’encolure de Claude. Ils confondent avec les constellations de l’abîme les étoiles que font dans la vase molle du bourbier les pattes des canards.

     

    XIII

    CE QU’IL CROYAIT

     

    Au point de vue de l’orthodoxie, nous n’avons point à sonder M. l’évêque de Digne. Devant une telle âme, nous ne nous sentons en humeur que de respect. La conscience du juste doit être crue sur parole. D’ailleurs, de certaines natures étant données, nous admettons le développement possible de toutes les beautés de la nature humaine dans une croyance différente de la nôtre.

    Que pensait-il de ce dogme-ci ou de ce mystère-là ? Ces secrets du for intérieur ne sont connus que de la tombe où les âmes entrent nues. Ce dont nous sommes certain, c’est que jamais les difficultés de foi ne se résolvaient pour lui en hypocrisie. Aucune pourriture n’est possible au diamant. Il croyait le plus qu’il pouvait. Credo in Patrem, s’écriait-il souvent. Puisant d’ailleurs dans les bonnes œuvres cette quantité de satisfaction qui suffit à la conscience, et qui vous dit tout bas : Tu es avec Dieu !

    Ce que nous croyons devoir noter, c’est que, en dehors, pour ainsi dire, et au-delà de sa foi, l’évêque avait un excès d’amour. C’est par là, quia multum amavit, qu’il était jugé vulnérable par les « hommes sérieux », les « personnes graves » et les « gens raisonnables » ; locutions favorites de notre triste monde où l’égoïsme reçoit le mot d’ordre du pédantisme. Qu’était-ce que cet excès d’amour ? C’était une bienveillance sereine, débordant les hommes, comme nous l’avons indiqué déjà, et, dans l’occasion, s’étendant jusqu’aux choses. Il vivait sans dédain. Il était indulgent pour la création de Dieu. Tout homme, même le meilleur, a en lui une dureté irréfléchie qu’il tient en réserve pour l’animal. L’évêque de Digne n’avait point cette dureté-là, particulière à beaucoup de prêtres pourtant. Il n’allait pas jusqu’au bramine, mais il semblait avoir médité cette parole de l’Ecclésiaste : « Sait-on où va l’âme des animaux ? » Les laideurs de l’aspect, les difformités de l’instinct ne le troublaient pas et ne l’indignaient pas. Il en était ému, presque attendri. Il semblait que, pensif, il en allât chercher, au delà de la vie apparente la cause, l’explication ou l’excuse. Il semblait par moments demander à Dieu des commutations. Il examinait sans colère, et avec l’œil du linguiste qui déchiffre un palimpseste, la quantité de chaos qui est encore dans la nature. Cette rêverie faisait parfois sortir de lui des mots étranges. Un matin, il était dans son jardin, il se croyait seul, mais sa sœur marchait derrière lui sans qu’il la vît ; tout à coup, il s’arrêta, et il regarda quelque chose à terre ; c’était une grosse araignée, noire, velue, horrible. Sa sœur l’entendit qui disait : — Pauvre bête ! ce n’est pas sa faute.

    Pourquoi ne pas dire ces enfantillages presque divins de la bonté ? Puérilités, soit ; mais ces puérilités sublimes ont été celles de saint François d’Assise et de Marc-Aurèle. Un jour il se donna une entorse pour n’avoir pas voulu écraser une fourmi.

    Ainsi vivait cet homme juste. Quelquefois il s’endormait dans son jardin, et alors il n’était rien de plus vénérable.

    Monseigneur Bienvenu avait été jadis, à en croire les récits sur sa jeunesse et même sur sa virilité, un homme passionné, peut-être violent. Sa mansuétude universelle était moins un instinct de nature que le résultat d’une grande conviction filtrée dans son cœur à travers la vie et lentement tombée en lui, pensée à pensée ; car, dans un caractère comme dans un rocher, il peut y avoir des trous de gouttes d’eau. Ces creusements-là sont ineffaçables ; ces formations-là sont indestructibles.

    En 1815, nous croyons l’avoir dit, il atteignit soixante-quinze ans, mais il n’en paraissait pas avoir plus de soixante. Il n’était pas grand ; il avait quelque embonpoint, et, pour le combattre, il faisait volontiers de longues marches à pied ; il avait le pas ferme et n’était que fort peu courbé, détail d’où nous ne prétendons rien conclure ; Grégoire XVI, à quatre-vingts ans, se tenait droit et souriant, ce qui ne l’empêchait pas d’être un mauvais évêque. Monseigneur Bienvenu avait ce que le peuple appelle « une belle tête », mais si aimable qu’on oubliait qu’elle était belle.

    Quand il causait avec cette gaîté enfantine qui était une de ses grâces, et dont nous avons déjà parlé, on se sentait à l’aise près de lui ; il semblait que de toute sa personne il sortît de la joie. Son teint coloré et frais, toutes ses dents bien blanches qu’il avait conservées et que son rire faisait voir, lui donnaient cet air ouvert et facile qui fait dire d’un homme : C’est un bon enfant, et d’un vieillard : C’est un bonhomme. C’était, on s’en souvient, l’effet qu’il avait fait à Napoléon. Au premier abord et pour qui le voyait pour la première fois, ce n’était guère qu’un bonhomme en effet. Mais si l’on restait quelques heures près de lui, et pour peu qu’on le vît pensif, le bonhomme se transfigurait peu à peu et prenait je ne sais quoi d’imposant ; son front large et sérieux, auguste par les cheveux blancs, devenait auguste aussi par la méditation ; la majesté se dégageait de cette bonté, sans que la bonté cessât de rayonner ; on éprouvait quelque chose de l’émotion qu’on aurait si l’on voyait un ange souriant ouvrir lentement ses ailes sans cesser de sourire. Le respect, un respect inexprimable, vous pénétrait par degrés et vous montait au cœur, et l’on sentait qu’on avait devant soi une de ces âmes fortes, éprouvées et indulgentes, où la pensée est si grande qu’elle ne peut plus être que douce.

    Comme on l’a vu, la prière, la célébration des offices religieux, l’aumône, la consolation aux affligés, la culture d’un coin de terre, la fraternité, la frugalité, l’hospitalité, le renoncement, la confiance, l’étude, le travail, remplissaient chacune des journées de sa vie. Remplissaient est bien le mot, et certes cette journée de l’évêque était bien pleine jusqu’aux bords de bonnes pensées, de bonnes paroles et de bonnes actions. Cependant elle n’était pas complète si le temps froid ou pluvieux l’empêchait d’aller passer, le soir, quand les deux femmes s’étaient retirées, une heure ou deux dans son jardin avant de s’endormir. Il semblait que ce fût une sorte de rite pour lui de se préparer au sommeil par la méditation en présence des grands spectacles du ciel nocturne. Quelquefois, à une heure même assez avancée de la nuit, si les deux vieilles filles ne dormaient pas, elles l’entendaient marcher lentement dans les allées. Il était là seul avec lui-même, recueilli, paisible, adorant, comparant la sérénité de son cœur à la sérénité de l’éther, ému dans les ténèbres par les splendeurs visibles des constellations et les splendeurs invisibles de Dieu, ouvrant son âme aux pensées qui tombent de l’Inconnu. Dans ces moments-là, offrant son cœur à l’heure où les fleurs nocturnes offrent leur parfum, allumé comme une lampe au centre de la nuit étoilée, se répandant en extase au milieu du rayonnement universel de la création, il n’eût pu peut-être dire lui-même ce qui se passait dans son esprit ; il sentait quelque chose s’envoler hors de lui et quelque chose descendre en lui. Mystérieux échanges des gouffres de l’âme avec les gouffres de l’univers !

    Il songeait à la grandeur et à la présence de Dieu ; à l’éternité future, étrange mystère ; à l’éternité passée, mystère plus étrange encore ; à tous les infinis qui s’enfonçaient sous ses yeux dans tous les sens ; et, sans chercher à comprendre l’incompréhensible, il le regardait. Il n’étudiait pas Dieu ; il s’en éblouissait. Il considérait ces magnifiques rencontres des atomes qui donnent des aspects à la matière, révèlent les forces en les constatant, créent les individualités dans l’unité, les proportions dans l’étendue, l’innombrable dans l’infini, et par la lumière produisent la beauté. Ces rencontres se nouent et se dénouent sans cesse ; de là la vie et la mort.

    Il s’asseyait sur un banc de bois adossé à une treille décrépite, et il regardait les astres à travers les silhouettes chétives et rachitiques de ses arbres fruitiers. Ce quart d’arpent, si pauvrement planté, si encombré de masures et de hangars, lui était cher et lui suffisait.

    Que fallait-il de plus à ce vieillard qui partageait le loisir de sa vie, où il y avait si peu de loisir, entre le jardinage le jour et la contemplation la nuit ? Cet étroit enclos, ayant les cieux pour plafond, n’était-ce pas assez pour pouvoir adorer Dieu tour à tour dans ses œuvres les plus sublimes ? N’est-ce pas là tout, en effet, et que désirer au delà ? Un petit jardin pour se promener, et l’immensité pour rêver. À ses pieds ce qu’on peut cultiver et cueillir ; sur sa tête ce qu’on peut étudier et méditer ; quelques fleurs sur la terre et toutes les étoiles dans le ciel.

     

    XIV

    CE QU’IL PENSAIT

     

    Un dernier mot.

    Comme cette nature de détails pourrait, particulièrement au moment où nous sommes, et pour nous servir d’une expression actuellement à la mode, donner à l’évêque de Digne une certaine physionomie « panthéiste », et faire croire, soit à son blâme, soit à sa louange, qu’il y avait en lui une de ces philosophies personnelles, propres à notre siècle, qui germent quelquefois dans les esprits solitaires et s’y construisent et y grandissent jusqu’à y remplacer les religions, nous insistons sur ceci que pas un de ceux qui ont connu monseigneur Bienvenu ne se fût cru autorisé à penser rien de pareil. Ce qui éclairait cet homme, c’était le cœur. Sa sagesse était faite de la lumière qui vient de là.

    Point de systèmes, beaucoup d’œuvres. Les spéculations abstruses contiennent du vertige ; rien n’indique qu’il hasardât son esprit dans les apocalypses. L’apôtre peut être hardi, mais l’évêque doit être timide. Il se fût probablement fait scrupule de sonder trop avant de certains problèmes réservés en quelque sorte aux grands esprits terribles. Il y a de l’horreur sacrée sous les porches de l’énigme ; ces ouvertures sombres sont là béantes, mais quelque chose vous dit, à vous passant de la vie, qu’on n’entre pas. Malheur à qui y pénètre ! Les génies, dans les profondeurs inouïes de l’abstraction et de la spéculation pure, situés pour ainsi dire au-dessus des dogmes, proposent leurs idées à Dieu. Leur prière offre audacieusement la discussion. Leur adoration interroge. Ceci est la religion directe, pleine d’anxiété et de responsabilité pour qui en tente les escarpements.

    La méditation humaine n’a point de limite. À ses risques et périls, elle analyse et creuse son propre éblouissement. On pourrait presque dire que, par une sorte de réaction splendide, elle en éblouit la nature ; le mystérieux monde qui nous entoure rend ce qu’il reçoit, il est probable que les contemplateurs sont contemplés. Quoi qu’il en soit, il y a sur la terre des hommes — sont-ce des hommes ? — qui aperçoivent distinctement au fond des horizons du rêve les hauteurs de l’absolu, et qui ont la vision terrible de la montagne infinie. Monseigneur Bienvenu n’était point de ces hommes-là, monseigneur Bienvenu n’était pas un génie. Il eût redouté ces sublimités d’où quelques-uns, très grands même, comme Swedenborg et Pascal, ont glissé dans la démence. Certes, ces puissantes rêveries ont leur utilité morale, et par ces routes ardues on s’approche de la perfection idéale. Lui, il prenait le sentier qui abrège, l’évangile.

    Il n’essayait point de faire faire à sa chasuble les plis du manteau d’Élie, il ne projetait aucun rayon d’avenir sur le roulis ténébreux des événements, il ne cherchait pas à condenser en flamme la lueur des choses, il n’avait rien du prophète et rien du mage. Cette âme humble aimait, voilà tout.

    Qu’il dilatât la prière jusqu’à une aspiration surhumaine, cela est probable ; mais on ne peut pas plus prier trop qu’aimer trop ; et, si c’était une hérésie de prier au delà des textes, sainte Thérèse et saint Jérôme seraient des hérétiques.

    Il se penchait sur ce qui gémit et sur ce qui expie. L’univers lui apparaissait comme une immense maladie ; il sentait partout de la fièvre, il auscultait partout de la souffrance, et, sans chercher à deviner l’énigme, il tâchait de panser la plaie. Le redoutable spectacle des choses créées développait en lui l’attendrissement ; il n’était occupé qu’à trouver pour lui-même et à inspirer aux autres la meilleure manière de plaindre et de soulager. Ce qui existe était pour ce bon et rare prêtre un sujet permanent de tristesse cherchant à consoler.

    Il y a des hommes qui travaillent à l’extraction de l’or ; lui, il travaillait à l’extraction de la pitié. L’universelle misère était sa mine. La douleur partout n’était qu’une occasion de bonté toujours. Aimez-vous les uns les autres ; il déclarait cela complet, ne souhaitait rien de plus, et c’était là toute sa doctrine. Un jour, cet homme qui se croyait « philosophe », ce sénateur, déjà nommé, dit à l’évêque : — Mais voyez donc le spectacle du monde ; guerre de tous contre tous ; le plus fort a le plus d’esprit. Votre Aimez-vous les uns les autres est une bêtise. — Eh bien ! répondit monseigneur Bienvenu sans disputer, si c’est une bêtise, l’âme doit s’y enfermer comme la perle dans l’huître. Il s’y enfermait donc, il y vivait, il s’en satisfaisait absolument, laissant de côté les questions prodigieuses qui attirent et qui épouvantent, les perspectives insondables de l’abstraction, les précipices de la métaphysique, toutes ces profondeurs convergentes, pour l’apôtre à Dieu, pour l’athée au néant : la destinée, le bien et le mal, la guerre de l’être contre l’être, la conscience de l’homme, le somnambulisme pensif de l’animal, la transformation par la mort, la récapitulation d’existences que contient le tombeau, la greffe incompréhensible des amours successifs sur le moi persistant, l’essence, la substance, le Nil et l’Ens, l’âme, la nature, la liberté, la nécessité ; problèmes à pic, épaisseurs sinistres où se penchent les gigantesques archanges de l’esprit humain ; formidables abîmes que Lucrèce, Manou, saint Paul et Dante contemplent avec cet œil fulgurant qui semble, en regardant fixement l’infini, y faire éclore des étoiles.

    Monseigneur Bienvenu était simplement un homme qui constatait du dehors les questions mystérieuses sans les scruter, sans les agiter, et sans en troubler son propre esprit, et qui avait dans l’âme le grave respect de l’ombre.

     


    1. Si le Seigneur ne protège pas la maison, c'est en vain que veillent ceux qui la protègent. (Traduction Wikisource)

    Récupérée de « http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Mis%C3%A9rables_TI_L1 »

    I

    LE SOIR D’UN JOUR DE MARCHE

     

    Dans les premiers jours du mois d’octobre 1815, une heure environ avant le coucher du soleil, un homme qui voyageait à pied entrait dans la petite ville de Digne. Les rares habitants qui se trouvaient en ce moment à leurs fenêtres ou sur le seuil de leurs maisons regardaient ce voyageur avec une sorte d’inquiétude. Il était difficile de rencontrer un passant d’un aspect plus misérable. C’était un homme de moyenne taille, trapu et robuste, dans la force de l’âge. Il pouvait avoir quarante-six ou quarante-huit ans. Une casquette à visière de cuir rabattue cachait en partie son visage brûlé par le soleil et le hâle et ruisselant de sueur. Sa chemise de grosse toile jaune, rattachée au col par une petite ancre d’argent, laissait voir sa poitrine velue ; il avait une cravate tordue en corde, un pantalon de coutil bleu usé et râpé, blanc à un genou, troué à l’autre, une vieille blouse grise en haillons, rapiécée à l’un des coudes d’un morceau de drap vert cousu avec de la ficelle, sur le dos un sac de soldat fort plein, bien bouclé et tout neuf, à la main un énorme bâton noueux, les pieds sans bas dans des souliers ferrés, la tête tondue et la barbe longue.

    La sueur, la chaleur, le voyage à pied, la poussière, ajoutaient je ne sais quoi de sordide à cet ensemble délabré.

    Les cheveux étaient ras, et pourtant hérissés ; car ils commençaient à pousser un peu, et semblaient n’avoir pas été coupés depuis quelque temps.

    Personne ne le connaissait. Ce n’était évidemment qu’un passant. D’où venait-il ? Du midi. Des bords de la mer peut-être. Car il faisait son entrée dans Digne par la même rue qui sept mois auparavant avait vu passer l’empereur Napoléon allant de Cannes à Paris. Cet homme avait dû marcher tout le jour. Il paraissait très fatigué. Des femmes de l’ancien bourg qui est au bas de la ville l’avaient vu s’arrêter sous les arbres du boulevard Gassendi et boire à la fontaine qui est à l’extrémité de la promenade. Il fallait qu’il eût bien soif, car des enfants qui le suivaient le virent encore s’arrêter et boire, deux cents pas plus loin, à la fontaine de la place du Marché.

    Arrivé au coin de la rue Poichevert, il tourna à gauche et se dirigea vers la mairie. Il y entra, puis sortit un quart d’heure après. Un gendarme était assis près de la porte, sur le banc de pierre où le général Drouot monta le 4 mars pour lire à la foule effarée des habitants de Digne la proclamation du golfe Juan. L’homme ôta sa casquette et salua humblement le gendarme.

    Le gendarme, sans répondre à son salut, le regarda avec attention, le suivit quelque temps des yeux, puis entra dans la maison de ville.

    Il y avait alors à Digne une belle auberge à l’enseigne de la Croix-de-Colbas. Cette auberge avait pour hôtelier un nommé Jacquin Labarre, homme considéré dans la ville pour sa parenté avec un autre Labarre, qui tenait à Grenoble l’auberge des Trois-Dauphins et qui avait servi dans les guides. Lors du débarquement de l’empereur, beaucoup de bruits avaient couru dans le pays sur cette auberge des Trois-Dauphins. On contait que le général Bertrand, déguisé en charretier, y avait fait de fréquents voyages au mois de janvier, et qu’il y avait distribué des croix d’honneur à des soldats et des poignées de napoléons à des bourgeois. La réalité est que l’empereur, entré dans Grenoble, avait refusé de s’installer à l’hôtel de la préfecture ; il avait remercié le maire en disant : Je vais chez un brave homme que je connais, et il était allé aux Trois-Dauphins. Cette gloire du Labarre des Trois-Dauphins se reflétait à vingt-cinq lieues de distance jusque sur le Labarre de la Croix-de-Colbas. On disait de lui dans la ville : C’est le cousin de celui de Grenoble.

    L’homme se dirigea vers cette auberge, qui était la meilleure du pays. Il entra dans la cuisine, laquelle s’ouvrait de plain-pied sur la rue. Tous les fourneaux étaient allumés ; un grand feu flambait gaîment dans la cheminée. L’hôte, qui était en même temps le chef, allait de l’âtre aux casseroles, fort occupé et surveillant un excellent dîner destiné à des rouliers qu’on entendait rire et parler à grand bruit dans une salle voisine. Quiconque a voyagé sait que personne ne fait meilleure chère que les rouliers. Une marmotte grasse, flanquée de perdrix blanches et de coqs de bruyère, tournait sur une longue broche devant le feu ; sur les fourneaux cuisaient deux grosses carpes du lac de Lauzet et une truite du lac d’Alloz.

    L’hôte, entendant la porte s’ouvrir et entrer un nouveau venu, dit sans lever les yeux de ses fourneaux :

    Que veut monsieur ?

    Manger et coucher, dit l’homme.

    Rien de plus facile, reprit l’hôte. En ce moment il tourna la tête, embrassa d’un coup d’œil tout l’ensemble du voyageur, et ajouta : En payant.

    L’homme tira une grosse bourse de cuir de la poche de sa blouse et répondit :

    J’ai de l’argent.

    En ce cas on est à vous, dit l’hôte.

    L’homme remit sa bourse en poche, se déchargea de son sac, le posa à terre près de la porte, garda son bâton à la main, et alla s’asseoir sur une escabelle basse près du feu. Digne est dans la montagne. Les soirées d’octobre y sont froides.

    Cependant, tout en allant et venant, l’homme considérait le voyageur.

    Dîne-t-on bientôt ? dit l’homme.

    Tout à l’heure, dit l’hôte.

    Pendant que le nouveau venu se chauffait, le dos tourné, le digne aubergiste Jacquin Labarre tira un crayon de sa poche, puis il déchira le coin d’un vieux journal qui traînait sur une petite table près de la fenêtre. Sur la marge blanche il écrivit une ligne ou deux, plia sans cacheter et remit ce chiffon de papier à un enfant qui paraissait lui servir tout à la fois de marmiton et de laquais. L’aubergiste dit un mot à l’oreille du marmiton, et l’enfant partit en courant dans la direction de la mairie.

    Le voyageur n’avait rien vu de tout cela.

    Il demanda encore une fois : — Dîne-t-on bientôt ?

    Tout à l’heure, dit l’hôte.

    L’enfant revint. Il rapportait le papier. L’hôte le déplia avec empressement, comme quelqu’un qui attend une réponse. Il parut lire attentivement, puis hocha la tête, et resta un moment pensif. Enfin, il fit un pas vers le voyageur, qui semblait plongé dans des réflexions peu sereines.

    Monsieur, dit-il, je ne puis vous recevoir.

    L’homme se dressa à demi sur son séant.

    Comment ! Avez-vous peur que je ne paye pas ? Voulez-vous que je paye d’avance ? J’ai de l’argent, vous dis-je.

    Ce n’est pas cela.

    Quoi donc ?

    Vous avez de l’argent…

    Oui, dit l’homme.

    Et moi, dit l’hôte, je n’ai pas de chambre.

    L’homme reprit tranquillement : — Mettez-moi à l’écurie.

    Je ne puis.

    Pourquoi ?

    Les chevaux prennent toute la place.

    Eh bien, repartit l’homme, un coin dans le grenier. Une botte de paille. Nous verrons cela après dîner.

    Je ne puis vous donner à dîner.

    Cette déclaration, faite d’un ton mesuré, mais ferme, parut grave à l’étranger. Il se leva.

    Ah bah ! mais je meurs de faim, moi. J’ai marché dès le soleil levé. J’ai fait douze lieues. Je paye. Je veux manger.

    Je n’ai rien, dit l’hôte.

    L’homme éclata de rire et se tourna vers la cheminée et les fourneaux.

    Rien ! et tout cela ?

    Tout cela m’est retenu.

    Par qui ?

    Par ces messieurs les rouliers.

    Combien sont-ils ?

    Douze.

    Il y a là à manger pour vingt.

    Ils ont tout retenu et tout payé d’avance.

    L’homme se rassit et dit sans hausser la voix :

    Je suis à l’auberge, j’ai faim, et je reste.

    L’hôte alors se pencha à son oreille, et lui dit d’un accent qui le fit tressaillir : — Allez-vous en.

    Le voyageur était courbé en cet instant et poussait quelques braises dans le feu avec le bout ferré de son bâton, il se retourna vivement, et, comme il ouvrait la bouche pour répliquer : — Tenez, assez de paroles comme cela. Voulez-vous que je vous dise votre nom ? Vous vous appelez Jean Valjean. Maintenant voulez-vous que je vous dise qui vous êtes ? En vous voyant entrer, je me suis douté de quelque chose, j’ai envoyé à la mairie, et voici ce qu’on m’a répondu. Savez-vous lire ?

    En parlant ainsi il tendait à l’étranger, tout déplié, le papier qui venait de voyager de l’auberge à la mairie et de la mairie à l’auberge. L’homme y jeta un regard. L’aubergiste reprit après un silence :

    J’ai l’habitude d’être poli avec tout le monde. Allez-vous-en.

    L’homme baissa la tête, ramassa le sac qu’il avait déposé à terre, et s’en alla.

    Il prit la grande rue. Il marchait devant lui au hasard, rasant de près les maisons, comme un homme humilié et triste. Il ne se retourna pas une seule fois. S’il s’était retourné, il aurait vu l’aubergiste de la Croix-de-Colbas sur le seuil de sa porte, entouré de tous les voyageurs de son auberge et de tous les passants de la rue, parlant vivement et le désignant du doigt, et, aux regards de défiance et d’effroi du groupe, il aurait deviné qu’avant peu son arrivée serait l’événement de toute la ville.

    Il ne vit rien de tout cela. Les gens accablés ne regardent pas derrière eux. Ils ne savent que trop que le mauvais sort les suit.

    Il chemina ainsi quelque temps, marchant toujours, allant à l’aventure par des rues qu’il ne connaissait pas, oubliant la fatigue, comme cela arrive dans la tristesse. Tout à coup il sentit vivement la faim. La nuit approchait. Il regarda autour de lui pour voir s’il ne découvrirait pas quelque gîte.

    La belle hôtellerie s’était fermée pour lui ; il cherchait quelque cabaret bien humble, quelque bouge bien pauvre.

    Précisément une lumière s’allumait au bout de la rue ; une branche de pin, pendue à une potence en fer, se dessinait sur le ciel blanc du crépuscule. Il y alla.

    C’était en effet un cabaret ; le cabaret qui est dans la rue de Chaffaut.

    Le voyageur s’arrêta un moment, et regarda par la vitre l’intérieur de la salle basse du cabaret, éclairée par une petite lampe sur une table et par un grand feu dans la cheminée. Quelques hommes y buvaient. L’hôte se chauffait. La flamme faisait bruire une marmite de fer accrochée à la crémaillère.

    On entre dans ce cabaret, qui est aussi une espèce d’auberge, par deux portes. L’une donne sur la rue, l’autre s’ouvre sur une petite cour pleine de fumier.

    Le voyageur n’osa pas entrer par la porte de la rue. Il se glissa dans la cour, s’arrêta encore, puis leva timidement le loquet et poussa la porte.

    Qui va là ? dit le maître.

    Quelqu’un qui voudrait souper et coucher.

    C’est bon. Ici on soupe et on couche.

    Il entra. Tous les gens qui buvaient se retournèrent. La lampe l’éclairait d’un côté, le feu de l’autre. On l’examina quelque temps pendant qu’il défaisait son sac.

    L’hôte lui dit : — Voilà du feu. Le souper cuit dans la marmite. Venez vous chauffer, camarade.

    Il alla s’asseoir près de l’âtre. Il allongea devant le feu ses pieds meurtris par la fatigue ; une bonne odeur sortait de la marmite. Tout ce qu’on pouvait distinguer de son visage sous sa casquette baissée prit une vague apparence de bien-être mêlée à cet autre aspect si poignant que donne l’habitude de la souffrance.

    C’était d’ailleurs un profil ferme, énergique et triste. Cette physionomie était étrangement composée ; elle commençait par paraître humble et finissait par sembler sévère. L’œil luisait sous les sourcils comme un feu sous une broussaille.

    Cependant un des hommes attablés était un poissonnier qui, avant d’entrer au cabaret de la rue de Chaffaut, était allé mettre son cheval à l’écurie chez Labarre. Le hasard faisait que le matin même il avait rencontré cet étranger de mauvaise mine cheminant entre Bras d'Asse et… (j’ai oublié le nom, je crois que c’est Escoublon). Or, en le rencontrant, l’homme, qui paraissait déjà très fatigué, lui avait demandé de le prendre en croupe ; à quoi le poissonnier n’avait répondu qu’en doublant le pas. Ce poissonnier faisait partie, une demi-heure auparavant, du groupe qui entourait Jacquin Labarre, et lui-même avait raconté sa désagréable rencontre du matin aux gens de la Croix-de-Colbas. Il fit de sa place au cabaretier un signe imperceptible. Le cabaretier vint à lui. Ils échangèrent quelques paroles à voix basse. L’homme était retombé dans ses réflexions.

    Le cabaretier revint à la cheminée, posa brusquement sa main sur l’épaule de l’homme, et lui dit :

    Tu vas t’en aller d’ici.

    L’étranger se retourna et répondit avec douceur.

    Ah ! vous savez ?…

    Oui.

    On m’a renvoyé de l’autre auberge.

    Et l’on te chasse de celle-ci.

    Où voulez-vous que j’aille ?

    Ailleurs.

    L’homme prit son bâton et son sac, et s’en alla.

    Comme il sortait, quelques enfants, qui l’avaient suivi depuis la Croix-de-Colbas et qui semblaient l’attendre, lui jetèrent des pierres. Il revint sur ses pas avec colère et les menaça de son bâton ; les enfants se dispersèrent comme une volée d’oiseaux.

    Il passa devant la prison. À la porte pendait une chaîne de fer attachée à une cloche. Il sonna.

    Un guichet s’ouvrit.

    Monsieur le guichetier, dit-il en ôtant respectueusement sa casquette, voudriez-vous bien m’ouvrir et me loger pour cette nuit ?

    Une voix répondit :

    Une prison n’est pas une auberge. Faites-vous arrêter, on vous ouvrira.

    Le guichet se referma.

    Il entra dans une petite rue où il y a beaucoup de jardins. Quelques-uns ne sont enclos que de haies, ce qui égaye la rue. Parmi ces jardins et ces haies, il vit une petite maison d’un seul étage dont la fenêtre était éclairée. Il regarda par cette vitre comme il avait fait pour le cabaret. C’était une grande chambre blanchie à la chaux, avec un lit drapé d’indienne imprimée et un berceau dans un coin, quelques chaises de bois et un fusil à deux coups accroché au mur. Une table était servie au milieu de la chambre. Une lampe de cuivre éclairait la nappe de grosse toile blanche, le broc d’étain luisant comme l’argent et plein de vin et la soupière brune qui fumait. À cette table était assis un homme d’une quarantaine d’années, à la figure joyeuse et ouverte, qui faisait sauter un petit enfant sur ses genoux. Près de lui, une femme toute jeune allaitait un autre enfant. Le père riait, l’enfant riait, la mère souriait.

    L’étranger resta un moment rêveur devant ce spectacle doux et calmant. Que se passait-il en lui ? Lui seul eût pu le dire. Il est probable qu’il pensa que cette maison joyeuse serait hospitalière, et que là où il voyait tant de bonheur il trouverait peut-être un peu de pitié.

    Il frappa au carreau un petit coup très faible.

    On n’entendit pas.

    Il frappa un second coup.

    Il entendit la femme qui disait : — Mon homme, il me semble qu’on frappe.

    Non, répondit le mari.

    Il frappa un troisième coup.

    Le mari se leva, prit la lampe, et alla à la porte qu’il ouvrit.

    C’était un homme de haute taille, demi-paysan, demi artisan. Il portait un vaste tablier de cuir qui montait jusqu’à son épaule gauche, et dans lequel faisaient ventre un marteau, un mouchoir rouge, une poire à poudre, toutes sortes d’objets que la ceinture retenait comme dans une poche. Il renversait la tête en arrière ; sa chemise largement ouverte et rabattue montrait son cou de taureau, blanc et nu. Il avait d’épais sourcils, d’énormes favoris noirs, les yeux à fleur de tête, le bas du visage en museau, et sur tout cela cet air d’être chez soi qui est une chose inexprimable.

    Monsieur, dit le voyageur, pardon. En payant, pourriez-vous me donner une assiettée de soupe et un coin pour dormir dans ce hangar qui est là dans ce jardin ? Dites, pourriez-vous ? En payant.

    Qui êtes-vous ? demanda le maître du logis.

    L’homme répondit : — J’arrive de Puy-Moisson. J’ai marché toute la journée. J’ai fait douze lieues. Pourriez-vous ? En payant.

    Je ne refuserais pas, dit le paysan, de loger quelqu’un de bien qui payerait. Mais pourquoi n’allez-vous pas à l’auberge ?

    Il n’y a pas de place.

    Bah ! pas possible. Ce n’est pas jour de foire ni de marché. Êtes-vous allé chez Labarre ?

    Oui.

    Le voyageur répondit avec embarras : — Je ne sais pas, il ne m’a pas reçu.

    Êtes-vous allé chez chose, de la rue de Chaffaut ?

    L’embarras de l’étranger croissait. Il balbutia :

    Il ne m’a pas reçu non plus.

    Le visage du paysan prit une expression de défiance, il regarda le nouveau venu de la tête aux pieds, et tout à coup il s’écria avec une sorte de frémissement :

    Est-ce que vous seriez l’homme ?

    Il jeta un nouveau coup d’œil sur l’étranger, fit trois pas en arrière, posa la lampe sur la table et décrocha son fusil du mur.

    Cependant aux paroles du paysan : Est-ce que vous seriez l’homme ?… la femme s’était levée, avait pris ses deux enfants dans ses bras, et s’était réfugiée précipitamment derrière son mari, regardant l’étranger avec épouvante, la gorge nue, les yeux effarés, en murmurant tout bas : Tso-maraude. [1]

    Tout cela se fit en moins de temps qu’il ne faut pour se le figurer. Après avoir examiné quelques instants l’homme comme on examine une vipère, le maître du logis revint à la porte et dit :

    Va-t’en.

    Par grâce, reprit l’homme, un verre d’eau.

    Un coup de fusil ! dit le paysan.

    Puis il referma la porte violemment, et l’homme l’entendit tirer deux gros verrous. Un moment après, la fenêtre se ferma au volet, et un bruit de barre de fer qu’on posait parvint au dehors.

    La nuit continuait de tomber. Le vent froid des Alpes soufflait. À la lueur du jour expirant, l’étranger aperçut dans un des jardins qui bordent la rue une sorte de hutte qui lui parut maçonnée en mottes de gazon. Il franchit résolument une barrière de bois et se trouva dans le jardin. Il s’approcha de la hutte ; elle avait pour porte une étroite ouverture très basse et elle ressemblait à ces constructions que les cantonniers bâtissent au bord des routes. Il pensa sans doute que c’était en effet le logis d’un cantonnier ; il souffrait du froid et de la faim ; il s’était résigné à la faim, mais c’était du moins là un abri contre le froid. Ces sortes de logis ne sont habituellement pas occupés la nuit. Il se coucha à plat ventre et se glissa dans la hutte. Il y faisait chaud, et il y trouva un assez bon lit de paille. Il resta un moment étendu sur ce lit, sans pouvoir faire un mouvement tant il était fatigué. Puis, comme son sac sur son dos le gênait et que c’était d’ailleurs un oreiller tout trouvé, il se mit à déboucler une des courroies. En ce moment, un grondement farouche se fit entendre. Il leva les yeux. La tête d’un dogue énorme se dessinait dans l’ombre à l’ouverture de la hutte.

    C’était la niche d’un chien.

    Il était lui-même vigoureux et redoutable ; il s’arma de son bâton, il se fit de son sac un bouclier, et sortit de la niche comme il put, non sans élargir les déchirures de ses haillons.

    Il sortit également du jardin, mais à reculons, obligé, pour tenir le dogue en respect, d’avoir recours à cette manœuvre du bâton que les maîtres en ce genre d’escrime appellent la rose couverte.

    Quand il eut, non sans peine, repassé la barrière et qu’il se retrouva dans la rue, seul, sans gîte, sans toit, sans abri, chassé même de ce lit de paille et de cette niche misérable, il se laissa tomber plutôt qu’il ne s’assit sur une pierre, et il paraît qu’un passant l’entendit s’écrier : — Je ne suis pas même un chien !

    Bientôt il se releva et se remit à marcher. Il sortit de la ville, espérant trouver quelque arbre ou quelque meule dans les champs, et s’y abriter.

    Il chemina ainsi quelque temps, la tête toujours baissée. Quand il se sentit loin de toute habitation humaine, il leva les yeux et chercha autour de lui. Il était dans un champ ; il avait devant lui une de ces collines basses couvertes de chaume coupé ras, qui après la moisson ressemblent à des têtes tondues.

    L’horizon était tout noir ; ce n’était pas seulement le sombre de la nuit ; c’étaient des nuages très bas qui semblaient s’appuyer sur la colline même et qui montaient, emplissant tout le ciel. Cependant, comme la lune allait se lever et qu’il flottait encore au zénith un reste de clarté crépusculaire, ces nuages formaient au haut du ciel une sorte de voûte blanchâtre d’où tombait sur la terre une lueur.

    La terre était donc plus éclairée que le ciel, ce qui est un effet particulièrement sinistre, et la colline, d’un pauvre et chétif contour, se dessinait vague et blafarde sur l’horizon ténébreux. Tout cet ensemble était hideux, petit, lugubre et borné. Rien dans le champ ni sur la colline qu’un arbre difforme qui se tordait en frissonnant à quelques pas du voyageur.

    Cet homme était évidemment très loin d’avoir de ces délicates habitudes d’intelligence et d’esprit qui font qu’on est sensible aux aspects mystérieux des choses ; cependant il y avait dans le ciel, dans cette colline, dans cette plaine et dans cet arbre, quelque chose de si profondément désolé qu’après un moment d’immobilité et de rêverie, il rebroussa chemin brusquement. Il y a des instants où la nature semble hostile.

    Il revint sur ses pas. Les portes de Digne étaient fermées. Digne, qui a soutenu des sièges dans les guerres de religion, était encore entourée en 1815 de vieilles murailles flanquées de tours carrées qu’on a démolies depuis. Il passa par une brèche et rentra dans la ville.

    Il pouvait être huit heures du soir. Comme il ne connaissait pas les rues, il recommença sa promenade à l’aventure.

    Il parvint ainsi à la préfecture, puis au séminaire. En passant sur la place de la Cathédrale, il montra le poing à l’église.

    Il y a au coin de cette place une imprimerie. C’est là que furent imprimées pour la première fois les proclamations de l’empereur et de la garde impériale à l’armée, apportées de l’île d’Elbe et dictées par Napoléon lui-même.

    Épuisé de fatigue et n’espérant plus rien, il se coucha sur le banc de pierre qui est à la porte de cette imprimerie.

    Une vieille femme sortait de l’église en ce moment. Elle vit cet homme étendu dans l’ombre. — Que faites-vous là, mon ami ? dit-elle.

    Il répondit durement et avec colère : — Vous le voyez, bonne femme, je me couche.

    La bonne femme, bien digne de ce nom en effet, était madame la marquise de R.

    Sur ce banc ? reprit-elle.

    J’ai eu pendant dix-neuf ans un matelas de bois, dit l’homme ; j’ai aujourd’hui un matelas de pierre.

    Vous avez été soldat ?

    Oui, bonne femme. Soldat.

    Pourquoi n’allez-vous pas à l’auberge ?

    Parce que je n’ai pas d’argent.

    Hélas, dit madame de R., je n’ai dans ma bourse que quatre sous.

    Donnez toujours.

    L’homme prit les quatre sous. Madame de R. continua :

    Vous ne pouvez vous loger avec si peu dans une auberge. Avez-vous essayé pourtant ? Il est impossible que vous passiez ainsi la nuit. Vous avez sans doute froid et faim. On aurait pu vous loger par charité.

    J’ai frappé à toutes les portes.

    Eh bien ?

    Partout on m’a chassé.

    La « bonne femme » toucha le bras de l’homme et lui montra de l’autre côté de la place une petite maison basse à côté de l’évêché.

    Vous avez, reprit-elle, frappé à toutes les portes ?

    Oui.

    Avez-vous frappé à celle-là ?

    Non.

    Frappez-y.

     

    II

    LA PRUDENCE CONSEILLÉE A LA SAGESSE

     

    Ce soir-là, M. l’évêque de Digne, après sa promenade en ville, était resté assez tard enfermé dans sa chambre. Il s’occupait d’un grand travail sur les Devoirs, lequel est malheureusement demeuré inachevé. Il dépouillait soigneusement tout ce que les Pères et les Docteurs ont dit sur cette grave matière. Son livre était divisé en deux parties ; premièrement les devoirs de tous, deuxièmement les devoirs de chacun, selon la classe à laquelle il appartient. Les devoirs de tous sont les grands devoirs. Il y en a quatre. Saint Matthieu les indique : devoirs envers Dieu (Matth., VI), devoirs envers soi-même (Matth., V, 29, 30), devoirs envers le prochain (Matth., VII, 12), devoirs envers les créatures (Matth., VI, 20, 25). Pour les autres devoirs, l’évêque les avait trouvés indiqués et prescrits ailleurs ; aux souverains et aux sujets, dans l’Épître aux Romains ; aux magistrats, aux épouses, aux mères et aux jeunes hommes, par saint Pierre ; aux maris, aux pères, aux enfants et aux serviteurs, dans l’Épître aux Éphésiens ; aux fidèles, dans l’Épître aux Hébreux ; aux vierges, dans l’Épître aux Corinthiens. Il faisait laborieusement de toutes ces prescriptions un ensemble harmonieux qu’il voulait présenter aux âmes.

    Il travaillait encore à huit heures, écrivant incommodément sur de petits carrés de papier, avec un gros livre ouvert sur ses genoux, quand madame Magloire entra, selon son habitude, pour prendre l’argenterie dans le placard près du lit. Un moment après, l’évêque, sentant que le couvert était mis et que sa sœur l’attendait peut-être, ferma son livre, se leva de sa table et entra dans la salle à manger.

    La salle à manger était une pièce oblongue à cheminée, avec porte sur la rue (nous l’avons dit) et fenêtre sur le jardin.

    Madame Magloire achevait en effet de mettre le couvert.

    Tout en vaquant au service, elle causait avec mademoiselle Baptistine.

    Une lampe était sur la table ; la table était près de la cheminée. Un assez bon feu était allumé.

    On peut se figurer facilement ces deux femmes qui avaient toutes deux passé soixante ans ; madame Magloire petite, grasse, vive ; mademoiselle Baptistine, douce, mince, frêle, un peu plus grande que son frère, vêtue d’une robe de soie puce, couleur à la mode en 1806, qu’elle avait achetée alors à Paris et qui lui durait encore. Pour emprunter des locutions vulgaires qui ont le mérite de dire avec un seul mot une idée qu’une page suffirait à peine à exprimer, madame Magloire avait l’air d’une paysanne et mademoiselle Baptistine d’une dame. Madame Magloire avait un bonnet blanc à tuyaux, au cou une jeannette d’or, le seul bijou de femme qu’il y eût dans la maison, un fichu très blanc sortant d’une robe de bure noire à manches larges et courtes, un tablier de toile de coton à carreaux rouges et verts, noué à la ceinture d’un ruban vert, avec pièce d’estomac pareille rattachée par deux épingles aux deux coins d’en haut, aux pieds de gros souliers et des bas jaunes comme les femmes de Marseille. La robe de mademoiselle Baptistine était coupée sur les patrons de 1806, taille courte, fourreau étroit, manches à épaulettes, avec pattes et boutons. Elle cachait ses cheveux gris sous une perruque frisée dite à l’enfant. Madame Magloire avait l’air intelligent, vif et bon ; les deux angles de sa bouche inégalement relevés et la lèvre supérieure plus grosse que la lèvre inférieure lui donnaient quelque chose de bourru et d’impérieux. Tant que monseigneur se taisait, elle lui parlait résolument avec un mélange de respect et de liberté ; mais, dès que monseigneur parlait, on a vu cela, elle obéissait passivement comme mademoiselle. Mademoiselle Baptistine ne parlait même pas. Elle se bornait à obéir et à complaire. Même quand elle était jeune, elle n’était pas jolie, elle avait de gros yeux bleus à fleur de tête et le nez long et busqué ; mais tout son visage, toute sa personne, nous l’avons dit en commençant, respiraient une ineffable bonté. Elle avait toujours été prédestinée à la mansuétude ; mais la foi, la charité, l’espérance, ces trois vertus qui chauffent doucement l’âme, avaient élevé peu à peu cette mansuétude jusqu’à la sainteté. La nature n’en avait fait qu’une brebis, la religion en avait fait un ange. Pauvre sainte fille ! doux souvenir disparu ! Mademoiselle Baptistine a depuis raconté tant de fois ce qui s’était passé à l’évêché cette soirée-là, que plusieurs personnes qui vivent encore s’en rappellent les moindres détails.

    Au moment où M. l’évêque entra, madame Magloire parlait avec quelque vivacité. Elle entretenait mademoiselle d’un sujet qui lui était familier et auquel l’évêque était accoutumé. Il s’agissait du loquet de la porte d’entrée.

    Il paraît que, tout en allant faire quelques provisions pour le souper, madame Magloire avait entendu dire des choses en divers lieux. On parlait d’un rôdeur de mauvaise mine ; qu’un vagabond suspect serait arrivé, qu’il devait être quelque part dans la ville, et qu’il se pourrait qu’il y eût de méchantes rencontres pour ceux qui s’aviseraient de rentrer tard chez eux cette nuit-là. Que la police était bien mal faite du reste, attendu que M. le préfet et M. le maire ne s’aimaient pas, et cherchaient à se nuire en faisant arriver des événements. Que c’était donc aux gens sages à faire la police eux-mêmes et à se bien garder, et qu’il faudrait avoir soin de dûment clore, verrouiller et barricader sa maison, et de bien fermer ses portes.

    Madame Magloire appuya sur ce dernier mot ; mais l’évêque venait de sa chambre, où il avait eu assez froid, il s’était assis devant la cheminée et se chauffait, et puis il pensait à autre chose. Il ne releva pas le mot à effet que madame Magloire venait de laisser tomber. Elle le répéta. Alors, mademoiselle Baptistine, voulant satisfaire madame Magloire sans déplaire à son frère, se hasarda à dire timidement :

    Mon frère, entendez-vous ce que dit madame Magloire ?

    J’en ai entendu vaguement quelque chose, répondit l’évêque. Puis tournant à demi sa chaise, mettant ses deux mains sur ses genoux, et levant vers la vieille servante son visage cordial et facilement joyeux, que le feu éclairait d’en bas : — Voyons. Qu’y a-t-il ? qu’y a-t-il ? Nous sommes donc dans quelque gros danger ?

    Alors madame Magloire recommença toute l’histoire, en l’exagérant quelque peu, sans s’en douter. Il paraîtrait qu’un bohémien, un va-nu-pieds, une espèce de mendiant dangereux serait en ce moment dans la ville. Il s’était présenté pour loger chez Jacquin Labarre qui n’avait pas voulu le recevoir. On l’avait vu arriver par le boulevard Gassendi et rôder dans les rues à la brume. Un homme de sac et de corde avec une figure terrible.

    Vraiment ? dit l’évêque.

    Ce consentement à l’interroger encouragea madame Magloire ; cela lui semblait indiquer que l’évêque n’était pas loin de s’alarmer ; elle poursuivit triomphante :

    Oui, monseigneur. C’est comme cela. Il y aura quelque malheur cette nuit dans la ville. Tout le monde le dit. Avec cela que la police est si mal faite (répétition inutile). Vivre dans un pays de montagnes, et n’avoir pas même de lanternes la nuit dans les rues ! On sort. Des fours, quoi ! Et je dis, monseigneur, et mademoiselle que voilà dit comme moi…

    Moi, interrompit la sœur, je ne dis rien. Ce que mon frère fait est bien fait.

    Madame Magloire continua comme s’il n’y avait pas eu de protestation :

    Nous disons que cette maison-ci n’est pas sûre du tout ; que si monseigneur le permet, je vais dire à Paulin Musebois, le serrurier, qu’il vienne remettre les anciens verrous de la porte ; on les a là, c’est une minute ; et je dis qu’il faut des verrous, monseigneur, ne serait-ce que pour cette nuit ; car je dis qu’une porte qui s’ouvre du dehors avec un loquet, par le premier passant venu, rien n’est plus terrible ; avec cela que monseigneur a l’habitude de toujours dire d’entrer, et que d’ailleurs, même au milieu de la nuit, ô mon Dieu ! on n’a pas besoin d’en demander la permission…

    En ce moment, on frappa à la porte un coup assez violent.

    Entrez, dit l’évêque.

     

    III

    HÉROÏSME DE L’OBÉISSANCE PASSIVE

     

    La porte s’ouvrit.

    Elle s’ouvrit vivement, toute grande, comme si quelqu’un la poussait avec énergie et résolution.

    Un homme entra.

    Cet homme, nous le connaissons déjà. C’est le voyageur que nous avons vu tout à l’heure errer cherchant un gîte.

    Il entra, fit un pas et s’arrêta, laissant la porte ouverte derrière lui. Il avait son sac sur l’épaule, son bâton à la main, une expression rude, hardie, fatiguée et violente dans les yeux. Le feu de la cheminée l’éclairait. Il était hideux. C’était une sinistre apparition.

    Madame Magloire n’eut pas même la force de jeter un cri. Elle tressaillit, et resta béante.

    Mademoiselle Baptistine se retourna, aperçut l’homme qui entrait et se dressa à demi d’effarement ; puis, ramenant peu à peu sa tête vers la cheminée, elle se mit à regarder son frère, et son visage redevint profondément calme et serein.

    L’évêque fixait sur l’homme un œil tranquille.

    Comme il ouvrait la bouche, sans doute pour demander au nouveau venu ce qu’il désirait, l’homme appuya ses deux mains à la fois sur son bâton, promena ses yeux tour à tour sur le vieillard et les femmes, et, sans attendre que l’évêque parlât, dit d’une voix haute :

    Voici. Je m’appelle Jean Valjean. Je suis un galérien. J’ai passé dix-neuf ans au bagne. Je suis libéré depuis quatre jours et en route pour Pontarlier qui est ma destination. Quatre jours que je marche depuis Toulon. Aujourd’hui, j’ai fait douze lieues à pied. Ce soir, en arrivant dans ce pays, j’ai été dans une auberge, on m’a renvoyé à cause de mon passe-port jaune que j’avais montré à la mairie. Il avait fallu. J’ai été à une autre auberge. On m’a dit : Va-t-en ! Chez l’un, chez l’autre. Personne n’a voulu de moi. J’ai été à la prison, le guichetier n’a pas ouvert. J’ai été dans la niche d’un chien. Ce chien m’a mordu et m’a chassé, comme s’il avait été un homme. On aurait dit qu’il savait qui j’étais. Je m’en suis allé dans les champs pour coucher à la belle étoile. Il n’y avait pas d’étoile. J’ai pensé qu’il pleuvrait, et qu’il n’y avait pas de bon Dieu pour empêcher de pleuvoir, et je suis rentré dans la ville pour y trouver le renfoncement d’une porte. Là, dans la place, j’allais me coucher sur une pierre, une bonne femme m’a montré votre maison et m’a dit : Frappe là. J’ai frappé. Qu’est-ce que c’est ici ? êtes-vous une auberge ? J’ai de l’argent. Ma masse. Cent neuf francs quinze sous que j’ai gagnés au bagne par mon travail en dix-neuf ans. Je payerai. Qu’est-ce que cela me fait ? J’ai de l’argent. Je suis très fatigué, douze lieues à pied, j’ai bien faim. Voulez-vous que je reste ?

    Madame Magloire, dit l’évêque, vous mettrez un couvert de plus.

    L’homme fit trois pas et s’approcha de la lampe qui était sur la table. — Tenez, reprit-il, comme s’il n’avait pas bien compris, ce n’est pas ça. Avez-vous entendu ? Je suis un galérien. Un forçat. Je viens des galères. — Il tira de sa poche une grande feuille de papier jaune qu’il déplia. — Voilà mon passe-port. Jaune, comme vous voyez. Cela sert à me faire chasser de partout où je vais. Voulez-vous lire ? Je sais lire, moi. J’ai appris au bagne. Il y a une école pour ceux qui veulent. Tenez, voilà ce qu’on a mis sur le passe-port : « Jean Valjean, forçat libéré, natif de… — cela vous est égal… — Est resté dix-neuf ans au bagne. Cinq ans pour vol avec effraction. Quatorze ans pour avoir tenté de s’évader quatre fois. Cet homme est très dangereux. » — Voilà ! Tout le monde m’a jeté dehors. Voulez-vous me recevoir, vous ? Est-ce une auberge ? Voulez-vous me donner à manger et à coucher ? Avez-vous une écurie ?

    Madame Magloire, dit l’évêque, vous mettrez des draps blancs au lit de l’alcôve.

    Nous avons déjà expliqué de quelle nature était l’obéissance des deux femmes.

    Madame Magloire sortit pour exécuter ces ordres.

    L’évêque se tourna vers l’homme.

    Monsieur, asseyez-vous et chauffez-vous. Nous allons souper dans un instant, et l’on fera votre lit pendant que vous souperez.

    Ici l’homme comprit tout à fait. L’expression de son visage, jusqu’alors sombre et dure, s’empreignit de stupéfaction, de doute, de joie, et devint extraordinaire. Il se mit à balbutier comme un homme fou :

    Vrai ? quoi ! vous me gardez ? vous ne me chassez pas ? un forçat ! Vous m’appelez monsieur ! vous ne me tutoyez pas ? Va-t-en, chien ! qu’on me dit toujours. Je croyais bien que vous me chasseriez. Aussi j’avais dit tout de suite qui je suis. Oh ! la brave femme qui m’a enseigné ici ! Je vais souper ! Un lit avec des matelas et des draps ! comme tout le monde ! Un lit ! il y a dix-neuf ans que je n’ai couché dans un lit ! Vous voulez bien que je ne m’en aille pas ! Vous êtes de dignes gens ! D’ailleurs j’ai de l’argent. Je payerai tout ce qu’on voudra. Vous êtes un brave homme. Vous êtes aubergiste, n’est-ce pas?

    Je suis, dit l’évêque, un prêtre qui demeure ici.

    Un prêtre ! reprit l’homme. Oh ! un brave homme de prêtre ! Alors vous ne me demandez pas d’argent ? Le curé, n’est-ce pas ? le curé de cette grande église ? Tiens ! c’est vrai, que je suis bête ! je n’avais pas vu votre calotte.

    Tout en parlant il avait déposé son sac et son bâton dans un coin, puis remis son passe-port dans sa poche, et s’était assis. Mademoiselle Baptistine le considérait avec douceur. Il continua :

    Vous êtes humain, monsieur le curé. Vous n’avez pas de mépris. C’est bien bon un bon prêtre. Alors vous n’avez pas besoin que je paye ?

    Non, dit l’évêque, gardez votre argent. Combien avez-vous ? ne m’avez-vous pas dit cent neuf francs ?

    Quinze sous, ajouta l’homme.

    Cent neuf francs quinze sous. Et combien de temps avez-vous mis à gagner cela ?

    Dix-neuf ans.

    Dix-neuf ans !

    L’évêque soupira profondément.

    L’homme poursuivit : — J’ai encore tout mon argent. Depuis quatre jours je n’ai dépensé que vingt-cinq sous, que j’ai gagnés en aidant à décharger des voitures à Grassë. Puisque vous êtes abbé, je vais vous dire, nous avions un aumônier au bagne. Et puis un jour j’ai vu un évêque. Monseigneur qu’on appelle. C’était l’évêque de la Majore, à Marseille. C’est le curé qui est sur les curés. Vous savez, pardon, je dis mal cela, mais, pour moi, c’est si loin ! — Vous comprenez, nous autres ! — Il a dit la messe au milieu du bagne, sur un autel, il avait une chose pointue, en or, sur la tête. Au grand jour de midi, cela brillait. Nous étions en rang, des trois côtés, avec les canons, mèche allumée, en face de nous. Nous ne voyions pas bien. Il a parlé, mais il était trop au fond, nous n’entendions pas. Voilà ce que c’est qu’un évêque.

    Pendant qu’il parlait, l’évêque était allé pousser la porte qui était restée toute grande ouverte.

    Madame Magloire rentra. Elle apportait un couvert qu’elle mit sur la table.

    Madame Magloire, dit l’évêque, mettez ce couvert le plus près possible du feu. — Et se tournant vers son hôte :

    Le vent de nuit est dur dans les Alpes. Vous devez avoir froid, monsieur ?

    Chaque fois qu’il disait ce mot monsieur, avec sa voix doucement grave et de si bonne compagnie, le visage de l’homme s’illuminait. Monsieur à un forçat, c’est un verre d’eau à un naufragé de la Méduse. L’ignominie a soif de considération.

    Voici, reprit l’évêque, une lampe qui éclaire bien mal.

    Madame Magloire comprit, et elle alla chercher sur la cheminée de la chambre à coucher de monseigneur les deux chandeliers d’argent qu’elle posa sur la table tout allumés.

    Monsieur le curé, dit l’homme, vous êtes bon. Vous ne me méprisez pas. Vous me recevez chez vous. Vous allumez vos cierges pour moi. Je ne vous ai pourtant pas caché d’où je viens et que je suis un homme malheureux.

    L’évêque, assis près de lui, lui toucha doucement la main. — Vous pouviez ne pas me dire qui vous étiez. Ce n’est pas ici ma maison, c’est la maison de Jésus-Christ. Cette porte ne demande pas à celui qui entre s’il a un nom, mais s’il a une douleur. Vous souffrez, vous avez faim et soif ; soyez le bienvenu. Et ne me remerciez pas, ne me dites pas que je vous reçois chez moi. Personne n’est ici chez soi, excepté celui qui a besoin d’un asile. Je vous le dis à vous qui passez, vous êtes ici chez vous plus que moi-même. Tout ce qui est ici est à vous. Qu’ai-je besoin de savoir votre nom ? D’ailleurs, avant que vous me le disiez, vous en avez un que je savais.

    L’homme ouvrit des yeux étonnés.

    Vrai ? vous saviez comment je m’appelle ?

    Oui, répondit l’évêque, vous vous appelez mon frère.

    Tenez, monsieur le curé ! s’écria l’homme, j’avais bien faim en entrant ici ; mais vous êtes si bon qu’à présent je ne sais plus ce que j’ai, cela m’a passé.

    L’évêque le regarda et lui dit :

    Vous avez bien souffert ?

    Oh ! la casaque rouge, le boulet au pied, une planche pour dormir, le chaud, le froid, le travail, la chiourme, les coups de bâton ! La double chaîne pour rien. Le cachot pour un mot. Même malade au lit, la chaîne. Les chiens, les chiens eux-mêmes sont plus heureux ! Dix-neuf ans ! J’en ai quarante-six. À présent, le passe-port jaune ! Voilà.

    Oui, reprit l’évêque, vous sortez d’un lieu de tristesse. Écoutez. Il y aura plus de joie au ciel pour le visage en larmes d’un pécheur repentant que pour la robe blanche de cent justes. Si vous sortez de ce lieu douloureux avec des pensées de haine et de colère contre les hommes, vous êtes digne de pitié ; si vous en sortez avec des pensées de bienveillance, de douceur et de paix, vous valez mieux qu’aucun de nous.

    Cependant madame Magloire avait servi le souper. Une soupe faite avec de l’eau, de l’huile, du pain et du sel, un peu de lard, un morceau de viande de mouton, des figues, un fromage frais, et un gros pain de seigle. Elle avait d’elle-même ajouté à l’ordinaire de M. l’évêque une bouteille de vieux vin de Mauves.

    Le visage de l’évêque prit tout à coup cette expression de gaîté propre aux natures hospitalières : — À table ! dit-il vivement. — Comme il en avait coutume lorsque quelque étranger soupait avec lui, il fit asseoir l’homme à sa droite. Mademoiselle Baptistine, parfaitement paisible et naturelle, prit place à sa gauche.

    L’évêque dit le bénédicité, puis servit lui-même la soupe, selon son habitude. L’homme se mit à manger avidement.

    Tout à coup l’évêque dit : — Mais il me semble qu’il manque quelque chose sur cette table.

    Madame Magloire en effet n’avait mis que les trois couverts absolument nécessaires. Or c’était l’usage de la maison, quand M. l’évêque avait quelqu’un à souper, de disposer sur la nappe les six couverts d’argent, étalage innocent. Ce gracieux semblant de luxe était une sorte d’enfantillage plein de charme dans cette maison douce et sévère qui élevait la pauvreté jusqu’à la dignité.

    Madame Magloire comprit l’observation, sortit sans dire un mot, et un moment après les trois couverts réclamés par l’évêque brillaient sur la nappe, symétriquement arrangés devant chacun des trois convives.

     

    IV

    DÉTAILS SUR LES FROMAGERIES DE PONTARLIER

     

    Maintenant, pour donner une idée de ce qui se passa à cette table, nous ne saurions mieux faire que de transcrire ici un passage d’une lettre de mademoiselle Baptistine à madame de Boischevron, où la conversation du forçat et de l’évêque est racontée avec une minutie naïve :
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    « … Cet homme ne faisait aucune attention à personne. Il mangeait avec une voracité d’affamé. Cependant, après la soupe, il a dit :

    « — Monsieur le curé du bon Dieu, tout ceci est encore bien trop bon pour moi, mais je dois dire que les rouliers qui n’ont pas voulu me laisser manger avec eux font meilleure chère que vous.

    « Entre nous, l’observation m’a un peu choquée. Mon frère a répondu :

    « — Ils ont plus de fatigue que moi.

    « — Non, a repris cet homme, ils ont plus d’argent. Vous êtes pauvre. Je vois bien. Vous n’êtes peut-être pas même curé. Êtes-vous curé seulement ? Ah ! par exemple, si le bon Dieu était juste, vous devriez bien être curé.

    « — Le bon Dieu est plus que juste, a dit mon frère.

    « Un moment après il a ajouté :

    « — Monsieur Jean Valjean, c’est à Pontarlier que vous allez

    « — Avec itinéraire obligé.

    « Je crois bien que c’est comme cela que l’homme a dit. Puis il a continué :

    « — Il faut que je sois en route demain à la pointe du jour. Il fait dur voyager. Si les nuits sont froides, les journées sont chaudes.

    « — Vous allez là, a repris mon frère, dans un bon pays. À la révolution, ma famille a été ruinée, je me suis réfugié en Franche-Comté d’abord, et j’y ai vécu quelque temps du travail de mes bras. J’avais de la bonne volonté. J’ai trouvé à m’y occuper. On n’a qu’à choisir. Il y a des papeteries, des tanneries, des distilleries, des huileries, des fabriques d’horlogerie en grand, des fabriques d’acier, des fabriques de cuivre, au moins vingt usines de fer, dont quatre à Lods, à Châtillon, à Audincourt et à Beure qui sont très considérables…

    « Je crois ne pas me tromper et que ce sont bien là les noms que mon frère a cités, puis il s’est interrompu et m’a adressé la parole :

    « — Chère sœur, n’avons-nous pas des parents dans ce pays-là ?

    « J’ai répondu :

    « — Nous en avions, entre autres M. de Lucenet qui était capitaine des portes à Pontarlier dans l’ancien régime.

    « — Oui, a repris mon frère, mais en 93 on n’avait plus de parents, on n’avait que ses bras. J’ai travaillé. Ils ont dans le pays de Pontarlier, où vous allez, monsieur Valjean, une industrie toute patriarcale et toute charmante, ma sœur ; ce sont leurs fromageries qu’ils appellent fruitières.

    « Alors mon frère, tout en faisant manger cet homme, lui a expliqué très en détail ce que c’étaient que les fruitières de Pontarlier ; — qu’on en distinguait deux sortes : — les grosses granges, qui sont aux riches, et où il y a quarante ou cinquante vaches, lesquelles produisent sept à huit milliers de fromages par été ; les fruitières d’association, qui sont aux pauvres ; ce sont les paysans de la moyenne montagne qui mettent leurs vaches en commun et partagent les produits. — Ils prennent à leurs gages un fromager qu’ils appellent le grurin ; — le grurin reçoit le lait des associés trois fois par jour et marque les quantités sur une taille double ; — c’est vers la fin d’avril que le travail des fromageries commence ; c’est vers la mi-juin que les fromagers conduisent leurs vaches dans la montagne.

    « L’homme se ranimait tout en mangeant. Mon frère lui faisait boire de ce bon vin de Mauves dont il ne boit pas lui-même parce qu’il dit que c’est du vin cher. Mon frère lui disait tous ces détails avec cette gaîté aisée que vous lui connaissez, entre-mêlant ses paroles de façons gracieuses pour moi. Il est beaucoup revenu sur ce bon état de grurin, comme s’il eût souhaité que cet homme comprît, sans le lui conseiller directement et durement, que ce serait un asile pour lui. Une chose m’a frappée. Cet homme était ce que je vous ai dit. Eh bien ! mon frère, pendant tout le souper, ni de toute la soirée, à l’exception de quelques paroles sur Jésus quand il est entré, n’a pas dit un mot qui pût rappeler à cet homme qui il était ni apprendre à cet homme qui était mon frère. C’était bien une occasion en apparence de faire un peu de sermon et d’appuyer l’évêque sur le galérien pour laisser la marque du passage. Il eût paru peut-être à un autre que c’était le cas, ayant ce malheureux sous la main, de lui nourrir l’âme en même temps que le corps et de lui faire quelque reproche assaisonné de morale et de conseil, ou bien un peu de commisération avec exhortation de se mieux conduire à l’avenir. Mon frère ne lui a même pas demandé de quel pays il était, ni son histoire. Car dans son histoire il y a sa faute, et mon frère semblait éviter tout ce qui pouvait l’en faire souvenir. C’est au point qu’à un certain moment, comme mon frère parlait des montagnards de Pontarlier, qui ont un doux travail près du ciel et qui, ajoutait-il, sont heureux parce qu’ils sont innocents, il s’est arrêté court, craignant qu’il n’y eût dans ce mot qui lui échappait quelque chose qui pût froisser l’homme. À force d’y réfléchir, je crois avoir compris ce qui se passait dans le cœur de mon frère. Il pensait sans doute que cet homme, qui s’appelle Jean Valjean, n’avait que trop sa misère présente à l’esprit, que le mieux était de l’en distraire, et de lui faire croire, ne fût-ce qu’un moment, qu’il était une personne comme une autre, en étant pour lui tout ordinaire. N’est-ce pas là en effet bien entendre la charité ? N’y a-t-il pas, bonne madame, quelque chose de vraiment évangélique dans cette délicatesse qui s’abstient de sermon, de morale et d’allusion, et la meilleure pitié, quand un homme a un point douloureux, n’est-ce pas de n’y point toucher du tout ? Il m’a semblé que ce pouvait être là la pensée intérieure de mon frère. Dans tous les cas, ce que je puis dire, c’est que, s’il a eu toutes ces idées, il n’en a rien marqué, même pour moi ; il a été d’un bout à l’autre le même homme que tous les soirs, et il a soupé avec ce Jean Valjean du même air et de la même façon qu’il aurait soupé avec M. Gédéon Le Prévost ou avec M. le curé de la paroisse.

    « Vers la fin, comme nous étions aux figues, on a cogné à la porte. C’était la mère Gerbaud avec son petit dans ses bras. Mon frère a baisé l’enfant au front, et m’a emprunté quinze sous que j’avais sur moi pour les donner à la mère Gerbaud. L’homme pendant ce temps-là ne faisait pas grande attention. Il ne parlait plus et paraissait très fatigué. La pauvre vieille Gerbaud partie, mon frère a dit les grâces, puis il s’est tourné vers cet homme et il lui a dit : Vous devez avoir bien besoin de votre lit. Madame Magloire a enlevé le couvert bien vite. J’ai compris qu’il fallait nous retirer pour laisser dormir ce voyageur, et nous sommes montées toutes les deux. J’ai cependant envoyé madame Magloire un instant après porter sur le lit de cet homme une peau de chevreuil de la Forêt-Noire qui est dans ma chambre. Les nuits sont glaciales, et cela tient chaud. C’est dommage que cette peau soit vieille ; tout le poil s’en va. Mon frère l’a achetée du temps qu’il était en Allemagne, à Tottlingen, près des sources du Danube, ainsi que le petit couteau à manche d’ivoire dont je me sers à table.

    « Madame Magloire est remontée presque tout de suite, nous nous sommes mises à prier Dieu dans le salon où l’on étend le linge, et puis nous sommes rentrées chacune dans notre chambre sans nous rien dire. »

     

    V

    TRANQUILLITÉ

     

    Après avoir donné le bonsoir à sa sœur, monseigneur Bienvenu prit sur la table un des deux flambeaux d’argent, remit l’autre à son hôte, et lui dit :

    Monsieur, je vais vous conduire à votre chambre.

    L’homme le suivit.

    Comme on a pu le remarquer dans ce qui a été dit plus haut, le logis était distribué de telle sorte que, pour passer dans l’oratoire où était l’alcôve ou pour en sortir, il fallait traverser la chambre à coucher de l’évêque.

    Au moment où ils traversaient cette chambre, madame Magloire serrait l’argenterie dans le placard qui était au chevet du lit. C’était le dernier soin qu’elle prenait chaque soir avant de s’aller coucher.

    L’évêque installa son hôte dans l’alcôve. Un lit blanc et frais y était dressé. L’homme posa le flambeau sur une petite table.

    Allons, dit l’évêque, faites une bonne nuit. Demain matin, avant de partir, vous boirez une tasse de lait de nos vaches, tout chaud.

    Merci, monsieur l’abbé, dit l’homme.

    À peine eut-il prononcé ces paroles pleines de paix que, tout à coup et sans transition, il eut un mouvement étrange et qui eût glacé d’épouvante les deux saintes filles, si elles en eussent été témoins. Aujourd’hui même il nous est difficile de nous rendre compte de ce qui le poussait en ce moment. Voulait-il donner un avertissement ou jeter une menace ? Obéissait-il simplement à une sorte d’impulsion instinctive et obscure pour lui-même ? Il se tourna brusquement vers le vieillard, croisa les bras, et, fixant sur son hôte un regard sauvage, il s’écria d’une voix rauque :

    Ah ! décidément ! vous me logez chez vous, près de vous, comme cela !

    Il s’interrompit, et ajouta avec un rire où il y avait quelque chose de monstrueux :

    Avez-vous bien fait toutes vos réflexions ? Qui est-ce qui vous dit que je n’ai pas assassiné ?

    L’évêque répondit :

    Cela regarde le bon Dieu.

    Puis, gravement et remuant les lèvres comme quelqu’un qui prie ou qui se parle à lui-même, il dressa les deux doigts de sa main droite et bénit l’homme, qui ne se courba pas, et, sans tourner la tête et sans regarder derrière lui, il rentra dans sa chambre.

    Quand l’alcôve était habitée, un grand rideau de serge tiré de part en part dans l’oratoire cachait l’autel. L’évêque s’agenouilla en passant devant ce rideau et fit une courte prière.

    Un moment après, il était dans son jardin, marchant, rêvant, contemplant, l’âme et la pensée tout entières à ces grandes choses mystérieuses que Dieu montre la nuit aux yeux qui restent ouverts.

    Quant à l’homme, il était vraiment si fatigué qu’il n’avait même pas profité de ces bons draps blancs. Il avait soufflé sa bougie avec sa narine à la manière des forçats et s’était laissé tomber tout habillé sur le lit, où il s’était tout de suite profondément endormi.

    Minuit sonnait comme l’évêque rentrait de son jardin dans son appartement.

    Quelques minutes après, tout dormait dans la petite maison.

     

    VI

    JEAN VALJEAN

     

    Vers le milieu de la nuit, Jean Valjean se réveilla.

    Jean Valjean était d’une pauvre famille de paysans de la Brie. Dans son enfance, il n’avait pas appris à lire. Quand il eut l’âge d’homme, il était émondeur à Faverolles. Sa mère s’appelait Jeanne Mathieu ; son père s’appelait Jean Valjean, ou Vlajean, sobriquet probablement, et contraction de Voilà Jean.

    Jean Valjean était d’un caractère pensif sans être triste, ce qui est le propre des natures affectueuses. Somme toute, pourtant, c’était quelque chose d’assez endormi et d’assez insignifiant, en apparence du moins, que Jean Valjean. Il avait perdu en très bas âge son père et sa mère. Sa mère était morte d’une fièvre de lait mal soignée. Son père, émondeur comme lui, s’était tué en tombant d’un arbre. Il n’était resté à Jean Valjean qu’une sœur plus âgée que lui, veuve, avec sept enfants, filles et garçons. Cette sœur avait élevé Jean Valjean, et tant qu’elle eut son mari elle logea et nourrit son jeune frère. Le mari mourut. L’aîné des sept enfants avait huit ans, le dernier un an. Jean Valjean venait d’atteindre, lui, sa vingt-cinquième année. Il remplaça le père, et soutint à son tour sa sœur qui l’avait élevé. Cela se fit simplement, comme un devoir, même avec quelque chose de bourru de la part de Jean Valjean. Sa jeunesse se dépensait ainsi dans un travail rude et mal payé. On ne lui avait jamais connu de « bonne amie » dans le pays. Il n’avait pas eu le temps d’être amoureux.

    Le soir il rentrait fatigué et mangeait sa soupe sans dire un mot. Sa sœur, mère Jeanne, pendant qu’il mangeait, lui prenait souvent dans son écuelle le meilleur de son repas, le morceau de viande, la tranche de lard, le cœur de chou, pour le donner à quelqu’un de ses enfants ; lui, mangeant toujours, penché sur la table, presque la tête dans sa soupe, ses longs cheveux tombant autour de son écuelle et cachant ses yeux, avait l’air de ne rien voir et laissait faire. Il y avait à Faverolles, pas loin de la chaumière Valjean, de l’autre côté de la ruelle, une fermière appelée Marie-Claude ; les enfants Valjean, habituellement affamés, allaient quelquefois emprunter au nom de leur mère une pinte de lait à Marie-Claude, qu’ils buvaient derrière une haie ou dans quelque coin d’allée, s’arrachant le pot, et si hâtivement que les petites filles s’en répandaient sur leur tablier et dans leur goulotte. La mère, si elle eût su cette maraude, eût sévèrement corrigé les délinquants. Jean Valjean, brusque et bougon, payait en arrière de la mère la pinte de lait à Marie-Claude, et les enfants n’étaient pas punis.

    Il gagnait dans la saison de l’émondage dix-huit sous par jour, puis il se louait comme moissonneur, comme manœuvre, comme garçon de ferme bouvier, comme homme de peine. Il faisait ce qu’il pouvait. Sa sœur travaillait de son côté, mais que faire avec sept petits enfants ? C’était un triste groupe que la misère enveloppa et étreignit peu à peu. Il arriva qu’un hiver fut rude. Jean n’eut pas d’ouvrage. La famille n’eut pas de pain. Pas de pain. À la lettre. Sept enfants.

    Un dimanche soir, Maubert Isabeau, boulanger sur la place de l’Église, à Faverolles, se disposait à se coucher, lorsqu’il entendit un coup violent dans la devanture grillée et vitrée de sa boutique. Il arriva à temps pour voir un bras passé à travers un trou fait d’un coup de poing dans la grille et dans la vitre. Le bras saisit un pain et l’emporta. Isabeau sortit en hâte ; le voleur s’enfuyait à toutes jambes ; Isabeau courut après lui et l’arrêta. Le voleur avait jeté le pain, mais il avait encore le bras ensanglanté. C’était Jean Valjean.

    Ceci se passait en 1795. Jean Valjean fut traduit devant les tribunaux du temps « pour vol avec effraction la nuit dans une maison habitée ». Il avait un fusil dont il se servait mieux que tireur au monde, il était quelque peu braconnier ; ce qui lui nuisit. Il y a contre les braconniers un préjugé légitime. Le braconnier, de même que le contrebandier, côtoie de fort près le brigand. Pourtant, disons-le en passant, il y a encore un abîme entre ces races d’hommes et le hideux assassin des villes. Le braconnier vit dans la forêt ; le contrebandier vit dans la montagne ou sur la mer. Les villes font des hommes féroces, parce qu’elles font des hommes corrompus. La montagne, la mer, la forêt, font des hommes sauvages. Elles développent le côté farouche, mais souvent sans détruire le côté humain.

    Jean Valjean fut déclaré coupable. Les termes du code étaient formels. Il y a dans notre civilisation des heures redoutables ; ce sont les moments où la pénalité prononce un naufrage. Quelle minute funèbre que celle où la société s’éloigne et consomme l’irréparable abandon d’un être pensant ! Jean Valjean fut condamné à cinq ans de galères.

    Le 22 avril 1796, on cria dans Paris la victoire de Montenotte remportée par le général en chef de l’armée d’Italie, que le message du Directoire aux Cinq-Cents, du 2 floréal an IV, appelle Buona-Parte ; ce même jour une grande chaîne fut ferrée à Bicêtre. Jean Valjean fit partie de cette chaîne. Un ancien guichetier de la prison, qui a près de quatre-vingt-dix ans aujourd’hui, se souvient encore parfaitement de ce malheureux qui fut ferré à l’extrémité du quatrième cordon dans l’angle nord de la cour. Il était assis à terre comme tous les autres. Il paraissait ne rien comprendre à sa position, sinon qu’elle était horrible. Il est pro bable qu’il y démêlait aussi, à travers les vagues idées d’un pauvre homme ignorant de tout, quelque chose d’excessif. Pendant qu’on rivait à grands coups de marteau derrière sa tête le boulon de son carcan, il pleurait, les larmes l’étouffaient, elles l’empêchaient de parler, il parvenait seulement à dire de temps en temps : J’étais émondeur à Faverolles. Puis, tout en sanglotant, il élevait sa main droite et l’abaissait graduellement sept fois comme s’il touchait successivement sept têtes inégales, et par ce geste on devinait que la chose quelconque qu’il avait faite, il l’avait faite pour vêtir et nourrir sept petits enfants.

    Il partit pour Toulon. Il y arriva après un voyage de vingt-sept jours, sur une charrette, la chaîne au cou. À Toulon, il fut revêtu de la casaque rouge. Tout s’effaça de ce qui avait été sa vie, jusqu’à son nom ; il ne fut même plus Jean Valjean ; il fut le numéro 24601. Que devint la sœur ? que devinrent les sept enfants ? Qui est-ce qui s’occupe de cela ? Que devient la poignée de feuilles du jeune arbre scié par le pied ?

    C’est toujours la même histoire. Ces pauvres êtres vivants, ces créatures de Dieu, sans appui désormais, sans guide, sans asile, s’en allèrent au hasard, qui sait même ? chacun de leur côté peut-être, et s’enfoncèrent peu à peu dans cette froide brume où s’engloutissent les destinées solitaires, mornes ténèbres où disparaissent successivement tant de têtes infortunées dans la sombre marche du genre humain. Ils quittèrent le pays. Le clocher de ce qui avait été leur village les oublia ; la borne de ce qui avait été leur champ les oublia ; après quelques années de séjour au bagne, Jean Valjean lui-même les oublia. Dans ce cœur où il y avait eu une plaie, il y eut une cicatrice. Voilà tout. À peine, pendant tout le temps qu’il passa à Toulon, entendit-il parler une seule fois de sa sœur. C’était, je crois, vers la fin de la quatrième année de sa captivité. Je ne sais plus par quelle voie ce renseignement lui parvint. Quelqu’un, qui les avait connus au pays, avait vu sa sœur. Elle était à Paris. Elle habitait une pauvre rue près de Saint-Sulpice, la rue du Geindre. Elle n’avait plus avec elle qu’un enfant, un petit garçon, le dernier. Où étaient les six autres ? Elle ne le savait peut-être pas elle-même. Tous les matins elle allait à une imprimerie rue du Sabot, n° 3, où elle était plieuse et brocheuse. Il fallait être là à six heures du matin, bien avant le jour l’hiver. Dans la maison de l’imprimerie il y avait une école, elle menait à cette école son petit garçon qui avait sept ans. Seulement, comme elle entrait à l’imprimerie à six heures et que l’école n’ouvrait qu’à sept, il fallait que l’enfant attendît dans la cour que l’école ouvrit, une heure ; l’hiver, une heure de nuit, en plein air. On ne voulait pas que l’enfant entrât dans l’imprimerie, parce qu’il gênait, disait-on. Les ouvriers voyaient le matin en passant ce pauvre petit être assis sur le pavé, tombant de sommeil, et souvent endormi dans l’ombre, accroupi et plié sur son panier. Quand il pleuvait, une vieille femme, la portière, en avait pitié ; elle le recueillait dans son bouge où il n’y avait qu’un grabat, un rouet et deux chaises de bois, et le petit dormait là dans un coin, se serrant contre le chat pour avoir moins froid. À sept heures, l’école ouvrait et il y entrait. Voilà ce qu’on dit à Jean Valjean. On l’en entretint un jour, ce fut un moment, un éclair, comme une fenêtre brusquement ouverte sur la destinée de ces êtres qu’il avait aimés, puis tout se referma ; il n’en entendit plus parler et ce fut pour jamais. Plus rien n’arriva d’eux à lui ; jamais il ne les revit, jamais il ne les rencontra, et dans la suite de cette douloureuse histoire on ne les retrouvera plus.

    Vers la fin de cette quatrième année, le tour d’évasion de Jean Valjean arriva. Ses camarades l’aidèrent comme cela se fait dans ce triste lieu. Il s’évada. Il erra deux jours en liberté dans les champs ; si c’est être libre que d’être traqué ; de tourner la tête à chaque instant ; de tressaillir au moindre bruit ; d’avoir peur de tout, du toit qui fume, de l’homme qui passe, du chien qui aboie, du cheval qui galope, de l’heure qui sonne, du jour parce qu’on voit, de la nuit parce qu’on ne voit pas, de la route, du sentier, du buisson, du sommeil. Le soir du second jour, il fut repris. Il n’avait ni mangé, ni dormi depuis trente-six heures. Le tribunal maritime le condamna pour ce délit à une prolongation de trois ans, ce qui lui fit huit ans. La sixième année, ce fut encore son tour de s’évader ; il en usa, mais il ne put consommer sa fuite. Il avait manqué à l’appel. On tira le coup de canon, et à la nuit les gens de ronde le trouvèrent caché sous la quille d’un vaisseau en construction ; il résista aux gardes-chiourme qui le saisirent. Évasion et rébellion. Ce fait prévu par le code spécial fut puni d’une aggravation de cinq ans, dont deux ans de double chaîne. Treize ans. La dixième année, son tour revint, il en profita encore. Il ne réussit pas mieux. Trois ans pour cette nouvelle tentative. Seize ans. Enfin, ce fut, je crois, pendant la treizième année qu’il essaya une dernière fois et ne réussit qu’à se faire reprendre après quatre heures d’absence. Trois ans pour ces quatre heures. Dix-neuf ans. En octobre 1815 il fut libéré, il était entré là en 1796 pour avoir cassé un carreau et pris un pain.

    Place pour une courte parenthèse. C’est la seconde fois que, dans ses études sur la question pénale et sur la damnation par la loi, l’auteur de ce livre rencontre le vol d’un pain, comme point de départ du désastre d’une destinée. Claude Gueux avait volé un pain ; Jean Valjean avait volé un pain. Une statistique anglaise constate qu’à Londres quatre vols sur cinq ont pour cause immédiate la faim.

    Jean Valjean était entré au bagne sanglotant et frémissant ; il en sortit impassible. Il y était entré désespéré ; il en sortit sombre.

    Que s’était-il passé dans cette âme ?

     

    VII

    LE DEDANS DU DÉSESPOIR

     

    Essayons de le dire.

    Il faut bien que la société regarde ces choses puisque c’est elle qui les fait.

    C’était, nous l’avons dit, un ignorant ; mais ce n’était pas un imbécile. La lumière naturelle était allumée en lui. Le malheur, qui a aussi sa clarté, augmenta le peu de jour qu’il y avait dans cet esprit. Sous le bâton, sous la chaîne, au cachot, à la fatigue, sous l’ardent soleil du bagne, sur le lit de planches des forçats, il se replia en sa conscience et réfléchit.

    Il se constitua tribunal.

    Il commença par se juger lui-même.

    Il reconnut qu’il n’était pas un innocent injustement puni. Il s’avoua qu’il avait commis une action extrême et blâmable ; qu’on ne lui eût peut-être pas refusé ce pain s’il l’avait demandé ; que dans tous les cas il eût mieux valu l’attendre, soit de la pitié, soit du travail ; que ce n’est pas tout à fait une raison sans réplique de dire : peut-on attendre quand on a faim ? que d’abord il est très rare qu’on meure littéralement de faim ; ensuite que, malheureusement ou heureusement, l’homme est ainsi fait qu’il peut souffrir longtemps et beaucoup, moralement et physiquement, sans mourir ; qu’il fallait donc de la patience ; que cela eût mieux valu même pour ces pauvres petits enfants ; que c’était un acte de folie, à lui, malheureux homme chétif, de prendre violemment au collet la société tout entière et de se figurer qu’on sort de la misère par le vol ; que c’était, dans tous les cas, une mauvaise porte pour sortir de la misère que celle par où l’on entre dans l’infamie ; enfin qu’il avait eu tort.

    Puis il se demanda :

    S’il était le seul qui avait eu tort dans sa fatale histoire ? Si d’abord ce n’était pas une chose grave qu’il eût, lui travailleur, manqué de travail, lui laborieux, manqué de pain. Si, ensuite, la faute commise et avouée, le châtiment n’avait pas été féroce et outré. S’il n’y avait pas plus d’abus de la part de la loi dans la peine qu’il n’y avait eu d’abus de la part du coupable dans la faute. S’il n’y avait pas excès de poids dans un des plateaux de la balance, celui où est l’expiation. Si la surcharge de la peine n’était point l’effacement du délit, et n’arrivait pas à ce résultat de retourner la situation, de remplacer la faute du délinquant par la faute de la répression, de faire du coupable la victime et du débiteur le créancier, et de mettre définitivement le droit du côté de celui-là même qui l’avait violé. Si cette peine, compliquée des aggravations successives pour les tentatives d’évasion, ne finissait pas par être une sorte d’attentat du plus fort sur le plus faible, un crime de la société sur l’individu, un crime qui recommençait tous les jours, un crime qui durait dix-neuf ans.

    Il se demanda si la société humaine pouvait avoir le droit de faire également subir à ses membres, dans un cas son imprévoyance déraisonnable, et dans l’autre cas sa prévoyance impitoyable, et de saisir à jamais un pauvre homme entre un défaut et un excès, défaut de travail, excès de châtiment.

    S’il n’était pas exorbitant que la société traitât ainsi précisément ses membres les plus mal dotés dans la répartition de biens que fait le hasard, et par conséquent les plus dignes de ménagements.

    Ces questions faites et résolues, il jugea la société et la condamna.

    Il la condamna à sa haine.

    Il la fit responsable du sort qu’il subissait, et se dit qu’il n’hésiterait peut-être pas à lui en demander compte un jour. Il se déclara à lui-même qu’il n’y avait pas équilibre entre le dommage qu’il avait causé et le dommage qu’on lui cau sait ; il conclut enfin que son châtiment n’était pas, à la vérité, une injustice, mais qu’à coup sûr c’était une iniquité.

    La colère peut être folle et absurde ; on peut être irrité à tort ; on n’est indigné que lorsqu’on a raison au fond par quelque côté. Jean Valjean se sentait indigné.

    Et puis, la société humaine ne lui avait fait que du mal. Jamais il n’avait vu d’elle que ce visage courroucé qu’elle appelle sa justice et qu’elle montre à ceux qu’elle frappe. Les hommes ne l’avaient touché que pour le meurtrir. Tout contact avec eux lui avait été un coup. Jamais, depuis son enfance, depuis sa mère, depuis sa sœur, jamais il n’avait rencontré une parole amie, un regard bienveillant. De souffrance en souffrance il arriva peu à peu à cette conviction que la vie était une guerre ; et que dans cette guerre il était le vaincu. Il n’avait d’autre arme que sa haine. Il résolut de l’aiguiser au bagne et de l’emporter en s’en allant.

    Il y avait à Toulon une école pour la chiourme tenue par des frères ignorantins où l’on enseignait le plus nécessaire à ceux de ces malheureux qui avaient de la bonne volonté. Il fut du nombre des hommes de bonne volonté. Il alla à l’école à quarante ans, et apprit à lire, à écrire, à compter. Il sentit que fortifier son intelligence, c’était fortifier sa haine. Dans certains cas, l’instruction et la lumière peuvent servir de rallonge au mal.

    Cela est triste à dire, après avoir jugé la société qui avait fait son malheur, il jugea la providence qui avait fait la société, et il la condamna aussi.

    Ainsi, pendant ces dix-neuf ans de torture et d’esclavage, cette âme monta et tomba en même temps. Il y entra de la lumière d’un côté et des ténèbres de l’autre.

    Jean Valjean n’était pas, on l’a vu, d’une nature mauvaise. Il était encore bon lorsqu’il arriva au bagne. Il y condamna la société et sentit qu’il devenait méchant ; il y condamna la providence et sentit qu’il devenait impie.

    Ici il est difficile de ne pas méditer un instant.

    La nature humaine se transforme-t-elle ainsi de fond en comble et tout à fait ? L’homme créé bon par Dieu peut-il être fait méchant par l’homme ? L’âme peut-elle être refaite tout d’une pièce par la destinée, et devenir mauvaise, la destinée étant mauvaise ? Le cœur peut-il devenir difforme et contracter des laideurs et des infirmités incurables sous la pression d’un malheur disproportionné, comme la colonne vertébrale sous une voûte trop basse ? N’y a-t-il pas dans toute âme humaine, n’y a-t-il pas dans l’âme de Jean Valjean en particulier, une première étincelle, un élément divin, incorruptible dans ce monde, immortel dans l’autre, que le bien peut développer, attiser, allumer et faire rayonner splendidement, et que le mal ne peut jamais entièrement éteindre ?

    Questions graves et obscures, à la dernière desquelles tout physiologiste eût probablement répondu non, et sans hésiter, s’il eût vu à Toulon, aux heures de rêverie, assis, les bras croisés sur la barre de quelque cabestan, le bout de sa chaîne enfoncé dans sa poche pour l’empêcher de traîner, ce galérien morne, sérieux, silencieux et pensif, paria des lois qui regardait l’homme avec colère, damné de la civilisation qui regardait le ciel avec sévérité.

    Certes, et nous ne voulons pas dissimuler, le physiologiste observateur eût vu là une misère irrémédiable ; il eût plaint peut-être ce malade du fait de la loi, mais il n’eût pas même essayé de traitement ; il eût détourné le regard des cavernes qu’il aurait entrevues dans cette âme ; et, comme Dante de la porte de l’enfer, il eût effacé de cette existence le mot que Dieu a pourtant écrit sur le front de tout homme : Espérance !

    Cet état de son âme que nous avons tenté d’analyser était-il aussi parfaitement clair pour Jean Valjean que nous avons essayé de le rendre pour ceux qui nous lisent ? Jean Valjean voyait-il distinctement, après leur formation, et avait-il vu distinctement, à mesure qu’ils se formaient, tous les éléments dont se composait sa misère morale ? Cet homme rude et illettré s’était-il bien nettement rendu compte de la succession d’idées par laquelle il était, degré à degré, monté et descendu jusqu’aux lugubres aspects qui étaient depuis tant d’années déjà l’horizon intérieur de son esprit ? Avait-il bien conscience de tout ce qui s’était passé en lui et de tout ce qui s’y remuait ? C’est ce que nous n’oserions dire ; c’est même ce que nous ne croyons pas. Il y avait trop d’ignorance dans Jean Valjean pour que, même après tant de malheur, il n’y restât pas beaucoup de vague. Par moments il ne savait pas bien au juste ce qu’il éprouvait. Jean Valjean était dans les ténèbres ; il souffrait dans les ténèbres ; il haïssait dans les ténèbres ; on eût pu dire qu’il haïssait devant lui. Il vivait habituellement dans cette ombre, tâtonnant comme un aveugle et comme un rêveur. Seulement, par intervalles, il lui venait tout à coup, de lui-même et du dehors, une secousse de colère, un surcroît de souffrance, un pâle et rapide éclair qui illuminait toute son âme, et faisait brusquement apparaître partout autour de lui, en avant et en arrière, aux lueurs d’une lumière affreuse, les hideux précipices et les sombres perspectives de sa destinée.

    L’éclair passé, la nuit retombait, et où était-il ? il ne le savait plus.

    Le propre des peines de cette nature, dans lesquelles domine ce qui est impitoyable, c’est-à-dire ce qui est abrutissant, c’est de transformer peu à peu, par une sorte de transfiguration stupide, un homme en une bête fauve, quelquefois en une bête féroce. Les tentatives d’évasion de Jean Valjean, successives et obstinées, suffiraient à prouver cet étrange travail fait par la loi sur l’âme humaine. Jean Valjean eût renouvelé ces tentatives, si parfaitement inutiles et folles, autant de fois que l’occasion s’en fût présentée, sans songer un instant au résultat, ni aux expériences déjà faites. Il s’échappait impétueusement comme le loup qui trouve la cage ouverte. L’instinct lui disait : sauve-toi ! Le raisonnement lui eût dit : reste ! Mais, devant une tentative si violente, le raisonnement avait disparu ; il n’y avait plus que l’instinct. La bête seule agissait. Quand il était repris, les nouvelles sévérités qu’on lui infligeait ne servaient qu’à l’effarer davantage.

    Un détail que nous ne devons pas omettre, c’est qu’il était d’une force physique dont n’approchait pas un des habitants du bagne. À la fatigue, pour filer un câble, pour virer un cabestan, Jean Valjean valait quatre hommes. Il soulevait et soutenait parfois d’énormes poids sur son dos, et remplaçait dans l’occasion cet instrument qu’on appelle cric et qu’on appelait jadis orgueil, d’où a pris nom, soit dit en passant, la rue Montorgueil près des halles de Paris. Ses camarades l’avaient surnommé Jean-le-Cric. Une fois, comme on réparait le balcon de l’hôtel de ville de Toulon, une des admirables cariatides de Puget qui soutiennent ce balcon se descella et faillit tomber. Jean Valjean, qui se trouvait là, soutint de l’épaule la cariatide et donna le temps aux ouvriers d’arriver.

    Sa souplesse dépassait encore sa vigueur. Certains forçats, rêveurs perpétuels d’évasions, finissent par faire de la force et de l’adresse combinées une véritable science. C’est la science des muscles. Toute une statique mystérieuse est quotidiennement pratiquée par les prisonniers, ces éternels envieux des mouches et des oiseaux. Gravir une verticale, et trouver des points d’appui là où l’on voit à peine une saillie, était un jeu pour Jean Valjean. Étant donné un angle de mur, avec la tension de son dos et de ses jarrets, avec ses coudes et ses talons emboîtés dans les aspérités de la pierre, il se hissait comme magiquement à un troisième étage. Quelquefois il montait ainsi jusqu’au toit du bagne.

    Il parlait peu. Il ne riait pas. Il fallait quelque émotion extrême pour lui arracher, une ou deux fois l’an, ce lugubre rire du forçat qui est comme un écho du rire du démon. À le voir, il semblait occupé à regarder continuellement quelque chose de terrible.

    Il était absorbé en effet.

    À travers les perceptions maladives d’une nature incomplète et d’une intelligence accablée, il sentait confusément qu’une chose monstrueuse était sur lui. Dans cette pénombre obscure et blafarde où il rampait, chaque fois qu’il tournait le cou et qu’il essayait d’élever son regard, il voyait, avec une terreur mêlée de rage, s’échafauder, s’étager et monter à perte de vue au-dessus de lui, avec des escarpements horribles, une sorte d’entassement effrayant de choses, de lois, de préjugés, d’hommes et de faits, dont les contours lui échappaient, dont la masse l’épouvantait, et qui n’était autre chose que cette prodigieuse pyramide que nous appelons la civilisation. Il distinguait çà et là dans cet ensemble fourmillant et difforme, tantôt près de lui, tantôt loin et sur des plateaux inaccessibles, quelque groupe, quelque détail vivement éclairé, ici l’argousin et son bâton, ici le gendarme et son sabre, là-bas l’archevêque mitré, tout en haut, dans une sorte de soleil, l’empereur couronné et éblouissant. Il lui semblait que ces splendeurs lointaines, loin de dissiper sa nuit, la rendaient plus funèbre et plus noire. Tout cela, lois, préjugés, faits, hommes, choses, allait et venait au-dessus de lui, selon le mouvement compliqué et mystérieux que Dieu imprime à la civilisation, marchant sur lui et l’écrasant avec je ne sais quoi de paisible dans la cruauté et d’inexorable dans l’indifférence. Âmes tombées au fond de l’infortune possible, malheureux hommes perdus au plus bas de ces limbes où l’on ne regarde plus, les réprouvés de la loi sentent peser de tout son poids sur leur tête cette société humaine, si formidable pour qui est dehors, si effroyable pour qui est dessous.

    Dans cette situation, Jean Valjean songeait, et quelle pouvait être la nature de sa rêverie ?

    Si le grain de mil sous la meule avait des pensées, il penserait sans doute ce que pensait Jean Valjean.

    Toutes ces choses, réalités pleines de spectres, fantasmagories pleines de réalités, avaient fini par lui créer une sorte d’état intérieur presque inexprimable.

    Par moments, au milieu de son travail du bagne, il s’arrêtait. Il se mettait à penser. Sa raison, à la fois plus mûre et plus troublée qu’autrefois, se révoltait. Tout ce qui lui était arrivé lui paraissait absurde ; tout ce qui l’entourait lui paraissait impossible. Il se disait : c’est un rêve. Il regardait l’argousin debout à quelques pas de lui ; l’argousin lui semblait un fantôme ; tout à coup le fantôme lui donnait un coup de bâton.

    La nature visible existait à peine pour lui. Il serait presque vrai de dire qu’il n’y avait point pour Jean Valjean de soleil, ni de beaux jours d’été, ni de ciel rayonnant, ni de fraîches aubes d’avril. Je ne sais quel jour de soupirail éclairait habituellement son âme.

    Pour résumer, en terminant, ce qui peut être résumé et traduit en résultats positifs dans tout ce que nous venons d’indiquer, nous nous bornerons à constater qu’en dix-neuf ans, Jean Valjean, l’inoffensif émondeur de Faverolles, le redoutable galérien de Toulon, était devenu capable, grâce à la manière dont le bagne l’avait façonné, de deux espèces de mauvaises actions : premièrement, d’une mauvaise action rapide, irréfléchie, pleine d’étourdissement, toute d’instinct, sorte de représaille pour le mal souffert ; deuxièmement, d’une mauvaise action grave, sérieuse, débattue en conscience et méditée avec les idées fausses que peut donner un pareil malheur. Ses préméditations passaient par les trois phases successives que les natures d’une certaine trempe peuvent seules parcourir, raisonnement, volonté, obstination. Il avait pour mobiles l’indignation habituelle, l’amertume de l’âme, le profond sentiment des iniquités subies, la réaction, même contre les bons, les innocents et les justes, s’il y en a. Le point de départ comme le point d’arrivée de toutes ses pensées était la haine de la loi humaine ; cette haine qui, si elle n’est arrêtée dans son développement par quelque incident providentiel, devient, dans un temps donné, la haine de la société, puis la haine du genre humain, puis la haine de la création, et se traduit par un vague et incessant et brutal désir de nuire, n’importe à qui, à un être vivant quelconque. — Comme on voit, ce n’était pas sans raison que le passeport qualifiait Jean Valjean d’homme très dangereux.

    D’année en année, cette âme s’était desséchée de plus en plus, lentement, mais fatalement. À cœur sec, œil sec. À sa sortie du bagne, il y avait dix-neuf ans qu’il n’avait versé une larme.

     

    VIII

    L’ONDE ET L’OMBRE

     

    Un homme à la mer !

    Qu’importe ! le navire ne s’arrête pas. Le vent souffle, ce sombre navire-là a une route qu’il est forcé de continuer. Il passe.

    L’homme disparaît, puis reparaît, il plonge et remonte à la surface, il appelle, il tend les bras, on ne l’entend pas ; le navire, frissonnant sous l’ouragan, est tout à sa manœuvre, les matelots et les passagers ne voient même plus l’homme submergé ; sa misérable tête n’est qu’un point dans l’énormité des vagues.

    Il jette des cris désespérés dans les profondeurs. Quel spectre que cette voile qui s’en va ! Il la regarde, il la regarde frénétiquement. Elle s’éloigne, elle blêmit, elle décroît. Il était là tout à l’heure, il était de l’équipage, il allait et venait sur le pont avec les autres, il avait sa part de respiration et de soleil, il était un vivant. Maintenant, que s’est-il donc passé ? Il a glissé, il est tombé, c’est fini.

    Il est dans l’eau monstrueuse. Il n’a plus sous les pieds que de la fuite et de l’écroulement. Les flots déchirés et déchiquetés par le vent l’environnent hideusement, les roulis de l’abîme l’emportent, tous les haillons de l’eau s’agitent autour de sa tête, une populace de vagues crache sur lui, de confuses ouvertures le dévorent à demi ; chaque fois qu’il enfonce, il entrevoit des précipices pleins de nuit ; d’affreuses végétations inconnues le saisissent, lui nouent les pieds, le tirent à elles ; il sent qu’il devient abîme, il fait partie de l’écume, les flots se le jettent de l’un à l’autre, il boit l’amertume, l’océan lâche s’acharne à le noyer, l’énormité joue avec son agonie. Il semble que toute cette eau soit de la haine.

    Il lutte pourtant.

    Il essaie de se défendre, il essaie de se soutenir, il fait effort, il nage. Lui, cette pauvre force tout de suite épuisée, il combat l’inépuisable.

    Où donc est le navire ? Là-bas. À peine visible dans les pâles ténèbres de l’horizon.

    Les rafales soufflent ; toutes les écumes l’accablent. Il lève les yeux et ne voit que les lividités des nuages. Il assiste, agonisant, à l’immense démence de la mer. Il est supplicié par cette folie. Il entend des bruits étrangers à l’homme qui semblent venir d’au delà de la terre et d’on ne sait quel dehors effrayant.

    Il y a des oiseaux dans les nuées, de même qu’il y a des anges au-dessus des détresses humaines, mais que peuvent-ils pour lui ? Cela vole, chante et plane, et lui, il râle.

    Il se sent enseveli à la fois par ces deux infinis, l’océan et le ciel ; l’un est une tombe, l’autre est un linceul.

    La nuit descend, voilà des heures qu’il nage, ses forces sont à bout ; ce navire, cette chose lointaine où il y avait des hommes, s’est effacé ; il est seul dans le formidable gouffre crépusculaire, il enfonce, il se roidit, il se tord, il sent au-dessous de lui les vagues monstres de l’invisible ; il appelle.

    Il n’y a plus d’hommes. Où est Dieu ?

    Il appelle. Quelqu’un ! quelqu’un ! Il appelle toujours.

    Rien à l’horizon. Rien au ciel.

    Il implore l’étendue, la vague, l’algue, l’écueil ; cela est sourd. Il supplie la tempête ; la tempête imperturbable n’obéit qu’à l’infini.

    Autour de lui l’obscurité, la brume, la solitude, le tumulte orageux et inconscient, le plissement indéfini des eaux farouches. En lui l’horreur et la fatigue. Sous lui la chute. Pas de point d’appui. Il songe aux aventures ténébreuses du cadavre dans l’ombre illimitée. Le froid sans fond le paralyse. Ses mains se crispent et se ferment et prennent du néant. Vents, nuées, tourbillons, souffles, étoiles inutiles ! Que faire ? Le désespéré s’abandonne, qui est las prend le parti de mourir, il se laisse faire, il se laisse aller, il lâche prise, et le voilà qui roule à jamais dans les profondeurs lugubres de l’engloutissement.

    Ô marche implacable des sociétés humaines ! Pertes d’hommes et d’âmes chemin faisant ! Océan où tombe tout ce que laisse tomber la loi ! Disparition sinistre du secours ! Ô mort morale !

    La mer, c’est l’inexorable nuit sociale où la pénalité jette ses damnés. La mer, c’est l’immense misère.

    L’âme, à vau-l’eau dans ce gouffre, peut devenir un cadavre. Qui la ressuscitera ?

     

    IX

    NOUVEAUX GRIEFS

     

    Quand vint l’heure de la sortie du bagne, quand Jean Valjean entendit à son oreille ce mot étrange : tu es libre ! le moment fut invraisemblable et inouï, un rayon de vive lumière, un rayon de la vraie lumière des vivants pénétra subitement en lui. Mais ce rayon ne tarda point à pâlir. Jean Valjean avait été ébloui de l’idée de la liberté. Il avait cru à une vie nouvelle. Il vit bien vite ce que c’était qu’une liberté à laquelle on donne un passe-port jaune.

    Et autour de cela bien des amertumes. Il avait calculé que sa masse, pendant son séjour au bagne, aurait dû s’élever à cent soixante et onze francs. Il est juste d’ajouter qu’il avait oublié de faire entrer dans ses calculs le repos forcé des dimanches et fêtes qui, pour dix-neuf ans, entraînait une diminution de vingt-quatre francs environ. Quoi qu’il en fût, cette masse avait été réduite, par diverses retenues locales, à la somme de cent neuf francs quinze sous, qui lui avait été comptée à sa sortie.

    Il n’y avait rien compris, et se croyait lésé. Disons le mot, volé.

    Le lendemain de sa libération, à Grasse, il vit devant la porte d’une distillerie de fleurs d’oranger des hommes qui déchargeaient des ballots. Il offrit ses services. La besogne pressait, on les accepta. Il se mit à l’ouvrage. Il était intelligent, robuste et adroit ; il faisait de son mieux ; le maître paraissait content. Pendant qu’il travaillait, un gendarme passa, le remarqua, et lui demanda ses papiers. Il fallut montrer le passe-port jaune. Cela fait, Jean Valjean reprit son travail. Un peu auparavant, il avait questionné l’un des ouvriers sur ce qu’ils gagnaient à cette besogne par jour ; on lui avait répondu : trente sous. Le soir venu, comme il était forcé de repartir le lendemain matin, il se présenta devant le maître de la distillerie et le pria de le payer. Le maître ne proféra pas une parole, et lui remit quinze sous. Il réclama. On lui répondit : cela est assez bon pour toi. Il insista. Le maître le regarda entre les deux yeux et lui dit : Gare le bloc ![2]

    Là encore il se considéra comme volé.

    La société, l’État, en lui diminuant sa masse, l’avait volé en grand. Maintenant c’était le tour de l’individu qui le volait en petit.

    Libération n’est pas délivrance. On sort du bagne, mais non de la condamnation.

    Voilà ce qui lui était arrivé à Grasse. On a vu de quelle façon il avait été accueilli à Digne.

     

    X

    L’HOMME RÉVEILLÉ

     

    Donc, comme deux heures du matin sonnaient à l’horloge de la cathédrale, Jean Valjean se réveilla.

    Ce qui le réveilla, c’est que le lit était trop bon. Il y avait vingt ans bientôt qu’il n’avait couché dans un lit, et, quoiqu’il ne se fût pas déshabillé, la sensation était trop nouvelle pour ne pas troubler son sommeil.

    Il avait dormi plus de quatre heures. Sa fatigue était passée. Il était accoutumé à ne pas donner beaucoup d’heures au repos.

    Il ouvrit les yeux, et regarda un moment dans l’obscurité autour de lui, puis il les referma pour se rendormir.

    Quand beaucoup de sensations diverses ont agité la journée, quand des choses préoccupent l’esprit, on s’endort, mais on ne se rendort pas. Le sommeil vient plus aisément qu’il ne revient. C’est ce qui arriva à Jean Valjean. Il ne put se rendormir, et il se mit à penser.

    Il était dans un de ces moments où les idées qu’on a dans l’esprit sont troubles. Il avait une sorte de va-et-vient obscur dans le cerveau. Ses souvenirs anciens et ses souvenirs immédiats y flottaient pêle-mêle et s’y croisaient confusément, perdant leurs formes, se grossissant démesurément, puis disparaissant tout à coup comme dans une eau fangeuse et agitée. Beaucoup de pensées lui venaient, mais il y en avait une qui se représentait continuellement et qui chassait toutes les autres. Cette pensée, nous allons la dire tout de suite : — il avait remarqué les six couverts d’argent et la grande cuiller que madame Magloire avait posés sur la table.

    Ces six couverts d’argent l’obsédaient. — Ils étaient là. — À quelques pas. — À l’instant où il avait traversé la chambre d’à côté pour venir dans celle où il était, la vieille servante les mettait dans un petit placard à la tête du lit. — Il avait bien remarqué ce placard. — À droite, en entrant par la salle à manger. — Ils étaient massifs. — Et de vieille argenterie. — Avec la grande cuiller, on en tirerait au moins deux cents francs. — Le double de ce qu’il avait gagné en dix-neuf ans. — Il est vrai qu’il eût gagné davantage si l’administration ne l’avait pas volé.

    Son esprit oscilla toute une grande heure dans des fluctuations auxquelles se mêlait bien quelque lutte. Trois heures sonnèrent. Il rouvrit les yeux, se dressa brusquement sur son séant, étendit le bras et tâta son havre-sac qu’il avait jeté dans le coin de l’alcôve, puis il laissa pendre ses jambes et poser ses pieds à terre, et se trouva, sans savoir comment, assis sur son lit.

    Il resta un certain temps rêveur dans cette attitude qui eût eu quelque chose de sinistre pour quelqu’un qui l’eût aperçu ainsi dans cette ombre, seul éveillé dans la maison endormie. Tout à coup il se baissa, ôta ses souliers et les posa doucement sur la natte près de lui, puis il reprit sa posture de rêverie et redevint immobile.

    Au milieu de cette méditation hideuse, les idées que nous venons d’indiquer remuaient sans relâche son cerveau, entraient, sortaient, rentraient, faisaient sur lui une sorte de pesée ; et puis il songeait aussi, sans savoir pourquoi, et avec cette obstination machinale de la rêverie, à un forçat nommé Brevet qu’il avait connu au bagne, et dont le pantalon n’était retenu que par une seule bretelle de coton tricoté. Le dessin en damier de cette bretelle lui revenait sans cesse à l’esprit.

    Il demeurait dans cette situation, et y fût peut-être resté indéfiniment jusqu’au lever du jour, si l’horloge n’eût sonné un coup — le quart ou la demie. Il sembla que ce coup lui eût dit : « Allons ! »

    Il se leva debout, hésita encore un moment, et écouta ; tout se taisait dans la maison ; alors il marcha droit et à petits pas vers la fenêtre qu’il entrevoyait. La nuit n’était pas très obscure ; c’était une pleine lune sur laquelle couraient de larges nuées chassées par le vent. Cela faisait au dehors des alternatives d’ombre et de clarté, des éclipses, puis des éclaircies, et au dedans une sorte de crépuscule. Ce crépuscule, suffisant pour qu’on pût se guider, intermittent à cause des nuages, ressemblait à l’espèce de lividité qui tombe d’un soupirail de cave devant lequel vont et viennent des passants. Arrivé à la fenêtre, Jean Valjean l’examina. Elle était sans barreaux, donnait sur le jardin et n’était fermée, selon la mode du pays, que d’une petite clavette. Il l’ouvrit, mais, comme un air froid et vif entra brusquement dans la chambre, il la referma tout de suite. Il regarda le jardin de ce regard attentif qui étudie plus encore qu’il ne regarde. Le jardin était enclos d’un mur blanc assez bas, facile à escalader. Au fond, au delà, il distingua des têtes d’arbres également espacées, ce qui indiquait que ce mur séparait le jardin d’une avenue ou d’une ruelle plantée.

    Ce coup d’œil jeté, il fit le mouvement d’un homme déterminé, marcha à son alcôve, prit son havre-sac, le fouilla, en tira quelque chose qu’il posa sur le lit, mit ses souliers dans une des poches, referma le tout, chargea le sac sur ses épaules, se couvrit de sa casquette dont il baissa la visière sur ses yeux, chercha son bâton en tâtonnant, et l’alla poser dans l’angle de la fenêtre, puis revint au lit et saisit résolument l’objet qu’il y avait déposé. Cela ressemblait à une barre de fer courte, aiguisée comme un épieu à l’une de ses extrémités.

    Il eût été difficile de distinguer dans les ténèbres pour quel emploi avait pu être façonné ce morceau de fer. C’était peut-être un levier ? C’était peut-être une massue ?

    Au jour on eût pu reconnaître que ce n’était autre chose qu’un chandelier de mineur. On employait alors quelquefois les forçats à extraire de la roche des hautes collines qui environnent Toulon, et il n’était pas rare qu’ils eussent à leur disposition des outils de mineur. Les chandeliers des mineurs sont en fer massif, terminés à leur extrémité inférieure par une pointe au moyen de laquelle on les enfonce dans le rocher.

    Il prit ce chandelier dans sa main droite, et retenant son haleine, assourdissant son pas, il se dirigea vers la porte de la chambre voisine, celle de l’évêque, comme on sait. Arrivé à cette porte, il la trouva entrebâillée. L’évêque ne l’avait point fermée.

     

    XI

    CE QU’IL FAIT

     

    Jean Valjean écouta. Aucun bruit.

    Il poussa la porte.

    Il la poussa du bout du doigt, légèrement, avec cette douceur furtive et inquiète d’un chat qui veut entrer.

    La porte céda à la pression et fit un mouvement imperceptible et silencieux qui élargit un peu l’ouverture.

    Il attendit un moment, puis poussa la porte une seconde fois, plus hardiment.

    Elle continua de céder en silence. L’ouverture était assez grande maintenant pour qu’il pût passer. Mais il y avait près de la porte une petite table qui faisait avec elle un angle gênant et qui barrait l’entrée.

    Jean Valjean reconnut la difficulté. Il fallait à toute force que l’ouverture fût encore élargie.

    Il prit son parti, et poussa une troisième fois la porte, plus énergiquement que les deux premières. Cette fois il y eut un gond mal huilé qui jeta tout à coup dans cette obscurité un cri rauque et prolongé.

    Jean Valjean tressaillit. Le bruit de ce gond sonna dans son oreille avec quelque chose d’éclatant et de formidable comme le clairon du jugement dernier.

    Dans les grossissements fantastiques de la première minute, il se figura presque que ce gond venait de s’animer et de prendre tout à coup une vie terrible, et qu’il aboyait comme un chien pour avertir tout le monde et réveiller les gens endormis.

    Il s’arrêta, frissonnant, éperdu, et retomba de la pointe du pied sur le talon. Il entendait ses artères battre dans ses tempes comme deux marteaux de forge, et il lui semblait que son souffle sortait de sa poitrine avec le bruit du vent qui sort d’une caverne. Il lui paraissait impossible que l’horrible clameur de ce gond irrité n’eût pas ébranlé toute la maison comme une secousse de tremblement de terre ; la porte, poussée par lui, avait pris l’alarme et avait appelé ; le vieillard allait se lever, les deux vieilles femmes allaient crier, on viendrait à l’aide ; avant un quart d’heure, la ville serait en rumeur et la gendarmerie sur pied. Un moment il se crut perdu.

    Il demeura où il était, pétrifié comme la statue de sel, n’osant faire un mouvement.

    Quelques minutes s’écoulèrent. La porte s’était ouverte toute grande. Il se hasarda à regarder dans la chambre. Rien n’y avait bougé. Il prêta l’oreille. Rien ne remuait dans la maison. Le bruit du gond rouillé n’avait éveillé personne.

    Ce premier danger était passé, mais il y avait encore en lui un affreux tumulte. Il ne recula pas pourtant. Même quand il s’était cru perdu, il n’avait pas reculé. Il ne songea plus qu’à finir vite. Il fit un pas et entra dans la chambre.

    Cette chambre était dans un calme parfait. On y distinguait çà et là des formes confuses et vagues qui, au jour, étaient des papiers épars sur une table, des in-folio ouverts, des volumes empilés sur un tabouret, un fauteuil chargé de vêtements, un prie-Dieu, et qui à cette heure n’étaient plus que des coins ténébreux et des places blanchâtres. Jean Valjean avança avec précaution en évitant de se heurter aux meubles. Il entendait au fond de la chambre la respiration égale et tranquille de l’évêque endormi.

    Il s’arrêta tout à coup. Il était près du lit. Il y était arrivé plus tôt qu’il n’aurait cru.

    La nature mêle quelquefois ses effets et ses spectacles à nos actions avec une espèce d’à-propos sombre et intelligent, comme si elle voulait nous faire réfléchir. Depuis près d’une demi-heure un grand nuage couvrait le ciel. Au moment où Jean Valjean s’arrêta en face du lit, ce nuage se déchira, comme s’il l’eût fait exprès, et un rayon de lune, traversant la longue fenêtre, vint éclairer subitement le visage pâle de l’évêque. Il dormait paisiblement. Il était presque vêtu dans son lit, à cause des nuits froides des Basses-Alpes, d’un vêtement de laine brune qui lui couvrait les bras jusqu’aux poignets. Sa tête était renversée sur l’oreiller dans l’attitude abandonnée du repos ; il laissait pendre hors du lit sa main ornée de l’anneau pastoral et d’où étaient tombées tant de bonnes œuvres et de saintes actions. Toute sa face s’illuminait d’une vague expression de satisfaction, d’espérance et de béatitude. C’était plus qu’un sourire et presque un rayonnement. Il y avait sur son front l’inexprimable réverbération d’une lumière qu’on ne voyait pas. L’âme des justes pendant le sommeil contemple un ciel mystérieux.

    Un reflet de ce ciel était sur l’évêque.

    C’était en même temps une transparence lumineuse, car ce ciel était au dedans de lui. Ce ciel, c’était sa conscience.

    Au moment où le rayon de lune vint se superposer, pour ainsi dire, à cette clarté intérieure, l’évêque endormi apparut comme dans une gloire. Cela pourtant resta doux et voilé d’un demi-jour ineffable. Cette lune dans le ciel, cette nature assoupie, ce jardin sans un frisson, cette maison si calme, l’heure, le moment, le silence, ajoutaient je ne sais quoi de solennel et d’indicible au vénérable repos de cet homme, et enveloppaient d’une sorte d’auréole majestueuse et sereine ces cheveux blancs et ces yeux fermés, cette figure où tout était espérance et où tout était confiance, cette tête de vieillard et ce sommeil d’enfant.

    Il y avait presque de la divinité dans cet homme ainsi auguste à son insu.

    Jean Valjean, lui, était dans l’ombre, son chandelier de fer à la main, debout, immobile, effaré de ce vieillard lumineux. Jamais il n’avait rien vu de pareil. Cette confiance l’épouvantait. Le monde moral n’a pas de plus grand spectacle que celui-là : une conscience troublée et inquiète, parvenue au bord d’une mauvaise action, et contemplant le sommeil d’un juste.

    Ce sommeil, dans cet isolement, et avec un voisin tel que lui, avait quelque chose de sublime qu’il sentait vaguement, mais impérieusement.

    Nul n’eût pu dire ce qui se passait en lui, pas même lui. Pour essayer de s’en rendre compte, il faut rêver ce qu’il y a de plus violent en présence de ce qu’il y a de plus doux. Sur son visage même on n’eût rien pu distinguer avec certitude. C’était une sorte d’étonnement hagard. Il regardait cela. Voilà tout. Mais quelle était sa pensée ? il eût été impossible de le deviner. Ce qui était évident, c’est qu’il était ému et bouleversé. Mais de quelle nature était cette émotion ?

    Son œil ne se détachait pas du vieillard. La seule chose qui se dégageât clairement de son attitude et de sa physionomie, c’était une étrange indécision. On eût dit qu’il hésitait entre les deux abîmes, celui où l’on se perd et celui où l’on se sauve. Il semblait prêt à briser ce crâne ou à baiser cette main.

    Au bout de quelques instants, son bras gauche se leva lentement vers son front, et il ôta sa casquette, puis son bras retomba avec la même lenteur, et Jean Valjean rentra dans sa contemplation, sa casquette dans la main gauche, sa massue dans la main droite, ses cheveux hérissés sur sa tête farouche.

    L’évêque continuait de dormir dans une paix profonde sous ce regard effrayant.

    Un reflet de lune faisait confusément visible au-dessus de la cheminée le crucifix qui semblait leur ouvrir les bras à tous les deux, avec une bénédiction pour l’un et un pardon pour l’autre.

    Tout à coup Jean Valjean remit sa casquette sur son front, puis marcha rapidement, le long du lit, sans regarder l’évêque, droit au placard qu’il entrevoyait près du chevet ; il leva le chandelier de fer comme pour forcer la serrure ; la clef y était ; il l’ouvrit ; la première chose qui lui apparut fut le panier d’argenterie ; il le prit, traversa la chambre à grands pas sans précaution et sans s’occuper du bruit, gagna la porte, rentra dans l’oratoire, ouvrit la fenêtre, saisit un bâton, enjamba l’appui du rez-de-chaussée, mit l’argenterie dans son sac, jeta le panier, franchit le jardin, sauta par-dessus le mur comme un tigre, et s’enfuit.

     

    XII

    L’ÉVÈQUE TRAVAILLE

     

    Le lendemain, au soleil levant, monseigneur Bienvenu se promenait dans son jardin. Madame Magloire accourut vers lui toute bouleversée.

    Monseigneur, monseigneur, cria-t-elle, votre grandeur sait-elle où est le panier d’argenterie ?

    Oui, dit l’évêque.

    Jésus-Dieu soit béni ! reprit-elle. Je ne savais ce qu’il était devenu.

    L’évêque venait de ramasser le panier dans une plate-bande. Il le présenta à madame Magloire.

    Le voilà.

    Eh bien ? dit-elle. Rien dedans ? et l’argenterie ?

    Ah ! repartit l’évêque. C’est donc l’argenterie qui vous occupe ? Je ne sais où elle est.

    Grand bon Dieu ! elle est volée ! C’est l’homme d’hier soir qui l’a volée !

    En un clin d’œil, avec toute sa vivacité de vieille alerte, madame Magloire courut à l’oratoire, entra dans l’alcôve et revint vers l’évêque. L’évêque venait de se baisser et considérait en soupirant un plant de cochléaria des Guillons que le panier avait brisé en tombant à travers la plate-bande. Il se redressa au cri de madame Magloire.

    Monseigneur, l’homme est parti ! l’argenterie est volée !

    Tout en poussant cette exclamation, ses yeux tombaient sur un angle du jardin où l’on voyait des traces d’escalade. Le chevron du mur avait été arraché.

    Tenez ! c’est par là qu’il s’en est allé. Il a sauté dans la ruelle Cochefilet ! Ah ! l’abomination ! Il nous a volé notre argenterie !

    L’évêque resta un moment silencieux, puis leva son œil sérieux, et dit à madame Magloire avec douceur :

    Et d’abord, cette argenterie était-elle à nous ?

    Madame Magloire resta interdite. Il y eut encore un silence, puis l’évêque continua :

    Madame Magloire, je détenais à tort et depuis longtemps cette argenterie. Elle était aux pauvres. Qu’était-ce que cet homme ? Un pauvre évidemment.

    Hélas Jésus ! repartit madame Magloire. Ce n’est pas pour moi ni pour mademoiselle. Cela nous est bien égal. Mais c’est pour monseigneur. Dans quoi monseigneur va-t-il manger maintenant ?

    L’évêque la regarda d’un air étonné.

    Ah çà ! est-ce qu’il n’y a pas des couverts d’étain ?

    Madame Magloire haussa les épaules.

    L’étain a une odeur.

    Alors, des couverts de fer.

    Madame Magloire fit une grimace significative.

    Le fer a un goût.

    Eh bien, dit l’évêque, des couverts de bois.

    Quelques instants après, il déjeunait à cette même table où Jean Valjean s’était assis la veille. Tout en déjeunant, monseigneur Bienvenu faisait gaîment remarquer à sa sœur qui ne disait rien et à madame Magloire qui grommelait sourdement, qu’il n’est nullement besoin d’une cuiller ni d’une fourchette, même en bois, pour tremper un morceau de pain dans une tasse de lait.

    Aussi a-t-on idée ! disait madame Magloire toute seule en allant et venant, recevoir un homme comme cela ! et le loger à côté de soi ! et quel bonheur encore qu’il n’ait fait que voler ! Ah mon Dieu ! cela fait frémir quand on songe !

    Comme le frère et la sœur allaient se lever de table, on frappa à la porte.

    Entrez, dit l’évêque.

    La porte s’ouvrit. Un groupe étrange et violent apparut sur le seuil. Trois hommes en tenaient un quatrième au collet. Les trois hommes étaient des gendarmes ; l’autre était Jean Valjean.

    Un brigadier de gendarmerie, qui semblait conduire le groupe, était près de la porte. Il entra et s’avança vers l’évêque en faisant le salut militaire.

    Monseigneur… dit-il.

    À ce mot, Jean Valjean, qui était morne et semblait abattu, releva la tête d’un air stupéfait.

    Monseigneur ! murmura-t-il. Ce n’est donc pas le curé…

    Silence ! dit un gendarme. C’est monseigneur l’évêque.

    Cependant monseigneur Bienvenu s’était approché aussi vivement que son grand âge le lui permettait.

    Ah ! vous voilà ! s’écria-t-il en regardant Jean Valjean. Je suis aise de vous voir. Et bien, mais ! je vous avais donné les chandeliers aussi, qui sont en argent comme le reste et dont vous pourrez bien avoir deux cents francs. Pourquoi ne les avez-vous pas emportés avec vos couverts ?

    Jean Valjean ouvrit les yeux et regarda le vénérable évêque avec une expression qu’aucune langue humaine ne pourrait rendre.

    Monseigneur, dit le brigadier de gendarmerie, ce que cet homme disait était donc vrai ? Nous l’avons rencontré. Il allait comme quelqu’un qui s’en va. Nous l’avons arrêté pour voir. Il avait cette argenterie.

    Et il vous a dit, interrompit l’évêque en souriant, qu’elle lui avait été donnée par un vieux bonhomme de prêtre chez lequel il avait passé la nuit ? Je vois la chose. Et vous l’avez ramené ici ? C’est une méprise.

    Comme cela, reprit le brigadier, nous pouvons le laisser aller ?

    Sans doute, reprit l’évêque.

    Les gendarmes lâchèrent Jean Valjean qui recula.

    Est-ce que c’est vrai qu’on me laisse ? dit-il d’une voix presque inarticulée et comme s’il parlait dans le sommeil.

    Oui, on te laisse, tu n’entends donc pas ? dit un gendarme.

    Mon ami, reprit l’évêque, avant de vous en aller, voici vos chandeliers. Prenez-les.

    Il alla à la cheminée, prit les deux flambeaux d’argent et les apporta à Jean Valjean. Les deux femmes le regardaient faire sans un mot, sans un geste, sans un regard qui pût déranger l’évêque.

    Jean Valjean tremblait de tous ses membres. Il prit les deux chandeliers machinalement et d’un air égaré.

    Maintenant, dit l’évêque, allez en paix. — À propos, quand vous reviendrez, mon ami, il est inutile de passer par le jardin. Vous pourrez toujours entrer et sortir par la porte de la rue. Elle n’est fermée qu’au loquet jour et nuit.

    Puis se tournant vers la gendarmerie :

    Messieurs, vous pouvez vous retirer.

    Les gendarmes s’éloignèrent.

    Jean Valjean était comme un homme qui va s’évanouir.

    L’évêque s’approcha de lui, et lui dit à voix basse :

    N’oubliez pas, n’oubliez jamais que vous m’avez promis d’employer cet argent à devenir honnête homme.

    Jean Valjean, qui n’avait aucun souvenir d’avoir rien promis, resta interdit. L’évêque avait appuyé sur ces paroles en les prononçant. Il reprit avec solennité :

    Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition, et je la donne à Dieu.

     

    XIII

    PETIT-GERVAIS

     

    Jean Valjean sortit de la ville comme s’il s’échappait. Il se mit à marcher en toute hâte dans les champs, prenant les chemins et les sentiers qui se présentaient sans s’apercevoir qu’il revenait à chaque instant sur ses pas. Il erra ainsi toute la matinée, n’ayant pas mangé et n’ayant pas faim. Il était en proie à une foule de sensations nouvelles. Il se sentait une sorte de colère ; il ne savait contre qui. Il n’eût pu dire s’il était touché ou humilié. Il lui venait par mo ments un attendrissement étrange qu’il combattait et auquel il opposait l’endurcissement de ses vingt dernières années. Cet état le fatiguait. Il voyait avec inquiétude s’ébranler au dedans de lui l’espèce de calme affreux que l’injustice de son malheur lui avait donné. Il se demandait qu’est-ce qui remplacerait cela. Parfois il eût vraiment mieux aimé être en prison avec les gendarmes, et que les choses ne se fussent point passées ainsi ; cela l’eût moins agité. Bien que la saison fut assez avancée, il y avait encore çà et là dans les haies quelques fleurs tardives dont l’odeur, qu’il traversait en marchant, lui rappelait des souvenirs d’enfance. Ces souvenirs lui étaient presque insupportables, tant il y avait longtemps qu’ils ne lui étaient apparus.

    Des pensées inexprimables s’amoncelèrent ainsi en lui toute la journée.

    Comme le soleil déclinait au couchant, allongeant sur le sol l’ombre du moindre caillou, Jean Valjean était assis derrière un buisson dans une grande plaine rousse absolument déserte. Il n’y avait à l’horizon que les Alpes. Pas même le clocher d’un village lointain. Jean Valjean pouvait être à trois lieues de Digne. Un sentier qui coupait la plaine passait à quelques pas du buisson.

    Au milieu de cette méditation qui n’eût pas peu contribué à rendre ses haillons effrayants pour quelqu’un qui l’eût rencontré, il entendit un bruit joyeux.

    Il tourna la tête, et vit venir par le sentier un petit savoyard d’une dizaine d’années qui chantait, sa vielle au flanc et sa boîte à marmotte sur le dos ; un de ces doux et gais enfants qui vont de pays en pays, laissant voir leurs genoux par les trous de leur pantalon.

    Tout en chantant l’enfant interrompait de temps en temps sa marche et jouait aux osselets avec quelques pièces de monnaie qu’il avait dans sa main, toute sa fortune probablement. Parmi cette monnaie il y avait une pièce de quarante sous.

    L’enfant s’arrêta à côté du buisson sans voir Jean Valjean et fit sauter sa poignée de sous que jusque-là il avait reçue avec assez d’adresse tout entière sur le dos de sa main.

    Cette fois la pièce de quarante sous lui échappa, et vint rouler vers la broussaille jusqu’à Jean Valjean.

    Jean Valjean posa le pied dessus.

    Cependant l’enfant avait suivi sa pièce du regard, et l’avait vu.

    Il ne s’étonna point et marcha droit à l’homme.

    C’était un lieu absolument solitaire. Aussi loin que le regard pouvait s’étendre, il n’y avait personne dans la plaine ni dans le sentier. On n’entendait que les petits cris faibles d’une nuée d’oiseaux de passage qui traversaient le ciel à une hauteur immense. L’enfant tournait le dos au soleil qui lui mettait des fils d’or dans les cheveux et qui empourprait d’une lueur sanglante la face sauvage de Jean Valjean.

    Monsieur, dit le petit savoyard, avec cette confiance de l’enfance qui se compose d’ignorance et d’innocence, — ma pièce ?

    Comment t’appelles-tu ? dit Jean Valjean.

    Petit-Gervais, monsieur.

    Va-t’en, dit Jean Valjean.

    Monsieur, reprit l’enfant, rendez-moi ma pièce.

    Jean Valjean baissa la tête et ne répondit pas.

    L’enfant recommença :

    Ma pièce, monsieur !

    L’œil de Jean Valjean resta fixé à terre.

    Ma pièce ! cria l’enfant, ma pièce blanche ! mon argent !

    Il semblait que Jean Valjean n’entendît point. L’enfant le prit au collet de sa blouse et le secoua. Et en même temps il faisait effort pour déranger le gros soulier ferré posé sur son trésor.

    Je veux ma pièce ! ma pièce de quarante sous !

    L’enfant pleurait. La tête de Jean Valjean se releva. Il était toujours assis. Ses yeux étaient troubles. Il considéra l’enfant avec une sorte d’étonnement, puis il étendit la main vers son bâton et cria d’une voix terrible : — Qui est là ?

    Moi, monsieur, répondit l’enfant. Petit-Gervais ! moi ! moi ! Rendez-moi mes quarante sous, s’il vous plaît ! Ôtez votre pied, monsieur, s’il vous plaît !

    Puis irrité, quoique tout petit, et devenant presque menaçant :

    Ah, çà, ôterez-vous votre pied ? Ôtez donc votre pied, voyons.

    Ah ! c’est encore toi ! dit Jean Valjean, et, se dressant brusquement tout debout, le pied toujours sur la pièce d’argent, il ajouta : — Veux-tu bien te sauver !

    L’enfant effaré le regarda, puis commença à trembler de la tête aux pieds, et, après quelques secondes de stupeur, se mit à s’enfuir en courant de toutes ses forces sans oser tourner le cou ni jeter un cri.

    Cependant à une certaine distance l’essoufflement le força de s’arrêter, et Jean Valjean, à travers sa rêverie, l’entendit qui sanglotait.

    Au bout de quelques instants l’enfant avait disparu.

    Le soleil s’était couché.

    L’ombre se faisait autour de Jean Valjean. Il n’avait pas mangé de la journée ; il est probable qu’il avait la fièvre.

    Il était resté debout, et n’avait pas changé d’attitude depuis que l’enfant s’était enfui. Son souffle soulevait sa poitrine à des intervalles longs et inégaux. Son regard, arrêté à dix ou douze pas devant lui, semblait étudier avec une attention profonde la forme d’un vieux tesson de faïence bleue tombé dans l’herbe. Tout à coup il tressaillit ; il venait de sentir le froid du soir.

    Il raffermit sa casquette sur son front, chercha machinalement à croiser et à boutonner sa blouse, fit un pas, et se baissa pour reprendre à terre son bâton.

    En ce moment il aperçut la pièce de quarante sous que son pied avait à demi enfoncée dans la terre et qui brillait parmi les cailloux.

    Ce fut comme une commotion galvanique. — Qu’est-ce que c’est que ça ? dit-il entre ses dents. Il recula de trois pas, puis s’arrêta, sans pouvoir détacher son regard de ce point que son pied avait foulé l’instant d’auparavant, comme si cette chose qui luisait là dans l’obscurité eût été un œil ouvert fixé sur lui.

    Au bout de quelques minutes, il s’élança convulsivement vers la pièce d’argent, la saisit, et, se redressant, se mit à regarder au loin dans la plaine, jetant à la fois ses yeux vers tous les points de l’horizon, debout et frissonnant comme une bête fauve effarée qui cherche un asile.

    Il ne vit rien. La nuit tombait, la plaine était froide et vague, de grandes brumes violettes montaient dans la clarté crépusculaire.

    Il dit : Ah ! et se mit à marcher rapidement dans une certaine direction, du côté où l’enfant avait disparu. Après une trentaine de pas, il s’arrêta, regarda, et ne vit rien.

    Alors il cria de toute sa force : Petit-Gervais ! Petit-Gervais !

    Il se tut, et attendit.

    Rien ne répondit.

    La campagne était déserte et morne. Il était environné de l’étendue. Il n’y avait rien autour de lui qu’une sorte de vie lugubre. Des arbrisseaux secouaient leurs petits bras maigres avec une furie incroyable. On eût dit qu’ils menaçaient et poursuivaient quelqu’un.

    Il recommença à marcher, puis se mit à courir, et de temps en temps il s’arrêtait, et criait dans cette solitude, avec une voix qui était ce qu’on pouvait entendre de plus formidable et de plus désolé : Petit-Gervais ! Petit-Gervais !

    Certes, si l’enfant l’eût entendu, il eût eu peur et se fût bien gardé de se montrer. Mais l’enfant était sans doute déjà bien loin.

    Il rencontra un prêtre qui était à cheval. Il alla à lui et lui dit :

    Monsieur le curé, avez-vous vu passer un enfant ?

    Non, dit le prêtre.

    Un nommé Petit-Gervais ?

    Je n’ai vu personne.

    Il tira deux pièces de cinq francs de sa sacoche et les remit au prêtre.

    Monsieur le curé, voici pour vos pauvres. — Monsieur le curé, c’est un petit d’environ dix ans qui a une marmotte, je crois, et une vielle. Il allait. Un de ces savoyards, vous savez ?

    Je ne l’ai point vu.

    Petit-Gervais ? il n’est point des villages d’ici ? pouvez-vous me dire ?

    Si c’est comme vous dites, mon ami, c’est un petit enfant étranger. Cela passe dans le pays. On ne les connaît pas.

    Jean Valjean prit violemment deux autres écus de cinq francs qu’il donna au prêtre.

    Pour vos pauvres, dit-il.

    Puis il ajouta avec égarement :

    Monsieur l’abbé, faites-moi arrêter. Je suis un voleur.

    Le prêtre piqua des deux et s’enfuit très effrayé.

    Jean Valjean se remit à courir dans la direction qu’il avait d’abord prise.

    Il fit de la sorte un assez long chemin, regardant, appelant, criant, mais il ne rencontra plus personne. Deux ou trois fois il courut dans la plaine vers quelque chose qui lui faisait l’effet d’un être couché ou accroupi ; ce n’étaient que des broussailles ou des roches à fleur de terre. Enfin, à un endroit où trois sentiers se croisaient, il s’arrêta. La lune s’était levée. Il promena sa vue au loin et appela une dernière fois : Petit-Gervais ! Petit-Gervais ! Petit-Gervais ! Son cri s’éteignit dans la brume, sans même éveiller un écho. Il murmura encore : Petit-Gervais ! mais d’une voix faible et presque inarticulée. Ce fut là son dernier effort ; ses jarrets fléchirent brusquement sous lui comme si une puissance invisible l’accablait tout à coup du poids de sa mauvaise conscience ; il tomba épuisé sur une grosse pierre, les poings dans ses cheveux et le visage dans ses genoux, et il cria : — Je suis un misérable !

    Alors son cœur creva et il se mit à pleurer. C’était la première fois qu’il pleurait depuis dix-neuf ans.

    Quand Jean Valjean était sorti de chez l’évêque, on l’a vu, il était hors de tout ce qui avait été sa pensée jusque-là. Il ne pouvait se rendre compte de ce qui se passait en lui. Il se roidissait contre l’action angélique et contre les douces paroles du vieillard. « Vous m’avez promis de devenir honnête homme. Je vous achète votre âme. Je la retire à l’esprit de perversité et je la donne au bon Dieu. » Cela lui revenait sans cesse. Il opposait à cette indulgence céleste l’orgueil, qui est en nous comme la forteresse du mal. Il sentait indistinctement que le pardon de ce prêtre était le plus grand assaut et la plus formidable attaque dont il eût encore été ébranlé ; que son endurcissement serait définitif s’il résistait à cette clémence ; que, s’il cédait, il faudrait renoncer à cette haine dont les actions des autres hommes avaient rempli son âme pendant tant d’années, et qui lui plaisait ; que cette fois il fallait vaincre ou être vaincu, et que la lutte, une lutte colossale et définitive, était engagée entre sa méchanceté à lui et la bonté de cet homme.

    En présence de toutes ces lueurs, il allait comme un homme ivre. Pendant qu’il marchait ainsi, les yeux hagards, avait-il une perception distincte de ce qui pourrait résulter pour lui de son aventure à Digne ? Entendait-il tous ces bourdonnements mystérieux qui avertissent ou importunent l’esprit à de certains moments de la vie ? Une voix lui disait-elle à l’oreille qu’il venait de traverser l’heure solennelle de sa destinée, qu’il n’y avait plus de milieu pour lui, que si désormais il n’était pas le meilleur des hommes il en serait le pire, qu’il fallait pour ainsi dire que maintenant il montât plus haut que l’évêque ou retombât plus bas que le galérien, que s’il voulait devenir bon il fallait qu’il devînt ange ; que s’il voulait rester méchant il fallait qu’il devînt monstre.

    Ici encore il faut se faire ces questions que nous nous sommes déjà faites ailleurs, recueillait-il confusément quelque ombre de tout ceci dans sa pensée ? Certes, le malheur, nous l’avons dit, fait l’éducation de l’intelligence ; cependant il est douteux que Jean Valjean fût en état de démêler tout ce que nous indiquons ici. Si ces idées lui arrivaient, il les entrevoyait plutôt qu’il ne les voyait, et elles ne réussissaient qu’à le jeter dans un trouble inexprimable et presque douloureux. Au sortir de cette chose difforme et noire qu’on appelle le bagne, l’évêque lui avait fait mal à l’âme comme une clarté trop vive lui eût fait mal aux yeux en sortant des ténèbres. La vie future, la vie possible qui s’offrait désormais à lui toute pure et toute rayonnante le remplissait de frémissements et d’anxiété. Il ne savait vraiment plus où il en était. Comme une chouette qui verrait brusquement se lever le soleil, le forçat avait été ébloui et comme aveuglé par la vertu.

    Ce qui était certain, ce dont il ne se doutait pas, c’est qu’il n’était déjà plus le même homme, c’est que tout était changé en lui, c’est qu’il n’était plus en son pouvoir de faire que l’évêque ne lui eût pas parlé et ne l’eût pas touché.

    Dans cette situation d’esprit, il avait rencontré Petit-Gervais et lui avait volé ses quarante sous. Pourquoi ? Il n’eût assurément pu l’expliquer ; était-ce un dernier effet et comme un suprême effort des mauvaises pensées qu’il avait apportées du bagne, un reste d’impulsion, un résultat de ce qu’on appelle en statique la force acquise ? C’était cela, et c’était aussi peut-être moins encore que cela. Disons-le simplement, ce n’était pas lui qui avait volé, ce n’était pas l’homme, c’était la bête qui, par habitude et par instinct, avait stupidement posé le pied sur cet argent, pendant que l’intelligence se débattait au milieu de tant d’obsessions inouïes et nouvelles. Quand l’intelligence se réveilla et vit cette action de la brute, Jean Valjean recula avec angoisse et poussa un cri d’épouvante.

    C’est que, phénomène étrange et qui n’était possible que dans la situation où il était, en volant cet argent à cet enfant, il avait fait une chose dont il n’était déjà plus capable.

    Quoi qu’il en soit, cette dernière mauvaise action eut sur lui un effet décisif ; elle traversa brusquement ce chaos qu’il avait dans l’intelligence et le dissipa, mit d’un côté les épaisseurs obscures et de l’autre la lumière, et agit sur son âme, dans l’état où elle se trouvait, comme de certains réactifs chimiques agissent sur un mélange trouble en précipitant un élément et en clarifiant l’autre.

    Tout d’abord, avant même de s’examiner et de réfléchir, éperdu, comme quelqu’un qui cherche à se sauver, il tâcha de retrouver l’enfant pour lui rendre son argent ; puis, quand il reconnut que cela était inutile et impossible, il s’arrêta désespéré. Au moment où il s’écria : je suis un misérable ! il venait de s’apercevoir tel qu’il était, et il était déjà à ce point séparé de lui-même qu’il lui semblait qu’il n’était plus qu’un fantôme, et qu’il avait là devant lui, en chair et en os, le bâton à la main, la blouse sur les reins, son sac rempli d’objets volés sur le dos, avec son visage résolu et morne, avec sa pensée pleine de projets abominables, le hideux galérien Jean Valjean.

    L’excès du malheur, nous l’avons remarqué, l’avait fait en quelque sorte visionnaire. Ceci fut donc comme une vision. Il vit véritablement ce Jean Valjean, cette face sinistre, devant lui. Il fut presque au moment de se demander qui était cet homme, et il en eut horreur.

    Son cerveau était dans un de ces moments violents et pourtant affreusement calmes où la rêverie est si profonde qu’elle absorbe la réalité. On ne voit plus les objets qu’on a devant soi, et l’on voit comme en dehors de soi les figures qu’on a dans l’esprit.

    Il se contempla donc, pour ainsi dire, face à face, et en même temps, à travers cette hallucination, il voyait dans une profondeur mystérieuse une sorte de lumière qu’il prit d’abord pour un flambeau. En regardant avec plus d’attention cette lumière qui apparaissait à sa conscience, il reconnut qu’elle avait la forme humaine, et que ce flambeau était l’évêque.

    Sa conscience considéra tour à tour ces deux hommes ainsi placés devant elle, l’évêque et Jean Valjean. Il n’avait pas fallu moins que le premier pour détremper le second. Par un de ces effets singuliers qui sont propres à ces sortes d’extases, à mesure que sa rêverie se prolongeait, l’évêque grandissait et resplendissait à ses yeux, Jean Valjean s’amoindrissait et s’effaçait. À un certain moment il ne fut plus qu’une ombre. Tout à coup il disparut. L’évêque seul était resté.

    Il remplissait toute l’âme de ce misérable d’un rayonnement magnifique.

    Jean Valjean pleura longtemps. Il pleura à chaudes larmes, il pleura à sanglots, avec plus de faiblesse qu’une femme, avec plus d’effroi qu’un enfant.

    Pendant qu’il pleurait, le jour se faisait de plus en plus dans son cerveau, un jour extraordinaire, un jour ravissant et terrible à la fois. Sa vie passée, sa première faute, sa longue expiation, son abrutissement extérieur, son endurcissement intérieur, sa mise en liberté réjouie par tant de plans de vengeance, ce qui lui était arrivé chez l’évêque, la dernière chose qu’il avait faite, ce vol de quarante sous à un enfant, crime d’autant plus lâche et d’autant plus monstrueux qu’il venait après le pardon de l’évêque, tout cela lui revint et lui apparut, clairement, mais dans une clarté qu’il n’avait jamais vue jusque-là. Il regarda sa vie, et elle lui parut horrible ; son âme, et elle lui parut affreuse. Cependant un jour doux était sur cette vie et sur cette âme. Il lui semblait qu’il voyait Satan à la lumière du paradis.

    Combien d’heures pleura-t-il ainsi ? que fit-il après avoir pleuré ? où alla-t-il ? on ne l’a jamais su. Il paraît seulement avéré que, dans cette même nuit, le voiturier qui faisait à cette époque le service de Grenoble et qui arrivait à Digne vers trois heures du matin, vit en traversant la rue de l’évêché un homme dans l’attitude de la prière, à genoux sur le pavé, dans l’ombre, devant la porte de monseigneur Bienvenu.

     


    1. Patois des Alpes françaises. Chat de maraude.

    2. La prison.

    Récupérée de « http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Mis%C3%A9rables_TI_L2 »

     

     

     

     

     


     

    [I

    L’ANNÉE 1817


     

    1817 est l’année que Louis XVIII, avec un certain aplomb royal qui ne manquait pas de fierté, qualifiait la vingt-deuxième de son règne. C’est l’année où M. Bruguière de Sorsum était célèbre. Toutes les boutiques des perruquiers, espérant la poudre et le retour de l’oiseau royal, étaient badigeonnées d’azur et fleurdelysées. C’était le temps candide où le comte Lynch siégeait tous les dimanches comme marguillier au banc d’œuvre de Saint-Germain-des-Prés en habit de pair de France, avec son cordon rouge et son long nez, et cette majesté de profil particulière à un homme qui a fait une action d’éclat. L’action d’éclat commise par M. Lynch était ceci : avoir, étant maire de Bordeaux, le 12 mars 1814, donné la ville un peu trop tôt à M. le duc d’Angoulême. De là sa pairie. En 1817, la mode engloutissait les petits garçons de quatre à six ans sous de vastes casquettes en cuir maroquiné à oreillons assez ressemblantes à des mitres d’esquimaux. L’armée française était vêtue de blanc, à l’autrichienne ; les régiments s’appelaient légions ; au lieu de chiffres ils portaient les noms des départements. Napoléon était à Sainte-Hélène, et, comme l’Angleterre lui refusait du drap vert, il faisait retourner ses vieux habits. En 1817, Pellegrini chantait, mademoiselle Bigottini dansait ; Potier régnait ; Odry n’existait pas encore. Madame Saqui succédait à Forioso. Il y avait encore des Prussiens en France. M. Delalot était un personnage. La légitimité venait de s’affirmer en coupant le poing, puis la tête, à Pleignier, à Carbonneau et à Tolleron. Le prince de Talleyrand, grand chambellan, et l’abbé Louis, ministre désigné des finances, se regardaient en riant du rire de deux augures ; tous deux avaient célébré, le 14 juillet 1790, la messe de la Fédération au Champ-de-Mars ; Talleyrand l’avait dite comme évêque, Louis l’avait servie comme diacre. En 1817, dans les contre-allées de ce même Champ-de-Mars, on apercevait de gros cylindres de bois, gisant sous la pluie, pourrissant dans l’herbe, peints en bleu avec des traces d’aigles et d’abeilles dédorées. C’étaient les colonnes qui, deux ans auparavant, avaient soutenu l’estrade de l’empereur au Champ-de-Mai. Elles étaient noircies çà et là de la brûlure du bivouac des Autrichiens baraqués près du Gros-Caillou. Deux ou trois de ces colonnes avaient disparu dans les feux de ces bivouacs et avaient chauffé les larges mains des kaiserlicks. Le Champ-de-Mai avait eu cela de remarquable qu’il avait été tenu au mois de juin et au Champ-de-Mars. En cette année 1817, deux choses étaient populaires : le Voltaire Touquet et la tabatière à la charte. L’émotion parisienne la plus récente était le crime de Dautun qui avait jeté la tête de son frère dans le bassin du Marché-aux-Fleurs. On commençait à faire au ministère de la marine une enquête sur cette fatale frégate de la Méduse qui devait couvrir de honte Chaumareix et de gloire Géricault. Le colonel Selves allait en Égypte pour y devenir Soliman pacha. Le palais des Thermes, rue de la Harpe, servait de boutique à un tonnelier. On voyait encore sur la plate-forme de la tour octogone de l’hôtel de Cluny la petite logette en planches qui avait servi d’observatoire à Messier, astronome de la marine sous Louis XVI. La duchesse de Duras lisait à trois ou quatre amis, dans son boudoir meublé d’X en satin bleu ciel, Ourika inédite. On grattait les N au Louvre. Le pont d’Austerlitz abdiquait et s’intitulait pont du Jardin du Roi, double énigme qui déguisait à la fois le pont d’Austerlitz et le jardin des Plantes. Louis XVIII, préoccupé, tout en annotant du coin de l’ongle Horace, des héros qui se font empereurs et des sabotiers qui se font dauphins, avait deux soucis, Napoléon et Mathurin Bruneau. L’académie française donnait pour sujet de prix : Le bonheur que procure l’étude. M. Bellart était officiellement éloquent. On voyait germer à son ombre ce futur avocat général de Broë, promis aux sarcasmes de Paul-Louis Courier. Il y avait un faux Chateaubriand appelé Marchangy, en attendant qu’il y eut un faux Marchangy appelé d’Arlincourt. Claire d’Albe et Malek-Adel étaient des chefs-d’œuvre ; madame Cottin était déclarée le premier écrivain de l’époque. L’Institut laissait rayer de sa liste l’académicien Napoléon Bonaparte. Une ordonnance royale érigeait Angoulême en école de marine, car, le duc d’Angoulême étant grand amiral, il était évident que la ville d’Angoulême avait de droit toutes les qualités d’un port de mer, sans quoi le principe monarchique eût été entamé. On agitait en conseil des ministres la question de savoir si l’on devait tolérer les vignettes représentant des voltiges, qui assaisonnaient les affiches de Franconi et qui attroupaient les polissons des rues. M. Paër, auteur de l’Agnese, bonhomme à la face carrée qui avait une verrue sur la joue, dirigeait les petits concerts intimes de la marquise de Sassenaye, rue de la Ville-l’Évêque. Toutes les jeunes filles chantaient l’Ermite de Saint-Avelle, paroles d’Edmond Géraud. Le Nain jaune se transformait en Miroir. Le café Lemblin tenait pour l’empereur contre le café Valois qui tenait pour les Bourbons. On venait de marier à une princesse de Sicile M. le duc de Berry, déjà regardé du fond de l’ombre par Louvel. Il y avait un an que madame de Staël était morte. Les gardes du corps sifflaient mademoiselle Mars. Les grands journaux étaient tout petits. Le format était restreint, mais la liberté était grande. Le Constitutionnel était constitutionnel. La Minerve appelait Chateaubriand Chateaubriant. Ce t faisait beaucoup rire les bourgeois aux dépens du grand écrivain. Dans des journaux vendus, des journalistes prostitués insultaient les proscrits de 1815 ; David n’avait plus de talent, Arnault n’avait plus d’esprit, Carnot n’avait plus de probité ; Soult n’avait gagné aucune bataille ; il est vrai que Napoléon n’avait plus de génie. Personne n’ignore qu’il est assez rare que les lettres adressées par la poste à un exilé lui parviennent, les polices se faisant un religieux devoir de les intercepter. Le fait n’est point nouveau ; Descartes banni s’en plaignait. Or, David ayant, dans un journal belge, montré quelque humeur de ne pas recevoir les lettres qu’on lui écrivait, ceci paraissait plaisant aux feuilles royalistes qui bafouaient à cette occasion le proscrit. Dire : les régicides, ou dire : les votants, dire : les ennemis, ou dire : les alliés, dire : Napoléon, ou dire : Buonaparte, cela séparait deux hommes plus qu’un abîme. Tous les gens de bons sens convenaient que l’ère des révolutions était à jamais fermée par le roi Louis XVIII, surnommé « l’immortel auteur de la charte ». Au terre-plein du Pont-Neuf, on sculptait le mot Redivivus, sur le piédestal qui attendait la statue de Henri IV. M. Piet ébauchait, rue Thérèse, n° 4, son conciliabule pour consolider la monarchie. Les chefs de la droite disaient dans les conjonctures graves : « Il faut écrire à Bacot ». MM. Canuel, O’Mahony et de Chappedelaine esquissaient, un peu approuvés de Monsieur, ce qui devait être plus tard « la conspiration du bord de l’eau  ». L’Épingle Noire complotait de son côté. Delaverderie s’abouchait avec Trogoff. M. Decazes, esprit dans une certaine mesure libéral, dominait. Chateaubriand, debout tous les matins devant sa fenêtre du n° 17 de la rue Saint-Dominique, en pantalon à pieds et en pantoufles, ses cheveux gris coiffés d’un madras, les yeux fixés sur un miroir, une trousse complète de chirurgien dentiste ouverte devant lui, se curait les dents, qu’il avait charmantes, tout en dictant des variantes de la Monarchie selon la Charte à M. Pilorge, son secrétaire. La critique faisant autorité préférait Lafon à Talma. M. de Féletz signait A. ; M. Hoffmann signait Z. Charles Nodier écrivait Thérèse Aubert. Le divorce était aboli. Les lycées s’appelaient collèges. Les collégiens, ornés au collet d’une fleur de lys d’or, s’y gourmaient à propos du roi de Rome. La contre-police du château dénonçait à son altesse royale Madame le portrait, partout exposé, de M. le duc d’Orléans, lequel avait meilleure mine en uniforme de colonel général des hussards que M. le duc de Berry en uniforme de colonel général des dragons ; grave inconvénient. La ville de Paris faisait redorer à ses frais le dôme des Invalides. Les hommes sérieux se demandaient ce que ferait, dans telle ou telle occasion, M. de Trinquelague ; M. Clausel de Montals se séparait, sur divers points, de M. Clausel de Coussergues ; M. de Salaberry n’était pas content. Le comédien Picard, qui était de l’Académie dont le comédien Molière n’avait pu être, faisait jouer les Deux Philibert à l’Odéon, sur le fronton duquel l’arrachement des lettres laissait encore lire distinctement : théâtre de l’impératrice. On prenait parti pour ou contre Cugnet de Montarlot. Fabvier était factieux ; Bavoux était révolutionnaire. Le libraire Pélicier publiait une édition de Voltaire, sous ce titre : Œuvres de Voltaire, de l’Académie fran çaise. « Cela fait venir les acheteurs », disait cet éditeur naïf. L’opinion générale était que M. Charles Loyson serait le génie du siècle ; l’envie commençait à le mordre, signe de gloire ; et l’on faisait sur lui ce vers :

    Même quand Loyson vole, on sent qu’il a des pattes.

    Le cardinal Fesch refusant de se démettre, M. de Pins, archevêque d’Amasie, administrait le diocèse de Lyon. La querelle de la vallée des Dappes commençait entre la Suisse et la France par un mémoire du capitaine Dufour, depuis général. Saint-Simon, ignoré, échafaudait son rêve sublime. Il y avait à l’académie des sciences un Fourier célèbre que la postérité a oublié et dans je ne sais quel grenier un Fourier obscur dont l’avenir se souviendra. Lord Byron commençait à poindre ; une note d’un poème de Millevoye l’annonçait à la France en ces termes : un certain lord Baron. David d’Angers s’essayait à pétrir le marbre. L’abbé Caron parlait avec éloge, en petit comité de séminaristes, dans le cul-de-sac des Feuillantines, d’un prêtre inconnu nommé Félicité Robert qui a été plus tard Lamennais. Une chose qui fumait et clapotait sur la Seine avec le bruit d’un chien qui nage allait et venait sous les fenêtres des Tuileries, du pont Royal au pont Louis XV ; c’était une mécanique bonne à pas grand’chose, une espèce de joujou, une rêverie d’inventeur songe-creux, une utopie : un bateau à vapeur. Les Parisiens regardaient cette inutilité avec indifférence. M. de Vaublanc, réformateur de l’Institut par coup d’État, ordonnance et fournée, auteur distingué de plusieurs académiciens, après en avoir fait, ne pouvait parvenir à l’être. Le faubourg Saint-Germain et le pavillon Marsan souhaitaient pour préfet de police M. Delaveau, à cause de sa dévotion. Dupuytren et Récamier se prenaient de querelle à l’amphithéâtre de l’École de médecine et se menaçaient du poing à propos de la divinité de Jésus-Christ. Cuvier, un œil sur la Genèse et l’autre sur la nature, s’efforçait de plaire à la réaction bigote en mettant les fossiles d’accord avec les textes et en faisant flatter Moïse par les mastodontes. M. François de Neufchâteau, louable cultivateur de la mémoire de Parmentier, faisait mille efforts pour que pomme de terre fût prononcée parmentière, et n’y réussissait point. L’abbé Grégoire, ancien évêque, ancien conventionnel, ancien sénateur, était passé dans la polémique royaliste à l’état « d’infâme Grégoire ». Cette locution que nous venons d’employer : passer à l’état de, était dénoncée comme néologisme par M. Royer-Collard. On pouvait distinguer encore à sa blancheur, sous la troisième arche du pont d’Iéna, la pierre neuve avec laquelle, deux ans auparavant, on avait bouché le trou de mine pratiqué par Blücher pour faire sauter le pont. La justice appelait à sa barre un homme qui, en voyant entrer le comte d’Artois à Notre-Dame, avait dit tout haut : Sapristi ! je regrette le temps où je voyais Bonaparte et Talma entrer, bras dessus, bras dessous, au Bal-Sauvage. Propos séditieux. Six mois de prison. Des traîtres se montraient déboutonnés ; des hommes qui avaient passé à l’ennemi la veille d’une bataille, ne cachaient rien de la récompense et marchaient impudiquement en plein soleil dans le cynisme des richesses et des dignités ; des déserteurs de Ligny et des Quatre-Bras, dans le débraillé de leur turpitude payée, étalaient leur dévouement monarchique tout nu ; oubliant ce qui est écrit en Angleterre sur la muraille intérieure des water-closets publics : Please adjust your dress before leaving.

    Voilà, pêle-mêle, ce qui surnage confusément de l’année 1817, oubliée aujourd’hui. L’histoire néglige presque toutes ces particularités, et ne peut faire autrement ; l’infini l’envahirait. Pourtant ces détails, qu’on appelle à tort petits — il n’y a ni petits faits dans l’humanité, ni petites feuilles dans la végétation — sont utiles. C’est de la physionomie des années que se compose la figure des siècles.

    En cette année 1817, quatre jeunes Parisiens firent « une bonne farce ».


     

    II

    DOUBLE QUATUOR


     

    Ces Parisiens étaient l’un de Toulouse, l’autre de Limoges, le troisième de Cahors et le quatrième de Montauban ; mais ils étaient étudiants, et qui dit étudiant dit parisien ; étudier à Paris, c’est naître à Paris.

    Ces jeunes gens étaient insignifiants ; tout le monde a vu ces figures-là ; quatre échantillons du premier venu ; ni bons ni mauvais, ni savants ni ignorants, ni des génies ni des imbéciles ; beaux de ce charmant avril qu’on appelle vingt ans. C’étaient quatre Oscars quelconques ; car à cette époque les Arthurs n’existaient pas encore. Brûlez pour lui les parfums d’Arabie, s’écriait la romance, Oscar s’avance, Oscar, je vais le voir ! On sortait d’Ossian, l’élégance était scandinave et calédonienne, le genre anglais pur ne devait prévaloir que plus tard, et le premier des Arthurs, Wellington, venait à peine de gagner la bataille de Waterloo.

    Ces Oscars s’appelaient l’un Félix Tholomyès, de Toulouse ; l’autre Listolier, de Cahors ; l’autre Fameuil, de Limoges ; le dernier Blachevelle, de Montauban. Naturellement chacun avait sa maîtresse. Blachevelle aimait Favourite, ainsi nommée parce qu’elle était allée en Angleterre ; Listolier adorait Dahlia, qui avait pris pour nom de guerre un nom de fleur ; Fameuil idolâtrait Zéphine, abrégé de Joséphine ; Tholomyès avait Fantine, dite la Blonde à cause de ses beaux cheveux couleur de soleil.

    Favourite, Dahlia, Zéphine et Fantine étaient quatre ravissantes filles, parfumées et radieuses, encore un peu ouvrières, n’ayant pas tout à fait quitté leur aiguille, dérangées par les amourettes, mais ayant sur le visage un reste de la sérénité du travail et dans l’âme cette fleur d’honnêteté qui dans la femme survit à la première chute. Il y avait une des quatre qu’on appelait la jeune, parce qu’elle était la cadette ; et une qu’on appelait la vieille. La vieille avait vingt-trois ans. Pour ne rien celer, les trois premières étaient plus expérimentées, plus insouciantes et plus envolées dans le bruit de la vie que Fantine la Blonde, qui en était à sa première illusion.

    Dahlia, Zéphine, et surtout Favourite, n’en auraient pu dire autant. Il y avait déjà plus d’un épisode à leur roman à peine commencé, et l’amoureux, qui s’appelait Adolphe au premier chapitre, se trouvait être Alphonse au second, et Gustave au troisième. Pauvreté et coquetterie sont deux conseillères fatales ; l’une gronde, l’autre flatte ; et les belles filles du peuple les ont toutes les deux qui leur parlent bas à l’oreille, chacune de son côté. Ces âmes mal gardées écoutent. De là les chutes qu’elles font et les pierres qu’on leur jette. On les accable avec la splendeur de tout ce qui est immaculé et inaccessible. Hélas ! si la Jungfrau avait faim ?

    Favourite, ayant été en Angleterre, avait pour admiratrices Zéphine et Dahlia. Elle avait eu de très bonne heure un chez-soi. Son père était un vieux professeur de mathématiques brutal et qui gasconnait ; point marié, courant le cachet malgré l’âge. Ce professeur, étant jeune, avait vu un jour la robe d’une femme de chambre s’accrocher à un garde-cendre ; il était tombé amoureux de cet accident. Il en était résulté Favourite. Elle rencontrait de temps en temps son père, qui la saluait. Un matin, une vieille femme à l’air béguin était entrée chez elle et lui avait dit : — Vous ne me connaissez pas, mademoiselle ? — Non. — Je suis ta mère. — Puis la vieille avait ouvert le buffet, bu et mangé, fait apporter un matelas qu’elle avait, et s’était installée. Cette mère, grognon et dévote, ne parlait jamais à Favourite, restait des heures sans souffler mot, déjeunait, dînait et soupait comme quatre, et descendait faire salon chez le portier, où elle disait du mal de sa fille.

    Ce qui avait entraîné Dahlia vers Listolier, vers d’autres peut-être, vers l’oisiveté, c’était d’avoir de trop jolis ongles roses. Comment faire travailler ces ongles-là ? Qui veut rester vertueuse ne doit pas avoir pitié de ses mains. Quant à Zéphine, elle avait conquis Fameuil par sa petite manière mutine et caressante de dire : Oui, monsieur.

    Les jeunes gens étant camarades, les jeunes filles étaient amies. Ces amours-là sont toujours doublés de ces amitiés-là.

    Sage et philosophe, c’est deux ; et ce qui le prouve, c’est que, toutes réserves faites sur ces petits ménages irréguliers, Favourite, Zéphine et Dahlia étaient des filles philosophes, et Fantine une fille sage.

    Sage ? dira-t-on ? et Tholomyès ? Salomon répondrait que l’amour fait partie de la sagesse. Nous nous bornons à dire que l’amour de Fantine était un premier amour, un amour unique, un amour fidèle.

    Elle était la seule des quatre qui ne fût tutoyée que par un seul.

    Fantine était un de ces êtres comme il en éclôt, pour ainsi dire, au fond du peuple. Sortie des plus insondables épaisseurs de l’ombre sociale, elle avait au front le signe de l’anonyme et de l’inconnu. Elle était née à Montreuil-sur-Mer. De quels parents ? Qui pourrait le dire ? On ne lui avait jamais connu ni père ni mère. Elle se nommait Fantine. Pourquoi Fantine ? On ne lui avait jamais connu d’autre nom. À l’époque de sa naissance, le Directoire existait encore. Point de nom de famille, elle n’avait pas de famille ; point de nom de baptême, l’église n’était plus là. Elle s’appela comme il plut au premier passant qui la rencontra toute petite, allant pieds nus dans la rue. Elle reçut un nom comme elle recevait l’eau des nuées sur son front quand il pleuvait. On l’appela la petite Fantine. Personne n’en savait d’avantage. Cette créature humaine était venue dans la vie comme cela. À dix ans, Fantine quitta la ville et s’alla mettre en service chez les fermiers des environs. À quinze ans, elle vint à Paris « chercher fortune ». Fantine était belle et resta pure le plus longtemps qu’elle put. C’était une jolie blonde avec de belles dents. Elle avait de l’or et des perles pour dot, mais son or était sur sa tête et ses perles étaient dans la bouche.

    Elle travailla pour vivre ; puis, toujours pour vivre, car le cœur a sa faim aussi, elle aima.

    Elle aima Tholomyès.

    Amourette pour lui, passion pour elle. Les rues du quartier latin, qu’emplit le fourmillement des étudiants et des grisettes, virent le commencement de ce songe. Fantine, dans ces dédales de la colline du Panthéon, où tant d’aventures se nouent et se dénouent, avaient fui longtemps Tholomyès, mais de façon à le rencontrer toujours. Il y a une manière d’éviter qui ressemble à chercher. Bref, l’églogue eut lieu.

    Blachevelle, Listolier et Fameuil formaient une sorte de groupe dont Tholomyès était la tête. C’était lui qui avait l’esprit.

    Tholomyès était l’antique étudiant vieux ; il était riche ; il avait quatre mille francs de rente ; quatre mille francs de rente, splendide scandale sur la montagne Sainte-Geneviève. Tholomyès était un viveur de trente ans, mal conservé. Il était ridé et édenté ; et il ébauchait une calvitie dont il disait lui-même sans tristesse : crâne à trente ans, genou à quarante. Il digérait médiocrement, et il lui était venu un larmoiement à un œil. Mais à mesure que sa jeunesse s’éteignait, il allumait sa gaîté ; il remplaçait ses dents par ses lazzis, ses cheveux par la joie, sa santé par l’ironie, et son œil qui pleurait riait sans cesse. Il était délabré, mais tout en fleurs. Sa jeunesse, pliant bagage bien avant l’âge, battait en retraite en bon ordre, éclatait de rire, et l’on n’y voyait que du feu. Il avait eu une pièce refusée au Vaudeville. Il faisait çà et là des vers quelconques. En outre, il doutait supérieurement de toute chose, grande force aux yeux des faibles. Donc, étant ironique et chauve, il était le chef. Iron est un mot anglais qui veut dire fer. Serait-ce de là que viendrait ironie ?

    Un jour Tholomyès prit à part les trois autres, fit un geste d’oracle, et leur dit :

    Il y a bientôt un an que Fantine, Dahlia, Zéphine et Favourite nous demandent de leur faire une surprise. Nous la leur avons promise solennellement. Elles nous en parlent toujours, à moi surtout. De même qu’à Naples les vieilles femmes crient à saint Janvier : Faccia gialluta fa o miracolo, face jaunâtre, fais ton miracle ! nos belles me disent sans cesse : Tholomyès, quand accoucheras-tu de ta surprise ? En même temps nos parents nous écrivent. Scie des deux côtés. Le moment me semble venu. Causons.

    Sur ce, Tholomyès baissa la voix, et articula mystérieusement quelque chose de si gai qu’un vaste et enthousiaste ricanement sortit des quatre bouches à la fois et que Blanchevelle s’écria : — Ça, c’est une idée ! Un estaminet plein de fumée se présenta, ils y entrèrent, et le reste de leur conférence se perdit dans l’ombre.

    Le résultat de ces ténèbres fut une éblouissante partie de plaisir qui eut lieu le dimanche suivant, les quatre jeunes gens invitant les quatre jeunes filles.


     

    III

    QUATRE A QUATRE


     

    Ce qu’était une partie de campagne d’étudiants et de grisettes, il y a quarante-cinq ans, on se le représente malaisément aujourd’hui. Paris n’a plus les mêmes environs ; la figure ce qu’on pourrait appeler la vie circum-parisienne a complètement changé depuis un demi-siècle ; où il y avait le coucou, il y a le wagon ; où il y avait la patache, il y a le bateau à vapeur ; on dit aujourd’hui Fécamp comme on disait Saint-Cloud. Le Paris de 1862 est une ville qui a la France pour banlieue.

    Les quatre couples accomplirent consciencieusement toutes les folies champêtres possibles alors. On entrait dans les vacances, et c’était une chaude et claire journée d’été. La veille, Favourite, la seule qui sût écrire, avait écrit ceci à Tholomyès au nom des quatre : « C’est un bonne heure de sortir de bonheur. » C’est pourquoi ils se levèrent à cinq heures du matin. Puis ils allèrent à Saint-Cloud par le coche, regardèrent la cascade à sec, et s’écrièrent : Cela doit être bien beau quand il y a de l’eau ! déjeunèrent à la Tête-Noire, où Castaing n’avait pas encore passé, se payèrent une partie de bagues au quinconce du grand bassin, montèrent à la lanterne de Diogène, jouèrent des macarons à la roulette du pont de Sèvres, cueillirent des bouquets à Puteaux, achetèrent des mirlitons à Neuilly, mangèrent partout des chaussons de pommes, furent parfaitement heureux.

    Les jeunes filles bruissaient et bavardaient comme des fauvettes échappées. C’était un délire. Elles donnaient par moments de petites tapes aux jeunes gens. Ivresse matinale de la vie ! Adorables années ! L’aile des libellules frissonne. Oh ! qui que vous soyez , vous souvenez-vous ? Avez-vous marché dans les broussailles, en écartant les branches à cause de la tête charmante qui vient derrière vous ? Avez-vous glissé en riant sur quelque talus mouillé par la pluie avec une femme aimée qui vous retient par la main et qui s’écrie : Ah ! mes brodequins tout neufs ! dans quel état ils sont !

    Disons tout de suite que cette joyeuse contrariété, une ondée, manqua à cette compagnie de belle humeur, quoique Favourite eût dit en partant, avec un accent magistral et maternel : Les limaces se promènent dans les sentiers. Signe de pluie, mes enfants.

    Toutes quatre étaient follement jolies. Un bon vieux poète classique, alors en renom, un bonhomme qui avait une Éléonore, M. le chevalier de Labouïsse, errant ce jour-là sous les marronniers de Saint-Cloud, les vit passer vers dix heures du matin et s’écria : Il y en a une de trop, songeant aux Grâces. Favourite, l’amie de Blachevelle, celle de vingt-trois ans, la vieille, courait en avant sous les grandes branches vertes, sautait les fossés, enjambait éperdument les buissons, et présidait cette gaîté avec une verve de jeune faunesse. Zéphine et Dahlia, que le hasard avait faites belles de façon qu’elles se faisaient valoir en se rapprochant et se complétaient, ne se quittaient point, par instinct de coquetterie plus encore que par amitié, et, appuyées l’une à l’autre, prenaient des poses anglaises ; les premiers keepsakes venaient de paraître, la mélancolie pointait pour les femmes, comme, plus tard, le byronisme pour les hommes, et les cheveux du sexe tendre commençaient à s’éplorer. Zéphine et Dahlia étaient coiffées en rouleaux. Listolier et Fameuil, engagés dans une discussion sur leurs professeurs, expliquaient à Fantine la différence qu’il y avait entre M. Delvincourt et M. Blondeau.

    Blachevelle semblait avoir été créé expressément pour porter sur son bras le dimanche le châle-ternaux boiteux de Favourite.

    Tholomyès suivait, dominant le groupe. Il était très gai, mais on sentait en lui le gouvernement ; il y avait de la dictature dans sa jovialité ; son ornement principal était un pantalon jambes-d’éléphant, en nankin, avec sous-pieds de tresse de cuivre ; il avait un puissant rotin de deux cents francs à la main, et, comme il se permettait tout, une chose étrange appelée cigare, à la bouche. Rien n’étant sacré pour lui, il fumait.

    Ce Tholomyès est étonnant, disaient les autres avec vénération. Quels pantalons ! quelle énergie !

    Quant à Fantine, c’était la joie. Ses dents splendides avaient évidemment reçu de Dieu une fonction, le rire. Elle portait à sa main plus volontiers que sur sa tête son petit chapeau de paille cousue, aux longues brides blanches. Ses épais cheveux blonds, enclins à flotter et facilement dénoués et qu’il fallait rattacher sans cesse, semblaient faits pour la fuite de Galatée sous les saules. Ses lèvres roses babillaient avec enchantement. Les coins de sa bouche voluptueusement relevés, comme aux mascarons antiques d’Érigone, avaient l’air d’encourager les audaces ; mais ses longs cils pleins d’ombre s’abaissaient discrètement sur ce brouhaha du bas du visage comme pour mettre le holà. Toute sa toilette avait on ne sait quoi de chantant et de flambant. Elle avait une robe de barège mauve, de petits souliers-cothurnes mordorés dont les rubans traçaient des X sur son fin bas blanc à jour, et cette espèce de spencer en mousseline, invention marseillaise, dont le nom, canezou, corruption du mot quinze août prononcé à la Canebière, signifie beau temps, chaleur et midi. Les trois autres, moins timides, nous l’avons dit, étaient décolletées tout net, ce qui, l’été, sous des chapeaux couverts de fleurs, a beaucoup de grâce et d’agacerie ; mais, à côté de ces ajustements hardis, le canezou de la blonde Fantine, avec ses transparences, ses indiscrétions et ses réticences, cachant et montrant à la fois, semblait une trouvaille provocante de la décence, et la fameuse cour d’amour, présidée par la vicomtesse de Cette aux yeux vert de mer, eût peut-être donné le prix de la coquetterie à ce canezou qui concourait pour la chasteté. Le plus naïf est quelquefois le plus savant. Cela arrive.

    Éclatante de face, délicate de profil, les yeux d’un bleu profond, les paupières grasses, les pieds cambrés et petits, les poignets et les chevilles admirablement emboîtés, la peau blanche laissant voir çà et là les arborescences azurées des veines, la joue puérile et franche, le cou robuste des Junons éginétiques, la nuque forte et souple, les épaules modelées comme par Coustou, ayant au centre une voluptueuse fossette visible à travers la mousseline ; une gaîté glacée de rêverie ; sculpturale et exquise ; telle était Fantine ; et l’on devinait sous ces chiffons une statue, et dans cette statue une âme.

    Fantine était belle, sans trop le savoir. Les rares songeurs, prêtres mystérieux du beau, qui confrontent silencieusement toute chose à la perfection, eussent entrevu en cette petite ouvrière, à travers la transparence de la grâce parisienne, l’antique euphonie sacrée. Cette fille de l’ombre avait de la race. Elle était belle sous les deux espèces, qui sont le style et le rythme. Le style est la forme de l’idéal ; le rythme en est le mouvement.

    Nous avons dit que Fantine était la joie ; Fantine était aussi la pudeur.

    Pour un observateur qui l’eût étudiée attentivement, ce qui se dégageait d’elle, à travers toute cette ivresse de l’âge, de la saison et de l’amourette, c’était une invincible expression de retenue et de modestie. Elle restait un peu étonnée. Ce chaste étonnement-là est la nuance qui sépare Psyché de Vénus. Fantine avait les longs doigts blancs et fins de la vestale qui remue les cendres du feu sacré avec une épingle d’or. Quoiqu’elle n’eût rien refusé, on ne le verra que trop, à Tholomyès, son visage, au repos, était souverainement virginal ; une sorte de dignité sérieuse et presque austère l’envahissait soudainement à de certaines heures, et rien n’était singulier et troublant comme de voir la gaîté s’y éteindre si vite et le recueillement y succéder sans transition à l’épanouissement. Cette gravité subite, parfois sévèrement accentuée, ressemblait au dédain d’une déesse. Son front, son nez et son menton offraient cet équilibre de ligne, très distinct de l’équilibre de proportion, et d’où résulte l’harmonie du visage ; dans l’intervalle si caractéristique qui sépare la base du nez de la lèvre supérieure, elle avait ce pli imperceptible et charmant, signe mystérieux de la chasteté qui rendit Barberousse amoureux d’une Diane trouvée dans les fouilles d’Icône.

    L’amour est une faute ; soit. Fantine était l’innocence surnageant sur la faute.


     

    IV

    THOLOMYÈS EST SI JOYEUX QU’IL CHANTE UNE CHANSON ESPAGNOLE


     

    Cette journée-là était d’un bout à l’autre faite d’aurore. Toute la nature semblait avoir congé, et rire. Les parterres de Saint-Cloud embaumaient ; le souffle de la Seine remuait vaguement les feuilles ; les branches gesticulaient dans le vent ; les abeilles mettaient les jasmins au pillage ; toute une bohème de papillons s’abattait dans les achillées, les trèfles et les folles avoines ; il y avait dans l’auguste parc du roi de France un tas de vagabonds, les oiseaux.

    Les quatre joyeux couples, mêlés au soleil, aux champs, aux fleurs, aux arbres, resplendissaient.

    Et dans cette communauté de paradis, parlant, chantant, courant, dansant, chassant aux papillons, cueillant des liserons, mouillant leurs bas à jour roses dans les hautes herbes, fraîches, folles point méchantes, toute recevaient un peu çà et là les baisers de tous, excepté Fantine, en fermée dans sa vague résistance rêveuse et farouche, et qui aimait. – Toi, lui disait Favourite, tu as toujours l’air chose.

    Ce sont là les joies. Ces passages de couples heureux sont un appel profond à la vie et à la nature, et font sortir de tout la caresse et la lumière. Il y avait une fois une fée qui fit les prairies et les arbres exprès pour les amoureux. De là cette éternelle école buissonnière des amants qui recommence sans cesse et qui durera tant qu’il y aura des buissons et des écoliers. De là la popularité du printemps parmi les penseurs. Le patricien et le gagne-petit, le duc et pair et le robin, les gens de la cour et les gens de la ville, comme on parlait autrefois, tous sont sujets de cette fée. On rit, on se cherche, il y a dans l’air une clarté d’apothéose, quelle transfiguration que d’aimer ! Les clercs de notaire sont des dieux. Et les petits cris, les poursuites dans l’herbe, les tailles prises au vol, ces jargons qui sont des mélodies, ces adorations qui éclatent dans la façon de dire une syllabe, ces cerises arrachées d’une bouche à l’autre, tout cela flamboie et passe dans des gloires célestes. Les belles filles font un doux gaspillage d’elles-mêmes. On croit que cela ne finira jamais. Les philosophes, les poètes, les peintres regardent ces extases et ne savent qu’en faire, tant cela les éblouit. Le départ pour Cythère ! s’écrie Watteau ; Lancret, le peintre de la roture, contemple ses bourgeois envolés dans le bleu ; Diderot tend les bras à toutes ces amourettes, et d’Urfé y mêle les druides.

    Après le déjeuner les quatre couples étaient allés voir, dans ce qu’on appelait alors le carré du roi, une plante nou vellement arrivée d’Inde, dont le nom nous échappe en ce moment, et qui à cette époque attirait tout Paris à Saint-Cloud ; c’était un bizarre et charmant arbrisseau haut sur tige, dont les innombrables branches fines comme des fils ébouriffées, sans feuilles, étaient couvertes d’un million de petites rosettes blanches ; ce qui faisait que l’arbuste avait l’air d’une chevelure pouilleuse de fleurs. Il y avait toujours foule à l’admirer.

    L’arbuste vu, Tholomyès s’était écrié : J’offre des ânes ! et, prix fait avec un ânier, ils étaient revenus par Vanvres et Issy. À Issy, incident. Le parc, Bien National possédé à cette époque par le munitionnaire Bourguin, était d’aventure tout grand ouvert. Ils avaient franchi la grille, visité l’anachorète mannequin dans sa grotte, essayé les petits effets mystérieux du fameux cabinet des miroirs, lascif traquenard digne d’un satyre devenu millionnaire ou de Turcaret métamorphosé en Priape. Ils avaient robustement secoué le grand filet balançoire attaché aux deux châtaigniers célébrés par l’abbé de Bernis. Tout en y balançant ces belles l’une après l’autre, ce qui faisait, parmi les rires universels, des plis de jupe envolée où Greuze eût trouvé son compte, le toulousain Tholomyès, quelque peu espagnol, Toulouse est cousine de Tolosa, chantait, sur une mélopée mélancolique, la vieille chanson gallega probablement inspirée par quelque belle fille lancée à toute volée sur une corde entre deux arbres :


    Soy de Badajoz.
    Amor me llama
    Toda mi alma,

    Es en mi ojos
    Porque enseñas
    A tus piernas.


    Fantine seule refusa de se balancer.

    Je n’aime pas qu’on ait du genre comme ça, murmura assez aigrement Favourite.

    Les ânes quittés, joie nouvelle ; on passa la Seine en bateau, et de Passy, à pied, ils gagnèrent la barrière de l’Étoile. Ils étaient, on s’en souvient, debout depuis cinq heures du matin ; mais, bah ! il n’y a pas de lassitude le dimanche, disait Favourite; le dimanche, la fatigue ne travaille pas. Vers trois heures les quatre couples, effarés de bonheur, dégringolaient aux montagnes russes, édifice singulier qui occupait alors les hauteurs Beaujon et dont on apercevait la ligne serpentant au-dessus des arbres des Champs-Elysées.

    De temps en temps Favourite s’écriait :

    Et la surprise ? je demande la surprise.

    Patience, répondait Tholomyès.


     

    V

    CHEZ BOMBARDA


     

    Les montagnes russes épuisées, on avait songé au dîner ; et le radieux huitain, enfin un peu las, s’était échoué au cabaret Bombarda, succursale qu’avait établie aux Champs-Elysées ce fameux restaurateur Bombarda, dont on voyait alors l’enseigne rue de Rivoli à côté du passage Delorme.

    Une chambre grande, mais laide, avec alcôve et lit au fond (vu la plénitude du cabaret le dimanche, il avait fallu accepter ce gîte) ; deux fenêtres d’où l’on pouvait contempler, à travers les ormes, le quai et la rivière ; un magnifique rayon d’août effleurant les fenêtres; deux tables ; sur l’une une triomphante montagne de bouquets mêlés à des chapeaux d’hommes et de femmes ; à l’autre les quatre couples attablés autour d’un joyeux encombrement de plats, d’assiettes, de verres et de bouteilles; des cruchons de bière mêlés à des flacons de vin; peu d’ordre sur la table, quelque désordre dessous ;


    Ils faisaient sous la table
    Un bruit, un trique-trac de pieds épouvantable,


    dit Molière,

    Voilà où en était vers quatre heures et demie du soir la bergerade commencée à cinq heures du matin. Le soleil déclinait, l’appétit s’éteignait.

    Les Champs-Élysées, pleins de soleil et de foule, n’étaient que lumière et poussière, deux choses dont se compose la gloire. Les chevaux de Marly ces marbres hennissants, se cabraient dans un nuage d’or. Les carrosses allaient et venaient. Un escadron de magnifiques gardes du corps, clairon en tête, descendait l’avenue de Neuilly ; le drapeau blanc, vaguement rose au soleil couchant, flottait sur le dôme des Tuileries. La place de la Concorde, redevenue alors place Louis XV, regorgeait de promeneurs contents. Beaucoup portaient la fleur de lys d’argent suspendue au ruban blanc moiré qui, en 1817, n’avait pas encore tout à fait disparu des boutonnières. Çà et là, au milieu des passants faisant cercle et applaudissant, des rondes de petites filles jetaient au vent une bourrée bourbonienne alors célèbre, destinée à foudroyer les cent-jours, et qui avait pour ritournelle :

     

    Rendez-nous notre père de Gand
    Rendez-nous notre père

    Des tas de faubouriens endimanchés, parfois même fleur-delysés comme les bourgeois, épais dans le grand carré et dans le carré Marigny, jouaient aux bagues et tournaient sur les chevaux de bois ; d’autres buvaient ; quelques-uns, apprentis imprimeurs, avaient des bonnets de papier ; on entendait leurs rires. Tout était radieux. C’était un temps de paix incontestable et de profonde sécurité royaliste ; c’était l’époque où un rapport intime et spécial du préfet de police Anglès au roi sur les faubourgs de Paris se terminait par ces lignes : « Tout bien considéré, sire, il n’y a rien a craindre de ces gens-là. Ils sont insouciants et indolents comme des chats. Le bas peuple des provinces est remuant, celui de Paris ne l’est pas. Ce sont tous petits hommes. Sire, il en faudrait deux bout à bout pour faire un de vos grenadiers. Il n’y a point de crainte du côté de la populace de la capitale. Il est remarquable que la taille a encore décru dans cette population depuis cinquante ans ; et le peuple des faubourgs de Paris est plus petit qu’avant la révolution. Il n’est point dangereux. En somme, c’est de la canaille bonne. »

    Qu’un chat puisse se changer en lion, les préfets de police ne le croient pas possible ; cela est pourtant, et c’est là le miracle du peuple de Paris. Le chat d’ailleurs, si méprisé du comte Anglès, avait l’estime des républiques antiques ; il incarnait à leurs yeux la liberté, et, comme pour servir de pendant à la Minerve aptère du Pirée, il y avait sur la place publique de Corinthe le colosse de bronze d’un chat. La police naïve de la Restauration voyait trop « en beau » le peuple de Paris. Ce n’est point, autant qu’on le croit, de la « canaille bonne ». Le parisien est au français ce que l’athénien était au grec ; personne ne dort mieux que lui, personne n’est plus franchement frivole et paresseux que lui, personne mieux que lui n’a l’air d’oublier ; qu’on ne s’y fie pas pourtant ; il est propre à toute sorte de nonchalance, mais, quand il y a de la gloire au bout, il est admirable à toute espèce de furie. Donnez-lui une pique, il fera le 10 août ; donnez-lui un fusil, vous aurez Austerlitz. Il est le point d’appui de Napoléon et la ressource de Danton. S’agit-il de la patrie ? il s’enrôle ; s’agit-il de la liberté ? il dépave. Gare ! ses cheveux pleins de colère sont épiques ; sa blouse se drape en chlamyde. Prenez garde. De la première rue Greneta venue, il fera des fourches caudines. Si l’heure sonne, ce faubourien va grandir, ce petit homme va se lever, et il regardera d’une façon terrible, et son souffle deviendra tempête, et il sortira de cette pauvre poitrine grêle assez de vent pour déranger les plis des Alpes. C’est grâce au faubourien de Paris que la révolution, mêlée aux armées, conquiert l’Europe. Il chante, c’est sa joie. Proportionnez sa chanson à sa nature, et vous verrez ! Tant qu’il n’a pour refrain que la Carmagnole, il ne renverse que Louis XVI ; faites-lui chanter la Marseillaise, il délivrera le monde.

    Cette note écrite en marge du rapport Angles, nous revenons à nos quatre couples. Le dîner, comme nous l’avons dit, s’achevait.


     

    VI

    CHAPITRE OU L’ON S’ADORE


     

    Propos de table et propos d’amour ; les uns sont aussi insaisissables que les autres ; les propos d’amour sont des nuées, les propos de table sont des fumées.

    Fameuil et Dahlia fredonnaient ; Tholomyès buvait ; Zéphine riait, Fantine souriait. Listolier soufflait dans une trompette de bois achetée à Saint-Cloud. Favourite regardait tendrement Blachevelle et disait :

    Blachevelle je t’adore. Ceci amena une question de Blachevelle :

    Qu’est-ce que tu ferais, Favourite, si je cessais de t’aimer ?

    Moi ! s’écria Favourite. Ah ! ne dis pas cela, même pour rire ! Si tu cessais de m’aimer, je te sauterais après, je te grifferais, je te grafignerais, je te jetterais de l’eau, je te ferais arrêter.

    Blachevelle sourit avec la fatuité voluptueuse d’un homme chatouillé à l’amour-propre. Favourite reprit :

    Oui, je crierais à la garde ! Ah ! je me gênerais par exemple ! Canaille !

    Blachevelle, extasié, se renversa sur sa chaise et ferma orgueilleusement les deux yeux.

    Dahlia, tout en mangeant, dit bas à Favourite dans le brouhaha :

    Tu l’idolâtres donc bien, ton Blachevelle ?

    Moi ? je le déteste, répondit Favourite du même ton en ressaisissant sa fourchette. Il est avare. J’aime le petit d’en face de chez moi. Il est très bien, ce jeune homme-là, le connais-tu? On voit qu’il a le genre d’être acteur. J’aime les acteurs. Sitôt qu’il rentre, sa mère dit : — Ah! mon Dieu ! ma tranquillité est perdue. Le voilà qui va crier. Mais, mon ami, tu me casses la tête ! — Parce qu’il va dans la maison, dans des greniers à rats, dans des trous noirs, si haut qu’il peul monter, — et chanter, et déclamer, est-ce que je sais, moi ? qu’on l’entend d’en bas ! Il gagne déjà vingt sous par jour chez un avoué à écrire de la chicane, il est fils d’un ancien chantre de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Ah! il est très bien. Il m’idolâtre tant qu’un jour qu’il me voyait faire de la pâte pour crêpes, il m’a dit : Mamselle, faites des beignets de vos gants et je les mangerai. Il n’y a que les artistes pour dire des choses comme ça. Ah ! il est très bien. Je suis en train d’être insensée de ce petit-là. C’est égal, je dis à Blachevelle que je l’adore. Comme je mens ! Hein ? comme je mens !

    Favourite fit une pause, et continua :

    Dahlia, vois-tu je suis triste. Il n’a fait que pleuvoir tout l’été, le vent m’agace, le vent ne décolère pas, Blachevelle est très pingre, c’est à peine s’il y a des petits pois au marché, on ne sait que manger, j’ai le spleen, comme disent les anglais, le beurre est si cher ! et puis, vois, c’est une horreur, nous dînons dans un endroit où il y a un lit, ça me dégoûte de la vie.


     

    VII

    SAGESSE DE THOLOMYÈS


     

    Cependant, tandis que quelques-uns chantaient les autres causaient tumultueusement, et tous ensemble ; ce n’était plus que du bruit. Tholomyès intervint.

    Ne parlons point au hasard ni trop vite, s’écria-t-il. Méditons si nous voulons être éblouissants. Trop d’improvisation vide bêtement l’esprit. Bière qui coule n’amasse point de mousse. Messieurs, pas de hâte. Mêlons la majesté à la ripaille ; mangeons avec recueillement ; festinons lentement. Ne nous pressons pas. Voyez le printemps ; s’il se dépêche, il est flambé, c’est-à-dire gelé. L’excès de zèle perd les pêchers et les abricotiers. L’excès de zèle tue la grâce et la joie des bons dîners. Pas de zèle, messieurs ! Grimod de la Reynière est de l’avis de Talleyrand.

    Une sourde rébellion gronda dans le groupe.

    Tholomyès, laisse-nous tranquilles, dit Blachevelle.

    À bas le tyran ! dit Fameuil.

    Bombarda, Bombance et Bamboche ! cria Listolier.

    Le dimanche existe, reprit Fameuil.

    Nous sommes sobres, ajouta Lislotier.

    Tholomyès, fit Blachevelle, contemple mon calme.

    Tu en es le marquis, répondit Tholomyès.

    Ce médiocre jeu de mots fit l’effet d’une pierre dans une mare. Le marquis de Montcalm était un royaliste alors célèbre. Toutes les grenouilles se turent.

    Amis, s’écria Tholomyès de l’accent d’un homme qui ressaisit l’empire, remettez-vous. Il ne faut pas que trop de stupeur accueille ce calembour tombé du ciel. Tout ce qui tombe de la sorte n’est pas nécessairement digne d’enthousiasme et de respect. Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole. Le lazzi tombe n’importe où  ; et l’esprit, après la ponte d’une bêtise, s’enfonce dans l’azur. Une tache blanchâtre qui s’aplatit sur le rocher n’empêche pas le condor de planer. Loin de moi l’insulte au calembour ! Je l’honore dans la proportion de ses mérites ; rien de plus. Tout ce qu’il y a de plus auguste, de plus sublime et de plus charmant dans l’humanité, et peut-être hors de l’humanité, a fait des jeux de mots. Jésus-Christ a fait un calembour sur saint Pierre, Moïse sur Isaac, Eschyle sur Polynice, Cléopâtre sur Octave. Et notez que ce calembour de Cléopâtre a précédé la bataille d’Actium, et que, sans lui, personne ne se souviendrait de la ville de Toryne, nom grec qui signifie cuiller à pot. Cela concédé, je reviens à mon exhortation. Mes frères, je le répète, pas de zèle, pas de tohubohu, pas d’excès, même en pointes, gayetés, liesses et jeux de mots. Écoutez-moi, j’ai la prudence d’Amphiaraüs et la calvitie de César. Il faut une limite, même aux rébus. Est modus in rebus. Il faut une limite, même aux dîners. Vous aimez les chaussons aux pommes, mesdames, n’en abusez pas. Il faut, même en chaussons, du bon sens et de l’art. La gloutonnerie châtie le glouton. Gula punit Gulax. L’indigestion est chargée par le bon Dieu de faire de la morale aux estomacs. Et retenez ceci : chacune de nos passions, même l’amour, a un estomac qu’il ne faut pas trop remplir. En toute chose il faut écrire à temps le mot finis, il faut se contenir, quand cela devient urgent, tirer le verrou sur son appétit, mettre au violon sa fantaisie et se mener soi-même au poste. Le sage est celui qui sait à un moment donné opérer sa propre arrestation. Ayez quelque confiance en moi. Parce que j’ai fait un peu mon droit, à ce que disent mes examens, parce que je sais la différence qu’il y a entre la question mue et la question pendante, parce que j’ai soutenu une thèse en latin sur la manière dont on donnait la torture à Rome au temps où Munatius Demens était questeur du Parricide, parce que je vais être docteur, à ce qu’il paraît, il ne s’ensuit pas de toute nécessité que je sois un imbécile. Vrai comme je m’appelle Félix Tholomyès, je parle bien. Heureux celui qui, lorsque l’heure a sonné, prend un parti héroïque, et abdique comme Sylla, ou Origène !

    Favourite écoutait avec une attention profonde.

    Félix ! dit-elle, quel joli mot ! j’aime ce nom-là. C’est en latin. Ça veut dire Prosper.

    Tholomyès poursuivit :

    Quirites, gentlemen, caballeros, mes amis ! voulez-vous ne sentir aucun aiguillon et vous passer de lit nuptial et braver l’amour? Rien de plus simple. Voici la recette : la limonade, l’exercice outré, le travail forcé, éreintez-vous, traînez des blocs, ne dormez pas, veillez, gorgez-vous de boissons nitreuses et de tisanes de nymphæas, savourez des émulsions de pavots et d’agnus-castus, assaisonnez-moi cela d’une diète sévère, crevez de faim, et joignez-y les bains froids, les ceintures d’herbes, l’application d’une plaque de plomb, les lotions avec la liqueur de Saturne et les fomentations avec l’oxycrat.

    J’aime mieux une femme, dit Listolier.

    La femme ! reprit Tholomyès, méfiez-vous-en. Malheur à celui qui se livre au cœur changeant de la femme ! La femme est perfide et tortueuse. Elle déteste le serpent par jalousie de métier. Le serpent, c’est la boutique en face.

    Tholomyès, cria Blachevelle, tu es ivre !

    Pardieu ! dit Tholomyès.

    Alors sois gai, reprit Blachevelle.

    J’y consens, répondit Tholomyès.

    Et, remplissant son verre, il se leva :

    Gloire au vin ! Nunc te, Bacche, canam ! Pardon, mesdemoiselles, c’est de l’espagnol. Et la preuve, señoras, la voici : tel peuple, telle futaille. L’arrobe de Castille contient seize litres, le cantaro d’Alicante douze, l’almude des Canaries vingt-cinq, le cuartin des Baléares vingt-six, la botte du czar Pierre trente. Vive ce czar qui était grand, et vive sa botte qui était plus grande encore ! Mesdames, un conseil d’amis : trompez-vous de voisin, si bon vous semble. Le propre de l’amour, c’est d’errer. L’amourette n’est pas faite pour s’accroupir et s’abrutir comme une servante anglaise qui a le calus du scrobage aux genoux. Elle n’est pas faite pour cela, elle erre gaîment, la douce amourette ! On a dit : l’erreur est humaine ; moi je dis : l’erreur est amoureuse. Mesdames, je vous idolâtre toutes. Ô Zéphine, ô Joséphine, figure plus que chiffonnée, vous seriez charmante si vous n’étiez pas de travers. Vous avez l’air d’un joli visage sur lequel, par mégarde, on s’est assis. Quant à Favourite, ô nymphes et muses ! un jour que Blachevelle passait le ruisseau de la rue Guérin-Boisseau, il vit une belle fille aux bas blancs et bien tirés qui montrait ses jambes. Ce prologue lui plut, et Blachevelle aima. Celle qu’il aima était Favourite. Ô Favourite, tu as des lèvres ioniennes. Il y avait un peintre grec, appelé Euphorion, qu’on avait surnommé le peintre des lèvres. Ce grec seul eût été digne de peindre ta bouche. Écoute ! avant toi, il n’y avait pas de créature digne de ce nom. Tu es faite pour recevoir la pomme comme Vénus ou pour la manger comme Ève. La beauté commence à toi. Je viens de parler d’Ève, c’est toi qui l’a créée. Tu mérites le brevet d’invention de la jolie femme. Ô Favourite, je cesse de vous tutoyer, parce que je passe de la poésie à la prose. Vous parliez de mon nom tout à l’heure. Cela m’a attendri ; mais, qui que nous soyons, méfions-nous des noms. Ils peuvent se tromper. Je me nomme Félix et ne suis pas heureux. Les mots sont des menteurs. N’acceptons pas aveuglément les indications qu’ils nous donnent. Ce serait une erreur d’écrire à Liège pour avoir des bouchons et à Pau pour avoir des gants. Miss Dahlia, à votre place, je m’appellerais Rosa. Il faut que la fleur sente bon et que la femme ait de l’esprit. Je ne dis rien de Fantine, c’est une songeuse, une rêveuse, une pensive, une sensitive ; c’est un fantôme ayant la forme d’une nymphe et la pudeur d’une nonne, qui se fourvoie dans la vie de grisette, mais qui se réfugie dans les illusions, et qui chante, et qui prie, et qui regarde l’azur sans trop savoir ce qu’elle voit ni ce qu’elle fait, et qui, les yeux au ciel, erre dans un jardin où il y a plus d’oiseaux qu’il n’en existe ! Ô Fantine, sache ceci ; moi Tholomyès, je suis une illusion ; mais elle ne m’entend même pas, la blonde fille des chimères ! Du reste, tout en elle est fraîcheur, suavité, jeunesse, douce clarté matinale. Ô Fantine, fille digne de vous appeler marguerite ou perle, vous êtes une femme du plus bel orient. Mesdames, un deuxième conseil : ne vous mariez point ; le mariage est une greffe ; cela prend bien ou mal ; fuyez ce risque. Mais, bah ! qu’est-ce que je chante là ? Je perds mes paroles. Les filles sont incurables sur l’épousaille ; et tout ce que nous pouvons dire, nous autres sages, n’empêchera point les giletières et les piqueuses de bottines de rêver des maris enrichis de diamants. Enfin, soit ; mais, belles, retenez ceci : vous mangez trop de sucre. Vous n’avez qu’un tort, ô femmes, c’est de grignoter du sucre. Ô sexe rongeur, tes jolies petites dents blanches adorent le sucre. Or, écoutez bien, le sucre est un sel. Tout sel est desséchant. Le sucre est le plus desséchant de tous les sels. Il pompe à travers les veines les liquides du sang ; de là la coagulation, puis la solidification du sang ; de là les tubercules dans le poumon ; de là la mort. Et c’est pourquoi le diabète confine à la phthisie. Donc ne croquez pas de sucre et vous vivrez ! Je me tourne vers les hommes. Messieurs, faites des conquêtes. Pillez-vous les uns aux autres sans remords vos bien-aimées. Chassez-croisez. En amour, il n’y a pas d’amis. Partout où il y a une jolie femme l’hostilité est ouverte. Pas de quartier, guerre à outrance ! Une jolie femme est un casus belli ; une jolie femme est un flagrant délit. Toutes les invasions de l’histoire sont déterminées par des cotillons. La femme est le droit de l’homme. Romulus a enlevé les sabines, Guillaume a enlevé les saxonnes, César a enlevé les romaines. L’homme qui n’est pas aimé plane comme un vautour sur les amantes d’autrui ; et quant à moi, à tous ces infortunés qui sont veufs, je jette la proclamation sublime de Bonaparte à l’armée d’Italie : « Soldats, vous manquez de tout. L’ennemi en a. »

    Tholomyès s’interrompit.

    Souffle, Tholomyès, dit Blachevelle.

    En même temps, Blachevelle, appuyé de Listolier et de Fameuil, entonna sur un air de complainte une de ces chansons d’atelier composées des premiers mots venus, rimées richement et pas du tout, vides de sens comme le geste de l’arbre et le bruit du vent, qui naissent de la vapeur des pipes et se dissipent et s’envolent avec elle. Voici par quel couplet le groupe donna la réplique à la harangue de Tholomyès :

     


    Les pères dindons donnèrent
    De l’argent à un agent
    Pour que mons Clermont Tonnerre
    Fût fait pape à la Saint-Jean.
    Mais Clermont ne put pas être
    Fait pape, n’étant pas prêtre ;
    Alors leur agent rageant
    Leur rapporta leur argent.

    Ceci n’était pas fait pour calmer l’improvisation de Tholomyès ; il vida son verre, le remplit, et recommença.

    À bas la sagesse ! oubliez tout ce que j’ai dit. Ne soyons ni prudes, ni prudents, ni prud’hommes. Je porte un toast à l’allégresse ; soyons allègres ! Complétons notre cours de droit par la folie et la nourriture. Indigestion et digeste. Que Justinien soit le mâle et que Ripaille soit la femelle ! Joie dans les profondeurs ! Vis, ô création ! Le monde est un gros diamant. Je suis heureux. Les oiseaux sont étonnants. Quelle fête partout ! Le rossignol est un Elleviou gratis. Été, je te salue. Ô Luxembourg ! ô Géorgiques de la rue Madame et de l’allée de l’Observatoire ! ô piou-pioux rêveurs ! ô toutes ces bonnes charmantes qui, tout en gardant des enfants, s’amusent à en ébaucher ! Les pampas de l’Amérique me plairaient, si je n’avais les arcades de l’Odéon. Mon âme s’envole dans les forêts vierges et dans les savanes. Tout est beau. Les mouches bourdonnent dans les rayons. Le soleil a éternué le colibri. Embrasse-moi, Fantine !

    Il se trompa, et embrassa Favourite.


     

    VIII

    MORT D’UN CHEVAL


     

    On dîne mieux chez Édon que chez Bombarda, s’écria Zéphine.

    Je préfère Bombarda à Édon, déclara Blachevelle. Il a plus de luxe. C’est plus asiatique. Voyez la salle d’en bas. Il y a des glaces sur les murs.

    J’en aime mieux dans mon assiette, dit Favourite.

    Blachevelle insista :

    Regardez les couteaux. Les manches sont en argent chez Bombarda et en os chez Édon. Or, l’argent est plus précieux que l’os.

    Excepté pour ceux qui ont un menton d’argent, observa Tholomyès.

    Il regardait en cet instant-là le dôme des Invalides, visible des fenêtres de Bombarda.

    Il y eut une pause.

    Tholomyès, cria Fameuil, tout à l’heure, Listolier et moi, nous avions une discussion.

    Une discussion est bonne, répondit Tholomyès, une querelle vaut mieux.

    Nous disputions philosophie.

    Soit.

    Lequel préfères-tu de Descartes ou de Spinosa ?

    Désaugiers, dit Tholomyès.

    Cet arrêt rendu, il but et reprit :

    Je consens à vivre. Tout n’est pas fini sur la terre, puisqu’on peut encore déraisonner. J’en rends grâces aux dieux immortels. On ment, mais on rit. On affirme, mais on doute. L’inattendu jaillit du syllogisme. C’est beau. Il est encore ici-bas des humains qui savent joyeusement ouvrir et fermer la boîte à surprises du paradoxe. Ceci, mesdames, que vous buvez d’un air tranquille, est du vin de Madère, sachez-le, du cru de Coural das Freiras qui est à trois cent dix-sept toises au-dessus du niveau de la mer ! Attention en buvant ! trois cent dix-sept toises ! et monsieur Bombarda, le magnifique restaurateur, vous donne ces trois cent dix-sept toises pour quatre francs cinquante centimes ! Fameuil interrompit de nouveau :

    Tholomyès, tes opinions font loi. Quel est ton auteur favori ?

    Ber...

    Quin ?

    Non. Choux.

    Et Tholomyès poursuivit :

    Honneur à Bombarda ! il égalerait Munophis d’Éléphanta s’il pouvait me cueillir une almée, et Thygélion de Chéronée s’il pouvait m’apporter une hétaïre ; car, ô mesdames, il y avait des Bombarda en Grèce et en Égypte. C’est Apulée qui nous l’apprend. Hélas ! toujours les mêmes choses et rien de nouveau. Plus rien d’inédit dans la création du créateur ! Nil sub sole novum, dit Salomon; amor omnibus idem, dit Virgile ; et Carabine monte avec Carabin dans la galiote de Saint-Cloud, comme Aspasie s’embarquait avec Périclès sur la flotte de Samos. Un dernier mot. Savez-vous ce que c’était qu’Aspasie, mesdames ? Quoiqu’elle vécût dans un temps où les femmes n’avaient pas encore d’âme, c’était une âme ; une âme d’une nuance rose et pourpre, plus embrasée que le feu, plus fraîche que l’aurore. Aspasie était une créature en qui se touchaient les deux extrêmes de la femme ; c’était la prostituée déesse. Socrate, plus Manon Lescaut. Aspasie fut créée pour le cas où il faudrait une catin à Prométhée.

    Tholomyès, lancé, se serait difficilement arrêté, si un cheval ne se fût abattu sur le quai en cet instant-là même. Du choc, la charrette et l’orateur restèrent court. C’était une jument beauceronne, vieille et maigre et digne de l’équarrisseur, qui traînait une charrette fort lourde. Parvenue devant Bombarda, la bête, épuisée et accablée, avait refusé d’aller plus loin. Cet incident avait fait de la foule. À peine le charretier, jurant et indigné, avait-il eu le temps de prononcer avec l’énergie convenable le mot sacramentel : mâtin ! appuyé d’un implacable coup de fouet, que la haridelle était tombée pour ne plus se relever. Au brouhaha des passants, les gais auditeurs de Tholomyès tournèrent la tête, et Tholomyès en profita pour clore son allocution par cette strophe mélancolique :


     

    Elle était de ce monde où coucous et carrosses
    Ont le même destin,
    Et, rosse, elle a vécu ce que vivent les rosses,
    L’espace d’un : mâtin !

    Pauvre cheval, soupira Fantine.

    Et Dahlia s’écria :

    Voilà Fantine qui va se mettre à plaindre les chevaux ! Peut-on être fichue bête comme ça !

    En ce moment Favourite, croisant les bras et renversant sa tête en arrière, regarda résolument Tholomyès et dit :

    Ah çà ! et la surprise ?

    Justement. L’instant est arrivé, répondit Tholomyès. Messieurs, l’heure de surprendre ces dames a sonné. Mesdames, attendez-nous un moment.

    Cela commence par un baiser, dit Blachevelle.

    Sur le front, ajouta Tholomyès.

    Chacun déposa gravement un baiser sur le front de sa maîtresse ; puis ils se dirigèrent vers la porte tous les quatre à la file, en mettant leur doigt sur la bouche.

    Favourite battit des mains à leur sortie.

    C’est déjà amusant, dit-elle.

    Ne soyez pas trop longtemps, murmura Fantine. Nous vous attendons.


     

    IX

    FIN JOYEUSE DE LA JOIE


     

    Les jeunes filles, restées seules, s’accoudèrent deux à deux sur l’appui des fenêtres, jasant, penchant leur tête et se parlant d’une croisée à l’autre.

    Elles virent les jeunes gens sortir du cabaret Bombarda bras dessus, bras dessous ; ils se retournèrent, firent des signes en riant, et disparurent dans cette poudreuse cohue du dimanche qui envahit hebdomadairement les Champs-Élysées.

    Ne soyez pas longtemps ! cria Fantine.

    Que vont-ils nous rapporter ? dit Zéphine.

    Pour sûr ce sera joli, dit Dahlia.

    Moi, reprit Favourite, je veux que ce soit en or.

    Elles furent bientôt distraites par le mouvement du bord de l’eau qu’elles distinguaient dans les branches des grands arbres et qui les divertissait fort. C’était l’heure du départ des malles-postes et des diligences. Presque toutes les messageries du midi et de l’ouest passaient alors par les Champs-Élysées. La plupart suivaient le quai et sortaient par la barrière de Passy. De minute en minute, quelque grosse voiture peinte en jaune et en noir, pesamment chargée, bruyamment attelée, difforme à force de malles, de bâches et de valises, pleine de têtes tout de suite disparues, broyant la chaussée, changeant tous les pavés en briquets, se ruait à travers la foule avec toutes les étincelles d’une forge, de la poussière pour fumée, et un air de furie. Ce vacarme réjouissait les jeunes filles. Favourite s’exclamait :

    Quel tapage ! on dirait des tas de chaînes qui s’envolent.

    Il arriva une fois qu’une de ces voilures qu’on distinguait difficilement dans l’épaisseur des ormes, s’arrêta un moment, puis repartit au galop. Cela étonna Fantine.

    C’est particulier ! dit-elle. Je croyais que la diligence ne s’arrêtait jamais.

    Favourite haussa les épaules.

    Cette Fantine est surprenante. Je viens la voir par curiosité. Elle s’éblouit des choses les plus simples. Une supposition ; je suis un voyageur, je dis à la diligence : je vais en avant, vous me prendrez sur le quai en passant. La diligence me voit, s’arrête, et me prend. Cela se fait tous les jours. Tu ne connais pas la vie, ma chère.

    Un certain temps s’écoula ainsi. Tout à coup Favourite eut le mouvement de quelqu’un qui se réveille.

    Eh bien, fit-elle, et la surprise ?

    À propos, oui, reprit Dahlia, la fameuse surprise ?

    Ils sont bien longtemps, dit Fantine.

    Comme Fantine achevait ce soupir, le garçon qui avait servi le dîner, entra. Il tenait à la main quelque chose qui ressemblait a une lettre.

    Qu’est-ce que cela ? demanda Favourite.

    Le garçon répondit :

    C’est un papier que ces messieurs ont laissé pour ces dames.

    Pourquoi ne l’avoir pas apporté tout de suite ?

    Parce que ces messieurs, reprit le garçon, ont commandé de ne le remettre à ces dames qu’au bout d’une heure.

    Favourite arracha le papier des mains du garçon. C’était une lettre en effet.

    Tiens ! dit-elle. Il n’y a pas d’adresse. Mais voici ce qui est écrit au-dessus :

    Ceci est la surprise.

    Elle décacheta vivement la lettre, l’ouvrit et lut (elle savait lire) :

    « Ô nos amantes !

    « Sachez que nous avons des parents. Des parents, vous ne connaissez pas beaucoup ça. Ça s’appelle des pères et mères dans le code civil, puéril et honnête. Or, ces parents gémissent, ces vieillards nous réclament, ces bonshommes et ces bonnes femmes nous appellent enfants prodigues, ils souhaitent nos retours, et nous offrent de tuer des veaux. Nous leur obéissons, étant vertueux. À l’heure où vous lirez ceci, cinq chevaux fougueux nous rapporteront à nos papas et à nos mamans. Nous fichons le camp, comme dit Bossuet. Nous partons, nous sommes partis. Nous fuyons dans les bras de Laffitte et sur les ailes de Caillard. La diligence de Toulouse nous arrache à l’abîme, et l’abîme c’est vous, ô nos belles petites ! Nous rentrons dans la société, dans le devoir et dans l’ordre, au grand trot, à raison de trois lieues à l’heure. Il importe à la patrie que nous soyons, comme tout le monde, préfets, pères de famille, gardes champêtres et conseillers d’état. Vénérez-nous. Nous nous sacrifions. Pleurez-nous rapidement et remplacez-nous vite. Si cette lettre vous déchire, rendez-le-lui. Adieu.

    « Pendant près de deux ans, nous vous avons rendues heureuses. Ne nous en gardez pas rancune.

  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.
  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.
  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.
  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.
  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.
  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.
  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.
  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.
  • « Fameuil.
    « Listolier.
    « Félix Tholomyès.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • « Signé : Blachevelle.
  • Les quatre jeunes filles se regardèrent.

    Favourite rompit la première le silence.

    Eh bien ! s’écria-t-elle, c’est tout de même une bonne farce.

    C’est très drôle, dit Zéphine.

    Ce doit être Blachevelle qui a eu cette idée-là, reprit Favourite. Ça me rend amoureuse de lui. Sitôt parti, sitôt aimé. Voilà l’histoire.

    Non, dit Dahlia, c’est une idée de Tholomyès. Ça se reconnaît.

    En ce cas, repartit Favourite, mort à Blachevelle et vive Tholomyès !

    Vive Tholomyès ! crièrent Dahlia et Zéphine.

    Et elles éclatèrent de rire.

    Fantine rit comme les autres.

    Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant.


     

    I

    UNE MÈRE QUI EN RENCONTRE UNE AUTRE


     

    Il y avait, dans le premier quart de ce siècle, à Montfermeil près de Paris, une façon de gargote qui n’existe plus aujourd’hui. Cette gargote était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme. Elle était située dans la ruelle du Boulanger. On voyait au-dessus de la porte une planche clouée à plat sur le mur. Sur cette planche était peint quelque chose qui ressemblait à un homme portant sur son dos un autre homme, lequel avait de grosses épaulettes de général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

    Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

    C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

    Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d’institutions qu’on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n’ont pas pour être là d’autres raisons.

    Le centre de la chaîne pendait sous l’essieu assez près de terre, et sur la courbure, comme sur la corde d’une balançoire, étaient assises et groupées, ce soir-là, dans un entrelacement exquis, deux petites filles, l’une d’environ deux ans et demi, l’autre de dix-huit mois, la plus petite dans les bras de la plus grande. Un mouchoir savamment noué les empêchait de tomber. Une mère avait vu cette effroyable chaîne, et avait dit : Tiens ! voilà un joujou pour mes enfants.

    Les deux enfants, du reste gracieusement attifées, et avec quelque recherche, rayonnaient ; on eût dit deux roses dans de la ferraille ; leurs yeux étaient un triomphe ; leurs fraîches joues riaient. L’une était châtaine, l’autre était brune. Leurs naïfs visages étaient deux étonnements ravis ; un buisson fleuri qui était près de là envoyait aux passants des parfums qui semblaient venir d’elles ; celle de dix-huit mois montrait son gentil ventre nu avec cette chaste indécence de la petitesse. Au-dessus et autour de ces deux têtes délicates, pétries dans le bonheur et trempées dans la lumière, le gigantesque avant-train, noir de rouille, presque terrible, tout enchevêtré de courbes et d’angles farouches, s’arrondissait comme un porche de caverne. À quelques pas, accroupie sur le seuil de l’auberge, la mère, femme d’un aspect peu avenant du reste, mais touchante en ce moment-là, balançait les deux enfants au moyen d’une longue ficelle, les couvant des yeux de peur d’accident avec cette expression animale et céleste propre à la maternité ; à chaque va-et-vient, les hideux anneaux jetaient un bruit strident qui ressemblait à un cri de colère ; les petites filles s’extasiaient, le soleil couchant se mêlait à cette joie, et rien n’était charmant comme ce caprice du hasard qui avait fait d’une chaîne de titans une escarpolette de chérubins.

    Tout en berçant ses deux petites, la mère chantonnait d’une voix fausse une romance alors célèbre :


    Il le faut, disait un guerrier…

    Sa chanson et la contemplation de ses filles l’empêchaient d’entendre et de voir ce qui se passait dans la rue.

    Cependant quelqu’un s’était approché d’elle, comme elle commençait le premier couplet de la romance, et tout à coup elle entendit une voix qui disait très près de son oreille :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.


    — À la belle et tendre Imogine.

    répondit la mère, continuant sa romance puis elle tourna la tête.

    Une femme était devant elle, à quelques pas. Cette femme, elle aussi, avait un enfant qu’elle portait dans ses bras.

    Elle portait en outre un assez gros sac de nuit qui semblait fort lourd.

    L’enfant de cette femme était un des plus divins êtres qu’on pût voir. C’était une fille de deux à trois ans. Elle eût pu jouter avec les deux autres pour la coquetterie de l’ajustement ; elle avait un bavolet de linge fin, des rubans à sa brassière et de la valenciennes à son bonnet. Le pli de sa jupe relevée laissait voir sa cuisse blanche, potelée et ferme. Elle était admirablement rose et bien portante. La belle petite donnait envie de mordre dans les pommes de ses joues. On ne pouvait rien dire de ses yeux, sinon qu’ils devaient être très grands et qu’ils avaient des cils magnifiques. Elle dormait.

    Elle dormait de ce sommeil d’absolue confiance propre à son âge. Les bras des mères sont faits de tendresse ; les enfants y dorment profondément.

    Quant à la mère, l’aspect en était pauvre et triste. Elle avait la mise d’une ouvrière qui tend à redevenir paysanne. Elle était jeune. Était-elle belle ? peut-être ; mais avec cette mise il n’y paraissait pas. Ses cheveux, d’où s’échappait une mèche blonde, semblaient fort épais, mais disparaissaient sévèrement sous une coiffe de béguine, laide, serrée, étroite, et nouée au menton. Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. Ses yeux ne semblaient pas être secs depuis très longtemps. Elle était pâle ; elle avait l’air très lasse et un peu malade ; elle regardait sa fille endormie dans ses bras avec cet air particulier d’une mère qui a nourri son enfant. Un large mouchoir bleu comme ceux où se mouchent les invalides, plié en fichu, masquait lourdement sa taille. Elle avait les mains hâlées et toutes piquées de taches de rousseur, l’index durci et déchiqueté par l’aiguille, une mante brune de laine bourrue, une robe de toile et de gros souliers. C’était Fantine.

    C’était Fantine. Difficile à reconnaître. Pourtant, à l’examiner attentivement, elle avait toujours sa beauté. Un pli triste, qui ressemblait à un commencement d’ironie, ridait sa joue droite. Quant à sa toilette, cette aérienne toilette de mousseline et de rubans qui semblait faite avec de la gaîté, de la folie et de la musique, pleine de grelots et parfumée de lilas, elle s’était évanouie comme ces beaux givres éclatants qu’on prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.

    Dix mois s’étaient écoulés depuis « la bonne farce ».

    Que s’était-il passé pendant ces dix mois ? on le devine.

    Après l’abandon, la gêne. Fantine avait tout de suite perdu de vue Favourite, Zéphine et Dahlia ; le lien, brisé du côté des hommes, s’était défait du côté des femmes ; on les eût bien étonnées, quinze jours après, si on leur eût dit qu’elles étaient amies ; cela n’avait plus de raison d’être. Fantine était restée seule. Le père de son enfant parti, — hélas ! ces ruptures-là sont irrévocables, — elle se trouva absolument isolée, avec l’habitude du travail de moins et le goût du plaisir de plus. Entraînée par sa liaison avec Tholomyès à dédaigner le petit métier qu’elle savait, elle avait négligé ses débouchés ; ils s’étaient fermés. Nulle ressource. Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. Tholomyès n’avait répondu à aucune. Un jour, Fantine entendit des commères dire en regardant sa fille : – Est-ce qu’on prend ces enfants-là au sérieux ? on hausse les épaules de ces enfants-là ! Alors elle songea à Tholomyès qui haussait les épaules de son enfant et qui ne prenait pas cet être innocent au sérieux ; et son cœur devint sombre à l’endroit de cet homme. Quel parti prendre pourtant ? Elle ne savait plus à qui s’adresser. Elle avait commis une faute, mais le fond de sa nature, on s’en souvient, était pudeur et vertu. Elle sentit vaguement qu’elle était à la veille de tomber dans la détresse et de glisser dans le pire. Il fallait du courage ; elle en eut, et se roidit. L’idée lui vint de retourner dans sa ville natale, à Montreuil-sur-Mer. Là quelqu’un peut-être la connaîtrait et lui donnerait du travail. Oui ; mais il faudrait cacher sa faute. Et elle entrevoyait confusément la nécessité possible d’une séparation plus douloureuse encore que la première. Son cœur se serra, mais elle prit sa résolution. Fantine, on le verra, avait la farouche bravoure de la vie. Elle avait déjà vaillamment renoncé à la parure, et s’était vêtue de toile, et avait mis toute sa soie, tous ses chiffons, tous ses rubans et toutes ses dentelles sur sa fille, seule vanité qui lui restât, et sainte celle-là. Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit deux cents francs ; ses petites dettes payées, elle n’eut plus que quatre-vingts francs environ. À vingt-deux ans, par une belle matinée de printemps, elle quittait Paris, emportant son enfant sur son dos. Quelqu’un qui les eût vues passer toutes les deux eût eu pitié. Cette femme n’avait au monde que cet enfant et cet enfant n’avait au monde que cette femme. Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

    Nous n’aurons plus occasion de parler de M. Félix Tholomyès. Bornons-nous à dire que, vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, c’était un gros avoué de province, influent et riche, électeur sage et juré très sévère ; toujours homme de plaisir.

    Vers le milieu du jour, après avoir, pour se reposer, cheminé de temps en temps, moyennant trois ou quatre sous par lieue, dans ce qu’on appelait alors les Petites Voitures des Environs de Paris, Fantine se trouvait à Montfermeil, dans la ruelle du Boulanger.

    Comme elle passait devant l’auberge Thénardier, les deux petites filles, enchantées sur leur escarpolette monstre, avaient été pour elle une sorte d’éblouissement, et elle s’était arrêtée devant cette vision de joie.

    Il y a des charmes. Ces deux petites filles en furent un pour cette mère.

    Elle les considérait, toute émue. La présence des anges est une annonce de paradis. Elle crut voir au dessus de cette auberge le mystérieux ICI de la providence. Ces deux petites étaient si évidemment heureuses ! Elle les regardait, elle les admirait, tellement attendrie qu’au moment où la mère reprenait haleine entre deux vers de sa chanson, elle ne put s’empêcher de lui dire ce mot qu’on vient de lire :

    Vous avez là deux jolis enfants, madame.

    Les créatures les plus féroces sont désarmées par la caresse à leurs petits. La mère leva la tête et remercia, et fit asseoir la passante sur le banc de la porte, elle-même étant sur le seuil. Les deux femmes causèrent.

    Je m’appelle madame Thénardier, dit la mère des deux petites. Nous tenons cette auberge.

    Puis, toujours à sa romance, elle reprit entre ses dents :

  • Il le faut, je suis chevalier
    Et je pars pour la Palestine.

  •  

    Cette madame Thénardier était une femme rousse, charnue, anguleuse ; le type femme-à-soldat dans toute sa disgrâce. Et, chose bizarre, avec un air penché qu’elle devait à des lectures romanesques. C’était une minaudière hommasse. De vieux romans qui se sont éraillés sur des imaginations de gargotières, ont de ces effets-là. Elle était jeune encore ; elle avait à peine trente ans. Si cette femme, qui était accroupie, se fût tenue droite, peut-être sa haute taille et sa carrure de colosse ambulant propre aux foires, eussent-elles dès l’abord effarouché la voyageuse, troublé sa confiance, et fait évanouir ce que nous avons à raconter. Une personne qui est assise au lieu d’être debout, les destinées tiennent à cela.

    La voyageuse raconta son histoire, un peu modifiée.

    Qu’elle était ouvrière ; que son mari était mort ; que le travail lui manquait à Paris, et qu’elle allait en chercher ailleurs ; dans son pays ; qu’elle avait quitté Paris, le matin même, à pied ; que, comme elle portait son enfant, se sentant fatiguée, et ayant rencontré la voiture de Villemonble, elle y était montée ; que de Villemonble elle était venue à Montfermeil à pied ; que la petite avait un peu marché, mais pas beaucoup, c’est si jeune, et qu’il avait fallu la prendre, et que le bijou s’était endormi.

    Et sur ce mot elle donna à sa fille un baiser passionné qui la réveilla. L’enfant ouvrit les yeux, de grands yeux bleus comme ceux de sa mère, et regarda, quoi ? rien, tout, avec cet air sérieux et quelquefois sévère des petits enfants, qui est un mystère de leur lumineuse innocence devant nos crépuscules de vertus. On dirait qu’ils se sentent anges et qu’ils nous savent hommes. Puis l’enfant se mit à rire, et, quoique la mère la retînt, glissa à terre avec l’indomptable énergie d’un petit être qui veut courir. Tout à coup elle aperçut les deux autres sur leur balançoire, s’arrêta court, et tira la langue, signe d’admiration.

    La mère Thénardier détacha ses filles, les fit descendre de l’escarpolette, et dit :

    Amusez-vous toutes les trois.

    Ces âges-là s’apprivoisent vite, et au bout d’une minute les petites Thénardier jouaient avec la nouvelle venue à faire des trous dans la terre, plaisir immense.

    Cette nouvelle venue était très gaie ; la bonté de la mère est écrite dans la gaîté du marmot ; elle avait pris un brin de bois qui lui servait de pelle, et elle creusait énergiquement une fosse bonne pour une mouche. Ce que fait le fossoyeur devient riant, fait par l’enfant.

    Les deux femmes continuaient à causer.

    Comment s’appelle votre mioche ?

    Cosette.

    Cosette, lisez Euphrasie. La petite se nommait Euphrasie. Mais d’Euphrasie la mère avait fait Cosette, par ce doux et gracieux instinct des mères et du peuple qui change Josefa en Pepita et Françoise en Sillette. C’est là un genre de dérivés qui dérange et déconcerte toute la science des étymologistes. Nous avons connu une grand’mère qui avait réussi à faire de Théodore, Gnon.

    Quel âge a-t-elle ?

    Elle va sur trois ans.

    C’est comme mon aînée.

    Cependant les trois petites filles étaient groupées dans une posture d’anxiété profonde et de béatitude ; un événement avait lieu ; un gros ver venait de sortir de terre ; et elles avaient peur, et elles étaient en extase.

    Leurs fronts radieux se touchaient ; on eût dit trois têtes dans une auréole.

    Les enfants, s’écria la mère Thénardier, comme ça se connaît tout de suite ! les voilà qu’on jurerait trois sœurs !

    Ce mot fut l’étincelle qu’attendait probablement l’autre mère. Elle saisit la main de la Thénardier, la regarda fixement, et lui dit :

    Voulez-vous me garder mon enfant ?

    La Thénardier eut un de ces mouvements qui ne sont ni le consentement ni le refus.

    La mère de Cosette poursuivit :

    Voyez-vous, je ne peux pas emmener ma fille au pays. L’ouvrage ne le permet pas. Avec un enfant, on ne trouve pas à se placer. Ils sont si ridicules dans ce pays-là. C’est le bon Dieu qui m’a fait passer devant votre auberge. Quand j’ai vu vos petites si jolies et si propres et si contentes, cela m’a bouleversée. J’ai dit : voilà une bonne mère. C’est ça ; ça fera trois sœurs. Et puis, je ne serai pas longtemps à revenir. Voulez-vous me garder mon enfant ?

    Il faudrait voir, dit la Thénardier.

    Je donnerais six francs par mois.

    Ici une voix d’homme cria du fond de la gargote :

    Pas à moins de sept francs. Et six mois payés d’avance.

    Six fois sept quarante-deux, dit la Thénardier.

    Je les donnerai, dit la mère.

    Et quinze francs en dehors pour les premiers frais, ajouta la voix d’homme.

    Total cinquante-sept francs, dit madame Thénardier. Et à travers ces chiffres, elle chantonnait vaguement :

  • Il le faut, disait un guerrier.
  • Je les donnerai, dit la mère, j’ai quatre-vingts francs. Il me restera de quoi aller au pays. En allant à pied. Je gagnerai de l’argent là-bas, et dès que j’en aurai un peu, je reviendrai chercher l’amour.

    La voix d’homme reprit :

    La petite a un trousseau ?

    C’est mon mari, dit la Thénardier.

    Sans doute elle a un trousseau, le pauvre trésor. J’ai bien vu que c’était votre mari. Et un beau trousseau encore ! un trousseau insensé. Tout par douzaines ; et des robes de soie comme une dame. Il est là dans mon sac de nuit.

    Il faudra le donner, repartit la voix d’homme.

    Je crois bien que je le donnerai ! dit la mère. Ce serait cela qui serait drôle si je laissais ma fille toute nue !

    La face du maître apparut.

    C’est bon, dit-il.

    Le marché fut conclu. La mère passa la nuit à l’auberge, donna son argent et laissa son enfant, renoua son sac de nuit dégonflé du trousseau et léger désormais, et partit le lendemain matin, comptant revenir bientôt. On arrange tranquillement ces départs-là, mais ce sont des désespoirs.

    Une voisine des Thénardier rencontra cette mère comme elle s’en allait, et s’en revint en disant :

    Je viens de voir une femme qui pleure dans la rue, que c’est un déchirement.

    Quand la mère de Cosette fut partie, l’homme dit à la femme :

    Cela va me payer mon effet de cent dix francs qui échoit demain. Il me manquait cinquante francs. Sais-tu que j’aurais eu l’huissier et un protêt ? Tu as fait là une bonne souricière avec tes petites.

    Sans m’en douter, dit la femme.


     

    II

    PREMIÈRE ESQUISSE
    DE DEUX FIGURES LOUCHES


     

    La souris prise était bien chétive ; mais le chat se réjouit même d’une souris maigre.

    Qu’était-ce que les Thénardier ?

    Disons-en un mot dès à présent. Nous compléterons le croquis plus tard.

    Ces êtres appartenaient à cette classe bâtarde composée de gens grossiers parvenus et de gens intelligents déchus,qui est entre la classe dite moyenne et la classe dite inférieure, et qui combine quelques-uns des défauts de la seconde avec presque tous les vices de la première, sans avoir le généreux élan de l’ouvrier ni l’ordre honnête du bourgeois.

    C’étaient de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d’une brute et dans l’homme l’étoffe d’un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l’espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu’elles n’y avancent, employant l’expérience à augmenter leur difformité, empirant sans cesse, et s’imprégnant de plus en plus d’une noirceur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.

    Le Thénardier particulièrement était gênant pour le physionomiste. On n’a qu’à regarder certains hommes pour s’en défier, on les sent ténébreux à leurs deux extrémités. Ils sont inquiets derrière eux et menaçants devant eux. Il y a en eux de l’inconnu. On ne peut pas plus répondre de ce qu’ils ont fait que de ce qu’ils feront. L’ombre qu’ils ont dans le regard les dénonce. Rien qu’en les entendant dire un mot ou qu’en les voyant faire un geste on entrevoit de sombres secrets dans leur passé et de sombres mystères dans leur avenir.

    Ce Thénardier, s’il fallait l’en croire, avait été soldat ; sergent, disait-il ; il avait fait probablement la campagne de 1815, et s’était même comporté assez bravement, à ce qu’il paraît. Nous verrons plus tard ce qu’il en était. L’enseigne de son cabaret était une allusion à l’un de ses faits d’armes. Il l’avait peinte lui-même, car il savait faire un peu de tout ; mal.

    C’était l’époque où l’antique roman classique, qui, après avoir été Clélie, n’était plus que Lodoïska, toujours noble, mais de plus en plus vulgaire, tombé de mademoiselle de Scudéri à madame Bournon-Malarme, et de madame de Lafayette à madame Barthélémy-Hadot, incendiait l’âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue. Madame Thénardier était juste assez intelligente pour lire ces espèces de livres. Elle s’en nourrissait. Elle y noyait ce qu’elle avait de cervelle ; cela lui avait donné, tant qu’elle avait été très jeune, et même un peu plus tard, une sorte d’attitude pensive près de son mari, coquin d’une certaine profondeur, ruffian lettré à la grammaire près, grossier et fin en même temps, mais, en fait de sentimentalisme, lisant Pigault-Lebrun, et pour « tout ce qui touche le sexe », comme il disait dans son jargon, butor correct et sans mélange. Sa femme avait quelque douze ou quinze ans de moins que lui. Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la Mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu’une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aînée se nomma Éponine. Quant à la cadette, la pauvre petite faillit se nommer Gulnare ; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil, de ne s’appeler qu’Azelma.

    Au reste, pour le dire en passant, tout n’est pas ridicule et superficiel dans cette curieuse époque à laquelle nous faisons ici allusion, et qu’on pourrait appeler l’anarchie des noms de baptême. À côté de l’élément romanesque, que nous venons d’indiquer, il y a le symptôme social. Il n’est pas rare aujourd’hui que le garçon bouvier se nomme Arthur, Alfred ou Alphonse, et que le vicomte — s’il y a encore des vicomtes — se nomme Thomas, Pierre ou Jacques. Ce déplacement qui met le nom « élégant » sur le plébéien et le nom campagnard sur l’aristocrate n’est autre chose qu’un remous d’égalité. L’irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde : la révolution française.


     

    III

    L’ALOUETTE.


     

    Il ne suffit pas d’être méchant pour prospérer. La gargote allait mal.

    Grâce aux cinquante-sept francs de la voyageuse, Thénardier avait pu éviter un protêt et faire honneur à sa signature. Le mois suivant ils eurent encore besoin d’argent ; la femme porta à Paris et engagea au mont-de-piété le trousseau de Cosette pour une somme de soixante francs. Dès que cette somme fut dépensée, les Thénardier s’accoutumèrent à ne plus voir dans la petite fille qu’un enfant qu’ils avaient chez eux par charité, et la traitèrent en conséquence. Comme elle n’avait plus de trousseau, on l’habilla des vieilles jupes et des vieilles chemises des petites Thénardier, c’est-à-dire de haillons. On la nourrit des restes de tout le monde, un peu mieux que le chien et un peu plus mal que le chat. Le chat et le chien étaient du reste ses commensaux habituels ; Cosette mangeait avec eux sous la table dans une écuelle de bois pareille à la leur.

    La mère, qui s’était fixée, comme on le verra plus tard, à Montreuil-sur-mer, écrivait, ou, pour mieux dire, faisait écrire tous les mois afin d’avoir des nouvelles de son enfant. Les Thénardier répondaient invariablement : Cosette est à merveille.

    Les six premiers mois révolus, la mère envoya sept francs pour le septième mois, et continua assez exactement ses envois de mois en mois. L’année n’était pas finie que le Thénardier dit : – Une belle grâce qu’elle nous fait là ! que veut-elle que nous fassions avec ses sept francs ? Et il écrivit pour exiger douze francs. La mère, à laquelle ils persuadaient que son enfant était heureuse « et venait bien », se soumit et envoya les douze francs.

    Certaines natures ne peuvent aimer d’un côté sans haïr de l’autre. La mère Thénardier aimait passionnément ses deux filles à elle, ce qui fit qu’elle détesta l’étrangère. Il est triste de songer que l’amour d’une mère peut avoir de vilains aspects. Si peu de place que Cosette tînt chez elle, il lui semblait que cela était pris aux siens, et que cette petite diminuait l’air que ses filles respiraient. Cette femme, comme beaucoup de femmes de sa sorte, avait une somme de caresses et une somme de coups et d’injures à dépenser chaque jour. Si elle n’avait pas eu Cosette, il est certain que ses filles, tout idolâtrées qu’elles étaient, auraient tout reçu ; mais l’étrangère leur rendit le service de détourner les coups sur elle. Ses filles n’eurent que les caresses. Cosette ne faisait pas un mouvement qui ne fît pleuvoir sur sa tête une grêle de châtiments violents et immérités. Doux être faible qui ne devait rien comprendre à ce monde ni à Dieu, sans cesse punie, grondée, rudoyée, battue et voyant à côté d’elle deux petites créatures comme elle, qui vivaient dans un rayon d’aurore !

    La Thénardier étant méchante pour Cosette, Éponine et Azelma furent méchantes. Les enfants, à cet âge, ne sont que des exemplaires de la mère. Le format est plus petit, voilà tout.

    Une année s’écoula, puis une autre.

    On disait dans le village :

    Ces Thénardier sont de braves gens. Ils ne sont pas riches, et ils élèvent un pauvre enfant qu’on leur a abandonné chez eux !

    On croyait Cosette oubliée par sa mère.

    Cependant le Thénardier, ayant appris par on ne sait quelles voies obscures que l’enfant était probablement bâtard et que la mère ne pouvait l’avouer, exigea quinze francs par mois, disant que « la créature » grandissait et mangeait, et menaçant de la renvoyer. « Qu’elle ne m’embête pas ! » s’écriait-il, « je lui bombarde son mioche tout au beau milieu de ses cachoteries. Il me faut de l’augmentation. » La mère paya les quinze francs.

    D’année en année, l’enfant grandit, et sa misère aussi.

    Tant que Cosette fut toute petite, elle fut le souffre-douleur des deux autres enfants ; dès qu’elle se mit à se développer un peu, c’est-à-dire avant même qu’elle eût cinq ans, elle devint la servante de la maison.

    Cinq ans, dira-t-on, c’est invraisemblable. Hélas, c’est vrai. La souffrance sociale commence à tout âge. N’avons-nous pas vu, récemment, le procès d’un nommé Dumolard, orphelin devenu bandit, qui, dès l’âge de cinq ans, disent les documents officiels, étant seul au monde « travaillait pour vivre, et volait ».

    On fit faire à Cosette les commissions, balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter même des fardeaux. Les Thénardier se crurent d’autant plus autorisés à agir ainsi que la mère qui était toujours à Montreuil-sur-mer commença à mal payer. Quelques mois restèrent en souffrance.

    Si cette mère fût revenue à Montfermeil au bout de ces trois années, elle n’eût point reconnu son enfant. Cosette, si jolie et si fraîche à son arrivée dans cette maison, était maintenant maigre et blême. Elle avait je ne sais quelle allure inquiète. Sournoise ! disaient les Thénardier.

    L’injustice l’avait faite hargneuse et la misère l’avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils étaient, il semblait qu’on y vît une plus grande quantité de tristesse.

    C’était une chose navrante de voir, l’hiver, ce pauvre enfant, qui n’avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toile trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux.

    Dans le pays on l’appelait l’Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s’était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu’un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l’aube.

    Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais.


     


     

    I

    HISTOIRE D’UN PROGRÈS DANS LES VERROTERIES NOIRES


     

    Cette mère cependant qui, au dire des gens de Montfermeil, semblait avoir abandonné son enfant, que devenait-elle ? où était-elle ? que faisait-elle ?

    Après avoir laissé sa petite Cosette aux Thénardier, elle avait continué son chemin et était arrivée à Montreuil-sur-Mer. C’était, on se le rappelle, en 1818.

    Fantine avait quitté sa province depuis une dizaine d’années. Montreuil-sur-Mer avait changé d’aspect. Tandis que Fantine descendait lentement de misère en misère, sa ville natale avait prospéré.

    Depuis deux ans environ, il s’y était accompli un de ces faits industriels qui sont les grands événements des petits pays.

    Ce détail importe, et nous croyons utile de le développer ; nous dirions presque, de le souligner.

    De temps immémorial, Montreuil-sur-Mer avait pour industrie spéciale l’imitation des jais anglais et des verroteries noires d’Allemagne. Cette industrie avait toujours végété, à cause de la cherté des matières premières qui réagissait sur la main-d’œuvre. Au moment où Fantine revint à Montreuil-sur-Mer, une transformation inouïe s’était opérée dans cette production des « articles noirs ». Vers la fin de 1815, un homme, un inconnu, était venu s’établir dans la ville et avait eu l’idée de substituer, dans cette fabrication, la gomme laque à la résine et, pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée. Ce tout petit changement avait été une révolution.

    Ce tout petit changement en effet avait prodigieusement réduit le prix de la matière première, ce qui avait permis, premièrement d’élever le prix de la main-d’œuvre, bienfait pour le pays, deuxièmement d’améliorer la fabrication, avantage pour le consommateur, troisièmement de vendre à meilleur marché tout en triplant le bénéfice, profit pour le manufacturier.

    Ainsi pour une idée trois résultats.

    En moins de trois ans, l’auteur de ce procédé était devenu riche, ce qui est bien, et avait tout fait riche autour de lui, ce qui est mieux. Il était étranger au département ! De son origine, on ne savait rien ; de ses commencements, peu de chose.

    On contait qu’il était venu dans la ville avec fort peu d’argent, quelques centaines de francs tout au plus.

    C’est de ce mince capital, mis au service d’une idée ingénieuse, fécondé par l’ordre et par la pensée, qu’il avait tiré sa fortune et la fortune de tout ce pays.

    À son arrivée à Montreuil-sur-Mer, il n’avait que les vêtements, la tournure et le langage d’un ouvrier.

    Il paraît que, le jour même où il faisait obscurément son entrée dans la petite ville de Montreuil-sur-Mer, à la tombée d’un soir de décembre, le sac au dos et le bâton d’épine à la main, un gros incendie venait d’éclater à la maison commune. Cet homme s’était jeté dans le feu, et avait sauvé, au péril de sa vie, deux enfants qui se trouvaient être ceux du capitaine de gendarmerie ; ce qui fait qu’on n’avait pas songé à lui demander son passe-port. Depuis lors, on avait su son nom. Il s’appelait le père Madeleine.


     

    II

    MADELEINE


     

    C’était un homme d’environ cinquante ans, qui avait l’air préoccupé et qui était bon. Voilà tout ce qu’on en pouvait dire.

    Grâce aux progrès rapides de cette industrie qu’il avait si admirablement remaniée, Montreuil-sur-Mer, pour ce commerce, faisait presque concurrence à Londres et à Berlin, Les bénéfices du père Madeleine étaient tels que, dès la deuxième année, il avait pu bâtir une grande fabrique dans laquelle il y avait deux vastes ateliers, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Quiconque avait faim pouvait s’y présenter, et était sûr de trouver là de l’emploi et du pain. Le père Madeleine demandait aux hommes de la bonne volonté, aux femmes des mœurs pures, à tous de la probité. Il avait divisé les ateliers, afin de séparer les sexes et que les filles et les femmes pussent rester sages. Sur ce point, il était inflexible. C’était le seul où il fût en quelque sorte intolérant. Il était d’autant plus fondé à cette sévérité que, Montreuil-sur-Mer étant une ville de garnison, les occasions de corruption abondaient. Du reste sa venue avait été un bienfait, et sa présence était une providence. Avant l’arrivée du père Madeleine, tout languissait dans le pays ; maintenant tout y vivait de la vie saine du travail. Une forte circulation échauffait tout et pénétrait partout. Le chômage et la misère étaient inconnus. Il n’y avait pas de poche si obscure où il n’y eût un peu d’argent, pas de logis si pauvre où il n’y eût un peu de joie.

    Le père Madeleine employait tout le monde. Il n’exigeait qu’une chose : soyez honnête homme ! soyez honnête fille !

    Comme nous l’avons dit, au milieu de cette activité dont il était la cause et le pivot, le père Madeleine faisait sa fortune, mais, chose assez singulière dans un simple homme de commerce, il ne paraissait point que ce fût là son principal souci. Il semblait qu’il songeât beaucoup aux autres et peu à lui. En 1820, on lui connaissait une somme de six cent mille francs, il avait dépensé plus d’un million pour la ville et pour les pauvres.

    L’hôpital était mal doté ; il y avait fondé deux lits. Montreuil-sur-Mer est divisé en ville haute et ville basse. La ville basse qu’il habitait n’avait qu’une école, méchante masure qui tombait en ruine ; il en avait construit deux, une pour les filles, l’autre pour les garçons. Il allouait de ses deniers aux deux instituteurs une indemnité double de leur maigre traitement officiel, et un jour, à quelqu’un qui s’en étonnait, il dit : « Les deux premiers fonctionnaires de l’état, c’est la nourrice et le maître d’école. » Il avait créé à ses frais une salle d’asile, chose alors presque inconnue en France, et une caisse de secours pour les ouvriers vieux et infirmes. Sa manufacture étant un centre, un nouveau quartier où il y avait bon nombre de familles indigentes avait rapidement surgi autour de lui ; il y avait établi une pharmacie gratuite.

    Dans les premiers temps, quand on le vit commencer, les bonnes âmes dirent : C’est un gaillard qui veut s’enrichir. Quand on le vit enrichir le pays avant de s’enrichir lui-même, les mêmes bonnes âmes dirent : C’est un ambitieux. Cela semblait d’autant plus probable que cet homme était religieux, et même pratiquait dans une certaine mesure, chose fort bien vue à cette époque. Il allait régulièrement entendre une basse messe tous les dimanches. Le député local, qui flairait partout des concurrences, ne tarda pas à s’inquiéter de cette religion. Ce député, qui avait été membre du corps législatif de l’empire, partageait les idées religieuses d’un père de l’oratoire connu sous le nom de Fouché, duc d’Otrante, dont il avait été la créature et l’ami. À huis clos il riait de Dieu doucement. Mais quand il vit le riche manufacturier Madeleine aller à la basse messe de sept heures, il entrevit un candidat possible, et résolut de lé dépasser ; il prit un confesseur jésuite et alla à la grand’messe et à vêpres. L’ambition en ce temps-là était, dans l’acception directe du mot, une course au clocher. Les pauvres profitèrent de cette terreur comme le bon Dieu, car l’honorable député fonda aussi deux lits à l’hôpital ; ce qui fit douze.

    Cependant en 1819 le bruit se répandit un matin dans la ville que, sur la présentation de M. le préfet et en considération des services rendus au pays, le père Madeleine allait être nommé par le roi maire de Montreuil-sur-Mer. Ceux qui avaient déclaré ce nouveau venu « un ambitieux » saisirent avec transport cette occasion que tous les hommes souhaitent de s’écrier : Là ! qu’est-ce que nous avions dit ? Tout Montreuil-sur-Mer fut en rumeur. Le bruit était fondé. Quelques jours après, la nomination parut dans le Moniteur. Le lendemain, le père Madeleine refusa.

    Dans cette même année 1819, les produits du nouveau procédé inventé par Madeleine figurèrent à l’exposition de l’industrie ; sur le rapport du jury, le roi nomma l’inventeur chevalier de la légion d’honneur. Nouvelle rumeur dans la petite ville. Eh bien ! c’est la croix qu’il voulait ! Le père Madeleine refusa la croix.

    Décidément cet homme était une énigme. Les bonnes âmes se tirèrent d’affaire en disant : Après tout, c’est une espèce d’aventurier.

    On l’a vu, le pays lui devait beaucoup, les pauvres lui devaient tout ; il était si utile qu’il avait bien fallu qu’on finît par l’aimer ; ses ouvriers en particulier l’adoraient, et il portait cette adoration avec une sorte de gravité mélancolique. Quand il fut constaté riche, « les personnes de la société » le saluèrent, et on l’appela dans la ville monsieur Madeleine ; ses ouvriers et les enfants continuèrent de l’appeler le père Madeleine, et c’était la chose qui le faisait le mieux sourire. À mesure qu’il montait, les invitations pleuvaient sur lui. « La société » le réclamait. Les petits salons guindés de Montreuil-sur-Mer qui, bien entendu, se fussent dans les premiers temps fermés à l’artisan, s’ouvrirent à deux battants au millionnaire. On lui fit mille avances. Il refusa.

    Cette fois encore les bonnes âmes ne furent point empêchées. — C’est un homme ignorant et de basse éducation. On ne sait d’où cela sort. Il ne saurait pas se tenir dans le monde. Il n’est pas du tout prouvé qu’il sache lire.

    Quand on l’avait vu gagner de l’argent, on avait dit : c’est un marchand. Quand on l’avait vu semer son argent, on avait dit : c’est un ambitieux. Quand on l’avait vu repousser les honneurs on avait dit : c’est un aventurier. Quand on le vit repousser le monde, on dit : c’est une brute.

    En 1820, cinq ans après son arrivée à Montreuil-sur-Mer, les services qu’il avait rendus au pays étaient si éclatants, le vœu de la contrée fut tellement unanime, que le roi le nomma de nouveau maire de la ville. Il refusa encore, mais le préfet résista à son refus, tous les notables vinrent le prier, le peuple en pleine rue le suppliait, l’insistance fut si vive qu’il finit par accepter. On remarqua que ce qui parut surtout le déterminer, ce fut l’apostrophe presque irritée d’une vieille femme du peuple qui lui cria du seuil de sa porte avec humeur : Un bon maire, c’est utile. Est-ce qu’on recule devant du bien qu’on peut faire ?

    Ce fut là la troisième phase de son ascension. Le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine, monsieur Madeleine devint monsieur le maire.


     

    III

    SOMMES DÉPOSÉES CHEZ LAFFITTE


     

    Du reste, il était demeuré aussi simple que le premier jour. Il avait les cheveux gris, l’œil sérieux, le teint hâlé d’un ouvrier, le visage pensif d’un philosophe. Il portait habituellement un chapeau à bords larges et une longue redingote de gros drap, boutonnée jusqu’au menton. Il remplissait ses fonctions de maire, mais hors de là il vivait solitaire. Il parlait à peu de monde, Il se dérobait aux politesses, saluait de côté, s’esquivait vite, souriait pour se dispenser de causer, donnait pour se dispenser de sourire. Les femmes disaient de lui : Quel bon ours ! Son plaisir était de se promener dans les champs.

    Il prenait ses repas toujours seul, avec un livre ouvert devant lui où il lisait. Il avait une petite bibliothèque bien faite. Il aimait les livres ; les livres sont des amis froids et sûrs. À mesure que le loisir lui venait avec la fortune, il semblait qu’il en profitât pour cultiver son esprit. Depuis qu’il était à Montreuil-sur-Mer, on remarquait que d’année en année son langage devenait plus poli, plus choisi et plus doux.

    Il emportait volontiers un fusil dans ses promenades, mais il s’en servait rarement. Quand cela lui arrivait par aventure, il avait un tir infaillible qui effrayait. Jamais il ne tuait un animal inoffensif. Jamais il ne tirait un petit oiseau.

    Quoiqu’il ne fût plus jeune, on contait qu’il était d’une force prodigieuse. Il offrait un coup de main à qui en avait besoin, relevait un cheval, poussait à une roue embourbée, arrêtait par les cornes un taureau échappé. Il avait toujours ses poches pleines de monnaie en sortant et vides en rentrant. Quand il passait dans un village, les marmots déguenillés couraient joyeusement après lui et l’entouraient comme une nuée de moucherons.

    On croyait deviner qu’il avait dû vivre jadis de la vie des champs, car il avait toutes sortes de secrets utiles qu’il enseignait aux paysans. Il leur apprenait à détruire la teigne des blés en aspergeant le grenier et en inondant les fentes du plancher d’une dissolution de sel commun, et à chasser les charançons en suspendant partout, aux murs et aux toits, dans les herbages et dans les maisons, de l’orviot en fleur. Il avait des « recettes » pour extirper d’un champ la luzette, la nielle, la vesce, la gaverolle, la queue-de-renard, toutes les herbes parasites qui mangent le blé. Il défendait une lapinière contre les rats, rien qu’avec l’odeur d’un petit cochon de Barbarie qu’il y mettait.

    Un jour il voyait des gens du pays très occupés à arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes déracinées èt déjà desséchées, et dit : — C’est mort. Cela serait pourtant bon si l’on savait s’en servir. Quant l’ortie est jeune, la feuille est un légume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile d’ortie vaut la toile de chanvre. Hachée, l’ortie est bonne pour la volaille ; broyée, elle est bonne pour lès bêtes à cornes, La graine de l’ortie mêlée au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la racine mêlée au sel produit une belle couleur jaune. C’est du reste un excellent foin qu’on peut faucher deux fois. Et que faut-il à l’ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe à mesure qu’elle mûrit, et est difficile à récolter. Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent à l’ortie ! — Il ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.

    Les enfants l’aimaient encore parce qu’il savait faire de charmants petits ouvrages avec de la paille et des noix de coco.

    Quand il voyait la porte d’une église tendue de noir, il entrait ; il recherchait un enterrement comme d’autres recherchent un baptême. Le veuvage et le malheur d’autrui l’attiraient à cause de sa grande douceur ; il se mêlait aux amis en deuil, aux familles vêtues de noir, aux prêtres gémissant autour d’un cercueil. Il semblait donner volontiers pour texte à ses pensées ces psalmodies funèbres pleines de la vision d’un autre monde. L’œil au ciel, il écoutait, avec une sorte d’aspiration vers tous les mystères de l’infini, ces voix tristes qui chantent sur le bord de l’abîme obscur de la mort.

    Il faisait une foule de bonnes actions en se cachant comme on se cache pour les mauvaises. Il pénétrait à la dérobée, le soir, dans les maisons ; il montait furtivement des escaliers. Un pauvre diable, en rentrant dans son galetas, trouvait que sa porte avait été ouverte, quelquefois même forcée, dans son absence. Le pauvre homme se récriait : quelque malfaiteur est venu ! Il entrait, et la première chose qu’il voyait, c’était une pièce d’or oubliée sur un meuble. « Le malfaiteur » qui était venu, c’était le père Madeleine.

    Il était affable et triste. Le peuple disait : Voilà un homme riche qui n’a pas l’air fier. Voilà un homme heureux qui n’a pas l’air content.

    Quelques-uns prétendaient que c’était un personnage mystérieux et affirmaient qu’on n’entrait jamais dans sa chambre, laquelle était une vraie cellule d’anachorète meublée de sabliers ailés et enjolivée de tibias en croix et de têtes de mort. Cela se disait beaucoup, si bien que quelques jeunes femmes élégantes et malignes de Montreuil-sur-Mer vinrent chez lui un jour, et lui demandèrent : — Monsieur le maire, montrez-nous donc votre chambre. On dît que c’est une grotte. — Il sourit, et les introduisit sur-le-champ dans cette « grotte ». Elles furent bien punies de leur curiosité. C’était une chambre garnie tout bonnement de meubles d’acajou assez laids comme tous les meubles de ce genre et tapissée de papier à douze sous. Elles n’y purent rien remarquer que deux flambeaux de forme vieillie qui étaient sur la cheminée et qui avaient l’air d’être en argent, « car ils étaient contrôlés ». Observation pleine de l’esprit des petites villes.

    On n’en continua pas moins de dire que personne ne pénétrait dans cette chambre et que c’était une caverne d’ermite, un rêvoir, un trou, un tombeau.

    On se chuchotait aussi qu’il avait des sommes « immenses » déposées chez Laffitte, avec cette particularité qu’elles étaient toujours à sa disposition immédiate, de telle sorte, ajoutait-on, que M. Madeleine pourrait arriver un matin chez Laffitte, signer un reçu et emporter ses deux ou trois millions en dix minutes. Dans la réalité ces « deux ou trois millions » se réduisaient, nous l’avons dit, à six cent trente ou quarante mille francs.


     

    IV

    M. MADELEINE EN DEUIL


     

    Au commencement de 1821, les journaux annoncèrent la mort de M. Myriel, évêque de Digne, « surnommé monseigneur Bienvenu », et trépassé en odeur de sainteté à l’âge de quatre-vingt-deux ans,

    L’évêque de Digne, pour ajouter ici un détail que les journaux omirent, était, quand il mourut, depuis plusieurs années aveugle, et content d’être aveugle, sa sœur étant près de lui.

    Disons-le en passant, être aveugle et être aimé, c’est en effet, sur cette terre où rien n’est complet, une des formes les plus étrangement exquises du bonheur. Avoir continuellement à ses côtés une femme, une fille, une sœur, un être charmant, qui est là parce que vous avez besoin d’elle et parce qu’elle ne peut se passer de vous, se savoir indispensable à qui nous est nécessaire, pouvoir incessamment mesurer son affection à la quantité de présence qu’elle nous donne, et se dire : puisqu’elle me consacre tout son temps, c’est que j’ai tout son cœur ; voir la pensée à défaut de la figure, constater la fidélité d’un être dans l’éclipse du monde ; percevoir le frôlement d’une robe comme un bruit d’ailes, l’entendre aller et venir, sortir, rentrer, parler, chanter, et songer qu’on est le centre de ces pas, de cette parole, de ce chant ; manifester à chaque minute sa propre attraction, se sentir d’autant plus puissant qu’on est plus infirme, devenir dans l’obscurité, et par l’obscurité, l’astre autour duquel gravite cet ange, peu de félicités égalent celle-là. Le suprême bonheur de la vie, c’est la conviction qu’on est aimé ; aimé pour soi-même, disons mieux, aimé malgré soi-même ; cette conviction, l’aveugle l’a. Dans celle détresse, être servi, c’est être caressé. Lui manque-t-il quelque chose ? Non. Ce n’est point perdre la lumière qu’avoir l’amour, Et quel amour ! un amour entièrement fait de vertu. Il n’y a point de cécité où il y a certitude. L’âme à tâtons cherche l’âme, et la trouve. Et cette âme trouvée et prouvée est une femme. Une main vous soutient, c’est la sienne ; une bouche effleure votre front, c’est sa bouche ; vous entendez une respiration tout près de vous, c’est elle. Tout avoir d’elle, depuis son culte jusqu’à sa pitié, n’être jamais quitté, avoir cette douce faiblesse qui vous secourt, s’appuyer sur ce roseau inébranlable, toucher de ses mains la providence et pouvoir la prendre dans ses bras ; Dieu palpable, quel ravissement ! Le cœur, cette céleste fleur obscure, entre dans un épanouissement mystérieux. On ne donnerait pas cette ombre pour toute la clarté. L’âme ange est là, sans cesse là ; si elle s’éloigne, c’est pour revenir ; elle s’efface comme le rêve et reparaît comme la réalité. On sent de la chaleur qui approche, la voilà. On déborde de sérénité, de gaîté et d’extase ; on est un rayonnement dans la nuit. Et mille petits soins. Des riens qui sont énormes dans ce vide. Les plus ineffables accents de la voix féminine employés à vous bercer, et suppléant pour vous à l’univers évanoui. On est caressé avec de l’âme. On ne voit rien, mais on se sent adoré. C’est un paradis de ténèbres.

    C’est de ce paradis que monseigneur Bienvenu était passé à l’autre.

    L’annonce de sa mort fut reproduite par le journal local de Montreuil-sur-Mer. M. Madeleine parut le lendemain tout en noir avec un crêpe à son chapeau.

    On remarqua dans la ville ce deuil, et l’on jasa. Cela parut une lueur sur l’origine de M, Madeleine. On en conclut qu’il avait quelque alliance avec le vénérable évêque. Il drape pour l’évêque de Digne, dirent les salons ; cela rehaussa fort M. Madeleine, et lui donna subitement et d’emblée une certaine considération dans le monde noble de Montreuil-sur-Mer. Le microscopique faubourg Saint-Germain de l’endroit songea à faire cesser la quarantaine de M. Madeleine, parent probable d’un évêque. M. Madeleine, s’aperçut de l’avancement qu’il obtenait à plus de révérences des vieilles femmes et à plus de sourires des jeunes. Un soir, une doyenne de ce petit grand monde-là, curieuse par droit d’ancienneté, se hasarda à lui demander : — Monsieur le maire est sans doute cousin du feu évêque de Digne ?

    Il dit : — Non, madame.

    Mais, reprit la douairière, vous en portez le deuil ? Il répondit : — C’est que dans ma jeunesse j’ai été laquais dans sa famille.

    Une remarque qu’on faisait encore, c’est que, chaque fois qu’il passait dans la ville un jeune savoyard courant le pays et cherchant des cheminées à ramoner, M. le maire le faisait appeler, lui demandait son nom, et lui donnait de l’argent. Les petits savoyards se le disaient et il en passait beaucoup.


     

    V

    VAGUES ÉCLAIRS À L’HORIZON


     

    Peu à peu, et avec le temps, toutes les oppositions étaient tombées. Il y avait eu d’abord contre M. Madeleine, sorte de loi que subissent toujours ceux qui s’élèvent, des noirceurs et des calomnies, puis ce ne fut plus que des méchancetés, puis ce ne fut plus que des malices, puis cela s’évanouit tout à fait ; le respect devint complet, unanime, cordial, et il arriva un moment, vers 1821, où ce mot ; monsieur le maire, fut prononcé à Montreuil-sur-Mer presque du même accent que ce mot : monseigneur l’évêque, était prononcé à Digne en 1815. On venait de dix lieues à la ronde consulter M, Madeleine. Il terminait les différends, il empêchait les procès, il réconciliait les ennemis. Chacun le prenait pour juge de son bon droit. Il semblait qu’il eût pour âme le livre de la loi naturelle. Ce fut comme une contagion de vénération qui, en six ou sept ans et de proche en proche, gagna tout le pays.

    Un seul homme, dans la ville et dans l’arrondissement, se déroba absolument à cette contagion, et, quoi que fît le père Madeleine, y demeura rebelle, comme si une sorte d’instinct, incorruptible et imperturbable, l’éveillait et l’inquiétait. Il semblerait en effet qu’il existe dans certains hommes un véritable instinct bestial, pur et intègre comme tout instinct, qui crée les antipathies et les sympathies, qui sépare fatalement une nature d’une autre nature, qui n’hésite pas, qui ne se trouble, ne se tait et ne se dément jamais, clair dans son obscurité, infaillible, impérieux, réfractaire à tous les conseils de l’intelligence et à tous les dissolvants de la raison, et qui, de quelque façon que les destinées soient faites, avertit secrètement l’homme-chien de la présence de l’homme-chat, et l’homme-renard de la présence de l’homme-lion.

    Souvent, quand M. Madeleine passait dans une rue, calme, affectueux, entouré des bénédictions de tous, il arrivait qu’un homme de haute taille, vêtu d’une redingote gris de fer, armé d’une grosse canne et coiffé d’un chapeau rabattu, se retournait brusquement derrière lui, et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, croisant les bras, secouant lentement la tête, et haussant sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure jusqu’à son nez, sorte de grimace significative qui pourrait se traduire par : — Mais qu’est-ce que c’est que cet homme-là? — Pour sûr je l’ai vu quelque part. — En tout cas, je ne suis toujours pas sa dupe.

    Ce personnage, grave d’une gravité presque menaçante, était de ceux qui, même rapidement entrevus, préoccupent l’observateur. Il se nommait Javert, et il était de la police.

    Il remplissait à Montreuil-sur-Mer les fonctions pénibles, mais utiles, d’inspecteur. Il n’avait pas vu les commencements de Madeleine. Javert devait le poste qu’il occupait à la protection de M. Chabouillet, le secrétaire du ministre d’état comte Anglès, alors préfet de police à Paris. Quand Javert était arrivé à Montreuil-sur-Mer, la fortune du grand manufacturier était déjà faite, et le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine.

    Certains officiers de police ont une physionomie à part et qui se complique d’un air de bassesse mêlé à un air d’autorité. Javert avait cette physionomie, moins la bassesse.

    Dans notre conviction, si les âmes étaient visibles aux yeux, on verrait distinctement cette chose étrange que chacun des individus de l’espèce humaine correspond à quelqu’une des espèces de la création animale ; et l’on pourrait reconnaître aisément cette vérité à peine entrevue par le penseur, que, depuis l’huître jusqu’à l’aigle, depuis le porc jusqu’au tigre, tous les animaux sont dans l’homme et que chacun d’eux est dans un homme. Quelquefois même plusieurs d’entre eux à la fois.

    Les animaux ne sont pas autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices, errantes devant nos yeux, les fantômes visibles de nos âmes. Dieu nous les montre pour nous faire réfléchir. Seulement, comme les animaux ne sont que des ombres, Dieu ne les a point faits éducables dans le sens complet du mot ; à quoi bon ? Au contraire, nos âmes étant des réalités et ayant une fin qui leur est propre, Dieu leur a donné l’intelligence, c’est-à-dire l’éducation possible. L’éducation sociale bien faite peut toujours tirer d’une âme, quelle qu’elle soit, l’utilité qu’elle contient.

    Ceci soit dit, bien entendu, au point de vue restreint de la vie terrestre apparente, et sans préjuger la question profonde de la personnalité antérieure ou ultérieure des êtres qui ne sont pas l’homme. Le moi visible n’autorise en aucune façon le penseur à nier le moi latent. Cette réserve faite, passons.

    Maintenant, si l’on admet un moment avec nous que dans tout homme il y a une des espèces animales de la création, il nous sera facile de dire ce que c’était que l’officier de paix Javert.

    Les paysans asturiens sont convaincus que dans toute portée de louve il y a un chien, lequel est tué par la mère, sans quoi en grandissant il dévorerait les autres petits.

    Donnez une face humaine à ce chien fils d’une louve, et ce sera Javert.

    Javert était né dans une prison d’une tireuse de cartes dont le mari était aux galères. En grandissant, il pensa qu’il était en dehors de la société et désespéra d’y rentrer jamais, Il remarqua que la société maintient irrémissiblement en dehors d’elle deux classes d’hommes, ceux qui l’attaquent et ceux qui la gardent ; il n’avait le choix qu’entre ces deux classes ; en même temps il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d’une inexprimable haine pour cette race de bohèmes dont il était. Il entra dans la police. Il y réussit. À quarante ans il était inspecteur.

    Il avait dans sa jeunesse été employé dans les chiourmes du midi.

    Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur ce mot face humaine que nous appliquions tout à l’heure à Javert.

    La face humaine de Javert consistait en un nez camard, avec deux profondes narines vers lesquelles montaient sur ses deux joues d’énormes favoris. On se sentait mal à l’aise la première fois qu’on voyait ces deux forêts et ces deux cavernes. Quand Javert riait, ce qui était rare et terrible, ses lèvres minces s’écartaient, et laissaient voir, non seulement ses dents, mais ses gencives, et il se faisait autour de son nez un plissement épaté et sauvage comme sur un mufle de bête fauve. Javert sérieux était un dogue ; lorsqu’il riait, c’était un tigre. Du reste, peu de crâne, beaucoup de mâchoire, les cheveux cachant le front et tombant sur les sourcils, entre les deux yeux un froncement central permanent comme une étoile de colère, le regard obscur, la bouche pincée et redoutable, l’air du commandement féroce.

    Cet homme était composé de deux sentiments très simples et relativement très bons, mais qu’il faisait presque mauvais à force de les exagérer, le respect de l’autorité, la haine de la rébellion; et à ses yeux le vol, le meurtre, tous les crimes, n’étaient que des formes de la rébellion. Il enveloppait dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans l’état, depuis le premier ministre jusqu’au garde champêtre. Il couvrait de mépris, d’aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n’admettait pas d’exceptions. D’une part il disait : — Le fonctionnaire ne peut se tromper ; le magistrat n’a jamais tort. — D’autre part il disait : — Ceux-ci sont irrémédiablement perdus. Rien de bon n’en peut sortir. — Il partageait pleinement l’opinion de ces esprits extrêmes qui attribuent à la loi humaine je ne sais quel pouvoir de faire ou, si l’on veut, de constater des démons, et qui mettent un Styx au bas de la société. Il était stoïque, sérieux, austère ; rêveur triste; humble et hautain comme les fanatiques. Son regard était une vrille, cela était froid et cela perçait. Toute sa vie tenait dans ces deux mots : veiller et surveiller. Il avait introduit la ligne droite dans ce qu’il y a de plus tortueux au monde ; il avait la conscience de son utilité, la religion de ses fonctions, et il était espion comme on est prêtre. Malheur à qui tombait sous sa main ! Il eût arrêté son père s’évadant du bagne et dénoncé sa mère en rupture de ban. Et il l’eût fait avec cette sorte de satisfaction intérieure que donne la vertu. Avec cela une vie de privations, l’isolement, l’abnégation, la chasteté, jamais une distraction. C’était le devoir implacable, la police comprise comme les Spartiates comprenaient Sparte, un guet impitoyable, une honnêteté farouche, un mouchard marmoréen, Brutus dans Vidocq.

    Toute la personne de Javert exprimait l’homme qui épie et qui se dérobe. L’école mystique de Joseph de Maistre, laquelle à cette époque assaisonnait de haute cosmogonie ce qu’on appelait les journaux ultras, n’eût pas manqué de dire que Javert était un symbole. On ne voyait pas son front qui disparaissait sous son chapeau, on ne voyait pas ses yeux qui se perdaient sous ses sourcils, on ne voyait pas son menton qui plongeait dans sa cravate, on ne voyait pas ses mains qui rentraient dans ses manches, on ne voyait pas sa canne qu’il portait sous sa redingote. Mais l’occasion venue, on voyait tout à coup sortir de toute cette ombre, comme d’une embuscade, un front anguleux et étroit, un regard funeste, un menton menaçant, des mains énormes, et un gourdin monstrueux.

    À ses moments de loisirs, qui étaient peu fréquents, tout en haïssant les livres, il lisait ; ce qui fait qu’il n’était pas complètement illettré. Cela se reconnaissait à quelque emphase dans sa parole.

    Il n’avait aucun vice, nous l’avons dit. Quand il était content de lui, il s’accordait une prise de tabac. Il tenait à l’humanité par là.

    On comprendra sans peine que Javert était l’effroi de toute cette classe que la statistique annuelle du ministère de la justice désigne sous la rubrique : Gens sans aveu. Le nom de Javert prononcé les mettait en déroute ; la face de Javert apparaissant les pétrifiait.

    Tel était cet homme formidable.

    Javert était comme un œil toujours fixé sur M. Madeleine. Œil plein de soupçon et de conjectures. M. Madeleine avait fini par s’en apercevoir, mais il sembla que cela fût insignifiant pour lui. Il ne fit pas même une question à Javert, il ne le cherchait ni ne l’évitait, il portait sans paraître y faire attention, ce regard gênant et presque pesant. Il traitait Javert comme tout le monde, avec aisance et bonté.

    À quelques paroles échappées à Javert, on devinait qu’il avait recherché secrètement, avec cette curiosité qui tient à la race et où il entre autant d’instinct que de volonté, toutes les traces antérieures que le père Madeleine avait pu laisser ailleurs. Il paraissait savoir, et il disait parfois à mots couverts, que quelqu’un avait pris certaines informations dans certains pays sur une certaine famille disparue. Une fois il lui arriva de dire, se parlant à lui-même : — Je crois que je le tiens ! — Puis il resta trois jours pensif sans prononcer une parole. Il paraît que le fil qu’il croyait tenir s’était rompu.

    Du reste, et ceci est le correctif nécessaire à ce que le sens de certains mots pourrait présenter de trop absolu, il ne peut y avoir rien de vraiment infaillible dans une créature humaine, et le propre de l’instinct est précisément de pouvoir être troublé, dépisté et dérouté, Sans quoi il serait supérieur à l’intelligence, et la bête se trouverait avoir une meilleure lumière que l’homme.

    Javert était évidemment quelque peu déconcerté par le complet naturel et la tranquillité de M. Madeleine.

    Un jour pourtant son étrange manière d’être parut faire impression sur M. Madeleine. Voici à quelle occasion.


     

    VI

    LE PÈRE FAUCHELEVENT


     

    M. Madeleine passait un matin dans une ruelle non pavée de Montreuil-sur-Mer. Il entendit du bruit et vit un groupe à quelque distance. Il y alla. Un vieux homme, nommé le père Fauchelevent, venait de tomber sous sa charrette dont le cheval s’était abattu.

    Ce Fauchelevent était un des rares ennemis qu’eût encore M. Madeleine à cette époque. Lorsque Madeleine était arrivé dans le pays, Fauchelevent, ancien tabellion et paysan presque lettré, avait un commerce qui commençait à aller mal. Fauchelevent avait vu ce simple ouvrier qui s’enrichissait, tandis que lui, maître, se ruinait. Cela l’avait rempli de jalousie, et il avait fait ce qu’il avait pu en toute occasion pour nuire à Madeleine, Puis la faillite était venue, et, vieux, n’ayant plus à lui qu’une charrette et un cheval, sans famille et sans enfants du reste, pour vivre il s’était fait charretier.

    Le cheval avait les deux cuisses cassées et ne pouvait se relever. Le vieillard était engagé entre les roues. La chute avait été tellement malheureuse que toute la voiture pesait sur sa poitrine. La charrette était assez lourdement chargée. Le père Fauchelevent poussait des râles lamentables. On avait essayé de le tirer, mais en vain. Un effort désordonné, une aide maladroite, une secousse à faux pouvaient l’achever. Il était impossible de le dégager autrement qu’en soulevant la voiture par dessous. Javert, qui était survenu au moment de l’accident, avait envoyé chercher un cric.

    M. Madeleine arriva. On s’écarta avec respect.

    À l’aide! criait le vieux Fauchelevent. Qui est ce qui est un bon enfant pour sauver le vieux ?

    M. Madeleine se tourna vers les assistants :

    A-t-on un cric ?

    On en est allé quérir un, répondit un paysan.

    Dans combien de temps l’aura-t-on ?

    On est allé au plus près, au lieu Flachot, où il y a un maréchal ; mais c’est égal, il faudra bien un bon quart d’heure.

    Un quart d’heure ! s’écria Madeleine.

    Il avait plu la veille, le sol était détrempé, la charrette s’enfonçait dans la terre à chaque instant et comprimait de plus en plus la poitrine du vieux charretier. Il était évident qu’avant cinq minutes il aurait les côtes brisées.

    Il est impossible d’attendre un quart d’heure, dit Madeleine aux paysans qui regardaient.

    Il faut bien !

    Mais il ne sera plus temps ! Vous ne voyez donc pas que la charrette s’enfonce ?

    Dame !

    Écoutez, reprit Madeleine, il y a encore assez de place sous la voiture pour qu’un homme s’y glisse et la soulève avec son dos. Rien qu’une demi-minute, et l’on tirera le pauvre homme. Y a-t-il quelqu’un qui ait des reins et du cœur ? Cinq louis d’or à gagner !

    Personne ne bougea dans le groupe.

    Dix louis, dit Madeleine.

    Les assistants baissaient les yeux. Un d’eux murmura : — Il faudrait être diablement fort. Et puis, on risque de se faire écraser !

    Allons ! recommença Madeleine, vingt louis !

    Même silence.

    Ce n’est pas la bonne volonté qui leur manque, dit une voix.

    M. Madeleine se retourna, et reconnut Javert. Il ne l’avait pas aperçu en arrivant.

    Javert continua :

    C’est la force. Il faudrait être un terrible homme pour faire la chose de lever une voiture comme cela sur son dos.

    Puis regardant fixement M. Madeleine, il poursuivit en appuyant sur chacun des mots qu’il prononçait :

    Monsieur Madeleine, je n’ai jamais connu qu’un seul homme capable de faire ce que vous demandez là.

    Madeleine tressaillit.

    Javert ajouta avec un air d’indifférence, mais sans quitter des yeux Madeleine :

    C’était un forçat.

    Ah ! dit Madeleine.

    Du bagne de Toulon.

    Madeleine devint pâle.

    Cependant la charrette continuait à s’enfoncer lentement. Le père Fauchelevent râlait et hurlait :

    J’étouffe ! Ça me brise les côtes ! Un cric ! quelque chose ! Ah !

    Madeleine regarda autour de lui :

    Il n’y a donc personne qui veuille gagner vingt louis et sauver la vie à ce pauvre vieux ?

    Aucun des assistants ne remua. Javert reprit :

    Je n’ai jamais connu qu’un homme qui pût remplacer un cric, c’était ce forçat.

    Ah ! voilà que ça m’écrase ! cria le vieillard.

    Madeleine leva la tête, rencontra l’œil de faucon de Javert toujours attaché sur lui, regarda les paysans immobiles, et sourit tristement. Puis, sans dire une parole, il tomba à genoux, et avant même que la foule eût eu le temps de jeter un cri, il était sous la voiture.

    Il y eut un affreux moment d’attente et de silence.

    On vit Madeleine presque à plat ventre sous ce poids effrayant essayer deux fois en vain de rapprocher ses coudes de ses genoux. On lui cria : — Père Madeleine ! retirez-vous de là ! — Le vieux Fauchelevent lui-même lui dit : — Monsieur Madeleine ! allez-vous-en ! C’est qu’il faut que je meure, voyez-vous ! Laissez-moi ! Vous allez vous faire écraser aussi ! — Madeleine ne répondit pas.

    Les assistants haletaient. Les roues avaient continué de s’enfoncer, et il était déjà devenu presque impossible que Madeleine sortît de dessous la voiture.

    Tout à coup on vit l’énorme masse s’ébranler, la charrette se soulevait lentement, les roues sortaient à demi de l’ornière. On entendit une voix étouffée qui criait : Dépêchez-vous ! aidez ! C’était Madeleine qui venait de faire un dernier effort.

    Ils se précipitèrent. Le dévouement d’un seul avait donné de la force et du courage à tous. La charrette fut enlevée par vingt bras. Le vieux Fauchelevent était sauvé.

    Madeleine se releva. Il était blême, quoique ruisselant de sueur. Ses habits étaient déchirés et couverts de boue. Tous pleuraient. Le vieillard lui baisait les genoux et l’appelait le bon Dieu. Lui, il avait sur le visage je ne sais quelle expression de souffrance heureuse et céleste, et il fixait son œil tranquille sur Javert qui le regardait toujours.


     

    VII

    FAUCHELEVENT DEVIENT JARDINIER À PARIS


     

    Fauchelevent s’était démis la rotule dans sa chute. Le père Madeleine le fit transporter dans une infirmerie qu’il avait établie pour ses ouvriers dans le bâtiment même de sa fabrique et qui était desservie par deux sœurs de charité. Le lendemain matin, le vieillard trouva un billet de mille francs sur la table de nuit, avec ce mot de la main du père Madeleine : Je vous achète votre charrette et votre cheval. La charrette était brisée et le cheval était mort. Fauchelevent guérit, mais son genou resta ankylosé. M. Madeleine, par les recommandations des sœurs et de son curé, fit placer le bonhomme comme jardinier dans un couvent de femmes du quartier Saint-Antoine à Paris.

    Quelque temps après, M. Madeleine fut nommé maire, La première fois que Javert vit M. Madeleine revêtu de l’écharpe qui lui donnait toute autorité sur la ville, il éprouva cette sorte de frémissement qu’éprouverait un dogue qui flairerait un loup sous les habits de son maître. À partir de ce moment, il l’évita le plus qu’il put. Quand les besoins du service l’exigeaient impérieusement et qu’il ne pouvait faire autrement que de se trouver avec M. le maire, il lui parlait avec un respect profond.

    Cette prospérité créée à Montreuil-sur-Mer par le père Madeleine avait, outre les signes visibles que nous avons indiqués, un autre symptôme qui, pour n’être pas visible, n’était pas moins significatif. Ceci ne trompe jamais. Quand la population souffre, quand le travail manque, quand le commerce est nul, le contribuable résiste à l’impôt par pénurie, épuise et dépasse les délais, et l’état dépense beaucoup d’argent en frais de contrainte et de rentrée. Quand le travail abonde, quand le pays est heureux et riche, l’impôt se paye aisément et coûte peu à l’état. On peut dire que la misère et la richesse publiques ont un thermomètre infaillible, les frais de perception de l’impôt. En sept ans, les frais de perception de l’impôt s’étaient réduits des trois quarts dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, ce qui faisait fréquemment citer cet arrondissement entre tous par M. de Villèle, alors ministre des finances.

    Telle était la situation du pays, lorsque Fantine y revint. Personne ne se souvenait plus d’elle. Heureusement la porte de la fabrique de M. Madeleine était comme un visage ami. Elle s’y présenta, et fut admise dans l’atelier des femmes. Le métier était tout nouveau pour Fantine, elle n’y pouvait être bien adroite, elle ne tirait donc de sa journée de travail que peu de chose, mais enfin cela suffisait, le problème était résolu, elle gagnait sa vie.


     

    VIII

    MADAME VICTURNIEN DÉPENSE TRENTE-CINQ FRANCS POUR LA MORALE


     

    Quand Fantine vit qu’elle vivait, elle eut un moment de joie. Vivre honnêtement de son travail, quelle grâce du ciel ! Le goût du travail lui revint vraiment. Elle acheta un miroir, se réjouit d’y regarder sa jeunesse, ses beaux cheveux et ses belles dents, oublia beaucoup de choses, ne songea plus qu’à sa Cosette et à l’avenir possible, et fut presque heureuse. Elle loua une petite chambre et la meubla à crédit sur son travail futur ; reste de ses habitudes de désordre.

    Ne pouvant pas dire qu’elle était mariée, elle s’était bien gardée, comme nous l’avons déjà fait entrevoir, de parler de sa petite fille.

    En ces commencements, on l’a vu, elle payait exactement les Thénardier. Comme elle ne savait que signer, elle était obligée de leur écrire par un écrivain public.

    Elle écrivait souvent. Cela fut remarqué. On commença à dire tout bas dans l’atelier des femmes que Fantine « écrivait des lettres » et qu’ « elle avait des allures ».

    Il n’y à rien de tel pour épier les actions des gens que ceux qu’elles ne regardent pas. — Pourquoi ce monsieur ne vient-il jamais qu’à la brune ? pourquoi monsieur un tel n’accroche-t-il jamais sa clef au clou le jeudi ? pourquoi prend-il toujours les petites rues ? pourquoi madame descend-elle toujours de son fiacre avant d’arriver à la maison ? pourquoi envoie-t-elle acheter un cahier de papier à lettres, quand elle en a « plein sa papeterie » ? etc., etc. — Il existe des êtres qui, pour connaître le mot de ces énigmes, lesquelles leur sont du reste parfaitement indifférentes, dépensent plus d’argent, prodiguent plus de temps, se donnent plus de peine qu’il n’en faudrait pour dix bonnes actions ; et cela gratuitement, pour le plaisir, sans être payés de la curiosité autrement que par la curiosité. Ils suivront celui-ci ou celle-là des jours entiers, feront faction des heures à des coins de rue, sous des portes d’allées, la nuit, par le froid et par la pluie, corrompront des commissionnaires, griseront des cochers de fiacre et des laquais, achèteront une femme de chambre, feront acquisition d’un portier. Pourquoi ? pour rien. Pur acharnement de voir, de savoir et de pénétrer. Pure démangeaison de dire. Et souvent ces secrets connus, ces mystères publiés, ces énigmes éclairées du grand jour, entraînent des catastrophes, des duels, des faillites, des familles ruinées, des existences brisées, à la grande joie de ceux qui ont « tout découvert » sans intérêt et par pur instinct. Chose triste.

    Certaines personnes sont méchantes uniquement par besoin de parler. Leur conversation, causerie dans le salon, bavardage dans l’antichambre, est comme ces cheminées qui usent vite le bois ; il leur faut beaucoup de combustible ; et le combustible, c’est le prochain.

    On observa donc Fantine,

    Avec cela, plus d’une était jalouse de ses cheveux blonds et de ses dents blanches.

    On constata que dans l’atelier, au milieu des autres, elle se détournait souvent pour essuyer une larme. C’étaient les moments où elle songeait à son enfant, peut-être aussi à l’homme qu’elle avait aimé.

    C’est un douloureux labeur que la rupture des sombres attaches du passé.

    On constata qu’elle écrivait, au moins deux fois par mois, toujours à la même adresse, et qu’elle affranchissait la lettre. On parvint à se procurer l’adresse : Monsieur, Monsieur Thénardier, aubergiste, à Montfermeil. On fit jaser au cabaret l’écrivain public, vieux bonhomme qui ne pouvait pas emplir son estomac de vin rouge sans vider sa poche aux secrets. Bref, on sut que Fantine avait un enfant. « Ce devait être une espèce de fille. » Il se trouva une commère qui fit le voyage de Montfermeil, parla aux Thénardier, et dit à son retour : Pour mes trente-cinq francs, j’en ai eu le cœur net. J’ai vu l’enfant !

    La commère qui fit cela était une gorgone appelée madame Victurnien, gardienne et portière de la vertu de tout le monde. Madame Victurnien avait cinquante-six ans, et doublait le masque de la laideur du masque de la vieillesse. Voix chevrotante, esprit capricant. Cette vieille femme avait été jeune, chose étonnante. Dans sa jeunesse, en plein 93, elle avait épousé un moine échappé du cloître en bonnet rouge et passé des bernardins aux jacobins. Elle était sêche, rêche, revêche, pointue, épineuse, presque venimeuse ; tout en se souvenant de son moine dont elle était veuve, et qui l’avait fort domptée et pliée. C’était une ortie où l’on voyait le froissement du froc. À la restauration, elle s’était faite bigote, et si énergiquement que les prêtres lui avaient pardonné son moine. Elle avait un petit bien qu’elle léguait bruyamment à une communauté religieuse. Elle était fort bien vue à l’évêché d’Arras. Cette madame Victurnien donc alla à Montfermeil et revint en disant : J’ai vu l’enfant.

    Tout cela prit du temps. Fantine était depuis plus d’un an à la fabrique, lorsqu’un matin la surveillante de l’atelier lui remit, de la part de M. le maire, cinquante francs, en lui disant qu’elle ne faisait plus partie de l’atelier et en l’engageant, de la part de M. le maire, à quitter le pays.

    C’était précisément dans ce même mois que les Thénardier, après avoir demandé douze francs au lieu de six, venaient d’exiger quinze francs au lieu de douze.

    Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s’en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette. Elle balbutia quelques mots suppliants. La surveillante lui signifia qu’elle eût à sortir sur-le-champ de l’atelier. Fantine n’était du reste qu’une ouvrière médiocre. Accablée de honte plus encore que de désespoir, elle quitta l’atelier et rentra dans sa chambre. Sa faute était donc maintenant connue de tous !

    Elle ne se sentit plus la force de dire un mot. On lui conseilla de voir M. le maire ; elle n’osa pas. M. le maire lui donnait cinquante francs, parce qu’il était bon, et la chassait, parce qu’il était juste. Elle plia sous cet arrêt.


     

    IX

    SUCCÈS DE MADAME VICTURNIEN


     

    La veuve du moine fut donc bonne à quelque chose.

    Du reste ; M. Madeleine n’avait rien su de tout cela. Ce sont là de ces combinaisons d’événements dont la vie est pleine. M. Madeleine avait pour habitude de n’entrer presque jamais dans l’atelier des femmes. Il avait mis à la tête de cet atelier une vieille fille que le curé lui avait donnée, et il avait toute confiance dans cette surveillante, personne vraiment respectable, ferme, équitable, intègre, remplie de la charité qui consiste à donner, mais n’ayant pas au même degré la charité qui consiste à comprendre et à pardonner. M. Madeleine se remettait de tout sur elle. Les meilleurs hommes sont souvent forcés de déléguer leur autorité. C’est dans cette pleine puissance et avec la conviction qu’elle faisait bien, que la surveillante avait instruit le procès, jugé, condamné et exécuté Fantine.

    Quant aux cinquante francs, elle les avait donnés sur une somme que M. Madeleine lui confiait pour aumônes et secours aux ouvrières et dont elle ne rendait pas compte.

    Fantine s’offrit comme servante dans le pays ; elle alla d’une maison à l’autre. Personne ne voulut d’elle. Elle n’avait pu quitter la ville. Le marchand fripier auquel elle devait ses meubles, quels meubles ! lui avait dit : Si vous vous en allez, je vous fais arrêter comme voleuse. Le propriétaire auquel elle devait son loyer, lui avait dit : Vous êtes jeune et jolie, vous pouvez payer. Elle partagea les cinquante francs entre le propriétaire et le fripier, rendit au marchand les trois quarts de son mobilier, ne garda que le nécessaire, et se trouva sans travail, sans état, n’ayant plus que son lit, et devant encore environ cent francs.

    Elle se mit à coudre de grosses chemises pour les soldats de la garnison, et gagnait douze sous par jour. Sa fille lui en coûtait dix. C’est en ce moment qu’elle commença à mal payer les Thénardier.

    Cependant une vieille femme qui lui allumait sa chandelle quand elle rentrait le soir, lui enseigna l’art de vivre dans la misère. Derrière vivre de peu, il y a vivre de rien. Ce sont deux chambres ; la première est obscure, la seconde est noire.

    Fantine apprit comment on se passe tout à fait de feu en hiver, comment on renonce à un oiseau qui vous mange un liard de millet tous les deux jours, comment on fait de son jupon sa couverture et de sa couverture son jupon, comment on ménage sa chandelle en prenant son repas à la lumière de la fenêtre d’en face. On ne sait pas tout ce que certains êtres faibles, qui ont vieilli dans le dénûment et l’honnêteté, savent tirer d’un sou. Cela finit par être un talent. Fantine acquit ce sublime talent et reprit un peu de courage.

    À celle époque, elle disait à une voisine : — Bah ! je me dis : en ne dormant que cinq heures et en travaillant tout le reste à mes coutures, je parviendrai bien toujours à gagner à peu près du pain. Et puis, quand on est triste, on mange moins. Eh bien ! des souffrances, des inquiétudes, un, peu de pain d’un côté, des chagrins de l’autre, tout cela me nourrira.

    Dans cette détresse, avoir sa petite fille eût été un étrange bonheur. Elle songea à la faire venir. Mais quoi ! lui faire partager son dénûment ! Et puis, elle devait aux Thénardier ! comment s’acquitter ? Et le voyage ! comment le payer ?

    La vieille qui lui avait donné ce qu’on pourrait appeler des leçons de vie indigente, était une sainte fille nommée Marguerite, dévote de la bonne dévotion, pauvre, et charitable pour les pauvres et même pour les riches, sachant tout juste assez écrire pour signer Margeritte, et croyant en Dieu, ce qui est la science.

    Il y a beaucoup de ces vertus-là en bas ; un jour elles seront en haut. Cette vie a un lendemain.

    Dans les premiers temps, Fantine avait été si honteuse qu’elle n’avait pas osé sortir.

    Quand elle était dans la rue, elle devinait qu’on se retournait derrière elle et qu’on la montrait du doigt ; tout le monde la regardait et personne ne la saluait ; le mépris âcre et froid des passants lui pénétrait dans la chair et dans l’âme comme une bise.

    Dans les petites villes, il semble qu’une malheureuse soit nue sous le sarcasme et la curiosité de tous. À Paris, du moins, personne ne vous connaît, et cette obscurité est un vêtement. Oh ! comme elle eût souhaité venir à Paris ! Impossible.

    Il fallut bien s’accoutumer à la déconsidération, comme elle s’était accoutumée à l’indigence. Peu à peu elle en prit son parti. Après deux ou trois mois elle secoua la honte et se mit à sortir comme si de rien n’était. — Cela m’est bien égal, dit-elle. Elle alla et vint, la tête haute, avec un sourire amer, et sentit qu’elle devenait effrontée.

    Madame Victurnien quelquefois la voyait passer de sa fenêtre, remarquait la détresse de « cette créature », grâce à elle « remise à sa place », et se félicitait. Les méchants ont un bonheur noir.

    L’excès du travail fatiguait Fantine, et là petite toux sèche qu’elle avait augmenta. Elle disait quelquefois à sa voisine : — Tâtez donc comme mes mains sont chaudes.

    Cependant le matin, quand elle peignait avec un vieux peigne cassé ses beaux cheveux qui ruisselaient comme de la soie floche, elle avait une minute de coquetterie heureuse.


     

    X

    SUITE DU SUCCÈS


     

    Elle avait été congédiée vers la fin de l’hiver ; l’été se passa, mais l’hiver revint. Jours courts, moins de travail. L’hiver, point de chaleur, point de lumière, point de midi, le soir touche au matin, brouillard, crépuscule, la fenêtre est grise, on n’y voit pas clair. Le ciel est un soupirail. Toute la journée est une cave. Le soleil a l’air d’un pauvre. L’affreuse saison ! L’hiver change en pierre l’eau du ciel et le cœur de l’homme. Ses créanciers la harcelaient.

    Fantine gagnait trop peu. Ses dettes avaient grossi. Les Thénardier, mal payés, lui écrivaient à chaque instant des lettres dont le contenu la désolait et dont le port la ruinait. Un jour ils lui écrivirent que sa petite Cosette était toute nue par le froid qu’il faisait, qu’elle avait besoin d’une jupe de laine, et qu’il fallait au moins que la mère envoyât dix francs pour cela. Elle reçut la lettre et la froissa dans ses mains tout le jour. Le soir elle entra chez un barbier qui habitait le coin de la rue, et défit son peigne. Ses admirables cheveux blonds lui tombèrent jusqu’aux reins.

    Les beaux cheveux ! s’écria le barbier.

    Combien m’en donneriez-vous ? dit-elle.

    Dix francs.

    Coupez-les.

    Elle acheta une jupe de tricot et l’envoya aux Thénardier.

    Cette jupe fit les Thénardier furieux. C’était de l’argent qu’ils voulaient. Ils donnèrent la jupe à Éponine. La pauvre Alouette continua de frissonner.

    Fantine pensa : — Mon enfant n’a plus froid. Je l’ai habillée de mes cheveux. — Elle mettait de petits bonnets ronds qui cachaient sa tête tondue et avec lesquels elle était encore jolie.

    Un travail ténébreux se faisait dans le cœur de Fantine. Quand elle vit qu’elle ne pouvait plus se coiffer, elle commença à tout prendre en haine autour d’elle. Elle avait longtemps partagé la vénération de tous pour le père Madeleine ; cependant, à force de se répéter que c’était lui qui l’avait chassée, et qu’il était la cause de son malheur, elle en vint à le haïr lui aussi, lui surtout. Quand elle passait devant la fabrique aux heures où les ouvriers sont sur la porte, elle affectait de rire et de chanter.

    Une vieille ouvrière qui la vit une fois chanter et rire de cette façon dit : — Voilà une fille qui finira mal.

    Elle prit un amant, le premier venu, un homme qu’elle n’aimait pas, par bravade, avec la rage dans le cœur. C’était un misérable, une espèce de musicien mendiant, un oisif gueux, qui la battait, et qui la quitta comme elle l’avait pris, avec dégoût.

    Elle adorait son enfant.

    Plus elle descendait, plus tout devenait sombre autour d’elle, plus ce petit ange rayonnait dans le fond de son âme. Elle disait : Quand je serai riche, j’aurai ma Cosette avec moi ; et elle riait. La toux ne la quittait pas, et elle avait des sueurs dans le dos.

    Un jour elle reçut des Thénardier une lettre ainsi conçue : « Cosette est malade d’une maladie qui est dans le pays. Une fièvre miliaire, qu’ils appellent. Il faut des drogues chères. Cela nous ruine et nous ne pouvons plus payer. Si vous ne nous envoyez pas quarante francs avant huit jours, la petite est morte. »

    Elle se mit à rire aux éclats, et elle dit à sa vieille voisine : — Ah ! ils sont bons ! quarante francs ! que ça ! ça fait deux napoléons ! Où veulent-ils que je les prenne ? Sont-ils bêtes ces paysans !

    Cependant elle alla dans l’escalier près d’une lucarne et relut cette lettre. Puis elle descendit l’escalier et sortit en courant et en sautant, riant toujours.

    Quelqu’un qui la rencontra lui dit — Qu’est-ce que vous avez donc à être si gaie ?

    Elle répondit : — C’est une bonne bêtise que viennent de m’écrire des gens de la campagne. Ils me demandent quarante francs. Paysans, va !

    Comme elle passait sur la place, elle vit beaucoup de monde qui entourait une voiture de forme bizarre, sur l’impériale de laquelle pérorait tout debout un homme vêtu de rouge. C’était un bateleur dentiste en tournée, qui offrait au public des râteliers complets, des opiats, des poudres et des élixirs.

    Fantine se mêla au groupe et se mit à rire comme les autres de cette harangue où il y avait de l’argot pour la canaille et du jargon pour les gens comme il faut. L’arracheur de dents vit cette belle fille qui riait, et s’écria tout à coup : — Vous avez de jolies dents, la fille qui riez là. Si vous voulez me vendre vos deux palettes, je vous donne de chaque un napoléon d’or.

    Qu’est-ce que c’est que ça, mes palettes ? demanda Fantine.

    Les palettes, reprit le professeur dentiste, c’est les dents de devant, les deux d’en haut.

    Quelle horreur ! s’écria Fantine,

    Deux napoléons ! grommela une vieille édentée qui était là. Qu’en voilà une qui est heureuse !

    Fantine s’enfuit et se boucha les oreilles pour ne pas entendre la voix enrouée de l’homme qui lui criait : — Ré fléchissez, la belle ! deux napoléons, ça peut servir. Si le cœur vous en dit, venez ce soir à l’auberge du Tillac d’argent, vous m’y trouverez.

    Fantine rentra, elle était furieuse et conta la chose à sa bonne voisine Marguerite : — Comprenez-vous ? ne voilà-t-il pas un abominable homme ? comment laisse-t-on des gens comme cela aller dans le pays ! M’arracher mes deux dents de devant ! mais je serais horrible ! Les cheveux repoussent, mais les dents ! Ah ! le monstre d’homme ! j’aimerais mieux me jeter d’un cinquième la tête la première sur le pavé ! Il m’a dit qu’il serait ce soir au Tillac d’argent.

    Et qu’est-ce qu’il offrait ? demanda Marguerite.

    Deux napoléons.

    Cela fait quarante francs.

    Oui, dit Fantine, cela fait quarante francs.

    Elle resta pensive, et se mit à son ouvrage. Au bout d’un quart d’heure, elle quitta sa couture et alla relire la lettre des Thénardier sur l’escalier.

    En rentrant, elle dit à Marguerite qui travaillait près d’elle :

    Qu’est-ce que c’est donc cela une fièvre miliaire ? Savez-vous ?

    Oui, répondit la vieille fille, c’est une maladie.

    Ça a donc besoin de beaucoup de drogues ?

    Oh ! des drogues terribles.

    Où ça vous prend-il ?

    C’est une maladie qu’on a comme ça.

    Cela attaque donc les enfants ?

    Surtout les enfants.

    Est-ce qu’on en meurt ?

    Très bien, dit Marguerite.

    Fantine sortit et alla encore une fois relire la lettre sur l’escalier.

    Le soir elle descendit et on là vit qui se dirigeait du côté de la rue de Paris où sont les auberges.

    Le lendemain matin, comme Marguerite entrait dans la chambre de Fantine avant le jour, car elles travaillaient toujours ensemble et de cette façon n’allumaient qu’une chandelle pour deux, elle trouva Fantine assise sur son fil, pâle, glacée. Elle ne s’était pas couchée. Son bonnet était tombé sur ses genoux. La chandelle avait brûlé toute la nuit et était presque entièrement consumée.

    Marguerite s’arrêta sur le seuil, pétrifiée de cet énorme désordre, et s’écria :

    Seigneur ! la chandelle qui est toute brûlée ! il s’est passé des événements !

    Puis elle regarda Fantine qui tournait vers elle sa tête sans cheveux.

    Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans,

    Jésus ! fit Marguerite, qu’est-ce que vous avez, Fantine ?

    Je n’ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente.

    En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons qui brillaient sur la table.

    Ah, Jésus Dieu ! dit Marguerite. Mais c’est une fortune ! Où avez-vous eu ces louis d’or ?

    Je les ai eus, répondit Fantine.

    En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C’était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.

    Les deux dents étaient arrachées.

    Elle envoya les quarante francs à Montfermeil.

    Du reste c’était une ruse des Thénardier pour avoir de l’argent. Cosette n’était pas malade.

    Fantine jeta son miroir par la fenêtre. Depuis longtemps elle avait quitté sa cellule du second pour une mansarde fermée d’un loquet sous le toit ; un de ces galetas dont le plafond fait angle avec le plancher et vous heurte à chaque instant la tête. Le pauvre ne peut aller au fond de sa chambre comme au fond de sa destinée qu’en se courbant de plus en plus. Elle n’avait plus de lit, il lui restait une loque qu’elle appelait sa couverture, un matelas à terre et une chaise dépaillée. Un petit rosier qu’elle avait s’était desséché dans un coin, oublié. Dans l’autre coin, il y avait un pot à beurre à mettre l’eau, qui gelait l’hiver, et où les différents niveaux de l’eau restaient longtemps marqués par des cercles de glace. Elle avait perdu la honte, elle perdit la coquetterie. Dernier signe. Elle sortait avec des bonnets sales. Soit faute de temps, soit indifférence, elle ne raccommodait plus son linge. À mesure que les talons s’usaient, elle tirait ses bas dans ses souliers. Cela se voyait à de certains plis perpendiculaires. Elle rapiéçait son corset, vieux et usé, avec des morceaux de calicot qui se déchiraient au moindre mouvement. Les gens auxquels elle devait lui fai saient « des scènes », et ne lui laissaient aucun repos. Elle les trouvait dans la rue, elle les retrouvait dans son escalier. Elle passait des nuits à pleurer et à songer. Elle avait les yeux très brillants, et elle sentait une douleur fixe dans l’épaule, vers le haut de l’omoplate gauche. Elle toussait beaucoup. Elle haïssait profondément le père Madeleine, et ne se plaignait pas. Elle cousait dix-sept heures par jour ; mais un entrepreneur du travail des prisons qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu, coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite ; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait. — Cent francs, songea Fantine. Mais où y a-t-il un état à gagner cent sous par jour ?

    Allons! dit-elle, vendons le reste.

    L’infortunée se fit fille publique.


     

    XI

    CHRISTUS NOS LIBERAVIT


     

    Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? C’est la société achetant une esclave.

    À qui ? À la misère.

    À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte.

    La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore. On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.

    Il pèse sur la femme, c’est-à-dire sur la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité. Ceci n’est pas une des moindres hontes de l’homme.

    Au point de ce douloureux drame où nous sommes arrivés, il ne reste plus rien à Fantine de ce qu’elle a été autrefois. Elle est devenue marbre en devenant boue. Qui la touche a froid. Elle passe, elle vous subit, et elle vous ignore ; elle est la figure déshonorée et sévère. La vie et l’ordre social lui ont dit leur dernier mot. Il lui est arrivé tout ce qui lui arrivera. Elle a tout ressenti, tout supporté, tout éprouvé, tout souffert, tout perdu, tout pleuré. Elle est résignée de cette résignation qui ressemble à l’indifférence comme la mort ressemble au sommeil. Elle n’évite plus rien. Elle ne craint plus rien. Tombe sur elle toute la nuée et passe sur elle tout l’océan ! que lui importe ! c’est une éponge imbibée.

    Elle le croit du moins, mais c’est une erreur de s’imaginer qu’on épuise le sort et qu’on touche le fond de quoi que ce soit.

    Hélas ! qu’est-ce que toutes ces destinées ainsi poussées pêle-mêle ? où vont-elles ? pourquoi sont-elles ainsi ?

    Celui qui sait cela voit toute l’ombre.

    Il est seul. Il s’appelle Dieu.


     

    XII

    LE DÉSŒUVREMENT DE M. BAMATABOIS


     

    Il y a dans toutes les petites villes, et il y avait à Montreuil-sur-Mer en particulier, une classe de jeunes gens qui grignotent quinze cents livres de rente en province du même air dont leurs pareils dévorent à Paris deux cent mille francs par an. Ce sont des êtres de la grande espèce neutre ; hongres, parasites, nuls, qui ont un peu de terre, un peu de sottise et un peu d’esprit, qui seraient des rustres dans un salon et se croient des gentilshommes au cabaret, qui disent : mes prés, mes bois, mes paysans, sifflent les actrices du théâtre pour prouver que ce sont des gens de goût, querellent les officiers de la garnison pour montrer qu’ils sont gens de guerre, chassent, fument, bâillent, boivent, sentent le tabac, jouent au billard, regardent les voyageurs descendre de diligence, vivent au café, dînent à l’auberge, ont un chien qui mange les os sous la table et une maîtresse qui pose les plats dessus, tiennent à un sou, exagèrent les modes, admirent la tragédie, méprisent les femmes, usent leurs vieilles bottes, copient Londres à travers Paris et Paris à travers Pont-à-Mousson, vieillissent hébétés, ne travaillent pas, ne servent à rien, et ne nuisent pas à grand’chose.

    M. Félix Tholomyès, resté dans sa province et n’ayant jamais vu Paris, serait un de ces hommes-là.

    S’ils étaient plus riches, on dirait : ce sont des élégants ; s’ils étaient plus pauvres, on dirait : ce sont des fainéants. Ce sont tout simplement des désœuvrés. Parmi ces désœuvrés, il y a des ennuyeux, des ennuyés, des rêvasseurs et quelques drôles.

    Dans ce temps-là, un élégant se composait d’un grand col, d’une grande cravate, d’une montre à breloques, de trois gilets superposés de couleur différentes, le bleu et le rouge en dedans, d’un habit couleur olive à taille courte, à queue de morue, à double rangée de boutons d’argent serrés les uns contre les autres et montant jusque sur l’épaule, et d’un pantalon olive plus clair, orné sur les deux coulures d’un nombre de côtes indéterminé, mais toujours impair, variant de une à onze, limite qui n’était jamais franchie. Ajoutez à cela des souliers-bottes avec de petits fers au talon, un chapeau à haute forme et à bords étroits, des cheveux en touffe, une énorme canne, et une conversation rehaussée des calembours de Potier. Sur le tout des éperons et des moustaches. À cette époque, des moustaches voulaient dire bourgeois et des éperons voulaient dire piéton.

    L’élégant de province portait les éperons plus longs et les moustaches plus farouches.

    C’était le temps de la lutte des républiques de l’Amérique méridionale contre le roi d’Espagne, de Bolivar contre Mo rillo. Les chapeaux à petits bords étaient royalistes et se nommaient des morillos ; les libéraux portaient des chapeaux à larges bords qui s’appelaient des bolivars.

    Huit ou dix mois donc après ce qui a été raconté dans les pages précédentes, vers les premiers jours de janvier 1823, un soir qu’il avait neigé, un de ces élégants, un de ces désœuvrés, un « bien pensant », car il avait un morillo, de plus chaudement enveloppé d’un de ces grands manteaux qui complétaient dans les temps froids le costume à la mode, se divertissait à harceler une créature qui rôdait en robe de bal et toute décolletée avec des fleurs sur la tête devant la vitre du café des officiers. Cet élégant fumait, car c’était décidément la mode.

    Chaque fois que celle femme passait devant lui, il lui jetait, avec une bouffée de la fumée de son cigare, quelque apostrophe qu’il croyait spirituelle et gaie, comme : — Que tu es laide ! — Veux-tu te cacher ! — Tu n’as pas de dents ! etc., etc. — Ce monsieur s’appelait monsieur Bamatabois. La femme, triste spectre paré qui allait et venait sur la neige, ne lui répondait pas, ne le regardait même pas, et n’en accomplissait pas moins en silence et avec une régularité sombre sa promenade qui la ramenait de cinq minutes en cinq minutes sous le sarcasme, comme le soldat condamné qui revient sous les verges. Ce peu d’effet piqua sans doute l’oisif qui, profitant d’un moment où elle se retournait, s’avança derrière elle à pas de loup et en étouffant son rire, se baissa, prit sur le pavé une poignée de neige et la lui plongea brusquement dans le dos entre ses deux épaules nues. La fille poussa un rugissement, se tourna, bondit comme une panthère, et se rua sur l’homme, lui enfonçant ses ongles dans le visage, avec les plus effroyables paroles qui puissent tomber du corps de garde dans le ruisseau. Ces injures, vomies d’une voix enrouée par l’eau-de-vie, sortaient hideusement d’une bouche à laquelle manquaient en effet les deux dents de devant. C’était la Fantine.

    Au bruit que cela fit, les officiers sortirent en foule du café, les passants s’amassèrent, et il se forma un grand cercle riant, huant et applaudissant, autour de ce tourbillon composé de deux êtres où l’on avait peine à reconnaître un homme et une femme, l’homme se débattant, son chapeau à terre, la femme frappant des pieds et des poings, décoiffée, hurlant, sans dents et sans cheveux, livide de colère, horrible.

    Tout à coup un homme de haute taille sortit vivement de la foule, saisit la femme à son corsage de satin couvert de boue, et lui dit : — Suis moi !

    La femme leva la tête; sa voix furieuse s’éteignit subitement, Ses yeux étaient vitreux, de livide elle était devenue pâle, et elle tremblait d’un tremblement de terreur. Elle avait reconnu Javert.

    L’élégant avait profité de l’incident pour s’esquiver.


     

    XIII

    SOLUTION DE QUELQUES QUESTIONS DE POLICE MUNICIPALE


     

    Javert écarta les assistants, rompit le cercle et se mit à marcher à grands pas vers le bureau de police qui est à l’extrémité de la place, traînant après lui la misérable. Elle se laissait faire machinalement. Ni lui, ni elle ne disaient un mot. La nuée des spectateurs, au paroxysme de la joie, suivait avec des quolibets. La suprême misère, occasion d’obscénités.

    Arrivé au bureau de police qui était une salle basse chauffée par un poêle et gardée par un poste, avec une porte vitrée et grillée sur la rue, Javert ouvrit la porte, entra avec la Fantine, et referma la porte derrière lui, au grand désappointement des curieux qui se haussèrent sur la pointe du pied et allongèrent le cou devant la vitre trouble du corps de garde, cherchant à voir. La curiosité est une gourmandise. Voir, c’est dévorer.

    En entrant, la Fantine alla tomber dans un coin, immobile et muette, accroupie comme une chienne qui a peur.

    Le sergent du poste apporta une chandelle allumée sur une table. Javert s’assit, tira de sa poche une feuille de papier timbré et se mit à écrire.

    Ces classes de femmes sont entièrement remises par nos lois à la discrétion de la police. Elle en fait ce qu’elle veut, les punit comme bon lui semble, et confisque à son gré ces deux tristes choses qu’elles appellent leur industrie et leur liberté. Javert était impassible ; son visage sérieux ne trahissait aucune émotion. Pourtant il était gravement et profondément préoccupé. C’était un de ces moments où il exerçait sans contrôle, mais avec tous les scrupules d’une conscience sévère, son redoutable pouvoir discrétionnaire. En cet instant, il le sentait, son escabeau d’agent de police était un tribunal. Il jugeait. Il jugeait et il condamnait. Il appelait tout ce qu’il pouvait avoir d’idées dans l’esprit autour de la grande chose qu’il faisait. Plus il examinait le fait de cette fille, plus il se sentait révolté. Il était évident qu’il venait de voir commettre un crime. Il venait de voir, là dans la rue, la société, représentée par un propriétaire- électeur, insultée et attaquée par une créature en dehors de tout. Une prostituée avait attenté à un bourgeois. Il avait vu cela, lui Javert. Il écrivait en silence.

    Quand il eut fini, il signa, plia le papier et dit au sergent du poste, en le lui remettant : — Prenez trois hommes, et menez celle fille au bloc. — Puis se tournant vers la Fantine : — Tu en as pour six mois.

    La malheureuse tressaillit.

    Six mois ! six mois de prison ! cria-t-elle. Six mois à gagner sept sous par jour ! Mais que deviendra Cosette ? ma ma fille ! ma fille ! Mais je dois encore plus de cent francs aux Thénardier, monsieur l’inspecteur, savez-vous cela ?

    Elle se traîna sur la dalle mouillée par les bottes boueuses de tous ces hommes, sans se lever, joignant les mains, faisant de grands pas avec ses genoux.

    Monsieur Javert, dit-elle, je vous demande grâce. Je vous assure que je n’ai pas eu tort. Si vous aviez vu le commencement, vous auriez vu ! je vous jure le bon Dieu que je n’ai pas eu tort. C’est ce monsieur le bourgeois que je ne connais pas qui m’a mis de la neige dans le dos. Est-ce qu’on a le droit de nous mettre de la neige dans le dos quand nous passons comme cela tranquillement sans faire de mal à personne ? Cela m’a saisie. Je suis un peu malade, voyez-vous ! Et puis il y avait déjà un peu de temps qu’il me disait des raisons. Tu es laide ! tu n’as pas de dents ! Je ne faisais rien, moi ; je disais : c’est un monsieur qui s’amuse. J’étais honnête avec lui, je ne lui parlais pas. C’est à cet instant-là qu’il m’a mis de la neige. Monsieur Javert, mon bon monsieur l’inspecteur ! est-ce qu’il n’y a personne là qui ait vu, pour vous dire que c’est bien vrai ! J’ai peut-être eu tort de me fâcher. Vous savez, dans le premier moment, on n’est pas maître. On a des vivacités. Et puis, quelque chose de si froid qu’on vous met dans le dos à l’heure que vous ne vous y attendez pas. J’ai eu tort d’abîmer le chapeau de ce monsieur. Pourquoi s’est-il en allé ? je lui demanderais pardon. Oh ! mon Dieu, cela me serait bien égal de lui demander pardon. Faites-moi grâce pour aujourd’hui cette fois, monsieur Javert. Tenez, vous ne savez pas ça, dans les prisons on ne gagne que sept sous, ce n’est pas la faute du gouvernement, mais on gagne sept sous, et figurez-vous que j’ai cent francs à payer, ou autrement on me renverra ma petite. Ô mon Dieu ! je ne peux pas l’avoir avec moi. C’est si vilain ce que je fais ! Ô ma Cosette, ô mon petit ange de la bonne sainte vierge, qu’est-ce qu’elle deviendra, pauvre loup ! Je vais vous dire, c’est les Thénardier, des aubergistes, des paysans, ça n’a pas de raisonnement. Il leur faut de l’argent. Ne me mettez pas en prison ! Voyez-vous, c’est une petite qu’on mettrait à même sur la grande route, va comme tu pourras, en plein cœur d’hiver, il faut avoir pitié de cette chose-là, mon bon monsieur Javert. Si c’était plus grand, ça gagnerait sa vie, mais ça ne peut pas, à ces âges-là. Je ne suis pas une mauvaise femme au fond. Ce n’est pas la lâcheté et la gourmandise qui ont fait de moi ça. J’ai bu de l’eau-de-vie, c’est par misère. Je ne l’aime pas, mais cela étourdit. Quand j’étais plus heureuse, on n’aurait eu qu’à regarder dans mes armoires, on aurait bien vu que je n’étais pas une femme coquette qui a du désordre. J’avais du linge, beaucoup de linge. Ayez pitié de moi, monsieur Javert !

    Elle parlait ainsi, brisée en deux, secouée par les sanglots, aveuglée par les larmes, la gorge nue, se tordant les mains, toussant d’une voix sèche et courte, balbutiant tout doucement avec la voix de l’agonie. La grande douleur est un rayon divin et terrible qui transfigure les misérables. À ce moment-là, la Fantine était redevenue belle. À de certains instants, elle s’arrêtait et baisait tendrement le bas de la redingote du mouchard. Elle eût attendri un cœur de granit ; mais on n’attendrit pas un cœur de bois.

    Allons ! dit Javert, je t’ai écoutée. As-tu bien tout dit ? Marche à présent ! Tu as les six mois ; le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien.

    À cette solennelle parole, le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien, elle comprit que l’arrêt était prononcé. Elle s’affaissa sur elle-même en murmurant :

    Grâce !

    Javert tourna le dos.

    Les soldats la saisirent par le bras.

    Depuis quelques minutes, un homme était entré sans qu’on eût pris garde à lui. Il avait refermé la porte, s’y était adossé, et avait entendu les prières désespérées de la Fantine.

    Au moment où les soldats mirent la main sur la malheureuse, qui ne voulait pas se lever, il fit un pas, sortit de l’ombre, et dit :

    Un instant, s’il vous plaît !

    Javert leva les yeux et reconnut M. Madeleine. Il ôta son chapeau, et saluant avec une sorte de gaucherie fâchée :

    Pardon, monsieur le maire...

    Ce mot, monsieur le maire, fit sur Fantine un effet étrange. Elle se dressa debout tout d’une pièce comme un spectre qui sort de terre, repoussa les soldats des deux bras, marcha droit à M. Madeleine avant qu’on eût pu la retenir, et le regardant fixement, l’air égaré, elle cria :

    Ah ! c’est donc toi qui es monsieur le maire !

    Puis elle éclata de rire et lui cracha au visage.

    M. Madeleine s’essuya le visage, et dit :

    Inspecteur Javert, mettez cette femme en liberté.

    Javert se sentit au moment de devenir fou. Il éprouvait en cet instant, coup sur coup, et presque mêlées ensemble, les plus violentes émotions qu’il eût ressenties de sa vie. Voir une fille publique cracher au visage d’un maire, cela était une chose si monstrueuse que, dans ses suppositions les plus effroyables, il eût regardé comme un sacrilège de le croire possible. D’un autre côté, dans le fond de sa pensée, il faisait confusément un rapprochement hideux entre ce qu’était cette femme et ce que pouvait être ce maire, et alors il entrevoyait avec horreur je ne sais quoi de tout simple dans ce prodigieux attentat. Mais quand il vit ce maire, ce magistrat, s’essuyer tranquillement le visage et dire : Mettez cette femme en liberté, il eut comme un éblouissement de stupeur ; la pensée et la parole lui manquèrent également ; la somme de l’étonnement possible était dépassée pour lui. Il resta muet.

    Ce mot n’avait pas porté un coup moins étrange à la Fantine. Elle leva son bras nu et se cramponna à la clef du poêle comme une personne qui chancelle. Cependant elle regardait tout autour d’elle et elle se mit à parler à voix basse, comme si elle se parlait à elle-même.

    En liberté ! qu’on me laisse aller ! que je n’aille pas en prison six mois ! Qui est-ce qui a dit cela ? Il n’est pas possible qu’on ait dit cela. J’ai mal entendu. Ça ne peut pas être ce monstre de maire ! Est-ce que c’est vous, mon bon monsieur Javert, qui avez dit qu’on me mette en liberté ? Oh ! voyez-vous ! je vais vous dire et vous me laisserez aller. Ce monstre de maire, ce vieux gredin de maire, c’est lui qui est cause de tout. Figurez-vous, monsieur Javert, qu’il m’a chassée ! à cause d’un tas de gueuses qui tiennent des propos dans l’atelier. Si ce n’est pas là une horreur ! renvoyer une pauvre fille qui fait honnêtement son ouvrage ! Alors je n’ai plus gagné assez, et tout le malheur est venu. D’abord il y a une amélioration que ces messieurs de la police devraient bien faire, ce serait d’empêcher les entrepreneurs des prisons de faire du tort aux pauvres gens. Je vais vous expliquer cela, voyez-vous. Vous gagnez douze sous dans les chemises, cela tombe à neuf sous, il n’y a plus moyen de vivre. Il faut donc devenir ce qu’on peut. Moi, j’avais ma petite Cosette, j’ai bien été forcée de devenir une mauvaise femme. Vous comprenez à présent que c’est ce gueux de maire qui a fait tout le mal. Après cela j’ai piétiné le chapeau de ce monsieur bourgeois devant le café des officiers. Mais lui, il m’avait perdu toute ma robe avec de la neige. Nous autres, nous n’avons qu’une robe de soie, pour le soir. Voyez-vous, je n’ai jamais fait de mal exprès, vrai, monsieur Javert, et je vois partout des femmes bien plus méchantes que moi qui sont bien plus heureuses. Ô monsieur Javert, c’est vous qui avez dit qu’on me mette dehors, n’est-ce pas ? Prenez des informations, parlez à mon propriétaire, maintenant je paye mon terme, on vous dira bien que je suis honnête. Ah ! mon Dieu, je vous demande pardon, j’ai touché, sans faire attention, à la clef du poêle, et cela fait fumer.

    M. Madeleine l’écoutait avec une attention profonde. Pendant qu’elle parlait, il avait fouillé dans son gilet, en avait tiré sa bourse et l’avait ouverte, Elle était vide. Il l’avait remise dans sa poche. Il dit à la Fantine :

    Combien avez-vous dit que vous deviez ?

    La Fantine, qui ne regardait que Javert, se retourna de son côté :

    Est-ce que je te parle, à toi !

    Puis s’adressant aux soldats :

    Dites donc, vous autres ? avez-vous vu comme je te vous lui ai craché à la figure ? Ah ! vieux scélérat de maire, tu viens ici pour me faire peur, mais je n’ai pas peur de toi. J’ai peur de monsieur Javert. J’ai peur de mon bon monsieur Javert !

    En parlant ainsi elle se retourna vers l’inspecteur :

    Avec ça, voyez-vous, monsieur l’inspecteur, il faut être juste. Je comprends que vous êtes juste, monsieur l’inspecteur. Au fait, c’est tout simple, un homme qui joue à mettre un peu de neige dans le dos d’une femme, ça les faisait rire, les officiers ; il faut bien qu’on se divertisse à quelque chose, nous autres nous sommes là pour qu’on s’amuse, quoi ! Et puis, vous, vous venez, vous êtes bien forcé de mettre l’ordre, vous emmenez la femme qui a tort, mais en y réfléchissant, comme vous êtes bon, vous dites qu’on me mette en liberté, c’est pour la petite, parce que six mois en prison, cela m’empêcherait de nourrir mon enfant. Seulement n’y reviens plus, coquine ! Oh ! je n’y reviendrai plus, monsieur Javert ! on me fera tout ce qu’on voudra maintenant, je ne bougerai plus. Seulement, aujourd’hui, voyez-vous, j’ai crié parce que cela m’a fait mal, je ne m’attendais pas du tout à cette neige de ce monsieur ; et puis, je vous ai dit, je ne me porte pas très bien, je tousse, j’ai là dans l’estomac comme une boule qui me brûle, que le médecin me dit : soignez-vous. Tenez, tâtez, donnez votre main, n’ayez pas peur, c’est ici.

    Elle ne pleurait plus, sa voix était caressante, elle appuyait sur sa gorge blanche et délicate la grosse main rude de Javert et elle le regardait en souriant.

    Tout à coup elle rajusta vivement le désordre de ses vêtements, fit retomber les plis de sa robe qui en se traînant s’était relevée presque à la hauteur du genou, et marcha vers la porte en disant à demi-voix aux soldats avec un signe de tête amical :

    Les enfants, monsieur l’inspecteur a dit qu’on me lâche, je m’en vas.

    Elle mit la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue.

    Javert jusqu’à cet instant était resté debout, immobile, l’œil fixé à terre, posé de travers au milieu de cette scène comme une statue dérangée qui attend qu’on la mette quelque part.

    Le bruit que fit le loquet le réveilla. Il releva la tête avec une expression d’autorité souveraine, expression d’autant plus effrayante que le pouvoir se trouve placé plus bas, féroce chez la bête fauve, atroce chez l’homme de rien.

    Sergent ! cria-t-il, vous ne voyez pas que cette drôlesse s’en va ! Qui est-ce qui vous a dit de la laisser aller ?

    Moi, dit Madeleine.

    La Fantine à la voix de Javert avait tremblé et lâché le loquet comme un voleur pris lâche l’objet volé. À la voix de Madeleine, elle se retourna, et à partir de ce moment, sans qu’elle prononçât un mot, sans qu’elle osât même laisser sortir son souffle librement, son regard alla tour à tour de Madeleine à Javert et de Javert à Madeleine, selon que c’était l’un ou l’autre qui parlait.

    Il était évident qu’il fallait que Javert eût été comme on dit « jeté hors des gonds » pour qu’il se fût permis d’apostropher le sergent comme il l’avait fait, après l’invitation du maire de mettre Fantine en liberté. En était-il venu à oublier la présence de monsieur le maire ? Avait-il fini par se déclarer à lui-même qu’il était impossible qu’une « autorité » eût donné un pareil ordre, et que bien certainement monsieur le maire avait dû dire sans le vouloir une chose pour une autre ? Ou bien, devant les énormités dont il était témoin depuis deux heures, se disait-il qu’il fallait revenir aux suprêmes résolutions, qu’il était nécessaire que le petit se fît grand, que le mouchard se transformât en magistrat, que l’homme de police devînt homme de justice, et qu’en cette extrémité prodigieuse l’ordre, la loi, la morale, le gouvernement, la société tout entière, se personnifiaient en lui Javert ?

    Quoi qu’il en soit, quand M. Madeleine eut dit ce moi qu’on vient d’entendre, on vit l’inspecteur de police Javert se tourner vers monsieur le maire, pâle, froid, les lèvres bleues, le regard désespéré, tout le corps agité d’un tremblement imperceptible, et, chose inouïe, lui dire, l’œil baissé, mais la voix ferme :

    Monsieur le maire, cela ne se peut pas.

    Comment ? dit M. Madeleine.

    Cette malheureuse a insulté un bourgeois.

    Inspecteur Javert, repartit M. Madeleine avec un accent conciliant et calme, écoutez. Vous êtes un honnête homme, et je ne fais nulle difficulté de m’expliquer avec vous. Voici le vrai. Je passais sur la place comme vous emmeniez cette femme, il y avait encore des groupes, je me suis informé, j’ai tout su, c’est le bourgeois qui a eu tort et qui, en bonne police, eût dû être arrêté.

    Javert reprit :

    Cette misérable vient d’insulter monsieur le maire.

    Ceci me regarde, dit M. Madeleine. Mon injure est à moi peut-être. J’en puis faire ce que je veux.

    Je demande pardon à monsieur le maire. Son injure n’est pas à lui, elle est à la justice.

    Inspecteur Javert, répliqua M. Madeleine, la première justice, c’est la conscience. J’ai entendu cette femme. Je sais ce que je fais.

    Et moi, monsieur le maire, je ne sais pas ce que je vois.

    Alors contentez-vous d’obéir.

    J’obéis à mon devoir. Mon devoir veut que cette femme fasse six mois de prison.

    M. Madeleine répondit avec douceur :

    Écoutez bien ceci. Elle n’en fera pas un jour.

    À cette parole décisive, Javert osa regarder le maire fixement, et lui dit, mais avec un son de voix toujours profondément respectueux :

    Je suis au désespoir de résister à monsieur le maire, c’est la première fois de ma vie, mais il daignera me permettre de lui faire observer que je suis dans la limite de mes attributions. Je reste, puisque monsieur le maire le veut, dans le fait du bourgeois. J’étais là. C’est cette fille qui s’est jetée sur monsieur Bamatabois, qui est électeur et propriétaire de cette belle maison à balcon qui fait le coin de l’esplanade, à trois étages et toute en pierre de taille. Enfin, il y a des choses dans ce monde ! Quoi qu’il en soit, monsieur le maire, cela, c’est un fait de police de la rue qui me regarde, et je retiens la femme Fantine.

    Alors M. Madeleine croisa les bras et dit avec une voix sévère que personne dans la ville n’avait encore entendue :

    Le fait dont vous parlez est un fait de police municipale. Aux termes des articles neuf, onze, quinze et soixante-six du code d’instruction criminelle, j’en suis juge. J’ordonne que cette femme soit mise en liberté.

    Javert voulut tenter un dernier effort.

    Mais, monsieur le maire...

    Je vous rappelle, à vous, l’article quatrevingt-un de la loi du 13 décembre 1799 sur la détention arbitraire.

    Monsieur le maire, permettez...

    Plus un mot.

    Pourtant...

    Sortez, dit M. Madeleine.

    Javert reçut le coup, debout, de face, et en pleine poitrine comme un soldat russe. Il salua jusqu’à terre monsieur le maire, et sortit.

    Fantine se rangea de la porte et le regarda avec stupeur passer devant elle.

    Cependant elle aussi était en proie à un bouleversement étrange. Elle venait de se voir en quelque sorte disputée par deux puissances opposées. Elle avait vu lutter devant ses yeux deux hommes tenant dans leurs mains sa liberté, sa vie, son âme, son enfant ; l’un de ces hommes l’attirait du côté de l’ombre, l’autre la ramenait vers la lumière. Dans cette lutte, entrevue à travers les grossissements de l’épouvante, ces deux hommes lui étaient apparus comme deux géants ; l’un parlait comme son démon, l’autre parlait comme son bon ange. L’ange avait vaincu le démon, et, chose qui la faisait frissonner de la tête aux pieds, cet ange, ce libérateur, c’était précisément l’homme qu’elle abhorrait, ce maire qu’elle avait si longtemps considéré comme l’auteur de tous ses maux, ce Madeleine ! et, au moment même où elle venait de l’insulter dune façon hideuse, il la sauvait ! S’était-elle donc trompée ? Devait-elle donc changer toute son âme ?... Elle ne savait, elle tremblait. Elle écoutait éperdue, elle regardait effarée, et à chaque parole que disait M. Madeleine, elle sentait fondre et s’écrouler en elle les affreuses ténèbres de la haine et naître dans son cœur je ne sais quoi de réchauffant et d’ineffable qui était de la joie, de la confiance et de l’amour.

    Quand Javert fut sorti, M. Madeleine se tourna vers elle, et il lui dit avec une voix lente, ayant peine à parler comme un homme sérieux qui ne veut pas pleurer :

    Je vous ai entendue. Je ne savais rien de ce que vous avez dit. Je crois que c’est vrai, et je sens que c’est vrai. J’ignorais même que vous eussiez quitté mes ateliers. Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressée à moi ? Mais voici : je payerai vos dettes, je ferai revenir votre enfant, ou vous irez la rejoindre. Vous vivrez ici, à Paris, où vous voudrez. Je me charge de votre enfant et de vous. Vous ne travaillerez plus, si vous voulez. Je vous donnerai tout l’argent qu’il vous faudra. Vous redeviendrez honnête en redevenant heureuse. Et même, écoutez, je vous le déclare dès à présent, si tout est comme vous le dites, et je n’en doute pas, vous n’avez jamais cessé d’être vertueuse et sainte devant Dieu. Oh ! pauvre femme !

    C’en était plus que la pauvre Fantine n’en pouvait supporter. Avoir Cosette ! sortir de cette vie infâme ! vivre libre, riche, heureuse, honnête, avec Cosette ! voir brusquement s’épanouir au milieu de sa misère toutes ces réalités du paradis ! Elle regarda comme hébétée cet homme qui lui parlait, et ne put que jeter deux ou trois sanglots : oh ! oh ! oh ! Ses jarrets plièrent, elle se mit à genoux devant M. Madeleine, et, avant qu’il eût pu l’en empêcher, il sentit qu’elle lui prenait la main et que ses lèvres s’y posaient.

    Puis elle s’évanouit.


     


    I

    COMMENCEMENT DU REPOS


     

    M. Madeleine fit transporter la Fantine à cette infirmerie qu’il avait dans sa propre maison. Il la confia aux sœurs qui la mirent au lit. Une fièvre ardente était survenue. Elle passa une partie de la nuit à délirer et à parler haut. Cependant elle finit par s’endormir.

    Le lendemain vers midi Fantine se réveilla, elle entendit une respiration tout près de son lit, elle écarta son rideau et vit M. Madeleine debout qui regardait quelque chose au- Il soupira profondément. Elle cependant lui souriait avec ce sublime sourire auquel il manquait deux dents.

    Javert dans cette même nuit avait écrit une lettre. Il remit lui-même cette lettre le lendemain matin au bureau de poste de Montreuil-sur-mer. Elle était pour Paris, et la suscription portait : À monsieur Chabouillet, secrétaire de monsieur le préfet de police. Comme l’affaire du corps de garde s’était ébruitée, la directrice du bureau de poste et quelques autres personnes qui virent la lettre avant le départ et qui reconnurent l’écriture de Javert sur l’adresse, pensèrent que c’était sa démission qu’il envoyait.

    M. Madeleine se hâta d’écrire aux Thénardier. Fantine leur devait cent vingt francs. Il leur envoya trois cents francs en leur disant de se payer sur cette somme, et d’amener tout de suite l’enfant à Montreuil-sur-mer où sa mère malade la réclamait.

    Ceci éblouit le Thénardier.

    Diable ! dit-il à sa femme, ne lâchons pas l’enfant. Voilà que cette mauviette va devenir une vache à lait. Je devine. Quelque jocrisse se sera amouraché de la mère.

    Il riposta par un mémoire de cinq cents et quelques francs fort bien fait. Dans ce mémoire figuraient pour plus de trois cents francs deux notes incontestables, l’une d’un médecin, l’autre d’un apothicaire, lesquels avaient soigné et médicamenté dans deux longues maladies Éponine et Azelma. Cosette, nous l’avons dit, n’avait pas été malade. Ce fut l’affaire d’une toute petite substitution de noms. Thénardier mit au bas du mémoire : Reçu à compte trois cents francs.

    M. Madeleine envoya tout de suite trois cents autres francs et écrivit : Dépêchez-vous d’amener Cosette.

    Cristi ! dit le Thénardier, ne lâchons pas l’enfant.

    Cependant Fantine ne se rétablissait point. Elle était toujours à l’infirmerie.

    Les sœurs n’avaient d’abord reçu et soigné « cette fille » qu’avec répugnance. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes est un des plus profonds instincts de la dignité féminine ; les sœurs l’avaient éprouvé, avec le redoublement qu’ajoute la religion. Mais, en peu de jours, Fantine les avait désarmées. Elle avait toutes sortes de paroles humbles et douces, et la mère qui était en elle attendrissait. Un jour les sœurs l’entendirent qui disait à travers la fièvre : — J’ai été une pécheresse, mais quand j’aurai mon enfant près de moi, cela voudra dire que Dieu m’a pardonné. Pendant que j’étais dans le mal, je n’aurais pas voulu avoir ma Cosette avec moi, je n’aurais pas pu supporter ses yeux étonnés et tristes. C’était pour elle pourtant que je faisais le mal, et c’est ce qui fait que Dieu me pardonne. Je sentirai la bénédiction du bon Dieu quand Cosette sera ici. Je la regarderai, cela me fera du bien de voir cette innocente. Elle ne sait rien du tout. C’est un ange, voyez-vous, mes sœurs. À cet âge-là, les ailes, ça n’est pas encore tombé.

    M. Madeleine l’allait voir deux fois par jour, et chaque fois elle lui demandait :

    Verrai-je bientôt ma Cosette ?

    Il lui répondait :

    Peut-être demain matin. D’un moment à l’autre elle arrivera, je l’attends.

    Et le visage pâle de la mère rayonnait.

    Oh ! disait-elle, comme je vais être heureuse !

    Nous venons de dire qu’elle ne se rétablissait pas. Au contraire, son état semblait s’aggraver de semaine en semaine. Cette poignée de neige appliquée à nu sur la peau entre les deux omoplates avait déterminé une suppression subite de transpiration à la suite de laquelle la maladie qu’elle couvait depuis plusieurs années finit par se déclarer violemment. On commençait alors à suivre pour l’étude et le traitement des maladies de poitrine les belles indications de Laënnec. Le médecin ausculta Fantine et hocha la tête.

    M. Madeleine dit au médecin :

    Eh bien ?

    N’a-t-elle pas un enfant qu’elle désire voir ? dit le médecin.

    Oui.

    Eh bien, hâtez-vous de le faire venir.

    M. Madeleine eut un tressaillement.

    Fantine lui demanda :

    Qu’a dit le médecin ?

    M. Madeleine s’efforça de sourire.

    Il a dit de faire venir bien vite votre enfant. Que cela vous rendra la santé.

    Oh ! reprit-elle, il a raison ! Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ces Thénardier à me garder ma Cosette ! Oh ! elle va venir. Voici enfin que je vois le bonheur tout près de moi !

    Le Thénardier cependant ne « lâchait pas l’enfant » et donnait cent mauvaises raisons. Cosette était un peu souffrante pour se mettre en route l’hiver. Et puis il y avait un reste de petites dettes criardes dans le pays dont il rassemblait les factures, etc., etc.

    J’enverrai quelqu’un chercher Cosette, dit le père Madeleine. S’il le faut, j’irai moi-même.

    Il écrivit sous la dictée de Fantine cette lettre qu’il lui fit signer :

    « Monsieur Thénardier,

    « Vous remettrez Cosette à la personne.

    « On vous payera toutes les petites choses.

    « J’ai l’honneur de vous saluer avec considération.

    « Fantine. »

    Sur ces entrefaites, il survint un grave incident. Nous avons beau tailler de notre mieux le bloc mystérieux dont notre vie est faite, la veine noire de la destinée y reparaît toujours.


     

    II

    COMMENT JEAN PEUT DEVENIR CHAMP


     

    Un matin, M. Madeleine était dans son cabinet, occupé à régler d’avance quelques affaires pressantes de la mairie pour le cas où il se déciderait à ce voyage de Montfermeil, lorsqu’on vint lui dire que l’inspecteur de police Javert demandait à lui parler. En entendant prononcer ce nom, M. Madeleine ne put se défendre d’une impression désagréable. Depuis l’aventure du bureau de police, Javert l’avait plus que jamais évité, et M. Madeleine ne l’avait point revu.

    Faites entrer, dit-il.

    Javert entra.

    M. Madeleine était resté assis près de la cheminée, une plume à la main, l’œil sur un dossier qu’il feuilletait et qu’il annotait, et qui contenait des procès-verbaux de contraventions à la police de la voirie. Il ne se dérangea point pour Javert. Il ne pouvait s’empêcher de songer à la pauvre Fantine, et il lui convenait d’être glacial.

    Javert salua respectueusement M. le maire qui lui tournait le dos. M. le maire ne le regarda pas et continua d’annoter son dossier.

    Javert fit deux ou trois pas dans le cabinet, et s’arrêta sans rompre le silence. Un physionomiste qui eût été familier avec la nature de Javert, qui eût étudié depuis longtemps ce sauvage au service de la civilisation, ce composé bizarre du Romain, du Spartiate, du moine et du caporal, cet espion incapable d’un mensonge, ce mouchard vierge, un physionomiste qui eût su sa secrète et ancienne aversion pour M. Madeleine, son conflit avec le maire au sujet de la Fantine, et qui eût considéré Javert en ce moment, se fût dit : que s’est-il passé ? Il était évident, pour qui eût connu cette conscience droite, claire, sincère, probe, austère et féroce, que Javert sortait de quelque grand événement intérieur. Javert n’avait rien dans l’âme qu’il ne l’eût aussi sur le visage. Il était, comme les gens violents, sujet aux revirements brusques. Jamais sa physionomie n’avait été plus étrange et plus inattendue. En entrant, il s’était incliné devant M. Madeleine avec un regard où il n’y avait ni rancune, ni colère, ni défiance, il s’était arrêté à quelques pas derrière le fauteuil du maire ; et maintenant il se tenait là, debout, dans une attitude presque disciplinaire, avec la rudesse naïve et froide d’un homme qui n’a jamais été doux et qui a toujours été patient ; il attendait, sans dire un mot, sans faire un mouvement, dans une humilité vraie et dans une résignation tranquille, qu’il plût à monsieur le maire de se retourner ; calme, sérieux, le chapeau à la main, les yeux baissés, avec une expression qui tenait le milieu entre le soldat devant son officier et le coupable devant son juge. Tous les sentiments comme tous les souvenirs qu’on eût pu lui supposer avaient disparu. Il n’y avait plus rien sur ce visage impénétrable et simple comme le granit, qu’une morne tristesse. Toute sa personne respirait l’abaissement et la fermeté, et je ne sais quel accablement courageux.

    Enfin M. le maire posa sa plume et se tourna à demi.

    Eh bien ! qu’est-ce ? qu’y a-t-il, Javert ?

    Javert demeura un instant silencieux comme s’il se recueillait, puis éleva la voix avec une sorte de solennité triste qui n’excluait pourtant pas la simplicité :

    Il y a, monsieur le maire, qu’un acte coupable a été commis.

    Quel acte ?

    Un agent inférieur de l’autorité a manqué de respect à un magistrat de la façon la plus grave. Je viens, comme c’est mon devoir, porter le fait à votre connaissance.

    Quel est cet agent ? demanda M. Madeleine.

    Moi, dit Javert.

    Vous ?

    Moi.

    Et quel est le magistrat qui aurait à se plaindre de l’agent ?

    Vous, monsieur le maire.

    M. Madeleine se dressa sur son fauteuil. Javert poursuivit, l’air sévère et les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, je viens vous prier de vouloir bien provoquer près de l’autorité ma destitution.

    M. Madeleine stupéfait ouvrit la bouche. Javert l’interrompit.

    Vous direz, j’aurais pu donner ma démission, mais cela ne suffit pas. Donner sa démission, c’est honorable. J’ai failli, je dois être puni. Il faut que je sois chassé.

    Et après une pause, il ajouta :

    Monsieur le maire, vous avez été sévère pour moi l’autre jour injustement. Soyez-le aujourd’hui justement.

    Ah çà ! pourquoi ? s’écria M. Madeleine. Quel est ce galimatias ? qu’est-ce que cela veut dire ? où y a-t-il un acte coupable commis contre moi par vous ? qu’est-ce que vous m’avez fait ? quels torts avez-vous envers moi ? Vous vous accusez, vous voulez être remplacé…

    Chassé, dit Javert.

    Chassé, soit. C’est fort bien. Je ne comprends pas.

    Vous allez comprendre, monsieur le maire.

    Javert soupira du fond de sa poitrine et reprit toujours froidement et tristement :

    Monsieur le maire, il y a six semaines, à la suite de cette scène pour cette fille, j’étais furieux, je vous ai dénoncé.

    Dénoncé !

    À la préfecture de police de Paris.

    M. Madeleine, qui ne riait pas beaucoup plus souvent que Javert, se mit à rire.

    Comme maire ayant empiété sur la police ?

    Comme ancien forçat.

    Le maire devint livide.

    Javert, qui n’avait pas levé les yeux, continua :

    Je le croyais. Depuis longtemps j’avais des idées.

    Une ressemblance, des renseignements que vous avez fait prendre à Faverolles, votre force des reins, l’aventure du vieux Fauchelevent, votre adresse au tir, votre jambe qui traîne un peu, est-ce que je sais, moi ? des bêtises ! mais enfin je vous prenais pour un nommé Jean Valjean.

    Un nommé ?… Comment dites-vous ce nom-là ?

    Jean Valjean. C’est un forçat que j’avais vu il y a vingt ans quand j’étais adjudant-garde-chiourme à Toulon. En sortant du bagne, ce Jean Valjean avait, à ce qu’il paraît, volé chez un évêque, puis il avait commis un autre vol à main armée, dans un chemin public, sur un petit savoyard. Depuis huit ans il s’était dérobé, on ne sait comment, et on le cherchait. Moi je m’étais figuré… Enfin, j’ai fait cette chose ! La colère m’a décidé, je vous ai dénoncé à la préfecture.

    M. Madeleine, qui avait ressaisi le dossier depuis quelques instants, reprit avec un accent de parfaite indifférence :

    Et que vous a-t-on répondu ?

    Que j’étais fou.

    Eh bien ?

    Eh bien, on avait raison. donc pas le sinvre, dit Brevet. Tu es Jean Valjean ! Tu as été au bagne de Toulon. Il y a vingt ans. Nous y étions ensemble. — Le Champmathieu nie. Parbleu ! vous comprenez. On approfondit. On me fouille cette aventure-là. Voici ce qu’on trouve : ce Champmathieu, il y a une trentaine d’années, a été ouvrier émondeur d’arbres dans plusieurs pays, notamment à Faverolles. Là on perd sa trace. Longtemps après, on le revoit en Auvergne, puis à Paris, où il dit avoir été charron et avoir eu une fille blanchisseuse, mais cela n’est pas prouvé ; enfin dans ce pays-ci. Or, avant d’aller au bagne pour vol qualifié, qu’était Jean Valjean ? émondeur. Où ? à Faverolles. Autre fait. Ce Valjean s’appelait de son nom de baptême Jean et sa mère se nommait de son nom de famille Mathieu. Quoi de plus naturel que de penser qu’en sortant du bagne il aura pris le nom de sa mère pour se cacher et se sera fait appeler Jean Mathieu ? Il va en Auvergne. De Jean la prononciation du pays fait Chan, on l’appelle Chan Mathieu. Notre homme se laisse faire et le voilà transformé en Champmathieu. Vous me suivez, n’est-ce pas ? On s’informe à Faverolles. La famille de Jean Valjean n’y est plus. On ne sait plus où elle est. Vous savez, dans ces classes-là, il y a souvent de ces évanouissements d’une famille. On cherche, on ne trouve plus rien. Ces gens-là, quand ce n’est pas de la boue, c’est de la poussière. Et puis, comme le commencement de ces histoires date de trente ans, il n’y a plus personne à Faverolles qui ait connu Jean Valjean. On s’informe à Toulon. Avec Brevet, il n’y a plus que deux forçats qui aient vu Jean Valjean. Ce sont les condamnés à vie Cochepaille et Chenildieu. On les extrait du bagne et on les fait venir. On les confronte au prétendu Champmathieu. Ils n’hésitent pas. Pour eux comme pour Brevet, c’est Jean Valjean. Même âge, il a cinquante-quatre ans, même taille, même air, même homme enfin, c’est lui. C’est en ce moment-là même que j’envoyais ma dénonciation à la préfecture de Paris. On me répond que je perds l’esprit et que Jean Valjean est à Arras au pouvoir de la justice. Vous concevez si cela m’étonne, moi qui croyais tenir ici ce même Jean Valjean ! J’écris à monsieur le juge d’instruction. Il me fait venir, on m’amène le Champmathieu…

    Eh bien ? interrompit M. Madeleine.

    Javert répondit avec son visage incorruptible et triste :

    Monsieur le maire, la vérité est la vérité. J’en suis fâché, mais c’est cet homme-là qui est Jean Valjean. Moi aussi je l’ai reconnu.

    M. Madeleine reprit d’une voix très basse :

    Vous êtes sûr ?

    Javert se mit à rire de ce rire douloureux qui échappe à une conviction profonde :

    Oh, sûr !

    Il demeura un moment pensif, prenant machinalement des pincées de poudre de bois dans la sébille à sécher l’encre qui était sur la table, et il ajouta :

    Et même, maintenant que je vois le vrai Jean Valjean, je ne comprends pas comment j’ai pu croire autre chose. Je vous demande pardon, monsieur le maire.

    En adressant cette parole suppliante et grave à celui qui, six semaines auparavant, l’avait humilié en plein corps de garde et lui avait dit : sortez ! Javert, cet homme hautain, était à son insu plein de simplicité et de dignité. M. Madeleine ne répondit à sa prière que par cette question brusque :

    Et que dit cet homme ?

    Ah, dame ! monsieur le maire, l’affaire est mauvaise. Si c’est Jean Valjean, il y a récidive. Enjamber un mur, casser une branche, chiper des pommes, pour un enfant, c’est une polissonnerie ; pour un homme, c’est un délit ; pour un forçat, c’est un crime. Escalade et vol, tout y est. Ce n’est plus la police correctionnelle, c’est la cour d’assises. Ce n’est plus quelques jours de prison, ce sont les galères à perpétuité. Et puis, il y a l’affaire du petit savoyard que j’espère bien qui reviendra. Diable ! il y a de quoi se débattre, n’est-ce pas ? Oui, pour un autre que Jean Valjean. Mais Jean Valjean est un sournois. C’est encore là que je le reconnais. Un autre sentirait que cela chauffe ; il se démènerait, il crierait, la bouilloire chante devant le feu, il ne voudrait pas être Jean Valjean, et caetera. Lui, il n’a pas l’air de comprendre, il dit : Je suis Champmathieu, je ne sors pas de là ! Il a l’air étonné, il fait la brute, c’est bien mieux. Oh ! le drôle est habile. Mais c’est égal, les preuves sont là. Il est reconnu par quatre personnes, le vieux coquin sera condamné. C’est porté aux assises, à Arras. Je vais y aller pour témoigner. Je suis cité.

    M. Madeleine s’était remis à son bureau, avait ressaisi son dossier, et le feuilletait tranquillement, lisant et écrivant tour à tour comme un homme affairé. Il se tourna vers Javert :

    Assez, Javert. Au fait, tous ces détails m’intéressent fort peu. Nous perdons notre temps, et nous avons des affaires pressées. Javert, vous allez vous rendre sur-le-champ chez la bonne femme Buseaupied qui vend des herbes là-bas au coin de la rue Saint-Saulve. Vous lui direz de déposer sa plainte contre le charretier Pierre Chesnelong. Cet homme est un brutal qui a failli écraser cette femme et son enfant. Il faut qu’il soit puni. Vous irez ensuite chez M. Charcellay, rue Montre-de-Champigny. Il se plaint qu’il y a une gouttière de la maison voisine qui verse l’eau de la pluie chez lui, et qui affouille les fondations de sa maison. Après vous constaterez des contraventions de police qu’on me signale rue Guibourg chez la veuve Doris, et rue du Garraud-Blanc chez madame Renée Le Bossé, et vous dresserez procès-verbal. Mais je vous donne là beaucoup de besogne. N’allez-vous pas être absent ? ne m’avez-vous pas dit que vous alliez à Arras pour cette affaire dans huit ou dix jours ?…

    Plus tôt que cela, monsieur le maire.

    Quel jour donc ?

    Mais je croyais avoir dit à monsieur le maire que cela se jugeait demain et que je partais par la diligence cette nuit.

    M. Madeleine fit un mouvement imperceptible.

    Et combien de temps durera l’affaire ?

    Un jour tout au plus. L’arrêt sera prononcé au plus tard demain dans la nuit. Mais je n’attendrai pas l’arrêt, qui ne peut manquer. Sitôt ma déposition faite, je reviendrai ici.

    C’est bon, dit M. Madeleine.

    Et il congédia Javert d’un signe de main.

    Javert ne s’en alla pas.

    Pardon, monsieur le maire, dit-il.

    Qu’est-ce encore ? demanda M. Madeleine.

    Monsieur le maire, il me reste une chose à vous rappeler.

    Laquelle ?

    C’est que je dois être destitué.

    M. Madeleine se leva.

    Javert, vous êtes un homme d’honneur, et je vous estime. Vous vous exagérez votre faute. Ceci d’ailleurs est encore une offense qui me concerne. Javert, vous êtes digne de monter et non de descendre. J’entends que vous gardiez votre place.

    Javert regarda M. Madeleine avec sa prunelle candide au fond de laquelle il semblait qu’on vit cette conscience peu éclairée, mais rigide et chaste, et il dit d’une voix tranquille :

    Monsieur le maire, je ne puis vous accorder cela.

    Je vous répète, répliqua M. Madeleine, que la chose me regarde.

    Mais Javert, attentif à sa seule pensée, continua :

    Quant à exagérer, je n’exagère point. Voici comment je raisonne. Je vous ai soupçonné injustement. Cela, ce n’est rien. C’est notre droit à nous autres de soupçonner, quoiqu’il y ait pourtant abus à soupçonner au-dessus de soi. Mais, sans preuves, dans un accès de colère, dans le but de me venger, je vous ai dénoncé comme forçat, vous, un homme respectable, un maire, un magistrat ! ceci est grave. Très grave. J’ai offensé l’autorité dans votre personne, moi, agent de l’autorité ! Si l’un de mes subordonnés avait fait ce que j’ai fait, je l’aurais déclaré indigne du service, et chassé. Eh bien ? — Tenez, monsieur le maire, encore un mot. J’ai souvent été sévère dans ma vie. Pour les autres. C’était juste. Je faisais bien. Maintenant, si je n’étais pas sévère pour moi, tout ce que j’ai fait de juste deviendrait injuste. Est-ce que je dois m’épargner plus que les autres ? Non. Quoi ! je n’aurais été bon qu’à châtier autrui, et pas moi ! mais je serais un misérable ! mais ceux qui disent : ce gueux de Javert ! auraient raison ! Monsieur le maire, je ne souhaite pas que vous me traitiez avec bonté, votre bonté m’a fait faire assez de mauvais sang quand elle était pour les autres. Je n’en veux pas pour moi. La bonté qui consiste à donner raison à la fille publique contre le bourgeois, à l’agent de police contre le maire, à celui qui est en bas contre celui qui est en haut, c’est ce que j’appelle de la mauvaise bonté. C’est avec cette bonté-là que la société se désorganise. Mon Dieu ! c’est bien facile d’être bon, le malaisé c’est d’être juste. Allez ! si vous aviez été ce que je croyais, je n’aurais pas été bon pour vous, moi ! vous auriez vu ! Monsieur le maire, je dois me traiter comme je traiterais tout autre. Quand je réprimais des malfaiteurs, quand je sévissais sur des gredins, je me suis souvent dit à moi-même : toi, si tu bronches, si jamais je te prends en faute, sois tranquille ! — J’ai bronché, je me prends en faute, tant pis ! Allons, renvoyé, cassé, chassé ! c’est bon. J’ai des bras, je travaillerai à la terre, cela m’est égal. Monsieur le maire, le bien du service veut un exemple. Je demande simplement la destitution de l’inspecteur Javert.

    Tout cela était prononcé d’un accent humble, fier, désespéré et convaincu qui donnait je ne sais quelle grandeur bizarre à cet étrange honnête homme.

    Nous verrons, fit M. Madeleine.

    Et il lui tendit la main.

    Javert recula, et dit d’un ton farouche :

    Pardon, monsieur le maire, mais cela ne doit pas être. Un maire ne donne pas la main à un mouchard.

    Il ajouta entre ses dents :

    Mouchard, oui ; du moment où j’ai mésusé de la police, je ne suis plus qu’un mouchard.

    Puis il salua profondément, et se dirigea vers la porte.

    Là il se retourna, et, les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, dit-il, je continuerai le service jusqu’à ce que je sois remplacé.

    Il sortit. M. Madeleine resta rêveur, écoutant ce pas ferme et assuré qui s’éloignait sur le pavé du corridor.

    I

    LA SŒUR SIMPLICE


     

    Les incidents qu’on va lire n’ont pas tous été connus à Montreuil-sur-mer, mais le peu qui en a percé a laissé dans cette ville un tel souvenir, que ce serait une grave lacune dans ce livre si nous ne les racontions dans leurs moindres détails.

    Dans ces détails, le lecteur rencontrera deux ou trois circonstances invraisemblables que nous maintenons par respect pour la vérité.

    Dans l’après-midi qui suivit la visite de Javert, M. Madeleine alla voir la Fantine comme d’habitude.

    Avant de pénétrer près de Fantine, il fit demander la sœur Simplice.

    Les deux religieuses qui faisaient le service de l’infirmerie, dames lazaristes comme toutes les sœurs de charité, s’appelaient sœur Perpétue et sœur Simplice.

    La sœur Perpétue était la première villageoise venue, grossièrement sœur de charité, entrée chez Dieu comme on entre en place. Elle était religieuse comme on est cuisinière. Ce type n’est point très rare. Les ordres monastiques acceptent volontiers cette lourde poterie paysanne, aisément façonnée en capucin ou en ursuline. Ces rusticités s’utilisent pour les grosses besognes de la dévotion. La transition d’un bouvier à un carme n’a rien de heurté ; l’un devient l’autre sans grand travail ; le fond commun d’ignorance du village et du cloître est une préparation toute faite, et met tout de suite le campagnard de plain-pied avec le moine. Un peu d’ampleur au sarrau, et voilà un froc. La sœur Perpétue était une forte religieuse, de Marines, près Pontoise, patoisant, psalmodiant, bougonnant, sucrant la tisane selon le bigotisme ou l’hypocrisie du grabataire, brusquant les malades, bourrue avec les mourants, leur jetant presque Dieu au visage, lapidant l’agonie avec des prières en colère, hardie, honnête et rougeaude.

    La sœur Simplice était blanche d’une blancheur de cire. Près de sœur Perpétue, c’était le cierge à côté de la chandelle. Vincent de Paul a divinement fixé la figure de la sœur de charité dans ces admirables paroles où il mêle tant de liberté à tant de servitude : « Elles n’auront pour monastère que la maison des malades, pour cellule qu’une chambre de louage, pour chapelle que l’église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l’obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, pour voile que la modestie. » Cet idéal était vivant dans la sœur Simplice. Personne n’eût pu dire l’âge de la sœur Simplice ; elle n’avait jamais été jeune et semblait ne devoir jamais être vieille. C’était une personne — nous n’osons dire une femme — calme, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n’avait jamais menti. Elle était si douce qu’elle paraissait fragile ; plus solide d’ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux avec de charmants doigts fins et purs. Il y avait, pour ainsi dire, du silence dans sa parole ; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son de voix qui eût tout à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon. Cette délicatesse s’accommodait de la robe de bure, trouvant à ce rude contact un rappel continuel du ciel et de Dieu. Insistons sur un détail. N’avoir jamais menti, n’avoir jamais dit, pour un intérêt quelconque, même indifféremment, une chose qui ne fût la vérité, la sainte vérité, c’était le trait distinctif de la sœur Simplice ; c’était l’accent de sa vertu. Elle était presque célèbre dans la congrégation pour cette véracité imperturbable. L’abbé Sicard parle de la sœur Simplice dans une lettre au sourd-muet Massieu. Si sincères, si loyaux et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre candeur au moins la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge, mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal. Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ; mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait. Et comme elle pensait, elle pratiquait. Il en résultait cette blancheur dont nous avons parlé, blancheur qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. Son sourire était blanc, son regard était blanc. Il n’y avait pas une toile d’araignée, pas un grain de poussière à la vitre de cette conscience. En entrant dans l’obédience de saint Vincent de Paul, elle avait pris le nom de Simplice par choix spécial. Simplice de Sicile, on le sait, est cette sainte qui aima mieux se laisser arracher les deux seins que de répondre, étant née à Syracuse, qu’elle était née à Ségeste, mensonge qui la sauvait. Cette patronne convenait à cette âme.

    La sœur Simplice, en entrant dans l’ordre, avait deux défauts dont elle s’était peu à peu corrigée ; elle avait eu le goût des friandises et elle avait aimé à recevoir des lettres. Elle ne lisait jamais qu’un livre de prières en gros caractères et en latin. Elle ne comprenait pas le latin, mais elle comprenait le livre.

    La pieuse fille avait pris en affection Fantine, y sentant probablement de la vertu latente, et s’était dévouée à la soigner presque exclusivement.

    M. Madeleine emmena à part la sœur Simplice et lui recommanda Fantine avec un accent singulier dont la sœur se souvint plus tard.

    En quittant la sœur, il s’approcha de Fantine.

    Fantine attendait chaque jour l’apparition de M. Madeleine comme on attend un rayon de chaleur et de joie. Elle disait aux sœurs : — Je ne vis que lorsque monsieur le maire est là.

    Elle avait ce jour-là beaucoup de fièvre. Dès qu’elle vit M. Madeleine, elle lui demanda :

    Et Cosette ?

    Il répondit en souriant :

    Bientôt.

    M. Madeleine fut avec Fantine comme à l’ordinaire. Seulement il resta une heure au lieu d’une demi-heure, au grand contentement de Fantine. Il fît mille instances à tout le monde pour que rien ne manquât à la malade. On remarqua qu’il y eut un moment où son visage devint très sombre. Mais cela s’expliqua quand on sut que le médecin s’était penché à son oreille et lui avait dit : — Elle baisse beaucoup.

    Puis il rentra à la mairie, et le garçon de bureau le vit examiner avec attention une carte routière de France qui était suspendue dans son cabinet. Il écrivit quelques chiffres au crayon sur un papier.


     

    II

    PERSPICACITÉ DE MAÎTRE SCAUFFLAIRE


     

    De la mairie il se rendit au bout de la ville chez un flamand, maître Scaufflaer, francisé Scaufflaire, qui louait des chevaux et des « cabriolets à volonté ».

    Pour aller chez ce Scaufflaire, le plus court était de prendre une rue peu fréquentée où était le presbytère de la paroisse que M. Madeleine habitait. Le curé était, disait-on, un homme digne et respectable, et de bon conseil. À l’instant où M. Madeleine arriva devant le presbytère, il n’y avait dans la rue qu’un passant, et ce passant remarqua ceci : M. le maire, après avoir dépassé la maison curiale, s’arrêta, demeura immobile, puis revint sur ses pas et rebroussa chemin jusqu’à la porte du presbytère, qui était une porte bâtarde avec marteau de fer. Il mit vivement la main au marteau, et le souleva ; puis il s’arrêta de nouveau, et resta court, et comme pensif, et, après quelques secondes, au lieu de laisser bruyamment retomber le marteau, il le reposa doucement et reprit son chemin avec une sorte de hâte qu’il n’avait pas auparavant.

    M. Madeleine trouva maître Scaufflaire chez lui occupé à repiquer un harnais.

    Maître Scaufflaire, demanda-t-il, avez-vous un bon cheval ?

    Monsieur le maire, dit le flamand, tous mes chevaux sont bons. Qu’entendez-vous par un bon cheval ?

    J’entends un cheval qui puisse faire vingt lieues en un jour.

    Diable ! fit le flamand, vingt lieues !

    Oui.

    Attelé à un cabriolet ?

    Oui.

    Et combien de temps se reposera-t-il après la course ?

    Il faut qu’il puisse au besoin repartir le lendemain.

    Pour refaire le même trajet ?

    Oui.

    Diable ! diable ! et c’est vingt lieues ?

    M. Madeleine tira de sa poche le papier où il avait crayonné des chiffres. Il les montra au flamand. c’étaient les chiffres 5, 6, 8 1/2.

    Vous voyez, dit-il. Total, dix-neuf et demi, autant dire vingt lieues.

    Monsieur le maire, reprit le flamand, j’ai votre affaire. Mon petit cheval blanc. Vous avez dû le voir passer quelquefois. C’est une petite bête du bas Boulonnais. C’est plein de feu. On a voulu d’abord en faire un cheval de selle. Bah ! il ruait, il flanquait tout le monde par terre. On le croyait vicieux, on ne savait qu’en faire. Je l’ai acheté. Je l’ai mis au cabriolet. Monsieur, c’est cela qu’il voulait ; il est doux comme une fille, il va le vent. Ah ! par exemple, il ne faudrait pas lui monter sur le dos. Ce n’est pas son idée d’être cheval de selle. Chacun a son ambition. Tirer, oui ; porter, non ; il faut croire qu’il s’est dit ça.

    Et il fera la course ?

    Vos vingt lieues. Toujours au grand trot, et en moins de huit heures. Mais voici à quelles conditions.

    Dites.

    Premièrement, vous le ferez souffler une heure à moitié chemin ; il mangera, et on sera là pendant qu’il mangera pour empêcher le garçon de l’auberge de lui voler son avoine ; car j’ai remarqué que dans les auberges l’avoine est plus souvent bue par les garçons d’écurie que mangée par les chevaux.

    On sera là.

    Deuxièmement… Est-ce pour monsieur le maire le cabriolet ?

    Oui.

    Monsieur le maire sait conduire ?

    Oui.

    Eh bien, monsieur le maire voyagera seul et sans bagage afin de ne point charger le cheval.

    Convenu.

    Mais monsieur le maire, n’ayant personne avec lui, sera obligé de prendre la peine de surveiller lui-même l’avoine.

    C’est dit.

    Il me faudra trente francs par jour. Les jours de repos payés. Pas un liard de moins, et la nourriture de la bête à la charge de monsieur le maire.

    M. Madeleine tira trois napoléons de sa bourse et les mit sur la table.

    Voilà deux jours d’avance.

    Quatrièmement, pour une course pareille sur cabriolet serait trop lourd et fatiguerait le cheval. Il faudrait que monsieur le maire consentît à voyager dans un petit tilbury que j’ai.

    J’y consens.

    C’est léger, mais c’est découvert.

    Cela m’est égal.

    Monsieur le maire a-t-il réfléchi que nous sommes en hiver ?…

    M. Madeleine ne répondit pas. Le flamand reprit :

    Qu’il fait très froid ?

    M. Madeleine garda le silence. Maître Scaufflaire continua :

    Qu’il peut pleuvoir ?

    M. Madeleine leva la tête et dit :

    Le tilbury et le cheval seront devant ma porte demain à quatre heures et demie du matin.

    C’est entendu, monsieur le maire, répondit Scaufflaire, puis, grattant avec l’ongle de son pouce une tache qui était dans le bois de la table, il reprit de cet air insouciant que les flamands savent si bien mêler à leur finesse :

    Mais voilà que j’y songe à présent ! monsieur le maire ne me dit pas où il va. Où est-ce que va monsieur le maire ?

    Il ne songeait pas à autre chose depuis le commencement de la conversation, mais il ne savait pourquoi il n’avait pas osé faire cette question.

    Votre cheval a-t-il de bonnes jambes de devant ? dit M. Madeleine.

    Oui, monsieur le maire. Vous le soutiendrez un peu dans les descentes. Y a-t-il beaucoup de descentes d’ici où vous allez ?

    N’oubliez pas d’être à ma porte à quatre heures et demie du matin, très précises, répondit M. Madeleine ; et il sortit.

    Le flamand resta « tout bête », comme il disait lui-même quelque temps après.

    M. le maire était sorti depuis deux ou trois minutes, lorsque la porte se rouvrit, c’était M. le maire.

    Il avait toujours le même air impassible et préoccupé.

    Monsieur Scaufflaire, dit-il, à quelle somme estimez-vous le cheval et le tilbury que vous me louerez, l’un portant l’autre ?

    L’un traînant l’autre, monsieur le maire, dit le flamand avec un gros rire.

    Soit. Eh bien ?

    Est-ce que monsieur le maire veut me les acheter ?

    Non ; mais à tout événement, je veux vous les garantir. À mon retour vous me rendrez la somme. À combien estimez-vous cabriolet et cheval ?

    À cinq cents francs, monsieur le maire.

    Les voici.

    M. Madeleine posa un billet de banque sur la table, puis sortit et cette fois ne rentra plus.

    Maître Scaufflaire regretta affreusement de n’avoir point dit mille francs. Du reste le cheval et le tilbury, en bloc, valaient cent écus.

    Le flamand appela sa femme, et lui conta la chose. Où diable monsieur le maire peut-il aller ? Ils tinrent conseil. — Il va à Paris, dit la femme. — Je ne crois pas, dit le mari. M. Madeleine avait oublié sur la cheminée le papier où il avait tracé des chiffres. Le flamand le reprit et l’étudia. — Cinq, six, huit et demi ? cela doit marquer des relais de poste. Il se tourna vers sa femme. — J’ai trouvé. — Comment ? — Il y a cinq lieues d’ici à Hesdin, six de Hesdin à Saint-Pol, huit et demie de Saint-Pol à Arras. Il va à Arras.

    Cependant M. Madeleine était rentré chez lui.

    Pour revenir de chez maître Scaufflaire, il avait pris le plus long, comme si la porte du presbytère avait été pour lui une tentation, et qu’il eût voulu l’éviter. Il était monté dans sa chambre et s’y était enfermé, ce qui n’avait rien que de simple, car il se couchait volontiers de bonne heure. Pourtant la concierge de la fabrique, qui était en même temps l’unique servante de M. Madeleine, observa que sa lumière s’éteignit à huit heures et demie, et elle le dit au caissier qui rentrait, en ajoutant :

    Est-ce que monsieur le maire est malade ? je lui ai trouvé l’air un peu singulier.

    Ce caissier habitait une chambre située précisément au-dessous de la chambre de M. Madeleine. Il ne prit point garde aux paroles de la portière, se coucha et s’endormit. Vers minuit, il se réveilla brusquement ; il avait entendu à travers son sommeil un bruit au-dessus de sa tête. Il écouta. C’était un pas qui allait et venait, comme si l’on marchait dans la chambre en haut. Il écouta plus attentivement, et reconnut le pas de M. Madeleine. Cela lui parut étrange ; habituellement aucun bruit ne se faisait dans la chambre de M. Madeleine avant l’heure de son lever. Un moment après le caissier entendit quelque chose qui ressemblait à une armoire qu’on ouvre et qu’on referme. Puis on dérangea un meuble, il y eut un silence, et le pas recommença. Le caissier se dressa sur son séant, s’éveilla tout à fait, regarda, et à travers les vitres de sa croisée aperçut sur le mur d’en face la réverbération rougeâtre d’une fenêtre éclairée. À la direction des rayons, ce ne pouvait être que la fenêtre de la chambre de M. Madeleine. La réverbération tremblait comme si elle venait plutôt d’un feu allumé que d’une lumière. L’ombre des châssis vitrés ne s’y dessinait pas, ce qui indiquait que la fenêtre était toute grande ouverte. Par le froid qu’il faisait, cette fenêtre ouverte était surprenante. Le caissier se rendormit. Une heure ou deux heures après, il se réveilla encore. Le même pas, lent et régulier, allait et venait toujours au-dessus de sa tête.

    La réverbération se dessinait toujours sur le mur, mais elle était maintenant pâle et paisible comme le reflet d’une lampe ou d’une bougie. La fenêtre était toujours ouverte.

    Voici ce qui se passait dans la chambre de M. Madeleine.


     

    III

    UNE TEMPÊTE SOUS UN CRÂNE


     

    Le lecteur a sans doute deviné que M. Madeleine n’est autre que Jean Valjean.

    Nous avons déjà regardé dans les profondeurs de cette conscience ; le moment est venu d’y regarder encore. Nous ne le faisons pas sans émotion et sans tremblement. Il n’existe rien de plus terrifiant que cette sorte de contemplation. L’œil de l’esprit ne peut trouver nulle part plus d’éblouissements ni plus de ténèbres que dans l’homme ; il ne peut se fixer sur aucune chose qui soit plus redoutable, plus compliquée, plus mystérieuse et plus infinie. Il y a un spectacle plus grand que la mer, c’est le ciel ; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme.

    Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. La conscience, c’est le chaos des chimères, des convoitises et des tentatives, la fournaise des rêves, l’antre des idées dont on a honte ; c’est le pandémonium des sophismes, c’est le champ de bataille des passions. À de certaines heures, pénétrez à travers la face livide d’un être humain qui réfléchit, et regardez derrière, regardez dans cette âme, regardez dans cette obscurité. Il y a là, sous le silence extérieur, des combats de géants comme dans Homère, des mêlées de dragons et d’hydres et des nuées de fantômes comme dans Milton, des spirales visionnaires comme chez Dante. Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie !

    Alighieri rencontra un jour une sinistre porte devant laquelle il hésita. En voici une aussi devant nous, au seuil de laquelle nous hésitons. Entrons pourtant.

    Nous n’avons que peu de chose à ajouter à ce que le lecteur connaît déjà de ce qui était arrivé à Jean Valjean depuis l’aventure de Petit-Gervais. À partir de ce moment, on l’a vu, il fut un autre homme. Ce que l’évêque avait voulu faire de lui, il l’exécuta. Ce fut plus qu’une transformation, ce fut une transfiguration.

    Il réussit à disparaître, vendit l’argenterie de l’évêque, ne gardant que les flambeaux, comme souvenir, se glissa de ville en ville, traversa la France, vint à Montreuil-sur-mer, eut l’idée que nous avons dite, accomplit ce que nous avons raconté, parvint à se faire insaisissable et inaccessible, et désormais, établi à Montreuil-sur-mer, heureux de sentir sa conscience attristée par son passé et la première moitié de son existence démentie par la dernière, il vécut paisible, rassuré et espérant, n’ayant plus que deux pensées : cacher son nom et sanctifier sa vie ; échapper aux hommes, et revenir à Dieu.

    Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu’elles n’en formaient qu’une seule ; elles étaient toutes deux également absorbantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions. D’ordinaire elles étaient d’accord pour régler la conduite de sa vie ; elles le tournaient vers l’ombre ; elles le faisaient bienveillant et simple ; elles lui conseillaient les mêmes choses. Quelquefois cependant il y avait conflit entre elles. Dans ce cas-là, on s’en souvient, l’homme que tout le pays de Montreuil-sur-mer appelait M. Madeleine ne balançait pas à sacrifier la première à la seconde, sa sécurité à sa vertu. Ainsi, en dépit de toute réserve et de toute prudence, il avait gardé les chandeliers de l’évêque, porté son deuil, appelé et interrogé tous les petits savoyards qui passaient, pris des renseignements sur les familles de Faverolles, et sauvé la vie au vieux Fauchelevent, malgré les inquiétantes insinuations de Javert. Il semblait, nous l’avons déjà remarqué, qu’il pensât, à l’exemple de tous ceux qui ont été sages, saints et justes, que son premier devoir n’était pas envers lui.

    Toutefois, il faut le dire, jamais rien de pareil ne s’était encore présenté. Jamais les deux idées qui gouvernaient le malheureux homme dont nous racontons les souffrances n’avaient engagé une lutte si sérieuse. Il le comprit confusément, mais profondément, dès les premières paroles que prononça Javert, en entrant dans son cabinet. Au moment où fut si étrangement articulé ce nom qu’il avait enseveli sous tant d’épaisseurs, il fut saisi de stupeur et comme enivré par la sinistre bizarrerie de sa destinée, et, à travers cette stupeur, il eut ce tressaillement qui précède les grandes secousses ; il se courba comme un chêne à l’approche d’un orage, comme un soldat à l’approche d’un assaut. Il sentit venir sur sa tête des ombres pleines de foudres et d’éclairs. Tout en écoutant parler Javert, il eut une première pensée d’aller, de courir, de se dénoncer, de tirer ce Champmathieu de prison et de s’y mettre ; cela fut douloureux et poignant comme une incision dans la chair vive, puis cela passa, et il se dit : — Voyons ! voyons ! — Il réprima ce premier mouvement généreux et recula devant l’héroïsme.

    Sans doute, il serait beau qu’après les saintes paroles de l’évêque, après tant d’années de repentir et d’abnégation, au milieu d’une pénitence admirablement commencée, cet homme, même en présence d’une si terrible conjoncture, n’eût pas bronché un instant et eût continué de marcher du même pas vers ce précipice ouvert au fond duquel était le ciel ; cela serait beau, mais cela ne fut pas ainsi. Il faut bien que nous rendions compte des choses qui s’accomplissaient dans cette âme, et nous ne pouvons dire que ce qui y était. Ce qui l’emporta tout d’abord, ce fut l’instinct de la conservation ; il rallia en hâte ses idées, étouffa ses émotions, considéra la présence de Javert, ce grand péril, ajourna toute résolution avec la fermeté de l’épouvante, s’étourdit sur ce qu’il y avait à faire, et reprit son calme comme un lutteur ramasse son bouclier.

    Le reste de la journée il fut dans cet état, un tourbillon au dedans, une tranquillité profonde au dehors ; il ne prit que ce qu’on pourrait appeler « les mesures conservatoires ». Tout était encore confus et se heurtait dans son cerveau ; le trouble y était tel qu’il ne voyait distinctement la forme d’aucune idée ; et lui-même n’aurait pu rien dire de lui-même, si ce n’est qu’il venait de recevoir un grand coup. Il se rendit comme d’habitude près du lit de douleur de Fantine et prolongea sa visite, par un instinct de bonté, se disant qu’il fallait agir ainsi et la bien recommander aux sœurs pour le cas où il arriverait qu’il eût à s’absenter. Il sentit vaguement qu’il faudrait peut-être aller à Arras, et, sans être le moins du monde décidé à ce voyage, il se dit qu’à l’abri de tout soupçon comme il l’était, il n’y avait point d’inconvénient à être témoin de ce qui se passerait, et il retint le tilbury de Scaufflaire, afin d’être préparé à tout événement.

    Il dîna avec assez d’appétit.

    Rentré dans sa chambre il se recueillit.

    Il examina la situation et la trouva inouïe ; tellement inouïe qu’au milieu de sa rêverie, par je ne sais quelle impulsion d’anxiété presque inexplicable, il se leva de sa chaise et ferma sa porte au verrou. Il craignait qu’il n’entrât encore quelque chose. Il se barricadait contre le possible.

    Un moment après il souffla sa lumière. Elle le gênait.

    Il lui semblait qu’on pouvait le voir.

    Qui, on ?

    Hélas ! ce qu’il voulait mettre à la porte était entré ; ce qu’il voulait aveugler, le regardait. Sa conscience.

    Sa conscience, c’est-à-dire Dieu.

    Pourtant, dans le premier moment, il se fit illusion ; il eut un sentiment de sûreté et de solitude ; le verrou tiré, il se crut imprenable ; la chandelle éteinte, il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même ; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres.

    Où en suis-je ? — Est-ce que je ne rêve pas ? — Que m’a-t-on dit ? — Est-il bien vrai que j’aie vu ce Javert et qu’il m’ait parlé ainsi ? — Que peut être ce Champmathieu ? — Il me ressemble donc ? — Est-ce possible ? — Quand je pense qu’hier j’étais si tranquille et si loin de me douter de rien ! — Qu’est-ce que je faisais donc hier à pareille heure ? — Qu’y a-t-il dans cet incident ? — Comment se dénouera-t-il ? — Que faire ?

    Voilà dans quelle tourmente il était. Son cerveau avait perdu la force de retenir ses idées, elles passaient comme des ondes, et il prenait son front dans ses deux mains pour les arrêter.

    De ce tumulte qui bouleversait sa volonté et sa raison, et dont il cherchait à tirer une évidence et une résolution, rien ne se dégageait que l’angoisse.

    Sa tête était brûlante. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande. Il n’y avait pas d’étoiles au ciel. Il revint s’asseoir près de la table.

    La première heure s’écoula ainsi.

    Peu à peu cependant des linéaments vagues commencèrent à se former et à se fixer dans sa méditation, et il put entrevoir avec la précision de la réalité, non l’ensemble de la situation, mais quelques détails.

    Il commença par reconnaître que, si extraordinaire et si critique que fût cette situation, il en était tout à fait le maître.

    Sa stupeur ne fit que s’en accroître.

    Indépendamment du but sévère et religieux que se proposaient ses actions, tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour n’était autre chose qu’un trou qu’il creusait pour y enfouir son nom. Ce qu’il avait toujours le plus redouté, dans ses heures de repli sur lui-même, dans ses nuits d’insomnie, c’était d’entendre jamais prononcer ce nom ; il se disait que ce serait là pour lui la fin de tout ; que le jour où ce nom reparaîtrait, il ferait évanouir autour de lui sa vie nouvelle, et, qui sait même peut-être ? au dedans de lui sa nouvelle âme. Il frémissait de la seule pensée que c’était possible. Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moments-là qu’une heure viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hideux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup de la nuit et se dresserait devant lui, où cette lumière formidable faite pour dissiper le mystère dont il s’enveloppait resplendirait subitement sur sa tête, et que ce nom ne le menacerait pas, que cette lumière ne produirait qu’une obscurité plus épaisse, que ce voile déchiré accroîtrait le mystère ; que ce tremblement de terre consoliderait son édifice, que ce prodigieux incident n’aurait d’autre résultat, si bon lui semblait, à lui, que de rendre son existence à la fois plus claire et plus impénétrable, et que, de sa confrontation avec le fantôme de Jean Valjean, le bon et digne bourgeois « monsieur Madeleine » sortirait plus honoré, plus paisible et plus respecté que jamais ; — si quelqu’un lui eût dit cela, il eût hoché la tête et regardé ces paroles comme insensées. Eh bien ! tout cela venait précisément d’arriver, tout cet entassement de l’impossible était un fait, et Dieu avait permis que ces choses folles devinssent des choses réelles !

    Sa rêverie continuait de s’éclaircir. Il se rendait de plus en plus compte de sa position.

    Il lui semblait qu’il venait de s’éveiller de je ne sais quel sommeil, et qu’il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant, reculant en vain, sur le bord extrême d’un abîme. Il entrevoyait distinctement dans l’ombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelqu’un y tombât, lui ou l’autre.

    Il n’avait qu’à laisser faire.

    La clarté devint complète, et il s’avoua ceci : — Que sa place était vide aux galères, qu’il avait beau faire, qu’elle l’y attendait toujours, que le vol de Petit-Gervais l’y ramenait, que cette place vide l’attendrait et l’attirerait jusqu’à ce qu’il y fût, que cela était inévitable et fatal. — Et puis il se dit : — Qu’en ce moment il avait un remplaçant, qu’il paraissait qu’un nommé Champmathieu avait cette mauvaise chance, et que, quant à lui, présent désormais au bagne dans la personne de ce Champmathieu, présent dans la société sous le nom de M. Madeleine, il n’avait plus rien à redouter, pourvu qu’il n’empêchât pas les hommes de sceller sur la tête de ce Champmathieu cette pierre de l’infamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais.

    Tout cela était si violent et si étrange qu’il se fit soudain en lui cette espèce de mouvement indescriptible qu’aucun homme n’éprouve plus de deux ou trois fois dans sa vie, sorte de convulsion de la conscience qui remue tout ce que le cœur a de douteux, qui se compose d’ironie, de joie et de désespoir, et qu’on pourrait appeler un éclat de rire intérieur.

    Il ralluma brusquement sa bougie.

    Eh bien quoi ! se dit-il, de quoi est-ce que j’ai peur ? qu’est-ce que j’ai à songer comme cela ? Me voilà sauvé. Tout est fini. Je n’avais plus qu’une porte entr’ouverte par laquelle mon passé pouvait faire irruption dans ma vie ; cette porte, la voilà murée ! à jamais ! Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m’avoir deviné, qui m’avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean ! Qui sait même, il est probable qu’il voudra quitter la ville ! Et tout cela s’est fait sans moi ! Et je n’y suis pour rien ! Ah çà, mais ! qu’est-ce qu’il y a de malheureux dans ceci ? Des gens qui me verraient, parole d’honneur ! croiraient qu’il m’est arrivé une catastrophe ! Après tout, s’il y a du mal pour quelqu’un, ce n’est aucunement de ma faute. C’est la providence qui a tout fait. C’est qu’elle veut cela apparemment ! Ai-je le droit de déranger ce qu’elle arrange ? Qu’est-ce que je demande à présent ? De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas. Comment ! je ne suis pas content ! Mais qu’est-ce qu’il me faut donc ? Le but auquel j’aspire depuis tant d’années, le songe de mes nuits, l’objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l’atteins ! C’est Dieu qui le veut. Je n’ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j’ai commencé, pour que je fasse le bien, pour que je sois un jour un grand et encourageant exemple, pour qu’il soit dit qu’il y a eu enfin un peu de bonheur attaché à cette pénitence que j’ai subie et à cette vertu où je suis revenu ! Vraiment je ne comprends pas pourquoi j’ai eu peur tantôt d’entrer chez ce brave curé et de tout lui raconter comme à un confesseur, et de lui demander conseil, c’est évidemment là ce qu’il m’aurait dit. C’est décidé, laissons aller les choses ! laissons faire le bon Dieu !

    Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme. Il se leva de sa chaise, et se mit à marcher dans la chambre. — Allons, dit-il, n’y pensons plus. Voilà une résolution prise ! — Mais il ne sentit aucune joie.

    Au contraire.

    On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée ; pour le coupable, cela s’appelle le remords. Dieu soulève l’âme comme l’océan.

    Au bout de peu d’instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c’était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu’il eût voulu taire, écoutant ce qu’il n’eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense ! comme elle disait il y a deux mille ans à un autre condamné : marche !

    Avant d’aller plus loin et pour être pleinement compris, insistons sur une observation nécessaire.

    Il est certain qu’on se parle à soi-même, il n’est pas un être pensant qui ne l’ait éprouvé. On peut dire même que le verbe n’est jamais un plus magnifique mystère que lorsqu’il va, dans l’intérieur d’un homme, de la pensée à la conscience et qu’il retourne de la conscience à la pensée. C’est dans ce sens seulement qu’il faut entendre les mots souvent employés dans ce chapitre, il dit, il s’écria. On se dit, on se parle, on s’écrie en soi-même, sans que le silence extérieur soit rompu. Il y a un grand tumulte ; tout parle en nous, excepté la bouche. Les réalités de l’âme, pour n’être point visibles et palpables, n’en sont pas moins des réalités.

    Il se demanda donc où il en était. Il s’interrogea sur cette « résolution prise ». Il se confessa à lui-même que tout ce qu’il venait d’arranger dans son esprit était monstrueux, que « laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu », c’était tout simplement horrible. Laisser s’accomplir cette méprise de la destinée et des hommes, ne pas l’empêcher, s’y prêter par son silence, ne rien faire enfin, c’était faire tout ! c’était le dernier degré de l’indignité hypocrite ! c’était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

    Pour la première fois depuis huit années, le malheureux homme venait de sentir la saveur amère d’une mauvaise pensée et d’une mauvaise action.

    Il la recracha avec dégoût.

    Il continua de se questionner. Il se demanda sévèrement ce qu’il avait entendu par ceci : « Mon but est atteint ! » Il se déclara que sa vie avait un but en effet. Mais quel but ? Cacher son nom ? tromper la police ? Était-ce pour une chose si petite qu’il avait fait tout ce qu’il avait fait ? Est-ce qu’il n’avait pas un autre but, qui était le grand, qui était le vrai ? Sauver, non sa personne, mais son âme. Redevenir honnête et bon. Être un juste ! Est-ce que ce n’était pas là surtout, là uniquement, ce qu’il avait toujours voulu, ce que l’évêque lui avait ordonné ? — Fermer la porte à son passé ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu’on appelle le bagne ! Au contraire, se livrer, sauver cet homme frappé d’une si lugubre erreur, reprendre son nom, redevenir par devoir le forçat Jean Valjean, c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ! Y retomber en apparence, c’était en sortir en réalité ! Il fallait faire cela ! il n’avait rien fait s’il ne faisait pas cela ! toute sa vie était inutile, toute sa pénitence était perdue, et il n’y avait plus qu’à dire : à quoi bon ? Il sentait que l’évêque était là, que l’évêque était d’autant plus présent qu’il était mort, que l’évêque le regardait fixement, que désormais le maire Madeleine avec toutes ses vertus lui serait abominable, et que le galérien Jean Valjean serait admirable et pur devant lui. Que les hommes voyaient son masque, mais que l’évêque voyait sa face. Que les hommes voyaient sa vie, mais que l’évêque voyait sa conscience. Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! c’était là le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir ; mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n’entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s’il rentrait dans l’infamie aux yeux des hommes !

    Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! faisons notre devoir ! sauvons cet homme !

    Il prononça ces paroles à haute voix, sans s’apercevoir qu’il parlait tout haut.

    Il prit ses livres, les vérifia et les mit en ordre. Il jeta au feu une liasse de créances qu’il avait sur de petits commerçants gênés. Il écrivit une lettre qu’il cacheta et sur l’enveloppe de laquelle on aurait pu lire, s’il y avait eu quelqu’un dans sa chambre en cet instant : À Monsieur Laffitte, banquier, rue d’Artois, à Paris.

    Il tira d’un secrétaire un portefeuille qui contenait quelques billets de banque et le passeport dont il s’était servi cette même année pour aller aux élections.

    Qui l’eût vu pendant qu’il accomplissait ces divers actes auxquels se mêlait une méditation si grave, ne se fût pas douté de ce qui se passait en lui. Seulement par moments ses lèvres remuaient ; dans d’autres instants il relevait la tête et fixait son regard sur un point quelconque de la muraille, comme s’il y avait précisément là quelque chose qu’il voulait éclaircir ou interroger.

    La lettre à M. Laffitte terminée, il la mit dans sa poche ainsi que le portefeuille, et recommença à marcher.

    Sa rêverie n’avait point dévié. Il continuait de voir clairement son devoir écrit en lettres lumineuses qui flamboyaient devant ses yeux et se déplaçaient avec son regard : — Va ! nomme-toi ! dénonce-toi !

    Il voyait de même, et comme si elles se fussent mues devant lui avec des formes sensibles, les deux idées qui avaient été jusque-là la double règle de sa vie : cacher son nom, sanctifier son âme. Pour la première fois, elles lui apparaissaient absolument distinctes, et il voyait la différence qui les séparait. Il reconnaissait que l’une de ces idées était nécessairement bonne, tandis que l’autre pouvait devenir mauvaise ; que celle-là était le dévouement et que celle-ci était la personnalité ; que l’une disait : le prochain, et que l’autre disait : moi ; que l’une venait de la lumière et que l’autre venait de la nuit.

    Elles se combattaient, il les voyait se combattre. À mesure qu’il songeait, elles avaient grandi devant l’œil de son esprit ; elles avaient maintenant des statures colossales ; et il lui semblait qu’il voyait lutter au dedans de lui-même, dans cet infini dont nous parlions tout à l’heure, au milieu des obscurités et des lueurs, une déesse et une géante.

    Il était plein d’épouvante, mais il lui semblait que la bonne pensée l’emportait.

    Il sentait qu’il touchait à l’autre moment décisif de sa conscience et de sa destinée ; que l’évêque avait marqué la première phase de sa vie nouvelle, et que ce Champmathieu en marquait la seconde. Après la grande crise, la grande épreuve.

    Cependant la fièvre, un instant apaisée, lui revenait peu à peu. Mille pensées le traversaient, mais elles continuaient de le fortifier dans sa résolution.

    Un moment il s’était dit : — qu’il prenait peut-être la chose trop vivement, qu’après tout ce Champmathieu n’était pas intéressant, qu’en somme il avait volé.

    Il se répondit : — Si cet homme a en effet volé quelques pommes, c’est un mois de prison. Il y a loin de là aux galères. Et qui sait même ? a-t-il volé ? est-ce prouvé ? Le nom de Jean Valjean l’accable et semble dispenser de preuves. Les procureurs du roi n’agissent-ils pas habituellement ainsi ? On le croit voleur parce qu’on le sait forçat.

    Dans un autre instant, cette idée lui vint que, lorsqu’il se serait dénoncé, peut-être on considérerait l’héroïsme de son action, et sa vie honnête depuis sept ans, et ce qu’il avait fait pour le pays, et qu’on lui ferait grâce.

    Mais cette supposition s’évanouit bien vite, et il sourit amèrement en songeant que le vol des quarante sous à Petit-Gervais le faisait récidiviste, que cette affaire reparaîtrait certainement et, aux termes précis de la loi, le ferait passible des travaux forcés à perpétuité.

    Il se détourna de toute illusion, se détacha de plus en plus de la terre et chercha la consolation et la force ailleurs. Il se dit qu’il fallait faire son devoir ; que peut-être même ne serait-il pas plus malheureux après avoir fait son devoir qu’après l’avoir éludé ; que s’il laissait faire, s’il restait à Montreuil-sur-Mer, sa considération, sa bonne renommée, ses bonnes œuvres, la déférence, la vénération, sa charité, sa richesse, sa popularité, sa vertu, seraient assaisonnées d’un crime ; et quel goût auraient toutes ces choses saintes liées à cette chose hideuse ! tandis que, s’il accomplissait son sacrifice, au bagne, au poteau, au carcan, au bonnet vert, au travail sans relâche, à la honte sans pitié, il se mêlerait une idée céleste !

    Enfin il se dit qu’il y avait nécessité, que sa destinée était ainsi faite, qu’il n’était pas maître de déranger les arrangements d’en haut, que dans tous les cas il fallait choisir : ou la vertu au dehors et l’abomination au dedans, ou la sainteté au dedans et l’infamie au dehors.

    À remuer tant d’idées lugubres, son courage ne défaillait pas, mais son cerveau se fatiguait. Il commençait à penser malgré lui à d’autres choses, à des choses indifférentes.

    Ses artères battaient violemment dans ses tempes. Il allait et venait toujours. Minuit sonna d’abord à la paroisse, puis à la maison de ville. Il compta les douze coups aux deux horloges, et il compara le son des deux cloches. Il se rappela à cette occasion que quelques jours auparavant il avait vu chez un marchand de ferrailles une vieille cloche à vendre sur laquelle ce nom était écrit : Antoine Albin de Romainville.

    Il avait froid. Il alluma un peu de feu. Il ne songea pas à fermer la fenêtre.

    Cependant il était retombé dans sa stupeur. Il lui fallait faire un assez grand effort pour se rappeler à quoi il songeait avant que minuit sonnât. Il y parvint enfin.

    Ah ! oui, se dit-il, j’avais pris la résolution de me dénoncer.

    Et puis tout à coup il pensa à la Fantine.

    Tiens ! dit-il, et cette pauvre femme !

    Ici une crise nouvelle se déclara.

    Fantine, apparaissant brusquement dans sa rêverie, y fut comme un rayon d’une lumière inattendue. Il lui sembla que tout changeait d’aspect autour de lui, il s’écria :

    Ah çà, mais ! jusqu’ici je n’ai considéré que moi ! je n’ai eu égard qu’à ma convenance ! Il me convient de me taire ou de me dénoncer, — cacher ma personne ou sauver mon âme, — être un magistrat méprisable et respecté ou un galérien infâme et vénérable, c’est moi, c’est toujours moi, ce n’est que moi ! Mais, mon Dieu, c’est de l’égoïsme tout cela ! Ce sont des formes diverses de l’égoïsme, mais c’est de l’égoïsme ! Si je songeais un peu aux autres ? La première sainteté est de penser à autrui. Voyons, examinons. Moi excepté, moi effacé, moi oublié, qu’arrivera-t-il de tout ceci ? — Si je me dénonce ? on me prend, on lâche ce Champmathieu, on me remet aux galères, c’est bien, et puis ? Que se passe-t-il ici ? Ah ! ici, il y a un pays, une ville, des fabriques, une industrie, des ouvriers, des hommes, des femmes, des vieux grands-pères, des enfants, des pauvres gens ! J’ai créé tout cela, je fais vivre tout cela ; partout où il y a une cheminée qui fume, c’est moi qui ai mis le tison dans le feu et la viande dans la marmite ; j’ai fait l’aisance, la circulation, le crédit ; avant moi il n’y avait rien ; j’ai relevé, vivifié, animé, fécondé, stimulé, enrichi tout le pays ; moi de moins, c’est l’âme de moins. Je m’ôte, tout meurt. — Et cette femme qui a tant souffert, qui a tant de mérites dans sa chute, dont j’ai causé sans le vouloir tout le malheur ! Et cet enfant que je voulais aller chercher, que j’ai promis à la mère ! Est-ce que je ne dois pas aussi quelque chose à cette femme, en réparation du mal que je lui ai fait ? Si je disparais, qu’arrive-t-il ? La mère meurt. L’enfant devient ce qu’il peut. Voilà ce qui se passe, si je me dénonce.

    Si je ne me dénonce pas !... Voyons, si je ne me dénonce pas ?

    Après s’être fait cette question, il s’arrêta ; il eut comme un moment d’hésitation et de tremblement ; mais ce moment dura peu, et il se répondit avec calme :

    Eh bien, cet homme va aux galères, c’est vrai, mais, que diable ! il a volé ! J’ai beau me dire qu’il n’a pas volé, il a volé ! Moi, je reste ici, je continue. Dans dix ans j’aurai gagné dix millions, je les répands dans le pays, je n’ai rien à moi, qu’est-ce que cela me fait ? Ce n’est pas pour moi ce que je fais ! La prospérité de tous va croissant, les industries s’éveillent et s’excitent, les manufactures et les usines se multiplient, les familles, cent familles, mille familles ! sont heureuses ; la contrée se peuple ; il naît des villages où il n’y a que des fermes, il naît des fermes où il n’y a rien ; la misère disparaît, et avec la misère disparaissent la débauche, la prostitution, le vol, le meurtre, tous les vices, tous les crimes ! Et cette pauvre mère élève son enfant ! et voilà tout un pays riche et honnête ! Ah çà, j’étais fou, j’étais absurde, qu’est-ce que je parlais donc de me dénoncer ? Il faut faire attention, vraiment, et ne rien précipiter. Quoi ! parce qu’il m’aura plu de faire le grand et le généreux, — c’est du mélodrame, après tout ! — parce que je n’aurai songé qu’à moi, qu’à moi seul, quoi ! pour sauver d’une punition peut-être un peu exagérée, mais juste au fond, on ne sait qui, un voleur, un drôle évidemment, il faudra que tout un pays périsse ! il faudra qu’une pauvre femme crève à l’hôpital ! qu’une pauvre petite fille crève sur le pavé ! comme des chiens ! Ah ! mais c’est abominable ! Sans même que la mère ait revu son enfant ! sans que l’enfant ait presque connu sa mère ! Et tout ça pour ce vieux gredin de voleur de pommes qui, à coup sûr, a mérité les galères pour autre chose, si ce n’est pour cela ! Beaux scrupules qui sauvent un coupable et qui sacrifient des innocents, qui sauvent un vieux vagabond, lequel n’a plus que quelques années à vivre au bout du compte et ne sera guère plus malheureux au bagne que dans sa masure, et qui sacrifient toute une population, mères, femmes, enfants ! Cette pauvre petite Cosette qui n’a que moi au monde et qui est sans doute en ce moment toute bleue de froid dans le bouge de ces Thénardier ! Voilà encore des canailles, ceux-là ! Et je manquerais à mes devoirs envers tous ces pauvres êtres ! Et je m’en irais me dénoncer ! Et je ferais cette inepte sottise ! Mettons tout au pis. Supposons qu’il y ait une mauvaise action pour moi dans ceci et que ma conscience me la reproche un jour, accepter, pour le bien d’autrui, ces reproches qui ne chargent que moi, cette mauvaise action qui ne compromet que mon âme, c’est là qu’est le dévouement, c’est là qu’est la vertu.

    Il se leva, il se remit à marcher. Cette fois il lui semblait qu’il était content.

    On ne trouve les diamants que dans les ténèbres de la terre ; on ne trouve les vérités que dans les profondeurs de la pensée. Il lui semblait qu’après être descendu dans ces profondeurs, après avoir longtemps tâtonné au plus noir de ces ténèbres, il venait enfin de trouver un de ces diamants, une de ces vérités, et qu’il la tenait dans sa main ; et il s’éblouissait à la regarder.

    Oui, pensa-t-il, c’est cela. Je suis dans le vrai. J’ai la solution. Il faut finir par s’en tenir à quelque chose. Mon parti est pris. Laissons faire ! Ne vacillons plus, ne reculons plus. Ceci est dans l’intérêt de tous, non dans le mien. Je suis Madeleine, je reste Madeleine. Malheur à celui qui est Jean Valjean ! Ce n’est plus moi. Je ne connais pas cet homme, je ne sais plus ce que c’est, s’il se trouve que quelqu’un est Jean Valjean à cette heure, qu’il s’arrange ! cela ne me regarde pas. C’est un nom de fatalité qui flotte dans la nuit, s’il s’arrête et s’abat sur une tête, tant pis pour elle !

    Il se regarda dans le petit miroir qui était sur sa cheminée, et dit :

    Tiens ! cela m’a soulagé de prendre une résolution ! Je suis tout autre à présent.

    Il marcha encore quelques pas, puis il s’arrêta court :

    Allons ! dit-il, il ne faut hésiter devant aucune des conséquences de la résolution prise. Il y a encore des fils qui m’attachent à ce Jean Valjean. Il faut les briser ! Il y a ici, dans cette chambre même, des objets qui m’accuseraient, des choses muettes qui seraient des témoins, c’est dit, il faut que tout cela disparaisse.

    Il fouilla dans sa poche, en tira sa bourse, l’ouvrit, et y prit une petite clef.

    Il introduisit cette clef dans une serrure dont on voyait à peine le trou, perdu qu’il était dans les nuances les plus sombres du dessin qui couvrait le papier collé sur le mur. Une cachette s’ouvrit, une espèce de fausse armoire ménagée entre l’angle de la muraille et le manteau de la cheminée. Il n’y avait dans cette cachette que quelques guenilles, un sarrau de toile bleue, un vieux pantalon, un vieux havresac, et un gros bâton d’épine ferré aux deux bouts. Ceux qui avaient vu Jean Valjean à l’époque où il traversait Digne, en octobre 1815, eussent aisément reconnu toutes les pièces de ce misérable accoutrement.

    Il les avait conservées comme il avait conservé les chandeliers d’argent, pour se rappeler toujours son point de départ. Seulement il cachait ceci qui venait du bagne, et il laissait voir les flambeaux qui venaient de l’évêque.

    Il jeta un regard furtif vers la porte, comme s’il eût craint qu’elle ne s’ouvrît malgré le verrou qui la fermait ; puis d’un mouvement vif et brusque et d’une seule brassée, sans même donner un coup d’œil à ces choses qu’il avait si religieusement et si périlleusement gardées pendant tant d’années, il prit tout, haillons, bâton, havresac, et jeta tout au feu.

    Il referma la fausse armoire, et, redoublant de précautions, désormais inutiles puisqu’elle était vide, en cacha la porte derrière un gros meuble qu’il y poussa.

    Au bout de quelques secondes, la chambre et le mur d’en face furent éclairés d’une grande réverbération rouge et tremblante. Tout brûlait. Le bâton d’épine pétillait et jetait des étincelles jusqu’au milieu de la chambre.

    Le havresac, en se consumant avec d’affreux chiffons qu’il contenait, avait mis à nu quelque chose qui brillait dans la cendre. En se penchant, on eût aisément reconnu une pièce d’argent. Sans doute la pièce de quarante sous volée au petit savoyard.

    Lui ne regardait pas le feu et marchait, allant et venant toujours du même pas.

    Tout à coup ses yeux tombèrent sur les deux flambeaux d’argent que la réverbération faisait reluire vaguement sur la cheminée.

    Tiens ! pensa-t-il, tout Jean Valjean est encore là-dedans. Il faut aussi détruire cela.

    Il prit les deux flambeaux.

    Il y avait assez de feu pour qu’on pût les déformer promptement et en faire une sorte de lingot méconnaissable.

    Il se pencha sur le foyer et s’y chauffa un instant. Il eut un vrai bien-être. — La bonne chaleur ! dit-il.

    Il remua le brasier avec un des deux chandeliers.

    Une minute de plus, et ils étaient dans le feu.

    En ce moment il lui sembla qu’il entendait une voix qui criait au dedans de lui :

    Jean Valjean ! Jean Valjean !

    Ses cheveux se dressèrent, il devint comme un homme qui écoute une chose terrible.

    Oui ! c’est cela, achève ! disait la voix. Complète ce que tu fais ! détruis ces flambeaux ! anéantis ce souvenir ! oublie l’évêque ! oublie tout ! perds ce Champmathieu ! va, c’est bien. Applaudis-toi ! Ainsi, c’est convenu, c’est résolu, c’est dit, voilà un homme, voilà un vieillard qui ne sait ce qu’on lui veut, qui n’a rien fait peut-être, un innocent, dont ton nom fait tout le malheur, sur qui ton nom pèse comme un crime, qui va être pris pour toi, qui va être condamné, qui va finir ses jours dans l’abjection et dans l’horreur ! c’est bien. Sois honnête homme, toi. Reste monsieur le maire, reste honorable et honoré, enrichis la ville, nourris des indigents, élève des orphelins, vis heureux, vertueux et admiré, et pendant ce temps-là, pendant que tu seras ici dans la joie et dans la lumière, il y aura quelqu’un qui aura ta casaque rouge, qui portera ton nom dans l’ignominie et qui traînera ta chaîne au bagne ! Oui, c’est bien arrangé ainsi ! Ah ! misérable !

    La sueur lui coulait du front. Il attachait sur les flambeaux un œil hagard. Cependant ce qui parlait en lui n’avait pas fini. La voix continuait :

    Jean Valjean ! il y aura autour de toi beaucoup de voix qui feront un grand bruit, qui parleront bien haut, et qui te béniront, et une seule que personne n’entendra et qui te maudira dans les ténèbres. Eh bien ! écoute, infâme ! toutes ces bénédictions retomberont avant d’arriver au ciel, et il n’y aura que la malédiction qui montera jusqu’à Dieu !

    Cette voix, d’abord toute faible et qui s’était élevée du plus obscur de sa conscience, était devenue par degrés éclatante et formidable, et il l’entendait maintenant à son oreille. Il lui semblait qu’elle était sortie de lui-même et qu’elle parlait à présent en dehors de lui. Il crut entendre les dernières paroles si distinctement qu’il regarda dans la chambre avec une sorte de terreur.

    Y a-t-il quelqu’un ici ? demanda-t-il à haute voix, et tout égaré.

    Puis il reprit avec un rire qui ressemblait au rire d’un idiot :

    Que je suis bête ! il ne peut y avoir personne.

    Il y avait quelqu’un ; mais celui qui y était n’était pas de ceux que l’œil humain peut voir.

    Il posa les flambeaux sur la cheminée.

    Alors il reprit cette marche monotone et lugubre qui troublait dans ses rêves et réveillait en sursaut l’homme endormi au-dessous de lui.

    Cette marche le soulageait et l’enivrait en même temps. Il semble que parfois dans les occasions suprêmes on se remue pour demander conseil à tout ce qu’on peut rencontrer en se déplaçant. Au bout de quelques instants il ne savait plus où il en était.

    Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. — Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir !

    Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans ces livres, il n’écrirait plus sur cette petite table de bois blanc ! Sa vieille portière, la seule servante qu’il eût, ne lui monterait plus son café le matin. Grand Dieu ! au lieu de cela, la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaîne au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp, toutes ces horreurs connues ! À son âge, après avoir été ce qu’il était ! Si encore il était jeune ! Mais, vieux, être tutoyé par le premier venu, être fouillé par le garde-chiourme, recevoir le coup de bâton de l’argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier qui visite la manille ! subir la curiosité des étrangers auxquels on dirait : Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-mer ! Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l’escalier-échelle du bagne flottant ! Oh ! quelle misère ! La destinée peut-elle donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cœur humain !

    Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : — rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer, et y devenir ange !

    Que faire, grand Dieu ! que faire ?

    La tourmente dont il était sorti avec tant de peine se déchaîna de nouveau en lui. Ses idées recommencèrent à se mêler. Elles prirent ce je ne sais quoi de stupéfié et de machinal qui est propre au désespoir. Le nom de Romainville lui revenait sans cesse à l’esprit avec deux vers d’une chanson qu’il avait entendue autrefois. Il songeait que Romainville est un petit bois près Paris où les jeunes gens amoureux vont cueillir des lilas au mois d’avril.

    Il chancelait au dehors comme au dedans. Il marchait comme un petit enfant qu’on laisse aller seul.

    À de certains moments, luttant contre sa lassitude, il faisait effort pour ressaisir son intelligence. Il tâchait de se poser une dernière fois, et définitivement, le problème sur lequel il était en quelque sorte tombé d’épuisement. Faut-il se dénoncer ! Faut-il se taire ? — Il ne réussissait à rien voir de distinct. Les vagues aspects de tous les raisonnements ébauchés par sa rêverie tremblaient et se dissipaient l’un après l’autre en fumée. Seulement il sentait que, à quelque parti qu’il s’arrêtât, nécessairement, et sans qu’il fût possible d’y échapper, quelque chose de lui allait mourir ; qu’il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; qu’il accomplissait une agonie, l’agonie de son bonheur ou l’agonie de sa vertu.

    Hélas ! toutes ses irrésolutions l’avaient repris. Il n’était pas plus avancé qu’au commencement.

    Ainsi se débattait sous l’angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l’être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l’humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l’infini, longtemps écarté de la main l’effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d’ombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines d’étoiles.


     

    IV

    FORMES QUE PREND LA SOUFFRANCE PENDANT LE SOMMEIL


     

    Trois heures du matin venaient de sonner, et il y avait cinq heures qu’il marchait ainsi, presque sans interruption lorsqu’il se laissa tomber sur sa chaise.

    Il s’y endormit et fit un rêve.

    Ce rêve, comme la plupart des rêves, ne se rapportait à la situation que par je ne sais quoi de funeste et de poignant, mais il lui fit impression. Ce cauchemar le frappa tellement que plus tard il l’a écrit. C’est un des papiers écrits de sa main qu’il a laissés. Nous croyons devoir transcrire ici cette chose textuellement.

    Quel que soit ce rêve, l’histoire de cette nuit serait incomplète si nous l’omettions. C’est la sombre aventure d’une âme malade.

    Le voici. Sur l’enveloppe nous trouvons cette ligne écrite : Le rêve que j’ai eu cette nuit-là.

    « J’étais dans une campagne. Une grande campagne triste où il n’y avait pas d’herbe. Il ne me semblait pas qu’il fît jour, ni qu’il fît nuit.

    « Je me promenais avec mon frère, le frère de mes années d’enfance, ce frère auquel je dois dire que je ne pense jamais et dont je ne me souviens presque plus.

    « Nous causions, et nous rencontrions des passants. Nous parlions d’une voisine que nous avions eue autrefois, et qui, depuis qu’elle demeurait sur la rue, travaillait la fenêtre toujours ouverte. Tout en causant, nous avions froid à cause de cette fenêtre ouverte.

    « Il n’y avait pas d’arbres dans la campagne.

    « Nous vîmes un homme qui passa près de nous. C’était un homme tout nu, couleur de cendre, monté sur un cheval couleur de terre. L’homme n’avait pas de cheveux ; on voyait son crâne et des veines sur son crâne. Il tenait à la main une baguette qui était souple comme un sarment de vigne et lourde comme du fer. Ce cavalier passa et ne nous dit rien.

    « Mon frère me dit : Prenons par le chemin creux.

    « Il y avait un chemin creux où l’on ne voyait pas une broussaille ni un brin de mousse. Tout était couleur de terre, même le ciel. Au bout de quelques pas, on ne me répondit plus quand je parlais. Je m’aperçus que mon frère n’était plus avec moi.

    « J’entrai dans un village que je vis. Je songeai que ce devait être là Romainville (pourquoi Romainville ?).[1]

    « La première rue où j’entrai était déserte. J’entrai dans une seconde rue. Derrière l’angle que faisaient les deux rues, il y avait un homme debout contre le mur. Je dis à cet homme : Quel est ce pays ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas. Je vis la porte d’une maison ouverte, j’y entrai.

    « La première chambre était déserte. J’entrai dans la seconde. Derrière la porte de cette chambre, il y avait un homme debout contre le mur. Je demandai à cet homme : — À qui est cette maison ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « La maison avait un jardin. Je sortis de la maison et j’entrai dans le jardin. Le jardin était désert. Derrière le premier arbre, je trouvai un homme qui se tenait debout. Je dis à cet homme : Quel est ce jardin ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « J’errai dans le village, et je m’aperçus que c’était une ville. Toutes les rues étaient désertes, toutes les portes étaient ouvertes. Aucun être vivant ne passait dans les rues, ne marchait dans les chambres ou ne se promenait dans les jardins. Mais il y avait derrière chaque angle de mur, derrière chaque porte, derrière chaque arbre, un homme debout qui se taisait. On n’en voyait jamais qu’un à la fois. Ces hommes me regardaient passer.

    « Je sortis de la ville et je me mis à marcher dans les champs.

    « Au bout de quelque temps, je me retournai, et je vis une grande foule qui venait derrière moi. Je reconnus tous les hommes que j’avais vus dans la ville. Ils avaient des têtes étranges. Ils ne semblaient pas se hâter, et cependant ils marchaient plus vite que moi. Ils ne faisaient aucun bruit en marchant. En un instant, cette foule me rejoignit et m’entoura. Les visages de ces hommes étaient couleur de terre.

    « Alors le premier que j’avais vu et questionné en entrant dans la ville me dit : — Où allez-vous ? Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes mort depuis longtemps ?

    « J’ouvris la bouche pour répondre, et je m’aperçus qu’il n’y avait personne autour de moi. »

    Il se réveilla. Il était glacé. Un vent qui était froid comme le vent du matin faisait tourner dans leurs gonds les châssis de la croisée restée ouverte. Le feu s’était éteint. La bougie touchait à sa fin. Il était encore nuit noire.

    Il se leva, il alla à la fenêtre. Il n’y avait toujours pas d’étoiles au ciel.

    De sa fenêtre on voyait la cour de la maison et la rue. Un bruit sec et dur qui résonna tout à coup sur le sol lui fit baisser les yeux.

    Il vit au-dessous de lui deux étoiles rouges dont les rayons s’allongeaient et se raccourcissaient bizarrement dans l’ombre.

    Comme sa pensée était encore à demi submergée dans la brume des rêves, — Tiens ! songea-t-il, il n’y en a pas dans le ciel. Elles sont sur la terre maintenant.

    Cependant ce trouble se dissipa, un second bruit pareil au premier acheva de le réveiller, il regarda, et il reconnut que ces deux étoiles étaient les lanternes d’une voiture. À la clarté qu’elles jetaient, il put distinguer la forme de cette voiture. C’était un tilbury attelé d’un petit cheval blanc. Le bruit qu’il avait entendu, c’étaient les coups de pied du cheval sur le pavé.

    Qu’est-ce que c’est que cette voiture ? se dit-il. Qui est-ce qui vient donc si matin ?

    En ce moment on frappa un petit coup à la porte de sa chambre.

    Il frissonna de la tête aux pieds, et cria d’une voix terrible :

    Qui est là ?

    Quelqu’un répondit :

    Moi, monsieur le maire.

    Il reconnut la voix de la vieille femme, sa portière.

    Eh bien, reprit-il, qu’est-ce que c’est ?

    Monsieur le maire, il est tout à l’heure cinq heures du matin.

    Qu’est-ce que cela me fait ?

    Monsieur le maire, c’est le cabriolet.

    Quel cabriolet ?

    Le tilbury.

    Quel tilbury ?

    Est-ce que monsieur le maire n’a pas fait demander un tilbury ?

    Non, dit-il.

    Le cocher dit qu’il vient chercher monsieur le maire.

    Quel cocher ?

    Le cocher de M. Scaufflaire.

    M. Scaufflaire ?

    Ce nom le fit tressaillir comme si un éclair lui eût passé devant la face.

    Ah ! oui ! reprit-il, M. Scaufflaire.

    Si la vieille femme l’eût pu voir en ce moment, elle eût été épouvantée.

    Il se fit un assez long silence. Il examinait d’un air stupide la flamme de la bougie et prenait autour de la mèche de la cire brûlante qu’il roulait dans ses doigts. La vieille attendait. Elle se hasarda pourtant à élever encore la voix :

    Monsieur le maire, que faut-il que je réponde ?

    Dites que c’est bien, et que je descends.


     

    V

    BÂTONS DANS LES ROUES


     

    Le service des postes d’Arras à Montreuil-sur-mer se faisait encore à cette époque par de petites malles du temps de l’empire. Ces malles étaient des cabriolets à deux roues, tapissés de cuir fauve au dedans, suspendus sur des ressorts à pompe, et n’ayant que deux places, l’une pour le courrier, l’autre pour le voyageur. Les roues étaient armées de ces longs moyeux offensifs qui tiennent les autres voitures à distance et qu’on voit encore sur les routes d’Allemagne. Le coffre aux dépêches, immense boîte oblongue, était placé derrière le cabriolet et faisait corps avec lui. Ce coffre était peint en noir et le cabriolet en jaune.

    Ces voitures, auxquelles rien ne ressemble aujourd’hui, avaient je ne sais quoi de difforme et de bossu, et, quand on les voyait passer de loin et ramper dans quelque route à l’horizon, elles ressemblaient à ces insectes qu’on appelle, je crois, termites, et qui, avec un petit corsage, traînent un gros arrière-train. Elles allaient, du reste, fort vite. La malle partie d’Arras toutes les nuits à une heure, après le passage du courrier de Paris, arrivait à Montreuil-sur-mer un peu avant cinq heures du matin.

    Cette nuit-là, la malle qui descendait à Montreuil-sur-mer par la route de Hesdin accrocha, au tournant d’une rue, au moment où elle entrait dans la ville, un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, qui venait en sens inverse et dans lequel il n’y avait qu’une personne, un homme enveloppé d’un manteau. La roue du tilbury reçut un choc assez rude. Le courrier cria à cet homme d’arrêter, mais le voyageur n’écouta pas, et continua sa route au grand trot.

    Voilà un homme diablement pressé ! dit le courrier.

    L’homme qui se hâtait ainsi, c’est celui que nous venons de voir se débattre dans des convulsions dignes à coup sûr de pitié.

    Où allait-il ? Il n’eût pu le dire. Pourquoi se hâtait-il ? Il ne savait. Il allait au hasard devant lui. Où ? À Arras sans doute ; mais il allait peut-être ailleurs aussi. Par moments il le sentait, et il tressaillait. Il s’enfonçait dans cette nuit comme dans un gouffre. Quelque chose le poussait, quelque chose l’attirait. Ce qui se passait en lui, personne ne pourrait le dire, tous le comprendront. Quel homme n’est entré, au moins une fois en sa vie, dans cette obscure caverne de l’inconnu ?

    Du reste il n’avait rien résolu, rien décidé, rien arrêté, rien fait. Aucun des actes de sa conscience n’avait été définitif. Il était plus que jamais comme au premier moment.

    Pourquoi allait-il à Arras ?

    Il se répétait ce qu’il s’était déjà dit en retenant le cabriolet de Scaufflaire, — que, quel que dût être le résultat, il n’y avait aucun inconvénient à voir de ses yeux, à juger les choses par lui-même ; — que cela même était prudent, qu’il fallait savoir ce qui se passerait ; — qu’on ne pouvait rien décider sans avoir observé et scruté ; — que de loin on se faisait des montagnes de tout ; qu’au bout du compte, lorsqu’il aurait vu ce Champmathieu, quelque misérable, sa conscience serait probablement fort soulagée de le laisser aller au bagne à sa place ; — qu’à la vérité il y aurait là Javert, et ce Brevet, ce Chenildieu, ce Cochepaille, anciens forçats qui l’avaient connu ; mais qu’à coup sûr ils ne le reconnaîtraient pas ; — bah ! quelle idée ! — que Javert en était à cent lieues ; — que toutes les conjectures et toutes les suppositions étaient fixées sur ce Champmathieu, et que rien n’est entêté comme les suppositions et les conjectures ; — qu’il n’y avait donc aucun danger.

    Que sans doute c’était un moment noir, mais qu’il en sortirait ; — qu’après tout il tenait sa destinée, si mauvaise qu’elle voulût être, dans sa main ; — qu’il en était le maître. Il se cramponnait à cette pensée.

    Au fond, pour tout dire, il eût mieux aimé ne point aller à Arras.

    Cependant il y allait.

    Tout en songeant, il fouettait le cheval, lequel trottait de ce bon trot réglé et sûr qui fait deux lieues et demie à l’heure.

    À mesure que le cabriolet avançait, il sentait quelque chose en lui qui reculait.

    Au point du jour il était en rase campagne ; la ville de Montreuil-sur-mer était assez loin derrière lui. Il regarda l’horizon blanchir ; il regarda, sans les voir, passer devant ses yeux toutes les froides figures d’une aube d’hiver. Le matin a ses spectres comme le soir. Il ne les voyait pas, mais, à son insu, et par une sorte de pénétration presque physique, ces noires silhouettes d’arbres et de collines ajoutaient à l’état violent de son âme je ne sais quoi de morne et de sinistre.

    Chaque fois qu’il passait devant une de ces maisons isolées qui côtoient parfois les routes, il se disait : il y a pourtant là-dedans des gens qui dorment !

    Le trot du cheval, les grelots du harnais, les roues sur le pavé, faisaient un bruit doux et monotone. Ces choses-là sont charmantes quand on est joyeux et lugubres quand on est triste.

    Il était grand jour lorsqu’il arriva à Hesdin. Il s’arrêta devant une auberge pour laisser souffler le cheval et lui faire donner l’avoine.

    Ce cheval était, comme l’avait dit Scaufflaire, de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre et pas assez d’encolure, mais qui a le poitrail ouvert, la croupe large, la jambe sèche et fine et le pied solide ; race laide, mais robuste et saine. L’excellente bête avait fait cinq lieues en deux heures et n’avait pas une goutte de sueur sur la croupe.

    Il n’était pas descendu du tilbury. Le garçon d’écurie qui apportait l’avoine se baissa tout à coup et examina la roue de gauche.

    Allez-vous loin comme cela ? dit cet homme.

    Il répondit, presque sans sortir de sa rêverie :

    Pourquoi ?

    Venez-vous de loin ? reprit le garçon.

    De cinq lieues d’ici.

    Ah !

    Pourquoi dites-vous : ah ?

    Le garçon se pencha de nouveau, resta un moment silencieux, l’œil fixé sur la roue, puis se redressa en disant :

    C’est que voilà une roue qui vient de faire cinq lieues, c’est possible, mais qui à coup sûr ne fera pas maintenant un quart de lieue.

    Il sauta à bas du tilbury.

    Que dites-vous là, mon ami ?

    Je dis que c’est un miracle que vous ayez fait cinq lieues sans rouler, vous et votre cheval, dans quelque fossé de la grande route. Regardez plutôt.

    La roue en effet était gravement endommagée. Le choc de la malle-poste avait fendu deux rayons et labouré le moyeu dont l’écrou ne tenait plus.

    Mon ami, dit-il au garçon d’écurie, il y a un charron ici ?

    Sans doute, monsieur.

    Rendez-moi le service de l’aller chercher.

    Il est là, à deux pas. Hé ! maître Bourgaillard !

    Maître Bourgaillard, le charron, était sur le seuil de sa porte. Il vint examiner la roue et fit la grimace d’un chirurgien qui considère une jambe cassée.

    Pouvez-vous raccommoder cette roue sur-le-champ ?

    Oui, monsieur.

    Quand pourrai-je repartir ?

    Demain.

    Demain !

    Il y a une grande journée d’ouvrage. Est-ce que monsieur est pressé ?

    Très pressé. Il faut que je reparte dans une heure au plus tard.

    Impossible, monsieur.

    Je payerai tout ce qu’on voudra.

    Impossible.

    Eh bien ! dans deux heures.

    Impossible pour aujourd’hui. Il faut refaire deux rais et un moyeu. Monsieur ne pourra repartir avant demain.

    L’affaire que j’ai ne peut attendre à demain. Si, au lieu de raccommoder cette roue, on la remplaçait ?

    Comment cela ?

    Vous êtes charron ?

    Sans doute, monsieur.

    Est-ce que vous n’auriez pas une roue à me vendre ? Je pourrais repartir tout de suite.

    Une roue de rechange ?

    Oui.

    Je n’ai pas une roue toute faite pour votre cabriolet. Deux roues font la paire. Deux roues ne vont pas ensemble au hasard.

    En ce cas, vendez-moi une paire de roues.

    Monsieur, toutes les roues ne vont pas à tous les essieux.

    Essayez toujours.

    C’est inutile, monsieur. Je n’ai à vendre que des roues de charrette. Nous sommes un petit pays ici.

    Auriez-vous un cabriolet à me louer ?

    Le maître charron, du premier coup d’œil, avait reconnu que le tilbury était une voiture de louage. Il haussa les épaules.

    Vous les arrangez bien, les cabriolets qu’on vous loue ! j’en aurais un que je ne vous le louerais pas.

    Eh bien, à me vendre ?

    Je n’en ai pas.

    Quoi ! pas une carriole ? Je ne suis pas difficile, comme vous voyez.

    Nous sommes un petit pays. J’ai bien là sous la remise, ajouta le charron, une vieille calèche qui est à un bourgeois de la ville qui me l’a donnée en garde et qui s’en sert tous les trente-six du mois. Je vous la louerais bien, qu’est-ce que cela me fait ? mais il ne faudrait pas que le bourgeois la vît passer ; et puis, c’est une calèche, il faudrait deux chevaux.

    Je prendrai deux chevaux de poste.

    Où va monsieur ?

    À Arras.

    Et monsieur veut arriver aujourd’hui ?

    Mais oui.

    En prenant des chevaux de poste ?

    Pourquoi pas ?

    Est-il égal à monsieur d’arriver cette nuit à quatre heures du matin ?

    Non certes.

    C’est que, voyez-vous bien, il y a une chose à dire, en prenant des chevaux de poste… — Monsieur a son passeport ?

    Oui.

    Eh bien, en prenant des chevaux de poste, monsieur n’arrivera pas à Arras avant demain. Nous sommes un chemin de traverse. Les relais sont mal servis, les chevaux sont aux champs. C’est la saison des grandes charrues qui commence, il faut de forts attelages, et l’on prend les chevaux partout, à la poste comme ailleurs. Monsieur attendra au moins trois ou quatre heures à chaque relais. Et puis on va au pas. Il y a beaucoup de côtes à monter.

    Allons, j’irai à cheval. Dételez le cabriolet. On me vendra bien une selle dans le pays.

    Sans doute. Mais ce cheval-ci endure-t-il la selle ?

    C’est vrai, vous m’y faites penser. Il ne l’endure pas.

    Alors…

    Mais je trouverai bien dans le village un cheval à louer ?

    Un cheval pour aller à Arras d’une traite !

    Oui.

    Il faudrait un cheval comme on n’en a pas dans nos endroits. Il faudrait l’acheter d’abord, car on ne vous connaît pas. Mais ni à vendre, ni à louer, ni pour cinq cents francs, ni pour mille, vous ne le trouveriez pas !

    Comment faire ?

    Le mieux, là, en honnête homme, c’est que je raccommode la roue et que vous remettiez votre voyage à demain.

    Demain il sera trop tard.

    Dame !

    N’y a-t-il pas la malle-poste qui va à Arras ? Quand passe-t-elle ?

    La nuit prochaine. Les deux malles font le service la nuit, celle qui monte comme celle qui descend.

    Comment ! il vous faut une journée pour raccommoder cette roue ?

    Une journée, et une bonne !

    En mettant deux ouvriers ?

    En en mettant dix !

    Si on liait les rayons avec des cordes ?

    Les rayons, oui ; le moyeu, non. Et puis la jante aussi est en mauvais état.

    Y a-t-il un loueur de voitures dans la ville ?

    Non.

    Y a-t-il un autre charron ?

    Le garçon d’écurie et le maître charron répondirent en même temps en hochant la tête.

    Non.

    Il sentit une immense joie.

    Il était évident que la providence s’en mêlait. C’était elle qui avait brisé la roue du tilbury et qui l’arrêtait en route. Il ne s’était pas rendu à cette espèce de première sommation ; il venait de faire tous les efforts possibles pour continuer son voyage ; il avait loyalement et scrupuleusement épuisé tous les moyens ; il n’avait reculé ni devant la saison, ni devant la fatigue, ni devant la dépense ; il n’avait rien à se reprocher. S’il n’allait pas plus loin, cela ne le regardait plus. Ce n’était plus sa faute, c’était, non le fait de sa conscience, mais le fait de la providence.

    Il respira. Il respira librement et à pleine poitrine pour la première fois depuis la visite de Javert. Il lui semblait que le poignet de fer qui lui serrait le cœur depuis vingt heures, venait de le lâcher.

    Il lui paraissait que maintenant Dieu était pour lui, et se déclarait.

    Il se dit qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait, et qu’à présent il n’avait qu’à revenir sur ses pas, tranquillement.

    Si sa conversation avec le charron eût eu lieu dans une chambre de l’auberge, elle n’eût point eu de témoins, personne ne l’eût entendue, les choses en fussent restées là, et il est probable que nous n’aurions eu à raconter aucun des événements qu’on va lire ; mais cette conversation s’était faite dans la rue. Tout colloque dans la rue produit inévitablement un cercle. Il y a toujours des gens qui ne demandent qu’à être spectateurs. Pendant qu’il questionnait le charron, quelques allants et venants s’étaient arrêtés autour d’eux. Après avoir écouté pendant quelques minutes, un jeune garçon, auquel personne n’avait pris garde, s’était détaché du groupe en courant.

    Au moment où le voyageur, après la délibération intérieure que nous venons d’indiquer, prenait la résolution de rebrousser chemin, cet enfant revenait. Il était accompagné d’une vieille femme.

    Monsieur, dit la femme, mon garçon me dit que vous avez envie de louer un cabriolet.

    Cette simple parole, prononcée par une vieille femme que conduisait un enfant, lui fit ruisseler la sueur dans les reins. Il crut voir la main qui l’avait lâché reparaître dans l’ombre derrière lui, toute prête à le reprendre.

    Il répondit :

    Oui, bonne femme, je cherche un cabriolet à louer.

    Et il se hâta d’ajouter :

    Mais il n’y en a pas dans le pays.

    Si fait, dit la vieille.

    Où ça donc ? reprit le charron.

    Chez moi, répliqua la vieille.

    Il tressaillit. La main fatale l’avait ressaisi.

    La vieille avait en effet sous un hangar une façon de carriole en osier. Le charron et le garçon d’auberge, désolés que le voyageur leur échappât, intervinrent.

    C’était une affreuse guimbarde, — cela était posé à cru sur l’essieu, — il est vrai que les banquettes étaient suspendues à l’intérieur avec des lanières de cuir, — il pleuvait dedans, — les roues étaient rouillées et rongées d’humidité, — cela n’irait pas beaucoup plus loin que le tilbury, — une vraie patache ! — Ce monsieur aurait bien tort de s’y embarquer, — etc., etc.

    Tout cela était vrai, mais cette guimbarde, cette patache, cette chose, quelle qu’elle fût, roulait sur ses deux roues et pouvait aller à Arras.

    Il paya ce qu’on voulut, laissa le tilbury à réparer chez le charron pour l’y retrouver à son retour, fit atteler le cheval blanc à la carriole, y monta, et reprit la route qu’il suivait depuis le matin.

    Au moment où la carriole s’ébranla, il s’avoua qu’il avait eu l’instant d’auparavant une certaine joie de songer qu’il n’irait point où il allait. Il examina cette joie avec une sorte de colère et la trouva absurde. Pourquoi de la joie à revenir en arrière ? Après tout, il faisait ce voyage librement. Personne ne l’y forçait.

    Et, certainement, rien n’arriverait que ce qu’il voudrait bien.

    Comme il sortait de Hesdin, il entendit une voix qui lui criait : arrêtez ! arrêtez ! Il arrêta la carriole d’un mouvement vif dans lequel il y avait encore je ne sais quoi de fébrile et de convulsif qui ressemblait à de l’espérance.

    C’était le petit garçon de la vieille.

    Monsieur, dit-il, c’est moi qui vous ai procuré la carriole.

    Eh bien ?

    Vous ne m’avez rien donné.

    Lui qui donnait à tous et si facilement, il trouva cette prétention exorbitante et presque odieuse.

    Ah ! c’est toi, drôle ? dit-il, tu n’auras rien !

    Il fouetta le cheval et repartit au grand trot.

    Il avait perdu beaucoup de temps à Hesdin, il eût voulu le rattraper. Le petit cheval était courageux et tirait comme deux ; mais on était au mois de février, il avait plu, les routes étaient mauvaises. Et puis, ce n’était plus le tilbury. La carriole était dure et très lourde. Avec cela force montées.

    Il mit près de quatre heures pour aller de Hesdin à Saint-Pol. Quatre heures pour cinq lieues.

    À Saint-Pol il détela à la première auberge venue, et fit mener le cheval à l’écurie. Comme il l’avait promis à Scaufflaire, il se tint près du râtelier pendant que le cheval mangeait. Il songeait à des choses tristes et confuses.

    La femme de l’aubergiste entre dans l’écurie.

    Est-ce que monsieur ne veut pas déjeuner ?

    Tiens, c’est vrai, dit-il, j’ai même bon appétit.

    Il suivit cette femme qui avait une figure fraîche et réjouie. Elle le conduisit dans une salle basse où il y avait des tables ayant pour nappes des toiles cirées.

    Dépêchez-vous, reprit-il, il faut que je reparte. Je suis pressé.

    Une grosse servante flamande mit son couvert en toute hâte. Il regardait cette fille avec un sentiment de bien-être.

    C’est là ce que j’avais, pensa-t-il. Je n’avais pas déjeuné.

    On le servit. Il se jeta sur le pain, mordit une bouchée, puis le reposa lentement sur la table et n’y toucha plus.

    Un roulier mangeait à une autre table. Il dit à cet homme :

    Pourquoi leur pain est-il donc si amer ?

    Le roulier était allemand et n’entendit pas.

    Il retourna dans l’écurie près du cheval.

    Une heure après, il avait quitté Saint-Pol et se dirigeait vers Tinques qui n’est qu’à cinq lieues d’Arras.

    Que faisait-il pendant ce trajet ? À quoi pensait-il ? Comme le matin, il regardait passer les arbres, les toits de chaume, les champs cultivés, et les évanouissements du paysage qui se disloque à chaque coude du chemin. C’est là une contemplation qui suffit quelquefois à l’âme et qui la dispense presque de penser. Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond ! Voyager, c’est naître et mourir à chaque instant. Peut-être, dans la région la plus vague de son esprit, faisait-il des rapprochements entre ces horizons changeants et l’existence humaine. Toutes les choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent : après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres.

    Le crépuscule tombait au moment où des enfants qui sortaient de l’école regardèrent ce voyageur entrer dans Tinques. Il est vrai qu’on était encore aux jours courts de l’année. Il ne s’arrêta pas à Tinques. Comme il débouchait du village, un cantonnier qui empierrait la route dressa la tête et dit :

    Voilà un cheval bien fatigué.

    La pauvre bête en effet n’allait plus qu’au pas.

    Est-ce que vous allez à Arras ? ajouta le cantonnier.

    Oui.

    Si vous allez de ce train, vous n’y arriverez pas de bonne heure.

    Il arrêta le cheval et demanda au cantonnier :

    Combien y a-t-il encore d’ici à Arras ?

    Près de sept grandes lieues.

    Comment cela ? le livre de poste ne marque que cinq lieues et un quart.

    Ah ! reprit le cantonnier, vous ne savez donc pas que la route est en réparation ? Vous allez la trouver coupée à un quart d’heure d’ici. Pas moyen d’aller plus loin.

    Vraiment ?

    Vous prendrez à gauche, le chemin qui va à Carency, vous passerez la rivière ; et, quand vous serez à Camblin, vous tournerez à droite ; c’est la route de Mont-Saint-Éloy qui va à Arras.

    Mais voilà la nuit, je me perdrai.

    Vous n’êtes pas du pays ?

    Non.

    Avec ça, c’est tout chemins de traverse. Tenez, Monsieur, reprit le cantonnier, voulez-vous que je vous donne un conseil ? Votre cheval est las, rentrez dans Tinques. Il y a une bonne auberge. Couchez-y. Vous irez demain à Arras.

    Il faut que j’y sois ce soir.

    C’est différent. Alors allez tout de même à cette auberge et prenez-y un cheval de renfort. Le garçon du cheval vous guidera dans la traverse.

    Il suivit le conseil du cantonnier, rebroussa chemin, et une demi-heure après il repassait au même endroit, mais au grand trot, avec un bon cheval de renfort. Un garçon d’écurie qui s’intitulait postillon était assis sur le brancard de la carriole.

    Cependant il sentait qu’il perdait du temps.

    Il faisait tout à fait nuit.

    Ils s’engagèrent dans la traverse. La route devint affreuse. La carriole tombait d’une ornière dans l’autre. Il dit au postillon :

    Toujours au trot, et double pourboire.

    Dans un cahot le palonnier cassa.

    Monsieur, dit le postillon, voilà le palonnier cassé, je ne sais plus comment atteler mon cheval, cette route-ci est bien mauvaise la nuit ; si vous vouliez revenir coucher à Tinques, nous pourrions être demain matin de bonne heure à Arras.

    Il répondit : — As-tu un bout de corde et un couteau ?

    Oui, monsieur.

    Il coupa une branche d’arbre et en fit un palonnier.

    Ce fut encore une perte de vingt minutes ; mais ils repartirent au galop.

    La plaine était ténébreuse. Des brouillards bas, courts et noirs rampaient sur les collines et s’en arrachaient comme des fumées. Il y avait des lueurs blanchâtres dans les nuages. Un grand vent qui venait de la mer faisait dans tous les coins de l’horizon le bruit de quelqu’un qui remue des meubles. Tout ce qu’on entrevoyait avait des attitudes de terreur. Que de choses frissonnent sous ces vastes souffles de la nuit !

    Le froid le pénétrait. Il n’avait pas mangé depuis la veille. Il se rappelait vaguement son autre course nocturne dans la grande plaine aux environs de Digne. Il y avait huit ans ; et cela lui semblait hier.

    Une heure sonna à quelque clocher lointain. Il demanda au garçon :

    Quelle est cette heure ?

    Sept heures, monsieur. Nous serons à Arras à huit. Nous n’avons plus que trois lieues.

    En ce moment il fit pour la première fois cette réflexion — en trouvant étrange qu’elle ne lui fût pas venue plus tôt : — que c’était peut-être inutile, toute la peine qu’il prenait ; qu’il ne savait seulement pas l’heure du procès ; qu’il aurait dû au moins s’en informer ; qu’il était extravagant d’aller ainsi devant soi sans savoir si cela servirait à quelque chose. — Puis il ébaucha quelques calculs dans son esprit : — qu’ordinairement les séances des cours d’assises commençaient à neuf heures du matin ; — que cela ne devait pas être long, cette affaire-là ; — que le vol de pommes, ce serait très court ; — qu’il n’y aurait plus ensuite qu’une question d’identité ; — quatre ou cinq dépositions, peu de chose à dire pour les avocats ; — qu’il allait arriver lorsque tout serait fini !

    Le postillon fouettait les chevaux. Ils avaient passé la rivière et laissé derrière eux Mont-Saint-Éloy.

    La nuit devenait de plus en plus profonde.


     

    VI

    LA SŒUR SIMPLICE MISE À L’ÉPREUVE


     

    Cependant, en ce moment-là même, Fantine était dans la joie.

    Elle avait passé une très mauvaise nuit. Toux affreuse, redoublement de fièvre ; elle avait eu des songes. Le matin, à la visite du médecin, elle délirait. Il avait eu l’air alarmé et avait recommandé qu’on le prévînt dès que M. Madeleine viendrait.

    Toute la matinée elle fut morne, parla peu, et fit des plis à ses draps en murmurant à voix basse des calculs qui avaient l’air d’être des calculs de distances. Ses yeux étaient caves et fixes. Ils paraissaient presque éteints, et puis, par moments, ils se rallumaient et resplendissaient comme des étoiles. Il semble qu’aux approches d’une certaine heure sombre, la clarté du ciel emplisse ceux que quitte la clarté de la terre.

    Chaque fois que la sœur Simplice lui demandait comment elle se trouvait, elle répondait invariablement : — Bien. Je voudrais voir monsieur Madeleine.

    Quelques mois auparavant, à ce moment où Fantine venait de perdre sa dernière pudeur, sa dernière honte et sa dernière joie, elle était l’ombre d’elle-même ; maintenant elle en était le spectre. Le mal physique avait complété l’œuvre du mal moral. Cette créature de vingt-cinq ans avait le front ridé, les joues flasques, les narines pincées, les dents déchaussées, le teint plombé, le cou osseux, les clavicules saillantes, les membres chétifs, la peau terreuse, et ses cheveux blonds poussaient mêlés de cheveux gris. Hélas ! comme la maladie improvise la vieillesse !

    À midi, le médecin revint, il fit quelques prescriptions, s’informa si M. le maire avait paru à l’infirmerie, et branla la tête.

    M. Madeleine venait d’habitude à trois heures voir la malade. Comme l’exactitude était de la bonté, il était exact.

    Vers deux heures et demie, Fantine commença à s’agiter. Dans l’espace de vingt minutes, elle demanda plus de dix fois à la religieuse : — Ma sœur, quelle heure est-il ?

    Trois heures sonnèrent. Au troisième coup, Fantine se dressa sur son séant, elle qui d’ordinaire pouvait à peine remuer dans son lit ; elle joignit dans une sorte d’étreinte convulsive ses deux mains décharnées et jaunes, et la religieuse entendit sortir de sa poitrine un de ces soupirs profonds qui semblent soulever un accablement. Puis Fantine se tourna et regarda la porte.

    Personne n’entra ; la porte ne s’ouvrit point.

    Elle resta ainsi un quart d’heure, l’œil attaché sur la porte, immobile et comme retenant son haleine. La sœur n’osait lui parler. L’église sonna trois heures un quart. Fantine se laissa retomber sur l’oreiller.

    Elle ne dit rien et se remit à faire des plis à son drap.

    La demi-heure passa, puis l’heure. Personne ne vint. Chaque fois que l’horloge sonnait, Fantine se dressait et regardait du côté de la porte, puis elle retombait.

    On voyait clairement sa pensée, mais elle ne prononçait aucun nom, elle ne se plaignait pas, elle n’accusait pas. Seulement elle toussait d’une façon lugubre. On eût dit que quelque chose d’obscur s’abaissait sur elle. Elle était livide et avait les lèvres bleues. Elle souriait par moments.

    Cinq heures sonnèrent. Alors la sœur l’entendit qui disait très bas et doucement : — Mais puisque je m’en vais demain, il a tort de ne pas venir aujourd’hui !

    La sœur Simplice elle-même était surprise du retard de M. Madeleine.

    Cependant Fantine regardait le ciel de son lit. Elle avait l’air de chercher à se rappeler quelque chose. Tout à coup elle se mit à chanter d’une voix faible comme un souffle. La religieuse écouta. Voici ce que Fantine chantait :

     


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    La vierge Marie auprès de mon poêle
    Est venue hier en manteau brodé,
    Et m’a dit : — Voici, caché sous mon voile,
    Le petit qu’un jour tu m’as demandé. —
    Courez à la ville, ayez de la toile,
    Achetez du fil, achetez un dé.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.


    Bonne sainte Vierge, auprès de mon poêle
    J’ai mis un berceau de rubans orné.
    Dieu me donnerait sa plus belle étoile,
    J’aime mieux l’enfant que tu m’as donné.
    — Madame, que faire avec cette toile ?
    — Faites un trousseau pour mon nouveau-né.


    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    — Lavez cette toile. — Où ? — Dans la rivière.
    Faites-en, sans rien gâter ni salir,
    Une belle jupe avec sa brassière
    Que je veux broder et de fleurs emplir.
    — L’enfant n’est plus là, madame, qu’en faire ?
    — Faites-en un drap pour m’ensevelir.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.

     

    Cette chanson était une vieille romance de berceuse avec laquelle autrefois elle endormait sa petite Cosette, et qui ne s’était pas offerte à son esprit depuis cinq ans qu’elle n’avait plus son enfant. Elle chantait cela d’une voix si triste et sur un air si doux que c’était à faire pleurer, même une religieuse. La sœur, habituée aux choses austères, sentit une larme lui venir.

    L’horloge sonna six heures. Fantine ne parut pas entendre. Elle semblait ne plus faire attention à aucune chose autour d’elle.

    La sœur Simplice envoya une fille de service s’informer près de la portière de la fabrique si M. le maire était rentré et s’il ne monterait pas bientôt à l’infirmerie. La fille revint au bout de quelques minutes.

    Fantine était toujours immobile et paraissait attentive à des idées qu’elle avait.

    La servante raconta très bas à la sœur Simplice que M. le maire était parti le matin même avant six heures dans un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, par le froid qu’il faisait, qu’il était parti seul, pas même de cocher, qu’on ne savait pas le chemin qu’il avait pris, que des personnes disaient l’avoir vu tourner par la route d’Arras, que d’autres assuraient l’avoir rencontré sur la route de Paris. Qu’en s’en allant il avait été comme à l’ordinaire très doux, et qu’il avait seulement dit à la portière qu’on ne l’attendît pas cette nuit.

    Pendant que les deux femmes, le dos tourné au lit de la Fantine, chuchotaient, la sœur questionnant, la servante conjecturant, la Fantine, avec cette vivacité fébrile de certaines maladies organiques qui mêle les mouvements libres de la santé à l’effrayante maigreur de la mort, s’était mise à genoux sur son lit, ses deux poings crispés appuyés sur le traversin, et, la tête passée par l’intervalle des rideaux, elle écoutait. Tout à coup elle cria :

    Vous parlez là de monsieur Madeleine ! pourquoi parlez-vous tout bas ? Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi ne vient-il pas ?

    Sa voix était si brusque et si rauque que les deux femmes crurent entendre une voix d’homme ; elles se retournèrent effrayées.

    Répondez donc ! cria Fantine.

    La servante balbutia :

    La portière m’a dit qu’il ne pourrait pas venir aujourd’hui.

    Mon enfant, dit la sœur, tenez-vous tranquille, recouchez-vous.

    Fantine, sans changer d’attitude, reprit d’une voix haute et avec un accent tout à la fois impérieux et déchirant :

    Il ne pourra venir... Pourquoi cela ? Vous savez la raison. Vous la chuchotiez là entre vous. Je veux le savoir.

    La servante se hâta de dire à l’oreille de la religieuse :

    Répondez qu’il est occupé au conseil municipal.

    La sœur Simplice rougit légèrement ; c’était un mensonge que la servante lui proposait. D’un autre côté il lui semblait bien que dire la vérité à la malade ce serait sans doute lui porter un coup terrible et que cela était grave dans l’état où était Fantine. Cette rougeur dura peu. La sœur leva sur Fantine son œil calme et triste, et dit :

    Monsieur le maire est parti.

    Fantine se redressa et s’assit sur ses talons. Ses yeux étincelèrent. Une joie inouïe rayonna sur cette physionomie douloureuse.

    Parti ! s’écria-t-elle. Il est allé chercher Cosette !

    Puis elle tendit ses deux mains vers le ciel et tout son visage devint ineffable. Ses lèvres remuaient ; elle priait à voix basse.

    Quand sa prière fut finie : — Ma sœur, dit-elle, je veux bien me recoucher, je vais faire tout ce qu’on voudra ; tout à l’heure j’ai été méchante, je vous demande pardon d’avoir parlé si haut, c’est très mal de parler haut, je le sais bien, ma bonne sœur ; mais voyez-vous, je suis très contente. Le bon Dieu est bon, monsieur Madeleine est bon, figurez-vous qu’il est allé chercher ma petite Cosette à Montfermeil.

    Elle se recoucha, aida la religieuse à arranger l’oreiller et baisa une petite croix d’argent qu’elle avait au cou et que la sœur Simplice lui avait donnée.

    Mon enfant, dit la sœur, tâchez de reposer maintenant, et ne parlez plus.

    Fantine prit dans ses mains moites la main de la sœur, qui souffrait de lui sentir cette sueur.

    Il est parti ce matin pour aller à Paris. Au fait il n’a pas même besoin de passer par Paris. Montfermeil, c’est un peu à gauche en venant. Vous rappelez-vous comme il me disait hier quand je lui parlais de Cosette : bientôt, bientôt ! C’est une surprise qu’il veut me faire. Vous savez ? il m’avait fait signer une lettre pour la reprendre aux Thénardier. Ils n’auront rien à dire, pas vrai ? Ils rendront Cosette. Puisqu’ils sont payés. Les autorités ne souffriraient pas qu’on garde un enfant quand on est payé. Ma sœur, ne me faites pas signe qu’il ne faut pas que je parle. Je suis extrêmement heureuse, je vais très bien, je n’ai plus de mal du tout, je vais revoir Cosette, j’ai même très faim. Il y a près de cinq ans que je ne l’ai vue. Vous ne vous figurez pas, vous, comme cela vous tient, les enfants ! Et puis elle sera si gentille, vous verrez ! Si vous saviez, elle a de si jolis petits doigts roses ! D’abord elle aura de très belles mains. À un an, elle avait des mains ridicules. Ainsi ! — Elle doit être grande à présent. Cela vous a sept ans. C’est une demoiselle. Je l’appelle Cosette, mais elle s’appelle Euphrasie. Tenez, ce matin, je regardais de la poussière qui était sur la cheminée et j’avais bien l’idée comme cela que je reverrais bientôt Cosette. Mon Dieu ! comme on a tort d’être des années sans voir ses enfants ! on devrait bien réfléchir que la vie n’est pas éternelle ! Oh ! comme il est bon d’être parti, monsieur le maire ! C’est vrai ça qu’il fait bien froid ? avait-il son manteau au moins ? Il sera ici demain, n’est-ce pas ? Ce sera demain fête. Demain matin, ma sœur, vous me ferez penser à mettre mon petit bonnet qui a de la dentelle. Montfermeil, c’est un pays. J’ai fait cette route-là, à pied, dans le temps. Il y a eu bien loin pour moi. Mais les diligences vont très vite ! Il sera ici demain avec Cosette. Combien y a-t-il d’ici Montfermeil ?

    La sœur, qui n’avait aucune idée des distances, répondit :

    Oh ! je crois bien qu’il pourra être ici demain.

    Demain ! demain ! dit Fantine, je verrai Cosette demain ! Voyez-vous, bonne sœur du bon Dieu, je ne suis plus malade. Je suis folle. Je danserais, si on voulait.

    Quelqu’un qui l’eût vue un quart d’heure auparavant n’y eût rien compris. Elle était maintenant toute rose, elle parlait d’une voix vive et naturelle, toute sa figure n’était qu’un sourire. Par moments elle riait en se parlant tout bas. Joie de mère, c’est presque joie d’enfant.

    Eh bien, reprit la religieuse, vous voilà heureuse, obéissez-moi, ne parlez plus.

    Fantine posa sa tête sur l’oreiller et dit à demi-voix : — Oui, recouche-toi, sois sage puisque tu vas avoir ton enfant. Elle a raison, sœur Simplice. Tous ceux qui sont ici ont raison.

    Et puis, sans bouger, sans remuer la tête, elle se mit à regarder partout avec ses yeux tout grands ouverts et un air joyeux, et elle ne dit plus rien.

    La sœur referma ses rideaux, espérant qu’elle s’assoupirait.

    Entre sept et huit heures le médecin vint. N’entendant aucun bruit, il crut que Fantine dormait, entra doucement et s’approcha du lit sur la pointe du pied. Il entr’ouvrit les rideaux, et à la lueur de la veilleuse il vit les grands yeux calmes de Fantine qui le regardaient.

    Elle lui dit : — Monsieur, n’est-ce pas, on me laissera la coucher à côté de moi dans un petit lit ?

    Le médecin crut qu’elle délirait. Elle ajouta :

    Regardez plutôt, il y a juste de la place.

    Le médecin prit à part la sœur Simplice qui lui expliqua la chose, que M. Madeleine était absent pour un jour ou deux, et que, dans le doute, on n’avait pas cru devoir détromper la malade qui croyait monsieur le maire parti pour Montfermeil ; qu’il était possible en somme qu’elle eût deviné juste. Le médecin approuva.

    Il se rapprocha du lit de Fantine, qui reprit :

    C’est que, voyez-vous, le matin, quand elle s’éveillera, je lui dirai bonjour à ce pauvre chat, et la nuit, moi qui ne dors pas, je l’entendrai dormir. Sa petite respiration si douce, cela me fera du bien.

    Donnez-moi votre main, dit le médecin.

    Elle tendit son bras, et s’écria en riant :

    Ah ! tiens ! au fait, c’est vrai, vous ne savez pas ! c’est que je suis guérie. Cosette arrive demain.

    Le médecin fut surpris. Elle était mieux. L’oppression était moindre. Le pouls avait repris de la force. Une sorte de vie survenue tout à coup ranimait ce pauvre être épuisé.

    Monsieur le docteur, reprit-elle, la sœur vous a-t-elle dit que monsieur le maire était allé chercher le chiffon ?

    Le médecin recommanda le silence et qu’on évitât toute émotion pénible. Il prescrivit une infusion de quinquina pur, et, pour le cas où la fièvre reprendrait dans la nuit, une potion calmante. En s’en allant, il dit à la sœur : — Cela va mieux. Si le bonheur voulait qu’en effet monsieur le maire arrivât demain avec l’enfant, qui sait ? il y a des crises si étonnantes, on a vu de grandes joies arrêter court des maladies ; je sais bien que celle-ci est une maladie organique, et bien avancée, mais c’est un tel mystère que tout cela ! Nous la sauverions peut-être.


     

    VII

    LE VOYAGEUR ARRIVÉ PREND SES PRÉCAUTIONS POUR REPARTIR


     

    Il était près de huit heures du soir quand la carriole que nous avons laissée en route entra sous la porte cochère de l’hôtel de la Poste à Arras. L’homme que nous avons suivi jusqu’à ce moment en descendit, répondit d’un air distrait aux empressements des gens de l’auberge, renvoya le cheval de renfort, et conduisit lui-même le petit cheval blanc à l’écurie ; puis il poussa la porte d’une salle de billard qui était au rez-de-chaussée, s’y assit, et s’accouda sur une table. Il avait mis quatorze heures à ce trajet qu’il comptait faire en six. Il se rendait la justice que ce n’était pas sa faute ; mais au fond il n’en était pas fâché.

    La maîtresse de l’hôtel entra.

    Monsieur couche-t-il ? monsieur soupe-t-il ?

    Il fit un signe de tête négatif.

    Le garçon d’écurie dit que le cheval de monsieur est bien fatigué !

    Ici il rompit le silence.

    Est-ce que le cheval ne pourra pas repartir demain matin ?

    Oh ! monsieur ! il lui faut au moins deux jours de repos.

    Il demanda :

    N’est-ce pas ici le bureau de poste ?

    Oui, monsieur.

    L’hôtesse le mena à ce bureau ; il montra son passeport et s’informa s’il y avait moyen de revenir cette nuit même à Montreuil-sur-mer par la malle ; la place à côté du courrier était justement vacante ; il la retint et la paya. — Monsieur, dit le buraliste, ne manquez pas d’être ici pour partir à une heure précise du matin.

    Cela fait, il sortit de l’hôtel et se mit à marcher dans la ville.

    Il ne connaissait pas Arras, les rues étaient obscures, et il allait au hasard. Cependant il semblait s’obstiner à ne pas demander son chemin aux passants. Il traversa la petite rivière Crinchon et se trouva dans un dédale de ruelles étroites où il se perdit. Un bourgeois cheminait avec un falot. Après quelque hésitation, il prit le parti de s’adresser à ce bourgeois, non sans avoir d’abord regardé devant et derrière lui, comme s’il craignait que quelqu’un n’entendît la question qu’il allait faire.

    Monsieur, dit-il, le palais de justice, s’il vous plaît ?

    Vous n’êtes pas de la ville, monsieur ? répondit le bourgeois qui était un assez vieux homme, eh bien, suivez-moi. Je vais précisément du côté du palais de justice, c’est-à-dire du côté de l’hôtel de la préfecture. Car on répare en ce moment le palais, et provisoirement les tribunaux ont leurs audiences à la préfecture.

    Est-ce là, demanda-t-il, qu’on tient les assises ?

    Sans doute, monsieur. Voyez-vous, ce qui est la préfecture aujourd’hui était l’évêché avant la révolution. Monsieur de Conzié, qui était évêque en quatre-vingt-deux, y a fait bâtir une grande salle. C’est dans cette grande salle qu’on juge.

    Chemin faisant, le bourgeois lui dit :

    Si c’est un procès que monsieur veut voir, il est un peu tard. Ordinairement les séances finissent à six heures.

    Cependant, comme ils arrivaient sur la grande place, le bourgeois lui montra quatre longues fenêtres éclairées sur la façade d’un vaste bâtiment ténébreux.

    Ma foi, monsieur, vous arrivez à temps, vous avez du bonheur. Voyez-vous ces quatre fenêtres ? c’est la cour d’assises. Il y a de la lumière. Donc ce n’est pas fini. L’affaire aura traîné en longueur et on fait une audience du soir. Vous vous intéressez à cette affaire ? Est-ce que c’est un procès criminel ? Est-ce que vous êtes témoin ?

    Il répondit :

    Je ne viens pour aucune affaire, j’ai seulement à parler à un avocat.

    C’est différent, dit le bourgeois. Tenez, monsieur, voici la porte. Où est le factionnaire. Vous n’aurez qu’à monter le grand escalier.

    Il se conforma aux indications du bourgeois, et, quelques minutes après, il était dans une salle où il y avait beaucoup de monde et où des groupes mêlés d’avocats en robe chuchotaient çà et là.

    C’est toujours une chose qui serre le cœur de voir ces attroupements d’hommes vêtus de noir qui murmurent entre eux à voix basse sur le seuil des chambres de justice. Il est rare que la charité et la pitié sortent de toutes ces paroles. Ce qui en sort le plus souvent, ce sont des condamnations faites d’avance. Tous ces groupes semblent à l’observateur qui passe et qui rêve autant de ruches sombres où des esprits bourdonnants construisent en commun toutes sortes d’édifices ténébreux.

    Cette salle, spacieuse et éclairée d’une seule lampe, était une ancienne salle de l’évêché et servait de salle des pas perdus. Une porte à deux battants, fermée en ce moment, la séparait de la grande chambre où siégeait la cour d’assises.

    L’obscurité était telle qu’il ne craignit pas de s’adresser au premier avocat qu’il rencontra.

    Monsieur, dit-il, où en est-on ?

    C’est fini, dit l’avocat.

    Fini !

    Ce mot fut répété d’un tel accent que l’avocat se retourna.

    Pardon, monsieur, vous êtes peut-être un parent ?

    Non, Je ne connais personne ici. Et y a-t-il eu condamnation ?

    Sans doute. Cela n’était guère possible autrement.

    Aux travaux forcés ?...

    À perpétuité.

    Il reprit d’une voix tellement faible qu’on l’entendait à peine :

    L’identité a donc été constatée ?

    Quelle identité ? répondit l’avocat. Il n’y avait pas d’identité à constater. L’affaire était simple. Cette femme avait tué son enfant, l’infanticide a été prouvé, le jury a écarté la préméditation, on l’a condamnée à vie.

    C’est donc une femme ? dit-il.

    Mais sûrement. La fille Limosin. De quoi me parlez-vous donc ?

    De rien. Mais puisque c’est fini, comment se fait-il que la salle soit encore éclairée ?

    C’est pour l’autre affaire qu’on a commencée il y a à peu près deux heures.

    Quelle autre affaire ?

    Oh ! celle-là est claire aussi. C’est une espèce de gueux, un récidiviste, un galérien, qui a volé. Je ne sais plus trop son nom. En voilà un qui vous a une mine de bandit. Rien que pour avoir cette figure-là, je l’enverrais aux galères.

    Monsieur, demanda-t-il, y a-t-il moyen de pénétrer dans la salle ?

    Je ne crois vraiment pas. Il y a beaucoup de foule. Cependant l’audience est suspendue. Il y a des gens qui sont sortis, et, à la reprise de l’audience, vous pourrez essayer.

    Par où entre-t-on ?

    Par cette grande porte.

    L’avocat le quitta. En quelques instants, il avait éprouvé, presque en même temps, presque mêlées, toutes les émotions possibles. Les paroles de cet indifférent lui avaient tour à tour traversé le cœur comme des aiguilles de glace et comme des lames de feu. Quand il vit que rien n’était terminé, il respira ; mais il n’eût pu dire si ce qu’il ressentait était du contentement ou de la douleur.

    Il s’approcha de plusieurs groupes et il écouta ce qu’on disait. Le rôle de la session étant très chargé, le président avait indiqué pour ce même jour deux affaires simples et courtes. On avait commencé par l’infanticide, et maintenant on en était au forçat, au récidiviste, au « cheval de retour ». Cet homme avait volé des pommes, mais cela ne paraissait pas bien prouvé ; ce qui était prouvé, c’est qu’il avait été déjà aux galères à Toulon. C’est ce qui faisait son affaire mauvaise. Du reste, l’interrogatoire de l’homme était terminé et les dépositions des témoins ; mais il y avait encore les plaidoiries de l’avocat et le réquisitoire du ministère public ; cela ne devait guère finir avant minuit. L’homme serait probablement condamné ; l’avocat général était très bon, — et ne manquait pas ses accusés ; — c’était un garçon d’esprit qui faisait des vers.

    Un huissier se tenait debout près de la porte qui communiquait avec la salle des assises. Il demanda à cet huissier :

    Monsieur, la porte va-t-elle bientôt s’ouvrir ?

    Elle ne s’ouvrira pas, dit l’huissier.

    Comment ! on ne l’ouvrira pas à la reprise de l’audience ? est-ce que l’audience n’est pas suspendue ?

    L’audience vient d’être reprise, répondit l’huissier, mais la porte ne se rouvrira pas.

    Pourquoi ?

    Parce que la salle est pleine.

    Quoi ! il n’y a plus une place ?

    Plus une seule. La porte est fermée. Personne ne peut plus entrer.

    L’huissier ajouta après un silence : — Il y a bien encore deux ou trois places derrière monsieur le président, mais monsieur le président n’y admet que les fonctionnaires publics.

    Cela dit, l’huissier lui tourna le dos.

    Il se retira la tête baissée, traversa l’antichambre et redescendit l’escalier lentement, comme hésitant à chaque marche. Il est probable qu’il tenait conseil avec lui-même. Le violent combat qui se livrait en lui depuis la veille n’était pas fini ; et, à chaque instant, il en traversait quelque nouvelle péripétie. Arrivé sur le palier de l’escalier, il s’adossa à la rampe et croisa les bras. Tout à coup il ouvrit sa redingote, prit son portefeuille, en tira un crayon, déchira une feuille, et écrivit rapidement sur cette feuille à la lueur du réverbère cette ligne : — M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer. Puis il remonta l’escalier à grands pas, fendit la foule, marcha droit à l’huissier, lui remit le papier, et lui dit avec autorité : — Portez ceci à monsieur le président.

    L’huissier prit le papier, y jeta un coup d’œil et obéit.


     

    VIII

    ENTRÉE DE FAVEUR


     

    Sans qu’il s’en doutât, le maire de Montreuil-sur-Mer avait une sorte de célébrité. Depuis sept ans que sa réputation de vertu remplissait tout le bas Boulonnais, elle avait fini par franchir les limites d’un petit pays et s’était répandue dans les deux ou trois départements voisins. Outre le service considérable qu’il avait rendu au chef-lieu en y restaurant l’industrie des verroteries noires, il n’était pas une des cent quarante et une communes de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer qui ne lui dût quelque bienfait. Il avait su même au besoin aider et féconder les industries des autres arrondissements. C’est ainsi qu’il avait dans l’occasion soutenu de son crédit et de ses fonds la fabrique de tulle de Boulogne, la filature de lin à la mécanique de Frévent et la manufacture hydraulique de toiles de Boubers-sur-Canche. Partout on prononçait avec vénération le nom de M. Madeleine. Arras et Douai enviaient son maire à l’heureuse petite ville de Montreuil-sur-Mer.

    Le conseiller à la cour royale de Douai, qui présidait cette session des assises à Arras, connaissait comme tout le monde ce nom si profondément et si universellement honoré. Quand l’huissier, ouvrant discrètement la porte qui communiquait de la chambre du conseil à l’audience, se pencha derrière le fauteuil du président et lui remit le papier où était écrite la ligne qu’on vient de lire, en ajoutant : Ce monsieur désire assister à l’audience, le président fit un vif mouvement de déférence, saisit une plume, écrivit quelques mots au bas du papier, et le rendit à l’huissier en lui disant :

    Faites entrer.

    L’homme malheureux dont nous racontons l’histoire était resté près de la porte de la salle à la même place et dans la même attitude où l’huissier l’avait quitté. Il entendit, à travers sa rêverie, quelqu’un qui lui disait : Monsieur veut-il bien me faire l’honneur de me suivre ? C’était ce même huissier qui lui avait tourné le dos l’instant d’auparavant et qui maintenant le saluait jusqu’à terre. L’huissier en même temps lui remit le papier. Il le déplia, et, comme il se rencontrait qu’il était près de la lampe, il put lire :

    « Le président de la cour d’assises présente son respect à M. Madeleine. »

    Il froissa le papier entre ses mains, comme si ces quelques mots eussent eu pour lui un arrière-goût étrange et amer.

    Il suivit l’huissier.

    Quelques minutes après, il se trouvait seul dans une espèce de cabinet lambrissé, d’un aspect sévère, éclairé par deux bougies posées sur un tapis vert. Il avait encore dans l’oreille les dernières paroles de l’huissier qui venait de le quitter : « Monsieur, vous voici dans la chambre du conseil ; vous n’avez qu’à tourner le bouton de cuivre de cette porte, et vous vous trouverez dans l’audience derrière le fauteuil de monsieur le président. » — Ces paroles se mêlaient dans sa pensée à un souvenir vague de corridors étroits et d’escaliers noirs qu’il venait de parcourir.

    L’huissier l’avait laissé seul. Le moment suprême était arrivé. Il cherchait à se recueillir sans pouvoir y parvenir. C’est surtout aux heures où l’on aurait le plus besoin de les rattacher aux réalités poignantes de la vie que tous les fils de la pensée se rompent dans le cerveau. Il était dans l’endroit même où les juges délibèrent et condamnent. Il regardait avec une tranquillité stupide cette chambre paisible et redoutable où tant d’existences avaient été brisées, où son nom allait retentir tout à l’heure, et que sa destinée traversait en ce moment. Il regardait la muraille, puis il se regardait lui-même, s’étonnant que ce fût cette chambre et que ce fût lui.

    Il n’avait pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, il était brisé par les cahots de la carriole, mais il ne le sentait pas ; il lui semblait qu’il ne sentait rien.

    Il s’approcha d’un cadre noir qui était accroché au mur et qui contenait sous verre une vieille lettre autographe de Jean-Nicolas Pache, maire de Paris et ministre, datée sans doute par erreur du 9 juin an II, et dans laquelle Pache envoyait à la commune la liste des ministres et des députés tenus en arrestation chez eux. Un témoin qui l’eût pu voir et qui l’eût observé en cet instant eût sans doute imaginé que cette lettre lui paraissait bien curieuse, car il n’en détachait pas ses yeux, et il la lut deux ou trois fois. Il la lisait sans y faire attention et à son insu. Il pensait à Fantine et à Cosette.

    Tout en rêvant, il se retourna, et ses yeux rencontrèrent le bouton de cuivre de la porte qui le séparait de la salle des assises. Il avait presque oublié cette porte. Son regard, d’abord calme, s’y arrêta, resta attaché à ce bouton de cuivre, puis devint effaré et fixe, et s’empreignit peu à peu d’épouvante. Des gouttes de sueur lui sortaient d’entre les cheveux et ruisselaient sur ses tempes.

    À un certain moment, il fit avec une sorte d’autorité mêlée de rébellion ce geste indescriptible qui veut dire et qui dit si bien : Pardieu ! qui est-ce qui m’y force ? Puis il se tourna vivement, vit devant lui la porte par laquelle il était entré, y alla, l’ouvrit, et sortit. Il n’était plus dans cette chambre, il était dehors, dans un corridor, un corridor long, étroit, coupé de degrés et de guichets, faisant toutes sortes d’angles, éclairé çà et là de réverbères pareils à des veilleuses de malades, le corridor par où il était venu. Il respira, il écouta, aucun bruit derrière lui, aucun bruit devant lui ; il se mit à fuir comme si on le poursuivait.

    Quand il eut doublé plusieurs des coudes de ce couloir, il écouta encore. C’était toujours le même silence et la même ombre autour de lui. Il était essoufflé, il chancelait, il s’appuya au mur. La pierre était froide, sa sueur était glacée sur son front, il se redressa en frissonnant.

    Alors, là, seul, debout dans cette obscurité, tremblant de froid et d’autre chose peut-être, il songea. Il avait songé toute la nuit, il avait songé toute la journée ; il n’entendait plus en lui qu’une voix qui disait : hélas !

    Un quart d’heure s’écoula ainsi. Enfin, il pencha la tête, soupira avec angoisse, laissa pendre ses bras, et revint sur ses pas. Il marchait lentement et comme accablé. Il semblait que quelqu’un l’eût atteint dans sa fuite et le ramenât.

    Il rentra dans la chambre du conseil. La première chose qu’il aperçut, ce fut la gâchette de la porte. Cette gâchette, ronde et en cuivre poli, resplendissait pour lui comme une effroyable étoile. Il la regardait comme une brebis regarderait l’œil d’un tigre.

    Ses yeux ne pouvaient s’en détacher.

    De temps en temps il faisait un pas et se rapprochait de la porte.

    S’il eût écouté, il eût entendu, comme une sorte de murmure confus, le bruit de la salle voisine ; mais il n’écoutait pas, il n’entendait pas.

    Tout à coup, sans qu’il sût lui-même comment, il se trouva près de la porte. Il saisit convulsivement le bouton ; la porte s’ouvrit.

    Il était dans la salle d’audience.


     

    IX

    UN LIEU OÙ DES CONVICTIONS SONT EN TRAIN DE SE FORMER


     

    Il fit un pas, referma machinalement la porte derrière lui, et resta debout, considérant ce qu’il voyait.

    C’était une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de rumeur, tantôt pleine de silence, où tout l’appareil d’un procès criminel se développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule.

    À un bout de la salle, celui où il se trouvait, des juges à l’air distrait, en robe usée, se rongeant les ongles ou fermant les paupières ; à l’autre bout, une foule en haillons ; des avocats dans toutes sortes d’attitudes ; des soldats au visage honnête et dur ; de vieilles boiseries tachées, un plafond sale, des tables couvertes d’une serge plutôt jaune que verte, des portes noircies par les mains ; à des clous plantés dans le lambris, des quinquets d’estaminet donnant plus de fumée que de clarté ; sur les tables, des chandelles dans des chandeliers de cuivre ; l’obscurité, la laideur, la tristesse ; et de tout cela se dégageait une impression austère et auguste, car on y sentait cette grande chose humaine qu’on appelle la loi et cette grande chose divine qu’on appelle la justice.

    Personne dans cette foule ne fit attention à lui. Tous les regards convergeaient vers un point unique, un banc de bois adossé à une petite porte, le long de la muraille, à gauche du président. Sur ce banc, que plusieurs chandelles éclairaient, il y avait un homme entre deux gendarmes.

    Cet homme, c’était l’homme.

    Il ne le chercha pas, il le vit. Ses yeux allèrent là naturellement, comme s’ils avaient su d’avance où était cette figure.

    Il crut se voir lui-même, vieilli ; non pas sans doute absolument semblable de visage, mais tout pareil d’attitude et d’aspect ; avec ces cheveux hérissés, avec cette prunelle fauve et inquiète, avec cette blouse, tel qu’il était le jour où il entrait à Digne, plein de haine et cachant dans son âme ce hideux trésor de pensées affreuses qu’il avait mis dix-neuf ans à ramasser sur le pavé du bagne.

    Il se dit avec un frémissement : — Mon Dieu ! est-ce que je redeviendrai ainsi ?

    Cet être paraissait au moins soixante ans. Il avait je ne sais quoi de rude, de stupide et d’effarouché.

    Au bruit de la porte, on s’était rangé pour lui faire place, le président avait tourné la tête, et comprenant que le personnage qui venait d’entrer était M. le maire de Montreuil-sur-Mer, il l’avait salué. L’avocat général, qui avait vu M. Madeleine à Montreuil-sur-Mer où des opérations de son ministère l’avaient plus d’une fois appelé, le reconnut, et salua également. Lui s’en aperçut à peine. Il était en proie à une sorte d’hallucination ; il regardait.

    Des juges, un greffier, des gendarmes, une foule de têtes cruellement curieuses, il avait déjà vu cela une fois, autrefois, il y avait vingt-sept ans. Ces choses funestes, il les retrouvait ; elles étaient là, elles remuaient, elles existaient. Ce n’était plus un effort de sa mémoire, un mirage de sa pensée, c’étaient de vrais gendarmes et de vrais juges, une vraie foule et de vrais hommes en chair et en os. C’en était fait, il voyait reparaître et revivre autour de lui, avec tout ce que la réalité a de formidable, les aspects monstrueux de son passé.

    Tout cela était béant devant lui.

    Il en eut horreur, il ferma les yeux, et s’écria au plus profond de son âme : jamais !

    Et par un jeu tragique de la destinée qui faisait trembler toutes ses idées et le rendait presque fou, c’était un autre lui-même qui était là ! Cet homme qu’on jugeait, tous l’appelaient Jean Valjean !

    Il avait sous les yeux, vision inouïe, une sorte de représentation du moment le plus horrible de sa vie, jouée par son fantôme.

    Tout y était, c’était le même appareil, la même heure de nuit, presque les mêmes faces de juges, de soldats et de spectateurs. Seulement, au-dessus de la tête du président, il y avait un crucifix, chose qui manquait aux tribunaux du temps de sa condamnation. Quand on l’avait jugé, Dieu était absent.

    Une chaise était derrière lui ; il s’y laissa tomber, terrifié de l’idée qu’on pouvait le voir. Quand il fut assis, il profita d’une pile de cartons qui était sur le bureau des juges pour dérober son visage à toute la salle. Il pouvait maintenant voir sans être vu. Peu à peu il se remit. Il rentra pleinement dans le sentiment du réel ; il arriva à cette phase de calme où l’on peut écouter.

    M. Bamatabois était au nombre des jurés.

    Il chercha Javert, mais il ne le vit pas. Le banc des témoins lui était caché par la table du greffier. Et puis, nous venons de le dire, la salle était à peine éclairée.

    Au moment où il était entré, l’avocat de l’accusé achevait sa plaidoirie. L’attention de tous était excitée au plus haut point ; l’affaire durait depuis trois heures. Depuis trois heures, cette foule regardait plier peu à peu sous le poids d’une vraisemblance terrible un homme, un inconnu, une espèce d’être misérable, profondément stupide ou profondément habile. Cet homme, on le sait déjà, était un vagabond qui avait été trouvé dans un champ, emportant une branche chargée de pommes mûres, cassée à un pommier dans un clos voisin, appelé le clos Pierron. Qui était cet homme ? Une enquête avait eu lieu, des témoins venaient d’être entendus, ils avaient été unanimes, des lumières avaient jailli de tout le débat. L’accusation disait : — Nous ne tenons pas seulement un voleur de fruits, un maraudeur ; nous tenons là, dans notre main, un bandit, un relaps en rupture de ban, un ancien forçat, un scélérat des plus dangereux, un malfaiteur appelé Jean Valjean que la justice recherche depuis longtemps, et qui, il y a huit ans, en sortant du bagne de Toulon, a commis un vol de grand chemin à main armée sur la personne d’un enfant savoyard appelé Petit-Gervais, crime prévu par l’article 383 du code pénal, pour lequel nous nous réservons de le poursuivre ultérieurement, quand l’identité sera judiciairement acquise. Il vient de commettre un nouveau vol. C’est un cas de récidive. Condamnez-le pour le fait nouveau ; il sera jugé plus tard pour le fait ancien. — Devant cette accusation, devant l’unanimité des témoins, l’accusé paraissait surtout étonné. Il faisait des gestes et des signes qui voulaient dire non, ou bien il considérait le plafond. Il parlait avec peine, répondait avec embarras, mais, de la tête aux pieds, toute sa personne niait. Il était comme un idiot en présence de toutes ces intelligences rangées en bataille autour de lui, et comme un étranger au milieu de cette société qui le saisissait. Cependant il y allait pour lui de l’avenir le plus menaçant, la vraisemblance croissait à chaque minute, et toute cette foule regardait avec plus d’anxiété que lui-même cette sentence pleine de calamités qui penchait sur lui de plus en plus. Une éventualité laissait même entrevoir, outre le bagne, la peine de mort possible, si l’identité était reconnue et si l’affaire Petit-Gervais se terminait plus tard par une condamnation. Qu’était-ce que cet homme ? De quelle nature était son apathie ? Était-ce imbécillité ou ruse ? Comprenait-il trop, ou ne comprenait-il pas du tout ? Questions qui divisaient la foule et semblaient partager le jury. Il y avait dans ce procès ce qui effraye et ce qui intrigue ; le drame n’était pas seulement sombre, il était obscur.

    Le défenseur avait assez bien plaidé, dans cette langue de province qui a longtemps constitué l’éloquence du barreau et dont usaient jadis tous les avocats, aussi bien à Paris qu’à Romorantin ou à Montbrison, et qui aujourd’hui, étant devenue classique, n’est plus guère parlée que par les orateurs officiels du parquet, auxquels elle convient par sa sonorité grave et son allure majestueuse ; langue où un mari s’appelle un époux, une femme, une épouse, Paris, le centre des arts et de la civilisation, le roi, le monarque, monseigneur l’évêque, un saint pontife, l’avocat général, l’éloquent interprète de la vindicte, la plaidoirie, les accents qu’on vient d’entendre, le siècle de Louis xiv, le grand siècle, un théâtre, le temple de Melpomène, la famille régnante, l’auguste sang de nos rois, un concert, une solennité musicale, monsieur le général commandant le département, l’illustre guerrier qui, etc., les élèves du séminaire, ces tendres lévites, les erreurs imputées aux journaux, l’imposture qui distille son venin dans les colonnes de ces organes, etc., etc. — L’avocat donc avait commencé par s’expliquer sur le vol de pommes, — chose malaisée en beau style ; mais Bénigne Bossuet lui-même a été obligé de faire allusion à une poule en pleine oraison funèbre, et il s’en est tiré avec pompe. L’avocat avait établi que le vol de pommes n’était pas matériellement prouvé. — Son client, qu’en sa qualité de défenseur, il persistait à appeler Champmathieu, n’avait été vu de personne escaladant le mur ou cassant la branche. — On l’avait arrêté nanti de cette branche (que l’avocat appelait plus volontiers rameau) ; — mais il disait l’avoir trouvée à terre et ramassée. Où était la preuve du contraire ? — Sans doute cette branche avait été cassée et dérobée après escalade, puis jetée là par le maraudeur alarmé ; sans doute il y avait un voleur ; — qu’est-ce qui prouvait que ce voleur était Champmathieu ? Une seule chose. Sa qualité d’ancien forçat. L’avocat ne niait pas que cette qualité ne parût malheureusement bien constatée ; l’accusé avait résidé à Faverolles ; l’accusé y avait été émondeur; le nom de Champmathieu pouvait bien avoir pour origine Jean Mathieu ; tout cela était vrai ; enfin quatre témoins reconnaissaient sans hésiter et positivement Champmathieu pour être le galérien Jean Valjean ; à ces indications, à ces témoignages, l’avocat ne pouvait opposer que la dénégation de son client, dénégation très intéressée ; mais en supposant qu’il fût le forçat Jean Valjean, cela prouvait-il qu’il fût le voleur des pommes ? C’était une présomption tout au plus ; non une preuve. L’accusé, cela était vrai, et le défenseur « dans sa bonne foi » devait en convenir, avait adopté « un mauvais système de défense ». Il s’obstinait à nier tout, le vol et sa qualité de forçat. Un aveu de ce dernier point eût mieux valu, à coup sûr, et lui eût concilié l’indulgence de ses juges ; l’avocat le lui avait conseillé ; mais l’accusé s’y était refusé obstinément, croyant sans doute sauver tout en n’avouant rien. C’était un tort ; mais ne fallait-il pas considérer la brièveté de cette intelligence ? Cet homme était visiblement stupide. Un long malheur au bagne, une longue misère hors du bagne, l’avaient abruti, etc., etc. Il se défendait mal, était-ce une raison pour le condamner ? Quant à l’affaire Petit-Gervais, l’avocat n’avait pas à la discuter, elle n’était point dans la cause. L’avocat concluait en suppliant le jury et la cour, si l’identité de Jean Valjean leur paraissait évidente, de lui appliquer les peines de police qui s’adressent au condamné en rupture de ban, et non le châtiment épouvantable qui frappe le forçat récidiviste.

    L’avocat général répliqua au défenseur. Il fut violent et fleuri, comme sont habituellement les avocats généraux.

    Il félicita le défenseur de sa « loyauté », et profita habilement de cette loyauté. Il atteignit l’accusé par toutes les concessions que l’avocat avait faites, L’avocat semblait accorder que l’accusé était Jean Valjean. Il en prit acte. Cet homme était donc Jean Valjean. Ceci était acquis à l’accusation et ne pouvait plus se contester. Ici, par une habile antonomase, remontant aux sources et aux causes de la criminalité, l’avocat général tonna contre l’immoralité de l’école romantique, alors à son aurore sous le nom d’école satanique que lui avaient décerné les critiques de la Quotidienne et de l’Oriflamme ; il attribua, non sans vraisemblance, à l’influence de cette littérature perverse le délit de Champmathieu, ou pour mieux dire, de Jean Valjean. Ces considérations épuisées, il passa à Jean Valjean lui-même. Qu’était-ce que Jean Valjean ? Description de Jean Valjean. Un monstre vomi, etc. Le modèle de ces sortes de descriptions est dans le récit de Théramène, lequel n’est pas utile à la tragédie, mais rend tous les jours de grands services à l’éloquence judiciaire. L’auditoire et les jurés « frémirent ». La description achevée, l’avocat général reprit, dans un mouvement oratoire fait pour exciter au plus haut point le lendemain matin l’enthousiasme du Journal de la Préfecture : — Et c’est un pareil homme, etc., etc., etc., vagabond, mendiant, sans moyens d’existence, etc., etc., — accoutumé par sa vie passée aux actions coupables et peu corrigé par son séjour au bagne, comme le prouve le crime commis sur Petit-Gervais, etc., etc., — c’est un homme pareil qui, trouvé sur la voie publique en flagrant délit de vol, à quelques pas d’un mur escaladé, tenant encore à la main l’objet volé, nie le flagrant délit, le vol, l’escalade, nie tout, nie jusqu’à son nom, nie jusqu’à son identité ! Outre cent autres preuves sur lesquelles nous ne revenons, pas, quatre témoins le reconnaissent, Javert, l’intègre inspecteur de police Javert, et trois de ses anciens compagnons d’ignominie, les forçats Brevet, Chenildieu et Cochepaille. Qu’oppose-t-il à cette unanimité foudroyante ? Il nie. Quel endurcissement ! Vous ferez justice, messieurs les jurés, etc., etc. — Pendant que l’avocat général parlait, l’accusé écoutait, la bouche ouverte, avec une sorte d’étonnement où il entrait bien quelque admiration. Il était évidemment surpris qu’un homme pût parler comme cela. De temps en temps, aux moments les plus « énergiques » du réquisitoire, dans ces instants où l’éloquence, qui ne peut se contenir, déborde dans un flux d’épithètes flétrissantes et enveloppe l’accusé comme un orage, il remuait lentement la tête de droite à gauche et de gauche à droite, sorte de protestation triste et muette dont il se contentait depuis le commencement des débats. Deux ou trois fois les spectateurs placés le plus près de lui l’entendirent dire à demi-voix : — Voilà ce que c’est, de n’avoir pas demandé à M. Baloup ! — L’avocat général fit remarquer au jury cette attitude hébétée, calculée évidemment, qui dénotait, non l’imbécillité, mais l’adresse, la ruse, l’habitude de tromper la justice, et qui mettait dans tout son jour « la profonde perversité » de cet homme. Il termina en faisant ses réserves pour l’affaire Petit-Gervais, et en réclamant une condamnation sévère.

    C’était, pour l’instant, on s’en souvient, les travaux forcés à perpétuité.

    Le défenseur se leva, commença par complimenter « monsieur l’avocat général » sur son « admirable parole », puis répliqua comme il put, mais il faiblissait ; le terrain évidemment se dérobait sous lui.


     

    X

    LE SYSTÈME DE DÉNÉGATIONS


     

    L’instant de clore les débats était venu. Le président fit lever l’accusé et lui adressa la question d’usage : — Avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?

    L’homme, debout, roulant dans ses mains un affreux bonnet qu’il avait, sembla ne pas entendre.

    Le président répéta la question.

    Cette fois l’homme entendit. Il parut comprendre, il fit le mouvement de quelqu’un qui se réveille, promena ses yeux autour de lui, regarda le public, les gendarmes, son avocat, les jurés, la cour, posa son poing monstrueux sur le rebord de la boiserie placée devant son banc, regarda encore, et tout à coup, fixant son regard sur l’avocat général, il se mit à parler. Ce fut comme une éruption. Il sembla, à la façon dont les paroles s’échappaient de sa bouche, incohérentes, impétueuses, heurtées, pêle-mêle, qu’elles s’y pressaient toutes à la fois pour sortir en même temps. Il dit : — J’ai à dire ça. Que j’ai été charron à Paris, même que c’était chez monsieur Baloup. C’est un état dur. Dans la chose de charron, on travaille toujours en plein air, dans des cours, sous des hangars chez les bons maîtres, jamais dans des ateliers fermés, parce qu’il faut des espaces, voyez-vous. L’hiver, on a si froid qu’on se bat les bras pour se réchauffer ; mais les maîtres ne veulent pas, ils disent que cela perd du temps. Manier du fer quand il y a de la glace entre les pavés, c’est rude. Ça vous use vite un homme. On est vieux tout jeune dans cet état-là. À quarante ans, un homme est fini. Moi, j’en avais cinquante-trois, j’avais bien du mal. Et puis c’est si méchant les ouvriers ! Quand un bonhomme n’est plus jeune, on vous l’appelle pour tout vieux serin, vieille bête ! Je ne gagnais plus que trente sous par jour, on me payait le moins cher qu’on pouvait, les maîtres profitaient de mon âge. Avec ça, j’avais ma fille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté. À nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d’eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l’eau arrive par des robinets. On n’est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince devant soi dans le bassin. Comme c’est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a une buée d’eau chaude qui est terrible et qui vous perd les yeux. Elle revenait à sept heures du soir, et se couchait bien vite ; elle était si fatiguée. Son mari la battait. Elle est morte. Nous n’avons pas été bien heureux. C’était une brave fille qui n’allait pas au bal, qui était bien tranquille. Je me rappelle un mardi gras où elle était couchée à huit heures. Voilà. Je dis vrai. Vous n’avez qu’à demander. Ah bien oui ! demander ! que je suis bête ! Paris, c’est un gouffre. Qui est-ce qui connaît le père Champmathieu ? Pourtant je vous dis monsieur Baloup. Voyez chez monsieur Baloup. Après ça, je ne sais pas ce qu’on me veut.

    L’homme se tut, et resta debout. Il avait dit ces choses d’une voix haute, rapide, rauque, dure et enrouée, avec une sorte de naïveté irritée et sauvage. Une fois il s’était interrompu pour saluer quelqu’un dans la foule. Les espèces d’affirmations qu’il semblait jeter au hasard devant lui, lui venaient comme des hoquets, et il ajoutait à chacune d’elles le geste d’un bûcheron qui fend du bois. Quand il eut fini, l’auditoire éclata de rire. Il regarda le public, et voyant qu’on riait, et ne comprenant pas, il se mit à rire lui-même.

    Cela était sinistre.

    Le président, homme attentif et bienveillant, éleva la voix.

    Il rappela à « messieurs les jurés » que « le sieur Baloup, l’ancien maître charron chez lequel l’accusé disait avoir servi, avait été inutilement cité. Il était en faillite et n’avait pu être retrouvé ». Puis se tournant vers l’accusé, il l’engagea à écouter ce qu’il allait lui dire et ajouta : — Vous êtes dans une situation où il faut réfléchir. Les présomptions les plus graves pèsent sur vous et peuvent entraîner des conséquences capitales. Accusé, dans votre intérêt, je vous interpelle une dernière fois, expliquez-vous clairement sur ces deux faits : — Premièrement, avez-vous, oui ou non, franchi le mur du clos Pierron, cassé la branche et volé les pommes, c’est-à-dire, commis le crime de vol avec escalade ? Deuxièmement, oui ou non, êtes-vous le forçat libéré Jean Valjean ?

    L’accusé secoua la tête d’un air capable, comme un homme qui a bien compris et qui sait ce qu’il va répondre. Il ouvrit la bouche, se tourna vers le président et dit :

    D’abord...

    Puis il regarda son bonnet, il regarda le plafond, et se tut.

    Accusé, reprit l’avocat général d’une voix sévère, faites attention. Vous ne répondez à rien de ce qu’on vous demande. Votre trouble vous condamne. Il est évident que vous ne vous appelez pas Champmathieu, que vous êtes le forçat Jean Valjean caché d’abord sous le nom de Jean Mathieu qui était le nom de sa mère, que vous êtes allé en Auvergne, que vous êtes né à Faverolles où vous avez été émondeur. Il est évident que vous avez volé avec escalade des pommes mûres dans le clos Pierron. Messieurs les jurés apprécieront.

    L’accusé avait fini par se rasseoir ; il se leva brusquement quand l’avocat général eut fini, et s’écria :

    Vous êtes très méchant, vous! Voilà ce que je voulais dire. Je ne trouvais pas d’abord. Je n’ai rien volé. Je suis un homme qui ne mange pas tous les jours. Je venais d’Ailly, je marchais dans le pays après une ondée qui avait fait la campagne toute jaune, même que les mares débordaient et qu’il ne sortait plus des sables que de petits brins d’herbe au bord de la route ; j’ai trouvé une branche cassée par terre où il y avait des pommes, j’ai ramassé la branche sans savoir qu’elle me ferait arriver de la peine. Il y a trois mois que je suis en prison et qu’on me trimballe. Après ça, je ne peux pas dire, on parle contre moi, on me dit : répondez ! Le gendarme, qui est bon enfant, me pousse le coude et me dit tout bas : réponds donc. Je ne sais pas expliquer, moi, je n’ai pas fait les études, je suis un pauvre homme. Voilà ce qu’on a tort de ne pas voir. Je n’ai pas volé, j’ai ramassé par terre des choses qu’il y avait. Vous dites Jean Valjean, Jean Mathieu ! Je ne connais pas ces personnes-là. C’est des villageois. J’ai travaillé chez monsieur Baloup, boulevard de l’Hôpital. Je m’appelle Champmathieu. Vous êtes bien malins de me dire où je suis né. Moi, je l’ignore. Tout le monde n’a pas des maisons pour y venir au monde. Ce serait trop commode. Je crois que mon père et ma mère étaient des gens qui allaient sur les routes. Je ne sais pas d’ailleurs. Quand j’étais enfant, on m’appelait Petit, maintenant on m’appelle Vieux, Voilà mes noms de baptême. Prenez ça comme vous voudrez. J’ai été en Auvergne, j’ai été à Faverolles, pardi ! Eh bien ? est-ce qu’on ne peut pas avoir été en Auvergne et avoir été à Faverolles sans avoir été aux galères ? Je vous dis que je n’ai pas volé, et que je suis le père Champmathieu. J’ai été chez monsieur Baloup, j’ai été domicilié. Vous m’ennuyez avec vos bêtises à la fin ! Pourquoi donc est-ce que le monde est après moi comme des acharnés ?

    L’avocat général était demeuré debout; il s’adressa au président :

    Monsieur le président, en présence des dénégations confuses, mais fort habiles de l’accusé, qui voudrait bien se faire passer pour idiot, mais qui n’y parviendra pas, — nous l’en prévenons, — nous requérons qu’il vous plaise et qu’il plaise à la cour appeler de nouveau dans cette enceinte les condamnés Brevet, Cochepaille et Chenildieu et l’inspecteur de police Javert, et les interpeller une dernière fois sur l’identité de l’accusé avec le forçat Jean Valjean.

    Je fais remarquer à monsieur l’avocat général, dit le président, que l’inspecteur de police Javert, rappelé par ses fonctions au chef-lieu d’un arrondissement voisin, a quitté l’audience et même la ville, aussitôt sa déposition faite. Nous lui en avons accordé l’autorisation, avec l’agrément de monsieur l’avocat général et du défenseur de l’accusé.

    C’est juste, monsieur le président, reprit l’avocat général. En l’absence du sieur Javert, je crois devoir rappeler à messieurs les jurés ce qu’il a dit ici même il y a peu d’heures. Javert est un homme estimé qui honore par sa rigoureuse et stricte probité des fonctions inférieures, mais importantes. Voici en quels termes il a déposé : — « Je n’ai pas même besoin des présomptions morales et des preuves matérielles qui démentent les dénégations de l’accusé. Je le reconnais parfaitement. Cet homme ne s’appelle pas Champmathieu ; c’est un ancien forçat très méchant et très redouté nommé Jean Valjean. On ne l’a libéré à l’expiration de sa peine qu’avec un extrême regret. Il a subi dix-neuf ans de travaux forcés pour vol qualifié. Il avait cinq ou six fois tenté de s’évader. Outre le vol Petit-Gervais et le vol Pierron, je le soupçonne encore d’un vol commis chez sa grandeur le défunt évêque de Digne. Je l’ai souvent vu, à l’époque où j’étais adjudant garde-chiourme au bagne de Toulon. Je répète que je le reconnais parfaitement. »

    Cette déclaration si précise parut produire une vive impression sur le public et le jury. L’avocat général termina en insistant pour qu’à défaut de Javert, les trois témoins Brevet, Chenildieu et Cochepaille fussent entendus de nouveau et interpellés solennellement.

    Le président transmit un ordre à un huissier, et un moment après la porte de la chambre des témoins s’ouvrit. L’huissier, accompagné d’un gendarme prêt à lui prêter main-forte, introduisit le condamné Brevet. L’auditoire était en suspens et toutes les poitrines palpitaient comme si elles n’eussent eu qu’une seule âme.

    L’ancien forçat Brevet portait la veste noire et grise des maisons centrales. Brevet était un personnage d’une soixantaine d’années qui avait une espèce de figure d’homme d’affaires et l’air d’un coquin. Cela va quelquefois ensemble. Il était devenu, dans la prison où de nouveaux méfaits l’avaient ramené, quelque chose comme guichetier. C’était un homme dont les chefs disaient : Il cherche à se rendre utile. Les aumôniers portaient bon témoignage de ses habitudes religieuses. Il ne faut pas oublier que ceci se passait sous la restauration.

    Brevet, dit le président, vous avez subi une condamnation infamante et vous ne pouvez prêter serment.

    Brevet baissa les yeux.

    Cependant, reprit le président, même dans l’homme que la loi a dégradé, il peut rester, quand la pitié divine le permet, un sentiment d’honneur et d’équité. C’est à ce sentiment que je fais appel à cette heure décisive. S’il existe encore en vous, et je l’espère, réfléchissez avant de me répondre, considérez d’une part cet homme qu’un mot de vous peut perdre, d’autre part la justice qu’un mot de vous peut éclairer. L’instant est solennel, et il est toujours temps de vous rétracter, si vous croyez vous être trompé. — Accusé, levez-vous. — Brevet, regardez bien l’accusé, recueillez vos souvenirs, et dites-nous, en votre âme et conscience, si vous persistez à reconnaître cet homme pour votre ancien camarade de bagne Jean Valjean.

    Brevet regarda l’accusé, puis se retourna vers la cour.

    Oui, monsieur le président. C’est moi qui l’ai reconnu le premier et je persiste. Cet homme est Jean Valjean, entré à Toulon en 1796 et sorti en 1815. Je suis sorti l’an d’après. Il a l’air d’une brute maintenant, alors ce serait que l’âge l’a abruti ; au bagne il était sournois. Je le reconnais positivement.

    Allez vous asseoir, dit le président. Accusé, restez debout.

    On introduisit Chenildieu, forçat à vie, comme l’indiquaient sa casaque rouge et son bonnet vert. Il subissait sa peine à Toulon, d’où on l’avait extrait pour cette affaire. C’était un petit homme d’environ cinquante ans, vif, ridé, chétif, jaune, effronté, fiévreux, qui avait dans tous ses membres et dans toute sa personne une sorte de faiblesse maladive et dans le regard une force immense. Ses compagnons du bagne l’avaient surnommé Je-nie-Dieu.

    Le président lui adressa à peu près les mêmes paroles qu’à Brevet. Au moment où il lui rappela que son infamie lui ôtait le droit de prêter serment, Chenildieu leva la tête et regarda la foule en face. Le président l’invita à se recueillir et lui demanda, comme à Brevet, s’il persistait à reconnaître l’accusé.

    Chenildieu éclata de rire.

    Pardine ! si je le reconnais ! nous avons été cinq ans attachés à la même chaîne. Tu boudes donc, mon vieux ?

    Allez vous asseoir, dit le président.

    L’huissier amena Cochepaille. Cet autre condamné à perpétuité, venu du bagne et vêtu de rouge comme Chenildieu, était un paysan de Lourdes et un demi-ours des Pyrénées. Il avait gardé des troupeaux dans la montagne et de pâtre il avait glissé brigand. Cochepaille n’était pas moins sauvage et paraissait plus stupide encore que l’accusé. C’était un de ces malheureux hommes que la nature a ébauchés en bêtes fauves et que la société termine en galériens.

    Le président essaya de le remuer par quelques paroles pathétiques et graves et lui demanda, comme aux deux autres, s’il persistait, sans hésitation et sans trouble, à reconnaître l’homme debout devant lui.

    C’est Jean Valjean, dit Cochepaille. Même qu’on l’appelait Jean-le-Cric, tant il était fort.

    Chacune des affirmations de ces trois hommes, évidemment sincères et de bonne foi, avait soulevé dans l’auditoire un murmure de fâcheux augure pour l’accusé, murmure qui croissait et se prolongeait plus longtemps chaque fois qu’une déclaration nouvelle venait s’ajouter à la précédente. L’accusé, lui, les avait écoutées avec ce visage étonné qui, selon l’accusation, était son principal moyen de défense. À la première, les gendarmes ses voisins l’avaient entendu grommeler entre ses dents : Ah bien ! en voilà un ! Après la seconde il dit un peu plus haut, d’un air presque satisfait : Bon ! À la troisième il s’écria : Fameux !

    Le président l’interpella :

    Accusé, vous avez entendu. Qu’avez-vous à dire ?

    Il répondit : — Je dis — Fameux !

    Une rumeur éclata dans le public et gagna presque le jury. Il était évident que l’homme était perdu.

    Huissiers, dit le président, faites faire silence. Je vais clore les débats.

    En ce moment un mouvement se fit tout à côté du président. On entendit une voix qui criait :

    Brevet, Chenildieu, Cochepaille ! regardez de ce côté-ci. Tous ceux qui entendirent cette voix se sentirent glacés, tant elle était lamentable et terrible. Les yeux se tournèrent vers le point d’où elle venait. Un homme, placé parmi les spectateurs privilégiés qui étaient assis derrière la cour, venait de se lever, avait poussé la porte à hauteur d’appui qui séparait le tribunal du prétoire, et était debout au milieu de la salle. Le président, l’avocat général, M. Bamatabois, vingt personnes, le reconnurent, et s’écrièrent à la fois :

    Monsieur Madeleine !


     

    XI

    CHAMPMATHIEU DE PLUS EN PLUS ÉTONNÉ


     

    C’était lui en effet. La lampe du greffier éclairait son visage. Il tenait son chapeau à la main, il n’y avait aucun désordre dans ses vêtements, sa redingote était boutonnée avec soin. Il était très pâle et il tremblait légèrement. Ses cheveux, gris encore au moment de son arrivée à Arras, étaient maintenant tout à fait blancs. Ils avaient blanchi depuis une heure qu’il était là.

    Toutes les têtes se dressèrent. La sensation fut indescriptible. Il y eut dans l’auditoire un instant d’hésitation, La voix avait été si poignante, l’homme qui était là paraissait si calme, qu’au premier abord on ne comprit pas. On se demanda qui avait crié. On ne pouvait croire que ce fût cet homme tranquille qui eût jeté ce cri effrayant.

    Cette indécision ne dura que quelques secondes. Avant même que le président et l’avocat général eussent pu dire un mot, avant que les gendarmes et les huissiers eussent pu faire un geste, l’homme que tous appelaient encore en ce moment M. Madeleine s’était avancé vers les témoins Cochepaille, Brevet et Chenildieu.

    Vous ne me reconnaissez pas ? dit-il.

    Tous trois demeurèrent interdits et indiquèrent par un signe de tête qu’ils ne le connaissaient point. Cochepaille intimidé fit le salut militaire. M. Madeleine se tourna vers les jurés et vers la cour et dit d’une voix douce :

    Messieurs les jurés, faites relâcher l’accusé. Monsieur le président, faites-moi arrêter. L’homme que vous cherchez, ce n’est pas lui, c’est moi. Je suis Jean Valjean.

    Pas une bouche ne respirait. À la première commotion de l’étonnement avait succédé un silence de sépulcre. On sentait dans la salle cette espèce de terreur religieuse qui saisit la foule lorsque quelque chose de grand s’accomplit.

    Cependant le visage du président s’était empreint de sympathie et de tristesse ; il avait échangé un signe rapide avec l’avocat général et quelques paroles à voix basse avec les conseillers assesseurs. Il s’adressa au public, et demanda avec un accent qui fut compris de tous :

    Y a-t-il un médecin ici ?

    L’avocat général prit la parole :

    Messieurs les jurés, l’incident si étrange et si inattendu qui trouble l’audience ne nous inspire, ainsi qu’à vous, qu’un sentiment que nous n’avons pas besoin d’exprimer. Vous connaissez tous, au moins de réputation, l’honorable M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, S’il y a un médecin dans l’auditoire, nous nous joignons à monsieur le président pour le prier de vouloir bien assister monsieur Madeleine et le reconduire à sa demeure.

    M. Madeleine ne laissa point achever l’avocat général. Il l’interrompit d’un accent plein de mansuétude et d’autorité. Voici les paroles qu’il prononça ; les voici littéralement, telles qu’elles furent écrites immédiatement après l’audience par un des témoins de cette scène, telles qu’elles sont encore dans l’oreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourd’hui.

    Je vous remercie, monsieur l’avocat général, mais je ne suis pas fou. Vous allez voir. Vous étiez sur le point de commettre une grande erreur, lâchez cet homme, j’accomplis un devoir, je suis ce malheureux condamné. Je suis le seul qui voie clair ici, et je vous dis la vérité. Ce que je fais en ce moment, Dieu, qui est là-haut, le regarde, et cela suffit. Vous pouvez me prendre, puisque me voilà. J’avais pourtant fait de mon mieux. Je me suis caché sous un nom ; je suis devenu riche, je suis devenu maire ; j’ai voulu rentrer parmi les honnêtes gens. Il paraît que cela ne se peut pas. Enfin, il y a bien des choses que je ne puis pas dire, je ne vais pas vous raconter ma vie, un jour on saura. J’ai volé monseigneur l’évêque, cela est vrai ; j’ai volé Petit-Gervais, cela est vrai. On a eu raison de vous dire que Jean Valjean était un malheureux très méchant. Toute la faute n’est peut-être pas à lui. Écoutez, messieurs les juges, un homme aussi abaissé que moi n’a pas de remontrance à faire à la providence ni de conseil à donner à la société ; mais, voyez-vous, l’infamie d’où j’avais essayé de sortir est une chose nuisible. Les galères font le galérien. Recueillez cela, si vous voulez. Avant le bagne, j’étais un pauvre paysan très peu intelligent, une espèce d’idiot ; le bagne m’a changé. J’étais stupide, je suis devenu méchant ; j’étais bûche, je suis devenu tison. Plus tard l’indulgence et la bonté m’ont sauvé, comme la sévérité m’avait perdu. Mais, pardon, vous ne pouvez pas comprendre ce que je dis là. Vous trouverez chez moi, dans les cendres de la cheminée, la pièce de quarante sous que j’ai volée il y a sept ans à Petit-Gervais. Je n’ai plus rien à ajouter. Prenez-moi. Mon Dieu ! monsieur l’avocat général remue la tête, vous dites : M. Madeleine est devenu fou, vous ne me croyez pas ! Voilà qui est affligeant. N’allez point condamner cet homme au moins ! Quoi ! ceux-ci ne me reconnaissent pas ! Je voudrais que Javert fût ici. Il me reconnaîtrait, lui !

    Rien ne pourrait rendre ce qu’il y avait de mélancolie bienveillante et sombre dans l’accent qui accompagnait ces paroles.

    Il se tourna vers les trois forçats :

    Eh bien, je vous reconnais, moi ! Brevet ! vous rappelez-vous ?…

    Il s’interrompit, hésita un moment, et dit :

    Te rappelles-tu ces bretelles en tricot à damier que tu avais au bagne ?

    Brevet eut comme une secousse de surprise et le regarda de la tête aux pieds d’un air effrayé. Lui continua.

    Chenildieu, qui te surnommais toi-même Je-nie-Dieu, tu as toute l’épaule droite brûlée profondément, parce que tu t’es couché un jour l’épaule sur un réchaud plein de braise, pour effacer les trois lettres T. F. P., qu’on y voit toujours cependant. Réponds, est-ce vrai ?

    C’est vrai, dit Chenildieu.

    Il s’adressa à Cochepaille :

    Cochepaille, tu as près de la saignée du bras gauche une date gravée en lettres bleues avec de la poudre brûlée. Cette date, c’est celle du débarquement de l’empereur à Cannes, 1er mars 1815. Relève ta manche.

    Cochepaille releva sa manche, tous les regards se penchèrent autour de lui sur son bras nu. Un gendarme approcha une lampe ; la date y était.

    Le malheureux homme se tourna vers l’auditoire et vers les juges avec un sourire dont ceux qui l’ont vu sont encore navrés lorsqu’ils y songent. C’était le sourire du triomphe, c’était aussi le sourire du désespoir.

    Vous voyez bien, dit-il, que je suis Jean Valjean.

    Il n’y avait plus dans cette enceinte ni juges, ni accusateurs, ni gendarmes ; il n’y avait que des yeux fixes et des cœurs émus. Personne ne se rappelait plus le rôle que chacun pouvait avoir à jouer; l’avocat général oubliait qu’il était là pour requérir, le président qu’il était là pour présider, le défenseur qu’il était là pour défendre. Chose frappante, aucune question ne fut faite, aucune autorité n’intervint. Le propre des spectacles sublimes, c’est de prendre toutes les âmes et de faire de tous les témoins des spectateurs. Aucun peut-être ne se rendait compte de ce qu’il éprouvait ; aucun, sans doute, ne se disait qu’il voyait resplendir là une grande lumière ; tous intérieurement se sentaient éblouis.

    Il était évident qu’on avait sous les yeux Jean Valjean. Cela rayonnait. L’apparition de cet homme avait suffi pour remplir de clarté cette aventure si obscure le moment d’auparavant. Sans qu’il fût besoin d’aucune explication désormais, toute cette foule, comme par une sorte de révélation électrique, comprit tout de suite et d’un seul coup d’œil cette simple et magnifique histoire d’un homme qui se livrait pour qu’un autre homme ne fût pas condamné à sa place. Les détails, les hésitations, les petites résistances possibles se perdirent dans ce vaste fait lumineux.

    Impression qui passa vite, mais qui dans l’instant fut irrésistible.

    Je ne veux pas déranger davantage l’audience, reprit Jean Valjean. Je m’en vais, puisqu’on ne m’arrête pas. J’ai plusieurs choses à faire. Monsieur l’avocat général sait qui je suis, il sait où je vais, il me fera arrêter quand il voudra.

    Il se dirigea vers la porte de sortie. Pas une voix ne s’éleva, pas un bras ne s’étendit pour l’empêcher. Tous s’écartèrent. Il avait en ce moment ce je ne sais quoi de divin qui fait que les multitudes reculent et se rangent devant un homme, Il traversa la foule à pas lents. On n’a jamais su qui ouvrit la porte, mais il est certain que la porte se trouva ouverte lorsqu’il y parvint. Arrivé là, il se retourna et dit :

    Monsieur l’avocat général, je reste à votre disposition.

    Puis il s’adressa à l’auditoire :

    Vous tous, tous ceux qui sont ici, vous me trouvez digne de pitié, n’est-ce pas ? Mon Dieu ! quand je pense à ce que j’ai été sur le point de faire, je me trouve digne d’envie. Cependant j’aurais mieux aimé que tout ceci n’arrivât pas.

    Il sortit, et la porte se referma comme elle avait été ouverte, car ceux qui font de certaines choses souveraines sont toujours sûrs d’être servis par quelqu’un dans la foule.

    Moins d’une heure après, le verdict du jury déchargeait de toute accusation le nommé Champmathieu ; et Champmathieu, mis en liberté immédiatement, s’en allait stupéfait, croyant tous les hommes fous et ne comprenant rien à cette vision.


     

    I

    DANS QUEL MIROIR M. MADELEINE REGARDE SES CHEVEUX


     

    Le jour commençait à poindre, Fantine avait eu une nuit de fièvre et d’insomnie, pleine d’ailleurs d’images heureuses ; au matin, elle s’endormit. La sœur Simplice, qui l’avait veillée, profita de ce sommeil pour aller préparer une nouvelle potion de quinquina. La digne sœur était depuis quelques instants dans le laboratoire de l’infirmerie, penchée sur ses drogues et sur ses fioles et regardant de très près à cause de cette brume que le crépuscule répand sur les objets. Tout à coup elle tourna la tête et fit un léger cri. M. Madeleine était devant elle. Il venait d’entrer silencieusement.

    C’est vous, monsieur le maire ! s’écria-t-elle. Il répondit, à voix basse :

    Comment va cette pauvre femme ?

    Pas mal en ce moment. Mais nous avons été bien inquiets, allez !

    Elle lui expliqua ce qui s’était passé, que Fantine était bien mal la veille et que maintenant elle était mieux, parce qu’elle croyait que monsieur le maire était allé chercher son enfant à Montfermeil. La sœur n’osa pas interroger monsieur le maire, mais elle vit bien à son air que ce n’était point de là qu’il venait.

    Tout cela est bien, dit-il, vous avez eu raison de ne pas la détromper.

    Oui, reprit la sœur, mais maintenant, monsieur le maire, qu’elle va vous voir et qu’elle ne verra pas son enfant, que lui dirons-nous ?

    Il resta un moment rêveur.

    Dieu nous inspirera, dit-il.

    On ne pourrait cependant pas mentir, murmura la sœur à demi-voix.

    Le plein jour s’était fait dans la chambre. Il éclairait en face le visage de M. Madeleine. Le hasard fit que la sœur leva les yeux.

    Mon Dieu, monsieur ! s’écria-t-elle, que vous est-il arrivé ? vos cheveux sont tout blancs !

    Blancs ! dit-il.

    La sœur Simplice n’avait point de miroir ; elle fouilla dans une trousse et en tira une petite glace dont se servait le médecin de l’infirmerie pour constater qu’un malade était mort et ne respirait plus. M. Madeleine prit la glace, y considéra ses cheveux, et dit : Tiens !

    Il prononça ce mot avec indifférence et comme s’il pensait à autre chose.

    La sœur se sentit glacée par je ne sais quoi d’inconnu qu’elle entrevoyait dans tout ceci.

    Il demanda :

    Puis-je la voir ?

    Est-ce que monsieur le maire ne lui fera pas revenir son enfant ? dit la sœur, osant à peine hasarder une question.

    Sans doute, mais il faut au moins deux ou trois jours.

    Si elle ne voyait pas monsieur le maire d’ici là, reprit timidement la sœur, elle ne saurait pas que monsieur le maire est de retour, il serait aisé de lui faire prendre patience, et quand l’enfant arriverait elle penserait tout naturellement que monsieur le maire est arrivé avec l’enfant. On n’aurait pas de mensonge à faire.

    M. Madeleine parut réfléchir quelques instants, puis il dit avec sa gravité calme :

    Non, ma sœur, il faut que je la voie. Je suis peut-être pressé.

    La religieuse ne sembla pas remarquer ce mot « peut-être », qui donnait un sens obscur et singulier aux paroles de M. le maire. Elle répondit en baissant les yeux et la voix respectueusement :

    En ce cas, elle repose, mais monsieur le maire peut entrer.

    Il fit quelques observations sur une porte qui fermait mal, et dont le bruit pouvait réveiller la malade, puis il entra dans la chambre de Fantine, s’approcha du lit et entr’ouvrit les rideaux. Elle dormait. Son souffle sortait de sa poitrine avec ce bruit tragique qui est propre à ces maladies, et qui navre les pauvres mères lorsqu’elles veillent la nuit près de leur enfant condamné et endormi. Mais cette respiration pénible troublait à peine une sorte de sérénité ineffable, répandue sur son visage, qui la transfigurait dans son sommeil. Sa pâleur était devenue de la blancheur ; ses joues étaient vermeilles. Ses longs cils blonds, la seule beauté qui lui fût restée de sa virginité et de sa jeunesse, palpitaient tout en demeurant clos et baissés. Toute sa personne tremblait, de je ne sais quel déploiement d’ailes prêtes à s’entr’ouvrir et à l’emporter, qu’on sentait frémir, mais qu’on ne voyait pas. À la voir ainsi, on n’eût jamais pu croire que c’était là une malade presque désespérée. Elle ressemblait plutôt à ce qui va s’envoler qu’à ce qui va mourir.

    La branche, lorsqu’une main s’approche pour détacher la fleur, frissonne, et semble à la fois se dérober et s’offrir. Le corps humain a quelque chose de ce tressaillement, quand arrive l’instant où les doigts mystérieux de la mort vont cueillir l’âme.

    M. Madeleine resta quelque temps immobile près de ce lit, regardant tour à tour la malade et le crucifix, comme il faisait deux mois auparavant, le jour où il était venu pour la première fois la voir dans cet asile. Ils étaient encore là tous les deux dans la même attitude ; elle dormant, lui priant ; seulement maintenant, depuis ces deux mois écoulés, elle avait des cheveux gris et lui des cheveux blancs.

    La sœur n’était pas entrée avec lui. Il se tenait près de ce lit, debout. le doigt sur la bouche, comme s’il y eût eu dans la chambre quelqu’un à faire taire.

    Elle ouvrit les yeux, le vit, et dit paisiblement, avec un sourire :

    Et Cosette ?


     

    II

    FANTINE HEUREUSE


     

    Elle n’eut pas un mouvement de surprise, ni un mouvement de joie ; elle était la joie même. Cette simple question : — Et Cosette ? fut faite avec une foi si profonde, avec tant de certitude, avec une absence si complète d’inquiétude et de doute, qu’il ne trouva pas une parole. Elle continua :

    Je savais que vous étiez là. Je dormais, mais je vous voyais. Il y a longtemps que je vous vois. Je vous ai suivi des yeux toute la nuit. Vous étiez dans une gloire et vous aviez autour de vous toutes sortes de figures célestes.

    Il leva son regard vers le crucifix.

    Mais, reprit-elle, dites-moi donc où est Cosette ? Pourquoi ne l’avoir pas mise sur mon lit pour le moment où je m’éveillerais ?

    Il répondit machinalement quelque chose qu’il n’a jamais pu se rappeler plus tard.

    Heureusement le médecin, averti, était survenu. Il vint en aide à M. Madeleine.

    Mon enfant, dit le médecin, calmez-vous. Votre enfant est là.

    Les yeux de Fantine s’illuminèrent et couvrirent de clarté tout son visage. Elle joignit les mains avec une expression qui contenait tout ce que la prière peut avoir à la fois de plus violent et de plus doux :

    Oh ! s’écria-t-elle, apportez-la-moi !

    Touchante illusion de mère ! Cosette était toujours pour elle le petit enfant qu’on apporte.

    Pas encore, reprit le médecin, pas en ce moment. Vous avez un reste de fièvre. La vue de votre enfant vous agiterait et vous ferait du mal. Il faut d’abord vous guérir.

    Elle l’interrompit impétueusement.

    Mais je suis guérie ! je vous dis que je suis guérie ! Est-il âne, ce médecin ! Ah çà ! je veux voir mon enfant, moi !

    Vous voyez, dit le médecin, comme vous vous emportez. Tant que vous serez ainsi, je m’opposerai à ce que vous ayez votre enfant. Il ne suffit pas de la voir, il faut vivre pour elle. Quand vous serez raisonnable, je vous l’amènerai moi-même.

    La pauvre mère courba la tête.

    Monsieur le médecin, je vous demande pardon, je vous demande vraiment bien pardon. Autrefois je n’aurais pas parlé comme je viens de faire, il m’est arrivé tant de malheurs que quelquefois je ne sais plus ce que je dis. Je comprends, vous craignez l’émotion, j’attendrai tant que vous voudrez, mais je vous jure que cela ne m’aurait pas fait de mal de voir ma fille. Je la vois, je ne la quitte pas des yeux depuis hier au soir. Savez-vous ? on me l’apporterait maintenant que je me mettrais à lui parler doucement. Voilà tout. Est-ce que ce n’est pas bien naturel que j’aie envie de voir mon enfant qu’on a été me chercher exprès à Montfermeil ? Je ne suis pas en colère. Je sais bien que je vais être heureuse. Toute la nuit j’ai vu des choses blanches et des personnes qui me souriaient. Quand monsieur le médecin voudra, il m’apportera ma Cosette. Je n’ai plus de fièvre, puisque je suis guérie ; je sens bien que je n’ai plus rien du tout ; mais je vais faire comme si j’étais malade et ne pas bouger pour faire plaisir aux dames d’ici. Quand on verra que je suis bien tranquille, on dira : il faut lui donner son enfant.

    M. Madeleine s’était assis sur une chaise qui était à côté du lit. Elle se tourna vers lui ; elle faisait visiblement effort pour paraître calme et « bien sage », comme elle disait dans cet affaiblissement de la maladie qui ressemble à l’enfance, afin que, la voyant si paisible, on ne fît pas difficulté de lui amener Cosette. Cependant, tout en se contenant, elle ne pouvait s’empêcher d’adresser à M. Madeleine mille questions.

    Avez-vous fait un bon voyage, monsieur le maire ? Oh ! comme vous êtes bon d’avoir été me la chercher ! Dites-moi seulement comment elle est. A-t-elle bien supporté la route ? Hélas! elle ne me reconnaîtra pas ! Depuis le temps, elle m’a oubliée, pauvre chou ! Les enfants, cela n’a pas de mémoire. C’est comme des oiseaux. Aujourd’hui cela voit une chose et demain une autre, et cela ne pense plus à rien. Avait-elle du linge blanc seulement ? Ces Thénardier la tenaient-ils proprement ? Comment la nourrissait-on ? Oh ! comme j’ai souffert, si vous saviez ! de me faire toutes ces questions-là dans le temps de ma misère ! Maintenant, c’est passé. Je suis joyeuse. Oh ! que je voudrais donc la voir ! Monsieur le maire, l’avez-vous trouvée jolie ? N’est-ce pas qu’elle est belle, ma fille ? Vous devez avoir eu bien froid dans cette diligence ! Est-ce qu’on ne pourrait pas l’amener rien qu’un petit moment ? On la remporterait tout de suite après. Dites ! vous qui êtes le maître, si vous vouliez !

    Il lui prit la main : — Cosette est belle, dit-il, Cosette se porte bien, vous la verrez bientôt, mais apaisez-vous. Vous parlez trop vivement, et puis, vous sortez vos bras du lit, et cela vous fait tousser.

    En effet, des quintes de toux interrompaient Fantine, presque à chaque mot.

    Fantine ne murmura pas, elle craignit d’avoir compromis par quelques plaintes trop passionnées la confiance qu’elle voulait inspirer, et elle se mit à dire des paroles indifférentes.

    C’est assez joli, Monfermeil, n’est-ce pas ? L’été, on y va faire des parties de plaisir. Ces Thénardier font-ils de bonnes affaires ? Il ne passe pas grand monde dans leur pays. C’est une espèce de gargote que cette auberge-là.

    M. Madeleine lui tenait toujours la main, il la considérait avec anxiété ; il était évident qu’il était venu pour lui dire des choses devant lesquelles sa pensée hésitait maintenant. Le médecin, sa visite faite, s’était retiré. La sœur Simplice était restée auprès d’eux.

    Cependant, au milieu de ce silence, Fantine s’écria :

    Je l’entends ! mon Dieu ! je l’entends !

    Elle étendit le bras pour qu’on se tût autour d’elle, retint son souffle, et se mit à écouter avec ravissement.

    Il y avait un enfant qui jouait dans la cour ; l’enfant de la portière ou d’une ouvrière quelconque. C’est là un de ces hasards qu’on retrouve toujours et qui semblent faire partie de la mystérieuse mise en scène des événements lugubres. L’enfant — c’était une petite fille — allait, venait, courait pour se réchauffer, riait et chantait à haute voix. Hélas ! à quoi les jeux des enfants ne se mêlent-ils pas ! C’était cette petite fille que Fantine entendait chanter.

    Oh ! reprit-elle, c’est ma Cosette ! je reconnais sa voix !

    L’enfant s’éloigna comme il était venu, la voix s’éteignit, Fantine écouta encore quelque temps, puis son visage s’assombrit, et M. Madeleine l’entendit qui disait à voix basse : — Comme ce médecin est méchant de ne pas me laisser voir ma fille ! Il a une mauvaise figure, cet homme-là !

    Cependant le fond riant de ses idées revint. Elle continua de se parler à elle-même, la tête sur l’oreiller : — Comme nous allons être heureuses ! Nous aurons un petit jardin, d’abord! monsieur Madeleine me l’a promis. Ma fille jouera dans le jardin. Elle doit savoir ses lettres maintenant. Je la ferai épeler. Elle courra dans l’herbe après les papillons. Je la regarderai. Et puis elle fera sa première communion. Ah çà ! quand fera-t-elle sa première communion ?

    Elle se mit à compter sur ces doigts.

    ... Un, deux, trois, quatre... elle a sept ans. Dans cinq ans. Elle aura un voile blanc, des bas à jour, elle aura l’air d’une petite femme. Ô ma bonne sœur, vous ne savez pas comme je suis bête, voilà que je pense à la première communion de ma fille !

    Et elle se mit à rire.

    Il avait quitté la main de Fantine. Il écoutait ces paroles comme on écoute un vent qui souffle, les yeux à terre, l’esprit plongé dans des réflexions sans fond. Tout à coup elle cessa de parler, cela lui fit lever machinalement la tête, Fantine était devenue effrayante.

    Elle ne parlait plus, elle ne respirait plus ; elle s’était soulevée à demi sur son séant ; son épaule maigre sortait de sa chemise ; son visage, radieux le moment d’auparavant, était blême, et elle paraissait fixer sur quelque chose de formidable, devant elle, à l’autre extrémité de la chambre, son œil agrandi par la terreur.

    Mon Dieu ! s’écria-t-il. Qu’avez-vous, Fantine ?

    Elle ne répondit pas, elle ne quitta point des yeux l’objet quelconque qu’elle semblait voir, elle lui toucha le bras d’une main et de l’autre lui fit signe de regarder derrière lui.

    Il se retourna, et vit Javert.


     

    III

    JAVERT CONTENT


     

    Voici ce qui s’était passé.

    Minuit et demi venait de sonner, quand M. Madeleine était sorti de la salle des assises d’Arras. Il était rentré à son auberge juste à temps pour repartir par la malle-poste où l’on se rappelle qu’il avait retenu sa place. Un peu avant six heures du matin, il était arrivé à Montreuil-sur-Mer, et son premier soin avait été de jeter à la poste sa lettre à M. Laffitte, puis d’entrer à l’infirmerie et de voir Fantine.

    Cependant, à peine avait-il quitté la salle d’audience de la cour d’assises, que l’avocat général, revenu du premier saisissement, avait pris la parole pour déplorer l’acte de folie de l’honorable maire de Montreuil-sur-Mer, déclarer que ses convictions n’étaient en rien modifiées par cet incident bizarre qui s’éclaircirait plus tard, et requérir, en attendant, la condamnation de ce Champmathieu, évidemment le vrai Jean Valjean. La persistance de l’avocat général était visiblement en contradiction avec le sentiment de tous, du public, de la cour et du jury. Le défenseur avait eu peu de peine à réfuter cette harangue et à établir que, par suite des révélations de M. Madeleine, c’est-à-dire du vrai Jean Valjean, la face de l’affaire était bouleversée de fond en comble, et que le jury n’avait plus devant les yeux qu’un innocent. L’avocat avait tiré de là quelques épiphonèmes, malheureusement peu neufs, sur les erreurs judiciaires, etc., etc. ; le président dans son résumé s’était joint au défenseur, et le jury en quelques minutes avait mis hors de cause Champmathieu.

    Cependant il fallait un Jean Valjean à l’avocat général, et, n’ayant plus Champmathieu, il prit Madeleine.

    Immédiatement après la mise en liberté de Champmathieu, l’avocat général s’enferma avec le président. Ils conférèrent « de la nécessité de se saisir de la personne de M. le maire de Montreuil-sur-Mer ». Cette phrase, où il y a beaucoup de de, est de M. l’avocat général. La première émotion passée, le président fit peu d’objections. Il fallait bien que justice eût son cours. Et puis, pour tout dire, quoique le président fût homme bon et assez intelligent, il était en même temps fort royaliste et presque ardent, et il avait été choqué que le maire de Montreuil-sur-Mer, en parlant du débarquement à Cannes, eût dit l’empereur et non Buonaparte.

    L’ordre d’arrestation fut donc expédié. L’avocat général l’envoya à Montreuil-sur-Mer par un exprès, à franc étrier, et en chargea l’inspecteur de police Javert.

    On sait que Javert était revenu à Montreuil-sur-Mer immédiatement après avoir fait sa déposition.

    Javert se levait au moment où l’exprès lui remit l’ordre d’arrestation et le mandat d’amener.

    L’exprès était lui-même un homme de police fort entendu qui, en deux mots, mit Javert au fait de ce qui était arrivé à Arras. L’ordre d’arrestation, signé de l’avocat général, était ainsi conçu : — L’inspecteur Javert appréhendera au corps le sieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, qui, dans l’audience de ce jour, a été reconnu pour être le forçat libéré Jean Valjean.

    Quelqu’un qui n’eût pas connu Javert et qui l’eût vu au moment où il pénétra dans l’antichambre de l’infirmerie n’eût pu rien deviner de ce qui se passait, et lui eût trouvé l’air le plus ordinaire du monde. Il était froid, calme, grave, avait ses cheveux gris parfaitement lissés sur les tempes et venait de monter l’escalier avec sa lenteur habituelle. Quelqu’un qui l’eût connu à fond et qui l’eût examiné attentivement eût frémi. La boucle de son col de cuir, au lieu d’être sur sa nuque, était sur son oreille gauche. Ceci révélait une agitation inouïe.

    Javert était un caractère complet, ne faisant faire de pli ni à son devoir, ni à son uniforme ; méthodique avec les scélérats, rigide avec les boutons de son habit.

    Pour qu’il eût mal mis la boucle de son col, il fallait qu’il y eût en lui une de ces émotions qu’on pourrait appeler des tremblements de terre intérieurs.

    Il était venu simplement, avait requis un caporal et quatre soldats au poste voisin, avait laissé les soldats dans la cour, et s’était fait indiquer la chambre de Fantine par la portière sans défiance, accoutumée qu’elle était à voir des gens armés demander monsieur le maire.

    Arrivé à la chambre de Fantine, Javert tourna la clef, poussa la porte avec une douceur de garde-malade ou de mouchard, et entra.

    À proprement parler, il n’entra pas. Il se tint debout dans la porte entre-bâillée, le chapeau sur la tête, la main gauche dans sa redingote fermée jusqu’au menton. Dans le pli du coude on pouvait voir le pommeau de plomb de son énorme canne, laquelle disparaissait derrière lui.

    Il resta ainsi près d’une minute sans qu’on s’aperçût de sa présence. Tout à coup Fantine leva les yeux, le vit, et fit retourner M. Madeleine.

    À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie.

    Ce fut le visage d’un démon qui vient de retrouver son damné.

    La certitude de tenir enfin Jean Valjean fît apparaître sur sa physionomie tout ce qu’il avait dans l’âme. Le fond remué monta à la surface. L’humiliation d’avoir un peu perdu la piste et de s’être mépris quelques minutes sur ce Champmathieu, s’effaçait sous l’orgueil d’avoir si bien deviné d’abord et d’avoir eu si longtemps un instinct juste. Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite.

    Javert en ce moment était au ciel. Sans qu’il s’en rendît nettement compte, mais pourtant avec une intuition confuse de sa nécessité et de son succès, il personnifiait, lui Javert, la justice, la lumière et la vérité dans leur fonction céleste d’écrasement du mal. Il avait derrière lui et autour de lui, à une profondeur infinie, l’autorité, la raison, la chose jugée, la conscience légale, la vindicte publique, toutes les étoiles ; il protégeait l’ordre, il faisait sortir de la loi la foudre, il vengeait la société, il prêtait main-forte à l’absolu ; il se dressait dans une gloire ; il y avait dans sa victoire un reste de défi et de combat ; debout, altier, éclatant, il étalait en plein azur la bestialité surhumaine d’un archange féroce ; l’ombre redoutable de l’action qu’il accomplissait faisait visible à son poing crispé le vague flamboiement de l’épée sociale ; heureux et indigné, il tenait sous son talon le crime, le vice, la rébellion, la perdition, l’enfer, il rayonnait, il exterminait, il souriait, et il y avait une incontestable grandeur dans ce saint Michel monstrueux.

    Javert, effroyable, n’avait rien d’ignoble. La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, l’idée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans l’horreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, l’erreur. L’impitoyable joie honnête d’un fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable. Sans qu’il s’en doutât, Javert, dans son bonheur formidable, était à plaindre comme tout ignorant qui triomphe. Rien n’était poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce qu’on pourrait appeler tout le mauvais du bon.


     

    IV

    L’AUTORITÉ REPREND SES DROITS


     

    La Fantine n’avait point vu Javert depuis le jour où M. le maire l’avait arrachée à cet homme. Son cerveau malade ne se rendit compte de rien, seulement elle ne douta pas qu’il ne revînt la chercher. Elle ne put supporter cette figure affreuse, elle se sentit expirer, elle cacha son visage de ses deux mains et cria avec angoisse :

    Monsieur Madeleine, sauvez-moi !

    Jean Valjean — nous ne le nommerons plus désormais autrement — s’était levé. Il dit à Fantine de sa voix la plus douce et la plus calme :

    Soyez tranquille, Ce n’est pas pour vous qu’il vient.

    Puis il s’adressa à Javert et lui dit :

    Je sais ce que vous voulez.

    Javert répondit :

    Allons, vite !

    Il y eut dans l’inflexion qui accompagna ces deux mots je ne sais quoi de fauve et de frénétique. Javert ne dit pas : Allons, vite ! il dit : Allonouaite ! Aucune orthographe ne pourrait rendre l’accent dont cela fut prononcé ; ce n’était plus une parole humaine, c’était un rugissement.

    Il ne fit point comme d’habitude; il n’entra point en matière ; il n’exhiba point de mandat d’amener. Pour lui, Jean Valjean était une sorte de combattant mystérieux et insaisissable, un lutteur ténébreux qu’il étreignait depuis cinq ans sans pouvoir le renverser. Cette arrestation n’était pas un commencement, mais une fin. Il se borna à dire : Allons, vite !

    En parlant ainsi, il ne fit point un pas ; il lança sur Jean Valjean ce regard qu’il jetait comme un crampon, et avec lequel il avait coutume de tirer violemment les misérables a lui.

    C’était ce regard que la Fantine avait senti pénétrer jusque dans la moelle de ses os, deux mois auparavant.

    Au cri de Javert, Fantine avait rouvert les yeux. Mais M. le maire était là. Que pouvait-elle craindre ?

    Javert avança au milieu de la chambre et cria :

    Ah çà ! viendras-tu ?

    La malheureuse regarda autour d’elle. Il n’y avait personne que la religieuse et monsieur le maire. À qui pouvait s’adresser ce tutoiement abject ? À elle seulement. Elle frissonna.

    Alors elle vit une chose inouïe, tellement inouïe que jamais rien de pareil ne lui était apparu dans les plus noirs délires de la fièvre.

    Elle vit le mouchard Javert saisir au collet monsieur le maire ; elle vit monsieur le maire courber la tête. Il lui sembla que le monde s’évanouissait.

    Javert, en effet, avait pris Jean Valjean au collet.

    Monsieur le maire ! cria Fantine.

    Javert éclata de rire, de cet affreux rire qui lui déchaussait toutes les dents.

    Il n’y a plus de monsieur le maire ici !

    Jean Valjean n’essaya pas de déranger la main qui tenait le col de sa redingote. Il dit :

    Javert...

    Javert l’interrompit : — Appelle-moi monsieur l’inspecteur.

    Monsieur, reprit Jean Valjean, je voudrais vous dire un mot en particulier.

    Tout haut ! parle tout haut ! répondit Javert ; on me parle tout haut à moi !

    Jean Valjean continua en baissant la voix :

    C’est une prière que j’ai à vous faire...

    Je te dis de parler tout haut.

    Mais cela ne doit être entendu que de vous seul...

    Qu’est-ce que cela me fait ? je n’écoute pas !

    Jean Valjean se tourna vers lui et lui dit rapidement et très bas :

    Accordez-moi trois jours ! trois jours pour aller chercher l’enfant de cette malheureuse femme. Je payerai ce qu’il faudra. Vous m’accompagnerez si vous voulez.

    Tu veux rire ! cria Javert. Ah çà ! je ne te croyais pas bête ! Tu me demandes trois jours pour t’en aller ! Tu dis que c’est pour aller chercher l’enfant de cette fille ! Ah ! ah ! c’est bon ! voilà qui est bon !

    Fantine eut un tremblement.

    Mon enfant ! s’écria-t-elle, aller chercher mon enfant ! Elle n’est donc pas ici ! Ma sœur, répondez-moi ; où est Cosette ? Je veux mon enfant ! Monsieur Madeleine ! monsieur le maire !

    Javert frappa du pied.

    Voilà l’autre, à présent ! Te tairas-tu, drôlesse ! Gredin de pays où les galériens sont magistrats et où les filles publiques sont soignées comme des comtesses ! Ah mais ! tout ça va changer ; il était temps !

    Il regarda fixement Fantine et ajouta en reprenant à poignée la cravate, la chemise et le collet de Jean Valjean :

    Je te dis qu’il n’y a point de monsieur Madeleine et qu’il n’y a point de monsieur le maire. Il y a un voleur, il y a un brigand, il y a un forçat appelé Jean Valjean ! c’est lui que je tiens ! voilà ce qu’il y a !

    Fantine se dressa en sursaut, appuyée sur ses bras roides et sur ses deux mains, elle regarda Jean Valjean, elle regarda Javert, elle regarda la religieuse, elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour d’elle comme quelqu’un qui se noie, puis elle s’affaissa subitement sur l’oreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.

    Elle était morte.

    Jean Valjean posa sa main sur la main de Javert qui le tenait, et l’ouvrit comme il eût ouvert la main d’un enfant, puis il dit à Javert :

    Vous avez tué cette femme.

    Finirons-nous ! cria Javert furieux. Je ne suis pas ici pour entendre des raisons. Économisons tout ça. La garde est en bas. Marchons tout de suite, ou les poucettes !

    Il y avait dans un coin de la chambre un vieux lit en fer en assez mauvais état qui servait de lit de camp aux sœurs quand elles veillaient, Jean Valjean alla à ce lit, disloqua en un clin d’œil le chevet déjà fort délabré, chose facile à des muscles comme les siens, saisit à poigne-main la maîtresse-tringle, et considéra Javert. Javert recula vers la porte.

    Jean Valjean, sa barre de fer au poing, marcha lentement vers le lit de Fantine. Quand il y fut parvenu, il se retourna, et dit à Javert d’une voix qu’on entendait à peine :

    Je ne vous conseille pas de me déranger en ce moment.

    Ce qui est certain, c’est que Javert tremblait.

    Il eut l’idée d’aller appeler la garde, mais Jean Valjean pouvait profiter de cette minute pour s’évader. Il resta donc, saisit sa canne par le petit bout, et s’adossa au chambranle de la porte sans quitter du regard Jean Valjean.

    Jean Valjean posa son coude sur la pomme du chevet du lit et son front sur sa main, et se mit à contempler Fantine immobile et étendue. Il demeura ainsi, absorbé, muet, et ne songeant évidemment plus à aucune chose de cette vie. Il n’y avait plus rien sur son visage et dans son attitude qu’une inexprimable pitié. Après quelques instants de cette rêverie, il se pencha vers Fantine et lui parla à voix basse.

    Que lui dit-il ? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé, à cette femme qui était morte ? Qu’était-ce que ces paroles ? Personne sur la terre ne les a entendues. La morte les entendit-elle ? Il y a des illusions touchantes qui sont peut-être des réalités sublimes. Ce qui est hors de doute, c’est que la sœur Simplice, unique témoin de la chose qui se passait, a souvent raconté qu’au moment où Jean Valjean parla à l’oreille de Fantine, elle vit distinctement poindre un ineffable sourire sur ces lèvres pâles et dans ces prunelles vagues, pleines de l’étonnement du tombeau.

    Jean Valjean prit dans ses deux mains la tête de Fantine et l’arrangea sur l’oreiller comme une mère eût fait pour son enfant, il lui rattacha le cordon de sa chemise et rentra ses cheveux sous son bonnet. Cela fait, il lui ferma les yeux.

    La face de Fantine en cet instant semblait étrangement éclairée.

    La mort, c’est l’entrée dans la grande lueur. La main de Fantine pendait hors du lit. Jean Valjean s’agenouilla devant cette main, la souleva doucement et la baisa.

    Puis il se redressa, et, se tournant vers Javert :

    Maintenant, dit-il, je suis à vous.


     

    V

    TOMBEAU CONVENABLE


     

    Javert déposa Jean Valjean à la prison de la ville.

    L’arrestation de M. Madeleine produisit à Montreuil-sur-Mer une sensation, ou pour mieux dire une commotion extraordinaire. Nous sommes triste de ne pouvoir dissimuler que sur ce seul mot : c’était un galérien, tout le monde à peu près l’abandonna. En moins de deux heures tout le bien qu’il avait fait fut oublié, et ce ne fut plus qu’un « galérien ». Il est juste de dire qu’on ne connaissait pas encore les détails de l’événement d’Arras. Toute la journée on entendait dans toutes les parties de la ville des conversations comme celle-ci :

    Vous ne savez pas ? c’était un forçat libéré ! — Qui ça ? — Le maire. — Bah ! M. Madeleine ? — Oui. — Vraiment ? — Il ne s’appelait pas Madeleine, il a un affreux nom, Béjean, Bojean, Boujean. — Ah, mon Dieu ! — Il est arrêté. — Arrêté ! — En prison à la prison de la ville, en attendant qu’on le transfère. — Qu’on le transfère ! On va le transférer ! Où va-t-on le transférer ? — Il va passer aux assises pour un vol de grand chemin qu’il a fait autrefois. — Eh bien ! je m’en doutais. Cet homme était trop bon, trop parfait, trop confit. Il refusait la croix, il donnait des sous à tous les petits drôles qu’il rencontrait. J’ai toujours pensé qu’il y avait là-dessous quelque mauvaise histoire.

    Les « salons » surtout abondèrent dans ce sens.

    Une vieille dame, abonnée au Drapeau blanc, fit cette réflexion dont il est presque impossible de sonder la profondeur :

    Je n’en suis pas fâchée. Cela apprendra aux buonapartistes !

    C’est ainsi que ce fantôme qui s’était appelé M. Madeleine se dissipa à Montreuil-sur-Mer. Trois ou quatre personnes seulement dans toute la ville restèrent fidèles à cette mémoire. La vieille portière qui l’avait servi fut du nombre.

    Le soir de ce même jour, cette digne vieille était assise dans sa loge, encore tout effarée et réfléchissant tristement. La fabrique avait été fermée toute la journée, la porte cochère était verrouillée, la rue était déserte. Il n’y avait dans la maison que les deux religieuses, sœur Perpétue et sœur Simplice, qui veillaient près du corps de Fantine.

    Vers l’heure où M. Madeleine avait coutume de rentrer, la brave portière se leva machinalement, prit la clef de la chambre de M. Madeleine dans un tiroir et le bougeoir dont il se servait tous les soirs pour monter chez lui, puis elle accrocha la clef au clou où il la prenait d’habitude, et plaça le bougeoir à côté, comme si elle l’attendait. Ensuite elle se rassit sur sa chaise et se remit à songer. La pauvre bonne vieille avait fait tout cela sans en avoir conscience.

    Ce ne fut qu’au bout de plus de deux heures qu’elle sortit de sa rêverie et s’écria : Tiens ! mon bon Dieu Jésus ! moi qui ai mis sa clef au clou !

    En ce moment la vitre de la loge s’ouvrit, une main passa par l’ouverture, saisit la clef et le bougeoir et alluma la bougie à la chandelle qui brûlait.

    La portière leva les yeux et resta béante, avec un cri dans le gosier qu’elle retint.

    Elle connaissait cette main, ce bras, cette manche de redingote.

    C’était M. Madeleine.

    Elle fut quelques secondes avant de pouvoir parler, saisie, comme elle le disait elle-même plus tard en racontant son aventure.

    Mon Dieu ! monsieur le maire, s’écria-t-elle enfin, je vous croyais…

    Elle s’arrêta, la fin de sa phrase eût manqué de respect au commencement. Jean Valjean était toujours pour elle monsieur le maire.

    Il acheva sa pensée.

    En prison, dit-il. J’y étais. J’ai brisé un barreau d’une fenêtre, je me suis laissé tomber du haut d’un toit, et me voici. Je monte à ma chambre, allez me chercher la sœur Simplice. Elle est sans doute près de cette pauvre femme.

    La vieille obéit en toute hâte.

    Il ne lui fit aucune recommandation ; il était bien sûr qu’elle le garderait mieux qu’il ne se garderait lui-même.

    On n’a jamais su comment il avait réussi à pénétrer dans la cour sans faire ouvrir la porte cochère. Il avait, et portait toujours sur lui, un passe-partout qui ouvrait une petite porte latérale ; mais on avait dû le fouiller et lui prendre son passe-partout. Ce point n’a pas été éclairci.

    Il monta l’escalier qui conduisait à sa chambre. Arrivé en haut, il laissa son bougeoir sur les dernières marches de l’escalier, ouvrit sa porte avec peu de bruit, et alla fermer à tâtons sa fenêtre et son volet, puis il revint prendre sa bougie et rentra dans sa chambre.

    La précaution était utile ; on se souvient que sa fenêtre pouvait être aperçue de la rue.

    Il jeta un coup d’œil autour de lui, sur sa table, sur sa chaise, sur son lit qui n’avait pas été défait depuis trois jours. Il ne restait aucune trace du désordre de l’avant-dernière nuit, La portière avait « fait la chambre ». Seulement elle avait ramassé dans les cendres et posé proprement sur la table les deux bouts du bâton ferré et la pièce de quarante sous noircie par le feu.

    Il prit une feuille de papier sur laquelle il écrivit : Voici les deux bouts de mon bâton ferré et la pièce de quarante sous volée à Petit-Gervais dont j’ai parlé à la cour d’assises, et il posa sur cette feuille la pièce d’argent et les deux morceaux de fer, de façon que ce fût la première chose qu’on aperçût en entrant dans la chambre. Il tira d’une armoire une vieille chemise à lui qu’il déchira. Cela fit quelques morceaux de toile dans lesquels il emballa les deux flambeaux d’argent. Du reste il n’avait ni hâte ni agitation, et, tout en emballant les chandeliers de l’évêque, il mordait dans un morceau de pain noir. Il est probable que c’était le pain de la prison qu’il avait emporté en s’évadant.

    Ceci a été constaté par les miettes de pain qui furent trouvées sur le carreau de la chambre, lorsque la justice plus tard fit une perquisition.

    On frappa deux petits coups à la porte.

    Entrez, dit-il. C’était la sœur Simplice.

    Elle était pâle, elle avait les yeux rouges, la chandelle qu’elle tenait vacillait dans sa main. Les violences de la destinée ont cela de particulier que, si perfectionnés ou si refroidis que nous soyons, elles nous tirent du fond des entrailles la nature humaine et la forcent de reparaître au dehors. Dans les émotions de cette journée, la religieuse était redevenue femme. Elle avait pleuré, et elle tremblait.

    Jean Valjean venait d’écrire quelques lignes sur un papier qu’il tendit à la religieuse en disant : — Ma sœur, vous remettrez ceci à monsieur le curé.

    Le papier était déplié. Elle y jeta les yeux.

    Vous pouvez lire, dit-il.

    Elle lut : — « Je prie monsieur le curé de veiller sur

    Javert aperçut la sœur et s’arrêta interdit.

    On se rappelle que le fond même de Javert, son élément, son milieu respirable, c’était la vénération de toute autorité. Il était tout d’une pièce et n’admettait ni objection, ni restriction. Pour lui, bien entendu, l’autorité ecclésiastique était la première de toutes ; il était religieux, superficiel et correct sur ce point comme sur tous. À ses yeux un prêtre était un esprit qui ne se trompe pas, une religieuse était une créature qui ne pèche pas. C’étaient des âmes murées à ce monde avec une seule porte qui ne s’ouvrait jamais que pour laisser sortir la vérité.

    En apercevant la sœur, son premier mouvement fut de se retirer.

    Cependant il y avait aussi un autre devoir qui le tenait, et qui le poussait impérieusement en sens inverse. Son second mouvement fut de rester et de hasarder au moins une question.

    C’était cette sœur Simplice qui n’avait menti de sa vie. Javert le savait, et la vénérait particulièrement à cause de cela.

    Ma sœur, dit-il, êtes-vous seule dans cette chambre ?

    Il y eut un moment affreux pendant lequel la pauvre portière se sentit défaillir.

    La sœur leva les yeux et répondit :

    Oui.

    Ainsi, reprit Javert, excusez-moi si j’insiste, c’est mon devoir, vous n’avez pas vu ce soir une personne, un homme ? Il s’est évadé, nous le cherchons, — ce nommé Jean Valjean, vous ne l’avez pas vu ?

    La sœur répondit : — Non.

    Elle mentit deux fois de suite, coup sur coup, sans hésiter, rapidement, comme on se dévoue.

    Pardon, dit Javert ; et il se retira en saluant profondément.

    Ô sainte fille ! vous n’êtes plus de ce monde depuis beaucoup d’années ; vous avez rejoint dans la lumière vos sœurs les vierges et vos frères les anges ; que ce mensonge vous soit compté dans le paradis !

    L’affirmation de la sœur fut pour Javert quelque chose de si décisif qu’il ne remarqua même pas la singularité de cette bougie qu’on venait de souffler et qui fumait sur la table.

    Une heure après, un homme, marchant à travers les arbres et les brumes, s’éloignait rapidement de Montreuil-sur-Mer dans la direction de Paris. Cet homme était Jean Valjean. Il a été établi, par le témoignage de deux ou trois rouliers qui l’avaient rencontré, qu’il portait un paquet et qu’il était vêtu d’une blouse. Où avait-il pris cette blouse ? On ne l’a jamais su. Cependant un vieux ouvrier était mort quelques jours auparavant à l’infirmerie de la fabrique, ne laissant que sa blouse. C’était peut-être celle-là.

    Un dernier mot sur Fantine.

    Nous avons tous une mère, la terre. On rendit Fantine à cette mère.

    Le curé crut bien faire, et fit bien peut-être, en réservant, sur ce que Jean Valjean avait laissé, le plus d’argent possible aux pauvres. Après tout, de quoi s’agissait-il ? d’un forçat et d’une fille publique. C’est pourquoi il simplifia l’enterrement de Fantine, et le réduisit à ce strict nécessaire qu’on appelle la fosse commune.

    Fantine fut donc enterrée dans le coin gratis du cimetière qui est à tous et à personne, et où l’on perd les pauvres. Heureusement Dieu sait où retrouver l’âme. On coucha Fantine dans les ténèbres parmi les premiers os venus ; elle subit la promiscuité des cendres. Elle fut jetée à la fosse publique. Sa tombe ressembla à son lit.


     

    I


     

    CE QU’ON RENCONTRE EN VENANT
    DE NIVELLES


     

    L’an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux rangées d’arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des collines qui viennent l’une après l’autre, soulèvent la route et la laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l’ouest, le clocher d’ardoise de Braine-l’Alleud qui a la forme d’un vase renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une hauteur, et, à l’angle d’un chemin de traverse, à côté d’une espèce de potence vermoulue portant l’inscription : Ancienne barrière n° 4, un cabaret ayant sur sa façade cet écriteau : Au quatre vents. Échabeau, café de particulier.

    Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au fond d’un petit vallon où il y a de l’eau qui passe sous une arche pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d’arbres, clair-semé mais très vert, qui emplit le vallon d’un côté de la chaussée, s’éparpille de l’autre dans les prairies et s’en va avec grâce et comme en désordre vers Braine-l’Alleud.

    Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près d’une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une échelle le long d’un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune, probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au vent. À l’angle de l’auberge, à côté d’une mare où naviguait une flottille de canards, un sentier mal pavé s’enfonçait dans les broussailles. Ce passant y entra.

    Au bout d’une centaine de pas, après avoir longé un mur du quinzième siècle surmonté d’un pignon aigu à briques contrariées, il se trouva en présence d’une grande porte de pierre cintrée, avec imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de deux médaillons plans. Une façade sévère dominait cette porte ; un mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et la flanquait d’un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour clôture deux battants décrépits ornés d’un vieux marteau rouillé.

    Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait éperdument dans un grand arbre.

    Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation circulaire ressemblant à l’alvéole d’une sphère. En ce moment les battants s’écartèrent et une paysanne sortit.

    Elle vit le passant et aperçut ce qu’il regardait.

    C’est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle ajouta :

    Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d’un clou, c’est le trou d’un gros biscaïen. Le biscaïen n’a pas traversé le bois.

    Comment s’appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.

    Hougomont, dit la paysanne.

    Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s’en alla regarder au-dessus des haies. Il aperçut à l’horizon à travers les arbres une espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin, ressemblait à un lion.

    Il était dans le champ de bataille de Waterloo.


     

    II


     

    HOUGOMONT


     

    Hougomont, ce fut là un lieu funèbre, le commencement de l’obstacle, la première résistance que rencontra à Waterloo ce grand bûcheron de l’Europe qu’on appelait Napoléon ; le premier nœud sous le coup de hache.

    C’était un château, ce n’est plus qu’une ferme. Hougomont, pour l’antiquaire, c’est Hugomons. Ce manoir fut bâti par Hugo, sire de Somerel, le même qui dota la sixième chapellenie de l’abbaye de Villiers.

    Le passant poussa la porte, coudoya sous un porche une vieille calèche, et entra dans la cour.

    La première chose qui le frappa dans ce préau, ce fut une porte du seizième siècle qui y simule une arcade, tout étant tombé autour d’elle. L’aspect monumental naît souvent de la ruine. Auprès de l’arcade s’ouvre dans un mur une autre porte avec claveaux du temps de Henri IV, laissant voir les arbres d’un verger. À côté de cette porte un trou à fumier, des pioches et des pelles, quelques charrettes, un vieux puits avec sa dalle et son tourniquet de fer, un poulain qui saute, un dindon qui fait la roue, une chapelle que surmonte un petit clocher, un poirier en fleur en espalier sur le mur de la chapelle, voilà cette cour dont la conquête fut un rêve de Napoléon. Ce coin de terre, s’il eût pu le prendre, lui eût peut-être donné le monde. Des poules y éparpillent du bec la poussière. On entend un grondement, c’est un gros chien qui montre les dents et qui remplace les Anglais.

    Les Anglais là ont été admirables. Les quatre compagnies des gardes de Cooke y ont tenu tête pendant sept heures à l’acharnement d’une armée.

    Hougomont, vu sur la carte, en plan géométral, bâtiments et enclos compris, présente une espèce de rectangle irrégulier dont un angle aurait été entaillé. C’est à cet angle qu’est la porte méridionale gardée par ce mur qui la fusille à bout portant. Hougomont a deux portes, la porte méridionale, celle du château, et la porte septentrionale, celle de la ferme. Napoléon envoya contre Hougomont son frère Jérôme ; les divisions Guilleminot, Foy et Bachelu s’y heurtèrent, presque tout le corps de Reille y fut employé et y échoua, les boulets de Kellermann s’épuisèrent sur cet héroïque pan de mur. Ce ne fut pas trop de la brigade Bauduin pour forcer Hougomont au nord, et la brigade Soye ne put que l’entamer au sud, sans le prendre.

    Les bâtiments de la ferme bordent la cour au sud. Un morceau de la porte nord, brisée par les Français, pend accroché au mur. Ce sont quatre planches clouées sur deux traverses, et où l’on distingue les balafres de l’attaque.

    La porte septentrionale, enfoncée par les français, et à laquelle on a mis une pièce pour remplacer le panneau suspendu à la muraille, s’entrebâille au fond du préau ; elle est coupée carrément dans un mur, de pierre en bas, de brique en haut, qui ferme la cour au nord. C’est une simple porte charretière comme il y en a dans toutes les métairies, deux larges battants faits de planches rustiques ; au delà, des prairies. La dispute de cette entrée a été furieuse. On a longtemps vu sur le montant de la porte toutes sortes d’empreintes de mains sanglantes. C’est là que Bauduin fut tué.

    L’orage du combat est encore dans cette cour ; l’horreur y est visible ; le bouleversement de la mêlée s’y est pétrifié ; cela vit, cela meurt ; c’était hier. Les murs agonisent, les pierres tombent, les brèches crient ; les trous sont des plaies ; les arbres penchés et frissonnants semblent faire effort pour s’enfuir.

    Cette cour, en 1815, était plus bâtie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Des constructions qu’on a depuis jetées bas y faisaient des redans, des angles et des coudes d’équerre.

    Les anglais s’y étaient barricadés ; les français y pénétrèrent, mais ne purent s’y maintenir. À côté de la chapelle, une aile du château, le seul débris qui reste du manoir d’Hougomont, se dresse écroulée, on pourrait dire éventrée. Le château servit de donjon, la chapelle servit de blockhaus. On s’y extermina. Les français, arquebusés de toutes parts, de derrière les murailles, du haut des greniers, du fond des caves, par toutes les croisées, par tous les soupiraux, par toutes les fentes des pierres, apportèrent des fascines et mirent le feu aux murs et aux hommes ; la mitraille eut pour réplique l’incendie.

    On entrevoit dans l’aile ruinée, à travers des fenêtres garnies de barreaux de fer, les chambres démantelées d’un corps de logis en brique ; les gardes anglaises étaient embusquées dans ces chambres ; la spirale de l’escalier, crevassé du rez-de-chaussée jusqu’au toit, apparaît comme l’intérieur d’un coquillage brisé. L’escalier a deux étages ; les anglais, assiégés dans l’escalier, et massés sur les marches supérieures, avaient coupé les marches inférieures. Ce sont de larges dalles de pierre bleue qui font un monceau dans les orties. Une dizaine de marches tiennent encore au mur ; sur la première est entaillée l’image d’un trident. Ces degrés inaccessibles sont solides dans leurs alvéoles. Tout le reste ressemble à une mâchoire édentée. Deux vieux arbres sont là ; l’un est mort, l’autre est blessé au pied, et reverdit en avril. Depuis 1815, il s’est mis à pousser à travers l’escalier.

    On s’est massacré dans la chapelle. Le dedans, redevenu calme, est étrange. On n’y a plus dit la messe depuis le carnage. Pourtant l’autel y est resté, un autel de bois grossier adossé à un fond de pierre brute. Quatre murs lavés au lait de chaux, une porte vis-à-vis l’autel, deux petites fenêtres cintrées, sur la porte un grand crucifix de bois, au-dessus du crucifix un soupirail carré bouché d’une botte de foin, dans un coin à terre un vieux châssis vitré tout cassé, telle est cette chapelle. Près de l’autel est clouée une statue en bois de sainte Anne, du quinzième siècle ; la tête de l’enfant Jésus a été emportée par un biscaïen. Les français, maîtres un moment de la chapelle, puis délogés, l’ont incendiée. Les flammes ont rempli cette masure ; elle a été fournaise ; la porte a brûlé, le plancher a brûlé, le christ, en bois, n’a pas brûlé. Le feu lui a rongé les pieds dont on ne voit plus que les moignons noircis, puis s’est arrêté. Miracle, au dire des gens du pays. L’enfant Jésus, décapité, n’a pas été aussi heureux que le christ.

    Les murs sont couverts d’inscriptions. Près des pieds du Christ on lit ce nom : Henquinez. Puis ces autres : Conde de Rio Maïor. Marques y Marquesa de Almagro (Habana). Il y a des noms français avec des points d’exclamation, signes de colère. On a reblanchi le mur en 1849. Les nations s’y insultaient.

    C’est à la porte de cette chapelle qu’a été ramassé un cadavre qui tenait une hache à la main. Ce cadavre était le sous-lieutenant Legros.

    On sort de la chapelle, et à gauche on voit un puits. Il y en a deux dans cette cour. On demande : pourquoi n’y a-t-il pas de seau et de poulie à celui-ci ? C’est qu’on n’y puise plus d’eau. Pourquoi n’y puise-t-on plus d’eau ? Parce qu’il est plein de squelettes.

    Le dernier qui ait tiré de l’eau de ce puits se nommait Guillaume Van Kylsom. C’était un paysan qui habitait Hougomont et y était jardinier. Le 18 juin 1815, sa famille prit la fuite et s’alla cacher dans les bois.

    La forêt autour de l’abbaye de Villiers abrita pendant plusieurs jours et plusieurs nuits toutes ces malheureuses populations dispersées. Aujourd’hui encore de certains vestiges reconnaissables, tels que de vieux troncs d’arbres brûlés, marquent la place de ces pauvres bivouacs tremblants au fond des halliers.

    Guillaume Van Kylsom demeura à Hougomont « pour garder le château » et se blottit dans une cave. Les anglais l’y découvrirent. On l’arracha de sa cachette, et, à coups de plat de sabre, les combattants se firent servir par cet homme effrayé. Ils avaient soif ; ce Guillaume leur portait à boire. C’est à ce puits qu’il puisait l’eau. Beaucoup burent là leur dernière gorgée. Ce puits, où burent tant de morts, devait mourir lui aussi.

    Après l’action, on eut une hâte : enterrer les cadavres. La mort a une façon à elle de harceler la victoire, et elle fait suivre la gloire par la peste. Le typhus est une annexe du triomphe. Ce puits était profond, on en fit un sépulcre. On y jeta trois cents morts. Peut-être avec trop d’empressement. Tous étaient-ils morts ? la légende dit non. Il parait que, la nuit qui suivit l’ensevelissement, on entendit sortir du puits des voix faibles qui appelaient.

    Ce puits est isolé au milieu de la cour. Trois murs mi-partis pierre et brique, repliés comme les feuilles d’un paravent et simulant une tourelle carrée, l’entourent de trois côtés. Le quatrième côté est ouvert. C’est par là qu’on puisait l’eau. Le mur du fond a une façon d’œil-de-bœuf informe, peut-être un trou d’obus. Cette tourelle avait un plafond dont il ne reste que les poutres. La ferrure de soutènement du mur de droite dessine une croix. On se penche, et l’œil se perd dans un profond cylindre de brique qu’emplit un entassement de ténèbres. Tout autour du puits, le bas des murs disparaît dans les orties.

    Ce puits n’a point pour devanture la large dalle bleue qui sert de tablier à tous les puits de Belgique. La dalle bleue y est remplacée par une traverse à laquelle s’appuient cinq ou six difformes tronçons de bois, noueux et ankylosés, qui ressemblent à de grands ossements. Il n’a plus ni seau, ni chaîne, ni poulie ; mais il a encore la cuvette de pierre qui servait de déversoir. L’eau des pluies s’y amasse, et de temps en temps un oiseau des forêts voisines vient y boire et s’envole.

    Une maison dans cette ruine, la maison de la ferme, est encore habitée. La porte de cette maison donne sur la cour. À côté d’une jolie plaque de serrure gothique il y a sur cette porte une poignée de fer à trèfles, posée de biais. Au moment où le lieutenant hanovrien Wilda saisissait cette poignée pour se réfugier dans la ferme, un sapeur français lui abattit la main d’un coup de hache.

    La famille qui occupe la maison a pour grand-père l’ancien jardinier Van Kylsom, mort depuis longtemps. Une femme en cheveux gris nous dit : ― J’étais là. J’avais trois ans. Ma sœur, plus grande, avait peur et pleurait. On nous a emportées dans les bois. J’étais dans les bras de ma mère. On se collait l’oreille à terre pour écouter. Moi, j’imitais le canon et je faisais boum, boum.

    Une porte de la cour, à gauche, nous l’avons dit, donne dans le verger.

    Le verger est terrible.

    Il est en trois parties, on pourrait presque dire en trois actes. La première partie est un jardin, la deuxième est le verger, la troisième est un bois. Ces trois parties ont une enceinte commune, du côté de l’entrée les bâtiments du château et de la ferme, à gauche une haie, à droite un mur, au fond un mur. Le mur de droite est en brique, le mur du fond est en pierre. On entre dans le jardin d’abord. Il est en contre-bas, planté de groseilliers, encombré de végétations sauvages, fermé d’un terrassement monumental en pierre de taille avec balustres à double renflement. C’était un jardin seigneurial dans ce premier style français qui a précédé Lenôtre ; ruine et ronce aujourd’hui. Les pilastres sont surmontés de globes qui semblent des boulets de pierre. On compte encore quarante-trois balustres sur leurs dés ; les autres sont couchés dans l’herbe. Presque tous ont des éraflures de mousqueterie. Un balustre brisé est posé sur l’étrave comme une jambe cassée.

    C’est dans ce jardin, plus bas que le verger, que six voltigeurs du 1er léger, ayant pénétré là et n’en pouvant plus sortir, pris et traqués comme des ours dans leur fosse, acceptèrent le combat avec deux compagnies hanovriennes, dont une était armée de carabines. Les hanovriens bordaient ces balustres et tiraient d’en haut. Ces voltigeurs, ripostant d’en bas, six contre deux cents, intrépides, n’ayant pour abri que les groseilliers, mirent un quart d’heure à mourir.

    On monte quelques marches, et du jardin on passe dans le verger proprement dit. Là, dans ces quelques toises carrées, quinze cents hommes tombèrent en moins d’une heure. Le mur semble prêt à recommencer le combat. Les trente-huit meurtrières percées par les anglais à des hauteurs irrégulières, y sont encore. Devant la seizième sont couchées deux tombes anglaises en granit. Il n’y a de meurtrières qu’au mur sud, l’attaque principale venait de là. Ce mur est caché au dehors par une grande haie vive ; les français arrivèrent, croyant n’avoir affaire qu’à la haie, la franchirent, et trouvèrent le mur, obstacle et embuscade, les gardes anglaises derrière, les trente-huit meurtrières faisant feu à la fois, un orage de mitraille et de balles ; et la brigade Soye s’y brisa. Waterloo commença ainsi.

    Le verger pourtant fut pris. On n’avait pas d’échelles, les français grimpèrent avec les ongles. On se battit corps à corps sous les arbres. Toute cette herbe a été mouillée de sang. Un bataillon de Nassau, sept cents hommes, fut foudroyé là. Au dehors le mur, contre lequel furent braquées les deux batteries de Kellermann, est rongé par la mitraille.

    Ce verger est sensible comme un autre au mois de mai. Il a ses boutons d’or et ses pâquerettes, l’herbe y est haute, des chevaux de charrue y paissent, des cordes de crin où sèche du linge traversent les intervalles des arbres et font baisser la tête aux passants, on marche dans cette friche et le pied enfonce dans les trous de taupes. Au milieu de l’herbe on remarque un tronc déraciné, gisant, verdissant. Le major Blackmann s’y est adossé pour expirer. Sous un grand arbre voisin est tombé le général allemand Duplat, d’une famille française réfugiée à la révocation de l’édit de Nantes. Tout à côté se penche un vieux pommier malade pansé avec un bandage de paille et de terre glaise. Presque tous les pommiers tombent de vieillesse. Il n’y en a pas un qui n’ait sa balle ou son biscaïen. Les squelettes d’arbres morts abondent dans ce verger. Les corbeaux volent dans les branches, au fond il y a un bois plein de violettes.

    Bauduin tué, Foy blessé, l’incendie, le massacre, le carnage, un ruisseau fait de sang anglais, de sang allemand et de sang français, furieusement mêlés, un puits comblé de cadavres, le régiment de Nassau et le régiment de Brunswick détruits, Duplat tué, Blackmann tué, les gardes anglaises mutilées, vingt bataillons français, sur les quarante du corps de Reille, décimés, trois mille hommes, dans cette seule masure de Hougomont, sabrés, écharpés, égorgés, fusillés, brûlés ; et tout cela pour qu’aujourd’hui un paysan dise à un voyageur : Monsieur, donnez-moi trois francs ; si vous aimez, je vous expliquerai la chose de Waterloo !


     

    III


     

    LE 18 JUIN 1815


     

    Retournons en arrière, c’est un des droits du narrateur, et replaçons-nous en l’année 1815, et même un peu avant l’époque où commence l’action racontée dans la première partie de ce livre.

    S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde.

    La bataille de Waterloo, et ceci a donné à Blücher le temps d’arriver, n’a pu commencer qu’à onze heures et demie. Pourquoi ? Parce que la terre était mouillée. Il a fallu attendre un peu de raffermissement pour que l’artillerie pût manœuvrer.

    Napoléon était officier d’artillerie, et il s’en ressentait. Le fond de ce prodigieux capitaine, c’était l’homme qui, dans le rapport au Directoire sur Aboukir, disait : Tel de nos boulets a tué six hommes. Tous ses plans de bataille sont faits pour le projectile. Faire converger l’artillerie sur un point donné, c’était là sa clef de victoire. Il traitait la stratégie du général ennemi comme une citadelle, et il la battait en brèche. Il accablait le point faible de mitraille ; il nouait et dénouait les batailles avec le canon. Il y avait du tir dans son génie. Enfoncer les carrés, pulvériser les régiments, rompre les lignes, broyer et disperser les masses, tout pour lui était là, frapper, frapper, frapper sans cesse, et il confiait cette besogne au boulet. Méthode redoutable, et qui, jointe au génie, a fait invincible pendant quinze ans ce sombre athlète du pugilat de la guerre.

    Le 18 juin 1815, il comptait d’autant plus sur l’artillerie qu’il avait pour lui le nombre. Wellington n’avait que cent cinquante-neuf bouches à feu ; Napoléon en avait deux cent quarante.

    Supposez la terre sèche, l’artillerie pouvant rouler, l’action commençait à six heures du matin. La bataille était gagnée et finie à deux heures, trois heures avant la péripétie prussienne.

    Quelle quantité de faute y a-t-il de la part de Napoléon dans la perte de cette bataille ? le naufrage est-il imputable au pilote ?

    Le déclin physique évident de Napoléon se compliquait-il à cette époque d’une certaine diminution intérieure ? les vingt ans de guerre avaient-ils usé la lame comme le fourreau, l’âme comme le corps ? le vétéran se faisait-il fâcheusement sentir dans le capitaine ? en un mot, ce génie, comme beaucoup d’historiens considérables l’ont cru, s’éclipsait-il ? entrait-il en frénésie pour se déguiser à lui-même son affaiblissement ? commençait-il à osciller sous l’égarement d’un souffle d’aventure ? devenait-il, chose grave dans un général, inconscient du péril ? dans cette classe de grands hommes matériels qu’on peut appeler les géants de l’action, y a-t-il un âge pour la myopie du génie ? La vieillesse n’a pas de prises sur les génies de l’idéal ; pour les Dantes et les Michel-Anges, vieillir, c’est croître ; pour les Annibals et les Bonapartes, est-ce décroître ? Napoléon avait-il perdu le sens direct de la victoire ? en était-il à ne plus reconnaître l’écueil, à ne plus deviner le piége, à ne plus discerner le bord croulant des abîmes ? manquait-il du flair des catastrophes ? lui qui jadis savait toutes les routes du triomphe et qui, du haut de son char d’éclairs, les indiquait d’un doigt souverain, avait-il maintenant cet ahurissement sinistre de mener aux précipices son tumultueux attelage de légions ? était-il pris, à quarante-six ans, d’une folie suprême ? ce cocher titanique du destin n’était-il plus qu’un immense casse-cou ?

    Nous ne le pensons point.

    Son plan de bataille était, de l’aveu de tous, un chef-d’œuvre. Aller droit au centre de la ligne alliée, faire un trou dans l’ennemi, le couper en deux, pousser la moitié britannique sur Hal et la moitié prussienne sur Tongres, faire de Wellington et de Blücher deux tronçons, enlever Mont-Saint-Jean, saisir Bruxelles, jeter l’allemand dans le Rhin et l’anglais dans la mer. Tout cela, pour Napoléon, était dans cette bataille. Ensuite on verrait.

    Il va sans dire que nous ne prétendons pas faire ici l’histoire de Waterloo ; une des scènes génératrices du drame que nous racontons se rattache à cette bataille, mais cette histoire n’est pas notre sujet ; cette histoire d’ailleurs est faite, et faite magistralement, à un point de vue par Napoléon, à l’autre point de vue par toute une pléiade d’historiens [1]. Quant à nous, nous laissons les historiens aux prises ; nous ne sommes qu’un témoin à distance, un passant dans la plaine, un chercheur penché sur cette terre pétrie de chair humaine, prenant peut-être des apparences pour des réalités ; nous n’avons pas le droit de tenir tête, au nom de la science, à un ensemble de faits où il y a sans doute du mirage, nous n’avons ni la pratique militaire ni la compétence stratégique qui autorisent un système ; selon nous, un enchaînement de hasards domine à Waterloo les deux capitaines ; et quand il s’agit du destin, ce mystérieux accusé, nous jugeons comme le peuple, ce juge naïf.


     

    IV


     

    A


     

    Ceux qui veulent se figurer nettement la bataille de Waterloo n’ont qu’à coucher sur le sol par la pensée un A majuscule. Le jambage gauche de l’A est la route de Nivelles, le jambage droit est la route de Genappe, la corde de l’A est le chemin creux d’Ohain à Braine-l’Alleud. Le sommet de l’A est Mont-Saint-Jean, là est Wellington ; la pointe gauche inférieure est Hougomont, là est Reille avec Jérôme Bonaparte ; la pointe droite inférieure est la Belle-Alliance, là est Napoléon. Un peu au-dessous du point où la corde de l’A rencontre et coupe le jambage droit est la Haie-Sainte. Au milieu de cette corde est le point précis où s’est dit le mot final de la bataille. C’est là qu’on a placé le lion, symbole involontaire du suprême héroïsme de la garde impériale.

    Le triangle compris au sommet de l’A, entre les deux jambages et la corde, est le plateau de Mont-Saint-Jean. La dispute de ce plateau fut toute la bataille.

    Les ailes des deux armées s’étendent à droite et à gauche des deux routes de Genappe et de Nivelles ; d’Erlon faisant face à Picton, Reille faisant face à Hill.

    Derrière la pointe de l’A, derrière le plateau de Mont-Saint-Jean, est la forêt de Soignes.

    Quant à la plaine en elle-même, qu’on se représente un vaste terrain ondulant ; chaque pli domine le pli suivant, et toutes les ondulations montent vers Mont-Saint-Jean, et y aboutissent à la forêt.

    Deux troupes ennemies sur un champ de bataille sont deux lutteurs. C’est un bras-le-corps. L’une cherche à faire glisser l’autre. On se cramponne à tout ; un buisson est un point d’appui ; un angle de mur est un épaulement ; faute d’une bicoque où s’adosser, un régiment lâche pied ; un ravalement de la plaine, un mouvement de terrain, un sentier transversal à propos, un bois, un ravin, peuvent arrêter le talon de ce colosse qu’on appelle une armée et l’empêcher de reculer. Qui sort du champ est perdu. De là, pour le chef responsable, la nécessité d’examiner la moindre touffe d’arbres et d’approfondir le moindre relief.

    Les deux généraux avaient attentivement étudié la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd’hui plaine de Waterloo. Dès l’année précédente, Wellington, avec une sagacité prévoyante, l’avait examinée comme un en-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon côté, Napoléon le mauvais. L’armée anglaise était en haut, l’armée française en bas.

    Esquisser ici l’aspect de Napoléon à cheval, sa lunette à la main, sur la hauteur de Rossomme, à l’aube du 18 juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu’on le montre, tout le monde l’a vu. Ce profil calme sous le petit chapeau de l’école de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote cachant les épaulettes, l’angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse de velours pourpre ayant aux coins des N couronnées et des aigles, les bottes à l’écuyère sur des bas de soie, les éperons d’argent, l’épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, acclamée des uns, sévèrement regardée par les autres.

    Cette figure a été longtemps toute dans la lumière ; cela tenait à un certain obscurcissement légendaire que la plupart des héros dégagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vérité ; mais aujourd’hui l’histoire et le jour se font.

    Cette clarté, l’histoire, est impitoyable ; elle a cela d’étrange et de divin que, toute lumière qu’elle est et précisément parce qu’elle est lumière, elle met souvent de l’ombre là où l’on voyait des rayons ; du même homme elle fait deux fantômes différents, et l’un attaque l’autre, et en fait justice, et les ténèbres du despote luttent avec l’éblouissement du capitaine. De là une mesure plus vraie dans l’appréciation définitive des peuples. Babylone violée diminue Alexandre ; Rome enchaînée diminue César ; Jérusalem tuée diminue Titus. La tyrannie suit le tyran. C’est un malheur pour un homme de laisser derrière lui de la nuit qui a sa forme.


     

    V


     

    LE « QUID OBSCURUM » DES BATAILLES


     

    Tout le monde connaît la première phase de cette bataille ; début trouble, incertain, hésitant, menaçant pour les deux armées, mais pour les anglais plus encore que pour les français.

    Il avait plu toute la nuit ; la terre était défoncée par l’averse ; l’eau s’était çà et là amassée dans les creux de la plaine, comme dans des cuvettes ; sur de certains points les équipages du train en avaient jusqu’à l’essieu ; les sous-ventrières des attelages dégouttaient de boue liquide ; si les blés et les seigles couchés par cette cohue de charrois en masse n’eussent comblé les ornières et fait litière sous les roues, tout mouvement, particulièrement dans les vallons du côté de Papelotte, eût été impossible.

    L’affaire commença tard ; Napoléon, nous l’avons expliqué, avait l’habitude de tenir toute l’artillerie dans sa main comme un pistolet, visant tantôt tel point, tantôt tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre que les batteries attelées pussent rouler et galoper librement ; il fallait pour cela que le soleil parût et séchât le sol. Mais le soleil ne parut pas. Ce n’était plus le rendez-vous d’Austerlitz. Quand le premier coup de canon fut tiré, le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu’il était onze heures trente-cinq minutes.

    L’action s’engagea avec furie, plus de furie peut-être que l’empereur n’eût voulu, par l’aile gauche française sur Hougomont. En même temps Napoléon attaqua le centre en précipitant la brigade Quiot sur la Haie-Sainte, et Ney poussa l’aile droite française contre l’aile gauche anglaise qui s’appuyait sur Papelotte.

    L’attaque sur Hougomont avait quelque simulation ; attirer là Wellington, le faire pencher à gauche, tel était le plan. Ce plan eût réussi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la division Perponcher n’eussent solidement gardé la position, et Wellington, au lieu de s’y masser, put se borner à y envoyer, pour tout renfort, quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.

    L’attaque de l’aile droite française sur Papelotte était à fond ; culbuter la gauche anglaise, couper la route de Bruxelles, barrer le passage aux prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington sur Hougomont, de là sur Braine-l’Alleud, de là sur Hal, rien de plus net. À part quelques incidents, cette attaque réussit. Papelotte fut pris ; la Haie-Sainte fut enlevée.

    Détail à noter. Il y avait dans l’infanterie anglaise, particulièrement dans la brigade de Kempt, force recrues. Ces jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants ; leur inexpérience se tira intrépidement d’affaire ; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs ; le soldat en tirailleur, un peu livré à lui-même, devient pour ainsi dire son propre général ; ces recrues montrèrent quelque chose de l’invention et de la furie françaises. Cette infanterie novice eut de la verve. Ceci déplut à Wellington.

    Après la prise de la Haie-Sainte, la bataille vacilla.

    Il y a dans cette journée, de midi à quatre heures, un intervalle obscur ; le milieu de cette bataille est presque indistinct et participe du sombre de la mêlée. Le crépuscule s’y fait. On aperçoit de vastes fluctuations dans cette brume, un mirage vertigineux, l’attirail de guerre d’alors presque inconnu aujourd’hui, les colbacks à flamme, les sabretaches flottantes, les buffleteries croisées, les gibernes à grenade, les dolmans des hussards, les bottes rouges à mille plis, les lourds shakos enguirlandés de torsades, l’infanterie presque noire de Brunswick mêlée à l’infanterie écarlate d’Angleterre, les soldats anglais ayant aux entournures pour épaulettes de gros bourrelets blancs circulaires, les chevau-légers hanovriens avec leur casque de cuir oblong à bandes de cuivre et à crinières de crins rouges, les écossais aux genoux nus et aux plaids quadrillés, les grandes guêtres blanches de nos grenadiers, des tableaux, non des lignes stratégiques, ce qu’il faut à Salvator Rosa, non ce qu’il faut à Gribeauval.

    Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une bataille. Quid obscurum, quid divinum. Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle. Quelle que soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a d’incalculables reflux ; dans l’action, les deux plans des deux chefs entrent l’un dans l’autre et se déforment l’un par l’autre. Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l’eau qu’on y jette. On est obligé de reverser là plus de soldats qu’on ne voudrait. Dépenses qui sont l’imprévu. La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres ; où était l’artillerie, accourt la cavalerie ; les bataillons sont des fumées. Il y avait là quelque chose, cherchez, c’est disparu ; les éclaircies se déplacent ; les plis sombres avancent et reculent ; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques. Qu’est-ce qu’une mêlée ? une oscillation. L’immobilité d’un plan mathématique exprime une minute et non une journée. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres qui aient du chaos dans le pinceau ; Rembrandt vaut mieux que Vandermeulen. Vandermeulen, exact à midi, ment à trois heures. La géométrie trompe ; l’ouragan seul est vrai. C’est ce qui donne à Folard le droit de contredire Polybe. Ajoutons qu’il y a toujours un certain instant où la bataille dégénère en combat, se particularise, et s’éparpille en d’innombrables faits de détail qui, pour emprunter l’expression de Napoléon lui-même, « appartiennent plutôt à la biographie des régiments qu’à l’histoire de l’armée ». L’historien, en ce cas, a le droit évident de résumé. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n’est donné à aucun narrateur, si consciencieux qu’il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible qu’on appelle une bataille.

    Ceci, qui est vrai de tous les grands chocs armés, est particulièrement applicable à Waterloo.

    Toutefois, dans l’après-midi, à un certain moment, la bataille se précisa.


     


     

    VI


     

    QUATRE HEURES DE L’APRÈS-MIDI


     

    Vers quatre heures, la situation de l’armée anglaise était grave. Le prince d’Orange commandait le centre, Hill l’aile droite, Picton l’aile gauche. Le prince d’Orange, éperdu et intrépide, criait aux hollando-belges : Nassau ! Brunswick ! jamais en arrière ! Hill, affaibli, venait s’adosser à Wellington, Picton était mort. Dans la même minute où les anglais avaient enlevé aux français le drapeau du 105e de ligne, les français avaient tué aux anglais le général Picton d’une balle à travers la tête. La bataille, pour Wellington, avait deux points d’appui, Hougomont et la Hale-Sainte ; Hougomont tenait encore, mais brûlait ; la Haie-Sainte était prise. Du bataillon allemand qui la défendait, quarante-deux hommes seulement survivaient ; tous les officiers, moins cinq, étaient morts ou pris. Trois mille combattants s’étaient massacrés dans cette grange. Un sergent des gardes anglaises, le premier boxeur de l’Angleterre, réputé par ses compagnons invulnérable, y avait été tué par un petit tambour français. Baring était délogé. Alten était sabré. Plusieurs drapeaux étaient perdus, dont un de la division Alten, et un du bataillon de Lunebourg porté par un prince de la famille de Deux-Ponts. Les Écossais gris n’existaient plus ; les gros dragons de Ponsonby étaient hachés. Cette vaillante cavalerie avait plié sous les lanciers de Bro et sous les cuirassiers de Travers ; de douze cents chevaux il en restait six cents ; des trois lieutenants-colonels, deux étaient à terre, Hamilton blessé, Mater tué. Ponsonby était tombé, troué de sept coups de lance. Gordon était mort, Marsh était mort. Deux divisions, la cinquième et la sixième, étaient détruites.

    Hougomont entamé, la Haie-Sainte prise, il n’y avait plus qu’un nœud, le centre. Ce nœud-là tenait toujours. Wellington le renforça. Il y appela Hill qui était à Merbe-Braine, il y appela Chassé qui était à Braine-l’Alleud.

    Le centre de l’armée anglaise, un peu concave, très dense et très compact, était fortement situé. Il occupait le plateau de Mont-Saint-Jean, ayant derrière lui le village et devant lui la pente, assez âpre alors. Il s’adossait à cette forte maison de pierre, qui était à cette époque un bien domanial de Nivelles et qui marque l’intersection des routes, masse du seizième siècle si robuste que les boulets y ricochaient sans l’entamer. Tout autour du plateau, les anglais avaient taillé çà et là les haies, fait des embrasures dans les aubépines, mis une gueule de canon entre deux branches, crénelé les buissons. Leur artillerie était en embuscade sous les broussailles. Ce travail punique, incontestablement autorisé par la guerre qui admet le piége, était si bien fait que Haxo, envoyé par l’empereur à neuf heures du matin pour reconnaître les batteries ennemies, n’en avait rien vu, et était revenu dire à Napoléon qu’il n’y avait pas d’obstacle, hors les deux barricades barrant les routes de Nivelles et de Genappe. C’était le moment où la moisson est haute ; sur la lisière du plateau, un bataillon de la brigade de Kempt, le 95e, armé de carabines, était couché dans les grands blés.

    Ainsi assuré et contre-buté, le centre de l’armée anglo-hollandaise était en bonne posture.

    Le péril de cette position était la forêt de Soignes, alors contiguë au champ de bataille et coupée par les étangs de Grœnendael et de Boitsfort. Une armée n’eût pu y reculer sans se dissoudre; les régiments s’y fussent tout de suite désagrégés. L’artillerie s’y fût perdue dans les marais. La retraite, selon l’opinion de plusieurs hommes du métier, contestée par d’autres, il est vrai, eût été là un sauve-qui-peut.

    Wellington ajouta à ce centre une brigade de Chassé, ôtée à l’aile droite, et une brigade de Wincke, ôtée à l’aile gauche, plus la division Clinton. À ses anglais, aux régiments de Halkett, à la brigade de Mitchell, aux gardes de Maitland, il donna comme épaulements et contre-forts l’infanterie de Brunswick, le contingent de Nassau, les hanovriens de Kielmansegge et les allemands d’Ompteda. Cela lui mit sous la main vingt-six bataillons. L’aile droite, comme dit Charras, fut rabattue derrière le centre. Une batterie énorme était masquée par des sacs à terre à l’endroit où est aujourd’hui ce qu’on appelle « le musée de Waterloo ». Wellington avait en outre dans un pli de terrain les dragons-gardes de Somerset, quatorze cents chevaux. C’était l’autre moitié de cette cavalerie anglaise, si justement célèbre. Ponsomby détruit, restait Somerset.

    La batterie, qui, achevée, eût été presque une redoute, était disposée derrière un mur de jardin très bas, revêtu à la hâte d’une chemise de sacs de sable et d’un large talus de terre. Cet ouvrage n’était pas fini ; on n’avait pas eu le temps de le palissader.

    Wellington, inquiet, mais impassible, était à cheval, et y demeura toute la journée dans la même attitude, un peu en avant du vieux moulin de Mont-Saint-Jean, qui existe encore, sous un orme qu’un anglais, depuis, vandale enthousiaste, a acheté deux cents francs, scié et emporté. Wellington fut là froidement héroïque. Les boulets pleuvaient. L’aide de camp Gordon venait de tomber à côté de lui. Lord Hill, lui montrant un obus qui éclatait, lui dit : — Milord, quelles sont vos instructions, et quels ordres nous laissez-vous, si vous vous faites tuer ? — De faire comme moi, répondit Wellington. À Clinton, il dit laconiquement : — Tenir ici jusqu’au dernier homme. — La journée, visiblement, tournait mal. Wellington criait à ses anciens compagnons de Talavera, de Vitoria et de Salamanque : — Boys (garçons) ! est-ce qu’on peut songer à lâcher pied ? pensez à la vieille Angleterre !

    Vers quatre heures, la ligne anglaise s’ébranla en arrière. Tout à coup on ne vit plus sur la crête du plateau que l’artillerie et les tirailleurs, le reste disparut ; les régiments, chassés par les obus et les boulets français, se replièrent dans le fond que coupe encore aujourd’hui le sentier de service de la ferme de Mont-Saint-Jean, un mouvement rétrograde se fit, le front de bataille anglais se déroba, Wellington recula. — Commencement de retraite ! cria Napoléon.


     

    VII


     

    NAPOLÉON DE BELLE HUMEUR


    L’empereur, quoique malade et gêné à cheval par une souffrance locale, n’avait jamais été de si bonne humeur que ce jour-là. Depuis le matin, son impénétrabilité souriait. Le 18 juin 1815, cette âme profonde, masquée de marbre, rayonnait aveuglément. L’homme qui avait été sombre à Austerlitz fut gai à Waterloo. Les plus grands prédestinés font de ces contre-sens. Nos joies sont de l’ombre. Le suprême sourire est à Dieu.

    Ridet Caesar, Pompeius flebit, disaient les légionnaires de la légion Fulminatrix. Pompée cette fois ne devait pas pleurer, mais il est certain que César riait.

    Dès la veille, la nuit, à une heure, explorant à cheval, sous l’orage et sous la pluie, avec Bertrand, les collines qui avoisinent Rossomme, satisfait de voir la longue ligne des feux anglais illuminant tout l’horizon de Frischemont à Braine-l’Alleud, il lui avait semblé que le destin assigné par lui à jour fixe sur le champ de Waterloo, était exact ; il avait arrêté son cheval, et était demeuré quelque temps immobile, regardant les éclairs, écoutant le tonnerre, et on avait entendu ce fataliste jeter dans l’ombre cette parole mystérieuse : « Nous sommes d’accord. » Napoléon se trompait. Ils n’étaient plus d’accord.

    Il n’avait pas pris une minute de sommeil, tous les instants de cette nuit-là avaient été marqués pour lui par une joie. Il avait parcouru toute la ligne des grand’gardes, en s’arrêtant çà et là pour parler aux vedettes. À deux heures et demie, près du bois d’Hougomont, il avait entendu le pas d’une colonne en marche ; il avait cru un moment à la reculade de Wellington. Il avait dit : C’est l’arrière-garde anglaise qui s’ébranle pour décamper. Je ferai prisonniers les six mille anglais qui viennent d’arriver à Ostende. Il causait avec expansion ; il avait retrouvé cette verve du débarquement du 1er mars, quand il montrait au grand-maréchal le paysan enthousiaste du golfe Juan, en s’écriant : — Eh bien, Bertrand, voilà déjà du renfort ! La nuit du 17 au 18 juin, il raillait Wellington. — Ce petit anglais a besoin d’une leçon, disait Napoléon. La pluie redoublait ; il tonnait pendant que l’empereur parlait.

    À trois heures et demie du matin, il avait perdu une illusion ; des officiers envoyés en reconnaissance lui avaient annoncé que l’ennemi ne faisait aucun mouvement. Rien ne bougeait ; pas un feu de bivouac n’était éteint. L’armée anglaise dormait. Le silence était profond sur la terre ; il n’y avait de bruit que dans le ciel. À quatre heures, un paysan lui avait été amené par les coureurs ; ce paysan avait servi de guide à une brigade de cavalerie anglaise, probablement la brigade Vivian, qui allait prendre position au village d’Ohain, à l’extrême gauche. À cinq heures, deux déserteurs belges lui avaient rapporté qu’ils venaient de quitter leur régiment, et que l’armée anglaise attendait la bataille. ― Tant mieux ! s’était écrié Napoléon. J’aime encore mieux les culbuter que les refouler.

    Le matin, sur la berge qui fait l’angle du chemin de Plancenoit, il avait mis pied à terre dans la boue, s’était fait apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s’était assis, avec une botte de paille pour tapis, et avait déployé sur la table la carte du champ de bataille, en disant : Joli échiquier !

    Par suite des pluies de la nuit, les convois de vivres, empêtrés dans des routes défoncées, n’avaient pu arriver le matin, le soldat n’avait pas dormi, était mouillé, et était à jeun ; cela n’avait pas empêché Napoléon de crier allègrement à Ney : Nous avons quatrevingt-dix chances sur cent. À huit heures, on avait apporté le déjeuner de l’empereur. Il y avait invité plusieurs généraux. Tout en déjeunant, on avait raconté que Wellington était l’avant-veille au bal à Bruxelles, chez la duchesse de Richmond, et Soult, rude homme de guerre avec une figure d’archevêque, avait dit : Le bal, c’est aujourd’hui. L’empereur avait plaisanté Ney qui disait : Wellington ne sera pas assez simple pour attendre votre majesté. C’était là d’ailleurs sa manière. Il badinait volontiers, dit Fleury de Chaboulon. Le fond de son caractère était une humeur enjouée, dit Gourgaud. Il abondait en plaisanteries, plutôt bizarres que spirituelles, dit Benjamin Constant. Ces gaîtés de géants valent la peine qu’on y insiste. C’est lui qui avait appelé ses grenadiers « les grognards » ; il leur pinçait l’oreille, il leur tirait la moustache. L’empereur ne faisait que nous faire des niches ; ceci est un mot de l’un d’eux. Pendant le mystérieux trajet de l’île d’Elbe en France, le 27 février, en pleine mer, le brick de guerre français le Zéphir ayant rencontré le brick l’Inconstant où Napoléon était caché et ayant demandé à l’Inconstant des nouvelles de Napoléon, l’empereur, qui avait encore en ce moment-là à son chapeau la cocarde blanche et amarante semée d’abeilles, adoptée par lui à l’île d’Elbe, avait pris en riant le porte-voix et avait répondu lui-même : L’empereur se porte bien. Qui rit de la sorte est en familiarité avec les événements. Napoléon avait eu plusieurs accès de rire pendant le déjeuner de Waterloo. Après le déjeuner il s’était recueilli un quart d’heure, puis deux généraux s’étaient assis sur la botte de paille, une plume à la main, une feuille de papier sur le genou, et l’empereur leur avait dicté l’ordre de bataille.

    À neuf heures, à l’instant où l’armée française, échelonnée et mise en mouvement sur cinq colonnes, s’était déployée, les divisions sur deux lignes, l’artillerie entre les brigades, musique en tête, battant aux champs, avec les roulements des tambours et les sonneries des trompettes, puissante, vaste, joyeuse, mer de casques, de sabres et de bayonnettes sur l’horizon, l’empereur, ému, s’était écrié à deux reprises : « Magnifique ! magnifique ! »

    De neuf heures à dix heures et demie, toute l’armée, ce qui semble incroyable, avait pris position et s’était rangée sur six lignes, formant pour répéter l’expression de l’empereur « la figure de six V ». Quelques instants après la formation du front de bataille, au milieu de ce profond silence de commencement d’orage qui précède les mêlées, voyant défiler les trois batteries de douze, détachées sur son ordre des trois corps de d’Erlon, de Reille et de Lobau, et destinées à commencer l’action en battant Mont-Saint-Jean où est l’intersection des routes de Nivelles et de Genappe, l’empereur avait frappé sur l’épaule de Haxo en lui disant : Voilà vingt-quatre belles filles, général.

    Sûr de l’issue, il avait encouragé d’un sourire, à son passage devant lui, la compagnie de sapeurs du premier corps, désignée par lui pour se barricader dans Mont-Saint-Jean, sitôt le village enlevé. Toute cette sérénité n’avait été traversée que par un mot de pitié hautaine ; en voyant à sa gauche, à un endroit où il y a aujourd’hui une grande tombe, se masser avec leurs chevaux superbes ces admirables Écossais gris, il avait dit : C’est dommage.

    Puis il était monté à cheval, s’était porté en avant de Rossomme, et avait choisi pour observatoire une étroite croupe de gazon à droite de la route de Genappe à Bruxelles, qui fut sa seconde station pendant la bataille. La troisième station, celle de sept heures du soir, entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte, est redoutable ; c’est un tertre assez élevé qui existe encore et derrière lequel la garde était massée dans une déclivité de la plaine. Autour de ce tertre, les boulets ricochaient sur le pavé de la chaussée jusqu’à Napoléon. Comme à Brienne, il avait sur sa tête le sifflement des balles et des biscaïens. On a ramassé, presque à l’endroit où étaient les pieds de son cheval, des boulets vermoulus, de vieilles lames de sabre et des projectiles informes, mangés de rouille. Scabra rubigine. Il y a quelques années, on y a déterré un obus de soixante, encore chargé, dont la fusée s’était brisée au ras de la bombe. C’est à cette dernière station que l’empereur disait à son guide Lacoste, un paysan hostile, effaré, attaché à la selle d’un hussard, se retournant à chaque paquet de mitraille, et tâchant de se cacher derrière lui : — Imbécile ! c’est honteux, tu vas te faire tuer dans le dos. Celui qui écrit ces lignes a trouvé lui-même dans le talus friable de ce tertre, en creusant le sable, les restes du col d’une bombe désagrégés par l’oxyde de quarante-six années, et de vieux tronçons de fer qui cassaient comme des bâtons de sureau entre ses doigts.

    Les ondulations des plaines diversement inclinées où eut lieu la rencontre de Napoléon et de Wellington ne sont plus, personne ne l’ignore, ce qu’elles étaient le 18 juin 1815. En prenant à ce champ funèbre de quoi lui faire un monument, on lui a ôté son relief réel, et l’histoire déconcertée ne s’y reconnaît plus. Pour le glorifier, on l’a défiguré. Wellington, deux ans après, revoyant Waterloo, s’est écrié : On m’a changé mon champ de bataille. Là où est aujourd’hui la grosse pyramide de terre surmontée du lion, il y avait une crête qui, vers la route de Nivelles, s’abaissait en rampe praticable, mais qui, du côté de la chaussée de Genappe, était presque un escarpement. L’élévation de cet escarpement peut encore être mesurée aujourd’hui par la hauteur des deux tertres des deux grandes sépultures qui encaissent la route de Genappe à Bruxelles ; l’une, le tombeau anglais, à gauche ; l’autre, le tombeau allemand, à droite. Il n’y a point de tombeau français. Pour la France, toute cette plaine est sépulcre. Grâce aux mille et mille charretées de terre employées à la butte de cent cinquante pieds de haut et d’un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd’hui accessible en pente douce ; le jour de la bataille, surtout du côté de la Haie-Sainte, il était d’un abord âpre et abrupt. Le versant là était si incliné que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d’eux la ferme située au fond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore raviné cette roideur, la fange compliquait la montée, et non seulement on gravissait, mais on s’embourbait. Le long de la crête du plateau courait une sorte de fossé impossible à deviner pour un observateur lointain.

    Qu’était-ce que ce fossé ? Disons-le. Braine-l’Alleud est un village de Belgique, Ohain en est un autre. Ces villages, cachés tous les deux dans des courbes de terrain, sont joints par un chemin d’une lieue et demie environ qui traverse une plaine à niveau ondulant, et souvent entre et s’enfonce dans des collines comme un sillon, ce qui fait que sur divers points cette route est un ravin. En 1815, comme aujourd’hui, cette route coupait la crête du plateau de Mont-Saint-Jean entre les deux chaussées de Genappe et de Nivelles ; seulement, elle est aujourd’hui de plain-pied avec la plaine ; elle était alors chemin creux. On lui a pris ses deux talus pour la butte-monument. Cette route était et est encore une tranchée dans la plus grande partie de son parcours ; tranchée creuse quelquefois d’une douzaine de pieds et dont les talus trop escarpés s’écroulaient çà et là, surtout en hiver, sous les averses. Des accidents y arrivaient. La route était si étroite à l’entrée de Braine-l’Alleud qu’un passant y avait été broyé par un chariot, comme le constate une croix de pierre debout près du cimetière qui donne le nom du mort, Monsieur Bernard Debrye, marchand à Bruxelles, et la date de l’accident, février 1637*. Elle était si profonde sur le plateau du Mont-Saint-Jean, qu’un paysan, Mathieu Nicaise, y avait été écrasé en 1783 par un éboulement du talus, comme le constatait une autre croix de pierre dont le faîte a disparu dans les défrichements, mais dont le piédestal renversé est encore visible aujourd’hui sur la pente du gazon à gauche de la chaussée entre la Haie-Sainte et la ferme du Mont-Saint-Jean.

    * Voici l’inscription :

    DOM
    CY A ÉTÉ ÉCRASÉ
    PAR MALHEUR
    SOUS UN CHARIOT
    MONSIEUR BERNARD
    DE BRYE MARCHAND
    A BRUXELLE LE (illisible)
    FEBVRIER 1637


     

    Un jour de bataille, ce chemin creux dont rien n’avertissait, bordant la crête de Mont-Saint-Jean, fossé au sommet de l’escarpement, ornière cachée dans les terres, était invisible, c’est-à-dire terrible.


     

    VIII


     

    L’EMPEREUR FAIT UNE QUESTION
    AU GUIDE LACOSTE


     

    Donc, le matin de Waterloo, Napoléon était content.

    Il avait raison ; le plan de bataille, conçu par lui, nous l’avons constaté, était en effet admirable.

    Une fois la bataille engagée, ses péripéties très diverses, la résistance d’Hougomont, la ténacité de la Haie-Sainte, Bauduin tué, Foy mis hors de combat, la muraille inattendue où s’était brisée la brigade Soye, l’étourderie fatale de Guillemot n’ayant ni pétards ni sacs à poudre, l’embourbement des batteries, les quinze pièces sans escorte culbutées par Uxbridge dans un chemin creux, le peu d’effet des bombes tombant dans les lignes anglaises, s’y enfouissant dans le sol détrempé par les pluies et ne réussissant qu’à y faire des volcans de boue, de sorte que la mitraille se changeait en éclaboussure, l’inutilité de la démonstration de Piré sur Braine-l’Alleud, toute cette cavalerie, quinze escadrons, à peu près annulée, l’aile droite anglaise mal inquiétée, l’aile gauche mal entamée, l’étrange malentendu de Ney, massant au lieu de les échelonner, les quatre divisions du premier corps, des épaisseurs de vingt-sept rangs et des fronts de deux cents hommes livrés de la sorte à la mitraille, l’effrayante trouée des boulets dans ces masses, les colonnes d’attaque désunies, la batterie d’écharpe brusquement démasquée sur leur flanc, Bourgeois, Donzelot et Durutte compromis, Quiot repoussé, le lieutenant Vieux, cet hercule sorti de l’école polytechnique, blessé au moment où il enfonçait à coups de hache la porte de la Haie-Sainte sous le feu plongeant de la barricade anglaise barrant le coude de la route de Genappe à Bruxelles, la division Marcognet, prise entre l’infanterie et la cavalerie, fusillée à bout portant dans les blés par Best et Pack, sabrée par Ponsomby, sa batterie de sept pièces enclouée, le prince de Saxe-Weimar tenant et gardant, malgré le comte d’Erlon, Frischemont et Smohain, le drapeau du 105e pris, le drapeau du 45e pris, ce hussard noir prussien arrêté par les coureurs de la colonne volante de trois cents chasseurs battant l’estrade entre Wavre et Plancenoit, les choses inquiétantes que ce prisonnier avait dites, le retard de Grouchy, les quinze cents hommes tués en moins d’une heure dans le verger d’Hougomont, les dix-huit cents hommes couchés en moins de temps encore autour de la Haie-Sainte, tous ces incidents orageux, passant comme les nuées de la bataille devant Napoléon, avaient à peine troublé son regard et n’avaient point assombri cette face impériale de la certitude. Napoléon était habitué à regarder la guerre fixement ; il ne faisait jamais chiffre à chiffre l’addition poignante du détail ; les chiffres lui importaient peu, pourvu qu’ils donnassent ce total : victoire ; que les commencements s’égarassent, il ne s’en alarmait point, lui qui se croyait maître et possesseur de la fin ; il savait attendre, se supposant hors de question, et il traitait le destin d’égal à égal. Il paraissait dire au sort : tu n’oserais pas.

    Mi-parti lumière et ombre, Napoléon se sentait protégé dans le bien et toléré dans le mal. Il avait ou croyait avoir pour lui, une connivence, on pourrait presque dire une complicité des événements, équivalente à l’antique invulnérabilité.

    Pourtant, quand on a derrière soi la Bérésina, Leipsick et Fontainebleau, il semble qu’on pourrait se défier de Waterloo. Un mystérieux froncement de sourcil devient visible au fond du ciel.

    Au moment où Wellington rétrograda, Napoléon tressaillit. Il vit subitement le plateau de Mont-Saint-Jean se dégarnir et le front de l’armée anglaise disparaître. Elle se ralliait, mais se dérobait. L’empereur se souleva à demi sur ses étriers. L’éclair de la victoire passa dans ses yeux.

    Wellington acculé à la forêt de Soignes et détruit, c’était le terrassement définitif de l’Angleterre par la France ; c’était Crécy, Poitiers, Malplaquet et Ramillies vengés. L’homme de Marengo raturait Azincourt.

    L’empereur alors, méditant la péripétie terrible, promena une dernière fois sa lunette sur tous les points du champ de bataille. Sa garde, l’arme au pied derrière lui, l’observait d’en bas avec une sorte de religion. Il songeait ; il examinait les versants, notait les pentes, scrutait le bouquet d’arbres, le carré de seigles, le sentier ; il semblait compter chaque buisson. Il regarda avec quelque fixité les barricades anglaises des deux chaussées, deux larges abattis d’arbres, celle de la chaussée de Genappe au-dessus de la Haie-Sainte, armée de deux canons, les seuls de toute l’artillerie anglaise qui vissent le fond du champ de bataille, et celle de la chaussée de Nivelles où étincelaient les bayonnettes hollandaises de la brigade Chassé. Il remarqua près de cette barricade la vieille chapelle de Saint-Nicolas peinte en blanc qui est à l’angle de la traverse vers Braine-l’Alleud. Il se pencha et parla à demi-voix au guide Lacoste. Le guide fit un signe de tête négatif, probablement perfide.

    L’empereur se redressa et se recueillit.

    Wellington avait reculé. Il ne restait plus qu’à achever ce recul par un écrasement.

    Napoléon, se retournant brusquement, expédia une estafette à franc étrier à Paris pour y annoncer que la bataille était gagnée.

    Napoléon était un de ces génies d’où sort le tonnerre.

    Il venait de trouver son coup de foudre.

    Il donna l’ordre aux cuirassiers de Milhaud d’enlever le plateau de Mont-Saint-Jean.


     

    IX


     

    L’INATTENDU


     

    Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d’un quart de lieue. C’étaient des hommes géants sur des chevaux colosses. Ils étaient vingt-six escadrons ; et ils avaient derrière eux, pour les appuyer, la division de Lefebvre-Desnouettes, les cent six gendarmes d’élite, les chasseurs de la garde, onze cent quatrevingt-dix-sept hommes, et les lanciers de la garde, huit cent quatrevingts lances. Ils portaient le casque sans crins et la cuirasse de fer battu, avec les pistolets d’arçon dans les fontes et le long sabre-épée. Le matin toute l’armée les avait admirés, quand, à neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantant Veillons au salut de l’empire, ils étaient venus, colonne épaisse, une de leurs batteries à leur flanc, l’autre à leur centre, se déployer sur deux rangs entre la chaussée de Genappe et Frischemont, et prendre leur place de bataille dans cette puissante deuxième ligne, si savamment composée par Napoléon, laquelle, ayant à son extrémité de gauche les cuirassiers de Kellerman et à son extrémité de droite les cuirassiers de Milhaud, avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.

    L’aide de camp Bernard leur porta l’ordre de l’empereur. Ney tira son épée et prit la tête. Les escadrons énormes s’ébranlèrent.

    Alors on vit un spectacle formidable.

    Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonne par division, descendit d’un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l’autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables ; dans les intervalles de la mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.

    Rien de semblable ne s’était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie ; Murat y manquait, mais Ney s’y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l’hydre.

    Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.

    Bizarre coïncidence numérique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrière la crête du plateau, à l’ombre de la batterie masquée, l’infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l’épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d’hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre.

    Tout à coup, chose tragique, à la gauche des anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crête, effrénés, tout à leur furie et à leur course d’extermination sur les carrés et les canons, les cuirassiers venaient d’apercevoir entre eux et les anglais un fossé, une fosse. C’était le chemin creux d’Ohain.

    L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus ; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n’était plus qu’un projectile, la force acquise pour écraser les anglais écrasa les français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé, cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu’une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d’hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme.

    Ceci commença la perte de la bataille.

    Une tradition locale, qui exagère évidemment, dit que deux mille chevaux et quinze cents hommes furent ensevelis dans le chemin creux d’Ohain. Ce chiffre vraisemblablement comprend tous les autres cadavres qu’on jeta dans ce ravin le lendemain du combat.

    Notons en passant que c’était cette brigade Dubois, si funestement éprouvée, qui, une heure auparavant, chargeant à part, avait enlevé le drapeau du bataillon de Lunebourg.

    Napoléon, avant d’ordonner cette charge des cuirassiers de Milhaud, avait scruté le terrain, mais n’avait pu voir ce chemin creux qui ne faisait pas même une ride à la surface du plateau. Averti pourtant et mis en éveil par la petite chapelle blanche qui en marque l’angle sur la chaussée de Nivelles, il avait fait, probablement sur l’éventualité d’un obstacle, une question au guide Lacoste. Le guide avait répondu non. On pourrait presque dire que de ce signe de tête d’un paysan est sortie la catastrophe de Napoléon.

    D’autres fatalités encore devaient surgir.

    Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille ? nous répondons non. Pourquoi ? À cause de Wellington ? à cause de Blücher ? Non. À cause de Dieu.

    Bonaparte vainqueur à Waterloo, ceci n’était plus dans la loi du dix-neuvième siècle. Une autre série de faits se préparait, où Napoléon n’avait plus de place. La mauvaise volonté des événements s’était annoncée de longue date.

    Il était temps que cet homme vaste tombât.

    L’excessive pesanteur de cet homme dans la destinée humaine troublait l’équilibre. Cet individu comptait à lui seul plus que le groupe universel. Ces pléthores de toute la vitalité humaine concentrée dans une seule tête, le monde montant au cerveau d’un homme, cela serait mortel à la civilisation si cela durait. Le moment était venu pour l’incorruptible équité suprême d’aviser. Probablement les principes et les éléments, d’où dépendent les gravitations régulières dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, se plaignaient. Le sang qui fume, le trop-plein des cimetières, les mères en larmes, ce sont des plaidoyers redoutables. Il y a, quand la terre souffre d’une surcharge, de mystérieux gémissements de l’ombre, que l’abîme entend.

    Napoléon avait été dénoncé dans l’infini, et sa chute était décidée.

    Il gênait Dieu.

    Waterloo n’est point une bataille ; c’est le changement de front de l’univers.


     

    X


     

    LE PLATEAU DE MONT-SAINT-JEAN


     

    En même temps que le ravin, la batterie s’était démasquée.

    Soixante canons et les treize carrés foudroyèrent les cuirassiers à bout portant. L’intrépide général Delord fit le salut militaire à la batterie anglaise.

    Toute l’artillerie volante anglaise était rentrée au galop dans les carrés. Les cuirassiers n’eurent pas même un temps d’arrêt. Le désastre du chemin creux les avait décimés, mais non découragés. C’étaient de ces hommes qui, diminués de nombre, grandissent de cœur.

    La colonne Wathier seule avait souffert du désastre ; la colonne Delord, que Ney avait fait obliquer à gauche, comme s’il pressentait l’embûche, était arrivée entière.

    Les cuirassiers se ruèrent sur les carrés anglais.

    Ventre à terre, brides lâchées, sabre aux dents, pistolets au poing, telle fut l’attaque.

    Il y a des moments dans les batailles où l’âme durcit l’homme jusqu’à changer le soldat en statue, et où toute cette chair se fait granit. Les bataillons anglais, éperdument assaillis, ne bougèrent pas.

    Alors ce fut effrayant.

    Toutes les faces des carrés anglais furent attaquées à la fois. Un tournoiement frénétique les enveloppa. Cette froide infanterie demeura impassible. Le premier rang, genou en terre, recevait les cuirassiers sur les bayonnettes, le second rang les fusillait ; derrière le second rang les canonniers chargeaient les pièces, le front du carré s’ouvrait, laissait passer une éruption de mitraille et se refermait. Les cuirassiers répondaient par l’écrasement. Leurs grands chevaux se cabraient, enjambaient les rangs, sautaient par-dessus les bayonnettes et tombaient, gigantesques, au milieu de ces quatre murs vivants. Les boulets faisaient des trouées dans les cuirassiers, les cuirassiers faisaient des brèches dans les carrés. Des files d’hommes disparaissaient broyées sous les chevaux. Les bayonnettes s’enfonçaient dans les ventres de ces centaures. De là une difformité de blessures qu’on n’a pas vue peut-être ailleurs. Les carrés, rongés par cette cavalerie forcenée, se rétrécissaient sans broncher. Inépuisables en mitraille, ils faisaient explosion au milieu des assaillants. La figure de ce combat était monstrueuse. Ces carrés n’étaient plus des bataillons, c’étaient des cratères ; ces cuirassiers n’étaient plus une cavalerie, c’était une tempête. Chaque carré était un volcan attaqué par un nuage ; la lave combattait la foudre.

    Le carré extrême de droite, le plus exposé de tous, étant en l’air, fut presque anéanti dès les premiers chocs. Il était formé du 75e régiment de highlanders. Le joueur de cornemuse au centre, pendant qu’on s’exterminait autour de lui, baissant dans une inattention profonde son œil mélancolique plein du reflet des forêts et des lacs, assis sur un tambour, son pibroch sous le bras, jouait les airs de la montagne. Ces Écossais mouraient en pensant au Ben Lothian, comme les Grecs en se souvenant d’Argos. Le sabre d’un cuirassier, abattant le pibroch et le bras qui le portait, fit cesser le chant en tuant le chanteur.

    Les cuirassiers, relativement peu nombreux, amoindris par la catastrophe du ravin, avaient là contre eux presque toute l’armée anglaise, mais ils se multipliaient, chaque homme valant dix. Cependant quelques bataillons hanovriens plièrent. Wellington le vit, et songea à sa cavalerie. Si Napoléon, en ce moment-là même, eût songé à son infanterie, il eût gagné la bataille. Cet oubli fut sa grande faute fatale.

    Tout à coup les cuirassiers, assaillants, se sentirent assaillis. La cavalerie anglaise était sur leur dos. Devant eux les carrés, derrière eux Somerset ; Somerset, c’étaient les quatorze cents dragons-gardes. Somerset avait à sa droite Dornberg avec les chevau-légers allemands, et à sa gauche Trip avec les carabiniers belges ; les cuirassiers, attaqués en flanc et en tête, en avant et en arrière, par l’infanterie et par la cavalerie, durent faire face de tous les côtés. Que leur importait ? ils étaient tourbillon. La bravoure devint inexprimable.

    En outre, ils avaient derrière eux la batterie toujours tonnante. Il fallait cela pour que ces hommes fussent blessés dans le dos. Une de leurs cuirasses, trouée à l’omoplate gauche d’un biscayen, est dans la collection dite musée de Waterloo.

    Pour de tels français, il ne fallait pas moins que de tels anglais.

    Ce ne fut plus une mêlée, ce fut une ombre, une furie, un vertigineux emportement d’âmes et de courages, un ouragan d’épées éclairs. En un instant les quatorze cents dragons-gardes ne furent plus que huit cents ; Fuller, leur lieutenant-colonel, tomba mort. Ney accourut avec les lanciers et les chasseurs de Lefebvre-Desnouettes. Le plateau de Mont-Saint-Jean fut pris, repris, pris encore. Les cuirassiers quittaient la cavalerie pour retourner à l’infanterie, ou, pour mieux dire, toute cette cohue formidable se colletait sans que l’un lâchât l’autre. Les carrés tenaient toujours. Il y eut douze assauts. Ney eut quatre chevaux tués sous lui. La moitié des cuirassiers resta sur le plateau. Cette lutte dura deux heures.

    L’armée anglaise en fut profondément ébranlée. Nul doute que, s’ils n’eussent été affaiblis dans leur premier choc par le désastre du chemin creux, les cuirassiers n’eussent culbuté le centre et décidé la victoire. Cette cavalerie extraordinaire pétrifia Clinton qui avait vu Talavera et Badajoz. Wellington, aux trois quarts vaincu, admirait héroïquement. Il disait à demi-voix : Sublime [2] !

    Les cuirassiers anéantirent sept carrés sur treize, prirent ou enclouèrent soixante pièces de canon, et enlevèrent aux régiments anglais six drapeaux, que trois cuirassiers et trois chasseurs de la garde allèrent porter à l’empereur devant la ferme de la Belle-Alliance.

    La situation de Wellington avait empiré. Cette étrange bataille était comme un duel entre deux blessés acharnés qui, chacun de leur côté, tout en combattant et en se résistant toujours, perdent tout leur sang. Lequel des deux tombera le premier ?

    La lutte du plateau continuait.

    Jusqu’où sont allés les cuirassiers ? personne ne saurait le dire. Ce qui est certain, c’est que, le lendemain de la bataille, un cuirassier et son cheval furent trouvés morts dans la charpente de la bascule du pesage des voitures à Mont-Saint-Jean, au point même où s’entrecoupent et se rencontrent les quatre routes de Nivelles, de Genappe, de La Hulpe et de Bruxelles. Ce cavalier avait percé les lignes anglaises. Un des hommes qui ont relevé ce cadavre vit encore à Mont-Saint-Jean. Il se nomme Dehaze. Il avait alors dix-huit ans.

    Wellington se sentait pencher. La crise était proche.

    Les cuirassiers n’avaient point réussi, en ce sens que le centre n’était pas enfoncé. Tout le monde ayant le plateau, personne ne l’avait, et en somme il restait pour la plus grande part aux anglais. Wellington avait le village et la plaine culminante ; Ney n’avait que la crête et la pente. Des deux côtés on semblait enraciné dans ce sol funèbre.

    Mais l’affaiblissement des anglais paraissait irrémédiable. L’hémorrhagie de cette armée était horrible. Kempt, à l’aile gauche, réclamait du renfort. — Il n’y en a pas, répondait Wellington, qu’il se fasse tuer ! — Presque à la même minute, rapprochement singulier qui peint l’épuisement des deux armées, Ney demandait de l’infanterie à Napoléon, et Napoléon s’écriait : De l’infanterie ! où veut-il que j’en prenne ? Veut-il que j’en fasse ?

    Pourtant l’armée anglaise était la plus malade. Les poussées furieuses de ces grands escadrons à cuirasses de fer et à poitrines d’acier avaient broyé l’infanterie. Quelques hommes autour d’un drapeau marquaient la place d’un régiment, tel bataillon n’était plus commandé que par un capitaine ou par un lieutenant ; la division Alten, déjà si maltraitée à la Haie-Sainte, était presque détruite ; les intrépides Belges de la brigade Van Kluze jonchaient les seigles le long de la route de Nivelles ; il ne restait presque rien de ces grenadiers hollandais qui, en 1811, mêlés en Espagne à nos rangs, combattaient Wellington, et qui, en 1815, ralliés aux anglais, combattaient Napoléon. La perte en officiers était considérable. Lord Uxbridge, qui le lendemain fit enterrer sa jambe, avait le genou fracassé. Si, du côté des français, dans cette lutte des cuirassiers, Delord, Lhéritier, Colbert, Dnop, Travers et Blancard étaient hors de combat, du côté des anglais, Alten était blessé, Barne était blessé, Delancey était tué, Van Meeren était tué, Ompteda était tué, tout l’état-major de Wellington était décimé, et l’Angleterre avait le pire partage dans ce sanglant équilibre. Le 2e régiment des gardes à pied avait perdu cinq lieutenants-colonels, quatre capitaines et trois enseignes ; le premier bataillon du 30e d’infanterie avait perdu vingt-quatre officiers et cent douze soldats ; le 79e montagnards avait vingt-quatre officiers blessés, dix-huit officiers morts, quatre cent cinquante soldats tués. Les hussards hanovriens de Cumberland, un régiment tout entier, ayant à sa tête son colonel Hacke, qui devait plus tard être jugé et cassé, avaient tourné bride devant la mêlée et étaient en fuite dans la forêt de Soignes, semant la déroute jusqu’à Bruxelles. Les charrois, les prolonges, les bagages, les fourgons pleins de blessés, voyant les français gagner du terrain et s’approcher de la forêt, s’y précipitaient ; les Hollandais, sabrés par la cavalerie française, criaient : Alarme ! De Vert-Coucou jusqu’à Groenendael, sur une longueur de près de deux lieues dans la direction de Bruxelles, il y avait, au dire des témoins qui existent encore, un encombrement de fuyards. Cette panique fut telle qu’elle gagna le prince de Condé à Malines et Louis XVIII à Gand. À l’exception de la faible réserve échelonnée derrière l’ambulance établie dans la ferme de Mont-Saint-Jean et des brigades Vivian et Vandeleur qui flanquaient l’aile gauche, Wellington n’avait plus de cavalerie. Nombre de batteries gisaient démontées. Ces faits sont avoués par Siborne ; et Pringle, exagérant le désastre, va jusqu’à dire que l’armée anglo-hollandaise était réduite à trente-quatre mille hommes. Le duc-de-fer demeurait calme, mais ses lèvres avaient blêmi. Le commissaire autrichien Vincent, le commissaire espagnol Alava, présents à la bataille dans l’état-major anglais, croyaient le duc perdu. À cinq heures, Wellington tira sa montre, et on l’entendit murmurer ce mot sombre : Blücher, ou la nuit !

    Ce fut vers ce moment-là qu’une ligne lointaine de bayonnettes étincela sur les hauteurs du côté de Frischemont.

    Ici est la péripétie de ce drame géant.


     

    XI


     

    MAUVAIS GUIDE À NAPOLÉON, BON GUIDE
    À BULOW


     

    On connaît la poignante méprise de Napoléon : Grouchy espéré, Blücher survenant ; la mort au lieu de la vie.

    La destinée a de ces tournants ; on s’attendait au trône du monde ; on aperçoit Sainte-Hélène.

    Si le petit pâtre, qui servait de guide à Bülow, lieutenant de Blücher, lui eût conseillé de déboucher de la forêt au-dessus de Frischemont plutôt qu’au dessous de Plancenoit, la forme du dix-neuvième siècle eût peut-être été différente. Napoléon eût gagné la bataille de Waterloo. Par tout autre chemin qu’au-dessous de Plancenoit, l’armée prussienne aboutissait à un ravin infranchissable à l’artillerie, et Bülow n’arrivait pas.

    Or, une heure de retard, c’est le général prussien Muffling qui le déclare, et Blücher n’aurait plus trouvé Wellington debout ; « la bataille était perdue ».

    Il était temps, on le voit, que Bülow arrivât. Il avait du reste été fort retardé. Il avait bivouaqué à Dion-le-Mont et était parti dès l’aube. Mais les chemins étaient impraticables et ses divisions s’étaient embourbées. Les ornières venaient au moyeu des canons. En outre, il avait fallu passer la Dyle sur l’étroit pont de Wavre ; la rue menant au pont avait été incendiée par les français ; les caissons et les fourgons de l’artillerie, ne pouvant passer entre deux rangs de maisons en feu, avaient dû attendre que l’incendie fût éteint. Il était midi que l’avant-garde de Bülow n’avait pu encore atteindre Chapelle-Saint-Lambert.

    L’action, commencée deux heures plus tôt, eût été finie à quatre heures, et Blücher serait tombé sur la bataille gagnée par Napoléon. Tels sont ces immenses hasards, proportionnés à un infini qui nous échappe.

    Dès midi, l’empereur, le premier, avec sa longue-vue, avait aperçu à l’extrême horizon quelque chose qui avait fixé son attention. Il avait dit : — Je vois là-bas un nuage qui me paraît être des troupes. Puis il avait demandé au duc de Dalmatie : — Soult, que voyez-vous vers Chapelle-Saint-Lambert ? — Le maréchal braquant sa lunette avait répondu : — Quatre ou cinq mille hommes, sire. Évidemment Grouchy. — Cependant cela restait immobile dans la brume. Toutes les lunettes de l’état-major avaient étudié « le nuage » signalé par l’empereur. Quelques-uns avaient dit : Ce sont des colonnes qui font halte. La plupart avaient dit : Ce sont des arbres. La vérité est que le nuage ne remuait pas. L’empereur avait détaché en reconnaissance vers ce point obscur la division de cavalerie légère de Domon.

    Bülow en effet n’avait pas bougé. Son avant-garde était très faible, et ne pouvait rien. Il devait attendre le gros du corps d’armée, et il avait l’ordre de se concentrer avant d’entrer en ligne ; mais à cinq heures, voyant le péril de Wellington, Blücher ordonna à Bülow d’attaquer et dit ce mot remarquable : « Il faut donner de l’air à l’armée anglaise. »

    Peu après, les divisions Losthin, Hiller, Hacke et Ryssel se déployaient devant le corps de Lobau, la cavalerie du prince Guillaume de Prusse débouchait du bois de Paris, Plancenoit était en flammes, et les boulets prussiens commençaient à pleuvoir jusque dans les rangs de la garde en réserve derrière Napoléon.


     

    XII


     

    LA GARDE


     

    On sait le reste : l’irruption d’une troisième armée, la bataille disloquée, quatrevingt-six bouches à feu tonnant tout à coup, Pirch Ier survenant avec Bülow, la cavalerie de Zieten menée par Blücher en personne, les français refoulés, Marcognet balayé du plateau d’Ohain, Durutte délogé de Papelotte, Donzelot et Quiot reculant, Lobau pris en écharpe, une nouvelle bataille se précipitant ; à la nuit tombante sur nos régiments démantelés, toute la ligne anglaise reprenant l’offensive et poussée en avant, la gigantesque trouée faite dans l’armée française, la mitraille anglaise et la mitraille prussienne s’entr’aidant, l’extermination, le désastre de front, le désastre en flanc, la garde entrant en ligne sous cet épouvantable écroulement.

    Comme elle sentait qu’elle allait mourir, elle cria : Vive l’empereur ! L’histoire n’a rien de plus émouvant que cette agonie éclatant en acclamations.

    Le ciel avait été couvert toute la journée. Tout à coup, en ce moment-là même, il était huit heures du soir, les nuages de l’horizon s’écartèrent et laissèrent passer, à travers les ormes de la route de Nivelles, la grande rougeur sinistre du soleil qui se couchait. On l’avait vu se lever à Austerlitz.

    Chaque bataillon de la garde, pour ce dénouement, était commandé par un général. Friant, Michel, Roguet, Harlet, Mallet, Poret de Morvan, étaient là. Quand les hauts bonnets des grenadiers de la garde avec la large plaque à l’aigle apparurent, symétriques, alignés, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mêlée, l’ennemi sentit le respect de la France ; on crut voir vingt victoires entrer sur le champ de bataille, ailes déployées, et ceux qui étaient vainqueurs, s’estimant vaincus, reculèrent ; mais Wellington cria : Debout, gardes, et visez juste ! le régiment rouge des gardes anglaises, couché derrière les haies, se leva, une nuée de mitraille cribla le drapeau tricolore frissonnant autour de nos aigles, tous se ruèrent, et le suprême carnage commença. La garde impériale sentit dans l’ombre l’armée lâchant pied autour d’elle, et le vaste ébranlement de la déroute, elle entendit le sauve-qui-peut ! qui avait remplacé le vive l’empereur ! et, avec la fuite derrière elle, elle continua d’avancer, de plus en plus foudroyée et mourant davantage à chaque pas qu’elle faisait. Il n’y eut point d’hésitants ni de timides. Le soldat dans cette troupe était aussi héros que le général. Pas un homme ne manqua au suicide.

    Ney, éperdu, grand de toute la hauteur de la mort acceptée, s’offrait à tous les coups dans cette tourmente. Il eut là son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, l’écume aux lèvres, l’uniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi coupée par le coup de sabre d’un horse-guard, sa plaque de grand-aigle bosselée par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une épée cassée à la main, il disait : Venez voir comment meurt un maréchal de France sur le champ de bataille ! Mais en vain ; il ne mourut pas. Il était hagard et indigné. Il jetait à Drouet d’Erlon cette question : Est-ce que tu ne te fais pas tuer, toi ? Il criait au milieu de toute cette artillerie écrasant une poignée d’hommes : — Il n’y a donc rien pour moi ! Oh ! je voudrais que tous ces boulets anglais m’entrassent dans le ventre ! Tu étais réservé à des balles françaises, infortuné !


     

    XIII


     

    LA CATASTROPHE


     

    La déroute derrière la garde fut lugubre.

    L’armée plia brusquement de tous les côtés à la fois, de Hougomont, de la Haie-Sainte, de Papelotte, de Plancenoit. Le cri trahison ! fut suivi du cri sauve-qui-peut ! Une armée qui se débande, c’est un dégel. Tout fléchit, se fêle, craque, flotte, roule, tombe, se heurte, se hâte, se précipite. Désagrégation inouïe. Ney emprunte un cheval, saute dessus, et, sans chapeau, sans cravate, sans épée, se met en travers de la chaussée de Bruxelles, arrêtant à la fois les anglais et les français. Il tâche de retenir l’armée, il la rappelle, il l’insulte, il se cramponne à la déroute. Il est débordé. Les soldats le fuient, en criant : Vive le maréchal Ney ! Deux régiments de Durutte vont et viennent effarés et comme ballottés entre le sabre des uhlans et la fusillade des brigades de Kempt, de Best, de Pack et de Rylandt ; la pire des mêlées, c’est la déroute, les amis s’entretuent pour fuir ; les escadrons et les bataillons se brisent et se dispersent les uns contre les autres, énorme écume de la bataille. Lobau à une extrémité comme Reille à l’autre sont roulés dans le flot. En vain Napoléon fait des murailles avec ce qui lui reste de la garde ; en vain il dépense à un dernier effort ses escadrons de service. Quiot recule devant Vivian, Kellermann devant Vandeleur, Lobau devant Bülow, Morand devant Pirch, Domon et Subervic devant le prince Guillaume de Prusse. Guyot, qui a mené à la charge les escadrons de l’empereur, tombe sous les pieds des dragons anglais. Napoléon court au galop le long des fuyards, les harangue, presse, menace, supplie. Toutes ces bouches qui criaient le matin : vive l’empereur ! restent béantes ; c’est à peine si on le connaît. La cavalerie prussienne, fraîche venue, s’élance, vole, sabre, taille, hache, tue, extermine. Les attelages se ruent, les canons se sauvent ; les soldats du train détellent les caissons et en prennent les chevaux pour s’échapper ; des fourgons culbutés les quatre roues en l’air entravent la route et sont des occasions de massacre. On s’écrase, on se foule, on marche sur les morts et sur les vivants. Les bras sont éperdus. Une multitude vertigineuse emplit les routes, les sentiers, les ponts, les plaines, les collines, les vallées, les bois, encombrés par cette évasion de quarante mille hommes. Cris, désespoirs, sacs et fusils jetés dans les seigles, passages frayés à coups d’épée, plus de camarades, plus d’officiers, plus de généraux, une inexprimable épouvante. Zieten sabrant la France à son aise. Les lions devenus chevreuils. Telle fut cette fuite.

    À Genappe, on essaya de se retourner, de faire front, d’enrayer. Lobau rallia trois cents hommes. On barricada l’entrée du village ; mais à la première volée de la mitraille prussienne, tout se remit à fuir, et Lobau fut pris. On voit encore aujourd’hui cette volée de mitraille empreinte sur le vieux pignon d’une masure en brique à droite de la route, quelques minutes avant d’entrer à Genappe. Les prussiens s’élancèrent dans Genappe, furieux sans doute d’être si peu vainqueurs. La poursuite fut monstrueuse. Blücher ordonna l’extermination. Roguet avait donné ce lugubre exemple de menacer de mort tout grenadier français qui lui amènerait un prisonnier prussien. Blücher dépassa Roguet. Le général de la jeune garde, Duhesme, acculé sur la porte d’une auberge de Genappe, rendit son épée à un hussard de la mort qui prit l’épée et tua le prisonnier. La victoire s’acheva par l’assassinat des vaincus. Punissons, puisque nous sommes l’histoire : le vieux Blücher se déshonora. Cette férocité mit le comble au désastre. La déroute désespérée traversa Genappe, traversa les Quatre-Bras, traversa Gosselies, traversa Frasnes, traversa Charleroi, traversa Thuin, et ne s’arrêta qu’à la frontière. Hélas ! et qui donc fuyait de la sorte ? la grande armée.

    Ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais étonné l’histoire, est-ce que cela est sans cause ? Non. L’ombre d’une droite énorme se projette sur Waterloo. C’est la journée du destin. La force au-dessus de l’homme a donné ce jour-là. De là le pli épouvanté des têtes ; de là toutes ces grandes âmes rendant leur épée. Ceux qui avaient vaincu l’Europe sont tombés terrassés, n’ayant plus rien à dire ni à faire, sentant dans l’ombre une présence terrible. Hoc erat in fatis. Ce jour-là, la perspective du genre humain a changé. Waterloo, c’est le gond du dix-neuvième siècle. La disparition du grand homme était nécessaire à l’avènement du grand siècle. Quelqu’un à qui on ne réplique pas s’en est chargé. La panique des héros s’explique. Dans la bataille de Waterloo, il y a plus du nuage, il y a du météore. Dieu a passé.

    À la nuit tombante, dans un champ près de Genappe, Bernard et Bertrand saisirent par un pan de sa redingote et arrêtèrent un homme hagard, pensif, sinistre, qui, entraîné jusque-là par le courant de la déroute, venait de mettre pied à terre, avait passé sous son bras la bride de son cheval, et, l’œil égaré, s’en retournait seul vers Waterloo. C’était Napoléon essayant encore d’aller en avant, immense somnambule de ce rêve écroulé.


     

    XIV


     

    LE DERNIER CARRÉ


     

    Quelques carrés de la garde, immobiles dans le ruissellement de la déroute comme des rochers dans de l’eau qui coule, tinrent jusqu’à la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inébranlables, s’en laissèrent envelopper. Chaque régiment, isolé des autres et n’ayant plus de lien avec l’armée rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernière action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean. Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux.

    Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de l’artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densité de projectiles, ce carré luttait. Il était commandé par un officier obscur nommé Cambronne. À chaque décharge, le carré diminuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade, rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, s’arrêtant par moment, essoufflés, écoutaient dans les ténèbres ce sombre tonnerre décroissant.

    Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !


     

    XV


     

    CAMBRONNE


     

    Le lecteur français voulant être respecté, le plus beau mot peut-être qu’un français ait jamais dit ne peut lui être répété. Défense de déposer du sublime dans l’histoire.

    À nos risques et périls, nous enfreignons cette défense.

    Donc, parmi tous ces géants, il y eut un titan, Cambronne.

    Dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu.

    L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n’est pas Napoléon en déroute, ce n’est pas Wellington pliant à quatre heures, désespéré à cinq, ce n’est pas Blücher qui ne s’est point battu ; l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne.

    Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre.

    Faire cette réponse à la catastrophe, dire cela au destin, donner cette base au lion futur, jeter cette réplique à la pluie de la nuit, au mur traître de Hougomont, au chemin creux d’Ohain, au retard de Grouchy, à l’arrivée de Blücher, être l’ironie dans le sépulcre, faire en sorte de rester debout après qu’on sera tombé, noyer dans deux syllabes la coalition européenne, offrir aux rois ces latrines déjà connues des césars, faire du dernier des mots le premier en y mêlant l’éclair de la France, clore insolemment Waterloo par le mardi gras, compléter Léonidas par Rabelais, résumer cette victoire dans une parole suprême impossible à prononcer, perdre le terrain et garder l’histoire, après ce carnage avoir pour soi les rieurs, c’est immense.

    C’est l’insulte à la foudre. Cela atteint la grandeur eschylienne.

    Le mot de Cambronne fait l’effet d’une fracture. Qu’est la fracture d’une poitrine par le dédain ; c’est le trop plein de l’agonie qui fait explosion. Qui a vaincu ? Est-ce Wellington ? Non. Sans Blücher il était perdu. Est-ce Blücher ? Non. Si Wellington n’eût pas commencé, Blücher n’aurait pu finir. Ce Cambronne, ce passant de la dernière heure, ce soldat ignoré, cet infiniment petit de la guerre, sent qu’il y a là un mensonge, un mensonge dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment où il en éclate de rage, on lui offre cette dérision : la vie ! Comment ne pas bondir ? Ils sont là, tous les rois de l’Europe, les généraux heureux, les Jupiters tonnants, ils ont cent mille soldats victorieux, et derrière les cent mille, un million, leurs canons, mèche allumée, sont béants, ils ont sous leurs talons la garde impériale et la grande armée, ils viennent d’écraser Napoléon, et il ne reste plus que Cambronne ; il n’y a plus pour protester que ce ver de terre. Il protestera. Alors il cherche un mot comme on cherche une épée. Il lui vient de l’écume, et cette écume, c’est le mot. Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément. Nous le répétons. Dire cela, faire cela, trouver cela, c’est être le vainqueur.

    L’esprit des grands jours entra dans cet homme inconnu à cette minute fatale. Cambronne trouve le mot de Waterloo comme Rouget de l’Isle trouve la Marseillaise, par visitation du souffle d’en haut. Un effluve de l’ouragan divin se détache et vient passer à travers ces hommes, et ils tressaillent, et l’un chante le chant suprême et l’autre pousse le cri terrible. Cette parole du dédain titanique, Cambronne ne la jette pas seulement à l’Europe au nom de l’empire, ce serait peu ; il la jette au passé au nom de la révolution. On l’entend, et l’on reconnaît dans Cambronne la vieille âme des géants. Il semble que c’est Danton qui parle ou Kléber qui rugit.

    Au mot de Cambronne, la voix anglaise répondit : feu ! les batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches d’airain sortit un dernier vomissement de mitraille épouvantable ; une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula, et, quand la fumée se dissipa, il n’y avait plus rien. Ce reste formidable était anéanti, la garde était morte. Les quatre murs de la redoute vivante gisaient, à peine distinguait-on çà et là un tressaillement parmi les cadavres ; et c’est ainsi que les légions françaises, plus grandes que les légions romaines, expirèrent à Mont-Saint-Jean sur la terre mouillée de pluie et de sang, dans les blés sombres, à l’endroit où passe maintenant à quatre heures du matin, en sifflant et en fouettant gaîment son cheval, Joseph, qui fait le service de la malle-poste de Nivelles.


     

    XVI


     

    QUOT LIBRAS IN DUCE ?


     

    La bataille de Waterloo est une énigme. Elle est aussi obscure pour ceux qui l’ont gagnée que pour celui qui l’ont perdue. Pour Napoléon, c’est une panique [3]. Blücher n’y voit que du feu ; Wellington n’y comprend rien. Voyez les rapports. Les bulletins sont confus, les commentaires sont embrouillés. Ceux-ci balbutient, ceux-là bégayent. Jomini partage la bataille de Waterloo en quatre moments ; Muffling la coupe en trois péripéties ; Charras, quoique sur quelques points nous ayons une autre appréciation que lui, a seul saisi de son fier coup d’œil les linéaments caractéristiques de cette catastrophe du génie humain aux prises avec le hasard divin. Tous les autres historiens ont un certain éblouissement, et dans cet éblouissement ils tâtonnent. Journée fulgurante, en effet, écroulement de la monarchie militaire qui, à la grande stupeur des rois, a entraîné tous les royaumes, chute de la force, déroute de la guerre.

    Dans cet événement, empreint de nécessité surhumaine, la part des hommes n’est rien.

    Retirer Waterloo à Wellington et à Blücher, est-ce ôter quelque chose à l’Angleterre et à l’Allemagne ? Non. Ni cette illustre Angleterre ni cette auguste Allemagne ne sont en question dans le problème de Waterloo. Grâce au ciel, les peuples sont grands en dehors des lugubres aventures de l’épée. Ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni la France, ne tiennent dans un fourreau. Dans cette époque où Waterloo n’est qu’un cliquetis de sabres, au-dessus de Blücher l’Allemagne a Gœthe et au-dessus de Wellington l’Angleterre a Byron. Un vaste lever d’idées est propre à notre siècle, et dans cette aurore l’Angleterre et l’Allemagne ont une lueur magnifique. Elles sont majestueuses par ce qu’elles pensent. L’élévation du niveau qu’elles apportent à la civilisation leur est intrinsèque ; il vient d’elles-mêmes, et non d’un accident. Ce qu’elles ont d’agrandissement au dix-neuvième siècle n’a point Waterloo pour source. Il n’y a que les peuples barbares qui aient des crues subites après une victoire. C’est la vanité passagère des torrents enflés d’un orage. Les peuples civilisés, surtout au temps où nous sommes, ne se haussent ni ne s’abaissent par la bonne ou mauvaise fortune d’un capitaine. Leur poids spécifique dans le genre humain résulte de quelque chose de plus qu’un combat. Leur honneur, Dieu merci, leur dignité, leur lumière, leur génie, ne sont pas des numéros que les héros et les conquérants, ces joueurs, peuvent mettre à la loterie des batailles. Souvent bataille perdue, progrès conquis. Moins de gloire, plus de liberté. Le tambour se tait, la raison prend la parole. C’est le jeu à qui perd gagne. Parlons donc de Waterloo froidement des deux côtés. Rendons au hasard ce qui est au hasard et à Dieu ce qui est à Dieu. Qu’est-ce que Waterloo ? Une victoire ? Non. Un quine.

    Quine gagné par l’Europe, payé par la France.

    Ce n’était pas beaucoup la peine de mettre là un lion.

    Waterloo, du reste, est la plus étrange rencontre qui soit dans l’histoire. Napoléon et Wellington. Ce ne sont pas des ennemis, ce sont des contraires. Jamais Dieu, qui se plaît aux antithèses, n’a fait un plus saisissant contraste et une confrontation plus extraordinaire. D’un côté la précision, la prévision, la géométrie, la prudence, la retraite assurée, les réserves ménagées, un sang-froid opiniâtre, une méthode imperturbable, la stratégie qui profite du terrain, la tactique qui équilibre les bataillons, le carnage tiré au cordeau, la guerre réglée montre en main, rien laissé volontairement au hasard, le vieux courage classique, la correction absolue ; de l’autre l’intuition, la divination, l’étrangeté militaire, l’instinct surhumain, le coup d’œil flamboyant, on ne sait quoi qui regarde comme l’aigle et qui frappe comme la foudre, un art prodigieux dans une impétuosité dédaigneuse, tous les mystères d’une âme profonde, l’association avec le destin, le fleuve, la plaine, la forêt, la colline, sommés et en quelque sorte forcés d’obéir, le despote allant jusqu’à tyranniser le champ de bataille, la foi à l’étoile mêlée à la science stratégique, la grandissant, mais la troublant. Wellington était le Barême de la guerre, Napoléon en était le Michel-Ange, et cette fois le génie fut vaincu par le calcul.

    Des deux côtés on attendait quelqu’un. Ce fut le calculateur exact qui réussit. Napoléon attendait Grouchy ; il ne vint pas. Wellington attendait Blücher ; il vint.

    Wellington, c’est la guerre classique qui prend sa revanche. Bonaparte, à son aurore, l’avait rencontrée en Italie, et superbement battue. La vieille chouette avait fui devant le jeune vautour. L’ancienne tactique avait été non seulement foudroyée, mais scandalisée. Qu’était-ce que ce Corse de vingt-six ans, que signifiait cet ignorant splendide qui, ayant tout contre lui, rien pour lui, sans vivres, sans munitions, sans canons, sans souliers, presque sans armée, avec une poignée d’hommes contre des masses, se ruait sur l’Europe coalisée, et gagnait absurdement des victoires dans l’impossible ? D’où sortait ce forcené foudroyant qui, presque sans reprendre haleine, et avec le même jeu de combattants dans la main, pulvérisait l’une après l’autre les cinq armées de l’empereur d’Allemagne, culbutant Beaulieu sur Alvinzi, Wurmser sur Beaulieu, Mélas sur Wurmser, Mack sur Mélas ? Qu’était-ce que ce nouveau venu de la guerre ayant l’effronterie d’un astre ? L’école académique militaire l’excommuniait en lâchant pied. De là une implacable rancune du vieux césarisme contre le nouveau, du sabre correct contre l’épée flamboyante, et de l’échiquier contre le génie. Le 18 juin 1815, cette rancune eut le dernier mot, et au-dessous de Lodi, de Montebello, de Montenotte, de Mantoue, de Marengo, d’Arcole, elle écrivit : Waterloo. Triomphe des médiocres, doux aux majorités. Le destin consentit à cette ironie. À son déclin, Napoléon retrouva devant lui Wurmser jeune.

    Pour avoir Wurmser en effet, il suffît de blanchir les cheveux de Wellington.

    Waterloo est une bataille du premier ordre gagnée par un capitaine du second.

    Ce qu’il faut admirer dans la bataille de Waterloo, c’est l’Angleterre, c’est la fermeté anglaise, c’est la résolution anglaise, c’est le sang anglais ; ce que l’Angleterre a eu là de superbe, ne lui en déplaise, c’est elle-même. Ce n’est pas son capitaine, c’est son armée.

    Wellington, bizarrement ingrat, déclare dans une lettre à lord Bathurst que son armée, l’armée qui a combattu le 18 juin 1815, était une « détestable armée ». Qu’en pense cette sombre mêlée d’ossements enfouis sous les sillons de Waterloo ?

    L’Angleterre a été trop modeste vis-à-vis de Wellington. Faire Wellington si grand, c’est faire l’Angleterre petite. Wellington n’est qu’un héros comme un autre. Ces Écossais gris, ces horse-guards, ces régiments de Maitland et de Mitchell, cette infanterie de Pack et de Kempt, cette cavalerie de Ponsomby et de Somerset, ces highlanders jouant du pibroch sous la mitraille, ces bataillons de Rylandt, ces recrues toutes fraîches qui savaient à peine manier le mousquet tenant tête aux vieilles bandes d’Essling et de Rivoli, voilà ce qui est grand. Wellington a été tenace, ce fut là son mérite, et nous ne le lui marchandons pas, mais le moindre de ses fantassins et de ses cavaliers a été tout aussi solide que lui. L’iron-soldier vaut l’iron-duke. Quant à nous, toute notre glorification va au soldat anglais. Si trophée il y a, c’est à l’Angleterre que le trophée est dû. La colonne de Waterloo serait plus juste si, au lieu de la figure d’un homme, elle élevait dans la nue la statue d’un peuple.

    Mais cette grande Angleterre s’irritera de ce que nous disons ici. Elle a encore, après son 1688 et notre 1789, l’illusion féodale. Elle croit à l’hérédité et à la hiérarchie. Ce peuple, qu’aucun ne dépasse en puissance et en gloire, s’estime comme nation, non comme peuple. En tant que peuple, il se subordonne volontiers et prend un lord pour une tête. Workman, il se laisse dédaigner ; soldat, il se laisse bâtonner. On se souvient qu’à la bataille d’Inkermann un sergent qui, à ce qu’il paraît, avait sauvé l’armée, ne put être mentionné par lord Raglan, la hiérarchie militaire anglaise ne permettant de citer dans un rapport aucun héros au-dessous du grade d’officier.

    Ce que nous admirons par-dessus tout, dans une rencontre du genre de celle de Waterloo, c’est la prodigieuse habileté du hasard. Pluie nocturne, mur de Hugomont, chemin creux d’Ohain, Grouchy sourd au canon, guide de Napoléon qui le trompe, guide de Bülow qui l’éclaire ; tout ce cataclysme est merveilleusement conduit.

    Au total, disons-le, il y eut à Waterloo plus de massacre que de bataille.

    Waterloo est de toutes les batailles rangées celle qui a le plus petit front sur un tel nombre de combattants. Napoléon, trois quarts de lieue, Wellington, une demi-lieue ; soixante-douze mille combattants de chaque côté. De cette épaisseur vint le carnage.

    On a fait ce calcul et établi cette proportion : Perte d’hommes : ― À Austerlitz, français, quatorze pour cent ; russes, trente pour cent ; autrichiens, quarante-quatre pour cent. À Wagram, français, treize pour cent ; autrichiens, quatorze. À la Moskowa, français, trente-sept pour cent ; russes, quarante-quatre. À Bautzen, français, treize pour cent ; russes et prussiens, quatorze. À Waterloo, français, cinquante-six pour cent ; alliés, trente et un. Total pour Waterloo, quarante et un pour cent. Cent quarante-quatre mille combattants ; soixante mille morts.

    Le champ de Waterloo aujourd’hui a le calme qui appartient à la terre, support impassible de l’homme, et il ressemble à toutes les plaines.

    La nuit pourtant une espèce de brume visionnaire s’en dégage, et si quelque voyageur s’y promène, s’il regarde, s’il écoute, s’il rêve comme Virgile devant les funestes plaines de Philippes, l’hallucination de la catastrophe le saisit. L’effrayant 18 juin revit ; la fausse colline monument s’efface, ce lion quelconque se dissipe, le champ de bataille reprend sa réalité ; des lignes d’infanterie ondulent dans la plaine, des galops furieux traversent l’horizon ; le songeur effaré voit l’éclair des sabres, l’étincelle des bayonnettes, le flamboiement des bombes, l’entrecroisement monstrueux des tonnerres ; il entend, comme un râle au fond d’une tombe, la clameur vague de la bataille fantôme ; ces ombres, ce sont les grenadiers ; ces lueurs, ce sont les cuirassiers ; ce squelette, c’est Napoléon ; ce squelette, c’est Wellington ; tout cela n’est plus et se heurte et combat encore ; et les ravins s’empourprent, et les arbres frissonnent, et il y a de la furie jusque dans les nuées, et, dans les ténèbres, toutes ces hauteurs farouches, Mont-Saint-Jean, Hougomont, Frischemont, Papelotte, Plancenoit, apparaissent confusément couronnées de tourbillons de spectres s’exterminant.


     

    XVII


     

    FAUT-IL TROUVER BON WATERLOO ?


     

    Il existe une école libérale très respectable qui ne hait point Waterloo. Nous n’en sommes pas. Pour nous, Waterloo n’est que la date stupéfaite de la liberté. Qu’un tel aigle sorte d’un tel œuf, c’est à coup sûr l’inattendu.

    Waterloo, si l’on se place au point de vue culminant de la question, est intentionnellement une victoire contre-révolutionnaire. C’est l’Europe contre la France, c’est Pétersbourg, Berlin et Vienne contre Paris, c’est le statu quo contre l’initiative, c’est le 14 juillet 1789 attaqué à travers le 20 mars 1815, c’est le branle-bas des monarchies contre l’indomptable émeute française. Éteindre enfin ce vaste peuple en éruption depuis vingt-six ans, tel était le rêve. Solidarité des Brunswick, des Nassau, des Romanoff, des Hohenzollern, des Habsburg, avec les Bourbons. Waterloo porte en croupe le droit divin. Il est vrai que, l’empire ayant été despotique, la royauté, par la réaction naturelle des choses, devait forcément être libérale, et qu’un ordre constitutionnel à contre-cœur est sorti de Waterloo, au grand regret des vainqueurs. C’est que la révolution ne peut être vraiment vaincue, et qu’étant providentielle et absolument fatale, elle reparaît toujours, avant Waterloo, dans Bonaparte jetant bas les vieux trônes, après Waterloo, dans Louis XVIII octroyant et subissant la Charte. Bonaparte met un postillon sur le trône de Naples et un sergent sur le trône de Suède, employant l’inégalité à démontrer l’égalité ; Louis XVIII à Saint-Ouen contresigne la déclaration des droits de l’homme. Voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que la révolution, appelez-la Progrès ; et voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que le progrès, appelez-le Demain. Demain fait irrésistiblement son œuvre, et il la fait dès aujourd’hui. Il arrive toujours à son but, étrangement. Il emploie Wellington à faire de Foy, qui n’était qu’un soldat, un orateur. Foy tombe à Hougomont et se relève à la tribune. Ainsi procède le progrès. Pas de mauvais outil pour cet ouvrier-là. Il ajuste à son travail divin, sans se déconcerter, l’homme qui a enjambé les Alpes, et le bon vieux malade chancelant du père Élysée. Il se sert du podagre comme du conquérant ; du conquérant au dehors, du podagre au dedans. Waterloo, en coupant court à la démolition des trônes européens par l’épée, n’a eu d’autre effet que de faire continuer le travail révolutionnaire d’un autre côté. Les sabreurs ont fini, c’est le tour des penseurs. Le siècle que Waterloo voulait arrêter a marché dessus et a poursuivi sa route. Cette victoire sinistre a été vaincue par la liberté.

    En somme, et incontestablement, ce qui triomphait à Waterloo, ce qui souriait derrière Wellington, ce qui lui apportait tous les bâtons de maréchal de l’Europe, y compris, dit-on, le bâton de maréchal de France, ce qui roulait joyeusement les brouettées de terre pleine d’ossements pour élever la butte du lion, ce qui a triomphalement écrit sur ce piédestal cette date : 18 juin 1815, ce qui encourageait Blücher sabrant la déroute, ce qui du haut du plateau de Mont-Saint-Jean se penchait sur la France comme sur une proie, c’était la contre-révolution. C’est la contre-révolution qui murmurait ce mot infâme : démembrement. Arrivée à Paris, elle a vu le cratère de près, elle a senti que cette cendre lui brûlait les pieds, et elle s’est ravisée. Elle est revenue au bégaiement d’une charte.

    Ne voyons dans Waterloo que ce qui est dans Waterloo. De liberté intentionnelle, point. La contre-révolution était involontairement libérale, de même que, par un phénomène correspondant, Napoléon était involontairement révolutionnaire. Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné.


     

    XVIII


     

    RECRUDESCENCE DU DROIT DIVIN


     

    Fin de la dictature. Tout un système d’Europe croula.

    L’empire s’affaissa dans une ombre qui ressembla à celle du monde romain expirant. On revit de l’abîme comme au temps des barbares. Seulement la barbarie de 1815, qu’il faut nommer, de son petit nom, la contre-révolution, avait peu d’haleine, s’essouffla vite, et resta court. L’empire, avouons-le, fut pleuré, et pleuré par des yeux héroïques. Si la gloire est dans le glaive fait sceptre, l’empire avait été la gloire même. Il avait répandu sur la terre toute la lumière que la tyrannie peut donner ; lumière sombre. Disons plus : lumière obscure. Comparée au vrai jour, c’est de la nuit. Cette disparition de la nuit fit l’effet d’une éclipse.

    Louis XVIII rentra dans Paris. Les danses en rond du 8 juillet effacèrent les enthousiasmes du 20 mars. Le corse devint l’antithèse du béarnais. Le drapeau du dôme des Tuileries fut blanc. L’exil trôna. La table de sapin de Hartwell prit place devant le fauteuil fleurdelysé de Louis XIV. On parla de Bouvines et de Fontenoy comme d’hier, Austerlitz ayant vieilli. L’autel et le trône fraternisèrent majestueusement. Une des formes les plus incontestées du salut de la société au dix-neuvième siècle s’établit sur la France et sur le continent. L’Europe prit la cocarde blanche. Trestaillon fut célèbre. La devise non pluribus impar reparut dans des rayons de pierre figurant un soleil sur la façade de la caserne du quai d’Orsay. Où il y avait eu une garde impériale, il y eut une maison rouge. L’arc du Carrousel, tout chargé de victoires mal portées, dépaysé dans ces nouveautés, un peu honteux peut-être de Marengo et d’Arcole, se tira d’affaire avec la statue du duc d’Angoulême. Le cimetière de la Madeleine, redoutable fosse commune de 93, se couvrit de marbre et de jaspe, les os de Louis XVI et de Marie-Antoinette étant dans cette poussière. Dans le fossé de Vincennes, un cippe sépulcral sortit de terre, rappelant que le duc d’Enghien était mort dans le mois même où Napoléon avait été couronné. Le pape Pie VII, qui avait fait ce sacre très près de cette mort, bénit tranquillement la chute comme il avait béni l’élévation. Il y eut à Schœnbrunn une petite ombre âgée de quatre ans qu’il fut séditieux d’appeler le roi de Rome. Et ces choses se sont faites, et ces rois ont repris leurs trônes, et le maître de l’Europe a été mis dans une cage, et l’ancien régime est devenu le nouveau, et toute l’ombre et toute la lumière de la terre ont changé de place, parce que, dans l’après-midi d’un jour d’été, un pâtre a dit à un prussien dans un bois : passez par ici et non par là !

    Ce 1815 fut une sorte d’avril lugubre. Les vieilles réalités malsaines et vénéneuses se couvrirent d’apparences neuves. Le mensonge épousa 1789, le droit divin se masqua d’une charte, les fictions se firent constitutionnelles, les préjugés, les superstitions et les arrière-pensées, avec l’article 14 au cœur, se vernirent de libéralisme. Changement de peau des serpents.

    L’homme avait été à la fois agrandi et amoindri par Napoléon. L’idéal, sous ce règne de la matière splendide, avait reçu le nom étrange d’idéologie. Grave imprudence d’un grand homme, tourner en dérision l’avenir. Les peuples cependant, cette chair à canon si amoureuse du canonnier, le cherchaient des yeux. Où est-il ? Que fait-il ? Napoléon est mort, disait un passant à un invalide de Marengo et de Waterloo. — Lui mort ! s’écria ce soldat, vous le connaissez bien ! Les imaginations déifiaient cet homme terrassé. Le fond de l’Europe, après Waterloo, fut ténébreux. Quelque chose d’énorme resta longtemps vide par l’évanouissement de Napoléon.

    Les rois se mirent dans ce vide. La vieille Europe en profita pour se reformer. Il y eut une Sainte-Alliance. Belle-Alliance, avait dit d’avance le champ fatal de Waterloo.

    En présence et en face de cette antique Europe refaite, les linéaments d’une France nouvelle s’ébauchèrent. L’avenir, raillé par l’empereur, fit son entrée. Il avait sur le front cette étoile, Liberté. Les yeux ardents des jeunes générations se tournèrent vers lui. Chose singulière, on s’éprit en même temps de cet avenir, Liberté, et de ce passé, Napoléon. La défaite avait grandi le vaincu. Bonaparte tombé semblait plus haut que Napoléon debout. Ceux qui avaient triomphé eurent peur. L’Angleterre le fit garder par Hudson Lowe et la France le fit guetter par Montchenu. Ses bras croisés devinrent l’inquiétude des trônes. Alexandre le nommait : mon insomnie. Cet effroi venait de la quantité de révolution qu’il avait en lui. C’est ce qui explique et excuse le libéralisme bonapartiste. Ce fantôme donnait le tremblement au vieux monde. Les rois régnèrent mal à leur aise, avec le rocher de Sainte-Hélène à l’horizon.

    Pendant que Napoléon agonisait à Longwood, les soixante mille hommes tombés dans le champ de Waterloo pourrirent tranquillement, et quelque chose de leur paix se répandit dans le monde. Le congrès de Vienne en fit les traités de 1815, et l’Europe nomma cela la restauration.

    Voilà ce que c’est que Waterloo.

    Mais qu’importe à l’infini ? Toute cette tempête, tout ce nuage, cette guerre, puis cette paix, toute cette ombre, ne troubla pas un moment la lueur de l’œil immense devant lequel un puceron sautant d’un brin d’herbe à l’autre égale l’aigle volant de clocher en clocher aux tours de Notre-Dame.


     

    XIX


     

    LE CHAMP DE BATAILLE LA NUIT


     

    Revenons, c’est une nécessité de ce livre, sur ce fatal champ de bataille.

    Le 18 juin 1815, c’était pleine lune. Cette clarté favorisa la poursuite féroce de Blücher, dénonça les traces des fuyards, livra cette masse désastreuse à la cavalerie prussienne acharnée, et aida au massacre. Il y a parfois dans les catastrophes de ces tragiques complaisances de la nuit.

    Après le dernier coup de canon tiré, la plaine de Mont-Saint-Jean resta déserte.

    Les anglais occupèrent le campement des français ; c’est la constatation habituelle de la victoire ; coucher dans le lit du vaincu. Ils établirent leur bivouac au delà de Rossomme. Les prussiens, lâchés sur la déroute, poussèrent en avant, Wellington alla au village de Waterloo rédiger son rapport à lord Bathurst.

    Si jamais le sic vos non vobis a été applicable, c’est à coup sûr à ce village de Waterloo. Waterloo n’a rien fait, et est resté à une demi-lieue de l’action. Mont-Saint-Jean a été canonné, Hougomont a été brûlé, Plancenoit a été brûlé, la Haie-Sainte a été prise d’assaut, la Belle-Alliance a vu l’embrasement des deux vainqueurs ; on sait à peine ces noms, et Waterloo qui n’a point travaillé dans la bataille en a tout l’honneur.

    Nous ne sommes pas de ceux qui flattent la guerre ; quand l’occasion s’en présente, nous lui disons ses vérités. La guerre a d’affreuses beautés que nous n’avons point cachées ; elle a aussi, convenons-en, quelques laideurs. Une des plus surprenantes, c’est le prompt dépouillement des morts après la victoire. L’aube qui suit une bataille se lève toujours sur des cadavres nus.

    Qui fait cela ? Qui souille ainsi le triomphe ? Quelle est cette hideuse main furtive qui se glisse dans la poche de la victoire ? Quels sont ces filous faisant leur coup derrière la gloire ? Quelques philosophes, Voltaire entre autres, affirment que ce sont précisément ceux-là qui ont fait la gloire. Ce sont les mêmes, disent-ils, il n’y a pas de rechange, ceux qui sont debout pillent ceux qui sont à terre. Le héros du jour est le vampire de la nuit. On a bien le droit, après tout, de détrousser un peu un cadavre dont on est l’auteur. Quant à nous, nous ne le croyons pas. Cueillir des lauriers et voler les souliers d’un mort, cela nous semble impossible à la même main.

    Ce qui est certain, c’est que, d’ordinaire, après les vainqueurs viennent les voleurs. Mais mettons le soldat, surtout le soldat contemporain, hors de cause.

    Toute armée a une queue, et c’est là ce qu’il faut accuser. Des êtres chauves-souris, mi-partis brigands et valets, toutes les espèces de vespertilio qu’engendre ce crépuscule qu’on appelle la guerre, des porteurs d’uniformes qui ne combattent pas, de faux malades, des éclopés redoutables, des cantiniers interlopes trottant quelquefois avec leurs femmes, sur de petites charrettes et volant ce qu’ils revendent, des mendiants s’offrant pour guides aux officiers, des goujats, des maraudeurs, les armées en marche autrefois, — nous ne parlons pas du temps présent, — traînaient tout cela, si bien que, dans la langue spéciale, cela s’appelait « les traînards ». Aucune armée ni aucune nation n’étaient responsables de ces êtres ; ils parlaient italien et suivaient les allemands ; ils parlaient français et suivaient les anglais. C’est par un de ces misérables, traînard espagnol qui parlait français, que le marquis de Fervacques, trompé par son baragouin picard, et le prenant pour un des nôtres, fut tué en traître et volé sur le champ de bataille même, dans la nuit qui suivit la victoire de Cerisoles. De la maraude naissait le maraud. La détestable maxime : vivre sur l’ennemi, produisait cette lèpre, qu’une forte discipline pouvait seule guérir. Il y a des renommées qui trompent ; on ne sait pas toujours pourquoi de certains généraux, grands d’ailleurs, ont été si populaires. Turenne était adoré de ses soldats parce qu’il tolérait le pillage ; le mal permis fait partie de la bonté ; Turenne était si bon qu’il a laissé mettre à feu et à sang le Palatinat. On voyait à la suite des armées moins ou plus de maraudeurs selon que le chef était plus ou moins sévère. Hoche et Marceau n’avaient point de traînards ; Wellington, nous lui rendons volontiers cette justice, en avait peu.

    Pourtant, dans la nuit du 18 au 19 juin, on dépouilla les morts. Wellington fut rigide ; ordre de passer par les armes quiconque serait pris en flagrant délit ; mais la rapine est tenace. Les maraudeurs volaient dans un coin du champ de bataille pendant qu’on les fusillait dans l’autre.

    La lune était sinistre sur cette plaine.

    Vers minuit, un homme rôdait, ou plutôt rampait, du côté du chemin creux d’Ohain. C’était, selon toute apparence, un de ceux que nous venons de caractériser, ni anglais, ni français, ni paysan, ni soldat, moins homme que goule, attiré par le flair des morts, ayant pour victoire le vol, venant dévaliser Waterloo. Il était vêtu d’une blouse qui était un peu une capote, il était inquiet et audacieux, il allait devant lui et regardait derrière lui. Qu’était-ce que cet homme ? La nuit probablement en savait plus sur son compte que le jour. Il n’avait point de sac, mais évidemment de larges poches sous sa capote. De temps en temps, il s’arrêtait, examinait la plaine autour de lui comme pour voir s’il n’était pas observé, se penchait brusquement, dérangeait à terre quelque chose de silencieux et d’immobile, puis se redressait et s’esquivait. Son glissement, ses attitudes, son geste rapide et mystérieux le faisaient ressembler à ces larves crépusculaires qui hantent les ruines et que les anciennes légendes normandes appellent les Alleurs.

    De certains échassiers nocturnes font de ces silhouettes dans les marécages.

    Un regard qui eût sondé attentivement toute cette brume eût pu remarquer, à quelque distance, arrêté et comme caché derrière la masure qui borde sur la chaussée de Nivelles l’angle de la route de Mont-Saint-Jean à Braine-l’Alleud, une façon de petit fourgon de vivandier à coiffe d’osier goudronnée, attelé d’une haridelle affamée broutant l’ortie à travers son mors, et dans ce fourgon une espèce de femme assise sur des coffres et des paquets. Peut-être y avait-il un lien entre ce fourgon et ce rôdeur.

    L’obscurité était sereine. Pas un nuage au zénith. Qu’importe que la terre soit rouge, la lune reste blanche. Ce sont là les indifférences du ciel. Dans les prairies, des branches d’arbre cassées par la mitraille mais non tombées et retenues par l’écorce se balançaient doucement au vent de la nuit. Une haleine, presque une respiration, remuait les broussailles. Il y avait dans l’herbe des frissons qui ressemblaient à des départs d’âmes.

    On entendait vaguement au loin aller et venir les patrouilles et les rondes-major du campement anglais.

    Hougomont et la Haie-Sainte continuaient de brûler, faisant, l’un à l’ouest, l’autre à l’est, deux grosses flammes auxquelles venait se rattacher, comme un collier de rubis dénoué ayant à ses extrémités deux escarboucles, le cordon de feux du bivouac anglais étalé en demi-cercle immense sur les collines de l’horizon.

    Nous avons dit la catastrophe du chemin d’Ohain. Ce qu’avait été cette mort pour tant de braves, le cœur s’épouvante d’y songer.

    Si quelque chose est effroyable, s’il existe une réalité qui dépasse le rêve, c’est ceci : vivre, voir le soleil, être en pleine possession de la force virile, avoir la santé et la joie, rire vaillamment, courir vers une gloire qu’on a devant soi, éblouissante, se sentir dans la poitrine un poumon qui respire, un cœur qui bat, une volonté qui raisonne, parler, penser, espérer, aimer, avoir une mère, avoir une femme, avoir des enfants, avoir la lumière, et tout à coup, le temps d’un cri, en moins d’une minute, s’effondrer dans un abîme, tomber, rouler, écraser, être écrasé, voir des épis de blé, des fleurs, des feuilles, des branches, ne pouvoir se retenir à rien, sentir son sabre inutile, des hommes sous soi, des chevaux sur soi, se débattre en vain, les os brisés par quelque ruade dans les ténèbres, sentir un talon qui vous fait jaillir les yeux, mordre avec rage des fers de chevaux, étouffer, hurler, se tordre, être là-dessous, et se dire : tout à l’heure j’étais un vivant !

    Là où avait râlé ce lamentable désastre, tout faisait silence maintenant. L’encaissement du chemin creux était comble de chevaux et de cavaliers inextricablement amoncelés. Enchevêtrement terrible. Il n’y avait plus de talus, les cadavres nivelaient la route avec la plaine et venaient au ras du bord comme un boisseau d’orge bien mesuré. Un tas de morts dans la partie haute, une rivière de sang dans la partie basse ; telle était cette route, le soir du 18 juin 1815. Le sang coulait jusque sur la chaussée de Nivelles et s’y extravasait en une large mare devant l’abattis d’arbres qui barrait la chaussée, à un endroit qu’on montre encore. C’est, on s’en souvient, au point opposé, vers la chaussée de Genappe, qu’avait eu lieu l’effondrement des cuirassiers. L’épaisseur des cadavres se proportionnait à la profondeur du chemin creux. Vers le milieu, à l’endroit où il devenait plan, là où avait passé la division Delord, la couche des morts s’amincissait.

    Le rôdeur nocturne que nous venons de faire entrevoir au lecteur allait de ce côté, il furetait cette immense tombe. Il regardait. Il passait on ne sait quelle hideuse revue des morts. Il marchait les pieds dans le sang.

    Tout à coup il s’arrêta.

    À quelques pas devant lui, dans le chemin creux, au point où finissait le monceau des morts, de dessous cet amas d’hommes et de chevaux, sortait une main ouverte, éclairée par la lune.

    Cette main avait au doigt quelque chose qui brillait, et qui était un anneau d’or.

    L’homme se courba, demeura un moment accroupi, et quand il se releva, il n’y avait plus d’anneau à cette main.

    Il ne se releva pas précisément ; il resta dans une attitude fausse et effarouchée, tournant le dos au tas de morts, scrutant l’horizon, à genoux, tout l’avant du corps portant sur les deux index appuyés à terre, la tête guettant par-dessus le bord du chemin creux. Les quatre pattes du chacal conviennent à de certaines actions.

    Puis, prenant son parti, il se dressa.

    En ce moment il eut un soubresaut. Il sentit que par derrière on le tenait.

    Il se retourna ; c’était la main ouverte qui s’était refermée et qui avait saisi le pan de sa capote.

    Un honnête homme eût eu peur. Celui-ci se mit à rire.

    Tiens, dit-il, ce n’est que le mort. J’aime mieux un revenant qu’un gendarme.

    Cependant la main défaillit et le lâcha. L’effort s’épuise vite dans la tombe.

    Ah çà ! reprit le rôdeur, est-il vivant ce mort ? Voyons donc.

    Il se pencha de nouveau, fouilla le tas, écarta ce qui faisait obstacle, saisit la main, empoigna le bras, dégagea la tête, tira le corps, et quelques instants après il traînait dans l’ombre du chemin creux un homme inanimé, au moins évanoui. C’était un cuirassier, un officier, un officier même d’un certain rang ; une grosse épaulette d’or sortait de dessous la cuirasse ; cet officier n’avait plus de casque. Un furieux coup de sabre balafrait son visage où l’on ne voyait que du sang. Du reste, il ne semblait pas qu’il eût de membre cassé, et par quelque hasard heureux, si ce mot est possible ici, les morts s’étaient arc-boutés au-dessus de lui de façon à le garantir de l’écrasement. Ses yeux étaient fermés.

    Il avait sur sa cuirasse la croix d’argent de la Légion d’honneur.

    Le rôdeur arracha cette croix qui disparut dans un des gouffres qu’il avait sous sa capote.

    Après quoi, il tâta le gousset de l’officier, y sentit une montre et la prit. Puis il fouilla le gilet, y trouva une bourse et l’empocha.

    Comme il en était à cette phase des secours qu’il portait à ce mourant, l’officier ouvrit les yeux.

    Merci, dit-il faiblement.

    La brusquerie des mouvements de l’homme qui le maniait, la fraîcheur de la nuit, l’air respiré librement, l’avaient tiré de sa léthargie.

    Le rôdeur ne répondit point. Il leva la tête. On entendait un bruit de pas dans la plaine ; probablement quelque patrouille qui approchait.

    L’officier murmura, car il y avait encore de l’agonie dans sa voix :

    Qui a gagné la bataille ?

    Les anglais, répondit le rôdeur.

    L’officier reprit :

    Cherchez dans mes poches. Vous y trouverez une bourse et une montre. Prenez-les.

    C’était déjà fait.

    Le rôdeur exécuta le semblant demandé, et dit :

    Il n’y a rien.

    On m’a volé, reprit l’officier, j’en suis fâché. C’eût été pour vous.

    Les pas de la patrouille devenaient de plus en plus distincts.

    Voici qu’on vient, dit le rôdeur, faisant le mouvement d’un homme qui s’en va.

    L’officier, soulevant péniblement le bras, le retint : — Vous m’avez sauvé la vie. Qui êtes-vous ?

    Le rôdeur répondit vite et bas :

    J’étais comme vous de l’armée française. Il faut que je vous quitte. Si l’on me prenait, on me fusillerait. Je vous ai sauvé la vie. Tirez-vous d’affaire maintenant.

    Quel est votre grade ?

    Sergent.

    Comment vous appelez-vous ?

    Thénardier.

    Je n’oublierai pas ce nom, dit l’officier. Et vous, retenez le mien. Je me nomme Pontmercy.


    I


     

    LE NUMÉRO 24601 DEVIENT LE NUMÉRO 9430

    Jean Valjean avait été repris.

    On nous saura gré de passer rapidement sur des détails douloureux. Nous nous bornons à transcrire deux entrefilets publiés par les journaux du temps, quelques mois après les événements surprenants accomplis à Montreuil-sur-Mer.

    Ces articles sont un peu sommaires. On se souvient qu’il n’existait pas encore à cette époque de Gazette des Tribunaux.

    Nous empruntons le premier au Drapeau blanc. Il est daté du 25 juillet 1823 :


     

    « — Un arrondissement du Pas-de-Calais vient d’être le théâtre d’un événement peu ordinaire. Un homme étranger au département et nommé M. Madeleine avait relevé depuis quelques années, grâce à des procédés nouveaux, une ancienne industrie locale, la fabrication des jais et des verroteries noires. Il y avait fait sa fortune, et, disons-le, celle de l’arrondissement. En reconnaissance de ses services, on l’avait nommé maire. La police a découvert que ce M. Madeleine n’était autre qu’un ancien forçat en rupture de ban, condamné en 1796 pour vol, et nommé Jean Valjean. Jean Valjean a été réintégré au bagne. Il paraît qu’avant son arrestation il avait réussi à retirer de chez M. Laffitte une somme de plus d’un demi-million qu’il y avait placée, et qu’il avait, du reste, très légitimement, dit-on, gagnée dans son commerce. On n’a pu savoir où Jean Valjean avait caché cette somme depuis sa rentrée au bagne de Toulon. »


     

    Le deuxième article, un peu plus détaillé, est extrait du Journal de Paris, même date.


     

    « — Un ancien forçat libéré, nommé Jean Valjean, vient de comparaître devant la cour d’assises du Var dans des circonstances faites pour appeler l’attention. Ce scélérat était parvenu à tromper la vigilance de la police ; il avait changé de nom et avait réussi à se faire nommer maire d’une de nos petites villes du Nord. Il avait établi dans cette ville un commerce assez considérable. Il a été enfin démasqué et arrêté, grâce au zèle infatigable du ministère public. Il avait pour concubine une fille publique qui est morte de saisissement au moment de son arrestation. Ce misérable, qui est doué d’une force herculéenne, avait trouvé moyen de s’évader ; mais, trois ou quatre jours après son évasion, la police mit de nouveau la main sur lui, à Paris même, au moment où il montait dans une de ces petites voitures qui font le trajet de la capitale au village de Montfermeil (Seine-et-Oise). On dit qu’il avait profité de l’intervalle de ces trois ou quatre jours de liberté pour retirer une somme considérable placée par lui chez un de nos principaux banquiers. On évalue cette somme à six ou sept cent mille francs. À en croire l’acte d’accusation, il l’aurait enfouie en un lieu connu de lui seul et l’on n’a pas pu la saisir. Quoi qu’il en soit, le nommé Jean Valjean vient d’être traduit aux assises du département du Var comme accusé d’un vol de grand chemin commis à main armée, il y a huit ans environ, sur la personne d’un de ces honnêtes enfants qui, comme l’a dit le patriarche de Ferney en vers immortels :

  • «… De Savoie arrivent tous les ans
    « Et dont la main légèrement essuie
    « Ces longs canaux engorgés par la suie.
  • Il le faut, disait un guerrier.
  • Je les donnerai, dit la mère, j’ai quatre-vingts francs. Il me restera de quoi aller au pays. En allant à pied. Je gagnerai de l’argent là-bas, et dès que j’en aurai un peu, je reviendrai chercher l’amour.

    La voix d’homme reprit :

    La petite a un trousseau ?

    C’est mon mari, dit la Thénardier.

    Sans doute elle a un trousseau, le pauvre trésor. J’ai bien vu que c’était votre mari. Et un beau trousseau encore ! un trousseau insensé. Tout par douzaines ; et des robes de soie comme une dame. Il est là dans mon sac de nuit.

    Il faudra le donner, repartit la voix d’homme.

    Je crois bien que je le donnerai ! dit la mère. Ce serait cela qui serait drôle si je laissais ma fille toute nue !

    La face du maître apparut.

    C’est bon, dit-il.

    Le marché fut conclu. La mère passa la nuit à l’auberge, donna son argent et laissa son enfant, renoua son sac de nuit dégonflé du trousseau et léger désormais, et partit le lendemain matin, comptant revenir bientôt. On arrange tranquillement ces départs-là, mais ce sont des désespoirs.

    Une voisine des Thénardier rencontra cette mère comme elle s’en allait, et s’en revint en disant :

    Je viens de voir une femme qui pleure dans la rue, que c’est un déchirement.

    Quand la mère de Cosette fut partie, l’homme dit à la femme :

    Cela va me payer mon effet de cent dix francs qui échoit demain. Il me manquait cinquante francs. Sais-tu que j’aurais eu l’huissier et un protêt ? Tu as fait là une bonne souricière avec tes petites.

    Sans m’en douter, dit la femme.


     

    II

    PREMIÈRE ESQUISSE
    DE DEUX FIGURES LOUCHES


     

    La souris prise était bien chétive ; mais le chat se réjouit même d’une souris maigre.

    Qu’était-ce que les Thénardier ?

    Disons-en un mot dès à présent. Nous compléterons le croquis plus tard.

    Ces êtres appartenaient à cette classe bâtarde composée de gens grossiers parvenus et de gens intelligents déchus,qui est entre la classe dite moyenne et la classe dite inférieure, et qui combine quelques-uns des défauts de la seconde avec presque tous les vices de la première, sans avoir le généreux élan de l’ouvrier ni l’ordre honnête du bourgeois.

    C’étaient de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d’une brute et dans l’homme l’étoffe d’un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l’espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu’elles n’y avancent, employant l’expérience à augmenter leur difformité, empirant sans cesse, et s’imprégnant de plus en plus d’une noirceur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.

    Le Thénardier particulièrement était gênant pour le physionomiste. On n’a qu’à regarder certains hommes pour s’en défier, on les sent ténébreux à leurs deux extrémités. Ils sont inquiets derrière eux et menaçants devant eux. Il y a en eux de l’inconnu. On ne peut pas plus répondre de ce qu’ils ont fait que de ce qu’ils feront. L’ombre qu’ils ont dans le regard les dénonce. Rien qu’en les entendant dire un mot ou qu’en les voyant faire un geste on entrevoit de sombres secrets dans leur passé et de sombres mystères dans leur avenir.

    Ce Thénardier, s’il fallait l’en croire, avait été soldat ; sergent, disait-il ; il avait fait probablement la campagne de 1815, et s’était même comporté assez bravement, à ce qu’il paraît. Nous verrons plus tard ce qu’il en était. L’enseigne de son cabaret était une allusion à l’un de ses faits d’armes. Il l’avait peinte lui-même, car il savait faire un peu de tout ; mal.

    C’était l’époque où l’antique roman classique, qui, après avoir été Clélie, n’était plus que Lodoïska, toujours noble, mais de plus en plus vulgaire, tombé de mademoiselle de Scudéri à madame Bournon-Malarme, et de madame de Lafayette à madame Barthélémy-Hadot, incendiait l’âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue. Madame Thénardier était juste assez intelligente pour lire ces espèces de livres. Elle s’en nourrissait. Elle y noyait ce qu’elle avait de cervelle ; cela lui avait donné, tant qu’elle avait été très jeune, et même un peu plus tard, une sorte d’attitude pensive près de son mari, coquin d’une certaine profondeur, ruffian lettré à la grammaire près, grossier et fin en même temps, mais, en fait de sentimentalisme, lisant Pigault-Lebrun, et pour « tout ce qui touche le sexe », comme il disait dans son jargon, butor correct et sans mélange. Sa femme avait quelque douze ou quinze ans de moins que lui. Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la Mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu’une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aînée se nomma Éponine. Quant à la cadette, la pauvre petite faillit se nommer Gulnare ; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil, de ne s’appeler qu’Azelma.

    Au reste, pour le dire en passant, tout n’est pas ridicule et superficiel dans cette curieuse époque à laquelle nous faisons ici allusion, et qu’on pourrait appeler l’anarchie des noms de baptême. À côté de l’élément romanesque, que nous venons d’indiquer, il y a le symptôme social. Il n’est pas rare aujourd’hui que le garçon bouvier se nomme Arthur, Alfred ou Alphonse, et que le vicomte — s’il y a encore des vicomtes — se nomme Thomas, Pierre ou Jacques. Ce déplacement qui met le nom « élégant » sur le plébéien et le nom campagnard sur l’aristocrate n’est autre chose qu’un remous d’égalité. L’irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde : la révolution française.


     

    III

    L’ALOUETTE.


     

    Il ne suffit pas d’être méchant pour prospérer. La gargote allait mal.

    Grâce aux cinquante-sept francs de la voyageuse, Thénardier avait pu éviter un protêt et faire honneur à sa signature. Le mois suivant ils eurent encore besoin d’argent ; la femme porta à Paris et engagea au mont-de-piété le trousseau de Cosette pour une somme de soixante francs. Dès que cette somme fut dépensée, les Thénardier s’accoutumèrent à ne plus voir dans la petite fille qu’un enfant qu’ils avaient chez eux par charité, et la traitèrent en conséquence. Comme elle n’avait plus de trousseau, on l’habilla des vieilles jupes et des vieilles chemises des petites Thénardier, c’est-à-dire de haillons. On la nourrit des restes de tout le monde, un peu mieux que le chien et un peu plus mal que le chat. Le chat et le chien étaient du reste ses commensaux habituels ; Cosette mangeait avec eux sous la table dans une écuelle de bois pareille à la leur.

    La mère, qui s’était fixée, comme on le verra plus tard, à Montreuil-sur-mer, écrivait, ou, pour mieux dire, faisait écrire tous les mois afin d’avoir des nouvelles de son enfant. Les Thénardier répondaient invariablement : Cosette est à merveille.

    Les six premiers mois révolus, la mère envoya sept francs pour le septième mois, et continua assez exactement ses envois de mois en mois. L’année n’était pas finie que le Thénardier dit : – Une belle grâce qu’elle nous fait là ! que veut-elle que nous fassions avec ses sept francs ? Et il écrivit pour exiger douze francs. La mère, à laquelle ils persuadaient que son enfant était heureuse « et venait bien », se soumit et envoya les douze francs.

    Certaines natures ne peuvent aimer d’un côté sans haïr de l’autre. La mère Thénardier aimait passionnément ses deux filles à elle, ce qui fit qu’elle détesta l’étrangère. Il est triste de songer que l’amour d’une mère peut avoir de vilains aspects. Si peu de place que Cosette tînt chez elle, il lui semblait que cela était pris aux siens, et que cette petite diminuait l’air que ses filles respiraient. Cette femme, comme beaucoup de femmes de sa sorte, avait une somme de caresses et une somme de coups et d’injures à dépenser chaque jour. Si elle n’avait pas eu Cosette, il est certain que ses filles, tout idolâtrées qu’elles étaient, auraient tout reçu ; mais l’étrangère leur rendit le service de détourner les coups sur elle. Ses filles n’eurent que les caresses. Cosette ne faisait pas un mouvement qui ne fît pleuvoir sur sa tête une grêle de châtiments violents et immérités. Doux être faible qui ne devait rien comprendre à ce monde ni à Dieu, sans cesse punie, grondée, rudoyée, battue et voyant à côté d’elle deux petites créatures comme elle, qui vivaient dans un rayon d’aurore !

    La Thénardier étant méchante pour Cosette, Éponine et Azelma furent méchantes. Les enfants, à cet âge, ne sont que des exemplaires de la mère. Le format est plus petit, voilà tout.

    Une année s’écoula, puis une autre.

    On disait dans le village :

    Ces Thénardier sont de braves gens. Ils ne sont pas riches, et ils élèvent un pauvre enfant qu’on leur a abandonné chez eux !

    On croyait Cosette oubliée par sa mère.

    Cependant le Thénardier, ayant appris par on ne sait quelles voies obscures que l’enfant était probablement bâtard et que la mère ne pouvait l’avouer, exigea quinze francs par mois, disant que « la créature » grandissait et mangeait, et menaçant de la renvoyer. « Qu’elle ne m’embête pas ! » s’écriait-il, « je lui bombarde son mioche tout au beau milieu de ses cachoteries. Il me faut de l’augmentation. » La mère paya les quinze francs.

    D’année en année, l’enfant grandit, et sa misère aussi.

    Tant que Cosette fut toute petite, elle fut le souffre-douleur des deux autres enfants ; dès qu’elle se mit à se développer un peu, c’est-à-dire avant même qu’elle eût cinq ans, elle devint la servante de la maison.

    Cinq ans, dira-t-on, c’est invraisemblable. Hélas, c’est vrai. La souffrance sociale commence à tout âge. N’avons-nous pas vu, récemment, le procès d’un nommé Dumolard, orphelin devenu bandit, qui, dès l’âge de cinq ans, disent les documents officiels, étant seul au monde « travaillait pour vivre, et volait ».

    On fit faire à Cosette les commissions, balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter même des fardeaux. Les Thénardier se crurent d’autant plus autorisés à agir ainsi que la mère qui était toujours à Montreuil-sur-mer commença à mal payer. Quelques mois restèrent en souffrance.

    Si cette mère fût revenue à Montfermeil au bout de ces trois années, elle n’eût point reconnu son enfant. Cosette, si jolie et si fraîche à son arrivée dans cette maison, était maintenant maigre et blême. Elle avait je ne sais quelle allure inquiète. Sournoise ! disaient les Thénardier.

    L’injustice l’avait faite hargneuse et la misère l’avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils étaient, il semblait qu’on y vît une plus grande quantité de tristesse.

    C’était une chose navrante de voir, l’hiver, ce pauvre enfant, qui n’avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toile trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux.

    Dans le pays on l’appelait l’Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s’était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu’un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l’aube.

    Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais.


     


     

    I

    HISTOIRE D’UN PROGRÈS DANS LES VERROTERIES NOIRES


     

    Cette mère cependant qui, au dire des gens de Montfermeil, semblait avoir abandonné son enfant, que devenait-elle ? où était-elle ? que faisait-elle ?

    Après avoir laissé sa petite Cosette aux Thénardier, elle avait continué son chemin et était arrivée à Montreuil-sur-Mer. C’était, on se le rappelle, en 1818.

    Fantine avait quitté sa province depuis une dizaine d’années. Montreuil-sur-Mer avait changé d’aspect. Tandis que Fantine descendait lentement de misère en misère, sa ville natale avait prospéré.

    Depuis deux ans environ, il s’y était accompli un de ces faits industriels qui sont les grands événements des petits pays.

    Ce détail importe, et nous croyons utile de le développer ; nous dirions presque, de le souligner.

    De temps immémorial, Montreuil-sur-Mer avait pour industrie spéciale l’imitation des jais anglais et des verroteries noires d’Allemagne. Cette industrie avait toujours végété, à cause de la cherté des matières premières qui réagissait sur la main-d’œuvre. Au moment où Fantine revint à Montreuil-sur-Mer, une transformation inouïe s’était opérée dans cette production des « articles noirs ». Vers la fin de 1815, un homme, un inconnu, était venu s’établir dans la ville et avait eu l’idée de substituer, dans cette fabrication, la gomme laque à la résine et, pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée. Ce tout petit changement avait été une révolution.

    Ce tout petit changement en effet avait prodigieusement réduit le prix de la matière première, ce qui avait permis, premièrement d’élever le prix de la main-d’œuvre, bienfait pour le pays, deuxièmement d’améliorer la fabrication, avantage pour le consommateur, troisièmement de vendre à meilleur marché tout en triplant le bénéfice, profit pour le manufacturier.

    Ainsi pour une idée trois résultats.

    En moins de trois ans, l’auteur de ce procédé était devenu riche, ce qui est bien, et avait tout fait riche autour de lui, ce qui est mieux. Il était étranger au département ! De son origine, on ne savait rien ; de ses commencements, peu de chose.

    On contait qu’il était venu dans la ville avec fort peu d’argent, quelques centaines de francs tout au plus.

    C’est de ce mince capital, mis au service d’une idée ingénieuse, fécondé par l’ordre et par la pensée, qu’il avait tiré sa fortune et la fortune de tout ce pays.

    À son arrivée à Montreuil-sur-Mer, il n’avait que les vêtements, la tournure et le langage d’un ouvrier.

    Il paraît que, le jour même où il faisait obscurément son entrée dans la petite ville de Montreuil-sur-Mer, à la tombée d’un soir de décembre, le sac au dos et le bâton d’épine à la main, un gros incendie venait d’éclater à la maison commune. Cet homme s’était jeté dans le feu, et avait sauvé, au péril de sa vie, deux enfants qui se trouvaient être ceux du capitaine de gendarmerie ; ce qui fait qu’on n’avait pas songé à lui demander son passe-port. Depuis lors, on avait su son nom. Il s’appelait le père Madeleine.


     

    II

    MADELEINE


     

    C’était un homme d’environ cinquante ans, qui avait l’air préoccupé et qui était bon. Voilà tout ce qu’on en pouvait dire.

    Grâce aux progrès rapides de cette industrie qu’il avait si admirablement remaniée, Montreuil-sur-Mer, pour ce commerce, faisait presque concurrence à Londres et à Berlin, Les bénéfices du père Madeleine étaient tels que, dès la deuxième année, il avait pu bâtir une grande fabrique dans laquelle il y avait deux vastes ateliers, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Quiconque avait faim pouvait s’y présenter, et était sûr de trouver là de l’emploi et du pain. Le père Madeleine demandait aux hommes de la bonne volonté, aux femmes des mœurs pures, à tous de la probité. Il avait divisé les ateliers, afin de séparer les sexes et que les filles et les femmes pussent rester sages. Sur ce point, il était inflexible. C’était le seul où il fût en quelque sorte intolérant. Il était d’autant plus fondé à cette sévérité que, Montreuil-sur-Mer étant une ville de garnison, les occasions de corruption abondaient. Du reste sa venue avait été un bienfait, et sa présence était une providence. Avant l’arrivée du père Madeleine, tout languissait dans le pays ; maintenant tout y vivait de la vie saine du travail. Une forte circulation échauffait tout et pénétrait partout. Le chômage et la misère étaient inconnus. Il n’y avait pas de poche si obscure où il n’y eût un peu d’argent, pas de logis si pauvre où il n’y eût un peu de joie.

    Le père Madeleine employait tout le monde. Il n’exigeait qu’une chose : soyez honnête homme ! soyez honnête fille !

    Comme nous l’avons dit, au milieu de cette activité dont il était la cause et le pivot, le père Madeleine faisait sa fortune, mais, chose assez singulière dans un simple homme de commerce, il ne paraissait point que ce fût là son principal souci. Il semblait qu’il songeât beaucoup aux autres et peu à lui. En 1820, on lui connaissait une somme de six cent mille francs, il avait dépensé plus d’un million pour la ville et pour les pauvres.

    L’hôpital était mal doté ; il y avait fondé deux lits. Montreuil-sur-Mer est divisé en ville haute et ville basse. La ville basse qu’il habitait n’avait qu’une école, méchante masure qui tombait en ruine ; il en avait construit deux, une pour les filles, l’autre pour les garçons. Il allouait de ses deniers aux deux instituteurs une indemnité double de leur maigre traitement officiel, et un jour, à quelqu’un qui s’en étonnait, il dit : « Les deux premiers fonctionnaires de l’état, c’est la nourrice et le maître d’école. » Il avait créé à ses frais une salle d’asile, chose alors presque inconnue en France, et une caisse de secours pour les ouvriers vieux et infirmes. Sa manufacture étant un centre, un nouveau quartier où il y avait bon nombre de familles indigentes avait rapidement surgi autour de lui ; il y avait établi une pharmacie gratuite.

    Dans les premiers temps, quand on le vit commencer, les bonnes âmes dirent : C’est un gaillard qui veut s’enrichir. Quand on le vit enrichir le pays avant de s’enrichir lui-même, les mêmes bonnes âmes dirent : C’est un ambitieux. Cela semblait d’autant plus probable que cet homme était religieux, et même pratiquait dans une certaine mesure, chose fort bien vue à cette époque. Il allait régulièrement entendre une basse messe tous les dimanches. Le député local, qui flairait partout des concurrences, ne tarda pas à s’inquiéter de cette religion. Ce député, qui avait été membre du corps législatif de l’empire, partageait les idées religieuses d’un père de l’oratoire connu sous le nom de Fouché, duc d’Otrante, dont il avait été la créature et l’ami. À huis clos il riait de Dieu doucement. Mais quand il vit le riche manufacturier Madeleine aller à la basse messe de sept heures, il entrevit un candidat possible, et résolut de lé dépasser ; il prit un confesseur jésuite et alla à la grand’messe et à vêpres. L’ambition en ce temps-là était, dans l’acception directe du mot, une course au clocher. Les pauvres profitèrent de cette terreur comme le bon Dieu, car l’honorable député fonda aussi deux lits à l’hôpital ; ce qui fit douze.

    Cependant en 1819 le bruit se répandit un matin dans la ville que, sur la présentation de M. le préfet et en considération des services rendus au pays, le père Madeleine allait être nommé par le roi maire de Montreuil-sur-Mer. Ceux qui avaient déclaré ce nouveau venu « un ambitieux » saisirent avec transport cette occasion que tous les hommes souhaitent de s’écrier : Là ! qu’est-ce que nous avions dit ? Tout Montreuil-sur-Mer fut en rumeur. Le bruit était fondé. Quelques jours après, la nomination parut dans le Moniteur. Le lendemain, le père Madeleine refusa.

    Dans cette même année 1819, les produits du nouveau procédé inventé par Madeleine figurèrent à l’exposition de l’industrie ; sur le rapport du jury, le roi nomma l’inventeur chevalier de la légion d’honneur. Nouvelle rumeur dans la petite ville. Eh bien ! c’est la croix qu’il voulait ! Le père Madeleine refusa la croix.

    Décidément cet homme était une énigme. Les bonnes âmes se tirèrent d’affaire en disant : Après tout, c’est une espèce d’aventurier.

    On l’a vu, le pays lui devait beaucoup, les pauvres lui devaient tout ; il était si utile qu’il avait bien fallu qu’on finît par l’aimer ; ses ouvriers en particulier l’adoraient, et il portait cette adoration avec une sorte de gravité mélancolique. Quand il fut constaté riche, « les personnes de la société » le saluèrent, et on l’appela dans la ville monsieur Madeleine ; ses ouvriers et les enfants continuèrent de l’appeler le père Madeleine, et c’était la chose qui le faisait le mieux sourire. À mesure qu’il montait, les invitations pleuvaient sur lui. « La société » le réclamait. Les petits salons guindés de Montreuil-sur-Mer qui, bien entendu, se fussent dans les premiers temps fermés à l’artisan, s’ouvrirent à deux battants au millionnaire. On lui fit mille avances. Il refusa.

    Cette fois encore les bonnes âmes ne furent point empêchées. — C’est un homme ignorant et de basse éducation. On ne sait d’où cela sort. Il ne saurait pas se tenir dans le monde. Il n’est pas du tout prouvé qu’il sache lire.

    Quand on l’avait vu gagner de l’argent, on avait dit : c’est un marchand. Quand on l’avait vu semer son argent, on avait dit : c’est un ambitieux. Quand on l’avait vu repousser les honneurs on avait dit : c’est un aventurier. Quand on le vit repousser le monde, on dit : c’est une brute.

    En 1820, cinq ans après son arrivée à Montreuil-sur-Mer, les services qu’il avait rendus au pays étaient si éclatants, le vœu de la contrée fut tellement unanime, que le roi le nomma de nouveau maire de la ville. Il refusa encore, mais le préfet résista à son refus, tous les notables vinrent le prier, le peuple en pleine rue le suppliait, l’insistance fut si vive qu’il finit par accepter. On remarqua que ce qui parut surtout le déterminer, ce fut l’apostrophe presque irritée d’une vieille femme du peuple qui lui cria du seuil de sa porte avec humeur : Un bon maire, c’est utile. Est-ce qu’on recule devant du bien qu’on peut faire ?

    Ce fut là la troisième phase de son ascension. Le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine, monsieur Madeleine devint monsieur le maire.


     

    III

    SOMMES DÉPOSÉES CHEZ LAFFITTE


     

    Du reste, il était demeuré aussi simple que le premier jour. Il avait les cheveux gris, l’œil sérieux, le teint hâlé d’un ouvrier, le visage pensif d’un philosophe. Il portait habituellement un chapeau à bords larges et une longue redingote de gros drap, boutonnée jusqu’au menton. Il remplissait ses fonctions de maire, mais hors de là il vivait solitaire. Il parlait à peu de monde, Il se dérobait aux politesses, saluait de côté, s’esquivait vite, souriait pour se dispenser de causer, donnait pour se dispenser de sourire. Les femmes disaient de lui : Quel bon ours ! Son plaisir était de se promener dans les champs.

    Il prenait ses repas toujours seul, avec un livre ouvert devant lui où il lisait. Il avait une petite bibliothèque bien faite. Il aimait les livres ; les livres sont des amis froids et sûrs. À mesure que le loisir lui venait avec la fortune, il semblait qu’il en profitât pour cultiver son esprit. Depuis qu’il était à Montreuil-sur-Mer, on remarquait que d’année en année son langage devenait plus poli, plus choisi et plus doux.

    Il emportait volontiers un fusil dans ses promenades, mais il s’en servait rarement. Quand cela lui arrivait par aventure, il avait un tir infaillible qui effrayait. Jamais il ne tuait un animal inoffensif. Jamais il ne tirait un petit oiseau.

    Quoiqu’il ne fût plus jeune, on contait qu’il était d’une force prodigieuse. Il offrait un coup de main à qui en avait besoin, relevait un cheval, poussait à une roue embourbée, arrêtait par les cornes un taureau échappé. Il avait toujours ses poches pleines de monnaie en sortant et vides en rentrant. Quand il passait dans un village, les marmots déguenillés couraient joyeusement après lui et l’entouraient comme une nuée de moucherons.

    On croyait deviner qu’il avait dû vivre jadis de la vie des champs, car il avait toutes sortes de secrets utiles qu’il enseignait aux paysans. Il leur apprenait à détruire la teigne des blés en aspergeant le grenier et en inondant les fentes du plancher d’une dissolution de sel commun, et à chasser les charançons en suspendant partout, aux murs et aux toits, dans les herbages et dans les maisons, de l’orviot en fleur. Il avait des « recettes » pour extirper d’un champ la luzette, la nielle, la vesce, la gaverolle, la queue-de-renard, toutes les herbes parasites qui mangent le blé. Il défendait une lapinière contre les rats, rien qu’avec l’odeur d’un petit cochon de Barbarie qu’il y mettait.

    Un jour il voyait des gens du pays très occupés à arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes déracinées èt déjà desséchées, et dit : — C’est mort. Cela serait pourtant bon si l’on savait s’en servir. Quant l’ortie est jeune, la feuille est un légume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile d’ortie vaut la toile de chanvre. Hachée, l’ortie est bonne pour la volaille ; broyée, elle est bonne pour lès bêtes à cornes, La graine de l’ortie mêlée au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la racine mêlée au sel produit une belle couleur jaune. C’est du reste un excellent foin qu’on peut faucher deux fois. Et que faut-il à l’ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe à mesure qu’elle mûrit, et est difficile à récolter. Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent à l’ortie ! — Il ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.

    Les enfants l’aimaient encore parce qu’il savait faire de charmants petits ouvrages avec de la paille et des noix de coco.

    Quand il voyait la porte d’une église tendue de noir, il entrait ; il recherchait un enterrement comme d’autres recherchent un baptême. Le veuvage et le malheur d’autrui l’attiraient à cause de sa grande douceur ; il se mêlait aux amis en deuil, aux familles vêtues de noir, aux prêtres gémissant autour d’un cercueil. Il semblait donner volontiers pour texte à ses pensées ces psalmodies funèbres pleines de la vision d’un autre monde. L’œil au ciel, il écoutait, avec une sorte d’aspiration vers tous les mystères de l’infini, ces voix tristes qui chantent sur le bord de l’abîme obscur de la mort.

    Il faisait une foule de bonnes actions en se cachant comme on se cache pour les mauvaises. Il pénétrait à la dérobée, le soir, dans les maisons ; il montait furtivement des escaliers. Un pauvre diable, en rentrant dans son galetas, trouvait que sa porte avait été ouverte, quelquefois même forcée, dans son absence. Le pauvre homme se récriait : quelque malfaiteur est venu ! Il entrait, et la première chose qu’il voyait, c’était une pièce d’or oubliée sur un meuble. « Le malfaiteur » qui était venu, c’était le père Madeleine.

    Il était affable et triste. Le peuple disait : Voilà un homme riche qui n’a pas l’air fier. Voilà un homme heureux qui n’a pas l’air content.

    Quelques-uns prétendaient que c’était un personnage mystérieux et affirmaient qu’on n’entrait jamais dans sa chambre, laquelle était une vraie cellule d’anachorète meublée de sabliers ailés et enjolivée de tibias en croix et de têtes de mort. Cela se disait beaucoup, si bien que quelques jeunes femmes élégantes et malignes de Montreuil-sur-Mer vinrent chez lui un jour, et lui demandèrent : — Monsieur le maire, montrez-nous donc votre chambre. On dît que c’est une grotte. — Il sourit, et les introduisit sur-le-champ dans cette « grotte ». Elles furent bien punies de leur curiosité. C’était une chambre garnie tout bonnement de meubles d’acajou assez laids comme tous les meubles de ce genre et tapissée de papier à douze sous. Elles n’y purent rien remarquer que deux flambeaux de forme vieillie qui étaient sur la cheminée et qui avaient l’air d’être en argent, « car ils étaient contrôlés ». Observation pleine de l’esprit des petites villes.

    On n’en continua pas moins de dire que personne ne pénétrait dans cette chambre et que c’était une caverne d’ermite, un rêvoir, un trou, un tombeau.

    On se chuchotait aussi qu’il avait des sommes « immenses » déposées chez Laffitte, avec cette particularité qu’elles étaient toujours à sa disposition immédiate, de telle sorte, ajoutait-on, que M. Madeleine pourrait arriver un matin chez Laffitte, signer un reçu et emporter ses deux ou trois millions en dix minutes. Dans la réalité ces « deux ou trois millions » se réduisaient, nous l’avons dit, à six cent trente ou quarante mille francs.


     

    IV

    M. MADELEINE EN DEUIL


     

    Au commencement de 1821, les journaux annoncèrent la mort de M. Myriel, évêque de Digne, « surnommé monseigneur Bienvenu », et trépassé en odeur de sainteté à l’âge de quatre-vingt-deux ans,

    L’évêque de Digne, pour ajouter ici un détail que les journaux omirent, était, quand il mourut, depuis plusieurs années aveugle, et content d’être aveugle, sa sœur étant près de lui.

    Disons-le en passant, être aveugle et être aimé, c’est en effet, sur cette terre où rien n’est complet, une des formes les plus étrangement exquises du bonheur. Avoir continuellement à ses côtés une femme, une fille, une sœur, un être charmant, qui est là parce que vous avez besoin d’elle et parce qu’elle ne peut se passer de vous, se savoir indispensable à qui nous est nécessaire, pouvoir incessamment mesurer son affection à la quantité de présence qu’elle nous donne, et se dire : puisqu’elle me consacre tout son temps, c’est que j’ai tout son cœur ; voir la pensée à défaut de la figure, constater la fidélité d’un être dans l’éclipse du monde ; percevoir le frôlement d’une robe comme un bruit d’ailes, l’entendre aller et venir, sortir, rentrer, parler, chanter, et songer qu’on est le centre de ces pas, de cette parole, de ce chant ; manifester à chaque minute sa propre attraction, se sentir d’autant plus puissant qu’on est plus infirme, devenir dans l’obscurité, et par l’obscurité, l’astre autour duquel gravite cet ange, peu de félicités égalent celle-là. Le suprême bonheur de la vie, c’est la conviction qu’on est aimé ; aimé pour soi-même, disons mieux, aimé malgré soi-même ; cette conviction, l’aveugle l’a. Dans celle détresse, être servi, c’est être caressé. Lui manque-t-il quelque chose ? Non. Ce n’est point perdre la lumière qu’avoir l’amour, Et quel amour ! un amour entièrement fait de vertu. Il n’y a point de cécité où il y a certitude. L’âme à tâtons cherche l’âme, et la trouve. Et cette âme trouvée et prouvée est une femme. Une main vous soutient, c’est la sienne ; une bouche effleure votre front, c’est sa bouche ; vous entendez une respiration tout près de vous, c’est elle. Tout avoir d’elle, depuis son culte jusqu’à sa pitié, n’être jamais quitté, avoir cette douce faiblesse qui vous secourt, s’appuyer sur ce roseau inébranlable, toucher de ses mains la providence et pouvoir la prendre dans ses bras ; Dieu palpable, quel ravissement ! Le cœur, cette céleste fleur obscure, entre dans un épanouissement mystérieux. On ne donnerait pas cette ombre pour toute la clarté. L’âme ange est là, sans cesse là ; si elle s’éloigne, c’est pour revenir ; elle s’efface comme le rêve et reparaît comme la réalité. On sent de la chaleur qui approche, la voilà. On déborde de sérénité, de gaîté et d’extase ; on est un rayonnement dans la nuit. Et mille petits soins. Des riens qui sont énormes dans ce vide. Les plus ineffables accents de la voix féminine employés à vous bercer, et suppléant pour vous à l’univers évanoui. On est caressé avec de l’âme. On ne voit rien, mais on se sent adoré. C’est un paradis de ténèbres.

    C’est de ce paradis que monseigneur Bienvenu était passé à l’autre.

    L’annonce de sa mort fut reproduite par le journal local de Montreuil-sur-Mer. M. Madeleine parut le lendemain tout en noir avec un crêpe à son chapeau.

    On remarqua dans la ville ce deuil, et l’on jasa. Cela parut une lueur sur l’origine de M, Madeleine. On en conclut qu’il avait quelque alliance avec le vénérable évêque. Il drape pour l’évêque de Digne, dirent les salons ; cela rehaussa fort M. Madeleine, et lui donna subitement et d’emblée une certaine considération dans le monde noble de Montreuil-sur-Mer. Le microscopique faubourg Saint-Germain de l’endroit songea à faire cesser la quarantaine de M. Madeleine, parent probable d’un évêque. M. Madeleine, s’aperçut de l’avancement qu’il obtenait à plus de révérences des vieilles femmes et à plus de sourires des jeunes. Un soir, une doyenne de ce petit grand monde-là, curieuse par droit d’ancienneté, se hasarda à lui demander : — Monsieur le maire est sans doute cousin du feu évêque de Digne ?

    Il dit : — Non, madame.

    Mais, reprit la douairière, vous en portez le deuil ? Il répondit : — C’est que dans ma jeunesse j’ai été laquais dans sa famille.

    Une remarque qu’on faisait encore, c’est que, chaque fois qu’il passait dans la ville un jeune savoyard courant le pays et cherchant des cheminées à ramoner, M. le maire le faisait appeler, lui demandait son nom, et lui donnait de l’argent. Les petits savoyards se le disaient et il en passait beaucoup.


     

    V

    VAGUES ÉCLAIRS À L’HORIZON


     

    Peu à peu, et avec le temps, toutes les oppositions étaient tombées. Il y avait eu d’abord contre M. Madeleine, sorte de loi que subissent toujours ceux qui s’élèvent, des noirceurs et des calomnies, puis ce ne fut plus que des méchancetés, puis ce ne fut plus que des malices, puis cela s’évanouit tout à fait ; le respect devint complet, unanime, cordial, et il arriva un moment, vers 1821, où ce mot ; monsieur le maire, fut prononcé à Montreuil-sur-Mer presque du même accent que ce mot : monseigneur l’évêque, était prononcé à Digne en 1815. On venait de dix lieues à la ronde consulter M, Madeleine. Il terminait les différends, il empêchait les procès, il réconciliait les ennemis. Chacun le prenait pour juge de son bon droit. Il semblait qu’il eût pour âme le livre de la loi naturelle. Ce fut comme une contagion de vénération qui, en six ou sept ans et de proche en proche, gagna tout le pays.

    Un seul homme, dans la ville et dans l’arrondissement, se déroba absolument à cette contagion, et, quoi que fît le père Madeleine, y demeura rebelle, comme si une sorte d’instinct, incorruptible et imperturbable, l’éveillait et l’inquiétait. Il semblerait en effet qu’il existe dans certains hommes un véritable instinct bestial, pur et intègre comme tout instinct, qui crée les antipathies et les sympathies, qui sépare fatalement une nature d’une autre nature, qui n’hésite pas, qui ne se trouble, ne se tait et ne se dément jamais, clair dans son obscurité, infaillible, impérieux, réfractaire à tous les conseils de l’intelligence et à tous les dissolvants de la raison, et qui, de quelque façon que les destinées soient faites, avertit secrètement l’homme-chien de la présence de l’homme-chat, et l’homme-renard de la présence de l’homme-lion.

    Souvent, quand M. Madeleine passait dans une rue, calme, affectueux, entouré des bénédictions de tous, il arrivait qu’un homme de haute taille, vêtu d’une redingote gris de fer, armé d’une grosse canne et coiffé d’un chapeau rabattu, se retournait brusquement derrière lui, et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, croisant les bras, secouant lentement la tête, et haussant sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure jusqu’à son nez, sorte de grimace significative qui pourrait se traduire par : — Mais qu’est-ce que c’est que cet homme-là? — Pour sûr je l’ai vu quelque part. — En tout cas, je ne suis toujours pas sa dupe.

    Ce personnage, grave d’une gravité presque menaçante, était de ceux qui, même rapidement entrevus, préoccupent l’observateur. Il se nommait Javert, et il était de la police.

    Il remplissait à Montreuil-sur-Mer les fonctions pénibles, mais utiles, d’inspecteur. Il n’avait pas vu les commencements de Madeleine. Javert devait le poste qu’il occupait à la protection de M. Chabouillet, le secrétaire du ministre d’état comte Anglès, alors préfet de police à Paris. Quand Javert était arrivé à Montreuil-sur-Mer, la fortune du grand manufacturier était déjà faite, et le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine.

    Certains officiers de police ont une physionomie à part et qui se complique d’un air de bassesse mêlé à un air d’autorité. Javert avait cette physionomie, moins la bassesse.

    Dans notre conviction, si les âmes étaient visibles aux yeux, on verrait distinctement cette chose étrange que chacun des individus de l’espèce humaine correspond à quelqu’une des espèces de la création animale ; et l’on pourrait reconnaître aisément cette vérité à peine entrevue par le penseur, que, depuis l’huître jusqu’à l’aigle, depuis le porc jusqu’au tigre, tous les animaux sont dans l’homme et que chacun d’eux est dans un homme. Quelquefois même plusieurs d’entre eux à la fois.

    Les animaux ne sont pas autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices, errantes devant nos yeux, les fantômes visibles de nos âmes. Dieu nous les montre pour nous faire réfléchir. Seulement, comme les animaux ne sont que des ombres, Dieu ne les a point faits éducables dans le sens complet du mot ; à quoi bon ? Au contraire, nos âmes étant des réalités et ayant une fin qui leur est propre, Dieu leur a donné l’intelligence, c’est-à-dire l’éducation possible. L’éducation sociale bien faite peut toujours tirer d’une âme, quelle qu’elle soit, l’utilité qu’elle contient.

    Ceci soit dit, bien entendu, au point de vue restreint de la vie terrestre apparente, et sans préjuger la question profonde de la personnalité antérieure ou ultérieure des êtres qui ne sont pas l’homme. Le moi visible n’autorise en aucune façon le penseur à nier le moi latent. Cette réserve faite, passons.

    Maintenant, si l’on admet un moment avec nous que dans tout homme il y a une des espèces animales de la création, il nous sera facile de dire ce que c’était que l’officier de paix Javert.

    Les paysans asturiens sont convaincus que dans toute portée de louve il y a un chien, lequel est tué par la mère, sans quoi en grandissant il dévorerait les autres petits.

    Donnez une face humaine à ce chien fils d’une louve, et ce sera Javert.

    Javert était né dans une prison d’une tireuse de cartes dont le mari était aux galères. En grandissant, il pensa qu’il était en dehors de la société et désespéra d’y rentrer jamais, Il remarqua que la société maintient irrémissiblement en dehors d’elle deux classes d’hommes, ceux qui l’attaquent et ceux qui la gardent ; il n’avait le choix qu’entre ces deux classes ; en même temps il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d’une inexprimable haine pour cette race de bohèmes dont il était. Il entra dans la police. Il y réussit. À quarante ans il était inspecteur.

    Il avait dans sa jeunesse été employé dans les chiourmes du midi.

    Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur ce mot face humaine que nous appliquions tout à l’heure à Javert.

    La face humaine de Javert consistait en un nez camard, avec deux profondes narines vers lesquelles montaient sur ses deux joues d’énormes favoris. On se sentait mal à l’aise la première fois qu’on voyait ces deux forêts et ces deux cavernes. Quand Javert riait, ce qui était rare et terrible, ses lèvres minces s’écartaient, et laissaient voir, non seulement ses dents, mais ses gencives, et il se faisait autour de son nez un plissement épaté et sauvage comme sur un mufle de bête fauve. Javert sérieux était un dogue ; lorsqu’il riait, c’était un tigre. Du reste, peu de crâne, beaucoup de mâchoire, les cheveux cachant le front et tombant sur les sourcils, entre les deux yeux un froncement central permanent comme une étoile de colère, le regard obscur, la bouche pincée et redoutable, l’air du commandement féroce.

    Cet homme était composé de deux sentiments très simples et relativement très bons, mais qu’il faisait presque mauvais à force de les exagérer, le respect de l’autorité, la haine de la rébellion; et à ses yeux le vol, le meurtre, tous les crimes, n’étaient que des formes de la rébellion. Il enveloppait dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans l’état, depuis le premier ministre jusqu’au garde champêtre. Il couvrait de mépris, d’aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n’admettait pas d’exceptions. D’une part il disait : — Le fonctionnaire ne peut se tromper ; le magistrat n’a jamais tort. — D’autre part il disait : — Ceux-ci sont irrémédiablement perdus. Rien de bon n’en peut sortir. — Il partageait pleinement l’opinion de ces esprits extrêmes qui attribuent à la loi humaine je ne sais quel pouvoir de faire ou, si l’on veut, de constater des démons, et qui mettent un Styx au bas de la société. Il était stoïque, sérieux, austère ; rêveur triste; humble et hautain comme les fanatiques. Son regard était une vrille, cela était froid et cela perçait. Toute sa vie tenait dans ces deux mots : veiller et surveiller. Il avait introduit la ligne droite dans ce qu’il y a de plus tortueux au monde ; il avait la conscience de son utilité, la religion de ses fonctions, et il était espion comme on est prêtre. Malheur à qui tombait sous sa main ! Il eût arrêté son père s’évadant du bagne et dénoncé sa mère en rupture de ban. Et il l’eût fait avec cette sorte de satisfaction intérieure que donne la vertu. Avec cela une vie de privations, l’isolement, l’abnégation, la chasteté, jamais une distraction. C’était le devoir implacable, la police comprise comme les Spartiates comprenaient Sparte, un guet impitoyable, une honnêteté farouche, un mouchard marmoréen, Brutus dans Vidocq.

    Toute la personne de Javert exprimait l’homme qui épie et qui se dérobe. L’école mystique de Joseph de Maistre, laquelle à cette époque assaisonnait de haute cosmogonie ce qu’on appelait les journaux ultras, n’eût pas manqué de dire que Javert était un symbole. On ne voyait pas son front qui disparaissait sous son chapeau, on ne voyait pas ses yeux qui se perdaient sous ses sourcils, on ne voyait pas son menton qui plongeait dans sa cravate, on ne voyait pas ses mains qui rentraient dans ses manches, on ne voyait pas sa canne qu’il portait sous sa redingote. Mais l’occasion venue, on voyait tout à coup sortir de toute cette ombre, comme d’une embuscade, un front anguleux et étroit, un regard funeste, un menton menaçant, des mains énormes, et un gourdin monstrueux.

    À ses moments de loisirs, qui étaient peu fréquents, tout en haïssant les livres, il lisait ; ce qui fait qu’il n’était pas complètement illettré. Cela se reconnaissait à quelque emphase dans sa parole.

    Il n’avait aucun vice, nous l’avons dit. Quand il était content de lui, il s’accordait une prise de tabac. Il tenait à l’humanité par là.

    On comprendra sans peine que Javert était l’effroi de toute cette classe que la statistique annuelle du ministère de la justice désigne sous la rubrique : Gens sans aveu. Le nom de Javert prononcé les mettait en déroute ; la face de Javert apparaissant les pétrifiait.

    Tel était cet homme formidable.

    Javert était comme un œil toujours fixé sur M. Madeleine. Œil plein de soupçon et de conjectures. M. Madeleine avait fini par s’en apercevoir, mais il sembla que cela fût insignifiant pour lui. Il ne fit pas même une question à Javert, il ne le cherchait ni ne l’évitait, il portait sans paraître y faire attention, ce regard gênant et presque pesant. Il traitait Javert comme tout le monde, avec aisance et bonté.

    À quelques paroles échappées à Javert, on devinait qu’il avait recherché secrètement, avec cette curiosité qui tient à la race et où il entre autant d’instinct que de volonté, toutes les traces antérieures que le père Madeleine avait pu laisser ailleurs. Il paraissait savoir, et il disait parfois à mots couverts, que quelqu’un avait pris certaines informations dans certains pays sur une certaine famille disparue. Une fois il lui arriva de dire, se parlant à lui-même : — Je crois que je le tiens ! — Puis il resta trois jours pensif sans prononcer une parole. Il paraît que le fil qu’il croyait tenir s’était rompu.

    Du reste, et ceci est le correctif nécessaire à ce que le sens de certains mots pourrait présenter de trop absolu, il ne peut y avoir rien de vraiment infaillible dans une créature humaine, et le propre de l’instinct est précisément de pouvoir être troublé, dépisté et dérouté, Sans quoi il serait supérieur à l’intelligence, et la bête se trouverait avoir une meilleure lumière que l’homme.

    Javert était évidemment quelque peu déconcerté par le complet naturel et la tranquillité de M. Madeleine.

    Un jour pourtant son étrange manière d’être parut faire impression sur M. Madeleine. Voici à quelle occasion.


     

    VI

    LE PÈRE FAUCHELEVENT


     

    M. Madeleine passait un matin dans une ruelle non pavée de Montreuil-sur-Mer. Il entendit du bruit et vit un groupe à quelque distance. Il y alla. Un vieux homme, nommé le père Fauchelevent, venait de tomber sous sa charrette dont le cheval s’était abattu.

    Ce Fauchelevent était un des rares ennemis qu’eût encore M. Madeleine à cette époque. Lorsque Madeleine était arrivé dans le pays, Fauchelevent, ancien tabellion et paysan presque lettré, avait un commerce qui commençait à aller mal. Fauchelevent avait vu ce simple ouvrier qui s’enrichissait, tandis que lui, maître, se ruinait. Cela l’avait rempli de jalousie, et il avait fait ce qu’il avait pu en toute occasion pour nuire à Madeleine, Puis la faillite était venue, et, vieux, n’ayant plus à lui qu’une charrette et un cheval, sans famille et sans enfants du reste, pour vivre il s’était fait charretier.

    Le cheval avait les deux cuisses cassées et ne pouvait se relever. Le vieillard était engagé entre les roues. La chute avait été tellement malheureuse que toute la voiture pesait sur sa poitrine. La charrette était assez lourdement chargée. Le père Fauchelevent poussait des râles lamentables. On avait essayé de le tirer, mais en vain. Un effort désordonné, une aide maladroite, une secousse à faux pouvaient l’achever. Il était impossible de le dégager autrement qu’en soulevant la voiture par dessous. Javert, qui était survenu au moment de l’accident, avait envoyé chercher un cric.

    M. Madeleine arriva. On s’écarta avec respect.

    À l’aide! criait le vieux Fauchelevent. Qui est ce qui est un bon enfant pour sauver le vieux ?

    M. Madeleine se tourna vers les assistants :

    A-t-on un cric ?

    On en est allé quérir un, répondit un paysan.

    Dans combien de temps l’aura-t-on ?

    On est allé au plus près, au lieu Flachot, où il y a un maréchal ; mais c’est égal, il faudra bien un bon quart d’heure.

    Un quart d’heure ! s’écria Madeleine.

    Il avait plu la veille, le sol était détrempé, la charrette s’enfonçait dans la terre à chaque instant et comprimait de plus en plus la poitrine du vieux charretier. Il était évident qu’avant cinq minutes il aurait les côtes brisées.

    Il est impossible d’attendre un quart d’heure, dit Madeleine aux paysans qui regardaient.

    Il faut bien !

    Mais il ne sera plus temps ! Vous ne voyez donc pas que la charrette s’enfonce ?

    Dame !

    Écoutez, reprit Madeleine, il y a encore assez de place sous la voiture pour qu’un homme s’y glisse et la soulève avec son dos. Rien qu’une demi-minute, et l’on tirera le pauvre homme. Y a-t-il quelqu’un qui ait des reins et du cœur ? Cinq louis d’or à gagner !

    Personne ne bougea dans le groupe.

    Dix louis, dit Madeleine.

    Les assistants baissaient les yeux. Un d’eux murmura : — Il faudrait être diablement fort. Et puis, on risque de se faire écraser !

    Allons ! recommença Madeleine, vingt louis !

    Même silence.

    Ce n’est pas la bonne volonté qui leur manque, dit une voix.

    M. Madeleine se retourna, et reconnut Javert. Il ne l’avait pas aperçu en arrivant.

    Javert continua :

    C’est la force. Il faudrait être un terrible homme pour faire la chose de lever une voiture comme cela sur son dos.

    Puis regardant fixement M. Madeleine, il poursuivit en appuyant sur chacun des mots qu’il prononçait :

    Monsieur Madeleine, je n’ai jamais connu qu’un seul homme capable de faire ce que vous demandez là.

    Madeleine tressaillit.

    Javert ajouta avec un air d’indifférence, mais sans quitter des yeux Madeleine :

    C’était un forçat.

    Ah ! dit Madeleine.

    Du bagne de Toulon.

    Madeleine devint pâle.

    Cependant la charrette continuait à s’enfoncer lentement. Le père Fauchelevent râlait et hurlait :

    J’étouffe ! Ça me brise les côtes ! Un cric ! quelque chose ! Ah !

    Madeleine regarda autour de lui :

    Il n’y a donc personne qui veuille gagner vingt louis et sauver la vie à ce pauvre vieux ?

    Aucun des assistants ne remua. Javert reprit :

    Je n’ai jamais connu qu’un homme qui pût remplacer un cric, c’était ce forçat.

    Ah ! voilà que ça m’écrase ! cria le vieillard.

    Madeleine leva la tête, rencontra l’œil de faucon de Javert toujours attaché sur lui, regarda les paysans immobiles, et sourit tristement. Puis, sans dire une parole, il tomba à genoux, et avant même que la foule eût eu le temps de jeter un cri, il était sous la voiture.

    Il y eut un affreux moment d’attente et de silence.

    On vit Madeleine presque à plat ventre sous ce poids effrayant essayer deux fois en vain de rapprocher ses coudes de ses genoux. On lui cria : — Père Madeleine ! retirez-vous de là ! — Le vieux Fauchelevent lui-même lui dit : — Monsieur Madeleine ! allez-vous-en ! C’est qu’il faut que je meure, voyez-vous ! Laissez-moi ! Vous allez vous faire écraser aussi ! — Madeleine ne répondit pas.

    Les assistants haletaient. Les roues avaient continué de s’enfoncer, et il était déjà devenu presque impossible que Madeleine sortît de dessous la voiture.

    Tout à coup on vit l’énorme masse s’ébranler, la charrette se soulevait lentement, les roues sortaient à demi de l’ornière. On entendit une voix étouffée qui criait : Dépêchez-vous ! aidez ! C’était Madeleine qui venait de faire un dernier effort.

    Ils se précipitèrent. Le dévouement d’un seul avait donné de la force et du courage à tous. La charrette fut enlevée par vingt bras. Le vieux Fauchelevent était sauvé.

    Madeleine se releva. Il était blême, quoique ruisselant de sueur. Ses habits étaient déchirés et couverts de boue. Tous pleuraient. Le vieillard lui baisait les genoux et l’appelait le bon Dieu. Lui, il avait sur le visage je ne sais quelle expression de souffrance heureuse et céleste, et il fixait son œil tranquille sur Javert qui le regardait toujours.


     

    VII

    FAUCHELEVENT DEVIENT JARDINIER À PARIS


     

    Fauchelevent s’était démis la rotule dans sa chute. Le père Madeleine le fit transporter dans une infirmerie qu’il avait établie pour ses ouvriers dans le bâtiment même de sa fabrique et qui était desservie par deux sœurs de charité. Le lendemain matin, le vieillard trouva un billet de mille francs sur la table de nuit, avec ce mot de la main du père Madeleine : Je vous achète votre charrette et votre cheval. La charrette était brisée et le cheval était mort. Fauchelevent guérit, mais son genou resta ankylosé. M. Madeleine, par les recommandations des sœurs et de son curé, fit placer le bonhomme comme jardinier dans un couvent de femmes du quartier Saint-Antoine à Paris.

    Quelque temps après, M. Madeleine fut nommé maire, La première fois que Javert vit M. Madeleine revêtu de l’écharpe qui lui donnait toute autorité sur la ville, il éprouva cette sorte de frémissement qu’éprouverait un dogue qui flairerait un loup sous les habits de son maître. À partir de ce moment, il l’évita le plus qu’il put. Quand les besoins du service l’exigeaient impérieusement et qu’il ne pouvait faire autrement que de se trouver avec M. le maire, il lui parlait avec un respect profond.

    Cette prospérité créée à Montreuil-sur-Mer par le père Madeleine avait, outre les signes visibles que nous avons indiqués, un autre symptôme qui, pour n’être pas visible, n’était pas moins significatif. Ceci ne trompe jamais. Quand la population souffre, quand le travail manque, quand le commerce est nul, le contribuable résiste à l’impôt par pénurie, épuise et dépasse les délais, et l’état dépense beaucoup d’argent en frais de contrainte et de rentrée. Quand le travail abonde, quand le pays est heureux et riche, l’impôt se paye aisément et coûte peu à l’état. On peut dire que la misère et la richesse publiques ont un thermomètre infaillible, les frais de perception de l’impôt. En sept ans, les frais de perception de l’impôt s’étaient réduits des trois quarts dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, ce qui faisait fréquemment citer cet arrondissement entre tous par M. de Villèle, alors ministre des finances.

    Telle était la situation du pays, lorsque Fantine y revint. Personne ne se souvenait plus d’elle. Heureusement la porte de la fabrique de M. Madeleine était comme un visage ami. Elle s’y présenta, et fut admise dans l’atelier des femmes. Le métier était tout nouveau pour Fantine, elle n’y pouvait être bien adroite, elle ne tirait donc de sa journée de travail que peu de chose, mais enfin cela suffisait, le problème était résolu, elle gagnait sa vie.


     

    VIII

    MADAME VICTURNIEN DÉPENSE TRENTE-CINQ FRANCS POUR LA MORALE


     

    Quand Fantine vit qu’elle vivait, elle eut un moment de joie. Vivre honnêtement de son travail, quelle grâce du ciel ! Le goût du travail lui revint vraiment. Elle acheta un miroir, se réjouit d’y regarder sa jeunesse, ses beaux cheveux et ses belles dents, oublia beaucoup de choses, ne songea plus qu’à sa Cosette et à l’avenir possible, et fut presque heureuse. Elle loua une petite chambre et la meubla à crédit sur son travail futur ; reste de ses habitudes de désordre.

    Ne pouvant pas dire qu’elle était mariée, elle s’était bien gardée, comme nous l’avons déjà fait entrevoir, de parler de sa petite fille.

    En ces commencements, on l’a vu, elle payait exactement les Thénardier. Comme elle ne savait que signer, elle était obligée de leur écrire par un écrivain public.

    Elle écrivait souvent. Cela fut remarqué. On commença à dire tout bas dans l’atelier des femmes que Fantine « écrivait des lettres » et qu’ « elle avait des allures ».

    Il n’y à rien de tel pour épier les actions des gens que ceux qu’elles ne regardent pas. — Pourquoi ce monsieur ne vient-il jamais qu’à la brune ? pourquoi monsieur un tel n’accroche-t-il jamais sa clef au clou le jeudi ? pourquoi prend-il toujours les petites rues ? pourquoi madame descend-elle toujours de son fiacre avant d’arriver à la maison ? pourquoi envoie-t-elle acheter un cahier de papier à lettres, quand elle en a « plein sa papeterie » ? etc., etc. — Il existe des êtres qui, pour connaître le mot de ces énigmes, lesquelles leur sont du reste parfaitement indifférentes, dépensent plus d’argent, prodiguent plus de temps, se donnent plus de peine qu’il n’en faudrait pour dix bonnes actions ; et cela gratuitement, pour le plaisir, sans être payés de la curiosité autrement que par la curiosité. Ils suivront celui-ci ou celle-là des jours entiers, feront faction des heures à des coins de rue, sous des portes d’allées, la nuit, par le froid et par la pluie, corrompront des commissionnaires, griseront des cochers de fiacre et des laquais, achèteront une femme de chambre, feront acquisition d’un portier. Pourquoi ? pour rien. Pur acharnement de voir, de savoir et de pénétrer. Pure démangeaison de dire. Et souvent ces secrets connus, ces mystères publiés, ces énigmes éclairées du grand jour, entraînent des catastrophes, des duels, des faillites, des familles ruinées, des existences brisées, à la grande joie de ceux qui ont « tout découvert » sans intérêt et par pur instinct. Chose triste.

    Certaines personnes sont méchantes uniquement par besoin de parler. Leur conversation, causerie dans le salon, bavardage dans l’antichambre, est comme ces cheminées qui usent vite le bois ; il leur faut beaucoup de combustible ; et le combustible, c’est le prochain.

    On observa donc Fantine,

    Avec cela, plus d’une était jalouse de ses cheveux blonds et de ses dents blanches.

    On constata que dans l’atelier, au milieu des autres, elle se détournait souvent pour essuyer une larme. C’étaient les moments où elle songeait à son enfant, peut-être aussi à l’homme qu’elle avait aimé.

    C’est un douloureux labeur que la rupture des sombres attaches du passé.

    On constata qu’elle écrivait, au moins deux fois par mois, toujours à la même adresse, et qu’elle affranchissait la lettre. On parvint à se procurer l’adresse : Monsieur, Monsieur Thénardier, aubergiste, à Montfermeil. On fit jaser au cabaret l’écrivain public, vieux bonhomme qui ne pouvait pas emplir son estomac de vin rouge sans vider sa poche aux secrets. Bref, on sut que Fantine avait un enfant. « Ce devait être une espèce de fille. » Il se trouva une commère qui fit le voyage de Montfermeil, parla aux Thénardier, et dit à son retour : Pour mes trente-cinq francs, j’en ai eu le cœur net. J’ai vu l’enfant !

    La commère qui fit cela était une gorgone appelée madame Victurnien, gardienne et portière de la vertu de tout le monde. Madame Victurnien avait cinquante-six ans, et doublait le masque de la laideur du masque de la vieillesse. Voix chevrotante, esprit capricant. Cette vieille femme avait été jeune, chose étonnante. Dans sa jeunesse, en plein 93, elle avait épousé un moine échappé du cloître en bonnet rouge et passé des bernardins aux jacobins. Elle était sêche, rêche, revêche, pointue, épineuse, presque venimeuse ; tout en se souvenant de son moine dont elle était veuve, et qui l’avait fort domptée et pliée. C’était une ortie où l’on voyait le froissement du froc. À la restauration, elle s’était faite bigote, et si énergiquement que les prêtres lui avaient pardonné son moine. Elle avait un petit bien qu’elle léguait bruyamment à une communauté religieuse. Elle était fort bien vue à l’évêché d’Arras. Cette madame Victurnien donc alla à Montfermeil et revint en disant : J’ai vu l’enfant.

    Tout cela prit du temps. Fantine était depuis plus d’un an à la fabrique, lorsqu’un matin la surveillante de l’atelier lui remit, de la part de M. le maire, cinquante francs, en lui disant qu’elle ne faisait plus partie de l’atelier et en l’engageant, de la part de M. le maire, à quitter le pays.

    C’était précisément dans ce même mois que les Thénardier, après avoir demandé douze francs au lieu de six, venaient d’exiger quinze francs au lieu de douze.

    Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s’en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette. Elle balbutia quelques mots suppliants. La surveillante lui signifia qu’elle eût à sortir sur-le-champ de l’atelier. Fantine n’était du reste qu’une ouvrière médiocre. Accablée de honte plus encore que de désespoir, elle quitta l’atelier et rentra dans sa chambre. Sa faute était donc maintenant connue de tous !

    Elle ne se sentit plus la force de dire un mot. On lui conseilla de voir M. le maire ; elle n’osa pas. M. le maire lui donnait cinquante francs, parce qu’il était bon, et la chassait, parce qu’il était juste. Elle plia sous cet arrêt.


     

    IX

    SUCCÈS DE MADAME VICTURNIEN


     

    La veuve du moine fut donc bonne à quelque chose.

    Du reste ; M. Madeleine n’avait rien su de tout cela. Ce sont là de ces combinaisons d’événements dont la vie est pleine. M. Madeleine avait pour habitude de n’entrer presque jamais dans l’atelier des femmes. Il avait mis à la tête de cet atelier une vieille fille que le curé lui avait donnée, et il avait toute confiance dans cette surveillante, personne vraiment respectable, ferme, équitable, intègre, remplie de la charité qui consiste à donner, mais n’ayant pas au même degré la charité qui consiste à comprendre et à pardonner. M. Madeleine se remettait de tout sur elle. Les meilleurs hommes sont souvent forcés de déléguer leur autorité. C’est dans cette pleine puissance et avec la conviction qu’elle faisait bien, que la surveillante avait instruit le procès, jugé, condamné et exécuté Fantine.

    Quant aux cinquante francs, elle les avait donnés sur une somme que M. Madeleine lui confiait pour aumônes et secours aux ouvrières et dont elle ne rendait pas compte.

    Fantine s’offrit comme servante dans le pays ; elle alla d’une maison à l’autre. Personne ne voulut d’elle. Elle n’avait pu quitter la ville. Le marchand fripier auquel elle devait ses meubles, quels meubles ! lui avait dit : Si vous vous en allez, je vous fais arrêter comme voleuse. Le propriétaire auquel elle devait son loyer, lui avait dit : Vous êtes jeune et jolie, vous pouvez payer. Elle partagea les cinquante francs entre le propriétaire et le fripier, rendit au marchand les trois quarts de son mobilier, ne garda que le nécessaire, et se trouva sans travail, sans état, n’ayant plus que son lit, et devant encore environ cent francs.

    Elle se mit à coudre de grosses chemises pour les soldats de la garnison, et gagnait douze sous par jour. Sa fille lui en coûtait dix. C’est en ce moment qu’elle commença à mal payer les Thénardier.

    Cependant une vieille femme qui lui allumait sa chandelle quand elle rentrait le soir, lui enseigna l’art de vivre dans la misère. Derrière vivre de peu, il y a vivre de rien. Ce sont deux chambres ; la première est obscure, la seconde est noire.

    Fantine apprit comment on se passe tout à fait de feu en hiver, comment on renonce à un oiseau qui vous mange un liard de millet tous les deux jours, comment on fait de son jupon sa couverture et de sa couverture son jupon, comment on ménage sa chandelle en prenant son repas à la lumière de la fenêtre d’en face. On ne sait pas tout ce que certains êtres faibles, qui ont vieilli dans le dénûment et l’honnêteté, savent tirer d’un sou. Cela finit par être un talent. Fantine acquit ce sublime talent et reprit un peu de courage.

    À celle époque, elle disait à une voisine : — Bah ! je me dis : en ne dormant que cinq heures et en travaillant tout le reste à mes coutures, je parviendrai bien toujours à gagner à peu près du pain. Et puis, quand on est triste, on mange moins. Eh bien ! des souffrances, des inquiétudes, un, peu de pain d’un côté, des chagrins de l’autre, tout cela me nourrira.

    Dans cette détresse, avoir sa petite fille eût été un étrange bonheur. Elle songea à la faire venir. Mais quoi ! lui faire partager son dénûment ! Et puis, elle devait aux Thénardier ! comment s’acquitter ? Et le voyage ! comment le payer ?

    La vieille qui lui avait donné ce qu’on pourrait appeler des leçons de vie indigente, était une sainte fille nommée Marguerite, dévote de la bonne dévotion, pauvre, et charitable pour les pauvres et même pour les riches, sachant tout juste assez écrire pour signer Margeritte, et croyant en Dieu, ce qui est la science.

    Il y a beaucoup de ces vertus-là en bas ; un jour elles seront en haut. Cette vie a un lendemain.

    Dans les premiers temps, Fantine avait été si honteuse qu’elle n’avait pas osé sortir.

    Quand elle était dans la rue, elle devinait qu’on se retournait derrière elle et qu’on la montrait du doigt ; tout le monde la regardait et personne ne la saluait ; le mépris âcre et froid des passants lui pénétrait dans la chair et dans l’âme comme une bise.

    Dans les petites villes, il semble qu’une malheureuse soit nue sous le sarcasme et la curiosité de tous. À Paris, du moins, personne ne vous connaît, et cette obscurité est un vêtement. Oh ! comme elle eût souhaité venir à Paris ! Impossible.

    Il fallut bien s’accoutumer à la déconsidération, comme elle s’était accoutumée à l’indigence. Peu à peu elle en prit son parti. Après deux ou trois mois elle secoua la honte et se mit à sortir comme si de rien n’était. — Cela m’est bien égal, dit-elle. Elle alla et vint, la tête haute, avec un sourire amer, et sentit qu’elle devenait effrontée.

    Madame Victurnien quelquefois la voyait passer de sa fenêtre, remarquait la détresse de « cette créature », grâce à elle « remise à sa place », et se félicitait. Les méchants ont un bonheur noir.

    L’excès du travail fatiguait Fantine, et là petite toux sèche qu’elle avait augmenta. Elle disait quelquefois à sa voisine : — Tâtez donc comme mes mains sont chaudes.

    Cependant le matin, quand elle peignait avec un vieux peigne cassé ses beaux cheveux qui ruisselaient comme de la soie floche, elle avait une minute de coquetterie heureuse.


     

    X

    SUITE DU SUCCÈS


     

    Elle avait été congédiée vers la fin de l’hiver ; l’été se passa, mais l’hiver revint. Jours courts, moins de travail. L’hiver, point de chaleur, point de lumière, point de midi, le soir touche au matin, brouillard, crépuscule, la fenêtre est grise, on n’y voit pas clair. Le ciel est un soupirail. Toute la journée est une cave. Le soleil a l’air d’un pauvre. L’affreuse saison ! L’hiver change en pierre l’eau du ciel et le cœur de l’homme. Ses créanciers la harcelaient.

    Fantine gagnait trop peu. Ses dettes avaient grossi. Les Thénardier, mal payés, lui écrivaient à chaque instant des lettres dont le contenu la désolait et dont le port la ruinait. Un jour ils lui écrivirent que sa petite Cosette était toute nue par le froid qu’il faisait, qu’elle avait besoin d’une jupe de laine, et qu’il fallait au moins que la mère envoyât dix francs pour cela. Elle reçut la lettre et la froissa dans ses mains tout le jour. Le soir elle entra chez un barbier qui habitait le coin de la rue, et défit son peigne. Ses admirables cheveux blonds lui tombèrent jusqu’aux reins.

    Les beaux cheveux ! s’écria le barbier.

    Combien m’en donneriez-vous ? dit-elle.

    Dix francs.

    Coupez-les.

    Elle acheta une jupe de tricot et l’envoya aux Thénardier.

    Cette jupe fit les Thénardier furieux. C’était de l’argent qu’ils voulaient. Ils donnèrent la jupe à Éponine. La pauvre Alouette continua de frissonner.

    Fantine pensa : — Mon enfant n’a plus froid. Je l’ai habillée de mes cheveux. — Elle mettait de petits bonnets ronds qui cachaient sa tête tondue et avec lesquels elle était encore jolie.

    Un travail ténébreux se faisait dans le cœur de Fantine. Quand elle vit qu’elle ne pouvait plus se coiffer, elle commença à tout prendre en haine autour d’elle. Elle avait longtemps partagé la vénération de tous pour le père Madeleine ; cependant, à force de se répéter que c’était lui qui l’avait chassée, et qu’il était la cause de son malheur, elle en vint à le haïr lui aussi, lui surtout. Quand elle passait devant la fabrique aux heures où les ouvriers sont sur la porte, elle affectait de rire et de chanter.

    Une vieille ouvrière qui la vit une fois chanter et rire de cette façon dit : — Voilà une fille qui finira mal.

    Elle prit un amant, le premier venu, un homme qu’elle n’aimait pas, par bravade, avec la rage dans le cœur. C’était un misérable, une espèce de musicien mendiant, un oisif gueux, qui la battait, et qui la quitta comme elle l’avait pris, avec dégoût.

    Elle adorait son enfant.

    Plus elle descendait, plus tout devenait sombre autour d’elle, plus ce petit ange rayonnait dans le fond de son âme. Elle disait : Quand je serai riche, j’aurai ma Cosette avec moi ; et elle riait. La toux ne la quittait pas, et elle avait des sueurs dans le dos.

    Un jour elle reçut des Thénardier une lettre ainsi conçue : « Cosette est malade d’une maladie qui est dans le pays. Une fièvre miliaire, qu’ils appellent. Il faut des drogues chères. Cela nous ruine et nous ne pouvons plus payer. Si vous ne nous envoyez pas quarante francs avant huit jours, la petite est morte. »

    Elle se mit à rire aux éclats, et elle dit à sa vieille voisine : — Ah ! ils sont bons ! quarante francs ! que ça ! ça fait deux napoléons ! Où veulent-ils que je les prenne ? Sont-ils bêtes ces paysans !

    Cependant elle alla dans l’escalier près d’une lucarne et relut cette lettre. Puis elle descendit l’escalier et sortit en courant et en sautant, riant toujours.

    Quelqu’un qui la rencontra lui dit — Qu’est-ce que vous avez donc à être si gaie ?

    Elle répondit : — C’est une bonne bêtise que viennent de m’écrire des gens de la campagne. Ils me demandent quarante francs. Paysans, va !

    Comme elle passait sur la place, elle vit beaucoup de monde qui entourait une voiture de forme bizarre, sur l’impériale de laquelle pérorait tout debout un homme vêtu de rouge. C’était un bateleur dentiste en tournée, qui offrait au public des râteliers complets, des opiats, des poudres et des élixirs.

    Fantine se mêla au groupe et se mit à rire comme les autres de cette harangue où il y avait de l’argot pour la canaille et du jargon pour les gens comme il faut. L’arracheur de dents vit cette belle fille qui riait, et s’écria tout à coup : — Vous avez de jolies dents, la fille qui riez là. Si vous voulez me vendre vos deux palettes, je vous donne de chaque un napoléon d’or.

    Qu’est-ce que c’est que ça, mes palettes ? demanda Fantine.

    Les palettes, reprit le professeur dentiste, c’est les dents de devant, les deux d’en haut.

    Quelle horreur ! s’écria Fantine,

    Deux napoléons ! grommela une vieille édentée qui était là. Qu’en voilà une qui est heureuse !

    Fantine s’enfuit et se boucha les oreilles pour ne pas entendre la voix enrouée de l’homme qui lui criait : — Ré fléchissez, la belle ! deux napoléons, ça peut servir. Si le cœur vous en dit, venez ce soir à l’auberge du Tillac d’argent, vous m’y trouverez.

    Fantine rentra, elle était furieuse et conta la chose à sa bonne voisine Marguerite : — Comprenez-vous ? ne voilà-t-il pas un abominable homme ? comment laisse-t-on des gens comme cela aller dans le pays ! M’arracher mes deux dents de devant ! mais je serais horrible ! Les cheveux repoussent, mais les dents ! Ah ! le monstre d’homme ! j’aimerais mieux me jeter d’un cinquième la tête la première sur le pavé ! Il m’a dit qu’il serait ce soir au Tillac d’argent.

    Et qu’est-ce qu’il offrait ? demanda Marguerite.

    Deux napoléons.

    Cela fait quarante francs.

    Oui, dit Fantine, cela fait quarante francs.

    Elle resta pensive, et se mit à son ouvrage. Au bout d’un quart d’heure, elle quitta sa couture et alla relire la lettre des Thénardier sur l’escalier.

    En rentrant, elle dit à Marguerite qui travaillait près d’elle :

    Qu’est-ce que c’est donc cela une fièvre miliaire ? Savez-vous ?

    Oui, répondit la vieille fille, c’est une maladie.

    Ça a donc besoin de beaucoup de drogues ?

    Oh ! des drogues terribles.

    Où ça vous prend-il ?

    C’est une maladie qu’on a comme ça.

    Cela attaque donc les enfants ?

    Surtout les enfants.

    Est-ce qu’on en meurt ?

    Très bien, dit Marguerite.

    Fantine sortit et alla encore une fois relire la lettre sur l’escalier.

    Le soir elle descendit et on là vit qui se dirigeait du côté de la rue de Paris où sont les auberges.

    Le lendemain matin, comme Marguerite entrait dans la chambre de Fantine avant le jour, car elles travaillaient toujours ensemble et de cette façon n’allumaient qu’une chandelle pour deux, elle trouva Fantine assise sur son fil, pâle, glacée. Elle ne s’était pas couchée. Son bonnet était tombé sur ses genoux. La chandelle avait brûlé toute la nuit et était presque entièrement consumée.

    Marguerite s’arrêta sur le seuil, pétrifiée de cet énorme désordre, et s’écria :

    Seigneur ! la chandelle qui est toute brûlée ! il s’est passé des événements !

    Puis elle regarda Fantine qui tournait vers elle sa tête sans cheveux.

    Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans,

    Jésus ! fit Marguerite, qu’est-ce que vous avez, Fantine ?

    Je n’ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente.

    En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons qui brillaient sur la table.

    Ah, Jésus Dieu ! dit Marguerite. Mais c’est une fortune ! Où avez-vous eu ces louis d’or ?

    Je les ai eus, répondit Fantine.

    En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C’était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.

    Les deux dents étaient arrachées.

    Elle envoya les quarante francs à Montfermeil.

    Du reste c’était une ruse des Thénardier pour avoir de l’argent. Cosette n’était pas malade.

    Fantine jeta son miroir par la fenêtre. Depuis longtemps elle avait quitté sa cellule du second pour une mansarde fermée d’un loquet sous le toit ; un de ces galetas dont le plafond fait angle avec le plancher et vous heurte à chaque instant la tête. Le pauvre ne peut aller au fond de sa chambre comme au fond de sa destinée qu’en se courbant de plus en plus. Elle n’avait plus de lit, il lui restait une loque qu’elle appelait sa couverture, un matelas à terre et une chaise dépaillée. Un petit rosier qu’elle avait s’était desséché dans un coin, oublié. Dans l’autre coin, il y avait un pot à beurre à mettre l’eau, qui gelait l’hiver, et où les différents niveaux de l’eau restaient longtemps marqués par des cercles de glace. Elle avait perdu la honte, elle perdit la coquetterie. Dernier signe. Elle sortait avec des bonnets sales. Soit faute de temps, soit indifférence, elle ne raccommodait plus son linge. À mesure que les talons s’usaient, elle tirait ses bas dans ses souliers. Cela se voyait à de certains plis perpendiculaires. Elle rapiéçait son corset, vieux et usé, avec des morceaux de calicot qui se déchiraient au moindre mouvement. Les gens auxquels elle devait lui fai saient « des scènes », et ne lui laissaient aucun repos. Elle les trouvait dans la rue, elle les retrouvait dans son escalier. Elle passait des nuits à pleurer et à songer. Elle avait les yeux très brillants, et elle sentait une douleur fixe dans l’épaule, vers le haut de l’omoplate gauche. Elle toussait beaucoup. Elle haïssait profondément le père Madeleine, et ne se plaignait pas. Elle cousait dix-sept heures par jour ; mais un entrepreneur du travail des prisons qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu, coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite ; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait. — Cent francs, songea Fantine. Mais où y a-t-il un état à gagner cent sous par jour ?

    Allons! dit-elle, vendons le reste.

    L’infortunée se fit fille publique.


     

    XI

    CHRISTUS NOS LIBERAVIT


     

    Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? C’est la société achetant une esclave.

    À qui ? À la misère.

    À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte.

    La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore. On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.

    Il pèse sur la femme, c’est-à-dire sur la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité. Ceci n’est pas une des moindres hontes de l’homme.

    Au point de ce douloureux drame où nous sommes arrivés, il ne reste plus rien à Fantine de ce qu’elle a été autrefois. Elle est devenue marbre en devenant boue. Qui la touche a froid. Elle passe, elle vous subit, et elle vous ignore ; elle est la figure déshonorée et sévère. La vie et l’ordre social lui ont dit leur dernier mot. Il lui est arrivé tout ce qui lui arrivera. Elle a tout ressenti, tout supporté, tout éprouvé, tout souffert, tout perdu, tout pleuré. Elle est résignée de cette résignation qui ressemble à l’indifférence comme la mort ressemble au sommeil. Elle n’évite plus rien. Elle ne craint plus rien. Tombe sur elle toute la nuée et passe sur elle tout l’océan ! que lui importe ! c’est une éponge imbibée.

    Elle le croit du moins, mais c’est une erreur de s’imaginer qu’on épuise le sort et qu’on touche le fond de quoi que ce soit.

    Hélas ! qu’est-ce que toutes ces destinées ainsi poussées pêle-mêle ? où vont-elles ? pourquoi sont-elles ainsi ?

    Celui qui sait cela voit toute l’ombre.

    Il est seul. Il s’appelle Dieu.


     

    XII

    LE DÉSŒUVREMENT DE M. BAMATABOIS


     

    Il y a dans toutes les petites villes, et il y avait à Montreuil-sur-Mer en particulier, une classe de jeunes gens qui grignotent quinze cents livres de rente en province du même air dont leurs pareils dévorent à Paris deux cent mille francs par an. Ce sont des êtres de la grande espèce neutre ; hongres, parasites, nuls, qui ont un peu de terre, un peu de sottise et un peu d’esprit, qui seraient des rustres dans un salon et se croient des gentilshommes au cabaret, qui disent : mes prés, mes bois, mes paysans, sifflent les actrices du théâtre pour prouver que ce sont des gens de goût, querellent les officiers de la garnison pour montrer qu’ils sont gens de guerre, chassent, fument, bâillent, boivent, sentent le tabac, jouent au billard, regardent les voyageurs descendre de diligence, vivent au café, dînent à l’auberge, ont un chien qui mange les os sous la table et une maîtresse qui pose les plats dessus, tiennent à un sou, exagèrent les modes, admirent la tragédie, méprisent les femmes, usent leurs vieilles bottes, copient Londres à travers Paris et Paris à travers Pont-à-Mousson, vieillissent hébétés, ne travaillent pas, ne servent à rien, et ne nuisent pas à grand’chose.

    M. Félix Tholomyès, resté dans sa province et n’ayant jamais vu Paris, serait un de ces hommes-là.

    S’ils étaient plus riches, on dirait : ce sont des élégants ; s’ils étaient plus pauvres, on dirait : ce sont des fainéants. Ce sont tout simplement des désœuvrés. Parmi ces désœuvrés, il y a des ennuyeux, des ennuyés, des rêvasseurs et quelques drôles.

    Dans ce temps-là, un élégant se composait d’un grand col, d’une grande cravate, d’une montre à breloques, de trois gilets superposés de couleur différentes, le bleu et le rouge en dedans, d’un habit couleur olive à taille courte, à queue de morue, à double rangée de boutons d’argent serrés les uns contre les autres et montant jusque sur l’épaule, et d’un pantalon olive plus clair, orné sur les deux coulures d’un nombre de côtes indéterminé, mais toujours impair, variant de une à onze, limite qui n’était jamais franchie. Ajoutez à cela des souliers-bottes avec de petits fers au talon, un chapeau à haute forme et à bords étroits, des cheveux en touffe, une énorme canne, et une conversation rehaussée des calembours de Potier. Sur le tout des éperons et des moustaches. À cette époque, des moustaches voulaient dire bourgeois et des éperons voulaient dire piéton.

    L’élégant de province portait les éperons plus longs et les moustaches plus farouches.

    C’était le temps de la lutte des républiques de l’Amérique méridionale contre le roi d’Espagne, de Bolivar contre Mo rillo. Les chapeaux à petits bords étaient royalistes et se nommaient des morillos ; les libéraux portaient des chapeaux à larges bords qui s’appelaient des bolivars.

    Huit ou dix mois donc après ce qui a été raconté dans les pages précédentes, vers les premiers jours de janvier 1823, un soir qu’il avait neigé, un de ces élégants, un de ces désœuvrés, un « bien pensant », car il avait un morillo, de plus chaudement enveloppé d’un de ces grands manteaux qui complétaient dans les temps froids le costume à la mode, se divertissait à harceler une créature qui rôdait en robe de bal et toute décolletée avec des fleurs sur la tête devant la vitre du café des officiers. Cet élégant fumait, car c’était décidément la mode.

    Chaque fois que celle femme passait devant lui, il lui jetait, avec une bouffée de la fumée de son cigare, quelque apostrophe qu’il croyait spirituelle et gaie, comme : — Que tu es laide ! — Veux-tu te cacher ! — Tu n’as pas de dents ! etc., etc. — Ce monsieur s’appelait monsieur Bamatabois. La femme, triste spectre paré qui allait et venait sur la neige, ne lui répondait pas, ne le regardait même pas, et n’en accomplissait pas moins en silence et avec une régularité sombre sa promenade qui la ramenait de cinq minutes en cinq minutes sous le sarcasme, comme le soldat condamné qui revient sous les verges. Ce peu d’effet piqua sans doute l’oisif qui, profitant d’un moment où elle se retournait, s’avança derrière elle à pas de loup et en étouffant son rire, se baissa, prit sur le pavé une poignée de neige et la lui plongea brusquement dans le dos entre ses deux épaules nues. La fille poussa un rugissement, se tourna, bondit comme une panthère, et se rua sur l’homme, lui enfonçant ses ongles dans le visage, avec les plus effroyables paroles qui puissent tomber du corps de garde dans le ruisseau. Ces injures, vomies d’une voix enrouée par l’eau-de-vie, sortaient hideusement d’une bouche à laquelle manquaient en effet les deux dents de devant. C’était la Fantine.

    Au bruit que cela fit, les officiers sortirent en foule du café, les passants s’amassèrent, et il se forma un grand cercle riant, huant et applaudissant, autour de ce tourbillon composé de deux êtres où l’on avait peine à reconnaître un homme et une femme, l’homme se débattant, son chapeau à terre, la femme frappant des pieds et des poings, décoiffée, hurlant, sans dents et sans cheveux, livide de colère, horrible.

    Tout à coup un homme de haute taille sortit vivement de la foule, saisit la femme à son corsage de satin couvert de boue, et lui dit : — Suis moi !

    La femme leva la tête; sa voix furieuse s’éteignit subitement, Ses yeux étaient vitreux, de livide elle était devenue pâle, et elle tremblait d’un tremblement de terreur. Elle avait reconnu Javert.

    L’élégant avait profité de l’incident pour s’esquiver.


     

    XIII

    SOLUTION DE QUELQUES QUESTIONS DE POLICE MUNICIPALE


     

    Javert écarta les assistants, rompit le cercle et se mit à marcher à grands pas vers le bureau de police qui est à l’extrémité de la place, traînant après lui la misérable. Elle se laissait faire machinalement. Ni lui, ni elle ne disaient un mot. La nuée des spectateurs, au paroxysme de la joie, suivait avec des quolibets. La suprême misère, occasion d’obscénités.

    Arrivé au bureau de police qui était une salle basse chauffée par un poêle et gardée par un poste, avec une porte vitrée et grillée sur la rue, Javert ouvrit la porte, entra avec la Fantine, et referma la porte derrière lui, au grand désappointement des curieux qui se haussèrent sur la pointe du pied et allongèrent le cou devant la vitre trouble du corps de garde, cherchant à voir. La curiosité est une gourmandise. Voir, c’est dévorer.

    En entrant, la Fantine alla tomber dans un coin, immobile et muette, accroupie comme une chienne qui a peur.

    Le sergent du poste apporta une chandelle allumée sur une table. Javert s’assit, tira de sa poche une feuille de papier timbré et se mit à écrire.

    Ces classes de femmes sont entièrement remises par nos lois à la discrétion de la police. Elle en fait ce qu’elle veut, les punit comme bon lui semble, et confisque à son gré ces deux tristes choses qu’elles appellent leur industrie et leur liberté. Javert était impassible ; son visage sérieux ne trahissait aucune émotion. Pourtant il était gravement et profondément préoccupé. C’était un de ces moments où il exerçait sans contrôle, mais avec tous les scrupules d’une conscience sévère, son redoutable pouvoir discrétionnaire. En cet instant, il le sentait, son escabeau d’agent de police était un tribunal. Il jugeait. Il jugeait et il condamnait. Il appelait tout ce qu’il pouvait avoir d’idées dans l’esprit autour de la grande chose qu’il faisait. Plus il examinait le fait de cette fille, plus il se sentait révolté. Il était évident qu’il venait de voir commettre un crime. Il venait de voir, là dans la rue, la société, représentée par un propriétaire- électeur, insultée et attaquée par une créature en dehors de tout. Une prostituée avait attenté à un bourgeois. Il avait vu cela, lui Javert. Il écrivait en silence.

    Quand il eut fini, il signa, plia le papier et dit au sergent du poste, en le lui remettant : — Prenez trois hommes, et menez celle fille au bloc. — Puis se tournant vers la Fantine : — Tu en as pour six mois.

    La malheureuse tressaillit.

    Six mois ! six mois de prison ! cria-t-elle. Six mois à gagner sept sous par jour ! Mais que deviendra Cosette ? ma ma fille ! ma fille ! Mais je dois encore plus de cent francs aux Thénardier, monsieur l’inspecteur, savez-vous cela ?

    Elle se traîna sur la dalle mouillée par les bottes boueuses de tous ces hommes, sans se lever, joignant les mains, faisant de grands pas avec ses genoux.

    Monsieur Javert, dit-elle, je vous demande grâce. Je vous assure que je n’ai pas eu tort. Si vous aviez vu le commencement, vous auriez vu ! je vous jure le bon Dieu que je n’ai pas eu tort. C’est ce monsieur le bourgeois que je ne connais pas qui m’a mis de la neige dans le dos. Est-ce qu’on a le droit de nous mettre de la neige dans le dos quand nous passons comme cela tranquillement sans faire de mal à personne ? Cela m’a saisie. Je suis un peu malade, voyez-vous ! Et puis il y avait déjà un peu de temps qu’il me disait des raisons. Tu es laide ! tu n’as pas de dents ! Je ne faisais rien, moi ; je disais : c’est un monsieur qui s’amuse. J’étais honnête avec lui, je ne lui parlais pas. C’est à cet instant-là qu’il m’a mis de la neige. Monsieur Javert, mon bon monsieur l’inspecteur ! est-ce qu’il n’y a personne là qui ait vu, pour vous dire que c’est bien vrai ! J’ai peut-être eu tort de me fâcher. Vous savez, dans le premier moment, on n’est pas maître. On a des vivacités. Et puis, quelque chose de si froid qu’on vous met dans le dos à l’heure que vous ne vous y attendez pas. J’ai eu tort d’abîmer le chapeau de ce monsieur. Pourquoi s’est-il en allé ? je lui demanderais pardon. Oh ! mon Dieu, cela me serait bien égal de lui demander pardon. Faites-moi grâce pour aujourd’hui cette fois, monsieur Javert. Tenez, vous ne savez pas ça, dans les prisons on ne gagne que sept sous, ce n’est pas la faute du gouvernement, mais on gagne sept sous, et figurez-vous que j’ai cent francs à payer, ou autrement on me renverra ma petite. Ô mon Dieu ! je ne peux pas l’avoir avec moi. C’est si vilain ce que je fais ! Ô ma Cosette, ô mon petit ange de la bonne sainte vierge, qu’est-ce qu’elle deviendra, pauvre loup ! Je vais vous dire, c’est les Thénardier, des aubergistes, des paysans, ça n’a pas de raisonnement. Il leur faut de l’argent. Ne me mettez pas en prison ! Voyez-vous, c’est une petite qu’on mettrait à même sur la grande route, va comme tu pourras, en plein cœur d’hiver, il faut avoir pitié de cette chose-là, mon bon monsieur Javert. Si c’était plus grand, ça gagnerait sa vie, mais ça ne peut pas, à ces âges-là. Je ne suis pas une mauvaise femme au fond. Ce n’est pas la lâcheté et la gourmandise qui ont fait de moi ça. J’ai bu de l’eau-de-vie, c’est par misère. Je ne l’aime pas, mais cela étourdit. Quand j’étais plus heureuse, on n’aurait eu qu’à regarder dans mes armoires, on aurait bien vu que je n’étais pas une femme coquette qui a du désordre. J’avais du linge, beaucoup de linge. Ayez pitié de moi, monsieur Javert !

    Elle parlait ainsi, brisée en deux, secouée par les sanglots, aveuglée par les larmes, la gorge nue, se tordant les mains, toussant d’une voix sèche et courte, balbutiant tout doucement avec la voix de l’agonie. La grande douleur est un rayon divin et terrible qui transfigure les misérables. À ce moment-là, la Fantine était redevenue belle. À de certains instants, elle s’arrêtait et baisait tendrement le bas de la redingote du mouchard. Elle eût attendri un cœur de granit ; mais on n’attendrit pas un cœur de bois.

    Allons ! dit Javert, je t’ai écoutée. As-tu bien tout dit ? Marche à présent ! Tu as les six mois ; le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien.

    À cette solennelle parole, le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien, elle comprit que l’arrêt était prononcé. Elle s’affaissa sur elle-même en murmurant :

    Grâce !

    Javert tourna le dos.

    Les soldats la saisirent par le bras.

    Depuis quelques minutes, un homme était entré sans qu’on eût pris garde à lui. Il avait refermé la porte, s’y était adossé, et avait entendu les prières désespérées de la Fantine.

    Au moment où les soldats mirent la main sur la malheureuse, qui ne voulait pas se lever, il fit un pas, sortit de l’ombre, et dit :

    Un instant, s’il vous plaît !

    Javert leva les yeux et reconnut M. Madeleine. Il ôta son chapeau, et saluant avec une sorte de gaucherie fâchée :

    Pardon, monsieur le maire...

    Ce mot, monsieur le maire, fit sur Fantine un effet étrange. Elle se dressa debout tout d’une pièce comme un spectre qui sort de terre, repoussa les soldats des deux bras, marcha droit à M. Madeleine avant qu’on eût pu la retenir, et le regardant fixement, l’air égaré, elle cria :

    Ah ! c’est donc toi qui es monsieur le maire !

    Puis elle éclata de rire et lui cracha au visage.

    M. Madeleine s’essuya le visage, et dit :

    Inspecteur Javert, mettez cette femme en liberté.

    Javert se sentit au moment de devenir fou. Il éprouvait en cet instant, coup sur coup, et presque mêlées ensemble, les plus violentes émotions qu’il eût ressenties de sa vie. Voir une fille publique cracher au visage d’un maire, cela était une chose si monstrueuse que, dans ses suppositions les plus effroyables, il eût regardé comme un sacrilège de le croire possible. D’un autre côté, dans le fond de sa pensée, il faisait confusément un rapprochement hideux entre ce qu’était cette femme et ce que pouvait être ce maire, et alors il entrevoyait avec horreur je ne sais quoi de tout simple dans ce prodigieux attentat. Mais quand il vit ce maire, ce magistrat, s’essuyer tranquillement le visage et dire : Mettez cette femme en liberté, il eut comme un éblouissement de stupeur ; la pensée et la parole lui manquèrent également ; la somme de l’étonnement possible était dépassée pour lui. Il resta muet.

    Ce mot n’avait pas porté un coup moins étrange à la Fantine. Elle leva son bras nu et se cramponna à la clef du poêle comme une personne qui chancelle. Cependant elle regardait tout autour d’elle et elle se mit à parler à voix basse, comme si elle se parlait à elle-même.

    En liberté ! qu’on me laisse aller ! que je n’aille pas en prison six mois ! Qui est-ce qui a dit cela ? Il n’est pas possible qu’on ait dit cela. J’ai mal entendu. Ça ne peut pas être ce monstre de maire ! Est-ce que c’est vous, mon bon monsieur Javert, qui avez dit qu’on me mette en liberté ? Oh ! voyez-vous ! je vais vous dire et vous me laisserez aller. Ce monstre de maire, ce vieux gredin de maire, c’est lui qui est cause de tout. Figurez-vous, monsieur Javert, qu’il m’a chassée ! à cause d’un tas de gueuses qui tiennent des propos dans l’atelier. Si ce n’est pas là une horreur ! renvoyer une pauvre fille qui fait honnêtement son ouvrage ! Alors je n’ai plus gagné assez, et tout le malheur est venu. D’abord il y a une amélioration que ces messieurs de la police devraient bien faire, ce serait d’empêcher les entrepreneurs des prisons de faire du tort aux pauvres gens. Je vais vous expliquer cela, voyez-vous. Vous gagnez douze sous dans les chemises, cela tombe à neuf sous, il n’y a plus moyen de vivre. Il faut donc devenir ce qu’on peut. Moi, j’avais ma petite Cosette, j’ai bien été forcée de devenir une mauvaise femme. Vous comprenez à présent que c’est ce gueux de maire qui a fait tout le mal. Après cela j’ai piétiné le chapeau de ce monsieur bourgeois devant le café des officiers. Mais lui, il m’avait perdu toute ma robe avec de la neige. Nous autres, nous n’avons qu’une robe de soie, pour le soir. Voyez-vous, je n’ai jamais fait de mal exprès, vrai, monsieur Javert, et je vois partout des femmes bien plus méchantes que moi qui sont bien plus heureuses. Ô monsieur Javert, c’est vous qui avez dit qu’on me mette dehors, n’est-ce pas ? Prenez des informations, parlez à mon propriétaire, maintenant je paye mon terme, on vous dira bien que je suis honnête. Ah ! mon Dieu, je vous demande pardon, j’ai touché, sans faire attention, à la clef du poêle, et cela fait fumer.

    M. Madeleine l’écoutait avec une attention profonde. Pendant qu’elle parlait, il avait fouillé dans son gilet, en avait tiré sa bourse et l’avait ouverte, Elle était vide. Il l’avait remise dans sa poche. Il dit à la Fantine :

    Combien avez-vous dit que vous deviez ?

    La Fantine, qui ne regardait que Javert, se retourna de son côté :

    Est-ce que je te parle, à toi !

    Puis s’adressant aux soldats :

    Dites donc, vous autres ? avez-vous vu comme je te vous lui ai craché à la figure ? Ah ! vieux scélérat de maire, tu viens ici pour me faire peur, mais je n’ai pas peur de toi. J’ai peur de monsieur Javert. J’ai peur de mon bon monsieur Javert !

    En parlant ainsi elle se retourna vers l’inspecteur :

    Avec ça, voyez-vous, monsieur l’inspecteur, il faut être juste. Je comprends que vous êtes juste, monsieur l’inspecteur. Au fait, c’est tout simple, un homme qui joue à mettre un peu de neige dans le dos d’une femme, ça les faisait rire, les officiers ; il faut bien qu’on se divertisse à quelque chose, nous autres nous sommes là pour qu’on s’amuse, quoi ! Et puis, vous, vous venez, vous êtes bien forcé de mettre l’ordre, vous emmenez la femme qui a tort, mais en y réfléchissant, comme vous êtes bon, vous dites qu’on me mette en liberté, c’est pour la petite, parce que six mois en prison, cela m’empêcherait de nourrir mon enfant. Seulement n’y reviens plus, coquine ! Oh ! je n’y reviendrai plus, monsieur Javert ! on me fera tout ce qu’on voudra maintenant, je ne bougerai plus. Seulement, aujourd’hui, voyez-vous, j’ai crié parce que cela m’a fait mal, je ne m’attendais pas du tout à cette neige de ce monsieur ; et puis, je vous ai dit, je ne me porte pas très bien, je tousse, j’ai là dans l’estomac comme une boule qui me brûle, que le médecin me dit : soignez-vous. Tenez, tâtez, donnez votre main, n’ayez pas peur, c’est ici.

    Elle ne pleurait plus, sa voix était caressante, elle appuyait sur sa gorge blanche et délicate la grosse main rude de Javert et elle le regardait en souriant.

    Tout à coup elle rajusta vivement le désordre de ses vêtements, fit retomber les plis de sa robe qui en se traînant s’était relevée presque à la hauteur du genou, et marcha vers la porte en disant à demi-voix aux soldats avec un signe de tête amical :

    Les enfants, monsieur l’inspecteur a dit qu’on me lâche, je m’en vas.

    Elle mit la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue.

    Javert jusqu’à cet instant était resté debout, immobile, l’œil fixé à terre, posé de travers au milieu de cette scène comme une statue dérangée qui attend qu’on la mette quelque part.

    Le bruit que fit le loquet le réveilla. Il releva la tête avec une expression d’autorité souveraine, expression d’autant plus effrayante que le pouvoir se trouve placé plus bas, féroce chez la bête fauve, atroce chez l’homme de rien.

    Sergent ! cria-t-il, vous ne voyez pas que cette drôlesse s’en va ! Qui est-ce qui vous a dit de la laisser aller ?

    Moi, dit Madeleine.

    La Fantine à la voix de Javert avait tremblé et lâché le loquet comme un voleur pris lâche l’objet volé. À la voix de Madeleine, elle se retourna, et à partir de ce moment, sans qu’elle prononçât un mot, sans qu’elle osât même laisser sortir son souffle librement, son regard alla tour à tour de Madeleine à Javert et de Javert à Madeleine, selon que c’était l’un ou l’autre qui parlait.

    Il était évident qu’il fallait que Javert eût été comme on dit « jeté hors des gonds » pour qu’il se fût permis d’apostropher le sergent comme il l’avait fait, après l’invitation du maire de mettre Fantine en liberté. En était-il venu à oublier la présence de monsieur le maire ? Avait-il fini par se déclarer à lui-même qu’il était impossible qu’une « autorité » eût donné un pareil ordre, et que bien certainement monsieur le maire avait dû dire sans le vouloir une chose pour une autre ? Ou bien, devant les énormités dont il était témoin depuis deux heures, se disait-il qu’il fallait revenir aux suprêmes résolutions, qu’il était nécessaire que le petit se fît grand, que le mouchard se transformât en magistrat, que l’homme de police devînt homme de justice, et qu’en cette extrémité prodigieuse l’ordre, la loi, la morale, le gouvernement, la société tout entière, se personnifiaient en lui Javert ?

    Quoi qu’il en soit, quand M. Madeleine eut dit ce moi qu’on vient d’entendre, on vit l’inspecteur de police Javert se tourner vers monsieur le maire, pâle, froid, les lèvres bleues, le regard désespéré, tout le corps agité d’un tremblement imperceptible, et, chose inouïe, lui dire, l’œil baissé, mais la voix ferme :

    Monsieur le maire, cela ne se peut pas.

    Comment ? dit M. Madeleine.

    Cette malheureuse a insulté un bourgeois.

    Inspecteur Javert, repartit M. Madeleine avec un accent conciliant et calme, écoutez. Vous êtes un honnête homme, et je ne fais nulle difficulté de m’expliquer avec vous. Voici le vrai. Je passais sur la place comme vous emmeniez cette femme, il y avait encore des groupes, je me suis informé, j’ai tout su, c’est le bourgeois qui a eu tort et qui, en bonne police, eût dû être arrêté.

    Javert reprit :

    Cette misérable vient d’insulter monsieur le maire.

    Ceci me regarde, dit M. Madeleine. Mon injure est à moi peut-être. J’en puis faire ce que je veux.

    Je demande pardon à monsieur le maire. Son injure n’est pas à lui, elle est à la justice.

    Inspecteur Javert, répliqua M. Madeleine, la première justice, c’est la conscience. J’ai entendu cette femme. Je sais ce que je fais.

    Et moi, monsieur le maire, je ne sais pas ce que je vois.

    Alors contentez-vous d’obéir.

    J’obéis à mon devoir. Mon devoir veut que cette femme fasse six mois de prison.

    M. Madeleine répondit avec douceur :

    Écoutez bien ceci. Elle n’en fera pas un jour.

    À cette parole décisive, Javert osa regarder le maire fixement, et lui dit, mais avec un son de voix toujours profondément respectueux :

    Je suis au désespoir de résister à monsieur le maire, c’est la première fois de ma vie, mais il daignera me permettre de lui faire observer que je suis dans la limite de mes attributions. Je reste, puisque monsieur le maire le veut, dans le fait du bourgeois. J’étais là. C’est cette fille qui s’est jetée sur monsieur Bamatabois, qui est électeur et propriétaire de cette belle maison à balcon qui fait le coin de l’esplanade, à trois étages et toute en pierre de taille. Enfin, il y a des choses dans ce monde ! Quoi qu’il en soit, monsieur le maire, cela, c’est un fait de police de la rue qui me regarde, et je retiens la femme Fantine.

    Alors M. Madeleine croisa les bras et dit avec une voix sévère que personne dans la ville n’avait encore entendue :

    Le fait dont vous parlez est un fait de police municipale. Aux termes des articles neuf, onze, quinze et soixante-six du code d’instruction criminelle, j’en suis juge. J’ordonne que cette femme soit mise en liberté.

    Javert voulut tenter un dernier effort.

    Mais, monsieur le maire...

    Je vous rappelle, à vous, l’article quatrevingt-un de la loi du 13 décembre 1799 sur la détention arbitraire.

    Monsieur le maire, permettez...

    Plus un mot.

    Pourtant...

    Sortez, dit M. Madeleine.

    Javert reçut le coup, debout, de face, et en pleine poitrine comme un soldat russe. Il salua jusqu’à terre monsieur le maire, et sortit.

    Fantine se rangea de la porte et le regarda avec stupeur passer devant elle.

    Cependant elle aussi était en proie à un bouleversement étrange. Elle venait de se voir en quelque sorte disputée par deux puissances opposées. Elle avait vu lutter devant ses yeux deux hommes tenant dans leurs mains sa liberté, sa vie, son âme, son enfant ; l’un de ces hommes l’attirait du côté de l’ombre, l’autre la ramenait vers la lumière. Dans cette lutte, entrevue à travers les grossissements de l’épouvante, ces deux hommes lui étaient apparus comme deux géants ; l’un parlait comme son démon, l’autre parlait comme son bon ange. L’ange avait vaincu le démon, et, chose qui la faisait frissonner de la tête aux pieds, cet ange, ce libérateur, c’était précisément l’homme qu’elle abhorrait, ce maire qu’elle avait si longtemps considéré comme l’auteur de tous ses maux, ce Madeleine ! et, au moment même où elle venait de l’insulter dune façon hideuse, il la sauvait ! S’était-elle donc trompée ? Devait-elle donc changer toute son âme ?... Elle ne savait, elle tremblait. Elle écoutait éperdue, elle regardait effarée, et à chaque parole que disait M. Madeleine, elle sentait fondre et s’écrouler en elle les affreuses ténèbres de la haine et naître dans son cœur je ne sais quoi de réchauffant et d’ineffable qui était de la joie, de la confiance et de l’amour.

    Quand Javert fut sorti, M. Madeleine se tourna vers elle, et il lui dit avec une voix lente, ayant peine à parler comme un homme sérieux qui ne veut pas pleurer :

    Je vous ai entendue. Je ne savais rien de ce que vous avez dit. Je crois que c’est vrai, et je sens que c’est vrai. J’ignorais même que vous eussiez quitté mes ateliers. Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressée à moi ? Mais voici : je payerai vos dettes, je ferai revenir votre enfant, ou vous irez la rejoindre. Vous vivrez ici, à Paris, où vous voudrez. Je me charge de votre enfant et de vous. Vous ne travaillerez plus, si vous voulez. Je vous donnerai tout l’argent qu’il vous faudra. Vous redeviendrez honnête en redevenant heureuse. Et même, écoutez, je vous le déclare dès à présent, si tout est comme vous le dites, et je n’en doute pas, vous n’avez jamais cessé d’être vertueuse et sainte devant Dieu. Oh ! pauvre femme !

    C’en était plus que la pauvre Fantine n’en pouvait supporter. Avoir Cosette ! sortir de cette vie infâme ! vivre libre, riche, heureuse, honnête, avec Cosette ! voir brusquement s’épanouir au milieu de sa misère toutes ces réalités du paradis ! Elle regarda comme hébétée cet homme qui lui parlait, et ne put que jeter deux ou trois sanglots : oh ! oh ! oh ! Ses jarrets plièrent, elle se mit à genoux devant M. Madeleine, et, avant qu’il eût pu l’en empêcher, il sentit qu’elle lui prenait la main et que ses lèvres s’y posaient.

    Puis elle s’évanouit.


     


    I

    COMMENCEMENT DU REPOS


     

    M. Madeleine fit transporter la Fantine à cette infirmerie qu’il avait dans sa propre maison. Il la confia aux sœurs qui la mirent au lit. Une fièvre ardente était survenue. Elle passa une partie de la nuit à délirer et à parler haut. Cependant elle finit par s’endormir.

    Le lendemain vers midi Fantine se réveilla, elle entendit une respiration tout près de son lit, elle écarta son rideau et vit M. Madeleine debout qui regardait quelque chose au- Il soupira profondément. Elle cependant lui souriait avec ce sublime sourire auquel il manquait deux dents.

    Javert dans cette même nuit avait écrit une lettre. Il remit lui-même cette lettre le lendemain matin au bureau de poste de Montreuil-sur-mer. Elle était pour Paris, et la suscription portait : À monsieur Chabouillet, secrétaire de monsieur le préfet de police. Comme l’affaire du corps de garde s’était ébruitée, la directrice du bureau de poste et quelques autres personnes qui virent la lettre avant le départ et qui reconnurent l’écriture de Javert sur l’adresse, pensèrent que c’était sa démission qu’il envoyait.

    M. Madeleine se hâta d’écrire aux Thénardier. Fantine leur devait cent vingt francs. Il leur envoya trois cents francs en leur disant de se payer sur cette somme, et d’amener tout de suite l’enfant à Montreuil-sur-mer où sa mère malade la réclamait.

    Ceci éblouit le Thénardier.

    Diable ! dit-il à sa femme, ne lâchons pas l’enfant. Voilà que cette mauviette va devenir une vache à lait. Je devine. Quelque jocrisse se sera amouraché de la mère.

    Il riposta par un mémoire de cinq cents et quelques francs fort bien fait. Dans ce mémoire figuraient pour plus de trois cents francs deux notes incontestables, l’une d’un médecin, l’autre d’un apothicaire, lesquels avaient soigné et médicamenté dans deux longues maladies Éponine et Azelma. Cosette, nous l’avons dit, n’avait pas été malade. Ce fut l’affaire d’une toute petite substitution de noms. Thénardier mit au bas du mémoire : Reçu à compte trois cents francs.

    M. Madeleine envoya tout de suite trois cents autres francs et écrivit : Dépêchez-vous d’amener Cosette.

    Cristi ! dit le Thénardier, ne lâchons pas l’enfant.

    Cependant Fantine ne se rétablissait point. Elle était toujours à l’infirmerie.

    Les sœurs n’avaient d’abord reçu et soigné « cette fille » qu’avec répugnance. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes est un des plus profonds instincts de la dignité féminine ; les sœurs l’avaient éprouvé, avec le redoublement qu’ajoute la religion. Mais, en peu de jours, Fantine les avait désarmées. Elle avait toutes sortes de paroles humbles et douces, et la mère qui était en elle attendrissait. Un jour les sœurs l’entendirent qui disait à travers la fièvre : — J’ai été une pécheresse, mais quand j’aurai mon enfant près de moi, cela voudra dire que Dieu m’a pardonné. Pendant que j’étais dans le mal, je n’aurais pas voulu avoir ma Cosette avec moi, je n’aurais pas pu supporter ses yeux étonnés et tristes. C’était pour elle pourtant que je faisais le mal, et c’est ce qui fait que Dieu me pardonne. Je sentirai la bénédiction du bon Dieu quand Cosette sera ici. Je la regarderai, cela me fera du bien de voir cette innocente. Elle ne sait rien du tout. C’est un ange, voyez-vous, mes sœurs. À cet âge-là, les ailes, ça n’est pas encore tombé.

    M. Madeleine l’allait voir deux fois par jour, et chaque fois elle lui demandait :

    Verrai-je bientôt ma Cosette ?

    Il lui répondait :

    Peut-être demain matin. D’un moment à l’autre elle arrivera, je l’attends.

    Et le visage pâle de la mère rayonnait.

    Oh ! disait-elle, comme je vais être heureuse !

    Nous venons de dire qu’elle ne se rétablissait pas. Au contraire, son état semblait s’aggraver de semaine en semaine. Cette poignée de neige appliquée à nu sur la peau entre les deux omoplates avait déterminé une suppression subite de transpiration à la suite de laquelle la maladie qu’elle couvait depuis plusieurs années finit par se déclarer violemment. On commençait alors à suivre pour l’étude et le traitement des maladies de poitrine les belles indications de Laënnec. Le médecin ausculta Fantine et hocha la tête.

    M. Madeleine dit au médecin :

    Eh bien ?

    N’a-t-elle pas un enfant qu’elle désire voir ? dit le médecin.

    Oui.

    Eh bien, hâtez-vous de le faire venir.

    M. Madeleine eut un tressaillement.

    Fantine lui demanda :

    Qu’a dit le médecin ?

    M. Madeleine s’efforça de sourire.

    Il a dit de faire venir bien vite votre enfant. Que cela vous rendra la santé.

    Oh ! reprit-elle, il a raison ! Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ces Thénardier à me garder ma Cosette ! Oh ! elle va venir. Voici enfin que je vois le bonheur tout près de moi !

    Le Thénardier cependant ne « lâchait pas l’enfant » et donnait cent mauvaises raisons. Cosette était un peu souffrante pour se mettre en route l’hiver. Et puis il y avait un reste de petites dettes criardes dans le pays dont il rassemblait les factures, etc., etc.

    J’enverrai quelqu’un chercher Cosette, dit le père Madeleine. S’il le faut, j’irai moi-même.

    Il écrivit sous la dictée de Fantine cette lettre qu’il lui fit signer :

    « Monsieur Thénardier,

    « Vous remettrez Cosette à la personne.

    « On vous payera toutes les petites choses.

    « J’ai l’honneur de vous saluer avec considération.

    « Fantine. »

    Sur ces entrefaites, il survint un grave incident. Nous avons beau tailler de notre mieux le bloc mystérieux dont notre vie est faite, la veine noire de la destinée y reparaît toujours.


     

    II

    COMMENT JEAN PEUT DEVENIR CHAMP


     

    Un matin, M. Madeleine était dans son cabinet, occupé à régler d’avance quelques affaires pressantes de la mairie pour le cas où il se déciderait à ce voyage de Montfermeil, lorsqu’on vint lui dire que l’inspecteur de police Javert demandait à lui parler. En entendant prononcer ce nom, M. Madeleine ne put se défendre d’une impression désagréable. Depuis l’aventure du bureau de police, Javert l’avait plus que jamais évité, et M. Madeleine ne l’avait point revu.

    Faites entrer, dit-il.

    Javert entra.

    M. Madeleine était resté assis près de la cheminée, une plume à la main, l’œil sur un dossier qu’il feuilletait et qu’il annotait, et qui contenait des procès-verbaux de contraventions à la police de la voirie. Il ne se dérangea point pour Javert. Il ne pouvait s’empêcher de songer à la pauvre Fantine, et il lui convenait d’être glacial.

    Javert salua respectueusement M. le maire qui lui tournait le dos. M. le maire ne le regarda pas et continua d’annoter son dossier.

    Javert fit deux ou trois pas dans le cabinet, et s’arrêta sans rompre le silence. Un physionomiste qui eût été familier avec la nature de Javert, qui eût étudié depuis longtemps ce sauvage au service de la civilisation, ce composé bizarre du Romain, du Spartiate, du moine et du caporal, cet espion incapable d’un mensonge, ce mouchard vierge, un physionomiste qui eût su sa secrète et ancienne aversion pour M. Madeleine, son conflit avec le maire au sujet de la Fantine, et qui eût considéré Javert en ce moment, se fût dit : que s’est-il passé ? Il était évident, pour qui eût connu cette conscience droite, claire, sincère, probe, austère et féroce, que Javert sortait de quelque grand événement intérieur. Javert n’avait rien dans l’âme qu’il ne l’eût aussi sur le visage. Il était, comme les gens violents, sujet aux revirements brusques. Jamais sa physionomie n’avait été plus étrange et plus inattendue. En entrant, il s’était incliné devant M. Madeleine avec un regard où il n’y avait ni rancune, ni colère, ni défiance, il s’était arrêté à quelques pas derrière le fauteuil du maire ; et maintenant il se tenait là, debout, dans une attitude presque disciplinaire, avec la rudesse naïve et froide d’un homme qui n’a jamais été doux et qui a toujours été patient ; il attendait, sans dire un mot, sans faire un mouvement, dans une humilité vraie et dans une résignation tranquille, qu’il plût à monsieur le maire de se retourner ; calme, sérieux, le chapeau à la main, les yeux baissés, avec une expression qui tenait le milieu entre le soldat devant son officier et le coupable devant son juge. Tous les sentiments comme tous les souvenirs qu’on eût pu lui supposer avaient disparu. Il n’y avait plus rien sur ce visage impénétrable et simple comme le granit, qu’une morne tristesse. Toute sa personne respirait l’abaissement et la fermeté, et je ne sais quel accablement courageux.

    Enfin M. le maire posa sa plume et se tourna à demi.

    Eh bien ! qu’est-ce ? qu’y a-t-il, Javert ?

    Javert demeura un instant silencieux comme s’il se recueillait, puis éleva la voix avec une sorte de solennité triste qui n’excluait pourtant pas la simplicité :

    Il y a, monsieur le maire, qu’un acte coupable a été commis.

    Quel acte ?

    Un agent inférieur de l’autorité a manqué de respect à un magistrat de la façon la plus grave. Je viens, comme c’est mon devoir, porter le fait à votre connaissance.

    Quel est cet agent ? demanda M. Madeleine.

    Moi, dit Javert.

    Vous ?

    Moi.

    Et quel est le magistrat qui aurait à se plaindre de l’agent ?

    Vous, monsieur le maire.

    M. Madeleine se dressa sur son fauteuil. Javert poursuivit, l’air sévère et les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, je viens vous prier de vouloir bien provoquer près de l’autorité ma destitution.

    M. Madeleine stupéfait ouvrit la bouche. Javert l’interrompit.

    Vous direz, j’aurais pu donner ma démission, mais cela ne suffit pas. Donner sa démission, c’est honorable. J’ai failli, je dois être puni. Il faut que je sois chassé.

    Et après une pause, il ajouta :

    Monsieur le maire, vous avez été sévère pour moi l’autre jour injustement. Soyez-le aujourd’hui justement.

    Ah çà ! pourquoi ? s’écria M. Madeleine. Quel est ce galimatias ? qu’est-ce que cela veut dire ? où y a-t-il un acte coupable commis contre moi par vous ? qu’est-ce que vous m’avez fait ? quels torts avez-vous envers moi ? Vous vous accusez, vous voulez être remplacé…

    Chassé, dit Javert.

    Chassé, soit. C’est fort bien. Je ne comprends pas.

    Vous allez comprendre, monsieur le maire.

    Javert soupira du fond de sa poitrine et reprit toujours froidement et tristement :

    Monsieur le maire, il y a six semaines, à la suite de cette scène pour cette fille, j’étais furieux, je vous ai dénoncé.

    Dénoncé !

    À la préfecture de police de Paris.

    M. Madeleine, qui ne riait pas beaucoup plus souvent que Javert, se mit à rire.

    Comme maire ayant empiété sur la police ?

    Comme ancien forçat.

    Le maire devint livide.

    Javert, qui n’avait pas levé les yeux, continua :

    Je le croyais. Depuis longtemps j’avais des idées.

    Une ressemblance, des renseignements que vous avez fait prendre à Faverolles, votre force des reins, l’aventure du vieux Fauchelevent, votre adresse au tir, votre jambe qui traîne un peu, est-ce que je sais, moi ? des bêtises ! mais enfin je vous prenais pour un nommé Jean Valjean.

    Un nommé ?… Comment dites-vous ce nom-là ?

    Jean Valjean. C’est un forçat que j’avais vu il y a vingt ans quand j’étais adjudant-garde-chiourme à Toulon. En sortant du bagne, ce Jean Valjean avait, à ce qu’il paraît, volé chez un évêque, puis il avait commis un autre vol à main armée, dans un chemin public, sur un petit savoyard. Depuis huit ans il s’était dérobé, on ne sait comment, et on le cherchait. Moi je m’étais figuré… Enfin, j’ai fait cette chose ! La colère m’a décidé, je vous ai dénoncé à la préfecture.

    M. Madeleine, qui avait ressaisi le dossier depuis quelques instants, reprit avec un accent de parfaite indifférence :

    Et que vous a-t-on répondu ?

    Que j’étais fou.

    Eh bien ?

    Eh bien, on avait raison. donc pas le sinvre, dit Brevet. Tu es Jean Valjean ! Tu as été au bagne de Toulon. Il y a vingt ans. Nous y étions ensemble. — Le Champmathieu nie. Parbleu ! vous comprenez. On approfondit. On me fouille cette aventure-là. Voici ce qu’on trouve : ce Champmathieu, il y a une trentaine d’années, a été ouvrier émondeur d’arbres dans plusieurs pays, notamment à Faverolles. Là on perd sa trace. Longtemps après, on le revoit en Auvergne, puis à Paris, où il dit avoir été charron et avoir eu une fille blanchisseuse, mais cela n’est pas prouvé ; enfin dans ce pays-ci. Or, avant d’aller au bagne pour vol qualifié, qu’était Jean Valjean ? émondeur. Où ? à Faverolles. Autre fait. Ce Valjean s’appelait de son nom de baptême Jean et sa mère se nommait de son nom de famille Mathieu. Quoi de plus naturel que de penser qu’en sortant du bagne il aura pris le nom de sa mère pour se cacher et se sera fait appeler Jean Mathieu ? Il va en Auvergne. De Jean la prononciation du pays fait Chan, on l’appelle Chan Mathieu. Notre homme se laisse faire et le voilà transformé en Champmathieu. Vous me suivez, n’est-ce pas ? On s’informe à Faverolles. La famille de Jean Valjean n’y est plus. On ne sait plus où elle est. Vous savez, dans ces classes-là, il y a souvent de ces évanouissements d’une famille. On cherche, on ne trouve plus rien. Ces gens-là, quand ce n’est pas de la boue, c’est de la poussière. Et puis, comme le commencement de ces histoires date de trente ans, il n’y a plus personne à Faverolles qui ait connu Jean Valjean. On s’informe à Toulon. Avec Brevet, il n’y a plus que deux forçats qui aient vu Jean Valjean. Ce sont les condamnés à vie Cochepaille et Chenildieu. On les extrait du bagne et on les fait venir. On les confronte au prétendu Champmathieu. Ils n’hésitent pas. Pour eux comme pour Brevet, c’est Jean Valjean. Même âge, il a cinquante-quatre ans, même taille, même air, même homme enfin, c’est lui. C’est en ce moment-là même que j’envoyais ma dénonciation à la préfecture de Paris. On me répond que je perds l’esprit et que Jean Valjean est à Arras au pouvoir de la justice. Vous concevez si cela m’étonne, moi qui croyais tenir ici ce même Jean Valjean ! J’écris à monsieur le juge d’instruction. Il me fait venir, on m’amène le Champmathieu…

    Eh bien ? interrompit M. Madeleine.

    Javert répondit avec son visage incorruptible et triste :

    Monsieur le maire, la vérité est la vérité. J’en suis fâché, mais c’est cet homme-là qui est Jean Valjean. Moi aussi je l’ai reconnu.

    M. Madeleine reprit d’une voix très basse :

    Vous êtes sûr ?

    Javert se mit à rire de ce rire douloureux qui échappe à une conviction profonde :

    Oh, sûr !

    Il demeura un moment pensif, prenant machinalement des pincées de poudre de bois dans la sébille à sécher l’encre qui était sur la table, et il ajouta :

    Et même, maintenant que je vois le vrai Jean Valjean, je ne comprends pas comment j’ai pu croire autre chose. Je vous demande pardon, monsieur le maire.

    En adressant cette parole suppliante et grave à celui qui, six semaines auparavant, l’avait humilié en plein corps de garde et lui avait dit : sortez ! Javert, cet homme hautain, était à son insu plein de simplicité et de dignité. M. Madeleine ne répondit à sa prière que par cette question brusque :

    Et que dit cet homme ?

    Ah, dame ! monsieur le maire, l’affaire est mauvaise. Si c’est Jean Valjean, il y a récidive. Enjamber un mur, casser une branche, chiper des pommes, pour un enfant, c’est une polissonnerie ; pour un homme, c’est un délit ; pour un forçat, c’est un crime. Escalade et vol, tout y est. Ce n’est plus la police correctionnelle, c’est la cour d’assises. Ce n’est plus quelques jours de prison, ce sont les galères à perpétuité. Et puis, il y a l’affaire du petit savoyard que j’espère bien qui reviendra. Diable ! il y a de quoi se débattre, n’est-ce pas ? Oui, pour un autre que Jean Valjean. Mais Jean Valjean est un sournois. C’est encore là que je le reconnais. Un autre sentirait que cela chauffe ; il se démènerait, il crierait, la bouilloire chante devant le feu, il ne voudrait pas être Jean Valjean, et caetera. Lui, il n’a pas l’air de comprendre, il dit : Je suis Champmathieu, je ne sors pas de là ! Il a l’air étonné, il fait la brute, c’est bien mieux. Oh ! le drôle est habile. Mais c’est égal, les preuves sont là. Il est reconnu par quatre personnes, le vieux coquin sera condamné. C’est porté aux assises, à Arras. Je vais y aller pour témoigner. Je suis cité.

    M. Madeleine s’était remis à son bureau, avait ressaisi son dossier, et le feuilletait tranquillement, lisant et écrivant tour à tour comme un homme affairé. Il se tourna vers Javert :

    Assez, Javert. Au fait, tous ces détails m’intéressent fort peu. Nous perdons notre temps, et nous avons des affaires pressées. Javert, vous allez vous rendre sur-le-champ chez la bonne femme Buseaupied qui vend des herbes là-bas au coin de la rue Saint-Saulve. Vous lui direz de déposer sa plainte contre le charretier Pierre Chesnelong. Cet homme est un brutal qui a failli écraser cette femme et son enfant. Il faut qu’il soit puni. Vous irez ensuite chez M. Charcellay, rue Montre-de-Champigny. Il se plaint qu’il y a une gouttière de la maison voisine qui verse l’eau de la pluie chez lui, et qui affouille les fondations de sa maison. Après vous constaterez des contraventions de police qu’on me signale rue Guibourg chez la veuve Doris, et rue du Garraud-Blanc chez madame Renée Le Bossé, et vous dresserez procès-verbal. Mais je vous donne là beaucoup de besogne. N’allez-vous pas être absent ? ne m’avez-vous pas dit que vous alliez à Arras pour cette affaire dans huit ou dix jours ?…

    Plus tôt que cela, monsieur le maire.

    Quel jour donc ?

    Mais je croyais avoir dit à monsieur le maire que cela se jugeait demain et que je partais par la diligence cette nuit.

    M. Madeleine fit un mouvement imperceptible.

    Et combien de temps durera l’affaire ?

    Un jour tout au plus. L’arrêt sera prononcé au plus tard demain dans la nuit. Mais je n’attendrai pas l’arrêt, qui ne peut manquer. Sitôt ma déposition faite, je reviendrai ici.

    C’est bon, dit M. Madeleine.

    Et il congédia Javert d’un signe de main.

    Javert ne s’en alla pas.

    Pardon, monsieur le maire, dit-il.

    Qu’est-ce encore ? demanda M. Madeleine.

    Monsieur le maire, il me reste une chose à vous rappeler.

    Laquelle ?

    C’est que je dois être destitué.

    M. Madeleine se leva.

    Javert, vous êtes un homme d’honneur, et je vous estime. Vous vous exagérez votre faute. Ceci d’ailleurs est encore une offense qui me concerne. Javert, vous êtes digne de monter et non de descendre. J’entends que vous gardiez votre place.

    Javert regarda M. Madeleine avec sa prunelle candide au fond de laquelle il semblait qu’on vit cette conscience peu éclairée, mais rigide et chaste, et il dit d’une voix tranquille :

    Monsieur le maire, je ne puis vous accorder cela.

    Je vous répète, répliqua M. Madeleine, que la chose me regarde.

    Mais Javert, attentif à sa seule pensée, continua :

    Quant à exagérer, je n’exagère point. Voici comment je raisonne. Je vous ai soupçonné injustement. Cela, ce n’est rien. C’est notre droit à nous autres de soupçonner, quoiqu’il y ait pourtant abus à soupçonner au-dessus de soi. Mais, sans preuves, dans un accès de colère, dans le but de me venger, je vous ai dénoncé comme forçat, vous, un homme respectable, un maire, un magistrat ! ceci est grave. Très grave. J’ai offensé l’autorité dans votre personne, moi, agent de l’autorité ! Si l’un de mes subordonnés avait fait ce que j’ai fait, je l’aurais déclaré indigne du service, et chassé. Eh bien ? — Tenez, monsieur le maire, encore un mot. J’ai souvent été sévère dans ma vie. Pour les autres. C’était juste. Je faisais bien. Maintenant, si je n’étais pas sévère pour moi, tout ce que j’ai fait de juste deviendrait injuste. Est-ce que je dois m’épargner plus que les autres ? Non. Quoi ! je n’aurais été bon qu’à châtier autrui, et pas moi ! mais je serais un misérable ! mais ceux qui disent : ce gueux de Javert ! auraient raison ! Monsieur le maire, je ne souhaite pas que vous me traitiez avec bonté, votre bonté m’a fait faire assez de mauvais sang quand elle était pour les autres. Je n’en veux pas pour moi. La bonté qui consiste à donner raison à la fille publique contre le bourgeois, à l’agent de police contre le maire, à celui qui est en bas contre celui qui est en haut, c’est ce que j’appelle de la mauvaise bonté. C’est avec cette bonté-là que la société se désorganise. Mon Dieu ! c’est bien facile d’être bon, le malaisé c’est d’être juste. Allez ! si vous aviez été ce que je croyais, je n’aurais pas été bon pour vous, moi ! vous auriez vu ! Monsieur le maire, je dois me traiter comme je traiterais tout autre. Quand je réprimais des malfaiteurs, quand je sévissais sur des gredins, je me suis souvent dit à moi-même : toi, si tu bronches, si jamais je te prends en faute, sois tranquille ! — J’ai bronché, je me prends en faute, tant pis ! Allons, renvoyé, cassé, chassé ! c’est bon. J’ai des bras, je travaillerai à la terre, cela m’est égal. Monsieur le maire, le bien du service veut un exemple. Je demande simplement la destitution de l’inspecteur Javert.

    Tout cela était prononcé d’un accent humble, fier, désespéré et convaincu qui donnait je ne sais quelle grandeur bizarre à cet étrange honnête homme.

    Nous verrons, fit M. Madeleine.

    Et il lui tendit la main.

    Javert recula, et dit d’un ton farouche :

    Pardon, monsieur le maire, mais cela ne doit pas être. Un maire ne donne pas la main à un mouchard.

    Il ajouta entre ses dents :

    Mouchard, oui ; du moment où j’ai mésusé de la police, je ne suis plus qu’un mouchard.

    Puis il salua profondément, et se dirigea vers la porte.

    Là il se retourna, et, les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, dit-il, je continuerai le service jusqu’à ce que je sois remplacé.

    Il sortit. M. Madeleine resta rêveur, écoutant ce pas ferme et assuré qui s’éloignait sur le pavé du corridor.

    I

    LA SŒUR SIMPLICE


     

    Les incidents qu’on va lire n’ont pas tous été connus à Montreuil-sur-mer, mais le peu qui en a percé a laissé dans cette ville un tel souvenir, que ce serait une grave lacune dans ce livre si nous ne les racontions dans leurs moindres détails.

    Dans ces détails, le lecteur rencontrera deux ou trois circonstances invraisemblables que nous maintenons par respect pour la vérité.

    Dans l’après-midi qui suivit la visite de Javert, M. Madeleine alla voir la Fantine comme d’habitude.

    Avant de pénétrer près de Fantine, il fit demander la sœur Simplice.

    Les deux religieuses qui faisaient le service de l’infirmerie, dames lazaristes comme toutes les sœurs de charité, s’appelaient sœur Perpétue et sœur Simplice.

    La sœur Perpétue était la première villageoise venue, grossièrement sœur de charité, entrée chez Dieu comme on entre en place. Elle était religieuse comme on est cuisinière. Ce type n’est point très rare. Les ordres monastiques acceptent volontiers cette lourde poterie paysanne, aisément façonnée en capucin ou en ursuline. Ces rusticités s’utilisent pour les grosses besognes de la dévotion. La transition d’un bouvier à un carme n’a rien de heurté ; l’un devient l’autre sans grand travail ; le fond commun d’ignorance du village et du cloître est une préparation toute faite, et met tout de suite le campagnard de plain-pied avec le moine. Un peu d’ampleur au sarrau, et voilà un froc. La sœur Perpétue était une forte religieuse, de Marines, près Pontoise, patoisant, psalmodiant, bougonnant, sucrant la tisane selon le bigotisme ou l’hypocrisie du grabataire, brusquant les malades, bourrue avec les mourants, leur jetant presque Dieu au visage, lapidant l’agonie avec des prières en colère, hardie, honnête et rougeaude.

    La sœur Simplice était blanche d’une blancheur de cire. Près de sœur Perpétue, c’était le cierge à côté de la chandelle. Vincent de Paul a divinement fixé la figure de la sœur de charité dans ces admirables paroles où il mêle tant de liberté à tant de servitude : « Elles n’auront pour monastère que la maison des malades, pour cellule qu’une chambre de louage, pour chapelle que l’église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l’obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, pour voile que la modestie. » Cet idéal était vivant dans la sœur Simplice. Personne n’eût pu dire l’âge de la sœur Simplice ; elle n’avait jamais été jeune et semblait ne devoir jamais être vieille. C’était une personne — nous n’osons dire une femme — calme, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n’avait jamais menti. Elle était si douce qu’elle paraissait fragile ; plus solide d’ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux avec de charmants doigts fins et purs. Il y avait, pour ainsi dire, du silence dans sa parole ; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son de voix qui eût tout à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon. Cette délicatesse s’accommodait de la robe de bure, trouvant à ce rude contact un rappel continuel du ciel et de Dieu. Insistons sur un détail. N’avoir jamais menti, n’avoir jamais dit, pour un intérêt quelconque, même indifféremment, une chose qui ne fût la vérité, la sainte vérité, c’était le trait distinctif de la sœur Simplice ; c’était l’accent de sa vertu. Elle était presque célèbre dans la congrégation pour cette véracité imperturbable. L’abbé Sicard parle de la sœur Simplice dans une lettre au sourd-muet Massieu. Si sincères, si loyaux et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre candeur au moins la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge, mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal. Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ; mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait. Et comme elle pensait, elle pratiquait. Il en résultait cette blancheur dont nous avons parlé, blancheur qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. Son sourire était blanc, son regard était blanc. Il n’y avait pas une toile d’araignée, pas un grain de poussière à la vitre de cette conscience. En entrant dans l’obédience de saint Vincent de Paul, elle avait pris le nom de Simplice par choix spécial. Simplice de Sicile, on le sait, est cette sainte qui aima mieux se laisser arracher les deux seins que de répondre, étant née à Syracuse, qu’elle était née à Ségeste, mensonge qui la sauvait. Cette patronne convenait à cette âme.

    La sœur Simplice, en entrant dans l’ordre, avait deux défauts dont elle s’était peu à peu corrigée ; elle avait eu le goût des friandises et elle avait aimé à recevoir des lettres. Elle ne lisait jamais qu’un livre de prières en gros caractères et en latin. Elle ne comprenait pas le latin, mais elle comprenait le livre.

    La pieuse fille avait pris en affection Fantine, y sentant probablement de la vertu latente, et s’était dévouée à la soigner presque exclusivement.

    M. Madeleine emmena à part la sœur Simplice et lui recommanda Fantine avec un accent singulier dont la sœur se souvint plus tard.

    En quittant la sœur, il s’approcha de Fantine.

    Fantine attendait chaque jour l’apparition de M. Madeleine comme on attend un rayon de chaleur et de joie. Elle disait aux sœurs : — Je ne vis que lorsque monsieur le maire est là.

    Elle avait ce jour-là beaucoup de fièvre. Dès qu’elle vit M. Madeleine, elle lui demanda :

    Et Cosette ?

    Il répondit en souriant :

    Bientôt.

    M. Madeleine fut avec Fantine comme à l’ordinaire. Seulement il resta une heure au lieu d’une demi-heure, au grand contentement de Fantine. Il fît mille instances à tout le monde pour que rien ne manquât à la malade. On remarqua qu’il y eut un moment où son visage devint très sombre. Mais cela s’expliqua quand on sut que le médecin s’était penché à son oreille et lui avait dit : — Elle baisse beaucoup.

    Puis il rentra à la mairie, et le garçon de bureau le vit examiner avec attention une carte routière de France qui était suspendue dans son cabinet. Il écrivit quelques chiffres au crayon sur un papier.


     

    II

    PERSPICACITÉ DE MAÎTRE SCAUFFLAIRE


     

    De la mairie il se rendit au bout de la ville chez un flamand, maître Scaufflaer, francisé Scaufflaire, qui louait des chevaux et des « cabriolets à volonté ».

    Pour aller chez ce Scaufflaire, le plus court était de prendre une rue peu fréquentée où était le presbytère de la paroisse que M. Madeleine habitait. Le curé était, disait-on, un homme digne et respectable, et de bon conseil. À l’instant où M. Madeleine arriva devant le presbytère, il n’y avait dans la rue qu’un passant, et ce passant remarqua ceci : M. le maire, après avoir dépassé la maison curiale, s’arrêta, demeura immobile, puis revint sur ses pas et rebroussa chemin jusqu’à la porte du presbytère, qui était une porte bâtarde avec marteau de fer. Il mit vivement la main au marteau, et le souleva ; puis il s’arrêta de nouveau, et resta court, et comme pensif, et, après quelques secondes, au lieu de laisser bruyamment retomber le marteau, il le reposa doucement et reprit son chemin avec une sorte de hâte qu’il n’avait pas auparavant.

    M. Madeleine trouva maître Scaufflaire chez lui occupé à repiquer un harnais.

    Maître Scaufflaire, demanda-t-il, avez-vous un bon cheval ?

    Monsieur le maire, dit le flamand, tous mes chevaux sont bons. Qu’entendez-vous par un bon cheval ?

    J’entends un cheval qui puisse faire vingt lieues en un jour.

    Diable ! fit le flamand, vingt lieues !

    Oui.

    Attelé à un cabriolet ?

    Oui.

    Et combien de temps se reposera-t-il après la course ?

    Il faut qu’il puisse au besoin repartir le lendemain.

    Pour refaire le même trajet ?

    Oui.

    Diable ! diable ! et c’est vingt lieues ?

    M. Madeleine tira de sa poche le papier où il avait crayonné des chiffres. Il les montra au flamand. c’étaient les chiffres 5, 6, 8 1/2.

    Vous voyez, dit-il. Total, dix-neuf et demi, autant dire vingt lieues.

    Monsieur le maire, reprit le flamand, j’ai votre affaire. Mon petit cheval blanc. Vous avez dû le voir passer quelquefois. C’est une petite bête du bas Boulonnais. C’est plein de feu. On a voulu d’abord en faire un cheval de selle. Bah ! il ruait, il flanquait tout le monde par terre. On le croyait vicieux, on ne savait qu’en faire. Je l’ai acheté. Je l’ai mis au cabriolet. Monsieur, c’est cela qu’il voulait ; il est doux comme une fille, il va le vent. Ah ! par exemple, il ne faudrait pas lui monter sur le dos. Ce n’est pas son idée d’être cheval de selle. Chacun a son ambition. Tirer, oui ; porter, non ; il faut croire qu’il s’est dit ça.

    Et il fera la course ?

    Vos vingt lieues. Toujours au grand trot, et en moins de huit heures. Mais voici à quelles conditions.

    Dites.

    Premièrement, vous le ferez souffler une heure à moitié chemin ; il mangera, et on sera là pendant qu’il mangera pour empêcher le garçon de l’auberge de lui voler son avoine ; car j’ai remarqué que dans les auberges l’avoine est plus souvent bue par les garçons d’écurie que mangée par les chevaux.

    On sera là.

    Deuxièmement… Est-ce pour monsieur le maire le cabriolet ?

    Oui.

    Monsieur le maire sait conduire ?

    Oui.

    Eh bien, monsieur le maire voyagera seul et sans bagage afin de ne point charger le cheval.

    Convenu.

    Mais monsieur le maire, n’ayant personne avec lui, sera obligé de prendre la peine de surveiller lui-même l’avoine.

    C’est dit.

    Il me faudra trente francs par jour. Les jours de repos payés. Pas un liard de moins, et la nourriture de la bête à la charge de monsieur le maire.

    M. Madeleine tira trois napoléons de sa bourse et les mit sur la table.

    Voilà deux jours d’avance.

    Quatrièmement, pour une course pareille sur cabriolet serait trop lourd et fatiguerait le cheval. Il faudrait que monsieur le maire consentît à voyager dans un petit tilbury que j’ai.

    J’y consens.

    C’est léger, mais c’est découvert.

    Cela m’est égal.

    Monsieur le maire a-t-il réfléchi que nous sommes en hiver ?…

    M. Madeleine ne répondit pas. Le flamand reprit :

    Qu’il fait très froid ?

    M. Madeleine garda le silence. Maître Scaufflaire continua :

    Qu’il peut pleuvoir ?

    M. Madeleine leva la tête et dit :

    Le tilbury et le cheval seront devant ma porte demain à quatre heures et demie du matin.

    C’est entendu, monsieur le maire, répondit Scaufflaire, puis, grattant avec l’ongle de son pouce une tache qui était dans le bois de la table, il reprit de cet air insouciant que les flamands savent si bien mêler à leur finesse :

    Mais voilà que j’y songe à présent ! monsieur le maire ne me dit pas où il va. Où est-ce que va monsieur le maire ?

    Il ne songeait pas à autre chose depuis le commencement de la conversation, mais il ne savait pourquoi il n’avait pas osé faire cette question.

    Votre cheval a-t-il de bonnes jambes de devant ? dit M. Madeleine.

    Oui, monsieur le maire. Vous le soutiendrez un peu dans les descentes. Y a-t-il beaucoup de descentes d’ici où vous allez ?

    N’oubliez pas d’être à ma porte à quatre heures et demie du matin, très précises, répondit M. Madeleine ; et il sortit.

    Le flamand resta « tout bête », comme il disait lui-même quelque temps après.

    M. le maire était sorti depuis deux ou trois minutes, lorsque la porte se rouvrit, c’était M. le maire.

    Il avait toujours le même air impassible et préoccupé.

    Monsieur Scaufflaire, dit-il, à quelle somme estimez-vous le cheval et le tilbury que vous me louerez, l’un portant l’autre ?

    L’un traînant l’autre, monsieur le maire, dit le flamand avec un gros rire.

    Soit. Eh bien ?

    Est-ce que monsieur le maire veut me les acheter ?

    Non ; mais à tout événement, je veux vous les garantir. À mon retour vous me rendrez la somme. À combien estimez-vous cabriolet et cheval ?

    À cinq cents francs, monsieur le maire.

    Les voici.

    M. Madeleine posa un billet de banque sur la table, puis sortit et cette fois ne rentra plus.

    Maître Scaufflaire regretta affreusement de n’avoir point dit mille francs. Du reste le cheval et le tilbury, en bloc, valaient cent écus.

    Le flamand appela sa femme, et lui conta la chose. Où diable monsieur le maire peut-il aller ? Ils tinrent conseil. — Il va à Paris, dit la femme. — Je ne crois pas, dit le mari. M. Madeleine avait oublié sur la cheminée le papier où il avait tracé des chiffres. Le flamand le reprit et l’étudia. — Cinq, six, huit et demi ? cela doit marquer des relais de poste. Il se tourna vers sa femme. — J’ai trouvé. — Comment ? — Il y a cinq lieues d’ici à Hesdin, six de Hesdin à Saint-Pol, huit et demie de Saint-Pol à Arras. Il va à Arras.

    Cependant M. Madeleine était rentré chez lui.

    Pour revenir de chez maître Scaufflaire, il avait pris le plus long, comme si la porte du presbytère avait été pour lui une tentation, et qu’il eût voulu l’éviter. Il était monté dans sa chambre et s’y était enfermé, ce qui n’avait rien que de simple, car il se couchait volontiers de bonne heure. Pourtant la concierge de la fabrique, qui était en même temps l’unique servante de M. Madeleine, observa que sa lumière s’éteignit à huit heures et demie, et elle le dit au caissier qui rentrait, en ajoutant :

    Est-ce que monsieur le maire est malade ? je lui ai trouvé l’air un peu singulier.

    Ce caissier habitait une chambre située précisément au-dessous de la chambre de M. Madeleine. Il ne prit point garde aux paroles de la portière, se coucha et s’endormit. Vers minuit, il se réveilla brusquement ; il avait entendu à travers son sommeil un bruit au-dessus de sa tête. Il écouta. C’était un pas qui allait et venait, comme si l’on marchait dans la chambre en haut. Il écouta plus attentivement, et reconnut le pas de M. Madeleine. Cela lui parut étrange ; habituellement aucun bruit ne se faisait dans la chambre de M. Madeleine avant l’heure de son lever. Un moment après le caissier entendit quelque chose qui ressemblait à une armoire qu’on ouvre et qu’on referme. Puis on dérangea un meuble, il y eut un silence, et le pas recommença. Le caissier se dressa sur son séant, s’éveilla tout à fait, regarda, et à travers les vitres de sa croisée aperçut sur le mur d’en face la réverbération rougeâtre d’une fenêtre éclairée. À la direction des rayons, ce ne pouvait être que la fenêtre de la chambre de M. Madeleine. La réverbération tremblait comme si elle venait plutôt d’un feu allumé que d’une lumière. L’ombre des châssis vitrés ne s’y dessinait pas, ce qui indiquait que la fenêtre était toute grande ouverte. Par le froid qu’il faisait, cette fenêtre ouverte était surprenante. Le caissier se rendormit. Une heure ou deux heures après, il se réveilla encore. Le même pas, lent et régulier, allait et venait toujours au-dessus de sa tête.

    La réverbération se dessinait toujours sur le mur, mais elle était maintenant pâle et paisible comme le reflet d’une lampe ou d’une bougie. La fenêtre était toujours ouverte.

    Voici ce qui se passait dans la chambre de M. Madeleine.


     

    III

    UNE TEMPÊTE SOUS UN CRÂNE


     

    Le lecteur a sans doute deviné que M. Madeleine n’est autre que Jean Valjean.

    Nous avons déjà regardé dans les profondeurs de cette conscience ; le moment est venu d’y regarder encore. Nous ne le faisons pas sans émotion et sans tremblement. Il n’existe rien de plus terrifiant que cette sorte de contemplation. L’œil de l’esprit ne peut trouver nulle part plus d’éblouissements ni plus de ténèbres que dans l’homme ; il ne peut se fixer sur aucune chose qui soit plus redoutable, plus compliquée, plus mystérieuse et plus infinie. Il y a un spectacle plus grand que la mer, c’est le ciel ; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme.

    Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. La conscience, c’est le chaos des chimères, des convoitises et des tentatives, la fournaise des rêves, l’antre des idées dont on a honte ; c’est le pandémonium des sophismes, c’est le champ de bataille des passions. À de certaines heures, pénétrez à travers la face livide d’un être humain qui réfléchit, et regardez derrière, regardez dans cette âme, regardez dans cette obscurité. Il y a là, sous le silence extérieur, des combats de géants comme dans Homère, des mêlées de dragons et d’hydres et des nuées de fantômes comme dans Milton, des spirales visionnaires comme chez Dante. Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie !

    Alighieri rencontra un jour une sinistre porte devant laquelle il hésita. En voici une aussi devant nous, au seuil de laquelle nous hésitons. Entrons pourtant.

    Nous n’avons que peu de chose à ajouter à ce que le lecteur connaît déjà de ce qui était arrivé à Jean Valjean depuis l’aventure de Petit-Gervais. À partir de ce moment, on l’a vu, il fut un autre homme. Ce que l’évêque avait voulu faire de lui, il l’exécuta. Ce fut plus qu’une transformation, ce fut une transfiguration.

    Il réussit à disparaître, vendit l’argenterie de l’évêque, ne gardant que les flambeaux, comme souvenir, se glissa de ville en ville, traversa la France, vint à Montreuil-sur-mer, eut l’idée que nous avons dite, accomplit ce que nous avons raconté, parvint à se faire insaisissable et inaccessible, et désormais, établi à Montreuil-sur-mer, heureux de sentir sa conscience attristée par son passé et la première moitié de son existence démentie par la dernière, il vécut paisible, rassuré et espérant, n’ayant plus que deux pensées : cacher son nom et sanctifier sa vie ; échapper aux hommes, et revenir à Dieu.

    Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu’elles n’en formaient qu’une seule ; elles étaient toutes deux également absorbantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions. D’ordinaire elles étaient d’accord pour régler la conduite de sa vie ; elles le tournaient vers l’ombre ; elles le faisaient bienveillant et simple ; elles lui conseillaient les mêmes choses. Quelquefois cependant il y avait conflit entre elles. Dans ce cas-là, on s’en souvient, l’homme que tout le pays de Montreuil-sur-mer appelait M. Madeleine ne balançait pas à sacrifier la première à la seconde, sa sécurité à sa vertu. Ainsi, en dépit de toute réserve et de toute prudence, il avait gardé les chandeliers de l’évêque, porté son deuil, appelé et interrogé tous les petits savoyards qui passaient, pris des renseignements sur les familles de Faverolles, et sauvé la vie au vieux Fauchelevent, malgré les inquiétantes insinuations de Javert. Il semblait, nous l’avons déjà remarqué, qu’il pensât, à l’exemple de tous ceux qui ont été sages, saints et justes, que son premier devoir n’était pas envers lui.

    Toutefois, il faut le dire, jamais rien de pareil ne s’était encore présenté. Jamais les deux idées qui gouvernaient le malheureux homme dont nous racontons les souffrances n’avaient engagé une lutte si sérieuse. Il le comprit confusément, mais profondément, dès les premières paroles que prononça Javert, en entrant dans son cabinet. Au moment où fut si étrangement articulé ce nom qu’il avait enseveli sous tant d’épaisseurs, il fut saisi de stupeur et comme enivré par la sinistre bizarrerie de sa destinée, et, à travers cette stupeur, il eut ce tressaillement qui précède les grandes secousses ; il se courba comme un chêne à l’approche d’un orage, comme un soldat à l’approche d’un assaut. Il sentit venir sur sa tête des ombres pleines de foudres et d’éclairs. Tout en écoutant parler Javert, il eut une première pensée d’aller, de courir, de se dénoncer, de tirer ce Champmathieu de prison et de s’y mettre ; cela fut douloureux et poignant comme une incision dans la chair vive, puis cela passa, et il se dit : — Voyons ! voyons ! — Il réprima ce premier mouvement généreux et recula devant l’héroïsme.

    Sans doute, il serait beau qu’après les saintes paroles de l’évêque, après tant d’années de repentir et d’abnégation, au milieu d’une pénitence admirablement commencée, cet homme, même en présence d’une si terrible conjoncture, n’eût pas bronché un instant et eût continué de marcher du même pas vers ce précipice ouvert au fond duquel était le ciel ; cela serait beau, mais cela ne fut pas ainsi. Il faut bien que nous rendions compte des choses qui s’accomplissaient dans cette âme, et nous ne pouvons dire que ce qui y était. Ce qui l’emporta tout d’abord, ce fut l’instinct de la conservation ; il rallia en hâte ses idées, étouffa ses émotions, considéra la présence de Javert, ce grand péril, ajourna toute résolution avec la fermeté de l’épouvante, s’étourdit sur ce qu’il y avait à faire, et reprit son calme comme un lutteur ramasse son bouclier.

    Le reste de la journée il fut dans cet état, un tourbillon au dedans, une tranquillité profonde au dehors ; il ne prit que ce qu’on pourrait appeler « les mesures conservatoires ». Tout était encore confus et se heurtait dans son cerveau ; le trouble y était tel qu’il ne voyait distinctement la forme d’aucune idée ; et lui-même n’aurait pu rien dire de lui-même, si ce n’est qu’il venait de recevoir un grand coup. Il se rendit comme d’habitude près du lit de douleur de Fantine et prolongea sa visite, par un instinct de bonté, se disant qu’il fallait agir ainsi et la bien recommander aux sœurs pour le cas où il arriverait qu’il eût à s’absenter. Il sentit vaguement qu’il faudrait peut-être aller à Arras, et, sans être le moins du monde décidé à ce voyage, il se dit qu’à l’abri de tout soupçon comme il l’était, il n’y avait point d’inconvénient à être témoin de ce qui se passerait, et il retint le tilbury de Scaufflaire, afin d’être préparé à tout événement.

    Il dîna avec assez d’appétit.

    Rentré dans sa chambre il se recueillit.

    Il examina la situation et la trouva inouïe ; tellement inouïe qu’au milieu de sa rêverie, par je ne sais quelle impulsion d’anxiété presque inexplicable, il se leva de sa chaise et ferma sa porte au verrou. Il craignait qu’il n’entrât encore quelque chose. Il se barricadait contre le possible.

    Un moment après il souffla sa lumière. Elle le gênait.

    Il lui semblait qu’on pouvait le voir.

    Qui, on ?

    Hélas ! ce qu’il voulait mettre à la porte était entré ; ce qu’il voulait aveugler, le regardait. Sa conscience.

    Sa conscience, c’est-à-dire Dieu.

    Pourtant, dans le premier moment, il se fit illusion ; il eut un sentiment de sûreté et de solitude ; le verrou tiré, il se crut imprenable ; la chandelle éteinte, il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même ; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres.

    Où en suis-je ? — Est-ce que je ne rêve pas ? — Que m’a-t-on dit ? — Est-il bien vrai que j’aie vu ce Javert et qu’il m’ait parlé ainsi ? — Que peut être ce Champmathieu ? — Il me ressemble donc ? — Est-ce possible ? — Quand je pense qu’hier j’étais si tranquille et si loin de me douter de rien ! — Qu’est-ce que je faisais donc hier à pareille heure ? — Qu’y a-t-il dans cet incident ? — Comment se dénouera-t-il ? — Que faire ?

    Voilà dans quelle tourmente il était. Son cerveau avait perdu la force de retenir ses idées, elles passaient comme des ondes, et il prenait son front dans ses deux mains pour les arrêter.

    De ce tumulte qui bouleversait sa volonté et sa raison, et dont il cherchait à tirer une évidence et une résolution, rien ne se dégageait que l’angoisse.

    Sa tête était brûlante. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande. Il n’y avait pas d’étoiles au ciel. Il revint s’asseoir près de la table.

    La première heure s’écoula ainsi.

    Peu à peu cependant des linéaments vagues commencèrent à se former et à se fixer dans sa méditation, et il put entrevoir avec la précision de la réalité, non l’ensemble de la situation, mais quelques détails.

    Il commença par reconnaître que, si extraordinaire et si critique que fût cette situation, il en était tout à fait le maître.

    Sa stupeur ne fit que s’en accroître.

    Indépendamment du but sévère et religieux que se proposaient ses actions, tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour n’était autre chose qu’un trou qu’il creusait pour y enfouir son nom. Ce qu’il avait toujours le plus redouté, dans ses heures de repli sur lui-même, dans ses nuits d’insomnie, c’était d’entendre jamais prononcer ce nom ; il se disait que ce serait là pour lui la fin de tout ; que le jour où ce nom reparaîtrait, il ferait évanouir autour de lui sa vie nouvelle, et, qui sait même peut-être ? au dedans de lui sa nouvelle âme. Il frémissait de la seule pensée que c’était possible. Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moments-là qu’une heure viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hideux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup de la nuit et se dresserait devant lui, où cette lumière formidable faite pour dissiper le mystère dont il s’enveloppait resplendirait subitement sur sa tête, et que ce nom ne le menacerait pas, que cette lumière ne produirait qu’une obscurité plus épaisse, que ce voile déchiré accroîtrait le mystère ; que ce tremblement de terre consoliderait son édifice, que ce prodigieux incident n’aurait d’autre résultat, si bon lui semblait, à lui, que de rendre son existence à la fois plus claire et plus impénétrable, et que, de sa confrontation avec le fantôme de Jean Valjean, le bon et digne bourgeois « monsieur Madeleine » sortirait plus honoré, plus paisible et plus respecté que jamais ; — si quelqu’un lui eût dit cela, il eût hoché la tête et regardé ces paroles comme insensées. Eh bien ! tout cela venait précisément d’arriver, tout cet entassement de l’impossible était un fait, et Dieu avait permis que ces choses folles devinssent des choses réelles !

    Sa rêverie continuait de s’éclaircir. Il se rendait de plus en plus compte de sa position.

    Il lui semblait qu’il venait de s’éveiller de je ne sais quel sommeil, et qu’il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant, reculant en vain, sur le bord extrême d’un abîme. Il entrevoyait distinctement dans l’ombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelqu’un y tombât, lui ou l’autre.

    Il n’avait qu’à laisser faire.

    La clarté devint complète, et il s’avoua ceci : — Que sa place était vide aux galères, qu’il avait beau faire, qu’elle l’y attendait toujours, que le vol de Petit-Gervais l’y ramenait, que cette place vide l’attendrait et l’attirerait jusqu’à ce qu’il y fût, que cela était inévitable et fatal. — Et puis il se dit : — Qu’en ce moment il avait un remplaçant, qu’il paraissait qu’un nommé Champmathieu avait cette mauvaise chance, et que, quant à lui, présent désormais au bagne dans la personne de ce Champmathieu, présent dans la société sous le nom de M. Madeleine, il n’avait plus rien à redouter, pourvu qu’il n’empêchât pas les hommes de sceller sur la tête de ce Champmathieu cette pierre de l’infamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais.

    Tout cela était si violent et si étrange qu’il se fit soudain en lui cette espèce de mouvement indescriptible qu’aucun homme n’éprouve plus de deux ou trois fois dans sa vie, sorte de convulsion de la conscience qui remue tout ce que le cœur a de douteux, qui se compose d’ironie, de joie et de désespoir, et qu’on pourrait appeler un éclat de rire intérieur.

    Il ralluma brusquement sa bougie.

    Eh bien quoi ! se dit-il, de quoi est-ce que j’ai peur ? qu’est-ce que j’ai à songer comme cela ? Me voilà sauvé. Tout est fini. Je n’avais plus qu’une porte entr’ouverte par laquelle mon passé pouvait faire irruption dans ma vie ; cette porte, la voilà murée ! à jamais ! Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m’avoir deviné, qui m’avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean ! Qui sait même, il est probable qu’il voudra quitter la ville ! Et tout cela s’est fait sans moi ! Et je n’y suis pour rien ! Ah çà, mais ! qu’est-ce qu’il y a de malheureux dans ceci ? Des gens qui me verraient, parole d’honneur ! croiraient qu’il m’est arrivé une catastrophe ! Après tout, s’il y a du mal pour quelqu’un, ce n’est aucunement de ma faute. C’est la providence qui a tout fait. C’est qu’elle veut cela apparemment ! Ai-je le droit de déranger ce qu’elle arrange ? Qu’est-ce que je demande à présent ? De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas. Comment ! je ne suis pas content ! Mais qu’est-ce qu’il me faut donc ? Le but auquel j’aspire depuis tant d’années, le songe de mes nuits, l’objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l’atteins ! C’est Dieu qui le veut. Je n’ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j’ai commencé, pour que je fasse le bien, pour que je sois un jour un grand et encourageant exemple, pour qu’il soit dit qu’il y a eu enfin un peu de bonheur attaché à cette pénitence que j’ai subie et à cette vertu où je suis revenu ! Vraiment je ne comprends pas pourquoi j’ai eu peur tantôt d’entrer chez ce brave curé et de tout lui raconter comme à un confesseur, et de lui demander conseil, c’est évidemment là ce qu’il m’aurait dit. C’est décidé, laissons aller les choses ! laissons faire le bon Dieu !

    Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme. Il se leva de sa chaise, et se mit à marcher dans la chambre. — Allons, dit-il, n’y pensons plus. Voilà une résolution prise ! — Mais il ne sentit aucune joie.

    Au contraire.

    On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée ; pour le coupable, cela s’appelle le remords. Dieu soulève l’âme comme l’océan.

    Au bout de peu d’instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c’était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu’il eût voulu taire, écoutant ce qu’il n’eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense ! comme elle disait il y a deux mille ans à un autre condamné : marche !

    Avant d’aller plus loin et pour être pleinement compris, insistons sur une observation nécessaire.

    Il est certain qu’on se parle à soi-même, il n’est pas un être pensant qui ne l’ait éprouvé. On peut dire même que le verbe n’est jamais un plus magnifique mystère que lorsqu’il va, dans l’intérieur d’un homme, de la pensée à la conscience et qu’il retourne de la conscience à la pensée. C’est dans ce sens seulement qu’il faut entendre les mots souvent employés dans ce chapitre, il dit, il s’écria. On se dit, on se parle, on s’écrie en soi-même, sans que le silence extérieur soit rompu. Il y a un grand tumulte ; tout parle en nous, excepté la bouche. Les réalités de l’âme, pour n’être point visibles et palpables, n’en sont pas moins des réalités.

    Il se demanda donc où il en était. Il s’interrogea sur cette « résolution prise ». Il se confessa à lui-même que tout ce qu’il venait d’arranger dans son esprit était monstrueux, que « laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu », c’était tout simplement horrible. Laisser s’accomplir cette méprise de la destinée et des hommes, ne pas l’empêcher, s’y prêter par son silence, ne rien faire enfin, c’était faire tout ! c’était le dernier degré de l’indignité hypocrite ! c’était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

    Pour la première fois depuis huit années, le malheureux homme venait de sentir la saveur amère d’une mauvaise pensée et d’une mauvaise action.

    Il la recracha avec dégoût.

    Il continua de se questionner. Il se demanda sévèrement ce qu’il avait entendu par ceci : « Mon but est atteint ! » Il se déclara que sa vie avait un but en effet. Mais quel but ? Cacher son nom ? tromper la police ? Était-ce pour une chose si petite qu’il avait fait tout ce qu’il avait fait ? Est-ce qu’il n’avait pas un autre but, qui était le grand, qui était le vrai ? Sauver, non sa personne, mais son âme. Redevenir honnête et bon. Être un juste ! Est-ce que ce n’était pas là surtout, là uniquement, ce qu’il avait toujours voulu, ce que l’évêque lui avait ordonné ? — Fermer la porte à son passé ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu’on appelle le bagne ! Au contraire, se livrer, sauver cet homme frappé d’une si lugubre erreur, reprendre son nom, redevenir par devoir le forçat Jean Valjean, c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ! Y retomber en apparence, c’était en sortir en réalité ! Il fallait faire cela ! il n’avait rien fait s’il ne faisait pas cela ! toute sa vie était inutile, toute sa pénitence était perdue, et il n’y avait plus qu’à dire : à quoi bon ? Il sentait que l’évêque était là, que l’évêque était d’autant plus présent qu’il était mort, que l’évêque le regardait fixement, que désormais le maire Madeleine avec toutes ses vertus lui serait abominable, et que le galérien Jean Valjean serait admirable et pur devant lui. Que les hommes voyaient son masque, mais que l’évêque voyait sa face. Que les hommes voyaient sa vie, mais que l’évêque voyait sa conscience. Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! c’était là le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir ; mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n’entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s’il rentrait dans l’infamie aux yeux des hommes !

    Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! faisons notre devoir ! sauvons cet homme !

    Il prononça ces paroles à haute voix, sans s’apercevoir qu’il parlait tout haut.

    Il prit ses livres, les vérifia et les mit en ordre. Il jeta au feu une liasse de créances qu’il avait sur de petits commerçants gênés. Il écrivit une lettre qu’il cacheta et sur l’enveloppe de laquelle on aurait pu lire, s’il y avait eu quelqu’un dans sa chambre en cet instant : À Monsieur Laffitte, banquier, rue d’Artois, à Paris.

    Il tira d’un secrétaire un portefeuille qui contenait quelques billets de banque et le passeport dont il s’était servi cette même année pour aller aux élections.

    Qui l’eût vu pendant qu’il accomplissait ces divers actes auxquels se mêlait une méditation si grave, ne se fût pas douté de ce qui se passait en lui. Seulement par moments ses lèvres remuaient ; dans d’autres instants il relevait la tête et fixait son regard sur un point quelconque de la muraille, comme s’il y avait précisément là quelque chose qu’il voulait éclaircir ou interroger.

    La lettre à M. Laffitte terminée, il la mit dans sa poche ainsi que le portefeuille, et recommença à marcher.

    Sa rêverie n’avait point dévié. Il continuait de voir clairement son devoir écrit en lettres lumineuses qui flamboyaient devant ses yeux et se déplaçaient avec son regard : — Va ! nomme-toi ! dénonce-toi !

    Il voyait de même, et comme si elles se fussent mues devant lui avec des formes sensibles, les deux idées qui avaient été jusque-là la double règle de sa vie : cacher son nom, sanctifier son âme. Pour la première fois, elles lui apparaissaient absolument distinctes, et il voyait la différence qui les séparait. Il reconnaissait que l’une de ces idées était nécessairement bonne, tandis que l’autre pouvait devenir mauvaise ; que celle-là était le dévouement et que celle-ci était la personnalité ; que l’une disait : le prochain, et que l’autre disait : moi ; que l’une venait de la lumière et que l’autre venait de la nuit.

    Elles se combattaient, il les voyait se combattre. À mesure qu’il songeait, elles avaient grandi devant l’œil de son esprit ; elles avaient maintenant des statures colossales ; et il lui semblait qu’il voyait lutter au dedans de lui-même, dans cet infini dont nous parlions tout à l’heure, au milieu des obscurités et des lueurs, une déesse et une géante.

    Il était plein d’épouvante, mais il lui semblait que la bonne pensée l’emportait.

    Il sentait qu’il touchait à l’autre moment décisif de sa conscience et de sa destinée ; que l’évêque avait marqué la première phase de sa vie nouvelle, et que ce Champmathieu en marquait la seconde. Après la grande crise, la grande épreuve.

    Cependant la fièvre, un instant apaisée, lui revenait peu à peu. Mille pensées le traversaient, mais elles continuaient de le fortifier dans sa résolution.

    Un moment il s’était dit : — qu’il prenait peut-être la chose trop vivement, qu’après tout ce Champmathieu n’était pas intéressant, qu’en somme il avait volé.

    Il se répondit : — Si cet homme a en effet volé quelques pommes, c’est un mois de prison. Il y a loin de là aux galères. Et qui sait même ? a-t-il volé ? est-ce prouvé ? Le nom de Jean Valjean l’accable et semble dispenser de preuves. Les procureurs du roi n’agissent-ils pas habituellement ainsi ? On le croit voleur parce qu’on le sait forçat.

    Dans un autre instant, cette idée lui vint que, lorsqu’il se serait dénoncé, peut-être on considérerait l’héroïsme de son action, et sa vie honnête depuis sept ans, et ce qu’il avait fait pour le pays, et qu’on lui ferait grâce.

    Mais cette supposition s’évanouit bien vite, et il sourit amèrement en songeant que le vol des quarante sous à Petit-Gervais le faisait récidiviste, que cette affaire reparaîtrait certainement et, aux termes précis de la loi, le ferait passible des travaux forcés à perpétuité.

    Il se détourna de toute illusion, se détacha de plus en plus de la terre et chercha la consolation et la force ailleurs. Il se dit qu’il fallait faire son devoir ; que peut-être même ne serait-il pas plus malheureux après avoir fait son devoir qu’après l’avoir éludé ; que s’il laissait faire, s’il restait à Montreuil-sur-Mer, sa considération, sa bonne renommée, ses bonnes œuvres, la déférence, la vénération, sa charité, sa richesse, sa popularité, sa vertu, seraient assaisonnées d’un crime ; et quel goût auraient toutes ces choses saintes liées à cette chose hideuse ! tandis que, s’il accomplissait son sacrifice, au bagne, au poteau, au carcan, au bonnet vert, au travail sans relâche, à la honte sans pitié, il se mêlerait une idée céleste !

    Enfin il se dit qu’il y avait nécessité, que sa destinée était ainsi faite, qu’il n’était pas maître de déranger les arrangements d’en haut, que dans tous les cas il fallait choisir : ou la vertu au dehors et l’abomination au dedans, ou la sainteté au dedans et l’infamie au dehors.

    À remuer tant d’idées lugubres, son courage ne défaillait pas, mais son cerveau se fatiguait. Il commençait à penser malgré lui à d’autres choses, à des choses indifférentes.

    Ses artères battaient violemment dans ses tempes. Il allait et venait toujours. Minuit sonna d’abord à la paroisse, puis à la maison de ville. Il compta les douze coups aux deux horloges, et il compara le son des deux cloches. Il se rappela à cette occasion que quelques jours auparavant il avait vu chez un marchand de ferrailles une vieille cloche à vendre sur laquelle ce nom était écrit : Antoine Albin de Romainville.

    Il avait froid. Il alluma un peu de feu. Il ne songea pas à fermer la fenêtre.

    Cependant il était retombé dans sa stupeur. Il lui fallait faire un assez grand effort pour se rappeler à quoi il songeait avant que minuit sonnât. Il y parvint enfin.

    Ah ! oui, se dit-il, j’avais pris la résolution de me dénoncer.

    Et puis tout à coup il pensa à la Fantine.

    Tiens ! dit-il, et cette pauvre femme !

    Ici une crise nouvelle se déclara.

    Fantine, apparaissant brusquement dans sa rêverie, y fut comme un rayon d’une lumière inattendue. Il lui sembla que tout changeait d’aspect autour de lui, il s’écria :

    Ah çà, mais ! jusqu’ici je n’ai considéré que moi ! je n’ai eu égard qu’à ma convenance ! Il me convient de me taire ou de me dénoncer, — cacher ma personne ou sauver mon âme, — être un magistrat méprisable et respecté ou un galérien infâme et vénérable, c’est moi, c’est toujours moi, ce n’est que moi ! Mais, mon Dieu, c’est de l’égoïsme tout cela ! Ce sont des formes diverses de l’égoïsme, mais c’est de l’égoïsme ! Si je songeais un peu aux autres ? La première sainteté est de penser à autrui. Voyons, examinons. Moi excepté, moi effacé, moi oublié, qu’arrivera-t-il de tout ceci ? — Si je me dénonce ? on me prend, on lâche ce Champmathieu, on me remet aux galères, c’est bien, et puis ? Que se passe-t-il ici ? Ah ! ici, il y a un pays, une ville, des fabriques, une industrie, des ouvriers, des hommes, des femmes, des vieux grands-pères, des enfants, des pauvres gens ! J’ai créé tout cela, je fais vivre tout cela ; partout où il y a une cheminée qui fume, c’est moi qui ai mis le tison dans le feu et la viande dans la marmite ; j’ai fait l’aisance, la circulation, le crédit ; avant moi il n’y avait rien ; j’ai relevé, vivifié, animé, fécondé, stimulé, enrichi tout le pays ; moi de moins, c’est l’âme de moins. Je m’ôte, tout meurt. — Et cette femme qui a tant souffert, qui a tant de mérites dans sa chute, dont j’ai causé sans le vouloir tout le malheur ! Et cet enfant que je voulais aller chercher, que j’ai promis à la mère ! Est-ce que je ne dois pas aussi quelque chose à cette femme, en réparation du mal que je lui ai fait ? Si je disparais, qu’arrive-t-il ? La mère meurt. L’enfant devient ce qu’il peut. Voilà ce qui se passe, si je me dénonce.

    Si je ne me dénonce pas !... Voyons, si je ne me dénonce pas ?

    Après s’être fait cette question, il s’arrêta ; il eut comme un moment d’hésitation et de tremblement ; mais ce moment dura peu, et il se répondit avec calme :

    Eh bien, cet homme va aux galères, c’est vrai, mais, que diable ! il a volé ! J’ai beau me dire qu’il n’a pas volé, il a volé ! Moi, je reste ici, je continue. Dans dix ans j’aurai gagné dix millions, je les répands dans le pays, je n’ai rien à moi, qu’est-ce que cela me fait ? Ce n’est pas pour moi ce que je fais ! La prospérité de tous va croissant, les industries s’éveillent et s’excitent, les manufactures et les usines se multiplient, les familles, cent familles, mille familles ! sont heureuses ; la contrée se peuple ; il naît des villages où il n’y a que des fermes, il naît des fermes où il n’y a rien ; la misère disparaît, et avec la misère disparaissent la débauche, la prostitution, le vol, le meurtre, tous les vices, tous les crimes ! Et cette pauvre mère élève son enfant ! et voilà tout un pays riche et honnête ! Ah çà, j’étais fou, j’étais absurde, qu’est-ce que je parlais donc de me dénoncer ? Il faut faire attention, vraiment, et ne rien précipiter. Quoi ! parce qu’il m’aura plu de faire le grand et le généreux, — c’est du mélodrame, après tout ! — parce que je n’aurai songé qu’à moi, qu’à moi seul, quoi ! pour sauver d’une punition peut-être un peu exagérée, mais juste au fond, on ne sait qui, un voleur, un drôle évidemment, il faudra que tout un pays périsse ! il faudra qu’une pauvre femme crève à l’hôpital ! qu’une pauvre petite fille crève sur le pavé ! comme des chiens ! Ah ! mais c’est abominable ! Sans même que la mère ait revu son enfant ! sans que l’enfant ait presque connu sa mère ! Et tout ça pour ce vieux gredin de voleur de pommes qui, à coup sûr, a mérité les galères pour autre chose, si ce n’est pour cela ! Beaux scrupules qui sauvent un coupable et qui sacrifient des innocents, qui sauvent un vieux vagabond, lequel n’a plus que quelques années à vivre au bout du compte et ne sera guère plus malheureux au bagne que dans sa masure, et qui sacrifient toute une population, mères, femmes, enfants ! Cette pauvre petite Cosette qui n’a que moi au monde et qui est sans doute en ce moment toute bleue de froid dans le bouge de ces Thénardier ! Voilà encore des canailles, ceux-là ! Et je manquerais à mes devoirs envers tous ces pauvres êtres ! Et je m’en irais me dénoncer ! Et je ferais cette inepte sottise ! Mettons tout au pis. Supposons qu’il y ait une mauvaise action pour moi dans ceci et que ma conscience me la reproche un jour, accepter, pour le bien d’autrui, ces reproches qui ne chargent que moi, cette mauvaise action qui ne compromet que mon âme, c’est là qu’est le dévouement, c’est là qu’est la vertu.

    Il se leva, il se remit à marcher. Cette fois il lui semblait qu’il était content.

    On ne trouve les diamants que dans les ténèbres de la terre ; on ne trouve les vérités que dans les profondeurs de la pensée. Il lui semblait qu’après être descendu dans ces profondeurs, après avoir longtemps tâtonné au plus noir de ces ténèbres, il venait enfin de trouver un de ces diamants, une de ces vérités, et qu’il la tenait dans sa main ; et il s’éblouissait à la regarder.

    Oui, pensa-t-il, c’est cela. Je suis dans le vrai. J’ai la solution. Il faut finir par s’en tenir à quelque chose. Mon parti est pris. Laissons faire ! Ne vacillons plus, ne reculons plus. Ceci est dans l’intérêt de tous, non dans le mien. Je suis Madeleine, je reste Madeleine. Malheur à celui qui est Jean Valjean ! Ce n’est plus moi. Je ne connais pas cet homme, je ne sais plus ce que c’est, s’il se trouve que quelqu’un est Jean Valjean à cette heure, qu’il s’arrange ! cela ne me regarde pas. C’est un nom de fatalité qui flotte dans la nuit, s’il s’arrête et s’abat sur une tête, tant pis pour elle !

    Il se regarda dans le petit miroir qui était sur sa cheminée, et dit :

    Tiens ! cela m’a soulagé de prendre une résolution ! Je suis tout autre à présent.

    Il marcha encore quelques pas, puis il s’arrêta court :

    Allons ! dit-il, il ne faut hésiter devant aucune des conséquences de la résolution prise. Il y a encore des fils qui m’attachent à ce Jean Valjean. Il faut les briser ! Il y a ici, dans cette chambre même, des objets qui m’accuseraient, des choses muettes qui seraient des témoins, c’est dit, il faut que tout cela disparaisse.

    Il fouilla dans sa poche, en tira sa bourse, l’ouvrit, et y prit une petite clef.

    Il introduisit cette clef dans une serrure dont on voyait à peine le trou, perdu qu’il était dans les nuances les plus sombres du dessin qui couvrait le papier collé sur le mur. Une cachette s’ouvrit, une espèce de fausse armoire ménagée entre l’angle de la muraille et le manteau de la cheminée. Il n’y avait dans cette cachette que quelques guenilles, un sarrau de toile bleue, un vieux pantalon, un vieux havresac, et un gros bâton d’épine ferré aux deux bouts. Ceux qui avaient vu Jean Valjean à l’époque où il traversait Digne, en octobre 1815, eussent aisément reconnu toutes les pièces de ce misérable accoutrement.

    Il les avait conservées comme il avait conservé les chandeliers d’argent, pour se rappeler toujours son point de départ. Seulement il cachait ceci qui venait du bagne, et il laissait voir les flambeaux qui venaient de l’évêque.

    Il jeta un regard furtif vers la porte, comme s’il eût craint qu’elle ne s’ouvrît malgré le verrou qui la fermait ; puis d’un mouvement vif et brusque et d’une seule brassée, sans même donner un coup d’œil à ces choses qu’il avait si religieusement et si périlleusement gardées pendant tant d’années, il prit tout, haillons, bâton, havresac, et jeta tout au feu.

    Il referma la fausse armoire, et, redoublant de précautions, désormais inutiles puisqu’elle était vide, en cacha la porte derrière un gros meuble qu’il y poussa.

    Au bout de quelques secondes, la chambre et le mur d’en face furent éclairés d’une grande réverbération rouge et tremblante. Tout brûlait. Le bâton d’épine pétillait et jetait des étincelles jusqu’au milieu de la chambre.

    Le havresac, en se consumant avec d’affreux chiffons qu’il contenait, avait mis à nu quelque chose qui brillait dans la cendre. En se penchant, on eût aisément reconnu une pièce d’argent. Sans doute la pièce de quarante sous volée au petit savoyard.

    Lui ne regardait pas le feu et marchait, allant et venant toujours du même pas.

    Tout à coup ses yeux tombèrent sur les deux flambeaux d’argent que la réverbération faisait reluire vaguement sur la cheminée.

    Tiens ! pensa-t-il, tout Jean Valjean est encore là-dedans. Il faut aussi détruire cela.

    Il prit les deux flambeaux.

    Il y avait assez de feu pour qu’on pût les déformer promptement et en faire une sorte de lingot méconnaissable.

    Il se pencha sur le foyer et s’y chauffa un instant. Il eut un vrai bien-être. — La bonne chaleur ! dit-il.

    Il remua le brasier avec un des deux chandeliers.

    Une minute de plus, et ils étaient dans le feu.

    En ce moment il lui sembla qu’il entendait une voix qui criait au dedans de lui :

    Jean Valjean ! Jean Valjean !

    Ses cheveux se dressèrent, il devint comme un homme qui écoute une chose terrible.

    Oui ! c’est cela, achève ! disait la voix. Complète ce que tu fais ! détruis ces flambeaux ! anéantis ce souvenir ! oublie l’évêque ! oublie tout ! perds ce Champmathieu ! va, c’est bien. Applaudis-toi ! Ainsi, c’est convenu, c’est résolu, c’est dit, voilà un homme, voilà un vieillard qui ne sait ce qu’on lui veut, qui n’a rien fait peut-être, un innocent, dont ton nom fait tout le malheur, sur qui ton nom pèse comme un crime, qui va être pris pour toi, qui va être condamné, qui va finir ses jours dans l’abjection et dans l’horreur ! c’est bien. Sois honnête homme, toi. Reste monsieur le maire, reste honorable et honoré, enrichis la ville, nourris des indigents, élève des orphelins, vis heureux, vertueux et admiré, et pendant ce temps-là, pendant que tu seras ici dans la joie et dans la lumière, il y aura quelqu’un qui aura ta casaque rouge, qui portera ton nom dans l’ignominie et qui traînera ta chaîne au bagne ! Oui, c’est bien arrangé ainsi ! Ah ! misérable !

    La sueur lui coulait du front. Il attachait sur les flambeaux un œil hagard. Cependant ce qui parlait en lui n’avait pas fini. La voix continuait :

    Jean Valjean ! il y aura autour de toi beaucoup de voix qui feront un grand bruit, qui parleront bien haut, et qui te béniront, et une seule que personne n’entendra et qui te maudira dans les ténèbres. Eh bien ! écoute, infâme ! toutes ces bénédictions retomberont avant d’arriver au ciel, et il n’y aura que la malédiction qui montera jusqu’à Dieu !

    Cette voix, d’abord toute faible et qui s’était élevée du plus obscur de sa conscience, était devenue par degrés éclatante et formidable, et il l’entendait maintenant à son oreille. Il lui semblait qu’elle était sortie de lui-même et qu’elle parlait à présent en dehors de lui. Il crut entendre les dernières paroles si distinctement qu’il regarda dans la chambre avec une sorte de terreur.

    Y a-t-il quelqu’un ici ? demanda-t-il à haute voix, et tout égaré.

    Puis il reprit avec un rire qui ressemblait au rire d’un idiot :

    Que je suis bête ! il ne peut y avoir personne.

    Il y avait quelqu’un ; mais celui qui y était n’était pas de ceux que l’œil humain peut voir.

    Il posa les flambeaux sur la cheminée.

    Alors il reprit cette marche monotone et lugubre qui troublait dans ses rêves et réveillait en sursaut l’homme endormi au-dessous de lui.

    Cette marche le soulageait et l’enivrait en même temps. Il semble que parfois dans les occasions suprêmes on se remue pour demander conseil à tout ce qu’on peut rencontrer en se déplaçant. Au bout de quelques instants il ne savait plus où il en était.

    Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. — Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir !

    Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans ces livres, il n’écrirait plus sur cette petite table de bois blanc ! Sa vieille portière, la seule servante qu’il eût, ne lui monterait plus son café le matin. Grand Dieu ! au lieu de cela, la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaîne au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp, toutes ces horreurs connues ! À son âge, après avoir été ce qu’il était ! Si encore il était jeune ! Mais, vieux, être tutoyé par le premier venu, être fouillé par le garde-chiourme, recevoir le coup de bâton de l’argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier qui visite la manille ! subir la curiosité des étrangers auxquels on dirait : Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-mer ! Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l’escalier-échelle du bagne flottant ! Oh ! quelle misère ! La destinée peut-elle donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cœur humain !

    Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : — rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer, et y devenir ange !

    Que faire, grand Dieu ! que faire ?

    La tourmente dont il était sorti avec tant de peine se déchaîna de nouveau en lui. Ses idées recommencèrent à se mêler. Elles prirent ce je ne sais quoi de stupéfié et de machinal qui est propre au désespoir. Le nom de Romainville lui revenait sans cesse à l’esprit avec deux vers d’une chanson qu’il avait entendue autrefois. Il songeait que Romainville est un petit bois près Paris où les jeunes gens amoureux vont cueillir des lilas au mois d’avril.

    Il chancelait au dehors comme au dedans. Il marchait comme un petit enfant qu’on laisse aller seul.

    À de certains moments, luttant contre sa lassitude, il faisait effort pour ressaisir son intelligence. Il tâchait de se poser une dernière fois, et définitivement, le problème sur lequel il était en quelque sorte tombé d’épuisement. Faut-il se dénoncer ! Faut-il se taire ? — Il ne réussissait à rien voir de distinct. Les vagues aspects de tous les raisonnements ébauchés par sa rêverie tremblaient et se dissipaient l’un après l’autre en fumée. Seulement il sentait que, à quelque parti qu’il s’arrêtât, nécessairement, et sans qu’il fût possible d’y échapper, quelque chose de lui allait mourir ; qu’il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; qu’il accomplissait une agonie, l’agonie de son bonheur ou l’agonie de sa vertu.

    Hélas ! toutes ses irrésolutions l’avaient repris. Il n’était pas plus avancé qu’au commencement.

    Ainsi se débattait sous l’angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l’être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l’humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l’infini, longtemps écarté de la main l’effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d’ombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines d’étoiles.


     

    IV

    FORMES QUE PREND LA SOUFFRANCE PENDANT LE SOMMEIL


     

    Trois heures du matin venaient de sonner, et il y avait cinq heures qu’il marchait ainsi, presque sans interruption lorsqu’il se laissa tomber sur sa chaise.

    Il s’y endormit et fit un rêve.

    Ce rêve, comme la plupart des rêves, ne se rapportait à la situation que par je ne sais quoi de funeste et de poignant, mais il lui fit impression. Ce cauchemar le frappa tellement que plus tard il l’a écrit. C’est un des papiers écrits de sa main qu’il a laissés. Nous croyons devoir transcrire ici cette chose textuellement.

    Quel que soit ce rêve, l’histoire de cette nuit serait incomplète si nous l’omettions. C’est la sombre aventure d’une âme malade.

    Le voici. Sur l’enveloppe nous trouvons cette ligne écrite : Le rêve que j’ai eu cette nuit-là.

    « J’étais dans une campagne. Une grande campagne triste où il n’y avait pas d’herbe. Il ne me semblait pas qu’il fît jour, ni qu’il fît nuit.

    « Je me promenais avec mon frère, le frère de mes années d’enfance, ce frère auquel je dois dire que je ne pense jamais et dont je ne me souviens presque plus.

    « Nous causions, et nous rencontrions des passants. Nous parlions d’une voisine que nous avions eue autrefois, et qui, depuis qu’elle demeurait sur la rue, travaillait la fenêtre toujours ouverte. Tout en causant, nous avions froid à cause de cette fenêtre ouverte.

    « Il n’y avait pas d’arbres dans la campagne.

    « Nous vîmes un homme qui passa près de nous. C’était un homme tout nu, couleur de cendre, monté sur un cheval couleur de terre. L’homme n’avait pas de cheveux ; on voyait son crâne et des veines sur son crâne. Il tenait à la main une baguette qui était souple comme un sarment de vigne et lourde comme du fer. Ce cavalier passa et ne nous dit rien.

    « Mon frère me dit : Prenons par le chemin creux.

    « Il y avait un chemin creux où l’on ne voyait pas une broussaille ni un brin de mousse. Tout était couleur de terre, même le ciel. Au bout de quelques pas, on ne me répondit plus quand je parlais. Je m’aperçus que mon frère n’était plus avec moi.

    « J’entrai dans un village que je vis. Je songeai que ce devait être là Romainville (pourquoi Romainville ?).[1]

    « La première rue où j’entrai était déserte. J’entrai dans une seconde rue. Derrière l’angle que faisaient les deux rues, il y avait un homme debout contre le mur. Je dis à cet homme : Quel est ce pays ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas. Je vis la porte d’une maison ouverte, j’y entrai.

    « La première chambre était déserte. J’entrai dans la seconde. Derrière la porte de cette chambre, il y avait un homme debout contre le mur. Je demandai à cet homme : — À qui est cette maison ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « La maison avait un jardin. Je sortis de la maison et j’entrai dans le jardin. Le jardin était désert. Derrière le premier arbre, je trouvai un homme qui se tenait debout. Je dis à cet homme : Quel est ce jardin ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « J’errai dans le village, et je m’aperçus que c’était une ville. Toutes les rues étaient désertes, toutes les portes étaient ouvertes. Aucun être vivant ne passait dans les rues, ne marchait dans les chambres ou ne se promenait dans les jardins. Mais il y avait derrière chaque angle de mur, derrière chaque porte, derrière chaque arbre, un homme debout qui se taisait. On n’en voyait jamais qu’un à la fois. Ces hommes me regardaient passer.

    « Je sortis de la ville et je me mis à marcher dans les champs.

    « Au bout de quelque temps, je me retournai, et je vis une grande foule qui venait derrière moi. Je reconnus tous les hommes que j’avais vus dans la ville. Ils avaient des têtes étranges. Ils ne semblaient pas se hâter, et cependant ils marchaient plus vite que moi. Ils ne faisaient aucun bruit en marchant. En un instant, cette foule me rejoignit et m’entoura. Les visages de ces hommes étaient couleur de terre.

    « Alors le premier que j’avais vu et questionné en entrant dans la ville me dit : — Où allez-vous ? Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes mort depuis longtemps ?

    « J’ouvris la bouche pour répondre, et je m’aperçus qu’il n’y avait personne autour de moi. »

    Il se réveilla. Il était glacé. Un vent qui était froid comme le vent du matin faisait tourner dans leurs gonds les châssis de la croisée restée ouverte. Le feu s’était éteint. La bougie touchait à sa fin. Il était encore nuit noire.

    Il se leva, il alla à la fenêtre. Il n’y avait toujours pas d’étoiles au ciel.

    De sa fenêtre on voyait la cour de la maison et la rue. Un bruit sec et dur qui résonna tout à coup sur le sol lui fit baisser les yeux.

    Il vit au-dessous de lui deux étoiles rouges dont les rayons s’allongeaient et se raccourcissaient bizarrement dans l’ombre.

    Comme sa pensée était encore à demi submergée dans la brume des rêves, — Tiens ! songea-t-il, il n’y en a pas dans le ciel. Elles sont sur la terre maintenant.

    Cependant ce trouble se dissipa, un second bruit pareil au premier acheva de le réveiller, il regarda, et il reconnut que ces deux étoiles étaient les lanternes d’une voiture. À la clarté qu’elles jetaient, il put distinguer la forme de cette voiture. C’était un tilbury attelé d’un petit cheval blanc. Le bruit qu’il avait entendu, c’étaient les coups de pied du cheval sur le pavé.

    Qu’est-ce que c’est que cette voiture ? se dit-il. Qui est-ce qui vient donc si matin ?

    En ce moment on frappa un petit coup à la porte de sa chambre.

    Il frissonna de la tête aux pieds, et cria d’une voix terrible :

    Qui est là ?

    Quelqu’un répondit :

    Moi, monsieur le maire.

    Il reconnut la voix de la vieille femme, sa portière.

    Eh bien, reprit-il, qu’est-ce que c’est ?

    Monsieur le maire, il est tout à l’heure cinq heures du matin.

    Qu’est-ce que cela me fait ?

    Monsieur le maire, c’est le cabriolet.

    Quel cabriolet ?

    Le tilbury.

    Quel tilbury ?

    Est-ce que monsieur le maire n’a pas fait demander un tilbury ?

    Non, dit-il.

    Le cocher dit qu’il vient chercher monsieur le maire.

    Quel cocher ?

    Le cocher de M. Scaufflaire.

    M. Scaufflaire ?

    Ce nom le fit tressaillir comme si un éclair lui eût passé devant la face.

    Ah ! oui ! reprit-il, M. Scaufflaire.

    Si la vieille femme l’eût pu voir en ce moment, elle eût été épouvantée.

    Il se fit un assez long silence. Il examinait d’un air stupide la flamme de la bougie et prenait autour de la mèche de la cire brûlante qu’il roulait dans ses doigts. La vieille attendait. Elle se hasarda pourtant à élever encore la voix :

    Monsieur le maire, que faut-il que je réponde ?

    Dites que c’est bien, et que je descends.


     

    V

    BÂTONS DANS LES ROUES


     

    Le service des postes d’Arras à Montreuil-sur-mer se faisait encore à cette époque par de petites malles du temps de l’empire. Ces malles étaient des cabriolets à deux roues, tapissés de cuir fauve au dedans, suspendus sur des ressorts à pompe, et n’ayant que deux places, l’une pour le courrier, l’autre pour le voyageur. Les roues étaient armées de ces longs moyeux offensifs qui tiennent les autres voitures à distance et qu’on voit encore sur les routes d’Allemagne. Le coffre aux dépêches, immense boîte oblongue, était placé derrière le cabriolet et faisait corps avec lui. Ce coffre était peint en noir et le cabriolet en jaune.

    Ces voitures, auxquelles rien ne ressemble aujourd’hui, avaient je ne sais quoi de difforme et de bossu, et, quand on les voyait passer de loin et ramper dans quelque route à l’horizon, elles ressemblaient à ces insectes qu’on appelle, je crois, termites, et qui, avec un petit corsage, traînent un gros arrière-train. Elles allaient, du reste, fort vite. La malle partie d’Arras toutes les nuits à une heure, après le passage du courrier de Paris, arrivait à Montreuil-sur-mer un peu avant cinq heures du matin.

    Cette nuit-là, la malle qui descendait à Montreuil-sur-mer par la route de Hesdin accrocha, au tournant d’une rue, au moment où elle entrait dans la ville, un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, qui venait en sens inverse et dans lequel il n’y avait qu’une personne, un homme enveloppé d’un manteau. La roue du tilbury reçut un choc assez rude. Le courrier cria à cet homme d’arrêter, mais le voyageur n’écouta pas, et continua sa route au grand trot.

    Voilà un homme diablement pressé ! dit le courrier.

    L’homme qui se hâtait ainsi, c’est celui que nous venons de voir se débattre dans des convulsions dignes à coup sûr de pitié.

    Où allait-il ? Il n’eût pu le dire. Pourquoi se hâtait-il ? Il ne savait. Il allait au hasard devant lui. Où ? À Arras sans doute ; mais il allait peut-être ailleurs aussi. Par moments il le sentait, et il tressaillait. Il s’enfonçait dans cette nuit comme dans un gouffre. Quelque chose le poussait, quelque chose l’attirait. Ce qui se passait en lui, personne ne pourrait le dire, tous le comprendront. Quel homme n’est entré, au moins une fois en sa vie, dans cette obscure caverne de l’inconnu ?

    Du reste il n’avait rien résolu, rien décidé, rien arrêté, rien fait. Aucun des actes de sa conscience n’avait été définitif. Il était plus que jamais comme au premier moment.

    Pourquoi allait-il à Arras ?

    Il se répétait ce qu’il s’était déjà dit en retenant le cabriolet de Scaufflaire, — que, quel que dût être le résultat, il n’y avait aucun inconvénient à voir de ses yeux, à juger les choses par lui-même ; — que cela même était prudent, qu’il fallait savoir ce qui se passerait ; — qu’on ne pouvait rien décider sans avoir observé et scruté ; — que de loin on se faisait des montagnes de tout ; qu’au bout du compte, lorsqu’il aurait vu ce Champmathieu, quelque misérable, sa conscience serait probablement fort soulagée de le laisser aller au bagne à sa place ; — qu’à la vérité il y aurait là Javert, et ce Brevet, ce Chenildieu, ce Cochepaille, anciens forçats qui l’avaient connu ; mais qu’à coup sûr ils ne le reconnaîtraient pas ; — bah ! quelle idée ! — que Javert en était à cent lieues ; — que toutes les conjectures et toutes les suppositions étaient fixées sur ce Champmathieu, et que rien n’est entêté comme les suppositions et les conjectures ; — qu’il n’y avait donc aucun danger.

    Que sans doute c’était un moment noir, mais qu’il en sortirait ; — qu’après tout il tenait sa destinée, si mauvaise qu’elle voulût être, dans sa main ; — qu’il en était le maître. Il se cramponnait à cette pensée.

    Au fond, pour tout dire, il eût mieux aimé ne point aller à Arras.

    Cependant il y allait.

    Tout en songeant, il fouettait le cheval, lequel trottait de ce bon trot réglé et sûr qui fait deux lieues et demie à l’heure.

    À mesure que le cabriolet avançait, il sentait quelque chose en lui qui reculait.

    Au point du jour il était en rase campagne ; la ville de Montreuil-sur-mer était assez loin derrière lui. Il regarda l’horizon blanchir ; il regarda, sans les voir, passer devant ses yeux toutes les froides figures d’une aube d’hiver. Le matin a ses spectres comme le soir. Il ne les voyait pas, mais, à son insu, et par une sorte de pénétration presque physique, ces noires silhouettes d’arbres et de collines ajoutaient à l’état violent de son âme je ne sais quoi de morne et de sinistre.

    Chaque fois qu’il passait devant une de ces maisons isolées qui côtoient parfois les routes, il se disait : il y a pourtant là-dedans des gens qui dorment !

    Le trot du cheval, les grelots du harnais, les roues sur le pavé, faisaient un bruit doux et monotone. Ces choses-là sont charmantes quand on est joyeux et lugubres quand on est triste.

    Il était grand jour lorsqu’il arriva à Hesdin. Il s’arrêta devant une auberge pour laisser souffler le cheval et lui faire donner l’avoine.

    Ce cheval était, comme l’avait dit Scaufflaire, de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre et pas assez d’encolure, mais qui a le poitrail ouvert, la croupe large, la jambe sèche et fine et le pied solide ; race laide, mais robuste et saine. L’excellente bête avait fait cinq lieues en deux heures et n’avait pas une goutte de sueur sur la croupe.

    Il n’était pas descendu du tilbury. Le garçon d’écurie qui apportait l’avoine se baissa tout à coup et examina la roue de gauche.

    Allez-vous loin comme cela ? dit cet homme.

    Il répondit, presque sans sortir de sa rêverie :

    Pourquoi ?

    Venez-vous de loin ? reprit le garçon.

    De cinq lieues d’ici.

    Ah !

    Pourquoi dites-vous : ah ?

    Le garçon se pencha de nouveau, resta un moment silencieux, l’œil fixé sur la roue, puis se redressa en disant :

    C’est que voilà une roue qui vient de faire cinq lieues, c’est possible, mais qui à coup sûr ne fera pas maintenant un quart de lieue.

    Il sauta à bas du tilbury.

    Que dites-vous là, mon ami ?

    Je dis que c’est un miracle que vous ayez fait cinq lieues sans rouler, vous et votre cheval, dans quelque fossé de la grande route. Regardez plutôt.

    La roue en effet était gravement endommagée. Le choc de la malle-poste avait fendu deux rayons et labouré le moyeu dont l’écrou ne tenait plus.

    Mon ami, dit-il au garçon d’écurie, il y a un charron ici ?

    Sans doute, monsieur.

    Rendez-moi le service de l’aller chercher.

    Il est là, à deux pas. Hé ! maître Bourgaillard !

    Maître Bourgaillard, le charron, était sur le seuil de sa porte. Il vint examiner la roue et fit la grimace d’un chirurgien qui considère une jambe cassée.

    Pouvez-vous raccommoder cette roue sur-le-champ ?

    Oui, monsieur.

    Quand pourrai-je repartir ?

    Demain.

    Demain !

    Il y a une grande journée d’ouvrage. Est-ce que monsieur est pressé ?

    Très pressé. Il faut que je reparte dans une heure au plus tard.

    Impossible, monsieur.

    Je payerai tout ce qu’on voudra.

    Impossible.

    Eh bien ! dans deux heures.

    Impossible pour aujourd’hui. Il faut refaire deux rais et un moyeu. Monsieur ne pourra repartir avant demain.

    L’affaire que j’ai ne peut attendre à demain. Si, au lieu de raccommoder cette roue, on la remplaçait ?

    Comment cela ?

    Vous êtes charron ?

    Sans doute, monsieur.

    Est-ce que vous n’auriez pas une roue à me vendre ? Je pourrais repartir tout de suite.

    Une roue de rechange ?

    Oui.

    Je n’ai pas une roue toute faite pour votre cabriolet. Deux roues font la paire. Deux roues ne vont pas ensemble au hasard.

    En ce cas, vendez-moi une paire de roues.

    Monsieur, toutes les roues ne vont pas à tous les essieux.

    Essayez toujours.

    C’est inutile, monsieur. Je n’ai à vendre que des roues de charrette. Nous sommes un petit pays ici.

    Auriez-vous un cabriolet à me louer ?

    Le maître charron, du premier coup d’œil, avait reconnu que le tilbury était une voiture de louage. Il haussa les épaules.

    Vous les arrangez bien, les cabriolets qu’on vous loue ! j’en aurais un que je ne vous le louerais pas.

    Eh bien, à me vendre ?

    Je n’en ai pas.

    Quoi ! pas une carriole ? Je ne suis pas difficile, comme vous voyez.

    Nous sommes un petit pays. J’ai bien là sous la remise, ajouta le charron, une vieille calèche qui est à un bourgeois de la ville qui me l’a donnée en garde et qui s’en sert tous les trente-six du mois. Je vous la louerais bien, qu’est-ce que cela me fait ? mais il ne faudrait pas que le bourgeois la vît passer ; et puis, c’est une calèche, il faudrait deux chevaux.

    Je prendrai deux chevaux de poste.

    Où va monsieur ?

    À Arras.

    Et monsieur veut arriver aujourd’hui ?

    Mais oui.

    En prenant des chevaux de poste ?

    Pourquoi pas ?

    Est-il égal à monsieur d’arriver cette nuit à quatre heures du matin ?

    Non certes.

    C’est que, voyez-vous bien, il y a une chose à dire, en prenant des chevaux de poste… — Monsieur a son passeport ?

    Oui.

    Eh bien, en prenant des chevaux de poste, monsieur n’arrivera pas à Arras avant demain. Nous sommes un chemin de traverse. Les relais sont mal servis, les chevaux sont aux champs. C’est la saison des grandes charrues qui commence, il faut de forts attelages, et l’on prend les chevaux partout, à la poste comme ailleurs. Monsieur attendra au moins trois ou quatre heures à chaque relais. Et puis on va au pas. Il y a beaucoup de côtes à monter.

    Allons, j’irai à cheval. Dételez le cabriolet. On me vendra bien une selle dans le pays.

    Sans doute. Mais ce cheval-ci endure-t-il la selle ?

    C’est vrai, vous m’y faites penser. Il ne l’endure pas.

    Alors…

    Mais je trouverai bien dans le village un cheval à louer ?

    Un cheval pour aller à Arras d’une traite !

    Oui.

    Il faudrait un cheval comme on n’en a pas dans nos endroits. Il faudrait l’acheter d’abord, car on ne vous connaît pas. Mais ni à vendre, ni à louer, ni pour cinq cents francs, ni pour mille, vous ne le trouveriez pas !

    Comment faire ?

    Le mieux, là, en honnête homme, c’est que je raccommode la roue et que vous remettiez votre voyage à demain.

    Demain il sera trop tard.

    Dame !

    N’y a-t-il pas la malle-poste qui va à Arras ? Quand passe-t-elle ?

    La nuit prochaine. Les deux malles font le service la nuit, celle qui monte comme celle qui descend.

    Comment ! il vous faut une journée pour raccommoder cette roue ?

    Une journée, et une bonne !

    En mettant deux ouvriers ?

    En en mettant dix !

    Si on liait les rayons avec des cordes ?

    Les rayons, oui ; le moyeu, non. Et puis la jante aussi est en mauvais état.

    Y a-t-il un loueur de voitures dans la ville ?

    Non.

    Y a-t-il un autre charron ?

    Le garçon d’écurie et le maître charron répondirent en même temps en hochant la tête.

    Non.

    Il sentit une immense joie.

    Il était évident que la providence s’en mêlait. C’était elle qui avait brisé la roue du tilbury et qui l’arrêtait en route. Il ne s’était pas rendu à cette espèce de première sommation ; il venait de faire tous les efforts possibles pour continuer son voyage ; il avait loyalement et scrupuleusement épuisé tous les moyens ; il n’avait reculé ni devant la saison, ni devant la fatigue, ni devant la dépense ; il n’avait rien à se reprocher. S’il n’allait pas plus loin, cela ne le regardait plus. Ce n’était plus sa faute, c’était, non le fait de sa conscience, mais le fait de la providence.

    Il respira. Il respira librement et à pleine poitrine pour la première fois depuis la visite de Javert. Il lui semblait que le poignet de fer qui lui serrait le cœur depuis vingt heures, venait de le lâcher.

    Il lui paraissait que maintenant Dieu était pour lui, et se déclarait.

    Il se dit qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait, et qu’à présent il n’avait qu’à revenir sur ses pas, tranquillement.

    Si sa conversation avec le charron eût eu lieu dans une chambre de l’auberge, elle n’eût point eu de témoins, personne ne l’eût entendue, les choses en fussent restées là, et il est probable que nous n’aurions eu à raconter aucun des événements qu’on va lire ; mais cette conversation s’était faite dans la rue. Tout colloque dans la rue produit inévitablement un cercle. Il y a toujours des gens qui ne demandent qu’à être spectateurs. Pendant qu’il questionnait le charron, quelques allants et venants s’étaient arrêtés autour d’eux. Après avoir écouté pendant quelques minutes, un jeune garçon, auquel personne n’avait pris garde, s’était détaché du groupe en courant.

    Au moment où le voyageur, après la délibération intérieure que nous venons d’indiquer, prenait la résolution de rebrousser chemin, cet enfant revenait. Il était accompagné d’une vieille femme.

    Monsieur, dit la femme, mon garçon me dit que vous avez envie de louer un cabriolet.

    Cette simple parole, prononcée par une vieille femme que conduisait un enfant, lui fit ruisseler la sueur dans les reins. Il crut voir la main qui l’avait lâché reparaître dans l’ombre derrière lui, toute prête à le reprendre.

    Il répondit :

    Oui, bonne femme, je cherche un cabriolet à louer.

    Et il se hâta d’ajouter :

    Mais il n’y en a pas dans le pays.

    Si fait, dit la vieille.

    Où ça donc ? reprit le charron.

    Chez moi, répliqua la vieille.

    Il tressaillit. La main fatale l’avait ressaisi.

    La vieille avait en effet sous un hangar une façon de carriole en osier. Le charron et le garçon d’auberge, désolés que le voyageur leur échappât, intervinrent.

    C’était une affreuse guimbarde, — cela était posé à cru sur l’essieu, — il est vrai que les banquettes étaient suspendues à l’intérieur avec des lanières de cuir, — il pleuvait dedans, — les roues étaient rouillées et rongées d’humidité, — cela n’irait pas beaucoup plus loin que le tilbury, — une vraie patache ! — Ce monsieur aurait bien tort de s’y embarquer, — etc., etc.

    Tout cela était vrai, mais cette guimbarde, cette patache, cette chose, quelle qu’elle fût, roulait sur ses deux roues et pouvait aller à Arras.

    Il paya ce qu’on voulut, laissa le tilbury à réparer chez le charron pour l’y retrouver à son retour, fit atteler le cheval blanc à la carriole, y monta, et reprit la route qu’il suivait depuis le matin.

    Au moment où la carriole s’ébranla, il s’avoua qu’il avait eu l’instant d’auparavant une certaine joie de songer qu’il n’irait point où il allait. Il examina cette joie avec une sorte de colère et la trouva absurde. Pourquoi de la joie à revenir en arrière ? Après tout, il faisait ce voyage librement. Personne ne l’y forçait.

    Et, certainement, rien n’arriverait que ce qu’il voudrait bien.

    Comme il sortait de Hesdin, il entendit une voix qui lui criait : arrêtez ! arrêtez ! Il arrêta la carriole d’un mouvement vif dans lequel il y avait encore je ne sais quoi de fébrile et de convulsif qui ressemblait à de l’espérance.

    C’était le petit garçon de la vieille.

    Monsieur, dit-il, c’est moi qui vous ai procuré la carriole.

    Eh bien ?

    Vous ne m’avez rien donné.

    Lui qui donnait à tous et si facilement, il trouva cette prétention exorbitante et presque odieuse.

    Ah ! c’est toi, drôle ? dit-il, tu n’auras rien !

    Il fouetta le cheval et repartit au grand trot.

    Il avait perdu beaucoup de temps à Hesdin, il eût voulu le rattraper. Le petit cheval était courageux et tirait comme deux ; mais on était au mois de février, il avait plu, les routes étaient mauvaises. Et puis, ce n’était plus le tilbury. La carriole était dure et très lourde. Avec cela force montées.

    Il mit près de quatre heures pour aller de Hesdin à Saint-Pol. Quatre heures pour cinq lieues.

    À Saint-Pol il détela à la première auberge venue, et fit mener le cheval à l’écurie. Comme il l’avait promis à Scaufflaire, il se tint près du râtelier pendant que le cheval mangeait. Il songeait à des choses tristes et confuses.

    La femme de l’aubergiste entre dans l’écurie.

    Est-ce que monsieur ne veut pas déjeuner ?

    Tiens, c’est vrai, dit-il, j’ai même bon appétit.

    Il suivit cette femme qui avait une figure fraîche et réjouie. Elle le conduisit dans une salle basse où il y avait des tables ayant pour nappes des toiles cirées.

    Dépêchez-vous, reprit-il, il faut que je reparte. Je suis pressé.

    Une grosse servante flamande mit son couvert en toute hâte. Il regardait cette fille avec un sentiment de bien-être.

    C’est là ce que j’avais, pensa-t-il. Je n’avais pas déjeuné.

    On le servit. Il se jeta sur le pain, mordit une bouchée, puis le reposa lentement sur la table et n’y toucha plus.

    Un roulier mangeait à une autre table. Il dit à cet homme :

    Pourquoi leur pain est-il donc si amer ?

    Le roulier était allemand et n’entendit pas.

    Il retourna dans l’écurie près du cheval.

    Une heure après, il avait quitté Saint-Pol et se dirigeait vers Tinques qui n’est qu’à cinq lieues d’Arras.

    Que faisait-il pendant ce trajet ? À quoi pensait-il ? Comme le matin, il regardait passer les arbres, les toits de chaume, les champs cultivés, et les évanouissements du paysage qui se disloque à chaque coude du chemin. C’est là une contemplation qui suffit quelquefois à l’âme et qui la dispense presque de penser. Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond ! Voyager, c’est naître et mourir à chaque instant. Peut-être, dans la région la plus vague de son esprit, faisait-il des rapprochements entre ces horizons changeants et l’existence humaine. Toutes les choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent : après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres.

    Le crépuscule tombait au moment où des enfants qui sortaient de l’école regardèrent ce voyageur entrer dans Tinques. Il est vrai qu’on était encore aux jours courts de l’année. Il ne s’arrêta pas à Tinques. Comme il débouchait du village, un cantonnier qui empierrait la route dressa la tête et dit :

    Voilà un cheval bien fatigué.

    La pauvre bête en effet n’allait plus qu’au pas.

    Est-ce que vous allez à Arras ? ajouta le cantonnier.

    Oui.

    Si vous allez de ce train, vous n’y arriverez pas de bonne heure.

    Il arrêta le cheval et demanda au cantonnier :

    Combien y a-t-il encore d’ici à Arras ?

    Près de sept grandes lieues.

    Comment cela ? le livre de poste ne marque que cinq lieues et un quart.

    Ah ! reprit le cantonnier, vous ne savez donc pas que la route est en réparation ? Vous allez la trouver coupée à un quart d’heure d’ici. Pas moyen d’aller plus loin.

    Vraiment ?

    Vous prendrez à gauche, le chemin qui va à Carency, vous passerez la rivière ; et, quand vous serez à Camblin, vous tournerez à droite ; c’est la route de Mont-Saint-Éloy qui va à Arras.

    Mais voilà la nuit, je me perdrai.

    Vous n’êtes pas du pays ?

    Non.

    Avec ça, c’est tout chemins de traverse. Tenez, Monsieur, reprit le cantonnier, voulez-vous que je vous donne un conseil ? Votre cheval est las, rentrez dans Tinques. Il y a une bonne auberge. Couchez-y. Vous irez demain à Arras.

    Il faut que j’y sois ce soir.

    C’est différent. Alors allez tout de même à cette auberge et prenez-y un cheval de renfort. Le garçon du cheval vous guidera dans la traverse.

    Il suivit le conseil du cantonnier, rebroussa chemin, et une demi-heure après il repassait au même endroit, mais au grand trot, avec un bon cheval de renfort. Un garçon d’écurie qui s’intitulait postillon était assis sur le brancard de la carriole.

    Cependant il sentait qu’il perdait du temps.

    Il faisait tout à fait nuit.

    Ils s’engagèrent dans la traverse. La route devint affreuse. La carriole tombait d’une ornière dans l’autre. Il dit au postillon :

    Toujours au trot, et double pourboire.

    Dans un cahot le palonnier cassa.

    Monsieur, dit le postillon, voilà le palonnier cassé, je ne sais plus comment atteler mon cheval, cette route-ci est bien mauvaise la nuit ; si vous vouliez revenir coucher à Tinques, nous pourrions être demain matin de bonne heure à Arras.

    Il répondit : — As-tu un bout de corde et un couteau ?

    Oui, monsieur.

    Il coupa une branche d’arbre et en fit un palonnier.

    Ce fut encore une perte de vingt minutes ; mais ils repartirent au galop.

    La plaine était ténébreuse. Des brouillards bas, courts et noirs rampaient sur les collines et s’en arrachaient comme des fumées. Il y avait des lueurs blanchâtres dans les nuages. Un grand vent qui venait de la mer faisait dans tous les coins de l’horizon le bruit de quelqu’un qui remue des meubles. Tout ce qu’on entrevoyait avait des attitudes de terreur. Que de choses frissonnent sous ces vastes souffles de la nuit !

    Le froid le pénétrait. Il n’avait pas mangé depuis la veille. Il se rappelait vaguement son autre course nocturne dans la grande plaine aux environs de Digne. Il y avait huit ans ; et cela lui semblait hier.

    Une heure sonna à quelque clocher lointain. Il demanda au garçon :

    Quelle est cette heure ?

    Sept heures, monsieur. Nous serons à Arras à huit. Nous n’avons plus que trois lieues.

    En ce moment il fit pour la première fois cette réflexion — en trouvant étrange qu’elle ne lui fût pas venue plus tôt : — que c’était peut-être inutile, toute la peine qu’il prenait ; qu’il ne savait seulement pas l’heure du procès ; qu’il aurait dû au moins s’en informer ; qu’il était extravagant d’aller ainsi devant soi sans savoir si cela servirait à quelque chose. — Puis il ébaucha quelques calculs dans son esprit : — qu’ordinairement les séances des cours d’assises commençaient à neuf heures du matin ; — que cela ne devait pas être long, cette affaire-là ; — que le vol de pommes, ce serait très court ; — qu’il n’y aurait plus ensuite qu’une question d’identité ; — quatre ou cinq dépositions, peu de chose à dire pour les avocats ; — qu’il allait arriver lorsque tout serait fini !

    Le postillon fouettait les chevaux. Ils avaient passé la rivière et laissé derrière eux Mont-Saint-Éloy.

    La nuit devenait de plus en plus profonde.


     

    VI

    LA SŒUR SIMPLICE MISE À L’ÉPREUVE


     

    Cependant, en ce moment-là même, Fantine était dans la joie.

    Elle avait passé une très mauvaise nuit. Toux affreuse, redoublement de fièvre ; elle avait eu des songes. Le matin, à la visite du médecin, elle délirait. Il avait eu l’air alarmé et avait recommandé qu’on le prévînt dès que M. Madeleine viendrait.

    Toute la matinée elle fut morne, parla peu, et fit des plis à ses draps en murmurant à voix basse des calculs qui avaient l’air d’être des calculs de distances. Ses yeux étaient caves et fixes. Ils paraissaient presque éteints, et puis, par moments, ils se rallumaient et resplendissaient comme des étoiles. Il semble qu’aux approches d’une certaine heure sombre, la clarté du ciel emplisse ceux que quitte la clarté de la terre.

    Chaque fois que la sœur Simplice lui demandait comment elle se trouvait, elle répondait invariablement : — Bien. Je voudrais voir monsieur Madeleine.

    Quelques mois auparavant, à ce moment où Fantine venait de perdre sa dernière pudeur, sa dernière honte et sa dernière joie, elle était l’ombre d’elle-même ; maintenant elle en était le spectre. Le mal physique avait complété l’œuvre du mal moral. Cette créature de vingt-cinq ans avait le front ridé, les joues flasques, les narines pincées, les dents déchaussées, le teint plombé, le cou osseux, les clavicules saillantes, les membres chétifs, la peau terreuse, et ses cheveux blonds poussaient mêlés de cheveux gris. Hélas ! comme la maladie improvise la vieillesse !

    À midi, le médecin revint, il fit quelques prescriptions, s’informa si M. le maire avait paru à l’infirmerie, et branla la tête.

    M. Madeleine venait d’habitude à trois heures voir la malade. Comme l’exactitude était de la bonté, il était exact.

    Vers deux heures et demie, Fantine commença à s’agiter. Dans l’espace de vingt minutes, elle demanda plus de dix fois à la religieuse : — Ma sœur, quelle heure est-il ?

    Trois heures sonnèrent. Au troisième coup, Fantine se dressa sur son séant, elle qui d’ordinaire pouvait à peine remuer dans son lit ; elle joignit dans une sorte d’étreinte convulsive ses deux mains décharnées et jaunes, et la religieuse entendit sortir de sa poitrine un de ces soupirs profonds qui semblent soulever un accablement. Puis Fantine se tourna et regarda la porte.

    Personne n’entra ; la porte ne s’ouvrit point.

    Elle resta ainsi un quart d’heure, l’œil attaché sur la porte, immobile et comme retenant son haleine. La sœur n’osait lui parler. L’église sonna trois heures un quart. Fantine se laissa retomber sur l’oreiller.

    Elle ne dit rien et se remit à faire des plis à son drap.

    La demi-heure passa, puis l’heure. Personne ne vint. Chaque fois que l’horloge sonnait, Fantine se dressait et regardait du côté de la porte, puis elle retombait.

    On voyait clairement sa pensée, mais elle ne prononçait aucun nom, elle ne se plaignait pas, elle n’accusait pas. Seulement elle toussait d’une façon lugubre. On eût dit que quelque chose d’obscur s’abaissait sur elle. Elle était livide et avait les lèvres bleues. Elle souriait par moments.

    Cinq heures sonnèrent. Alors la sœur l’entendit qui disait très bas et doucement : — Mais puisque je m’en vais demain, il a tort de ne pas venir aujourd’hui !

    La sœur Simplice elle-même était surprise du retard de M. Madeleine.

    Cependant Fantine regardait le ciel de son lit. Elle avait l’air de chercher à se rappeler quelque chose. Tout à coup elle se mit à chanter d’une voix faible comme un souffle. La religieuse écouta. Voici ce que Fantine chantait :

     


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    La vierge Marie auprès de mon poêle
    Est venue hier en manteau brodé,
    Et m’a dit : — Voici, caché sous mon voile,
    Le petit qu’un jour tu m’as demandé. —
    Courez à la ville, ayez de la toile,
    Achetez du fil, achetez un dé.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.


    Bonne sainte Vierge, auprès de mon poêle
    J’ai mis un berceau de rubans orné.
    Dieu me donnerait sa plus belle étoile,
    J’aime mieux l’enfant que tu m’as donné.
    — Madame, que faire avec cette toile ?
    — Faites un trousseau pour mon nouveau-né.


    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    — Lavez cette toile. — Où ? — Dans la rivière.
    Faites-en, sans rien gâter ni salir,
    Une belle jupe avec sa brassière
    Que je veux broder et de fleurs emplir.
    — L’enfant n’est plus là, madame, qu’en faire ?
    — Faites-en un drap pour m’ensevelir.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.

     

    Cette chanson était une vieille romance de berceuse avec laquelle autrefois elle endormait sa petite Cosette, et qui ne s’était pas offerte à son esprit depuis cinq ans qu’elle n’avait plus son enfant. Elle chantait cela d’une voix si triste et sur un air si doux que c’était à faire pleurer, même une religieuse. La sœur, habituée aux choses austères, sentit une larme lui venir.

    L’horloge sonna six heures. Fantine ne parut pas entendre. Elle semblait ne plus faire attention à aucune chose autour d’elle.

    La sœur Simplice envoya une fille de service s’informer près de la portière de la fabrique si M. le maire était rentré et s’il ne monterait pas bientôt à l’infirmerie. La fille revint au bout de quelques minutes.

    Fantine était toujours immobile et paraissait attentive à des idées qu’elle avait.

    La servante raconta très bas à la sœur Simplice que M. le maire était parti le matin même avant six heures dans un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, par le froid qu’il faisait, qu’il était parti seul, pas même de cocher, qu’on ne savait pas le chemin qu’il avait pris, que des personnes disaient l’avoir vu tourner par la route d’Arras, que d’autres assuraient l’avoir rencontré sur la route de Paris. Qu’en s’en allant il avait été comme à l’ordinaire très doux, et qu’il avait seulement dit à la portière qu’on ne l’attendît pas cette nuit.

    Pendant que les deux femmes, le dos tourné au lit de la Fantine, chuchotaient, la sœur questionnant, la servante conjecturant, la Fantine, avec cette vivacité fébrile de certaines maladies organiques qui mêle les mouvements libres de la santé à l’effrayante maigreur de la mort, s’était mise à genoux sur son lit, ses deux poings crispés appuyés sur le traversin, et, la tête passée par l’intervalle des rideaux, elle écoutait. Tout à coup elle cria :

    Vous parlez là de monsieur Madeleine ! pourquoi parlez-vous tout bas ? Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi ne vient-il pas ?

    Sa voix était si brusque et si rauque que les deux femmes crurent entendre une voix d’homme ; elles se retournèrent effrayées.

    Répondez donc ! cria Fantine.

    La servante balbutia :

    La portière m’a dit qu’il ne pourrait pas venir aujourd’hui.

    Mon enfant, dit la sœur, tenez-vous tranquille, recouchez-vous.

    Fantine, sans changer d’attitude, reprit d’une voix haute et avec un accent tout à la fois impérieux et déchirant :

    Il ne pourra venir... Pourquoi cela ? Vous savez la raison. Vous la chuchotiez là entre vous. Je veux le savoir.

    La servante se hâta de dire à l’oreille de la religieuse :

    Répondez qu’il est occupé au conseil municipal.

    La sœur Simplice rougit légèrement ; c’était un mensonge que la servante lui proposait. D’un autre côté il lui semblait bien que dire la vérité à la malade ce serait sans doute lui porter un coup terrible et que cela était grave dans l’état où était Fantine. Cette rougeur dura peu. La sœur leva sur Fantine son œil calme et triste, et dit :

    Monsieur le maire est parti.

    Fantine se redressa et s’assit sur ses talons. Ses yeux étincelèrent. Une joie inouïe rayonna sur cette physionomie douloureuse.

    Parti ! s’écria-t-elle. Il est allé chercher Cosette !

    Puis elle tendit ses deux mains vers le ciel et tout son visage devint ineffable. Ses lèvres remuaient ; elle priait à voix basse.

    Quand sa prière fut finie : — Ma sœur, dit-elle, je veux bien me recoucher, je vais faire tout ce qu’on voudra ; tout à l’heure j’ai été méchante, je vous demande pardon d’avoir parlé si haut, c’est très mal de parler haut, je le sais bien, ma bonne sœur ; mais voyez-vous, je suis très contente. Le bon Dieu est bon, monsieur Madeleine est bon, figurez-vous qu’il est allé chercher ma petite Cosette à Montfermeil.

    Elle se recoucha, aida la religieuse à arranger l’oreiller et baisa une petite croix d’argent qu’elle avait au cou et que la sœur Simplice lui avait donnée.

    Mon enfant, dit la sœur, tâchez de reposer maintenant, et ne parlez plus.

    Fantine prit dans ses mains moites la main de la sœur, qui souffrait de lui sentir cette sueur.

    Il est parti ce matin pour aller à Paris. Au fait il n’a pas même besoin de passer par Paris. Montfermeil, c’est un peu à gauche en venant. Vous rappelez-vous comme il me disait hier quand je lui parlais de Cosette : bientôt, bientôt ! C’est une surprise qu’il veut me faire. Vous savez ? il m’avait fait signer une lettre pour la reprendre aux Thénardier. Ils n’auront rien à dire, pas vrai ? Ils rendront Cosette. Puisqu’ils sont payés. Les autorités ne souffriraient pas qu’on garde un enfant quand on est payé. Ma sœur, ne me faites pas signe qu’il ne faut pas que je parle. Je suis extrêmement heureuse, je vais très bien, je n’ai plus de mal du tout, je vais revoir Cosette, j’ai même très faim. Il y a près de cinq ans que je ne l’ai vue. Vous ne vous figurez pas, vous, comme cela vous tient, les enfants ! Et puis elle sera si gentille, vous verrez ! Si vous saviez, elle a de si jolis petits doigts roses ! D’abord elle aura de très belles mains. À un an, elle avait des mains ridicules. Ainsi ! — Elle doit être grande à présent. Cela vous a sept ans. C’est une demoiselle. Je l’appelle Cosette, mais elle s’appelle Euphrasie. Tenez, ce matin, je regardais de la poussière qui était sur la cheminée et j’avais bien l’idée comme cela que je reverrais bientôt Cosette. Mon Dieu ! comme on a tort d’être des années sans voir ses enfants ! on devrait bien réfléchir que la vie n’est pas éternelle ! Oh ! comme il est bon d’être parti, monsieur le maire ! C’est vrai ça qu’il fait bien froid ? avait-il son manteau au moins ? Il sera ici demain, n’est-ce pas ? Ce sera demain fête. Demain matin, ma sœur, vous me ferez penser à mettre mon petit bonnet qui a de la dentelle. Montfermeil, c’est un pays. J’ai fait cette route-là, à pied, dans le temps. Il y a eu bien loin pour moi. Mais les diligences vont très vite ! Il sera ici demain avec Cosette. Combien y a-t-il d’ici Montfermeil ?

    La sœur, qui n’avait aucune idée des distances, répondit :

    Oh ! je crois bien qu’il pourra être ici demain.

    Demain ! demain ! dit Fantine, je verrai Cosette demain ! Voyez-vous, bonne sœur du bon Dieu, je ne suis plus malade. Je suis folle. Je danserais, si on voulait.

    Quelqu’un qui l’eût vue un quart d’heure auparavant n’y eût rien compris. Elle était maintenant toute rose, elle parlait d’une voix vive et naturelle, toute sa figure n’était qu’un sourire. Par moments elle riait en se parlant tout bas. Joie de mère, c’est presque joie d’enfant.

    Eh bien, reprit la religieuse, vous voilà heureuse, obéissez-moi, ne parlez plus.

    Fantine posa sa tête sur l’oreiller et dit à demi-voix : — Oui, recouche-toi, sois sage puisque tu vas avoir ton enfant. Elle a raison, sœur Simplice. Tous ceux qui sont ici ont raison.

    Et puis, sans bouger, sans remuer la tête, elle se mit à regarder partout avec ses yeux tout grands ouverts et un air joyeux, et elle ne dit plus rien.

    La sœur referma ses rideaux, espérant qu’elle s’assoupirait.

    Entre sept et huit heures le médecin vint. N’entendant aucun bruit, il crut que Fantine dormait, entra doucement et s’approcha du lit sur la pointe du pied. Il entr’ouvrit les rideaux, et à la lueur de la veilleuse il vit les grands yeux calmes de Fantine qui le regardaient.

    Elle lui dit : — Monsieur, n’est-ce pas, on me laissera la coucher à côté de moi dans un petit lit ?

    Le médecin crut qu’elle délirait. Elle ajouta :

    Regardez plutôt, il y a juste de la place.

    Le médecin prit à part la sœur Simplice qui lui expliqua la chose, que M. Madeleine était absent pour un jour ou deux, et que, dans le doute, on n’avait pas cru devoir détromper la malade qui croyait monsieur le maire parti pour Montfermeil ; qu’il était possible en somme qu’elle eût deviné juste. Le médecin approuva.

    Il se rapprocha du lit de Fantine, qui reprit :

    C’est que, voyez-vous, le matin, quand elle s’éveillera, je lui dirai bonjour à ce pauvre chat, et la nuit, moi qui ne dors pas, je l’entendrai dormir. Sa petite respiration si douce, cela me fera du bien.

    Donnez-moi votre main, dit le médecin.

    Elle tendit son bras, et s’écria en riant :

    Ah ! tiens ! au fait, c’est vrai, vous ne savez pas ! c’est que je suis guérie. Cosette arrive demain.

    Le médecin fut surpris. Elle était mieux. L’oppression était moindre. Le pouls avait repris de la force. Une sorte de vie survenue tout à coup ranimait ce pauvre être épuisé.

    Monsieur le docteur, reprit-elle, la sœur vous a-t-elle dit que monsieur le maire était allé chercher le chiffon ?

    Le médecin recommanda le silence et qu’on évitât toute émotion pénible. Il prescrivit une infusion de quinquina pur, et, pour le cas où la fièvre reprendrait dans la nuit, une potion calmante. En s’en allant, il dit à la sœur : — Cela va mieux. Si le bonheur voulait qu’en effet monsieur le maire arrivât demain avec l’enfant, qui sait ? il y a des crises si étonnantes, on a vu de grandes joies arrêter court des maladies ; je sais bien que celle-ci est une maladie organique, et bien avancée, mais c’est un tel mystère que tout cela ! Nous la sauverions peut-être.


     

    VII

    LE VOYAGEUR ARRIVÉ PREND SES PRÉCAUTIONS POUR REPARTIR


     

    Il était près de huit heures du soir quand la carriole que nous avons laissée en route entra sous la porte cochère de l’hôtel de la Poste à Arras. L’homme que nous avons suivi jusqu’à ce moment en descendit, répondit d’un air distrait aux empressements des gens de l’auberge, renvoya le cheval de renfort, et conduisit lui-même le petit cheval blanc à l’écurie ; puis il poussa la porte d’une salle de billard qui était au rez-de-chaussée, s’y assit, et s’accouda sur une table. Il avait mis quatorze heures à ce trajet qu’il comptait faire en six. Il se rendait la justice que ce n’était pas sa faute ; mais au fond il n’en était pas fâché.

    La maîtresse de l’hôtel entra.

    Monsieur couche-t-il ? monsieur soupe-t-il ?

    Il fit un signe de tête négatif.

    Le garçon d’écurie dit que le cheval de monsieur est bien fatigué !

    Ici il rompit le silence.

    Est-ce que le cheval ne pourra pas repartir demain matin ?

    Oh ! monsieur ! il lui faut au moins deux jours de repos.

    Il demanda :

    N’est-ce pas ici le bureau de poste ?

    Oui, monsieur.

    L’hôtesse le mena à ce bureau ; il montra son passeport et s’informa s’il y avait moyen de revenir cette nuit même à Montreuil-sur-mer par la malle ; la place à côté du courrier était justement vacante ; il la retint et la paya. — Monsieur, dit le buraliste, ne manquez pas d’être ici pour partir à une heure précise du matin.

    Cela fait, il sortit de l’hôtel et se mit à marcher dans la ville.

    Il ne connaissait pas Arras, les rues étaient obscures, et il allait au hasard. Cependant il semblait s’obstiner à ne pas demander son chemin aux passants. Il traversa la petite rivière Crinchon et se trouva dans un dédale de ruelles étroites où il se perdit. Un bourgeois cheminait avec un falot. Après quelque hésitation, il prit le parti de s’adresser à ce bourgeois, non sans avoir d’abord regardé devant et derrière lui, comme s’il craignait que quelqu’un n’entendît la question qu’il allait faire.

    Monsieur, dit-il, le palais de justice, s’il vous plaît ?

    Vous n’êtes pas de la ville, monsieur ? répondit le bourgeois qui était un assez vieux homme, eh bien, suivez-moi. Je vais précisément du côté du palais de justice, c’est-à-dire du côté de l’hôtel de la préfecture. Car on répare en ce moment le palais, et provisoirement les tribunaux ont leurs audiences à la préfecture.

    Est-ce là, demanda-t-il, qu’on tient les assises ?

    Sans doute, monsieur. Voyez-vous, ce qui est la préfecture aujourd’hui était l’évêché avant la révolution. Monsieur de Conzié, qui était évêque en quatre-vingt-deux, y a fait bâtir une grande salle. C’est dans cette grande salle qu’on juge.

    Chemin faisant, le bourgeois lui dit :

    Si c’est un procès que monsieur veut voir, il est un peu tard. Ordinairement les séances finissent à six heures.

    Cependant, comme ils arrivaient sur la grande place, le bourgeois lui montra quatre longues fenêtres éclairées sur la façade d’un vaste bâtiment ténébreux.

    Ma foi, monsieur, vous arrivez à temps, vous avez du bonheur. Voyez-vous ces quatre fenêtres ? c’est la cour d’assises. Il y a de la lumière. Donc ce n’est pas fini. L’affaire aura traîné en longueur et on fait une audience du soir. Vous vous intéressez à cette affaire ? Est-ce que c’est un procès criminel ? Est-ce que vous êtes témoin ?

    Il répondit :

    Je ne viens pour aucune affaire, j’ai seulement à parler à un avocat.

    C’est différent, dit le bourgeois. Tenez, monsieur, voici la porte. Où est le factionnaire. Vous n’aurez qu’à monter le grand escalier.

    Il se conforma aux indications du bourgeois, et, quelques minutes après, il était dans une salle où il y avait beaucoup de monde et où des groupes mêlés d’avocats en robe chuchotaient çà et là.

    C’est toujours une chose qui serre le cœur de voir ces attroupements d’hommes vêtus de noir qui murmurent entre eux à voix basse sur le seuil des chambres de justice. Il est rare que la charité et la pitié sortent de toutes ces paroles. Ce qui en sort le plus souvent, ce sont des condamnations faites d’avance. Tous ces groupes semblent à l’observateur qui passe et qui rêve autant de ruches sombres où des esprits bourdonnants construisent en commun toutes sortes d’édifices ténébreux.

    Cette salle, spacieuse et éclairée d’une seule lampe, était une ancienne salle de l’évêché et servait de salle des pas perdus. Une porte à deux battants, fermée en ce moment, la séparait de la grande chambre où siégeait la cour d’assises.

    L’obscurité était telle qu’il ne craignit pas de s’adresser au premier avocat qu’il rencontra.

    Monsieur, dit-il, où en est-on ?

    C’est fini, dit l’avocat.

    Fini !

    Ce mot fut répété d’un tel accent que l’avocat se retourna.

    Pardon, monsieur, vous êtes peut-être un parent ?

    Non, Je ne connais personne ici. Et y a-t-il eu condamnation ?

    Sans doute. Cela n’était guère possible autrement.

    Aux travaux forcés ?...

    À perpétuité.

    Il reprit d’une voix tellement faible qu’on l’entendait à peine :

    L’identité a donc été constatée ?

    Quelle identité ? répondit l’avocat. Il n’y avait pas d’identité à constater. L’affaire était simple. Cette femme avait tué son enfant, l’infanticide a été prouvé, le jury a écarté la préméditation, on l’a condamnée à vie.

    C’est donc une femme ? dit-il.

    Mais sûrement. La fille Limosin. De quoi me parlez-vous donc ?

    De rien. Mais puisque c’est fini, comment se fait-il que la salle soit encore éclairée ?

    C’est pour l’autre affaire qu’on a commencée il y a à peu près deux heures.

    Quelle autre affaire ?

    Oh ! celle-là est claire aussi. C’est une espèce de gueux, un récidiviste, un galérien, qui a volé. Je ne sais plus trop son nom. En voilà un qui vous a une mine de bandit. Rien que pour avoir cette figure-là, je l’enverrais aux galères.

    Monsieur, demanda-t-il, y a-t-il moyen de pénétrer dans la salle ?

    Je ne crois vraiment pas. Il y a beaucoup de foule. Cependant l’audience est suspendue. Il y a des gens qui sont sortis, et, à la reprise de l’audience, vous pourrez essayer.

    Par où entre-t-on ?

    Par cette grande porte.

    L’avocat le quitta. En quelques instants, il avait éprouvé, presque en même temps, presque mêlées, toutes les émotions possibles. Les paroles de cet indifférent lui avaient tour à tour traversé le cœur comme des aiguilles de glace et comme des lames de feu. Quand il vit que rien n’était terminé, il respira ; mais il n’eût pu dire si ce qu’il ressentait était du contentement ou de la douleur.

    Il s’approcha de plusieurs groupes et il écouta ce qu’on disait. Le rôle de la session étant très chargé, le président avait indiqué pour ce même jour deux affaires simples et courtes. On avait commencé par l’infanticide, et maintenant on en était au forçat, au récidiviste, au « cheval de retour ». Cet homme avait volé des pommes, mais cela ne paraissait pas bien prouvé ; ce qui était prouvé, c’est qu’il avait été déjà aux galères à Toulon. C’est ce qui faisait son affaire mauvaise. Du reste, l’interrogatoire de l’homme était terminé et les dépositions des témoins ; mais il y avait encore les plaidoiries de l’avocat et le réquisitoire du ministère public ; cela ne devait guère finir avant minuit. L’homme serait probablement condamné ; l’avocat général était très bon, — et ne manquait pas ses accusés ; — c’était un garçon d’esprit qui faisait des vers.

    Un huissier se tenait debout près de la porte qui communiquait avec la salle des assises. Il demanda à cet huissier :

    Monsieur, la porte va-t-elle bientôt s’ouvrir ?

    Elle ne s’ouvrira pas, dit l’huissier.

    Comment ! on ne l’ouvrira pas à la reprise de l’audience ? est-ce que l’audience n’est pas suspendue ?

    L’audience vient d’être reprise, répondit l’huissier, mais la porte ne se rouvrira pas.

    Pourquoi ?

    Parce que la salle est pleine.

    Quoi ! il n’y a plus une place ?

    Plus une seule. La porte est fermée. Personne ne peut plus entrer.

    L’huissier ajouta après un silence : — Il y a bien encore deux ou trois places derrière monsieur le président, mais monsieur le président n’y admet que les fonctionnaires publics.

    Cela dit, l’huissier lui tourna le dos.

    Il se retira la tête baissée, traversa l’antichambre et redescendit l’escalier lentement, comme hésitant à chaque marche. Il est probable qu’il tenait conseil avec lui-même. Le violent combat qui se livrait en lui depuis la veille n’était pas fini ; et, à chaque instant, il en traversait quelque nouvelle péripétie. Arrivé sur le palier de l’escalier, il s’adossa à la rampe et croisa les bras. Tout à coup il ouvrit sa redingote, prit son portefeuille, en tira un crayon, déchira une feuille, et écrivit rapidement sur cette feuille à la lueur du réverbère cette ligne : — M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer. Puis il remonta l’escalier à grands pas, fendit la foule, marcha droit à l’huissier, lui remit le papier, et lui dit avec autorité : — Portez ceci à monsieur le président.

    L’huissier prit le papier, y jeta un coup d’œil et obéit.


     

    VIII

    ENTRÉE DE FAVEUR


     

    Sans qu’il s’en doutât, le maire de Montreuil-sur-Mer avait une sorte de célébrité. Depuis sept ans que sa réputation de vertu remplissait tout le bas Boulonnais, elle avait fini par franchir les limites d’un petit pays et s’était répandue dans les deux ou trois départements voisins. Outre le service considérable qu’il avait rendu au chef-lieu en y restaurant l’industrie des verroteries noires, il n’était pas une des cent quarante et une communes de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer qui ne lui dût quelque bienfait. Il avait su même au besoin aider et féconder les industries des autres arrondissements. C’est ainsi qu’il avait dans l’occasion soutenu de son crédit et de ses fonds la fabrique de tulle de Boulogne, la filature de lin à la mécanique de Frévent et la manufacture hydraulique de toiles de Boubers-sur-Canche. Partout on prononçait avec vénération le nom de M. Madeleine. Arras et Douai enviaient son maire à l’heureuse petite ville de Montreuil-sur-Mer.

    Le conseiller à la cour royale de Douai, qui présidait cette session des assises à Arras, connaissait comme tout le monde ce nom si profondément et si universellement honoré. Quand l’huissier, ouvrant discrètement la porte qui communiquait de la chambre du conseil à l’audience, se pencha derrière le fauteuil du président et lui remit le papier où était écrite la ligne qu’on vient de lire, en ajoutant : Ce monsieur désire assister à l’audience, le président fit un vif mouvement de déférence, saisit une plume, écrivit quelques mots au bas du papier, et le rendit à l’huissier en lui disant :

    Faites entrer.

    L’homme malheureux dont nous racontons l’histoire était resté près de la porte de la salle à la même place et dans la même attitude où l’huissier l’avait quitté. Il entendit, à travers sa rêverie, quelqu’un qui lui disait : Monsieur veut-il bien me faire l’honneur de me suivre ? C’était ce même huissier qui lui avait tourné le dos l’instant d’auparavant et qui maintenant le saluait jusqu’à terre. L’huissier en même temps lui remit le papier. Il le déplia, et, comme il se rencontrait qu’il était près de la lampe, il put lire :

    « Le président de la cour d’assises présente son respect à M. Madeleine. »

    Il froissa le papier entre ses mains, comme si ces quelques mots eussent eu pour lui un arrière-goût étrange et amer.

    Il suivit l’huissier.

    Quelques minutes après, il se trouvait seul dans une espèce de cabinet lambrissé, d’un aspect sévère, éclairé par deux bougies posées sur un tapis vert. Il avait encore dans l’oreille les dernières paroles de l’huissier qui venait de le quitter : « Monsieur, vous voici dans la chambre du conseil ; vous n’avez qu’à tourner le bouton de cuivre de cette porte, et vous vous trouverez dans l’audience derrière le fauteuil de monsieur le président. » — Ces paroles se mêlaient dans sa pensée à un souvenir vague de corridors étroits et d’escaliers noirs qu’il venait de parcourir.

    L’huissier l’avait laissé seul. Le moment suprême était arrivé. Il cherchait à se recueillir sans pouvoir y parvenir. C’est surtout aux heures où l’on aurait le plus besoin de les rattacher aux réalités poignantes de la vie que tous les fils de la pensée se rompent dans le cerveau. Il était dans l’endroit même où les juges délibèrent et condamnent. Il regardait avec une tranquillité stupide cette chambre paisible et redoutable où tant d’existences avaient été brisées, où son nom allait retentir tout à l’heure, et que sa destinée traversait en ce moment. Il regardait la muraille, puis il se regardait lui-même, s’étonnant que ce fût cette chambre et que ce fût lui.

    Il n’avait pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, il était brisé par les cahots de la carriole, mais il ne le sentait pas ; il lui semblait qu’il ne sentait rien.

    Il s’approcha d’un cadre noir qui était accroché au mur et qui contenait sous verre une vieille lettre autographe de Jean-Nicolas Pache, maire de Paris et ministre, datée sans doute par erreur du 9 juin an II, et dans laquelle Pache envoyait à la commune la liste des ministres et des députés tenus en arrestation chez eux. Un témoin qui l’eût pu voir et qui l’eût observé en cet instant eût sans doute imaginé que cette lettre lui paraissait bien curieuse, car il n’en détachait pas ses yeux, et il la lut deux ou trois fois. Il la lisait sans y faire attention et à son insu. Il pensait à Fantine et à Cosette.

    Tout en rêvant, il se retourna, et ses yeux rencontrèrent le bouton de cuivre de la porte qui le séparait de la salle des assises. Il avait presque oublié cette porte. Son regard, d’abord calme, s’y arrêta, resta attaché à ce bouton de cuivre, puis devint effaré et fixe, et s’empreignit peu à peu d’épouvante. Des gouttes de sueur lui sortaient d’entre les cheveux et ruisselaient sur ses tempes.

    À un certain moment, il fit avec une sorte d’autorité mêlée de rébellion ce geste indescriptible qui veut dire et qui dit si bien : Pardieu ! qui est-ce qui m’y force ? Puis il se tourna vivement, vit devant lui la porte par laquelle il était entré, y alla, l’ouvrit, et sortit. Il n’était plus dans cette chambre, il était dehors, dans un corridor, un corridor long, étroit, coupé de degrés et de guichets, faisant toutes sortes d’angles, éclairé çà et là de réverbères pareils à des veilleuses de malades, le corridor par où il était venu. Il respira, il écouta, aucun bruit derrière lui, aucun bruit devant lui ; il se mit à fuir comme si on le poursuivait.

    Quand il eut doublé plusieurs des coudes de ce couloir, il écouta encore. C’était toujours le même silence et la même ombre autour de lui. Il était essoufflé, il chancelait, il s’appuya au mur. La pierre était froide, sa sueur était glacée sur son front, il se redressa en frissonnant.

    Alors, là, seul, debout dans cette obscurité, tremblant de froid et d’autre chose peut-être, il songea. Il avait songé toute la nuit, il avait songé toute la journée ; il n’entendait plus en lui qu’une voix qui disait : hélas !

    Un quart d’heure s’écoula ainsi. Enfin, il pencha la tête, soupira avec angoisse, laissa pendre ses bras, et revint sur ses pas. Il marchait lentement et comme accablé. Il semblait que quelqu’un l’eût atteint dans sa fuite et le ramenât.

    Il rentra dans la chambre du conseil. La première chose qu’il aperçut, ce fut la gâchette de la porte. Cette gâchette, ronde et en cuivre poli, resplendissait pour lui comme une effroyable étoile. Il la regardait comme une brebis regarderait l’œil d’un tigre.

    Ses yeux ne pouvaient s’en détacher.

    De temps en temps il faisait un pas et se rapprochait de la porte.

    S’il eût écouté, il eût entendu, comme une sorte de murmure confus, le bruit de la salle voisine ; mais il n’écoutait pas, il n’entendait pas.

    Tout à coup, sans qu’il sût lui-même comment, il se trouva près de la porte. Il saisit convulsivement le bouton ; la porte s’ouvrit.

    Il était dans la salle d’audience.


     

    IX

    UN LIEU OÙ DES CONVICTIONS SONT EN TRAIN DE SE FORMER


     

    Il fit un pas, referma machinalement la porte derrière lui, et resta debout, considérant ce qu’il voyait.

    C’était une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de rumeur, tantôt pleine de silence, où tout l’appareil d’un procès criminel se développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule.

    À un bout de la salle, celui où il se trouvait, des juges à l’air distrait, en robe usée, se rongeant les ongles ou fermant les paupières ; à l’autre bout, une foule en haillons ; des avocats dans toutes sortes d’attitudes ; des soldats au visage honnête et dur ; de vieilles boiseries tachées, un plafond sale, des tables couvertes d’une serge plutôt jaune que verte, des portes noircies par les mains ; à des clous plantés dans le lambris, des quinquets d’estaminet donnant plus de fumée que de clarté ; sur les tables, des chandelles dans des chandeliers de cuivre ; l’obscurité, la laideur, la tristesse ; et de tout cela se dégageait une impression austère et auguste, car on y sentait cette grande chose humaine qu’on appelle la loi et cette grande chose divine qu’on appelle la justice.

    Personne dans cette foule ne fit attention à lui. Tous les regards convergeaient vers un point unique, un banc de bois adossé à une petite porte, le long de la muraille, à gauche du président. Sur ce banc, que plusieurs chandelles éclairaient, il y avait un homme entre deux gendarmes.

    Cet homme, c’était l’homme.

    Il ne le chercha pas, il le vit. Ses yeux allèrent là naturellement, comme s’ils avaient su d’avance où était cette figure.

    Il crut se voir lui-même, vieilli ; non pas sans doute absolument semblable de visage, mais tout pareil d’attitude et d’aspect ; avec ces cheveux hérissés, avec cette prunelle fauve et inquiète, avec cette blouse, tel qu’il était le jour où il entrait à Digne, plein de haine et cachant dans son âme ce hideux trésor de pensées affreuses qu’il avait mis dix-neuf ans à ramasser sur le pavé du bagne.

    Il se dit avec un frémissement : — Mon Dieu ! est-ce que je redeviendrai ainsi ?

    Cet être paraissait au moins soixante ans. Il avait je ne sais quoi de rude, de stupide et d’effarouché.

    Au bruit de la porte, on s’était rangé pour lui faire place, le président avait tourné la tête, et comprenant que le personnage qui venait d’entrer était M. le maire de Montreuil-sur-Mer, il l’avait salué. L’avocat général, qui avait vu M. Madeleine à Montreuil-sur-Mer où des opérations de son ministère l’avaient plus d’une fois appelé, le reconnut, et salua également. Lui s’en aperçut à peine. Il était en proie à une sorte d’hallucination ; il regardait.

    Des juges, un greffier, des gendarmes, une foule de têtes cruellement curieuses, il avait déjà vu cela une fois, autrefois, il y avait vingt-sept ans. Ces choses funestes, il les retrouvait ; elles étaient là, elles remuaient, elles existaient. Ce n’était plus un effort de sa mémoire, un mirage de sa pensée, c’étaient de vrais gendarmes et de vrais juges, une vraie foule et de vrais hommes en chair et en os. C’en était fait, il voyait reparaître et revivre autour de lui, avec tout ce que la réalité a de formidable, les aspects monstrueux de son passé.

    Tout cela était béant devant lui.

    Il en eut horreur, il ferma les yeux, et s’écria au plus profond de son âme : jamais !

    Et par un jeu tragique de la destinée qui faisait trembler toutes ses idées et le rendait presque fou, c’était un autre lui-même qui était là ! Cet homme qu’on jugeait, tous l’appelaient Jean Valjean !

    Il avait sous les yeux, vision inouïe, une sorte de représentation du moment le plus horrible de sa vie, jouée par son fantôme.

    Tout y était, c’était le même appareil, la même heure de nuit, presque les mêmes faces de juges, de soldats et de spectateurs. Seulement, au-dessus de la tête du président, il y avait un crucifix, chose qui manquait aux tribunaux du temps de sa condamnation. Quand on l’avait jugé, Dieu était absent.

    Une chaise était derrière lui ; il s’y laissa tomber, terrifié de l’idée qu’on pouvait le voir. Quand il fut assis, il profita d’une pile de cartons qui était sur le bureau des juges pour dérober son visage à toute la salle. Il pouvait maintenant voir sans être vu. Peu à peu il se remit. Il rentra pleinement dans le sentiment du réel ; il arriva à cette phase de calme où l’on peut écouter.

    M. Bamatabois était au nombre des jurés.

    Il chercha Javert, mais il ne le vit pas. Le banc des témoins lui était caché par la table du greffier. Et puis, nous venons de le dire, la salle était à peine éclairée.

    Au moment où il était entré, l’avocat de l’accusé achevait sa plaidoirie. L’attention de tous était excitée au plus haut point ; l’affaire durait depuis trois heures. Depuis trois heures, cette foule regardait plier peu à peu sous le poids d’une vraisemblance terrible un homme, un inconnu, une espèce d’être misérable, profondément stupide ou profondément habile. Cet homme, on le sait déjà, était un vagabond qui avait été trouvé dans un champ, emportant une branche chargée de pommes mûres, cassée à un pommier dans un clos voisin, appelé le clos Pierron. Qui était cet homme ? Une enquête avait eu lieu, des témoins venaient d’être entendus, ils avaient été unanimes, des lumières avaient jailli de tout le débat. L’accusation disait : — Nous ne tenons pas seulement un voleur de fruits, un maraudeur ; nous tenons là, dans notre main, un bandit, un relaps en rupture de ban, un ancien forçat, un scélérat des plus dangereux, un malfaiteur appelé Jean Valjean que la justice recherche depuis longtemps, et qui, il y a huit ans, en sortant du bagne de Toulon, a commis un vol de grand chemin à main armée sur la personne d’un enfant savoyard appelé Petit-Gervais, crime prévu par l’article 383 du code pénal, pour lequel nous nous réservons de le poursuivre ultérieurement, quand l’identité sera judiciairement acquise. Il vient de commettre un nouveau vol. C’est un cas de récidive. Condamnez-le pour le fait nouveau ; il sera jugé plus tard pour le fait ancien. — Devant cette accusation, devant l’unanimité des témoins, l’accusé paraissait surtout étonné. Il faisait des gestes et des signes qui voulaient dire non, ou bien il considérait le plafond. Il parlait avec peine, répondait avec embarras, mais, de la tête aux pieds, toute sa personne niait. Il était comme un idiot en présence de toutes ces intelligences rangées en bataille autour de lui, et comme un étranger au milieu de cette société qui le saisissait. Cependant il y allait pour lui de l’avenir le plus menaçant, la vraisemblance croissait à chaque minute, et toute cette foule regardait avec plus d’anxiété que lui-même cette sentence pleine de calamités qui penchait sur lui de plus en plus. Une éventualité laissait même entrevoir, outre le bagne, la peine de mort possible, si l’identité était reconnue et si l’affaire Petit-Gervais se terminait plus tard par une condamnation. Qu’était-ce que cet homme ? De quelle nature était son apathie ? Était-ce imbécillité ou ruse ? Comprenait-il trop, ou ne comprenait-il pas du tout ? Questions qui divisaient la foule et semblaient partager le jury. Il y avait dans ce procès ce qui effraye et ce qui intrigue ; le drame n’était pas seulement sombre, il était obscur.

    Le défenseur avait assez bien plaidé, dans cette langue de province qui a longtemps constitué l’éloquence du barreau et dont usaient jadis tous les avocats, aussi bien à Paris qu’à Romorantin ou à Montbrison, et qui aujourd’hui, étant devenue classique, n’est plus guère parlée que par les orateurs officiels du parquet, auxquels elle convient par sa sonorité grave et son allure majestueuse ; langue où un mari s’appelle un époux, une femme, une épouse, Paris, le centre des arts et de la civilisation, le roi, le monarque, monseigneur l’évêque, un saint pontife, l’avocat général, l’éloquent interprète de la vindicte, la plaidoirie, les accents qu’on vient d’entendre, le siècle de Louis xiv, le grand siècle, un théâtre, le temple de Melpomène, la famille régnante, l’auguste sang de nos rois, un concert, une solennité musicale, monsieur le général commandant le département, l’illustre guerrier qui, etc., les élèves du séminaire, ces tendres lévites, les erreurs imputées aux journaux, l’imposture qui distille son venin dans les colonnes de ces organes, etc., etc. — L’avocat donc avait commencé par s’expliquer sur le vol de pommes, — chose malaisée en beau style ; mais Bénigne Bossuet lui-même a été obligé de faire allusion à une poule en pleine oraison funèbre, et il s’en est tiré avec pompe. L’avocat avait établi que le vol de pommes n’était pas matériellement prouvé. — Son client, qu’en sa qualité de défenseur, il persistait à appeler Champmathieu, n’avait été vu de personne escaladant le mur ou cassant la branche. — On l’avait arrêté nanti de cette branche (que l’avocat appelait plus volontiers rameau) ; — mais il disait l’avoir trouvée à terre et ramassée. Où était la preuve du contraire ? — Sans doute cette branche avait été cassée et dérobée après escalade, puis jetée là par le maraudeur alarmé ; sans doute il y avait un voleur ; — qu’est-ce qui prouvait que ce voleur était Champmathieu ? Une seule chose. Sa qualité d’ancien forçat. L’avocat ne niait pas que cette qualité ne parût malheureusement bien constatée ; l’accusé avait résidé à Faverolles ; l’accusé y avait été émondeur; le nom de Champmathieu pouvait bien avoir pour origine Jean Mathieu ; tout cela était vrai ; enfin quatre témoins reconnaissaient sans hésiter et positivement Champmathieu pour être le galérien Jean Valjean ; à ces indications, à ces témoignages, l’avocat ne pouvait opposer que la dénégation de son client, dénégation très intéressée ; mais en supposant qu’il fût le forçat Jean Valjean, cela prouvait-il qu’il fût le voleur des pommes ? C’était une présomption tout au plus ; non une preuve. L’accusé, cela était vrai, et le défenseur « dans sa bonne foi » devait en convenir, avait adopté « un mauvais système de défense ». Il s’obstinait à nier tout, le vol et sa qualité de forçat. Un aveu de ce dernier point eût mieux valu, à coup sûr, et lui eût concilié l’indulgence de ses juges ; l’avocat le lui avait conseillé ; mais l’accusé s’y était refusé obstinément, croyant sans doute sauver tout en n’avouant rien. C’était un tort ; mais ne fallait-il pas considérer la brièveté de cette intelligence ? Cet homme était visiblement stupide. Un long malheur au bagne, une longue misère hors du bagne, l’avaient abruti, etc., etc. Il se défendait mal, était-ce une raison pour le condamner ? Quant à l’affaire Petit-Gervais, l’avocat n’avait pas à la discuter, elle n’était point dans la cause. L’avocat concluait en suppliant le jury et la cour, si l’identité de Jean Valjean leur paraissait évidente, de lui appliquer les peines de police qui s’adressent au condamné en rupture de ban, et non le châtiment épouvantable qui frappe le forçat récidiviste.

    L’avocat général répliqua au défenseur. Il fut violent et fleuri, comme sont habituellement les avocats généraux.

    Il félicita le défenseur de sa « loyauté », et profita habilement de cette loyauté. Il atteignit l’accusé par toutes les concessions que l’avocat avait faites, L’avocat semblait accorder que l’accusé était Jean Valjean. Il en prit acte. Cet homme était donc Jean Valjean. Ceci était acquis à l’accusation et ne pouvait plus se contester. Ici, par une habile antonomase, remontant aux sources et aux causes de la criminalité, l’avocat général tonna contre l’immoralité de l’école romantique, alors à son aurore sous le nom d’école satanique que lui avaient décerné les critiques de la Quotidienne et de l’Oriflamme ; il attribua, non sans vraisemblance, à l’influence de cette littérature perverse le délit de Champmathieu, ou pour mieux dire, de Jean Valjean. Ces considérations épuisées, il passa à Jean Valjean lui-même. Qu’était-ce que Jean Valjean ? Description de Jean Valjean. Un monstre vomi, etc. Le modèle de ces sortes de descriptions est dans le récit de Théramène, lequel n’est pas utile à la tragédie, mais rend tous les jours de grands services à l’éloquence judiciaire. L’auditoire et les jurés « frémirent ». La description achevée, l’avocat général reprit, dans un mouvement oratoire fait pour exciter au plus haut point le lendemain matin l’enthousiasme du Journal de la Préfecture : — Et c’est un pareil homme, etc., etc., etc., vagabond, mendiant, sans moyens d’existence, etc., etc., — accoutumé par sa vie passée aux actions coupables et peu corrigé par son séjour au bagne, comme le prouve le crime commis sur Petit-Gervais, etc., etc., — c’est un homme pareil qui, trouvé sur la voie publique en flagrant délit de vol, à quelques pas d’un mur escaladé, tenant encore à la main l’objet volé, nie le flagrant délit, le vol, l’escalade, nie tout, nie jusqu’à son nom, nie jusqu’à son identité ! Outre cent autres preuves sur lesquelles nous ne revenons, pas, quatre témoins le reconnaissent, Javert, l’intègre inspecteur de police Javert, et trois de ses anciens compagnons d’ignominie, les forçats Brevet, Chenildieu et Cochepaille. Qu’oppose-t-il à cette unanimité foudroyante ? Il nie. Quel endurcissement ! Vous ferez justice, messieurs les jurés, etc., etc. — Pendant que l’avocat général parlait, l’accusé écoutait, la bouche ouverte, avec une sorte d’étonnement où il entrait bien quelque admiration. Il était évidemment surpris qu’un homme pût parler comme cela. De temps en temps, aux moments les plus « énergiques » du réquisitoire, dans ces instants où l’éloquence, qui ne peut se contenir, déborde dans un flux d’épithètes flétrissantes et enveloppe l’accusé comme un orage, il remuait lentement la tête de droite à gauche et de gauche à droite, sorte de protestation triste et muette dont il se contentait depuis le commencement des débats. Deux ou trois fois les spectateurs placés le plus près de lui l’entendirent dire à demi-voix : — Voilà ce que c’est, de n’avoir pas demandé à M. Baloup ! — L’avocat général fit remarquer au jury cette attitude hébétée, calculée évidemment, qui dénotait, non l’imbécillité, mais l’adresse, la ruse, l’habitude de tromper la justice, et qui mettait dans tout son jour « la profonde perversité » de cet homme. Il termina en faisant ses réserves pour l’affaire Petit-Gervais, et en réclamant une condamnation sévère.

    C’était, pour l’instant, on s’en souvient, les travaux forcés à perpétuité.

    Le défenseur se leva, commença par complimenter « monsieur l’avocat général » sur son « admirable parole », puis répliqua comme il put, mais il faiblissait ; le terrain évidemment se dérobait sous lui.


     

    X

    LE SYSTÈME DE DÉNÉGATIONS


     

    L’instant de clore les débats était venu. Le président fit lever l’accusé et lui adressa la question d’usage : — Avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?

    L’homme, debout, roulant dans ses mains un affreux bonnet qu’il avait, sembla ne pas entendre.

    Le président répéta la question.

    Cette fois l’homme entendit. Il parut comprendre, il fit le mouvement de quelqu’un qui se réveille, promena ses yeux autour de lui, regarda le public, les gendarmes, son avocat, les jurés, la cour, posa son poing monstrueux sur le rebord de la boiserie placée devant son banc, regarda encore, et tout à coup, fixant son regard sur l’avocat général, il se mit à parler. Ce fut comme une éruption. Il sembla, à la façon dont les paroles s’échappaient de sa bouche, incohérentes, impétueuses, heurtées, pêle-mêle, qu’elles s’y pressaient toutes à la fois pour sortir en même temps. Il dit : — J’ai à dire ça. Que j’ai été charron à Paris, même que c’était chez monsieur Baloup. C’est un état dur. Dans la chose de charron, on travaille toujours en plein air, dans des cours, sous des hangars chez les bons maîtres, jamais dans des ateliers fermés, parce qu’il faut des espaces, voyez-vous. L’hiver, on a si froid qu’on se bat les bras pour se réchauffer ; mais les maîtres ne veulent pas, ils disent que cela perd du temps. Manier du fer quand il y a de la glace entre les pavés, c’est rude. Ça vous use vite un homme. On est vieux tout jeune dans cet état-là. À quarante ans, un homme est fini. Moi, j’en avais cinquante-trois, j’avais bien du mal. Et puis c’est si méchant les ouvriers ! Quand un bonhomme n’est plus jeune, on vous l’appelle pour tout vieux serin, vieille bête ! Je ne gagnais plus que trente sous par jour, on me payait le moins cher qu’on pouvait, les maîtres profitaient de mon âge. Avec ça, j’avais ma fille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté. À nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d’eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l’eau arrive par des robinets. On n’est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince devant soi dans le bassin. Comme c’est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a une buée d’eau chaude qui est terrible et qui vous perd les yeux. Elle revenait à sept heures du soir, et se couchait bien vite ; elle était si fatiguée. Son mari la battait. Elle est morte. Nous n’avons pas été bien heureux. C’était une brave fille qui n’allait pas au bal, qui était bien tranquille. Je me rappelle un mardi gras où elle était couchée à huit heures. Voilà. Je dis vrai. Vous n’avez qu’à demander. Ah bien oui ! demander ! que je suis bête ! Paris, c’est un gouffre. Qui est-ce qui connaît le père Champmathieu ? Pourtant je vous dis monsieur Baloup. Voyez chez monsieur Baloup. Après ça, je ne sais pas ce qu’on me veut.

    L’homme se tut, et resta debout. Il avait dit ces choses d’une voix haute, rapide, rauque, dure et enrouée, avec une sorte de naïveté irritée et sauvage. Une fois il s’était interrompu pour saluer quelqu’un dans la foule. Les espèces d’affirmations qu’il semblait jeter au hasard devant lui, lui venaient comme des hoquets, et il ajoutait à chacune d’elles le geste d’un bûcheron qui fend du bois. Quand il eut fini, l’auditoire éclata de rire. Il regarda le public, et voyant qu’on riait, et ne comprenant pas, il se mit à rire lui-même.

    Cela était sinistre.

    Le président, homme attentif et bienveillant, éleva la voix.

    Il rappela à « messieurs les jurés » que « le sieur Baloup, l’ancien maître charron chez lequel l’accusé disait avoir servi, avait été inutilement cité. Il était en faillite et n’avait pu être retrouvé ». Puis se tournant vers l’accusé, il l’engagea à écouter ce qu’il allait lui dire et ajouta : — Vous êtes dans une situation où il faut réfléchir. Les présomptions les plus graves pèsent sur vous et peuvent entraîner des conséquences capitales. Accusé, dans votre intérêt, je vous interpelle une dernière fois, expliquez-vous clairement sur ces deux faits : — Premièrement, avez-vous, oui ou non, franchi le mur du clos Pierron, cassé la branche et volé les pommes, c’est-à-dire, commis le crime de vol avec escalade ? Deuxièmement, oui ou non, êtes-vous le forçat libéré Jean Valjean ?

    L’accusé secoua la tête d’un air capable, comme un homme qui a bien compris et qui sait ce qu’il va répondre. Il ouvrit la bouche, se tourna vers le président et dit :

    D’abord...

    Puis il regarda son bonnet, il regarda le plafond, et se tut.

    Accusé, reprit l’avocat général d’une voix sévère, faites attention. Vous ne répondez à rien de ce qu’on vous demande. Votre trouble vous condamne. Il est évident que vous ne vous appelez pas Champmathieu, que vous êtes le forçat Jean Valjean caché d’abord sous le nom de Jean Mathieu qui était le nom de sa mère, que vous êtes allé en Auvergne, que vous êtes né à Faverolles où vous avez été émondeur. Il est évident que vous avez volé avec escalade des pommes mûres dans le clos Pierron. Messieurs les jurés apprécieront.

    L’accusé avait fini par se rasseoir ; il se leva brusquement quand l’avocat général eut fini, et s’écria :

    Vous êtes très méchant, vous! Voilà ce que je voulais dire. Je ne trouvais pas d’abord. Je n’ai rien volé. Je suis un homme qui ne mange pas tous les jours. Je venais d’Ailly, je marchais dans le pays après une ondée qui avait fait la campagne toute jaune, même que les mares débordaient et qu’il ne sortait plus des sables que de petits brins d’herbe au bord de la route ; j’ai trouvé une branche cassée par terre où il y avait des pommes, j’ai ramassé la branche sans savoir qu’elle me ferait arriver de la peine. Il y a trois mois que je suis en prison et qu’on me trimballe. Après ça, je ne peux pas dire, on parle contre moi, on me dit : répondez ! Le gendarme, qui est bon enfant, me pousse le coude et me dit tout bas : réponds donc. Je ne sais pas expliquer, moi, je n’ai pas fait les études, je suis un pauvre homme. Voilà ce qu’on a tort de ne pas voir. Je n’ai pas volé, j’ai ramassé par terre des choses qu’il y avait. Vous dites Jean Valjean, Jean Mathieu ! Je ne connais pas ces personnes-là. C’est des villageois. J’ai travaillé chez monsieur Baloup, boulevard de l’Hôpital. Je m’appelle Champmathieu. Vous êtes bien malins de me dire où je suis né. Moi, je l’ignore. Tout le monde n’a pas des maisons pour y venir au monde. Ce serait trop commode. Je crois que mon père et ma mère étaient des gens qui allaient sur les routes. Je ne sais pas d’ailleurs. Quand j’étais enfant, on m’appelait Petit, maintenant on m’appelle Vieux, Voilà mes noms de baptême. Prenez ça comme vous voudrez. J’ai été en Auvergne, j’ai été à Faverolles, pardi ! Eh bien ? est-ce qu’on ne peut pas avoir été en Auvergne et avoir été à Faverolles sans avoir été aux galères ? Je vous dis que je n’ai pas volé, et que je suis le père Champmathieu. J’ai été chez monsieur Baloup, j’ai été domicilié. Vous m’ennuyez avec vos bêtises à la fin ! Pourquoi donc est-ce que le monde est après moi comme des acharnés ?

    L’avocat général était demeuré debout; il s’adressa au président :

    Monsieur le président, en présence des dénégations confuses, mais fort habiles de l’accusé, qui voudrait bien se faire passer pour idiot, mais qui n’y parviendra pas, — nous l’en prévenons, — nous requérons qu’il vous plaise et qu’il plaise à la cour appeler de nouveau dans cette enceinte les condamnés Brevet, Cochepaille et Chenildieu et l’inspecteur de police Javert, et les interpeller une dernière fois sur l’identité de l’accusé avec le forçat Jean Valjean.

    Je fais remarquer à monsieur l’avocat général, dit le président, que l’inspecteur de police Javert, rappelé par ses fonctions au chef-lieu d’un arrondissement voisin, a quitté l’audience et même la ville, aussitôt sa déposition faite. Nous lui en avons accordé l’autorisation, avec l’agrément de monsieur l’avocat général et du défenseur de l’accusé.

    C’est juste, monsieur le président, reprit l’avocat général. En l’absence du sieur Javert, je crois devoir rappeler à messieurs les jurés ce qu’il a dit ici même il y a peu d’heures. Javert est un homme estimé qui honore par sa rigoureuse et stricte probité des fonctions inférieures, mais importantes. Voici en quels termes il a déposé : — « Je n’ai pas même besoin des présomptions morales et des preuves matérielles qui démentent les dénégations de l’accusé. Je le reconnais parfaitement. Cet homme ne s’appelle pas Champmathieu ; c’est un ancien forçat très méchant et très redouté nommé Jean Valjean. On ne l’a libéré à l’expiration de sa peine qu’avec un extrême regret. Il a subi dix-neuf ans de travaux forcés pour vol qualifié. Il avait cinq ou six fois tenté de s’évader. Outre le vol Petit-Gervais et le vol Pierron, je le soupçonne encore d’un vol commis chez sa grandeur le défunt évêque de Digne. Je l’ai souvent vu, à l’époque où j’étais adjudant garde-chiourme au bagne de Toulon. Je répète que je le reconnais parfaitement. »

    Cette déclaration si précise parut produire une vive impression sur le public et le jury. L’avocat général termina en insistant pour qu’à défaut de Javert, les trois témoins Brevet, Chenildieu et Cochepaille fussent entendus de nouveau et interpellés solennellement.

    Le président transmit un ordre à un huissier, et un moment après la porte de la chambre des témoins s’ouvrit. L’huissier, accompagné d’un gendarme prêt à lui prêter main-forte, introduisit le condamné Brevet. L’auditoire était en suspens et toutes les poitrines palpitaient comme si elles n’eussent eu qu’une seule âme.

    L’ancien forçat Brevet portait la veste noire et grise des maisons centrales. Brevet était un personnage d’une soixantaine d’années qui avait une espèce de figure d’homme d’affaires et l’air d’un coquin. Cela va quelquefois ensemble. Il était devenu, dans la prison où de nouveaux méfaits l’avaient ramené, quelque chose comme guichetier. C’était un homme dont les chefs disaient : Il cherche à se rendre utile. Les aumôniers portaient bon témoignage de ses habitudes religieuses. Il ne faut pas oublier que ceci se passait sous la restauration.

    Brevet, dit le président, vous avez subi une condamnation infamante et vous ne pouvez prêter serment.

    Brevet baissa les yeux.

    Cependant, reprit le président, même dans l’homme que la loi a dégradé, il peut rester, quand la pitié divine le permet, un sentiment d’honneur et d’équité. C’est à ce sentiment que je fais appel à cette heure décisive. S’il existe encore en vous, et je l’espère, réfléchissez avant de me répondre, considérez d’une part cet homme qu’un mot de vous peut perdre, d’autre part la justice qu’un mot de vous peut éclairer. L’instant est solennel, et il est toujours temps de vous rétracter, si vous croyez vous être trompé. — Accusé, levez-vous. — Brevet, regardez bien l’accusé, recueillez vos souvenirs, et dites-nous, en votre âme et conscience, si vous persistez à reconnaître cet homme pour votre ancien camarade de bagne Jean Valjean.

    Brevet regarda l’accusé, puis se retourna vers la cour.

    Oui, monsieur le président. C’est moi qui l’ai reconnu le premier et je persiste. Cet homme est Jean Valjean, entré à Toulon en 1796 et sorti en 1815. Je suis sorti l’an d’après. Il a l’air d’une brute maintenant, alors ce serait que l’âge l’a abruti ; au bagne il était sournois. Je le reconnais positivement.

    Allez vous asseoir, dit le président. Accusé, restez debout.

    On introduisit Chenildieu, forçat à vie, comme l’indiquaient sa casaque rouge et son bonnet vert. Il subissait sa peine à Toulon, d’où on l’avait extrait pour cette affaire. C’était un petit homme d’environ cinquante ans, vif, ridé, chétif, jaune, effronté, fiévreux, qui avait dans tous ses membres et dans toute sa personne une sorte de faiblesse maladive et dans le regard une force immense. Ses compagnons du bagne l’avaient surnommé Je-nie-Dieu.

    Le président lui adressa à peu près les mêmes paroles qu’à Brevet. Au moment où il lui rappela que son infamie lui ôtait le droit de prêter serment, Chenildieu leva la tête et regarda la foule en face. Le président l’invita à se recueillir et lui demanda, comme à Brevet, s’il persistait à reconnaître l’accusé.

    Chenildieu éclata de rire.

    Pardine ! si je le reconnais ! nous avons été cinq ans attachés à la même chaîne. Tu boudes donc, mon vieux ?

    Allez vous asseoir, dit le président.

    L’huissier amena Cochepaille. Cet autre condamné à perpétuité, venu du bagne et vêtu de rouge comme Chenildieu, était un paysan de Lourdes et un demi-ours des Pyrénées. Il avait gardé des troupeaux dans la montagne et de pâtre il avait glissé brigand. Cochepaille n’était pas moins sauvage et paraissait plus stupide encore que l’accusé. C’était un de ces malheureux hommes que la nature a ébauchés en bêtes fauves et que la société termine en galériens.

    Le président essaya de le remuer par quelques paroles pathétiques et graves et lui demanda, comme aux deux autres, s’il persistait, sans hésitation et sans trouble, à reconnaître l’homme debout devant lui.

    C’est Jean Valjean, dit Cochepaille. Même qu’on l’appelait Jean-le-Cric, tant il était fort.

    Chacune des affirmations de ces trois hommes, évidemment sincères et de bonne foi, avait soulevé dans l’auditoire un murmure de fâcheux augure pour l’accusé, murmure qui croissait et se prolongeait plus longtemps chaque fois qu’une déclaration nouvelle venait s’ajouter à la précédente. L’accusé, lui, les avait écoutées avec ce visage étonné qui, selon l’accusation, était son principal moyen de défense. À la première, les gendarmes ses voisins l’avaient entendu grommeler entre ses dents : Ah bien ! en voilà un ! Après la seconde il dit un peu plus haut, d’un air presque satisfait : Bon ! À la troisième il s’écria : Fameux !

    Le président l’interpella :

    Accusé, vous avez entendu. Qu’avez-vous à dire ?

    Il répondit : — Je dis — Fameux !

    Une rumeur éclata dans le public et gagna presque le jury. Il était évident que l’homme était perdu.

    Huissiers, dit le président, faites faire silence. Je vais clore les débats.

    En ce moment un mouvement se fit tout à côté du président. On entendit une voix qui criait :

    Brevet, Chenildieu, Cochepaille ! regardez de ce côté-ci. Tous ceux qui entendirent cette voix se sentirent glacés, tant elle était lamentable et terrible. Les yeux se tournèrent vers le point d’où elle venait. Un homme, placé parmi les spectateurs privilégiés qui étaient assis derrière la cour, venait de se lever, avait poussé la porte à hauteur d’appui qui séparait le tribunal du prétoire, et était debout au milieu de la salle. Le président, l’avocat général, M. Bamatabois, vingt personnes, le reconnurent, et s’écrièrent à la fois :

    Monsieur Madeleine !


     

    XI

    CHAMPMATHIEU DE PLUS EN PLUS ÉTONNÉ


     

    C’était lui en effet. La lampe du greffier éclairait son visage. Il tenait son chapeau à la main, il n’y avait aucun désordre dans ses vêtements, sa redingote était boutonnée avec soin. Il était très pâle et il tremblait légèrement. Ses cheveux, gris encore au moment de son arrivée à Arras, étaient maintenant tout à fait blancs. Ils avaient blanchi depuis une heure qu’il était là.

    Toutes les têtes se dressèrent. La sensation fut indescriptible. Il y eut dans l’auditoire un instant d’hésitation, La voix avait été si poignante, l’homme qui était là paraissait si calme, qu’au premier abord on ne comprit pas. On se demanda qui avait crié. On ne pouvait croire que ce fût cet homme tranquille qui eût jeté ce cri effrayant.

    Cette indécision ne dura que quelques secondes. Avant même que le président et l’avocat général eussent pu dire un mot, avant que les gendarmes et les huissiers eussent pu faire un geste, l’homme que tous appelaient encore en ce moment M. Madeleine s’était avancé vers les témoins Cochepaille, Brevet et Chenildieu.

    Vous ne me reconnaissez pas ? dit-il.

    Tous trois demeurèrent interdits et indiquèrent par un signe de tête qu’ils ne le connaissaient point. Cochepaille intimidé fit le salut militaire. M. Madeleine se tourna vers les jurés et vers la cour et dit d’une voix douce :

    Messieurs les jurés, faites relâcher l’accusé. Monsieur le président, faites-moi arrêter. L’homme que vous cherchez, ce n’est pas lui, c’est moi. Je suis Jean Valjean.

    Pas une bouche ne respirait. À la première commotion de l’étonnement avait succédé un silence de sépulcre. On sentait dans la salle cette espèce de terreur religieuse qui saisit la foule lorsque quelque chose de grand s’accomplit.

    Cependant le visage du président s’était empreint de sympathie et de tristesse ; il avait échangé un signe rapide avec l’avocat général et quelques paroles à voix basse avec les conseillers assesseurs. Il s’adressa au public, et demanda avec un accent qui fut compris de tous :

    Y a-t-il un médecin ici ?

    L’avocat général prit la parole :

    Messieurs les jurés, l’incident si étrange et si inattendu qui trouble l’audience ne nous inspire, ainsi qu’à vous, qu’un sentiment que nous n’avons pas besoin d’exprimer. Vous connaissez tous, au moins de réputation, l’honorable M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, S’il y a un médecin dans l’auditoire, nous nous joignons à monsieur le président pour le prier de vouloir bien assister monsieur Madeleine et le reconduire à sa demeure.

    M. Madeleine ne laissa point achever l’avocat général. Il l’interrompit d’un accent plein de mansuétude et d’autorité. Voici les paroles qu’il prononça ; les voici littéralement, telles qu’elles furent écrites immédiatement après l’audience par un des témoins de cette scène, telles qu’elles sont encore dans l’oreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourd’hui.

    Je vous remercie, monsieur l’avocat général, mais je ne suis pas fou. Vous allez voir. Vous étiez sur le point de commettre une grande erreur, lâchez cet homme, j’accomplis un devoir, je suis ce malheureux condamné. Je suis le seul qui voie clair ici, et je vous dis la vérité. Ce que je fais en ce moment, Dieu, qui est là-haut, le regarde, et cela suffit. Vous pouvez me prendre, puisque me voilà. J’avais pourtant fait de mon mieux. Je me suis caché sous un nom ; je suis devenu riche, je suis devenu maire ; j’ai voulu rentrer parmi les honnêtes gens. Il paraît que cela ne se peut pas. Enfin, il y a bien des choses que je ne puis pas dire, je ne vais pas vous raconter ma vie, un jour on saura. J’ai volé monseigneur l’évêque, cela est vrai ; j’ai volé Petit-Gervais, cela est vrai. On a eu raison de vous dire que Jean Valjean était un malheureux très méchant. Toute la faute n’est peut-être pas à lui. Écoutez, messieurs les juges, un homme aussi abaissé que moi n’a pas de remontrance à faire à la providence ni de conseil à donner à la société ; mais, voyez-vous, l’infamie d’où j’avais essayé de sortir est une chose nuisible. Les galères font le galérien. Recueillez cela, si vous voulez. Avant le bagne, j’étais un pauvre paysan très peu intelligent, une espèce d’idiot ; le bagne m’a changé. J’étais stupide, je suis devenu méchant ; j’étais bûche, je suis devenu tison. Plus tard l’indulgence et la bonté m’ont sauvé, comme la sévérité m’avait perdu. Mais, pardon, vous ne pouvez pas comprendre ce que je dis là. Vous trouverez chez moi, dans les cendres de la cheminée, la pièce de quarante sous que j’ai volée il y a sept ans à Petit-Gervais. Je n’ai plus rien à ajouter. Prenez-moi. Mon Dieu ! monsieur l’avocat général remue la tête, vous dites : M. Madeleine est devenu fou, vous ne me croyez pas ! Voilà qui est affligeant. N’allez point condamner cet homme au moins ! Quoi ! ceux-ci ne me reconnaissent pas ! Je voudrais que Javert fût ici. Il me reconnaîtrait, lui !

    Rien ne pourrait rendre ce qu’il y avait de mélancolie bienveillante et sombre dans l’accent qui accompagnait ces paroles.

    Il se tourna vers les trois forçats :

    Eh bien, je vous reconnais, moi ! Brevet ! vous rappelez-vous ?…

    Il s’interrompit, hésita un moment, et dit :

    Te rappelles-tu ces bretelles en tricot à damier que tu avais au bagne ?

    Brevet eut comme une secousse de surprise et le regarda de la tête aux pieds d’un air effrayé. Lui continua.

    Chenildieu, qui te surnommais toi-même Je-nie-Dieu, tu as toute l’épaule droite brûlée profondément, parce que tu t’es couché un jour l’épaule sur un réchaud plein de braise, pour effacer les trois lettres T. F. P., qu’on y voit toujours cependant. Réponds, est-ce vrai ?

    C’est vrai, dit Chenildieu.

    Il s’adressa à Cochepaille :

    Cochepaille, tu as près de la saignée du bras gauche une date gravée en lettres bleues avec de la poudre brûlée. Cette date, c’est celle du débarquement de l’empereur à Cannes, 1er mars 1815. Relève ta manche.

    Cochepaille releva sa manche, tous les regards se penchèrent autour de lui sur son bras nu. Un gendarme approcha une lampe ; la date y était.

    Le malheureux homme se tourna vers l’auditoire et vers les juges avec un sourire dont ceux qui l’ont vu sont encore navrés lorsqu’ils y songent. C’était le sourire du triomphe, c’était aussi le sourire du désespoir.

    Vous voyez bien, dit-il, que je suis Jean Valjean.

    Il n’y avait plus dans cette enceinte ni juges, ni accusateurs, ni gendarmes ; il n’y avait que des yeux fixes et des cœurs émus. Personne ne se rappelait plus le rôle que chacun pouvait avoir à jouer; l’avocat général oubliait qu’il était là pour requérir, le président qu’il était là pour présider, le défenseur qu’il était là pour défendre. Chose frappante, aucune question ne fut faite, aucune autorité n’intervint. Le propre des spectacles sublimes, c’est de prendre toutes les âmes et de faire de tous les témoins des spectateurs. Aucun peut-être ne se rendait compte de ce qu’il éprouvait ; aucun, sans doute, ne se disait qu’il voyait resplendir là une grande lumière ; tous intérieurement se sentaient éblouis.

    Il était évident qu’on avait sous les yeux Jean Valjean. Cela rayonnait. L’apparition de cet homme avait suffi pour remplir de clarté cette aventure si obscure le moment d’auparavant. Sans qu’il fût besoin d’aucune explication désormais, toute cette foule, comme par une sorte de révélation électrique, comprit tout de suite et d’un seul coup d’œil cette simple et magnifique histoire d’un homme qui se livrait pour qu’un autre homme ne fût pas condamné à sa place. Les détails, les hésitations, les petites résistances possibles se perdirent dans ce vaste fait lumineux.

    Impression qui passa vite, mais qui dans l’instant fut irrésistible.

    Je ne veux pas déranger davantage l’audience, reprit Jean Valjean. Je m’en vais, puisqu’on ne m’arrête pas. J’ai plusieurs choses à faire. Monsieur l’avocat général sait qui je suis, il sait où je vais, il me fera arrêter quand il voudra.

    Il se dirigea vers la porte de sortie. Pas une voix ne s’éleva, pas un bras ne s’étendit pour l’empêcher. Tous s’écartèrent. Il avait en ce moment ce je ne sais quoi de divin qui fait que les multitudes reculent et se rangent devant un homme, Il traversa la foule à pas lents. On n’a jamais su qui ouvrit la porte, mais il est certain que la porte se trouva ouverte lorsqu’il y parvint. Arrivé là, il se retourna et dit :

    Monsieur l’avocat général, je reste à votre disposition.

    Puis il s’adressa à l’auditoire :

    Vous tous, tous ceux qui sont ici, vous me trouvez digne de pitié, n’est-ce pas ? Mon Dieu ! quand je pense à ce que j’ai été sur le point de faire, je me trouve digne d’envie. Cependant j’aurais mieux aimé que tout ceci n’arrivât pas.

    Il sortit, et la porte se referma comme elle avait été ouverte, car ceux qui font de certaines choses souveraines sont toujours sûrs d’être servis par quelqu’un dans la foule.

    Moins d’une heure après, le verdict du jury déchargeait de toute accusation le nommé Champmathieu ; et Champmathieu, mis en liberté immédiatement, s’en allait stupéfait, croyant tous les hommes fous et ne comprenant rien à cette vision.


     

    I

    DANS QUEL MIROIR M. MADELEINE REGARDE SES CHEVEUX


     

    Le jour commençait à poindre, Fantine avait eu une nuit de fièvre et d’insomnie, pleine d’ailleurs d’images heureuses ; au matin, elle s’endormit. La sœur Simplice, qui l’avait veillée, profita de ce sommeil pour aller préparer une nouvelle potion de quinquina. La digne sœur était depuis quelques instants dans le laboratoire de l’infirmerie, penchée sur ses drogues et sur ses fioles et regardant de très près à cause de cette brume que le crépuscule répand sur les objets. Tout à coup elle tourna la tête et fit un léger cri. M. Madeleine était devant elle. Il venait d’entrer silencieusement.

    C’est vous, monsieur le maire ! s’écria-t-elle. Il répondit, à voix basse :

    Comment va cette pauvre femme ?

    Pas mal en ce moment. Mais nous avons été bien inquiets, allez !

    Elle lui expliqua ce qui s’était passé, que Fantine était bien mal la veille et que maintenant elle était mieux, parce qu’elle croyait que monsieur le maire était allé chercher son enfant à Montfermeil. La sœur n’osa pas interroger monsieur le maire, mais elle vit bien à son air que ce n’était point de là qu’il venait.

    Tout cela est bien, dit-il, vous avez eu raison de ne pas la détromper.

    Oui, reprit la sœur, mais maintenant, monsieur le maire, qu’elle va vous voir et qu’elle ne verra pas son enfant, que lui dirons-nous ?

    Il resta un moment rêveur.

    Dieu nous inspirera, dit-il.

    On ne pourrait cependant pas mentir, murmura la sœur à demi-voix.

    Le plein jour s’était fait dans la chambre. Il éclairait en face le visage de M. Madeleine. Le hasard fit que la sœur leva les yeux.

    Mon Dieu, monsieur ! s’écria-t-elle, que vous est-il arrivé ? vos cheveux sont tout blancs !

    Blancs ! dit-il.

    La sœur Simplice n’avait point de miroir ; elle fouilla dans une trousse et en tira une petite glace dont se servait le médecin de l’infirmerie pour constater qu’un malade était mort et ne respirait plus. M. Madeleine prit la glace, y considéra ses cheveux, et dit : Tiens !

    Il prononça ce mot avec indifférence et comme s’il pensait à autre chose.

    La sœur se sentit glacée par je ne sais quoi d’inconnu qu’elle entrevoyait dans tout ceci.

    Il demanda :

    Puis-je la voir ?

    Est-ce que monsieur le maire ne lui fera pas revenir son enfant ? dit la sœur, osant à peine hasarder une question.

    Sans doute, mais il faut au moins deux ou trois jours.

    Si elle ne voyait pas monsieur le maire d’ici là, reprit timidement la sœur, elle ne saurait pas que monsieur le maire est de retour, il serait aisé de lui faire prendre patience, et quand l’enfant arriverait elle penserait tout naturellement que monsieur le maire est arrivé avec l’enfant. On n’aurait pas de mensonge à faire.

    M. Madeleine parut réfléchir quelques instants, puis il dit avec sa gravité calme :

    Non, ma sœur, il faut que je la voie. Je suis peut-être pressé.

    La religieuse ne sembla pas remarquer ce mot « peut-être », qui donnait un sens obscur et singulier aux paroles de M. le maire. Elle répondit en baissant les yeux et la voix respectueusement :

    En ce cas, elle repose, mais monsieur le maire peut entrer.

    Il fit quelques observations sur une porte qui fermait mal, et dont le bruit pouvait réveiller la malade, puis il entra dans la chambre de Fantine, s’approcha du lit et entr’ouvrit les rideaux. Elle dormait. Son souffle sortait de sa poitrine avec ce bruit tragique qui est propre à ces maladies, et qui navre les pauvres mères lorsqu’elles veillent la nuit près de leur enfant condamné et endormi. Mais cette respiration pénible troublait à peine une sorte de sérénité ineffable, répandue sur son visage, qui la transfigurait dans son sommeil. Sa pâleur était devenue de la blancheur ; ses joues étaient vermeilles. Ses longs cils blonds, la seule beauté qui lui fût restée de sa virginité et de sa jeunesse, palpitaient tout en demeurant clos et baissés. Toute sa personne tremblait, de je ne sais quel déploiement d’ailes prêtes à s’entr’ouvrir et à l’emporter, qu’on sentait frémir, mais qu’on ne voyait pas. À la voir ainsi, on n’eût jamais pu croire que c’était là une malade presque désespérée. Elle ressemblait plutôt à ce qui va s’envoler qu’à ce qui va mourir.

    La branche, lorsqu’une main s’approche pour détacher la fleur, frissonne, et semble à la fois se dérober et s’offrir. Le corps humain a quelque chose de ce tressaillement, quand arrive l’instant où les doigts mystérieux de la mort vont cueillir l’âme.

    M. Madeleine resta quelque temps immobile près de ce lit, regardant tour à tour la malade et le crucifix, comme il faisait deux mois auparavant, le jour où il était venu pour la première fois la voir dans cet asile. Ils étaient encore là tous les deux dans la même attitude ; elle dormant, lui priant ; seulement maintenant, depuis ces deux mois écoulés, elle avait des cheveux gris et lui des cheveux blancs.

    La sœur n’était pas entrée avec lui. Il se tenait près de ce lit, debout. le doigt sur la bouche, comme s’il y eût eu dans la chambre quelqu’un à faire taire.

    Elle ouvrit les yeux, le vit, et dit paisiblement, avec un sourire :

    Et Cosette ?


     

    II

    FANTINE HEUREUSE


     

    Elle n’eut pas un mouvement de surprise, ni un mouvement de joie ; elle était la joie même. Cette simple question : — Et Cosette ? fut faite avec une foi si profonde, avec tant de certitude, avec une absence si complète d’inquiétude et de doute, qu’il ne trouva pas une parole. Elle continua :

    Je savais que vous étiez là. Je dormais, mais je vous voyais. Il y a longtemps que je vous vois. Je vous ai suivi des yeux toute la nuit. Vous étiez dans une gloire et vous aviez autour de vous toutes sortes de figures célestes.

    Il leva son regard vers le crucifix.

    Mais, reprit-elle, dites-moi donc où est Cosette ? Pourquoi ne l’avoir pas mise sur mon lit pour le moment où je m’éveillerais ?

    Il répondit machinalement quelque chose qu’il n’a jamais pu se rappeler plus tard.

    Heureusement le médecin, averti, était survenu. Il vint en aide à M. Madeleine.

    Mon enfant, dit le médecin, calmez-vous. Votre enfant est là.

    Les yeux de Fantine s’illuminèrent et couvrirent de clarté tout son visage. Elle joignit les mains avec une expression qui contenait tout ce que la prière peut avoir à la fois de plus violent et de plus doux :

    Oh ! s’écria-t-elle, apportez-la-moi !

    Touchante illusion de mère ! Cosette était toujours pour elle le petit enfant qu’on apporte.

    Pas encore, reprit le médecin, pas en ce moment. Vous avez un reste de fièvre. La vue de votre enfant vous agiterait et vous ferait du mal. Il faut d’abord vous guérir.

    Elle l’interrompit impétueusement.

    Mais je suis guérie ! je vous dis que je suis guérie ! Est-il âne, ce médecin ! Ah çà ! je veux voir mon enfant, moi !

    Vous voyez, dit le médecin, comme vous vous emportez. Tant que vous serez ainsi, je m’opposerai à ce que vous ayez votre enfant. Il ne suffit pas de la voir, il faut vivre pour elle. Quand vous serez raisonnable, je vous l’amènerai moi-même.

    La pauvre mère courba la tête.

    Monsieur le médecin, je vous demande pardon, je vous demande vraiment bien pardon. Autrefois je n’aurais pas parlé comme je viens de faire, il m’est arrivé tant de malheurs que quelquefois je ne sais plus ce que je dis. Je comprends, vous craignez l’émotion, j’attendrai tant que vous voudrez, mais je vous jure que cela ne m’aurait pas fait de mal de voir ma fille. Je la vois, je ne la quitte pas des yeux depuis hier au soir. Savez-vous ? on me l’apporterait maintenant que je me mettrais à lui parler doucement. Voilà tout. Est-ce que ce n’est pas bien naturel que j’aie envie de voir mon enfant qu’on a été me chercher exprès à Montfermeil ? Je ne suis pas en colère. Je sais bien que je vais être heureuse. Toute la nuit j’ai vu des choses blanches et des personnes qui me souriaient. Quand monsieur le médecin voudra, il m’apportera ma Cosette. Je n’ai plus de fièvre, puisque je suis guérie ; je sens bien que je n’ai plus rien du tout ; mais je vais faire comme si j’étais malade et ne pas bouger pour faire plaisir aux dames d’ici. Quand on verra que je suis bien tranquille, on dira : il faut lui donner son enfant.

    M. Madeleine s’était assis sur une chaise qui était à côté du lit. Elle se tourna vers lui ; elle faisait visiblement effort pour paraître calme et « bien sage », comme elle disait dans cet affaiblissement de la maladie qui ressemble à l’enfance, afin que, la voyant si paisible, on ne fît pas difficulté de lui amener Cosette. Cependant, tout en se contenant, elle ne pouvait s’empêcher d’adresser à M. Madeleine mille questions.

    Avez-vous fait un bon voyage, monsieur le maire ? Oh ! comme vous êtes bon d’avoir été me la chercher ! Dites-moi seulement comment elle est. A-t-elle bien supporté la route ? Hélas! elle ne me reconnaîtra pas ! Depuis le temps, elle m’a oubliée, pauvre chou ! Les enfants, cela n’a pas de mémoire. C’est comme des oiseaux. Aujourd’hui cela voit une chose et demain une autre, et cela ne pense plus à rien. Avait-elle du linge blanc seulement ? Ces Thénardier la tenaient-ils proprement ? Comment la nourrissait-on ? Oh ! comme j’ai souffert, si vous saviez ! de me faire toutes ces questions-là dans le temps de ma misère ! Maintenant, c’est passé. Je suis joyeuse. Oh ! que je voudrais donc la voir ! Monsieur le maire, l’avez-vous trouvée jolie ? N’est-ce pas qu’elle est belle, ma fille ? Vous devez avoir eu bien froid dans cette diligence ! Est-ce qu’on ne pourrait pas l’amener rien qu’un petit moment ? On la remporterait tout de suite après. Dites ! vous qui êtes le maître, si vous vouliez !

    Il lui prit la main : — Cosette est belle, dit-il, Cosette se porte bien, vous la verrez bientôt, mais apaisez-vous. Vous parlez trop vivement, et puis, vous sortez vos bras du lit, et cela vous fait tousser.

    En effet, des quintes de toux interrompaient Fantine, presque à chaque mot.

    Fantine ne murmura pas, elle craignit d’avoir compromis par quelques plaintes trop passionnées la confiance qu’elle voulait inspirer, et elle se mit à dire des paroles indifférentes.

    C’est assez joli, Monfermeil, n’est-ce pas ? L’été, on y va faire des parties de plaisir. Ces Thénardier font-ils de bonnes affaires ? Il ne passe pas grand monde dans leur pays. C’est une espèce de gargote que cette auberge-là.

    M. Madeleine lui tenait toujours la main, il la considérait avec anxiété ; il était évident qu’il était venu pour lui dire des choses devant lesquelles sa pensée hésitait maintenant. Le médecin, sa visite faite, s’était retiré. La sœur Simplice était restée auprès d’eux.

    Cependant, au milieu de ce silence, Fantine s’écria :

    Je l’entends ! mon Dieu ! je l’entends !

    Elle étendit le bras pour qu’on se tût autour d’elle, retint son souffle, et se mit à écouter avec ravissement.

    Il y avait un enfant qui jouait dans la cour ; l’enfant de la portière ou d’une ouvrière quelconque. C’est là un de ces hasards qu’on retrouve toujours et qui semblent faire partie de la mystérieuse mise en scène des événements lugubres. L’enfant — c’était une petite fille — allait, venait, courait pour se réchauffer, riait et chantait à haute voix. Hélas ! à quoi les jeux des enfants ne se mêlent-ils pas ! C’était cette petite fille que Fantine entendait chanter.

    Oh ! reprit-elle, c’est ma Cosette ! je reconnais sa voix !

    L’enfant s’éloigna comme il était venu, la voix s’éteignit, Fantine écouta encore quelque temps, puis son visage s’assombrit, et M. Madeleine l’entendit qui disait à voix basse : — Comme ce médecin est méchant de ne pas me laisser voir ma fille ! Il a une mauvaise figure, cet homme-là !

    Cependant le fond riant de ses idées revint. Elle continua de se parler à elle-même, la tête sur l’oreiller : — Comme nous allons être heureuses ! Nous aurons un petit jardin, d’abord! monsieur Madeleine me l’a promis. Ma fille jouera dans le jardin. Elle doit savoir ses lettres maintenant. Je la ferai épeler. Elle courra dans l’herbe après les papillons. Je la regarderai. Et puis elle fera sa première communion. Ah çà ! quand fera-t-elle sa première communion ?

    Elle se mit à compter sur ces doigts.

    ... Un, deux, trois, quatre... elle a sept ans. Dans cinq ans. Elle aura un voile blanc, des bas à jour, elle aura l’air d’une petite femme. Ô ma bonne sœur, vous ne savez pas comme je suis bête, voilà que je pense à la première communion de ma fille !

    Et elle se mit à rire.

    Il avait quitté la main de Fantine. Il écoutait ces paroles comme on écoute un vent qui souffle, les yeux à terre, l’esprit plongé dans des réflexions sans fond. Tout à coup elle cessa de parler, cela lui fit lever machinalement la tête, Fantine était devenue effrayante.

    Elle ne parlait plus, elle ne respirait plus ; elle s’était soulevée à demi sur son séant ; son épaule maigre sortait de sa chemise ; son visage, radieux le moment d’auparavant, était blême, et elle paraissait fixer sur quelque chose de formidable, devant elle, à l’autre extrémité de la chambre, son œil agrandi par la terreur.

    Mon Dieu ! s’écria-t-il. Qu’avez-vous, Fantine ?

    Elle ne répondit pas, elle ne quitta point des yeux l’objet quelconque qu’elle semblait voir, elle lui toucha le bras d’une main et de l’autre lui fit signe de regarder derrière lui.

    Il se retourna, et vit Javert.


     

    III

    JAVERT CONTENT


     

    Voici ce qui s’était passé.

    Minuit et demi venait de sonner, quand M. Madeleine était sorti de la salle des assises d’Arras. Il était rentré à son auberge juste à temps pour repartir par la malle-poste où l’on se rappelle qu’il avait retenu sa place. Un peu avant six heures du matin, il était arrivé à Montreuil-sur-Mer, et son premier soin avait été de jeter à la poste sa lettre à M. Laffitte, puis d’entrer à l’infirmerie et de voir Fantine.

    Cependant, à peine avait-il quitté la salle d’audience de la cour d’assises, que l’avocat général, revenu du premier saisissement, avait pris la parole pour déplorer l’acte de folie de l’honorable maire de Montreuil-sur-Mer, déclarer que ses convictions n’étaient en rien modifiées par cet incident bizarre qui s’éclaircirait plus tard, et requérir, en attendant, la condamnation de ce Champmathieu, évidemment le vrai Jean Valjean. La persistance de l’avocat général était visiblement en contradiction avec le sentiment de tous, du public, de la cour et du jury. Le défenseur avait eu peu de peine à réfuter cette harangue et à établir que, par suite des révélations de M. Madeleine, c’est-à-dire du vrai Jean Valjean, la face de l’affaire était bouleversée de fond en comble, et que le jury n’avait plus devant les yeux qu’un innocent. L’avocat avait tiré de là quelques épiphonèmes, malheureusement peu neufs, sur les erreurs judiciaires, etc., etc. ; le président dans son résumé s’était joint au défenseur, et le jury en quelques minutes avait mis hors de cause Champmathieu.

    Cependant il fallait un Jean Valjean à l’avocat général, et, n’ayant plus Champmathieu, il prit Madeleine.

    Immédiatement après la mise en liberté de Champmathieu, l’avocat général s’enferma avec le président. Ils conférèrent « de la nécessité de se saisir de la personne de M. le maire de Montreuil-sur-Mer ». Cette phrase, où il y a beaucoup de de, est de M. l’avocat général. La première émotion passée, le président fit peu d’objections. Il fallait bien que justice eût son cours. Et puis, pour tout dire, quoique le président fût homme bon et assez intelligent, il était en même temps fort royaliste et presque ardent, et il avait été choqué que le maire de Montreuil-sur-Mer, en parlant du débarquement à Cannes, eût dit l’empereur et non Buonaparte.

    L’ordre d’arrestation fut donc expédié. L’avocat général l’envoya à Montreuil-sur-Mer par un exprès, à franc étrier, et en chargea l’inspecteur de police Javert.

    On sait que Javert était revenu à Montreuil-sur-Mer immédiatement après avoir fait sa déposition.

    Javert se levait au moment où l’exprès lui remit l’ordre d’arrestation et le mandat d’amener.

    L’exprès était lui-même un homme de police fort entendu qui, en deux mots, mit Javert au fait de ce qui était arrivé à Arras. L’ordre d’arrestation, signé de l’avocat général, était ainsi conçu : — L’inspecteur Javert appréhendera au corps le sieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, qui, dans l’audience de ce jour, a été reconnu pour être le forçat libéré Jean Valjean.

    Quelqu’un qui n’eût pas connu Javert et qui l’eût vu au moment où il pénétra dans l’antichambre de l’infirmerie n’eût pu rien deviner de ce qui se passait, et lui eût trouvé l’air le plus ordinaire du monde. Il était froid, calme, grave, avait ses cheveux gris parfaitement lissés sur les tempes et venait de monter l’escalier avec sa lenteur habituelle. Quelqu’un qui l’eût connu à fond et qui l’eût examiné attentivement eût frémi. La boucle de son col de cuir, au lieu d’être sur sa nuque, était sur son oreille gauche. Ceci révélait une agitation inouïe.

    Javert était un caractère complet, ne faisant faire de pli ni à son devoir, ni à son uniforme ; méthodique avec les scélérats, rigide avec les boutons de son habit.

    Pour qu’il eût mal mis la boucle de son col, il fallait qu’il y eût en lui une de ces émotions qu’on pourrait appeler des tremblements de terre intérieurs.

    Il était venu simplement, avait requis un caporal et quatre soldats au poste voisin, avait laissé les soldats dans la cour, et s’était fait indiquer la chambre de Fantine par la portière sans défiance, accoutumée qu’elle était à voir des gens armés demander monsieur le maire.

    Arrivé à la chambre de Fantine, Javert tourna la clef, poussa la porte avec une douceur de garde-malade ou de mouchard, et entra.

    À proprement parler, il n’entra pas. Il se tint debout dans la porte entre-bâillée, le chapeau sur la tête, la main gauche dans sa redingote fermée jusqu’au menton. Dans le pli du coude on pouvait voir le pommeau de plomb de son énorme canne, laquelle disparaissait derrière lui.

    Il resta ainsi près d’une minute sans qu’on s’aperçût de sa présence. Tout à coup Fantine leva les yeux, le vit, et fit retourner M. Madeleine.

    À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie.

    Ce fut le visage d’un démon qui vient de retrouver son damné.

    La certitude de tenir enfin Jean Valjean fît apparaître sur sa physionomie tout ce qu’il avait dans l’âme. Le fond remué monta à la surface. L’humiliation d’avoir un peu perdu la piste et de s’être mépris quelques minutes sur ce Champmathieu, s’effaçait sous l’orgueil d’avoir si bien deviné d’abord et d’avoir eu si longtemps un instinct juste. Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite.

    Javert en ce moment était au ciel. Sans qu’il s’en rendît nettement compte, mais pourtant avec une intuition confuse de sa nécessité et de son succès, il personnifiait, lui Javert, la justice, la lumière et la vérité dans leur fonction céleste d’écrasement du mal. Il avait derrière lui et autour de lui, à une profondeur infinie, l’autorité, la raison, la chose jugée, la conscience légale, la vindicte publique, toutes les étoiles ; il protégeait l’ordre, il faisait sortir de la loi la foudre, il vengeait la société, il prêtait main-forte à l’absolu ; il se dressait dans une gloire ; il y avait dans sa victoire un reste de défi et de combat ; debout, altier, éclatant, il étalait en plein azur la bestialité surhumaine d’un archange féroce ; l’ombre redoutable de l’action qu’il accomplissait faisait visible à son poing crispé le vague flamboiement de l’épée sociale ; heureux et indigné, il tenait sous son talon le crime, le vice, la rébellion, la perdition, l’enfer, il rayonnait, il exterminait, il souriait, et il y avait une incontestable grandeur dans ce saint Michel monstrueux.

    Javert, effroyable, n’avait rien d’ignoble. La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, l’idée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans l’horreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, l’erreur. L’impitoyable joie honnête d’un fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable. Sans qu’il s’en doutât, Javert, dans son bonheur formidable, était à plaindre comme tout ignorant qui triomphe. Rien n’était poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce qu’on pourrait appeler tout le mauvais du bon.


     

    IV

    L’AUTORITÉ REPREND SES DROITS


     

    La Fantine n’avait point vu Javert depuis le jour où M. le maire l’avait arrachée à cet homme. Son cerveau malade ne se rendit compte de rien, seulement elle ne douta pas qu’il ne revînt la chercher. Elle ne put supporter cette figure affreuse, elle se sentit expirer, elle cacha son visage de ses deux mains et cria avec angoisse :

    Monsieur Madeleine, sauvez-moi !

    Jean Valjean — nous ne le nommerons plus désormais autrement — s’était levé. Il dit à Fantine de sa voix la plus douce et la plus calme :

    Soyez tranquille, Ce n’est pas pour vous qu’il vient.

    Puis il s’adressa à Javert et lui dit :

    Je sais ce que vous voulez.

    Javert répondit :

    Allons, vite !

    Il y eut dans l’inflexion qui accompagna ces deux mots je ne sais quoi de fauve et de frénétique. Javert ne dit pas : Allons, vite ! il dit : Allonouaite ! Aucune orthographe ne pourrait rendre l’accent dont cela fut prononcé ; ce n’était plus une parole humaine, c’était un rugissement.

    Il ne fit point comme d’habitude; il n’entra point en matière ; il n’exhiba point de mandat d’amener. Pour lui, Jean Valjean était une sorte de combattant mystérieux et insaisissable, un lutteur ténébreux qu’il étreignait depuis cinq ans sans pouvoir le renverser. Cette arrestation n’était pas un commencement, mais une fin. Il se borna à dire : Allons, vite !

    En parlant ainsi, il ne fit point un pas ; il lança sur Jean Valjean ce regard qu’il jetait comme un crampon, et avec lequel il avait coutume de tirer violemment les misérables a lui.

    C’était ce regard que la Fantine avait senti pénétrer jusque dans la moelle de ses os, deux mois auparavant.

    Au cri de Javert, Fantine avait rouvert les yeux. Mais M. le maire était là. Que pouvait-elle craindre ?

    Javert avança au milieu de la chambre et cria :

    Ah çà ! viendras-tu ?

    La malheureuse regarda autour d’elle. Il n’y avait personne que la religieuse et monsieur le maire. À qui pouvait s’adresser ce tutoiement abject ? À elle seulement. Elle frissonna.

    Alors elle vit une chose inouïe, tellement inouïe que jamais rien de pareil ne lui était apparu dans les plus noirs délires de la fièvre.

    Elle vit le mouchard Javert saisir au collet monsieur le maire ; elle vit monsieur le maire courber la tête. Il lui sembla que le monde s’évanouissait.

    Javert, en effet, avait pris Jean Valjean au collet.

    Monsieur le maire ! cria Fantine.

    Javert éclata de rire, de cet affreux rire qui lui déchaussait toutes les dents.

    Il n’y a plus de monsieur le maire ici !

    Jean Valjean n’essaya pas de déranger la main qui tenait le col de sa redingote. Il dit :

    Javert...

    Javert l’interrompit : — Appelle-moi monsieur l’inspecteur.

    Monsieur, reprit Jean Valjean, je voudrais vous dire un mot en particulier.

    Tout haut ! parle tout haut ! répondit Javert ; on me parle tout haut à moi !

    Jean Valjean continua en baissant la voix :

    C’est une prière que j’ai à vous faire...

    Je te dis de parler tout haut.

    Mais cela ne doit être entendu que de vous seul...

    Qu’est-ce que cela me fait ? je n’écoute pas !

    Jean Valjean se tourna vers lui et lui dit rapidement et très bas :

    Accordez-moi trois jours ! trois jours pour aller chercher l’enfant de cette malheureuse femme. Je payerai ce qu’il faudra. Vous m’accompagnerez si vous voulez.

    Tu veux rire ! cria Javert. Ah çà ! je ne te croyais pas bête ! Tu me demandes trois jours pour t’en aller ! Tu dis que c’est pour aller chercher l’enfant de cette fille ! Ah ! ah ! c’est bon ! voilà qui est bon !

    Fantine eut un tremblement.

    Mon enfant ! s’écria-t-elle, aller chercher mon enfant ! Elle n’est donc pas ici ! Ma sœur, répondez-moi ; où est Cosette ? Je veux mon enfant ! Monsieur Madeleine ! monsieur le maire !

    Javert frappa du pied.

    Voilà l’autre, à présent ! Te tairas-tu, drôlesse ! Gredin de pays où les galériens sont magistrats et où les filles publiques sont soignées comme des comtesses ! Ah mais ! tout ça va changer ; il était temps !

    Il regarda fixement Fantine et ajouta en reprenant à poignée la cravate, la chemise et le collet de Jean Valjean :

    Je te dis qu’il n’y a point de monsieur Madeleine et qu’il n’y a point de monsieur le maire. Il y a un voleur, il y a un brigand, il y a un forçat appelé Jean Valjean ! c’est lui que je tiens ! voilà ce qu’il y a !

    Fantine se dressa en sursaut, appuyée sur ses bras roides et sur ses deux mains, elle regarda Jean Valjean, elle regarda Javert, elle regarda la religieuse, elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour d’elle comme quelqu’un qui se noie, puis elle s’affaissa subitement sur l’oreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.

    Elle était morte.

    Jean Valjean posa sa main sur la main de Javert qui le tenait, et l’ouvrit comme il eût ouvert la main d’un enfant, puis il dit à Javert :

    Vous avez tué cette femme.

    Finirons-nous ! cria Javert furieux. Je ne suis pas ici pour entendre des raisons. Économisons tout ça. La garde est en bas. Marchons tout de suite, ou les poucettes !

    Il y avait dans un coin de la chambre un vieux lit en fer en assez mauvais état qui servait de lit de camp aux sœurs quand elles veillaient, Jean Valjean alla à ce lit, disloqua en un clin d’œil le chevet déjà fort délabré, chose facile à des muscles comme les siens, saisit à poigne-main la maîtresse-tringle, et considéra Javert. Javert recula vers la porte.

    Jean Valjean, sa barre de fer au poing, marcha lentement vers le lit de Fantine. Quand il y fut parvenu, il se retourna, et dit à Javert d’une voix qu’on entendait à peine :

    Je ne vous conseille pas de me déranger en ce moment.

    Ce qui est certain, c’est que Javert tremblait.

    Il eut l’idée d’aller appeler la garde, mais Jean Valjean pouvait profiter de cette minute pour s’évader. Il resta donc, saisit sa canne par le petit bout, et s’adossa au chambranle de la porte sans quitter du regard Jean Valjean.

    Jean Valjean posa son coude sur la pomme du chevet du lit et son front sur sa main, et se mit à contempler Fantine immobile et étendue. Il demeura ainsi, absorbé, muet, et ne songeant évidemment plus à aucune chose de cette vie. Il n’y avait plus rien sur son visage et dans son attitude qu’une inexprimable pitié. Après quelques instants de cette rêverie, il se pencha vers Fantine et lui parla à voix basse.

    Que lui dit-il ? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé, à cette femme qui était morte ? Qu’était-ce que ces paroles ? Personne sur la terre ne les a entendues. La morte les entendit-elle ? Il y a des illusions touchantes qui sont peut-être des réalités sublimes. Ce qui est hors de doute, c’est que la sœur Simplice, unique témoin de la chose qui se passait, a souvent raconté qu’au moment où Jean Valjean parla à l’oreille de Fantine, elle vit distinctement poindre un ineffable sourire sur ces lèvres pâles et dans ces prunelles vagues, pleines de l’étonnement du tombeau.

    Jean Valjean prit dans ses deux mains la tête de Fantine et l’arrangea sur l’oreiller comme une mère eût fait pour son enfant, il lui rattacha le cordon de sa chemise et rentra ses cheveux sous son bonnet. Cela fait, il lui ferma les yeux.

    La face de Fantine en cet instant semblait étrangement éclairée.

    La mort, c’est l’entrée dans la grande lueur. La main de Fantine pendait hors du lit. Jean Valjean s’agenouilla devant cette main, la souleva doucement et la baisa.

    Puis il se redressa, et, se tournant vers Javert :

    Maintenant, dit-il, je suis à vous.


     

    V

    TOMBEAU CONVENABLE


     

    Javert déposa Jean Valjean à la prison de la ville.

    L’arrestation de M. Madeleine produisit à Montreuil-sur-Mer une sensation, ou pour mieux dire une commotion extraordinaire. Nous sommes triste de ne pouvoir dissimuler que sur ce seul mot : c’était un galérien, tout le monde à peu près l’abandonna. En moins de deux heures tout le bien qu’il avait fait fut oublié, et ce ne fut plus qu’un « galérien ». Il est juste de dire qu’on ne connaissait pas encore les détails de l’événement d’Arras. Toute la journée on entendait dans toutes les parties de la ville des conversations comme celle-ci :

    Vous ne savez pas ? c’était un forçat libéré ! — Qui ça ? — Le maire. — Bah ! M. Madeleine ? — Oui. — Vraiment ? — Il ne s’appelait pas Madeleine, il a un affreux nom, Béjean, Bojean, Boujean. — Ah, mon Dieu ! — Il est arrêté. — Arrêté ! — En prison à la prison de la ville, en attendant qu’on le transfère. — Qu’on le transfère ! On va le transférer ! Où va-t-on le transférer ? — Il va passer aux assises pour un vol de grand chemin qu’il a fait autrefois. — Eh bien ! je m’en doutais. Cet homme était trop bon, trop parfait, trop confit. Il refusait la croix, il donnait des sous à tous les petits drôles qu’il rencontrait. J’ai toujours pensé qu’il y avait là-dessous quelque mauvaise histoire.

    Les « salons » surtout abondèrent dans ce sens.

    Une vieille dame, abonnée au Drapeau blanc, fit cette réflexion dont il est presque impossible de sonder la profondeur :

    Je n’en suis pas fâchée. Cela apprendra aux buonapartistes !

    C’est ainsi que ce fantôme qui s’était appelé M. Madeleine se dissipa à Montreuil-sur-Mer. Trois ou quatre personnes seulement dans toute la ville restèrent fidèles à cette mémoire. La vieille portière qui l’avait servi fut du nombre.

    Le soir de ce même jour, cette digne vieille était assise dans sa loge, encore tout effarée et réfléchissant tristement. La fabrique avait été fermée toute la journée, la porte cochère était verrouillée, la rue était déserte. Il n’y avait dans la maison que les deux religieuses, sœur Perpétue et sœur Simplice, qui veillaient près du corps de Fantine.

    Vers l’heure où M. Madeleine avait coutume de rentrer, la brave portière se leva machinalement, prit la clef de la chambre de M. Madeleine dans un tiroir et le bougeoir dont il se servait tous les soirs pour monter chez lui, puis elle accrocha la clef au clou où il la prenait d’habitude, et plaça le bougeoir à côté, comme si elle l’attendait. Ensuite elle se rassit sur sa chaise et se remit à songer. La pauvre bonne vieille avait fait tout cela sans en avoir conscience.

    Ce ne fut qu’au bout de plus de deux heures qu’elle sortit de sa rêverie et s’écria : Tiens ! mon bon Dieu Jésus ! moi qui ai mis sa clef au clou !

    En ce moment la vitre de la loge s’ouvrit, une main passa par l’ouverture, saisit la clef et le bougeoir et alluma la bougie à la chandelle qui brûlait.

    La portière leva les yeux et resta béante, avec un cri dans le gosier qu’elle retint.

    Elle connaissait cette main, ce bras, cette manche de redingote.

    C’était M. Madeleine.

    Elle fut quelques secondes avant de pouvoir parler, saisie, comme elle le disait elle-même plus tard en racontant son aventure.

    Mon Dieu ! monsieur le maire, s’écria-t-elle enfin, je vous croyais…

    Elle s’arrêta, la fin de sa phrase eût manqué de respect au commencement. Jean Valjean était toujours pour elle monsieur le maire.

    Il acheva sa pensée.

    En prison, dit-il. J’y étais. J’ai brisé un barreau d’une fenêtre, je me suis laissé tomber du haut d’un toit, et me voici. Je monte à ma chambre, allez me chercher la sœur Simplice. Elle est sans doute près de cette pauvre femme.

    La vieille obéit en toute hâte.

    Il ne lui fit aucune recommandation ; il était bien sûr qu’elle le garderait mieux qu’il ne se garderait lui-même.

    On n’a jamais su comment il avait réussi à pénétrer dans la cour sans faire ouvrir la porte cochère. Il avait, et portait toujours sur lui, un passe-partout qui ouvrait une petite porte latérale ; mais on avait dû le fouiller et lui prendre son passe-partout. Ce point n’a pas été éclairci.

    Il monta l’escalier qui conduisait à sa chambre. Arrivé en haut, il laissa son bougeoir sur les dernières marches de l’escalier, ouvrit sa porte avec peu de bruit, et alla fermer à tâtons sa fenêtre et son volet, puis il revint prendre sa bougie et rentra dans sa chambre.

    La précaution était utile ; on se souvient que sa fenêtre pouvait être aperçue de la rue.

    Il jeta un coup d’œil autour de lui, sur sa table, sur sa chaise, sur son lit qui n’avait pas été défait depuis trois jours. Il ne restait aucune trace du désordre de l’avant-dernière nuit, La portière avait « fait la chambre ». Seulement elle avait ramassé dans les cendres et posé proprement sur la table les deux bouts du bâton ferré et la pièce de quarante sous noircie par le feu.

    Il prit une feuille de papier sur laquelle il écrivit : Voici les deux bouts de mon bâton ferré et la pièce de quarante sous volée à Petit-Gervais dont j’ai parlé à la cour d’assises, et il posa sur cette feuille la pièce d’argent et les deux morceaux de fer, de façon que ce fût la première chose qu’on aperçût en entrant dans la chambre. Il tira d’une armoire une vieille chemise à lui qu’il déchira. Cela fit quelques morceaux de toile dans lesquels il emballa les deux flambeaux d’argent. Du reste il n’avait ni hâte ni agitation, et, tout en emballant les chandeliers de l’évêque, il mordait dans un morceau de pain noir. Il est probable que c’était le pain de la prison qu’il avait emporté en s’évadant.

    Ceci a été constaté par les miettes de pain qui furent trouvées sur le carreau de la chambre, lorsque la justice plus tard fit une perquisition.

    On frappa deux petits coups à la porte.

    Entrez, dit-il. C’était la sœur Simplice.

    Elle était pâle, elle avait les yeux rouges, la chandelle qu’elle tenait vacillait dans sa main. Les violences de la destinée ont cela de particulier que, si perfectionnés ou si refroidis que nous soyons, elles nous tirent du fond des entrailles la nature humaine et la forcent de reparaître au dehors. Dans les émotions de cette journée, la religieuse était redevenue femme. Elle avait pleuré, et elle tremblait.

    Jean Valjean venait d’écrire quelques lignes sur un papier qu’il tendit à la religieuse en disant : — Ma sœur, vous remettrez ceci à monsieur le curé.

    Le papier était déplié. Elle y jeta les yeux.

    Vous pouvez lire, dit-il.

    Elle lut : — « Je prie monsieur le curé de veiller sur

    Javert aperçut la sœur et s’arrêta interdit.

    On se rappelle que le fond même de Javert, son élément, son milieu respirable, c’était la vénération de toute autorité. Il était tout d’une pièce et n’admettait ni objection, ni restriction. Pour lui, bien entendu, l’autorité ecclésiastique était la première de toutes ; il était religieux, superficiel et correct sur ce point comme sur tous. À ses yeux un prêtre était un esprit qui ne se trompe pas, une religieuse était une créature qui ne pèche pas. C’étaient des âmes murées à ce monde avec une seule porte qui ne s’ouvrait jamais que pour laisser sortir la vérité.

    En apercevant la sœur, son premier mouvement fut de se retirer.

    Cependant il y avait aussi un autre devoir qui le tenait, et qui le poussait impérieusement en sens inverse. Son second mouvement fut de rester et de hasarder au moins une question.

    C’était cette sœur Simplice qui n’avait menti de sa vie. Javert le savait, et la vénérait particulièrement à cause de cela.

    Ma sœur, dit-il, êtes-vous seule dans cette chambre ?

    Il y eut un moment affreux pendant lequel la pauvre portière se sentit défaillir.

    La sœur leva les yeux et répondit :

    Oui.

    Ainsi, reprit Javert, excusez-moi si j’insiste, c’est mon devoir, vous n’avez pas vu ce soir une personne, un homme ? Il s’est évadé, nous le cherchons, — ce nommé Jean Valjean, vous ne l’avez pas vu ?

    La sœur répondit : — Non.

    Elle mentit deux fois de suite, coup sur coup, sans hésiter, rapidement, comme on se dévoue.

    Pardon, dit Javert ; et il se retira en saluant profondément.

    Ô sainte fille ! vous n’êtes plus de ce monde depuis beaucoup d’années ; vous avez rejoint dans la lumière vos sœurs les vierges et vos frères les anges ; que ce mensonge vous soit compté dans le paradis !

    L’affirmation de la sœur fut pour Javert quelque chose de si décisif qu’il ne remarqua même pas la singularité de cette bougie qu’on venait de souffler et qui fumait sur la table.

    Une heure après, un homme, marchant à travers les arbres et les brumes, s’éloignait rapidement de Montreuil-sur-Mer dans la direction de Paris. Cet homme était Jean Valjean. Il a été établi, par le témoignage de deux ou trois rouliers qui l’avaient rencontré, qu’il portait un paquet et qu’il était vêtu d’une blouse. Où avait-il pris cette blouse ? On ne l’a jamais su. Cependant un vieux ouvrier était mort quelques jours auparavant à l’infirmerie de la fabrique, ne laissant que sa blouse. C’était peut-être celle-là.

    Un dernier mot sur Fantine.

    Nous avons tous une mère, la terre. On rendit Fantine à cette mère.

    Le curé crut bien faire, et fit bien peut-être, en réservant, sur ce que Jean Valjean avait laissé, le plus d’argent possible aux pauvres. Après tout, de quoi s’agissait-il ? d’un forçat et d’une fille publique. C’est pourquoi il simplifia l’enterrement de Fantine, et le réduisit à ce strict nécessaire qu’on appelle la fosse commune.

    Fantine fut donc enterrée dans le coin gratis du cimetière qui est à tous et à personne, et où l’on perd les pauvres. Heureusement Dieu sait où retrouver l’âme. On coucha Fantine dans les ténèbres parmi les premiers os venus ; elle subit la promiscuité des cendres. Elle fut jetée à la fosse publique. Sa tombe ressembla à son lit.


     

    I


     

    CE QU’ON RENCONTRE EN VENANT
    DE NIVELLES


     

    L’an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux rangées d’arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des collines qui viennent l’une après l’autre, soulèvent la route et la laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l’ouest, le clocher d’ardoise de Braine-l’Alleud qui a la forme d’un vase renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une hauteur, et, à l’angle d’un chemin de traverse, à côté d’une espèce de potence vermoulue portant l’inscription : Ancienne barrière n° 4, un cabaret ayant sur sa façade cet écriteau : Au quatre vents. Échabeau, café de particulier.

    Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au fond d’un petit vallon où il y a de l’eau qui passe sous une arche pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d’arbres, clair-semé mais très vert, qui emplit le vallon d’un côté de la chaussée, s’éparpille de l’autre dans les prairies et s’en va avec grâce et comme en désordre vers Braine-l’Alleud.

    Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près d’une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une échelle le long d’un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune, probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au vent. À l’angle de l’auberge, à côté d’une mare où naviguait une flottille de canards, un sentier mal pavé s’enfonçait dans les broussailles. Ce passant y entra.

    Au bout d’une centaine de pas, après avoir longé un mur du quinzième siècle surmonté d’un pignon aigu à briques contrariées, il se trouva en présence d’une grande porte de pierre cintrée, avec imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de deux médaillons plans. Une façade sévère dominait cette porte ; un mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et la flanquait d’un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour clôture deux battants décrépits ornés d’un vieux marteau rouillé.

    Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait éperdument dans un grand arbre.

    Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation circulaire ressemblant à l’alvéole d’une sphère. En ce moment les battants s’écartèrent et une paysanne sortit.

    Elle vit le passant et aperçut ce qu’il regardait.

    C’est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle ajouta :

    Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d’un clou, c’est le trou d’un gros biscaïen. Le biscaïen n’a pas traversé le bois.

    Comment s’appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.

    Hougomont, dit la paysanne.

    Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s’en alla regarder au-dessus des haies. Il aperçut à l’horizon à travers les arbres une espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin, ressemblait à un lion.

    Il était dans le champ de bataille de Waterloo.


     

    II


     

    HOUGOMONT


     

    Hougomont, ce fut là un lieu funèbre, le commencement de l’obstacle, la première résistance que rencontra à Waterloo ce grand bûcheron de l’Europe qu’on appelait Napoléon ; le premier nœud sous le coup de hache.

    C’était un château, ce n’est plus qu’une ferme. Hougomont, pour l’antiquaire, c’est Hugomons. Ce manoir fut bâti par Hugo, sire de Somerel, le même qui dota la sixième chapellenie de l’abbaye de Villiers.

    Le passant poussa la porte, coudoya sous un porche une vieille calèche, et entra dans la cour.

    La première chose qui le frappa dans ce préau, ce fut une porte du seizième siècle qui y simule une arcade, tout étant tombé autour d’elle. L’aspect monumental naît souvent de la ruine. Auprès de l’arcade s’ouvre dans un mur une autre porte avec claveaux du temps de Henri IV, laissant voir les arbres d’un verger. À côté de cette porte un trou à fumier, des pioches et des pelles, quelques charrettes, un vieux puits avec sa dalle et son tourniquet de fer, un poulain qui saute, un dindon qui fait la roue, une chapelle que surmonte un petit clocher, un poirier en fleur en espalier sur le mur de la chapelle, voilà cette cour dont la conquête fut un rêve de Napoléon. Ce coin de terre, s’il eût pu le prendre, lui eût peut-être donné le monde. Des poules y éparpillent du bec la poussière. On entend un grondement, c’est un gros chien qui montre les dents et qui remplace les Anglais.

    Les Anglais là ont été admirables. Les quatre compagnies des gardes de Cooke y ont tenu tête pendant sept heures à l’acharnement d’une armée.

    Hougomont, vu sur la carte, en plan géométral, bâtiments et enclos compris, présente une espèce de rectangle irrégulier dont un angle aurait été entaillé. C’est à cet angle qu’est la porte méridionale gardée par ce mur qui la fusille à bout portant. Hougomont a deux portes, la porte méridionale, celle du château, et la porte septentrionale, celle de la ferme. Napoléon envoya contre Hougomont son frère Jérôme ; les divisions Guilleminot, Foy et Bachelu s’y heurtèrent, presque tout le corps de Reille y fut employé et y échoua, les boulets de Kellermann s’épuisèrent sur cet héroïque pan de mur. Ce ne fut pas trop de la brigade Bauduin pour forcer Hougomont au nord, et la brigade Soye ne put que l’entamer au sud, sans le prendre.

    Les bâtiments de la ferme bordent la cour au sud. Un morceau de la porte nord, brisée par les Français, pend accroché au mur. Ce sont quatre planches clouées sur deux traverses, et où l’on distingue les balafres de l’attaque.

    La porte septentrionale, enfoncée par les français, et à laquelle on a mis une pièce pour remplacer le panneau suspendu à la muraille, s’entrebâille au fond du préau ; elle est coupée carrément dans un mur, de pierre en bas, de brique en haut, qui ferme la cour au nord. C’est une simple porte charretière comme il y en a dans toutes les métairies, deux larges battants faits de planches rustiques ; au delà, des prairies. La dispute de cette entrée a été furieuse. On a longtemps vu sur le montant de la porte toutes sortes d’empreintes de mains sanglantes. C’est là que Bauduin fut tué.

    L’orage du combat est encore dans cette cour ; l’horreur y est visible ; le bouleversement de la mêlée s’y est pétrifié ; cela vit, cela meurt ; c’était hier. Les murs agonisent, les pierres tombent, les brèches crient ; les trous sont des plaies ; les arbres penchés et frissonnants semblent faire effort pour s’enfuir.

    Cette cour, en 1815, était plus bâtie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Des constructions qu’on a depuis jetées bas y faisaient des redans, des angles et des coudes d’équerre.

    Les anglais s’y étaient barricadés ; les français y pénétrèrent, mais ne purent s’y maintenir. À côté de la chapelle, une aile du château, le seul débris qui reste du manoir d’Hougomont, se dresse écroulée, on pourrait dire éventrée. Le château servit de donjon, la chapelle servit de blockhaus. On s’y extermina. Les français, arquebusés de toutes parts, de derrière les murailles, du haut des greniers, du fond des caves, par toutes les croisées, par tous les soupiraux, par toutes les fentes des pierres, apportèrent des fascines et mirent le feu aux murs et aux hommes ; la mitraille eut pour réplique l’incendie.

    On entrevoit dans l’aile ruinée, à travers des fenêtres garnies de barreaux de fer, les chambres démantelées d’un corps de logis en brique ; les gardes anglaises étaient embusquées dans ces chambres ; la spirale de l’escalier, crevassé du rez-de-chaussée jusqu’au toit, apparaît comme l’intérieur d’un coquillage brisé. L’escalier a deux étages ; les anglais, assiégés dans l’escalier, et massés sur les marches supérieures, avaient coupé les marches inférieures. Ce sont de larges dalles de pierre bleue qui font un monceau dans les orties. Une dizaine de marches tiennent encore au mur ; sur la première est entaillée l’image d’un trident. Ces degrés inaccessibles sont solides dans leurs alvéoles. Tout le reste ressemble à une mâchoire édentée. Deux vieux arbres sont là ; l’un est mort, l’autre est blessé au pied, et reverdit en avril. Depuis 1815, il s’est mis à pousser à travers l’escalier.

    On s’est massacré dans la chapelle. Le dedans, redevenu calme, est étrange. On n’y a plus dit la messe depuis le carnage. Pourtant l’autel y est resté, un autel de bois grossier adossé à un fond de pierre brute. Quatre murs lavés au lait de chaux, une porte vis-à-vis l’autel, deux petites fenêtres cintrées, sur la porte un grand crucifix de bois, au-dessus du crucifix un soupirail carré bouché d’une botte de foin, dans un coin à terre un vieux châssis vitré tout cassé, telle est cette chapelle. Près de l’autel est clouée une statue en bois de sainte Anne, du quinzième siècle ; la tête de l’enfant Jésus a été emportée par un biscaïen. Les français, maîtres un moment de la chapelle, puis délogés, l’ont incendiée. Les flammes ont rempli cette masure ; elle a été fournaise ; la porte a brûlé, le plancher a brûlé, le christ, en bois, n’a pas brûlé. Le feu lui a rongé les pieds dont on ne voit plus que les moignons noircis, puis s’est arrêté. Miracle, au dire des gens du pays. L’enfant Jésus, décapité, n’a pas été aussi heureux que le christ.

    Les murs sont couverts d’inscriptions. Près des pieds du Christ on lit ce nom : Henquinez. Puis ces autres : Conde de Rio Maïor. Marques y Marquesa de Almagro (Habana). Il y a des noms français avec des points d’exclamation, signes de colère. On a reblanchi le mur en 1849. Les nations s’y insultaient.

    C’est à la porte de cette chapelle qu’a été ramassé un cadavre qui tenait une hache à la main. Ce cadavre était le sous-lieutenant Legros.

    On sort de la chapelle, et à gauche on voit un puits. Il y en a deux dans cette cour. On demande : pourquoi n’y a-t-il pas de seau et de poulie à celui-ci ? C’est qu’on n’y puise plus d’eau. Pourquoi n’y puise-t-on plus d’eau ? Parce qu’il est plein de squelettes.

    Le dernier qui ait tiré de l’eau de ce puits se nommait Guillaume Van Kylsom. C’était un paysan qui habitait Hougomont et y était jardinier. Le 18 juin 1815, sa famille prit la fuite et s’alla cacher dans les bois.

    La forêt autour de l’abbaye de Villiers abrita pendant plusieurs jours et plusieurs nuits toutes ces malheureuses populations dispersées. Aujourd’hui encore de certains vestiges reconnaissables, tels que de vieux troncs d’arbres brûlés, marquent la place de ces pauvres bivouacs tremblants au fond des halliers.

    Guillaume Van Kylsom demeura à Hougomont « pour garder le château » et se blottit dans une cave. Les anglais l’y découvrirent. On l’arracha de sa cachette, et, à coups de plat de sabre, les combattants se firent servir par cet homme effrayé. Ils avaient soif ; ce Guillaume leur portait à boire. C’est à ce puits qu’il puisait l’eau. Beaucoup burent là leur dernière gorgée. Ce puits, où burent tant de morts, devait mourir lui aussi.

    Après l’action, on eut une hâte : enterrer les cadavres. La mort a une façon à elle de harceler la victoire, et elle fait suivre la gloire par la peste. Le typhus est une annexe du triomphe. Ce puits était profond, on en fit un sépulcre. On y jeta trois cents morts. Peut-être avec trop d’empressement. Tous étaient-ils morts ? la légende dit non. Il parait que, la nuit qui suivit l’ensevelissement, on entendit sortir du puits des voix faibles qui appelaient.

    Ce puits est isolé au milieu de la cour. Trois murs mi-partis pierre et brique, repliés comme les feuilles d’un paravent et simulant une tourelle carrée, l’entourent de trois côtés. Le quatrième côté est ouvert. C’est par là qu’on puisait l’eau. Le mur du fond a une façon d’œil-de-bœuf informe, peut-être un trou d’obus. Cette tourelle avait un plafond dont il ne reste que les poutres. La ferrure de soutènement du mur de droite dessine une croix. On se penche, et l’œil se perd dans un profond cylindre de brique qu’emplit un entassement de ténèbres. Tout autour du puits, le bas des murs disparaît dans les orties.

    Ce puits n’a point pour devanture la large dalle bleue qui sert de tablier à tous les puits de Belgique. La dalle bleue y est remplacée par une traverse à laquelle s’appuient cinq ou six difformes tronçons de bois, noueux et ankylosés, qui ressemblent à de grands ossements. Il n’a plus ni seau, ni chaîne, ni poulie ; mais il a encore la cuvette de pierre qui servait de déversoir. L’eau des pluies s’y amasse, et de temps en temps un oiseau des forêts voisines vient y boire et s’envole.

    Une maison dans cette ruine, la maison de la ferme, est encore habitée. La porte de cette maison donne sur la cour. À côté d’une jolie plaque de serrure gothique il y a sur cette porte une poignée de fer à trèfles, posée de biais. Au moment où le lieutenant hanovrien Wilda saisissait cette poignée pour se réfugier dans la ferme, un sapeur français lui abattit la main d’un coup de hache.

    La famille qui occupe la maison a pour grand-père l’ancien jardinier Van Kylsom, mort depuis longtemps. Une femme en cheveux gris nous dit : ― J’étais là. J’avais trois ans. Ma sœur, plus grande, avait peur et pleurait. On nous a emportées dans les bois. J’étais dans les bras de ma mère. On se collait l’oreille à terre pour écouter. Moi, j’imitais le canon et je faisais boum, boum.

    Une porte de la cour, à gauche, nous l’avons dit, donne dans le verger.

    Le verger est terrible.

    Il est en trois parties, on pourrait presque dire en trois actes. La première partie est un jardin, la deuxième est le verger, la troisième est un bois. Ces trois parties ont une enceinte commune, du côté de l’entrée les bâtiments du château et de la ferme, à gauche une haie, à droite un mur, au fond un mur. Le mur de droite est en brique, le mur du fond est en pierre. On entre dans le jardin d’abord. Il est en contre-bas, planté de groseilliers, encombré de végétations sauvages, fermé d’un terrassement monumental en pierre de taille avec balustres à double renflement. C’était un jardin seigneurial dans ce premier style français qui a précédé Lenôtre ; ruine et ronce aujourd’hui. Les pilastres sont surmontés de globes qui semblent des boulets de pierre. On compte encore quarante-trois balustres sur leurs dés ; les autres sont couchés dans l’herbe. Presque tous ont des éraflures de mousqueterie. Un balustre brisé est posé sur l’étrave comme une jambe cassée.

    C’est dans ce jardin, plus bas que le verger, que six voltigeurs du 1er léger, ayant pénétré là et n’en pouvant plus sortir, pris et traqués comme des ours dans leur fosse, acceptèrent le combat avec deux compagnies hanovriennes, dont une était armée de carabines. Les hanovriens bordaient ces balustres et tiraient d’en haut. Ces voltigeurs, ripostant d’en bas, six contre deux cents, intrépides, n’ayant pour abri que les groseilliers, mirent un quart d’heure à mourir.

    On monte quelques marches, et du jardin on passe dans le verger proprement dit. Là, dans ces quelques toises carrées, quinze cents hommes tombèrent en moins d’une heure. Le mur semble prêt à recommencer le combat. Les trente-huit meurtrières percées par les anglais à des hauteurs irrégulières, y sont encore. Devant la seizième sont couchées deux tombes anglaises en granit. Il n’y a de meurtrières qu’au mur sud, l’attaque principale venait de là. Ce mur est caché au dehors par une grande haie vive ; les français arrivèrent, croyant n’avoir affaire qu’à la haie, la franchirent, et trouvèrent le mur, obstacle et embuscade, les gardes anglaises derrière, les trente-huit meurtrières faisant feu à la fois, un orage de mitraille et de balles ; et la brigade Soye s’y brisa. Waterloo commença ainsi.

    Le verger pourtant fut pris. On n’avait pas d’échelles, les français grimpèrent avec les ongles. On se battit corps à corps sous les arbres. Toute cette herbe a été mouillée de sang. Un bataillon de Nassau, sept cents hommes, fut foudroyé là. Au dehors le mur, contre lequel furent braquées les deux batteries de Kellermann, est rongé par la mitraille.

    Ce verger est sensible comme un autre au mois de mai. Il a ses boutons d’or et ses pâquerettes, l’herbe y est haute, des chevaux de charrue y paissent, des cordes de crin où sèche du linge traversent les intervalles des arbres et font baisser la tête aux passants, on marche dans cette friche et le pied enfonce dans les trous de taupes. Au milieu de l’herbe on remarque un tronc déraciné, gisant, verdissant. Le major Blackmann s’y est adossé pour expirer. Sous un grand arbre voisin est tombé le général allemand Duplat, d’une famille française réfugiée à la révocation de l’édit de Nantes. Tout à côté se penche un vieux pommier malade pansé avec un bandage de paille et de terre glaise. Presque tous les pommiers tombent de vieillesse. Il n’y en a pas un qui n’ait sa balle ou son biscaïen. Les squelettes d’arbres morts abondent dans ce verger. Les corbeaux volent dans les branches, au fond il y a un bois plein de violettes.

    Bauduin tué, Foy blessé, l’incendie, le massacre, le carnage, un ruisseau fait de sang anglais, de sang allemand et de sang français, furieusement mêlés, un puits comblé de cadavres, le régiment de Nassau et le régiment de Brunswick détruits, Duplat tué, Blackmann tué, les gardes anglaises mutilées, vingt bataillons français, sur les quarante du corps de Reille, décimés, trois mille hommes, dans cette seule masure de Hougomont, sabrés, écharpés, égorgés, fusillés, brûlés ; et tout cela pour qu’aujourd’hui un paysan dise à un voyageur : Monsieur, donnez-moi trois francs ; si vous aimez, je vous expliquerai la chose de Waterloo !


     

    III


     

    LE 18 JUIN 1815


     

    Retournons en arrière, c’est un des droits du narrateur, et replaçons-nous en l’année 1815, et même un peu avant l’époque où commence l’action racontée dans la première partie de ce livre.

    S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde.

    La bataille de Waterloo, et ceci a donné à Blücher le temps d’arriver, n’a pu commencer qu’à onze heures et demie. Pourquoi ? Parce que la terre était mouillée. Il a fallu attendre un peu de raffermissement pour que l’artillerie pût manœuvrer.

    Napoléon était officier d’artillerie, et il s’en ressentait. Le fond de ce prodigieux capitaine, c’était l’homme qui, dans le rapport au Directoire sur Aboukir, disait : Tel de nos boulets a tué six hommes. Tous ses plans de bataille sont faits pour le projectile. Faire converger l’artillerie sur un point donné, c’était là sa clef de victoire. Il traitait la stratégie du général ennemi comme une citadelle, et il la battait en brèche. Il accablait le point faible de mitraille ; il nouait et dénouait les batailles avec le canon. Il y avait du tir dans son génie. Enfoncer les carrés, pulvériser les régiments, rompre les lignes, broyer et disperser les masses, tout pour lui était là, frapper, frapper, frapper sans cesse, et il confiait cette besogne au boulet. Méthode redoutable, et qui, jointe au génie, a fait invincible pendant quinze ans ce sombre athlète du pugilat de la guerre.

    Le 18 juin 1815, il comptait d’autant plus sur l’artillerie qu’il avait pour lui le nombre. Wellington n’avait que cent cinquante-neuf bouches à feu ; Napoléon en avait deux cent quarante.

    Supposez la terre sèche, l’artillerie pouvant rouler, l’action commençait à six heures du matin. La bataille était gagnée et finie à deux heures, trois heures avant la péripétie prussienne.

    Quelle quantité de faute y a-t-il de la part de Napoléon dans la perte de cette bataille ? le naufrage est-il imputable au pilote ?

    Le déclin physique évident de Napoléon se compliquait-il à cette époque d’une certaine diminution intérieure ? les vingt ans de guerre avaient-ils usé la lame comme le fourreau, l’âme comme le corps ? le vétéran se faisait-il fâcheusement sentir dans le capitaine ? en un mot, ce génie, comme beaucoup d’historiens considérables l’ont cru, s’éclipsait-il ? entrait-il en frénésie pour se déguiser à lui-même son affaiblissement ? commençait-il à osciller sous l’égarement d’un souffle d’aventure ? devenait-il, chose grave dans un général, inconscient du péril ? dans cette classe de grands hommes matériels qu’on peut appeler les géants de l’action, y a-t-il un âge pour la myopie du génie ? La vieillesse n’a pas de prises sur les génies de l’idéal ; pour les Dantes et les Michel-Anges, vieillir, c’est croître ; pour les Annibals et les Bonapartes, est-ce décroître ? Napoléon avait-il perdu le sens direct de la victoire ? en était-il à ne plus reconnaître l’écueil, à ne plus deviner le piége, à ne plus discerner le bord croulant des abîmes ? manquait-il du flair des catastrophes ? lui qui jadis savait toutes les routes du triomphe et qui, du haut de son char d’éclairs, les indiquait d’un doigt souverain, avait-il maintenant cet ahurissement sinistre de mener aux précipices son tumultueux attelage de légions ? était-il pris, à quarante-six ans, d’une folie suprême ? ce cocher titanique du destin n’était-il plus qu’un immense casse-cou ?

    Nous ne le pensons point.

    Son plan de bataille était, de l’aveu de tous, un chef-d’œuvre. Aller droit au centre de la ligne alliée, faire un trou dans l’ennemi, le couper en deux, pousser la moitié britannique sur Hal et la moitié prussienne sur Tongres, faire de Wellington et de Blücher deux tronçons, enlever Mont-Saint-Jean, saisir Bruxelles, jeter l’allemand dans le Rhin et l’anglais dans la mer. Tout cela, pour Napoléon, était dans cette bataille. Ensuite on verrait.

    Il va sans dire que nous ne prétendons pas faire ici l’histoire de Waterloo ; une des scènes génératrices du drame que nous racontons se rattache à cette bataille, mais cette histoire n’est pas notre sujet ; cette histoire d’ailleurs est faite, et faite magistralement, à un point de vue par Napoléon, à l’autre point de vue par toute une pléiade d’historiens [1]. Quant à nous, nous laissons les historiens aux prises ; nous ne sommes qu’un témoin à distance, un passant dans la plaine, un chercheur penché sur cette terre pétrie de chair humaine, prenant peut-être des apparences pour des réalités ; nous n’avons pas le droit de tenir tête, au nom de la science, à un ensemble de faits où il y a sans doute du mirage, nous n’avons ni la pratique militaire ni la compétence stratégique qui autorisent un système ; selon nous, un enchaînement de hasards domine à Waterloo les deux capitaines ; et quand il s’agit du destin, ce mystérieux accusé, nous jugeons comme le peuple, ce juge naïf.


     

    IV


     

    A


     

    Ceux qui veulent se figurer nettement la bataille de Waterloo n’ont qu’à coucher sur le sol par la pensée un A majuscule. Le jambage gauche de l’A est la route de Nivelles, le jambage droit est la route de Genappe, la corde de l’A est le chemin creux d’Ohain à Braine-l’Alleud. Le sommet de l’A est Mont-Saint-Jean, là est Wellington ; la pointe gauche inférieure est Hougomont, là est Reille avec Jérôme Bonaparte ; la pointe droite inférieure est la Belle-Alliance, là est Napoléon. Un peu au-dessous du point où la corde de l’A rencontre et coupe le jambage droit est la Haie-Sainte. Au milieu de cette corde est le point précis où s’est dit le mot final de la bataille. C’est là qu’on a placé le lion, symbole involontaire du suprême héroïsme de la garde impériale.

    Le triangle compris au sommet de l’A, entre les deux jambages et la corde, est le plateau de Mont-Saint-Jean. La dispute de ce plateau fut toute la bataille.

    Les ailes des deux armées s’étendent à droite et à gauche des deux routes de Genappe et de Nivelles ; d’Erlon faisant face à Picton, Reille faisant face à Hill.

    Derrière la pointe de l’A, derrière le plateau de Mont-Saint-Jean, est la forêt de Soignes.

    Quant à la plaine en elle-même, qu’on se représente un vaste terrain ondulant ; chaque pli domine le pli suivant, et toutes les ondulations montent vers Mont-Saint-Jean, et y aboutissent à la forêt.

    Deux troupes ennemies sur un champ de bataille sont deux lutteurs. C’est un bras-le-corps. L’une cherche à faire glisser l’autre. On se cramponne à tout ; un buisson est un point d’appui ; un angle de mur est un épaulement ; faute d’une bicoque où s’adosser, un régiment lâche pied ; un ravalement de la plaine, un mouvement de terrain, un sentier transversal à propos, un bois, un ravin, peuvent arrêter le talon de ce colosse qu’on appelle une armée et l’empêcher de reculer. Qui sort du champ est perdu. De là, pour le chef responsable, la nécessité d’examiner la moindre touffe d’arbres et d’approfondir le moindre relief.

    Les deux généraux avaient attentivement étudié la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd’hui plaine de Waterloo. Dès l’année précédente, Wellington, avec une sagacité prévoyante, l’avait examinée comme un en-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon côté, Napoléon le mauvais. L’armée anglaise était en haut, l’armée française en bas.

    Esquisser ici l’aspect de Napoléon à cheval, sa lunette à la main, sur la hauteur de Rossomme, à l’aube du 18 juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu’on le montre, tout le monde l’a vu. Ce profil calme sous le petit chapeau de l’école de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote cachant les épaulettes, l’angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse de velours pourpre ayant aux coins des N couronnées et des aigles, les bottes à l’écuyère sur des bas de soie, les éperons d’argent, l’épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, acclamée des uns, sévèrement regardée par les autres.

    Cette figure a été longtemps toute dans la lumière ; cela tenait à un certain obscurcissement légendaire que la plupart des héros dégagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vérité ; mais aujourd’hui l’histoire et le jour se font.

    Cette clarté, l’histoire, est impitoyable ; elle a cela d’étrange et de divin que, toute lumière qu’elle est et précisément parce qu’elle est lumière, elle met souvent de l’ombre là où l’on voyait des rayons ; du même homme elle fait deux fantômes différents, et l’un attaque l’autre, et en fait justice, et les ténèbres du despote luttent avec l’éblouissement du capitaine. De là une mesure plus vraie dans l’appréciation définitive des peuples. Babylone violée diminue Alexandre ; Rome enchaînée diminue César ; Jérusalem tuée diminue Titus. La tyrannie suit le tyran. C’est un malheur pour un homme de laisser derrière lui de la nuit qui a sa forme.


     

    V


     

    LE « QUID OBSCURUM » DES BATAILLES


     

    Tout le monde connaît la première phase de cette bataille ; début trouble, incertain, hésitant, menaçant pour les deux armées, mais pour les anglais plus encore que pour les français.

    Il avait plu toute la nuit ; la terre était défoncée par l’averse ; l’eau s’était çà et là amassée dans les creux de la plaine, comme dans des cuvettes ; sur de certains points les équipages du train en avaient jusqu’à l’essieu ; les sous-ventrières des attelages dégouttaient de boue liquide ; si les blés et les seigles couchés par cette cohue de charrois en masse n’eussent comblé les ornières et fait litière sous les roues, tout mouvement, particulièrement dans les vallons du côté de Papelotte, eût été impossible.

    L’affaire commença tard ; Napoléon, nous l’avons expliqué, avait l’habitude de tenir toute l’artillerie dans sa main comme un pistolet, visant tantôt tel point, tantôt tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre que les batteries attelées pussent rouler et galoper librement ; il fallait pour cela que le soleil parût et séchât le sol. Mais le soleil ne parut pas. Ce n’était plus le rendez-vous d’Austerlitz. Quand le premier coup de canon fut tiré, le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu’il était onze heures trente-cinq minutes.

    L’action s’engagea avec furie, plus de furie peut-être que l’empereur n’eût voulu, par l’aile gauche française sur Hougomont. En même temps Napoléon attaqua le centre en précipitant la brigade Quiot sur la Haie-Sainte, et Ney poussa l’aile droite française contre l’aile gauche anglaise qui s’appuyait sur Papelotte.

    L’attaque sur Hougomont avait quelque simulation ; attirer là Wellington, le faire pencher à gauche, tel était le plan. Ce plan eût réussi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la division Perponcher n’eussent solidement gardé la position, et Wellington, au lieu de s’y masser, put se borner à y envoyer, pour tout renfort, quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.

    L’attaque de l’aile droite française sur Papelotte était à fond ; culbuter la gauche anglaise, couper la route de Bruxelles, barrer le passage aux prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington sur Hougomont, de là sur Braine-l’Alleud, de là sur Hal, rien de plus net. À part quelques incidents, cette attaque réussit. Papelotte fut pris ; la Haie-Sainte fut enlevée.

    Détail à noter. Il y avait dans l’infanterie anglaise, particulièrement dans la brigade de Kempt, force recrues. Ces jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants ; leur inexpérience se tira intrépidement d’affaire ; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs ; le soldat en tirailleur, un peu livré à lui-même, devient pour ainsi dire son propre général ; ces recrues montrèrent quelque chose de l’invention et de la furie françaises. Cette infanterie novice eut de la verve. Ceci déplut à Wellington.

    Après la prise de la Haie-Sainte, la bataille vacilla.

    Il y a dans cette journée, de midi à quatre heures, un intervalle obscur ; le milieu de cette bataille est presque indistinct et participe du sombre de la mêlée. Le crépuscule s’y fait. On aperçoit de vastes fluctuations dans cette brume, un mirage vertigineux, l’attirail de guerre d’alors presque inconnu aujourd’hui, les colbacks à flamme, les sabretaches flottantes, les buffleteries croisées, les gibernes à grenade, les dolmans des hussards, les bottes rouges à mille plis, les lourds shakos enguirlandés de torsades, l’infanterie presque noire de Brunswick mêlée à l’infanterie écarlate d’Angleterre, les soldats anglais ayant aux entournures pour épaulettes de gros bourrelets blancs circulaires, les chevau-légers hanovriens avec leur casque de cuir oblong à bandes de cuivre et à crinières de crins rouges, les écossais aux genoux nus et aux plaids quadrillés, les grandes guêtres blanches de nos grenadiers, des tableaux, non des lignes stratégiques, ce qu’il faut à Salvator Rosa, non ce qu’il faut à Gribeauval.

    Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une bataille. Quid obscurum, quid divinum. Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle. Quelle que soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a d’incalculables reflux ; dans l’action, les deux plans des deux chefs entrent l’un dans l’autre et se déforment l’un par l’autre. Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l’eau qu’on y jette. On est obligé de reverser là plus de soldats qu’on ne voudrait. Dépenses qui sont l’imprévu. La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres ; où était l’artillerie, accourt la cavalerie ; les bataillons sont des fumées. Il y avait là quelque chose, cherchez, c’est disparu ; les éclaircies se déplacent ; les plis sombres avancent et reculent ; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques. Qu’est-ce qu’une mêlée ? une oscillation. L’immobilité d’un plan mathématique exprime une minute et non une journée. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres qui aient du chaos dans le pinceau ; Rembrandt vaut mieux que Vandermeulen. Vandermeulen, exact à midi, ment à trois heures. La géométrie trompe ; l’ouragan seul est vrai. C’est ce qui donne à Folard le droit de contredire Polybe. Ajoutons qu’il y a toujours un certain instant où la bataille dégénère en combat, se particularise, et s’éparpille en d’innombrables faits de détail qui, pour emprunter l’expression de Napoléon lui-même, « appartiennent plutôt à la biographie des régiments qu’à l’histoire de l’armée ». L’historien, en ce cas, a le droit évident de résumé. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n’est donné à aucun narrateur, si consciencieux qu’il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible qu’on appelle une bataille.

    Ceci, qui est vrai de tous les grands chocs armés, est particulièrement applicable à Waterloo.

    Toutefois, dans l’après-midi, à un certain moment, la bataille se précisa.


     


     

    VI


     

    QUATRE HEURES DE L’APRÈS-MIDI


     

    Vers quatre heures, la situation de l’armée anglaise était grave. Le prince d’Orange commandait le centre, Hill l’aile droite, Picton l’aile gauche. Le prince d’Orange, éperdu et intrépide, criait aux hollando-belges : Nassau ! Brunswick ! jamais en arrière ! Hill, affaibli, venait s’adosser à Wellington, Picton était mort. Dans la même minute où les anglais avaient enlevé aux français le drapeau du 105e de ligne, les français avaient tué aux anglais le général Picton d’une balle à travers la tête. La bataille, pour Wellington, avait deux points d’appui, Hougomont et la Hale-Sainte ; Hougomont tenait encore, mais brûlait ; la Haie-Sainte était prise. Du bataillon allemand qui la défendait, quarante-deux hommes seulement survivaient ; tous les officiers, moins cinq, étaient morts ou pris. Trois mille combattants s’étaient massacrés dans cette grange. Un sergent des gardes anglaises, le premier boxeur de l’Angleterre, réputé par ses compagnons invulnérable, y avait été tué par un petit tambour français. Baring était délogé. Alten était sabré. Plusieurs drapeaux étaient perdus, dont un de la division Alten, et un du bataillon de Lunebourg porté par un prince de la famille de Deux-Ponts. Les Écossais gris n’existaient plus ; les gros dragons de Ponsonby étaient hachés. Cette vaillante cavalerie avait plié sous les lanciers de Bro et sous les cuirassiers de Travers ; de douze cents chevaux il en restait six cents ; des trois lieutenants-colonels, deux étaient à terre, Hamilton blessé, Mater tué. Ponsonby était tombé, troué de sept coups de lance. Gordon était mort, Marsh était mort. Deux divisions, la cinquième et la sixième, étaient détruites.

    Hougomont entamé, la Haie-Sainte prise, il n’y avait plus qu’un nœud, le centre. Ce nœud-là tenait toujours. Wellington le renforça. Il y appela Hill qui était à Merbe-Braine, il y appela Chassé qui était à Braine-l’Alleud.

    Le centre de l’armée anglaise, un peu concave, très dense et très compact, était fortement situé. Il occupait le plateau de Mont-Saint-Jean, ayant derrière lui le village et devant lui la pente, assez âpre alors. Il s’adossait à cette forte maison de pierre, qui était à cette époque un bien domanial de Nivelles et qui marque l’intersection des routes, masse du seizième siècle si robuste que les boulets y ricochaient sans l’entamer. Tout autour du plateau, les anglais avaient taillé çà et là les haies, fait des embrasures dans les aubépines, mis une gueule de canon entre deux branches, crénelé les buissons. Leur artillerie était en embuscade sous les broussailles. Ce travail punique, incontestablement autorisé par la guerre qui admet le piége, était si bien fait que Haxo, envoyé par l’empereur à neuf heures du matin pour reconnaître les batteries ennemies, n’en avait rien vu, et était revenu dire à Napoléon qu’il n’y avait pas d’obstacle, hors les deux barricades barrant les routes de Nivelles et de Genappe. C’était le moment où la moisson est haute ; sur la lisière du plateau, un bataillon de la brigade de Kempt, le 95e, armé de carabines, était couché dans les grands blés.

    Ainsi assuré et contre-buté, le centre de l’armée anglo-hollandaise était en bonne posture.

    Le péril de cette position était la forêt de Soignes, alors contiguë au champ de bataille et coupée par les étangs de Grœnendael et de Boitsfort. Une armée n’eût pu y reculer sans se dissoudre; les régiments s’y fussent tout de suite désagrégés. L’artillerie s’y fût perdue dans les marais. La retraite, selon l’opinion de plusieurs hommes du métier, contestée par d’autres, il est vrai, eût été là un sauve-qui-peut.

    Wellington ajouta à ce centre une brigade de Chassé, ôtée à l’aile droite, et une brigade de Wincke, ôtée à l’aile gauche, plus la division Clinton. À ses anglais, aux régiments de Halkett, à la brigade de Mitchell, aux gardes de Maitland, il donna comme épaulements et contre-forts l’infanterie de Brunswick, le contingent de Nassau, les hanovriens de Kielmansegge et les allemands d’Ompteda. Cela lui mit sous la main vingt-six bataillons. L’aile droite, comme dit Charras, fut rabattue derrière le centre. Une batterie énorme était masquée par des sacs à terre à l’endroit où est aujourd’hui ce qu’on appelle « le musée de Waterloo ». Wellington avait en outre dans un pli de terrain les dragons-gardes de Somerset, quatorze cents chevaux. C’était l’autre moitié de cette cavalerie anglaise, si justement célèbre. Ponsomby détruit, restait Somerset.

    La batterie, qui, achevée, eût été presque une redoute, était disposée derrière un mur de jardin très bas, revêtu à la hâte d’une chemise de sacs de sable et d’un large talus de terre. Cet ouvrage n’était pas fini ; on n’avait pas eu le temps de le palissader.

    Wellington, inquiet, mais impassible, était à cheval, et y demeura toute la journée dans la même attitude, un peu en avant du vieux moulin de Mont-Saint-Jean, qui existe encore, sous un orme qu’un anglais, depuis, vandale enthousiaste, a acheté deux cents francs, scié et emporté. Wellington fut là froidement héroïque. Les boulets pleuvaient. L’aide de camp Gordon venait de tomber à côté de lui. Lord Hill, lui montrant un obus qui éclatait, lui dit : — Milord, quelles sont vos instructions, et quels ordres nous laissez-vous, si vous vous faites tuer ? — De faire comme moi, répondit Wellington. À Clinton, il dit laconiquement : — Tenir ici jusqu’au dernier homme. — La journée, visiblement, tournait mal. Wellington criait à ses anciens compagnons de Talavera, de Vitoria et de Salamanque : — Boys (garçons) ! est-ce qu’on peut songer à lâcher pied ? pensez à la vieille Angleterre !

    Vers quatre heures, la ligne anglaise s’ébranla en arrière. Tout à coup on ne vit plus sur la crête du plateau que l’artillerie et les tirailleurs, le reste disparut ; les régiments, chassés par les obus et les boulets français, se replièrent dans le fond que coupe encore aujourd’hui le sentier de service de la ferme de Mont-Saint-Jean, un mouvement rétrograde se fit, le front de bataille anglais se déroba, Wellington recula. — Commencement de retraite ! cria Napoléon.


     

    VII


     

    NAPOLÉON DE BELLE HUMEUR


    L’empereur, quoique malade et gêné à cheval par une souffrance locale, n’avait jamais été de si bonne humeur que ce jour-là. Depuis le matin, son impénétrabilité souriait. Le 18 juin 1815, cette âme profonde, masquée de marbre, rayonnait aveuglément. L’homme qui avait été sombre à Austerlitz fut gai à Waterloo. Les plus grands prédestinés font de ces contre-sens. Nos joies sont de l’ombre. Le suprême sourire est à Dieu.

    Ridet Caesar, Pompeius flebit, disaient les légionnaires de la légion Fulminatrix. Pompée cette fois ne devait pas pleurer, mais il est certain que César riait.

    Dès la veille, la nuit, à une heure, explorant à cheval, sous l’orage et sous la pluie, avec Bertrand, les collines qui avoisinent Rossomme, satisfait de voir la longue ligne des feux anglais illuminant tout l’horizon de Frischemont à Braine-l’Alleud, il lui avait semblé que le destin assigné par lui à jour fixe sur le champ de Waterloo, était exact ; il avait arrêté son cheval, et était demeuré quelque temps immobile, regardant les éclairs, écoutant le tonnerre, et on avait entendu ce fataliste jeter dans l’ombre cette parole mystérieuse : « Nous sommes d’accord. » Napoléon se trompait. Ils n’étaient plus d’accord.

    Il n’avait pas pris une minute de sommeil, tous les instants de cette nuit-là avaient été marqués pour lui par une joie. Il avait parcouru toute la ligne des grand’gardes, en s’arrêtant çà et là pour parler aux vedettes. À deux heures et demie, près du bois d’Hougomont, il avait entendu le pas d’une colonne en marche ; il avait cru un moment à la reculade de Wellington. Il avait dit : C’est l’arrière-garde anglaise qui s’ébranle pour décamper. Je ferai prisonniers les six mille anglais qui viennent d’arriver à Ostende. Il causait avec expansion ; il avait retrouvé cette verve du débarquement du 1er mars, quand il montrait au grand-maréchal le paysan enthousiaste du golfe Juan, en s’écriant : — Eh bien, Bertrand, voilà déjà du renfort ! La nuit du 17 au 18 juin, il raillait Wellington. — Ce petit anglais a besoin d’une leçon, disait Napoléon. La pluie redoublait ; il tonnait pendant que l’empereur parlait.

    À trois heures et demie du matin, il avait perdu une illusion ; des officiers envoyés en reconnaissance lui avaient annoncé que l’ennemi ne faisait aucun mouvement. Rien ne bougeait ; pas un feu de bivouac n’était éteint. L’armée anglaise dormait. Le silence était profond sur la terre ; il n’y avait de bruit que dans le ciel. À quatre heures, un paysan lui avait été amené par les coureurs ; ce paysan avait servi de guide à une brigade de cavalerie anglaise, probablement la brigade Vivian, qui allait prendre position au village d’Ohain, à l’extrême gauche. À cinq heures, deux déserteurs belges lui avaient rapporté qu’ils venaient de quitter leur régiment, et que l’armée anglaise attendait la bataille. ― Tant mieux ! s’était écrié Napoléon. J’aime encore mieux les culbuter que les refouler.

    Le matin, sur la berge qui fait l’angle du chemin de Plancenoit, il avait mis pied à terre dans la boue, s’était fait apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s’était assis, avec une botte de paille pour tapis, et avait déployé sur la table la carte du champ de bataille, en disant : Joli échiquier !

    Par suite des pluies de la nuit, les convois de vivres, empêtrés dans des routes défoncées, n’avaient pu arriver le matin, le soldat n’avait pas dormi, était mouillé, et était à jeun ; cela n’avait pas empêché Napoléon de crier allègrement à Ney : Nous avons quatrevingt-dix chances sur cent. À huit heures, on avait apporté le déjeuner de l’empereur. Il y avait invité plusieurs généraux. Tout en déjeunant, on avait raconté que Wellington était l’avant-veille au bal à Bruxelles, chez la duchesse de Richmond, et Soult, rude homme de guerre avec une figure d’archevêque, avait dit : Le bal, c’est aujourd’hui. L’empereur avait plaisanté Ney qui disait : Wellington ne sera pas assez simple pour attendre votre majesté. C’était là d’ailleurs sa manière. Il badinait volontiers, dit Fleury de Chaboulon. Le fond de son caractère était une humeur enjouée, dit Gourgaud. Il abondait en plaisanteries, plutôt bizarres que spirituelles, dit Benjamin Constant. Ces gaîtés de géants valent la peine qu’on y insiste. C’est lui qui avait appelé ses grenadiers « les grognards » ; il leur pinçait l’oreille, il leur tirait la moustache. L’empereur ne faisait que nous faire des niches ; ceci est un mot de l’un d’eux. Pendant le mystérieux trajet de l’île d’Elbe en France, le 27 février, en pleine mer, le brick de guerre français le Zéphir ayant rencontré le brick l’Inconstant où Napoléon était caché et ayant demandé à l’Inconstant des nouvelles de Napoléon, l’empereur, qui avait encore en ce moment-là à son chapeau la cocarde blanche et amarante semée d’abeilles, adoptée par lui à l’île d’Elbe, avait pris en riant le porte-voix et avait répondu lui-même : L’empereur se porte bien. Qui rit de la sorte est en familiarité avec les événements. Napoléon avait eu plusieurs accès de rire pendant le déjeuner de Waterloo. Après le déjeuner il s’était recueilli un quart d’heure, puis deux généraux s’étaient assis sur la botte de paille, une plume à la main, une feuille de papier sur le genou, et l’empereur leur avait dicté l’ordre de bataille.

    À neuf heures, à l’instant où l’armée française, échelonnée et mise en mouvement sur cinq colonnes, s’était déployée, les divisions sur deux lignes, l’artillerie entre les brigades, musique en tête, battant aux champs, avec les roulements des tambours et les sonneries des trompettes, puissante, vaste, joyeuse, mer de casques, de sabres et de bayonnettes sur l’horizon, l’empereur, ému, s’était écrié à deux reprises : « Magnifique ! magnifique ! »

    De neuf heures à dix heures et demie, toute l’armée, ce qui semble incroyable, avait pris position et s’était rangée sur six lignes, formant pour répéter l’expression de l’empereur « la figure de six V ». Quelques instants après la formation du front de bataille, au milieu de ce profond silence de commencement d’orage qui précède les mêlées, voyant défiler les trois batteries de douze, détachées sur son ordre des trois corps de d’Erlon, de Reille et de Lobau, et destinées à commencer l’action en battant Mont-Saint-Jean où est l’intersection des routes de Nivelles et de Genappe, l’empereur avait frappé sur l’épaule de Haxo en lui disant : Voilà vingt-quatre belles filles, général.

    Sûr de l’issue, il avait encouragé d’un sourire, à son passage devant lui, la compagnie de sapeurs du premier corps, désignée par lui pour se barricader dans Mont-Saint-Jean, sitôt le village enlevé. Toute cette sérénité n’avait été traversée que par un mot de pitié hautaine ; en voyant à sa gauche, à un endroit où il y a aujourd’hui une grande tombe, se masser avec leurs chevaux superbes ces admirables Écossais gris, il avait dit : C’est dommage.

    Puis il était monté à cheval, s’était porté en avant de Rossomme, et avait choisi pour observatoire une étroite croupe de gazon à droite de la route de Genappe à Bruxelles, qui fut sa seconde station pendant la bataille. La troisième station, celle de sept heures du soir, entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte, est redoutable ; c’est un tertre assez élevé qui existe encore et derrière lequel la garde était massée dans une déclivité de la plaine. Autour de ce tertre, les boulets ricochaient sur le pavé de la chaussée jusqu’à Napoléon. Comme à Brienne, il avait sur sa tête le sifflement des balles et des biscaïens. On a ramassé, presque à l’endroit où étaient les pieds de son cheval, des boulets vermoulus, de vieilles lames de sabre et des projectiles informes, mangés de rouille. Scabra rubigine. Il y a quelques années, on y a déterré un obus de soixante, encore chargé, dont la fusée s’était brisée au ras de la bombe. C’est à cette dernière station que l’empereur disait à son guide Lacoste, un paysan hostile, effaré, attaché à la selle d’un hussard, se retournant à chaque paquet de mitraille, et tâchant de se cacher derrière lui : — Imbécile ! c’est honteux, tu vas te faire tuer dans le dos. Celui qui écrit ces lignes a trouvé lui-même dans le talus friable de ce tertre, en creusant le sable, les restes du col d’une bombe désagrégés par l’oxyde de quarante-six années, et de vieux tronçons de fer qui cassaient comme des bâtons de sureau entre ses doigts.

    Les ondulations des plaines diversement inclinées où eut lieu la rencontre de Napoléon et de Wellington ne sont plus, personne ne l’ignore, ce qu’elles étaient le 18 juin 1815. En prenant à ce champ funèbre de quoi lui faire un monument, on lui a ôté son relief réel, et l’histoire déconcertée ne s’y reconnaît plus. Pour le glorifier, on l’a défiguré. Wellington, deux ans après, revoyant Waterloo, s’est écrié : On m’a changé mon champ de bataille. Là où est aujourd’hui la grosse pyramide de terre surmontée du lion, il y avait une crête qui, vers la route de Nivelles, s’abaissait en rampe praticable, mais qui, du côté de la chaussée de Genappe, était presque un escarpement. L’élévation de cet escarpement peut encore être mesurée aujourd’hui par la hauteur des deux tertres des deux grandes sépultures qui encaissent la route de Genappe à Bruxelles ; l’une, le tombeau anglais, à gauche ; l’autre, le tombeau allemand, à droite. Il n’y a point de tombeau français. Pour la France, toute cette plaine est sépulcre. Grâce aux mille et mille charretées de terre employées à la butte de cent cinquante pieds de haut et d’un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd’hui accessible en pente douce ; le jour de la bataille, surtout du côté de la Haie-Sainte, il était d’un abord âpre et abrupt. Le versant là était si incliné que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d’eux la ferme située au fond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore raviné cette roideur, la fange compliquait la montée, et non seulement on gravissait, mais on s’embourbait. Le long de la crête du plateau courait une sorte de fossé impossible à deviner pour un observateur lointain.

    Qu’était-ce que ce fossé ? Disons-le. Braine-l’Alleud est un village de Belgique, Ohain en est un autre. Ces villages, cachés tous les deux dans des courbes de terrain, sont joints par un chemin d’une lieue et demie environ qui traverse une plaine à niveau ondulant, et souvent entre et s’enfonce dans des collines comme un sillon, ce qui fait que sur divers points cette route est un ravin. En 1815, comme aujourd’hui, cette route coupait la crête du plateau de Mont-Saint-Jean entre les deux chaussées de Genappe et de Nivelles ; seulement, elle est aujourd’hui de plain-pied avec la plaine ; elle était alors chemin creux. On lui a pris ses deux talus pour la butte-monument. Cette route était et est encore une tranchée dans la plus grande partie de son parcours ; tranchée creuse quelquefois d’une douzaine de pieds et dont les talus trop escarpés s’écroulaient çà et là, surtout en hiver, sous les averses. Des accidents y arrivaient. La route était si étroite à l’entrée de Braine-l’Alleud qu’un passant y avait été broyé par un chariot, comme le constate une croix de pierre debout près du cimetière qui donne le nom du mort, Monsieur Bernard Debrye, marchand à Bruxelles, et la date de l’accident, février 1637*. Elle était si profonde sur le plateau du Mont-Saint-Jean, qu’un paysan, Mathieu Nicaise, y avait été écrasé en 1783 par un éboulement du talus, comme le constatait une autre croix de pierre dont le faîte a disparu dans les défrichements, mais dont le piédestal renversé est encore visible aujourd’hui sur la pente du gazon à gauche de la chaussée entre la Haie-Sainte et la ferme du Mont-Saint-Jean.

    * Voici l’inscription :

    DOM
    CY A ÉTÉ ÉCRASÉ
    PAR MALHEUR
    SOUS UN CHARIOT
    MONSIEUR BERNARD
    DE BRYE MARCHAND
    A BRUXELLE LE (illisible)
    FEBVRIER 1637


     

    Un jour de bataille, ce chemin creux dont rien n’avertissait, bordant la crête de Mont-Saint-Jean, fossé au sommet de l’escarpement, ornière cachée dans les terres, était invisible, c’est-à-dire terrible.


     

    VIII


     

    L’EMPEREUR FAIT UNE QUESTION
    AU GUIDE LACOSTE


     

    Donc, le matin de Waterloo, Napoléon était content.

    Il avait raison ; le plan de bataille, conçu par lui, nous l’avons constaté, était en effet admirable.

    Une fois la bataille engagée, ses péripéties très diverses, la résistance d’Hougomont, la ténacité de la Haie-Sainte, Bauduin tué, Foy mis hors de combat, la muraille inattendue où s’était brisée la brigade Soye, l’étourderie fatale de Guillemot n’ayant ni pétards ni sacs à poudre, l’embourbement des batteries, les quinze pièces sans escorte culbutées par Uxbridge dans un chemin creux, le peu d’effet des bombes tombant dans les lignes anglaises, s’y enfouissant dans le sol détrempé par les pluies et ne réussissant qu’à y faire des volcans de boue, de sorte que la mitraille se changeait en éclaboussure, l’inutilité de la démonstration de Piré sur Braine-l’Alleud, toute cette cavalerie, quinze escadrons, à peu près annulée, l’aile droite anglaise mal inquiétée, l’aile gauche mal entamée, l’étrange malentendu de Ney, massant au lieu de les échelonner, les quatre divisions du premier corps, des épaisseurs de vingt-sept rangs et des fronts de deux cents hommes livrés de la sorte à la mitraille, l’effrayante trouée des boulets dans ces masses, les colonnes d’attaque désunies, la batterie d’écharpe brusquement démasquée sur leur flanc, Bourgeois, Donzelot et Durutte compromis, Quiot repoussé, le lieutenant Vieux, cet hercule sorti de l’école polytechnique, blessé au moment où il enfonçait à coups de hache la porte de la Haie-Sainte sous le feu plongeant de la barricade anglaise barrant le coude de la route de Genappe à Bruxelles, la division Marcognet, prise entre l’infanterie et la cavalerie, fusillée à bout portant dans les blés par Best et Pack, sabrée par Ponsomby, sa batterie de sept pièces enclouée, le prince de Saxe-Weimar tenant et gardant, malgré le comte d’Erlon, Frischemont et Smohain, le drapeau du 105e pris, le drapeau du 45e pris, ce hussard noir prussien arrêté par les coureurs de la colonne volante de trois cents chasseurs battant l’estrade entre Wavre et Plancenoit, les choses inquiétantes que ce prisonnier avait dites, le retard de Grouchy, les quinze cents hommes tués en moins d’une heure dans le verger d’Hougomont, les dix-huit cents hommes couchés en moins de temps encore autour de la Haie-Sainte, tous ces incidents orageux, passant comme les nuées de la bataille devant Napoléon, avaient à peine troublé son regard et n’avaient point assombri cette face impériale de la certitude. Napoléon était habitué à regarder la guerre fixement ; il ne faisait jamais chiffre à chiffre l’addition poignante du détail ; les chiffres lui importaient peu, pourvu qu’ils donnassent ce total : victoire ; que les commencements s’égarassent, il ne s’en alarmait point, lui qui se croyait maître et possesseur de la fin ; il savait attendre, se supposant hors de question, et il traitait le destin d’égal à égal. Il paraissait dire au sort : tu n’oserais pas.

    Mi-parti lumière et ombre, Napoléon se sentait protégé dans le bien et toléré dans le mal. Il avait ou croyait avoir pour lui, une connivence, on pourrait presque dire une complicité des événements, équivalente à l’antique invulnérabilité.

    Pourtant, quand on a derrière soi la Bérésina, Leipsick et Fontainebleau, il semble qu’on pourrait se défier de Waterloo. Un mystérieux froncement de sourcil devient visible au fond du ciel.

    Au moment où Wellington rétrograda, Napoléon tressaillit. Il vit subitement le plateau de Mont-Saint-Jean se dégarnir et le front de l’armée anglaise disparaître. Elle se ralliait, mais se dérobait. L’empereur se souleva à demi sur ses étriers. L’éclair de la victoire passa dans ses yeux.

    Wellington acculé à la forêt de Soignes et détruit, c’était le terrassement définitif de l’Angleterre par la France ; c’était Crécy, Poitiers, Malplaquet et Ramillies vengés. L’homme de Marengo raturait Azincourt.

    L’empereur alors, méditant la péripétie terrible, promena une dernière fois sa lunette sur tous les points du champ de bataille. Sa garde, l’arme au pied derrière lui, l’observait d’en bas avec une sorte de religion. Il songeait ; il examinait les versants, notait les pentes, scrutait le bouquet d’arbres, le carré de seigles, le sentier ; il semblait compter chaque buisson. Il regarda avec quelque fixité les barricades anglaises des deux chaussées, deux larges abattis d’arbres, celle de la chaussée de Genappe au-dessus de la Haie-Sainte, armée de deux canons, les seuls de toute l’artillerie anglaise qui vissent le fond du champ de bataille, et celle de la chaussée de Nivelles où étincelaient les bayonnettes hollandaises de la brigade Chassé. Il remarqua près de cette barricade la vieille chapelle de Saint-Nicolas peinte en blanc qui est à l’angle de la traverse vers Braine-l’Alleud. Il se pencha et parla à demi-voix au guide Lacoste. Le guide fit un signe de tête négatif, probablement perfide.

    L’empereur se redressa et se recueillit.

    Wellington avait reculé. Il ne restait plus qu’à achever ce recul par un écrasement.

    Napoléon, se retournant brusquement, expédia une estafette à franc étrier à Paris pour y annoncer que la bataille était gagnée.

    Napoléon était un de ces génies d’où sort le tonnerre.

    Il venait de trouver son coup de foudre.

    Il donna l’ordre aux cuirassiers de Milhaud d’enlever le plateau de Mont-Saint-Jean.


     

    IX


     

    L’INATTENDU


     

    Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d’un quart de lieue. C’étaient des hommes géants sur des chevaux colosses. Ils étaient vingt-six escadrons ; et ils avaient derrière eux, pour les appuyer, la division de Lefebvre-Desnouettes, les cent six gendarmes d’élite, les chasseurs de la garde, onze cent quatrevingt-dix-sept hommes, et les lanciers de la garde, huit cent quatrevingts lances. Ils portaient le casque sans crins et la cuirasse de fer battu, avec les pistolets d’arçon dans les fontes et le long sabre-épée. Le matin toute l’armée les avait admirés, quand, à neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantant Veillons au salut de l’empire, ils étaient venus, colonne épaisse, une de leurs batteries à leur flanc, l’autre à leur centre, se déployer sur deux rangs entre la chaussée de Genappe et Frischemont, et prendre leur place de bataille dans cette puissante deuxième ligne, si savamment composée par Napoléon, laquelle, ayant à son extrémité de gauche les cuirassiers de Kellerman et à son extrémité de droite les cuirassiers de Milhaud, avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.

    L’aide de camp Bernard leur porta l’ordre de l’empereur. Ney tira son épée et prit la tête. Les escadrons énormes s’ébranlèrent.

    Alors on vit un spectacle formidable.

    Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonne par division, descendit d’un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l’autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables ; dans les intervalles de la mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.

    Rien de semblable ne s’était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie ; Murat y manquait, mais Ney s’y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l’hydre.

    Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.

    Bizarre coïncidence numérique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrière la crête du plateau, à l’ombre de la batterie masquée, l’infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l’épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d’hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre.

    Tout à coup, chose tragique, à la gauche des anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crête, effrénés, tout à leur furie et à leur course d’extermination sur les carrés et les canons, les cuirassiers venaient d’apercevoir entre eux et les anglais un fossé, une fosse. C’était le chemin creux d’Ohain.

    L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus ; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n’était plus qu’un projectile, la force acquise pour écraser les anglais écrasa les français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé, cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu’une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d’hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme.

    Ceci commença la perte de la bataille.

    Une tradition locale, qui exagère évidemment, dit que deux mille chevaux et quinze cents hommes furent ensevelis dans le chemin creux d’Ohain. Ce chiffre vraisemblablement comprend tous les autres cadavres qu’on jeta dans ce ravin le lendemain du combat.

    Notons en passant que c’était cette brigade Dubois, si funestement éprouvée, qui, une heure auparavant, chargeant à part, avait enlevé le drapeau du bataillon de Lunebourg.

    Napoléon, avant d’ordonner cette charge des cuirassiers de Milhaud, avait scruté le terrain, mais n’avait pu voir ce chemin creux qui ne faisait pas même une ride à la surface du plateau. Averti pourtant et mis en éveil par la petite chapelle blanche qui en marque l’angle sur la chaussée de Nivelles, il avait fait, probablement sur l’éventualité d’un obstacle, une question au guide Lacoste. Le guide avait répondu non. On pourrait presque dire que de ce signe de tête d’un paysan est sortie la catastrophe de Napoléon.

    D’autres fatalités encore devaient surgir.

    Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille ? nous répondons non. Pourquoi ? À cause de Wellington ? à cause de Blücher ? Non. À cause de Dieu.

    Bonaparte vainqueur à Waterloo, ceci n’était plus dans la loi du dix-neuvième siècle. Une autre série de faits se préparait, où Napoléon n’avait plus de place. La mauvaise volonté des événements s’était annoncée de longue date.

    Il était temps que cet homme vaste tombât.

    L’excessive pesanteur de cet homme dans la destinée humaine troublait l’équilibre. Cet individu comptait à lui seul plus que le groupe universel. Ces pléthores de toute la vitalité humaine concentrée dans une seule tête, le monde montant au cerveau d’un homme, cela serait mortel à la civilisation si cela durait. Le moment était venu pour l’incorruptible équité suprême d’aviser. Probablement les principes et les éléments, d’où dépendent les gravitations régulières dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, se plaignaient. Le sang qui fume, le trop-plein des cimetières, les mères en larmes, ce sont des plaidoyers redoutables. Il y a, quand la terre souffre d’une surcharge, de mystérieux gémissements de l’ombre, que l’abîme entend.

    Napoléon avait été dénoncé dans l’infini, et sa chute était décidée.

    Il gênait Dieu.

    Waterloo n’est point une bataille ; c’est le changement de front de l’univers.


     

    X


     

    LE PLATEAU DE MONT-SAINT-JEAN


     

    En même temps que le ravin, la batterie s’était démasquée.

    Soixante canons et les treize carrés foudroyèrent les cuirassiers à bout portant. L’intrépide général Delord fit le salut militaire à la batterie anglaise.

    Toute l’artillerie volante anglaise était rentrée au galop dans les carrés. Les cuirassiers n’eurent pas même un temps d’arrêt. Le désastre du chemin creux les avait décimés, mais non découragés. C’étaient de ces hommes qui, diminués de nombre, grandissent de cœur.

    La colonne Wathier seule avait souffert du désastre ; la colonne Delord, que Ney avait fait obliquer à gauche, comme s’il pressentait l’embûche, était arrivée entière.

    Les cuirassiers se ruèrent sur les carrés anglais.

    Ventre à terre, brides lâchées, sabre aux dents, pistolets au poing, telle fut l’attaque.

    Il y a des moments dans les batailles où l’âme durcit l’homme jusqu’à changer le soldat en statue, et où toute cette chair se fait granit. Les bataillons anglais, éperdument assaillis, ne bougèrent pas.

    Alors ce fut effrayant.

    Toutes les faces des carrés anglais furent attaquées à la fois. Un tournoiement frénétique les enveloppa. Cette froide infanterie demeura impassible. Le premier rang, genou en terre, recevait les cuirassiers sur les bayonnettes, le second rang les fusillait ; derrière le second rang les canonniers chargeaient les pièces, le front du carré s’ouvrait, laissait passer une éruption de mitraille et se refermait. Les cuirassiers répondaient par l’écrasement. Leurs grands chevaux se cabraient, enjambaient les rangs, sautaient par-dessus les bayonnettes et tombaient, gigantesques, au milieu de ces quatre murs vivants. Les boulets faisaient des trouées dans les cuirassiers, les cuirassiers faisaient des brèches dans les carrés. Des files d’hommes disparaissaient broyées sous les chevaux. Les bayonnettes s’enfonçaient dans les ventres de ces centaures. De là une difformité de blessures qu’on n’a pas vue peut-être ailleurs. Les carrés, rongés par cette cavalerie forcenée, se rétrécissaient sans broncher. Inépuisables en mitraille, ils faisaient explosion au milieu des assaillants. La figure de ce combat était monstrueuse. Ces carrés n’étaient plus des bataillons, c’étaient des cratères ; ces cuirassiers n’étaient plus une cavalerie, c’était une tempête. Chaque carré était un volcan attaqué par un nuage ; la lave combattait la foudre.

    Le carré extrême de droite, le plus exposé de tous, étant en l’air, fut presque anéanti dès les premiers chocs. Il était formé du 75e régiment de highlanders. Le joueur de cornemuse au centre, pendant qu’on s’exterminait autour de lui, baissant dans une inattention profonde son œil mélancolique plein du reflet des forêts et des lacs, assis sur un tambour, son pibroch sous le bras, jouait les airs de la montagne. Ces Écossais mouraient en pensant au Ben Lothian, comme les Grecs en se souvenant d’Argos. Le sabre d’un cuirassier, abattant le pibroch et le bras qui le portait, fit cesser le chant en tuant le chanteur.

    Les cuirassiers, relativement peu nombreux, amoindris par la catastrophe du ravin, avaient là contre eux presque toute l’armée anglaise, mais ils se multipliaient, chaque homme valant dix. Cependant quelques bataillons hanovriens plièrent. Wellington le vit, et songea à sa cavalerie. Si Napoléon, en ce moment-là même, eût songé à son infanterie, il eût gagné la bataille. Cet oubli fut sa grande faute fatale.

    Tout à coup les cuirassiers, assaillants, se sentirent assaillis. La cavalerie anglaise était sur leur dos. Devant eux les carrés, derrière eux Somerset ; Somerset, c’étaient les quatorze cents dragons-gardes. Somerset avait à sa droite Dornberg avec les chevau-légers allemands, et à sa gauche Trip avec les carabiniers belges ; les cuirassiers, attaqués en flanc et en tête, en avant et en arrière, par l’infanterie et par la cavalerie, durent faire face de tous les côtés. Que leur importait ? ils étaient tourbillon. La bravoure devint inexprimable.

    En outre, ils avaient derrière eux la batterie toujours tonnante. Il fallait cela pour que ces hommes fussent blessés dans le dos. Une de leurs cuirasses, trouée à l’omoplate gauche d’un biscayen, est dans la collection dite musée de Waterloo.

    Pour de tels français, il ne fallait pas moins que de tels anglais.

    Ce ne fut plus une mêlée, ce fut une ombre, une furie, un vertigineux emportement d’âmes et de courages, un ouragan d’épées éclairs. En un instant les quatorze cents dragons-gardes ne furent plus que huit cents ; Fuller, leur lieutenant-colonel, tomba mort. Ney accourut avec les lanciers et les chasseurs de Lefebvre-Desnouettes. Le plateau de Mont-Saint-Jean fut pris, repris, pris encore. Les cuirassiers quittaient la cavalerie pour retourner à l’infanterie, ou, pour mieux dire, toute cette cohue formidable se colletait sans que l’un lâchât l’autre. Les carrés tenaient toujours. Il y eut douze assauts. Ney eut quatre chevaux tués sous lui. La moitié des cuirassiers resta sur le plateau. Cette lutte dura deux heures.

    L’armée anglaise en fut profondément ébranlée. Nul doute que, s’ils n’eussent été affaiblis dans leur premier choc par le désastre du chemin creux, les cuirassiers n’eussent culbuté le centre et décidé la victoire. Cette cavalerie extraordinaire pétrifia Clinton qui avait vu Talavera et Badajoz. Wellington, aux trois quarts vaincu, admirait héroïquement. Il disait à demi-voix : Sublime [2] !

    Les cuirassiers anéantirent sept carrés sur treize, prirent ou enclouèrent soixante pièces de canon, et enlevèrent aux régiments anglais six drapeaux, que trois cuirassiers et trois chasseurs de la garde allèrent porter à l’empereur devant la ferme de la Belle-Alliance.

    La situation de Wellington avait empiré. Cette étrange bataille était comme un duel entre deux blessés acharnés qui, chacun de leur côté, tout en combattant et en se résistant toujours, perdent tout leur sang. Lequel des deux tombera le premier ?

    La lutte du plateau continuait.

    Jusqu’où sont allés les cuirassiers ? personne ne saurait le dire. Ce qui est certain, c’est que, le lendemain de la bataille, un cuirassier et son cheval furent trouvés morts dans la charpente de la bascule du pesage des voitures à Mont-Saint-Jean, au point même où s’entrecoupent et se rencontrent les quatre routes de Nivelles, de Genappe, de La Hulpe et de Bruxelles. Ce cavalier avait percé les lignes anglaises. Un des hommes qui ont relevé ce cadavre vit encore à Mont-Saint-Jean. Il se nomme Dehaze. Il avait alors dix-huit ans.

    Wellington se sentait pencher. La crise était proche.

    Les cuirassiers n’avaient point réussi, en ce sens que le centre n’était pas enfoncé. Tout le monde ayant le plateau, personne ne l’avait, et en somme il restait pour la plus grande part aux anglais. Wellington avait le village et la plaine culminante ; Ney n’avait que la crête et la pente. Des deux côtés on semblait enraciné dans ce sol funèbre.

    Mais l’affaiblissement des anglais paraissait irrémédiable. L’hémorrhagie de cette armée était horrible. Kempt, à l’aile gauche, réclamait du renfort. — Il n’y en a pas, répondait Wellington, qu’il se fasse tuer ! — Presque à la même minute, rapprochement singulier qui peint l’épuisement des deux armées, Ney demandait de l’infanterie à Napoléon, et Napoléon s’écriait : De l’infanterie ! où veut-il que j’en prenne ? Veut-il que j’en fasse ?

    Pourtant l’armée anglaise était la plus malade. Les poussées furieuses de ces grands escadrons à cuirasses de fer et à poitrines d’acier avaient broyé l’infanterie. Quelques hommes autour d’un drapeau marquaient la place d’un régiment, tel bataillon n’était plus commandé que par un capitaine ou par un lieutenant ; la division Alten, déjà si maltraitée à la Haie-Sainte, était presque détruite ; les intrépides Belges de la brigade Van Kluze jonchaient les seigles le long de la route de Nivelles ; il ne restait presque rien de ces grenadiers hollandais qui, en 1811, mêlés en Espagne à nos rangs, combattaient Wellington, et qui, en 1815, ralliés aux anglais, combattaient Napoléon. La perte en officiers était considérable. Lord Uxbridge, qui le lendemain fit enterrer sa jambe, avait le genou fracassé. Si, du côté des français, dans cette lutte des cuirassiers, Delord, Lhéritier, Colbert, Dnop, Travers et Blancard étaient hors de combat, du côté des anglais, Alten était blessé, Barne était blessé, Delancey était tué, Van Meeren était tué, Ompteda était tué, tout l’état-major de Wellington était décimé, et l’Angleterre avait le pire partage dans ce sanglant équilibre. Le 2e régiment des gardes à pied avait perdu cinq lieutenants-colonels, quatre capitaines et trois enseignes ; le premier bataillon du 30e d’infanterie avait perdu vingt-quatre officiers et cent douze soldats ; le 79e montagnards avait vingt-quatre officiers blessés, dix-huit officiers morts, quatre cent cinquante soldats tués. Les hussards hanovriens de Cumberland, un régiment tout entier, ayant à sa tête son colonel Hacke, qui devait plus tard être jugé et cassé, avaient tourné bride devant la mêlée et étaient en fuite dans la forêt de Soignes, semant la déroute jusqu’à Bruxelles. Les charrois, les prolonges, les bagages, les fourgons pleins de blessés, voyant les français gagner du terrain et s’approcher de la forêt, s’y précipitaient ; les Hollandais, sabrés par la cavalerie française, criaient : Alarme ! De Vert-Coucou jusqu’à Groenendael, sur une longueur de près de deux lieues dans la direction de Bruxelles, il y avait, au dire des témoins qui existent encore, un encombrement de fuyards. Cette panique fut telle qu’elle gagna le prince de Condé à Malines et Louis XVIII à Gand. À l’exception de la faible réserve échelonnée derrière l’ambulance établie dans la ferme de Mont-Saint-Jean et des brigades Vivian et Vandeleur qui flanquaient l’aile gauche, Wellington n’avait plus de cavalerie. Nombre de batteries gisaient démontées. Ces faits sont avoués par Siborne ; et Pringle, exagérant le désastre, va jusqu’à dire que l’armée anglo-hollandaise était réduite à trente-quatre mille hommes. Le duc-de-fer demeurait calme, mais ses lèvres avaient blêmi. Le commissaire autrichien Vincent, le commissaire espagnol Alava, présents à la bataille dans l’état-major anglais, croyaient le duc perdu. À cinq heures, Wellington tira sa montre, et on l’entendit murmurer ce mot sombre : Blücher, ou la nuit !

    Ce fut vers ce moment-là qu’une ligne lointaine de bayonnettes étincela sur les hauteurs du côté de Frischemont.

    Ici est la péripétie de ce drame géant.


     

    XI


     

    MAUVAIS GUIDE À NAPOLÉON, BON GUIDE
    À BULOW


     

    On connaît la poignante méprise de Napoléon : Grouchy espéré, Blücher survenant ; la mort au lieu de la vie.

    La destinée a de ces tournants ; on s’attendait au trône du monde ; on aperçoit Sainte-Hélène.

    Si le petit pâtre, qui servait de guide à Bülow, lieutenant de Blücher, lui eût conseillé de déboucher de la forêt au-dessus de Frischemont plutôt qu’au dessous de Plancenoit, la forme du dix-neuvième siècle eût peut-être été différente. Napoléon eût gagné la bataille de Waterloo. Par tout autre chemin qu’au-dessous de Plancenoit, l’armée prussienne aboutissait à un ravin infranchissable à l’artillerie, et Bülow n’arrivait pas.

    Or, une heure de retard, c’est le général prussien Muffling qui le déclare, et Blücher n’aurait plus trouvé Wellington debout ; « la bataille était perdue ».

    Il était temps, on le voit, que Bülow arrivât. Il avait du reste été fort retardé. Il avait bivouaqué à Dion-le-Mont et était parti dès l’aube. Mais les chemins étaient impraticables et ses divisions s’étaient embourbées. Les ornières venaient au moyeu des canons. En outre, il avait fallu passer la Dyle sur l’étroit pont de Wavre ; la rue menant au pont avait été incendiée par les français ; les caissons et les fourgons de l’artillerie, ne pouvant passer entre deux rangs de maisons en feu, avaient dû attendre que l’incendie fût éteint. Il était midi que l’avant-garde de Bülow n’avait pu encore atteindre Chapelle-Saint-Lambert.

    L’action, commencée deux heures plus tôt, eût été finie à quatre heures, et Blücher serait tombé sur la bataille gagnée par Napoléon. Tels sont ces immenses hasards, proportionnés à un infini qui nous échappe.

    Dès midi, l’empereur, le premier, avec sa longue-vue, avait aperçu à l’extrême horizon quelque chose qui avait fixé son attention. Il avait dit : — Je vois là-bas un nuage qui me paraît être des troupes. Puis il avait demandé au duc de Dalmatie : — Soult, que voyez-vous vers Chapelle-Saint-Lambert ? — Le maréchal braquant sa lunette avait répondu : — Quatre ou cinq mille hommes, sire. Évidemment Grouchy. — Cependant cela restait immobile dans la brume. Toutes les lunettes de l’état-major avaient étudié « le nuage » signalé par l’empereur. Quelques-uns avaient dit : Ce sont des colonnes qui font halte. La plupart avaient dit : Ce sont des arbres. La vérité est que le nuage ne remuait pas. L’empereur avait détaché en reconnaissance vers ce point obscur la division de cavalerie légère de Domon.

    Bülow en effet n’avait pas bougé. Son avant-garde était très faible, et ne pouvait rien. Il devait attendre le gros du corps d’armée, et il avait l’ordre de se concentrer avant d’entrer en ligne ; mais à cinq heures, voyant le péril de Wellington, Blücher ordonna à Bülow d’attaquer et dit ce mot remarquable : « Il faut donner de l’air à l’armée anglaise. »

    Peu après, les divisions Losthin, Hiller, Hacke et Ryssel se déployaient devant le corps de Lobau, la cavalerie du prince Guillaume de Prusse débouchait du bois de Paris, Plancenoit était en flammes, et les boulets prussiens commençaient à pleuvoir jusque dans les rangs de la garde en réserve derrière Napoléon.


     

    XII


     

    LA GARDE


     

    On sait le reste : l’irruption d’une troisième armée, la bataille disloquée, quatrevingt-six bouches à feu tonnant tout à coup, Pirch Ier survenant avec Bülow, la cavalerie de Zieten menée par Blücher en personne, les français refoulés, Marcognet balayé du plateau d’Ohain, Durutte délogé de Papelotte, Donzelot et Quiot reculant, Lobau pris en écharpe, une nouvelle bataille se précipitant ; à la nuit tombante sur nos régiments démantelés, toute la ligne anglaise reprenant l’offensive et poussée en avant, la gigantesque trouée faite dans l’armée française, la mitraille anglaise et la mitraille prussienne s’entr’aidant, l’extermination, le désastre de front, le désastre en flanc, la garde entrant en ligne sous cet épouvantable écroulement.

    Comme elle sentait qu’elle allait mourir, elle cria : Vive l’empereur ! L’histoire n’a rien de plus émouvant que cette agonie éclatant en acclamations.

    Le ciel avait été couvert toute la journée. Tout à coup, en ce moment-là même, il était huit heures du soir, les nuages de l’horizon s’écartèrent et laissèrent passer, à travers les ormes de la route de Nivelles, la grande rougeur sinistre du soleil qui se couchait. On l’avait vu se lever à Austerlitz.

    Chaque bataillon de la garde, pour ce dénouement, était commandé par un général. Friant, Michel, Roguet, Harlet, Mallet, Poret de Morvan, étaient là. Quand les hauts bonnets des grenadiers de la garde avec la large plaque à l’aigle apparurent, symétriques, alignés, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mêlée, l’ennemi sentit le respect de la France ; on crut voir vingt victoires entrer sur le champ de bataille, ailes déployées, et ceux qui étaient vainqueurs, s’estimant vaincus, reculèrent ; mais Wellington cria : Debout, gardes, et visez juste ! le régiment rouge des gardes anglaises, couché derrière les haies, se leva, une nuée de mitraille cribla le drapeau tricolore frissonnant autour de nos aigles, tous se ruèrent, et le suprême carnage commença. La garde impériale sentit dans l’ombre l’armée lâchant pied autour d’elle, et le vaste ébranlement de la déroute, elle entendit le sauve-qui-peut ! qui avait remplacé le vive l’empereur ! et, avec la fuite derrière elle, elle continua d’avancer, de plus en plus foudroyée et mourant davantage à chaque pas qu’elle faisait. Il n’y eut point d’hésitants ni de timides. Le soldat dans cette troupe était aussi héros que le général. Pas un homme ne manqua au suicide.

    Ney, éperdu, grand de toute la hauteur de la mort acceptée, s’offrait à tous les coups dans cette tourmente. Il eut là son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, l’écume aux lèvres, l’uniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi coupée par le coup de sabre d’un horse-guard, sa plaque de grand-aigle bosselée par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une épée cassée à la main, il disait : Venez voir comment meurt un maréchal de France sur le champ de bataille ! Mais en vain ; il ne mourut pas. Il était hagard et indigné. Il jetait à Drouet d’Erlon cette question : Est-ce que tu ne te fais pas tuer, toi ? Il criait au milieu de toute cette artillerie écrasant une poignée d’hommes : — Il n’y a donc rien pour moi ! Oh ! je voudrais que tous ces boulets anglais m’entrassent dans le ventre ! Tu étais réservé à des balles françaises, infortuné !


     

    XIII


     

    LA CATASTROPHE


     

    La déroute derrière la garde fut lugubre.

    L’armée plia brusquement de tous les côtés à la fois, de Hougomont, de la Haie-Sainte, de Papelotte, de Plancenoit. Le cri trahison ! fut suivi du cri sauve-qui-peut ! Une armée qui se débande, c’est un dégel. Tout fléchit, se fêle, craque, flotte, roule, tombe, se heurte, se hâte, se précipite. Désagrégation inouïe. Ney emprunte un cheval, saute dessus, et, sans chapeau, sans cravate, sans épée, se met en travers de la chaussée de Bruxelles, arrêtant à la fois les anglais et les français. Il tâche de retenir l’armée, il la rappelle, il l’insulte, il se cramponne à la déroute. Il est débordé. Les soldats le fuient, en criant : Vive le maréchal Ney ! Deux régiments de Durutte vont et viennent effarés et comme ballottés entre le sabre des uhlans et la fusillade des brigades de Kempt, de Best, de Pack et de Rylandt ; la pire des mêlées, c’est la déroute, les amis s’entretuent pour fuir ; les escadrons et les bataillons se brisent et se dispersent les uns contre les autres, énorme écume de la bataille. Lobau à une extrémité comme Reille à l’autre sont roulés dans le flot. En vain Napoléon fait des murailles avec ce qui lui reste de la garde ; en vain il dépense à un dernier effort ses escadrons de service. Quiot recule devant Vivian, Kellermann devant Vandeleur, Lobau devant Bülow, Morand devant Pirch, Domon et Subervic devant le prince Guillaume de Prusse. Guyot, qui a mené à la charge les escadrons de l’empereur, tombe sous les pieds des dragons anglais. Napoléon court au galop le long des fuyards, les harangue, presse, menace, supplie. Toutes ces bouches qui criaient le matin : vive l’empereur ! restent béantes ; c’est à peine si on le connaît. La cavalerie prussienne, fraîche venue, s’élance, vole, sabre, taille, hache, tue, extermine. Les attelages se ruent, les canons se sauvent ; les soldats du train détellent les caissons et en prennent les chevaux pour s’échapper ; des fourgons culbutés les quatre roues en l’air entravent la route et sont des occasions de massacre. On s’écrase, on se foule, on marche sur les morts et sur les vivants. Les bras sont éperdus. Une multitude vertigineuse emplit les routes, les sentiers, les ponts, les plaines, les collines, les vallées, les bois, encombrés par cette évasion de quarante mille hommes. Cris, désespoirs, sacs et fusils jetés dans les seigles, passages frayés à coups d’épée, plus de camarades, plus d’officiers, plus de généraux, une inexprimable épouvante. Zieten sabrant la France à son aise. Les lions devenus chevreuils. Telle fut cette fuite.

    À Genappe, on essaya de se retourner, de faire front, d’enrayer. Lobau rallia trois cents hommes. On barricada l’entrée du village ; mais à la première volée de la mitraille prussienne, tout se remit à fuir, et Lobau fut pris. On voit encore aujourd’hui cette volée de mitraille empreinte sur le vieux pignon d’une masure en brique à droite de la route, quelques minutes avant d’entrer à Genappe. Les prussiens s’élancèrent dans Genappe, furieux sans doute d’être si peu vainqueurs. La poursuite fut monstrueuse. Blücher ordonna l’extermination. Roguet avait donné ce lugubre exemple de menacer de mort tout grenadier français qui lui amènerait un prisonnier prussien. Blücher dépassa Roguet. Le général de la jeune garde, Duhesme, acculé sur la porte d’une auberge de Genappe, rendit son épée à un hussard de la mort qui prit l’épée et tua le prisonnier. La victoire s’acheva par l’assassinat des vaincus. Punissons, puisque nous sommes l’histoire : le vieux Blücher se déshonora. Cette férocité mit le comble au désastre. La déroute désespérée traversa Genappe, traversa les Quatre-Bras, traversa Gosselies, traversa Frasnes, traversa Charleroi, traversa Thuin, et ne s’arrêta qu’à la frontière. Hélas ! et qui donc fuyait de la sorte ? la grande armée.

    Ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais étonné l’histoire, est-ce que cela est sans cause ? Non. L’ombre d’une droite énorme se projette sur Waterloo. C’est la journée du destin. La force au-dessus de l’homme a donné ce jour-là. De là le pli épouvanté des têtes ; de là toutes ces grandes âmes rendant leur épée. Ceux qui avaient vaincu l’Europe sont tombés terrassés, n’ayant plus rien à dire ni à faire, sentant dans l’ombre une présence terrible. Hoc erat in fatis. Ce jour-là, la perspective du genre humain a changé. Waterloo, c’est le gond du dix-neuvième siècle. La disparition du grand homme était nécessaire à l’avènement du grand siècle. Quelqu’un à qui on ne réplique pas s’en est chargé. La panique des héros s’explique. Dans la bataille de Waterloo, il y a plus du nuage, il y a du météore. Dieu a passé.

    À la nuit tombante, dans un champ près de Genappe, Bernard et Bertrand saisirent par un pan de sa redingote et arrêtèrent un homme hagard, pensif, sinistre, qui, entraîné jusque-là par le courant de la déroute, venait de mettre pied à terre, avait passé sous son bras la bride de son cheval, et, l’œil égaré, s’en retournait seul vers Waterloo. C’était Napoléon essayant encore d’aller en avant, immense somnambule de ce rêve écroulé.


     

    XIV


     

    LE DERNIER CARRÉ


     

    Quelques carrés de la garde, immobiles dans le ruissellement de la déroute comme des rochers dans de l’eau qui coule, tinrent jusqu’à la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inébranlables, s’en laissèrent envelopper. Chaque régiment, isolé des autres et n’ayant plus de lien avec l’armée rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernière action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean. Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux.

    Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de l’artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densité de projectiles, ce carré luttait. Il était commandé par un officier obscur nommé Cambronne. À chaque décharge, le carré diminuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade, rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, s’arrêtant par moment, essoufflés, écoutaient dans les ténèbres ce sombre tonnerre décroissant.

    Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !


     

    XV


     

    CAMBRONNE


     

    Le lecteur français voulant être respecté, le plus beau mot peut-être qu’un français ait jamais dit ne peut lui être répété. Défense de déposer du sublime dans l’histoire.

    À nos risques et périls, nous enfreignons cette défense.

    Donc, parmi tous ces géants, il y eut un titan, Cambronne.

    Dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu.

    L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n’est pas Napoléon en déroute, ce n’est pas Wellington pliant à quatre heures, désespéré à cinq, ce n’est pas Blücher qui ne s’est point battu ; l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne.

    Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre.

    Faire cette réponse à la catastrophe, dire cela au destin, donner cette base au lion futur, jeter cette réplique à la pluie de la nuit, au mur traître de Hougomont, au chemin creux d’Ohain, au retard de Grouchy, à l’arrivée de Blücher, être l’ironie dans le sépulcre, faire en sorte de rester debout après qu’on sera tombé, noyer dans deux syllabes la coalition européenne, offrir aux rois ces latrines déjà connues des césars, faire du dernier des mots le premier en y mêlant l’éclair de la France, clore insolemment Waterloo par le mardi gras, compléter Léonidas par Rabelais, résumer cette victoire dans une parole suprême impossible à prononcer, perdre le terrain et garder l’histoire, après ce carnage avoir pour soi les rieurs, c’est immense.

    C’est l’insulte à la foudre. Cela atteint la grandeur eschylienne.

    Le mot de Cambronne fait l’effet d’une fracture. Qu’est la fracture d’une poitrine par le dédain ; c’est le trop plein de l’agonie qui fait explosion. Qui a vaincu ? Est-ce Wellington ? Non. Sans Blücher il était perdu. Est-ce Blücher ? Non. Si Wellington n’eût pas commencé, Blücher n’aurait pu finir. Ce Cambronne, ce passant de la dernière heure, ce soldat ignoré, cet infiniment petit de la guerre, sent qu’il y a là un mensonge, un mensonge dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment où il en éclate de rage, on lui offre cette dérision : la vie ! Comment ne pas bondir ? Ils sont là, tous les rois de l’Europe, les généraux heureux, les Jupiters tonnants, ils ont cent mille soldats victorieux, et derrière les cent mille, un million, leurs canons, mèche allumée, sont béants, ils ont sous leurs talons la garde impériale et la grande armée, ils viennent d’écraser Napoléon, et il ne reste plus que Cambronne ; il n’y a plus pour protester que ce ver de terre. Il protestera. Alors il cherche un mot comme on cherche une épée. Il lui vient de l’écume, et cette écume, c’est le mot. Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément. Nous le répétons. Dire cela, faire cela, trouver cela, c’est être le vainqueur.

    L’esprit des grands jours entra dans cet homme inconnu à cette minute fatale. Cambronne trouve le mot de Waterloo comme Rouget de l’Isle trouve la Marseillaise, par visitation du souffle d’en haut. Un effluve de l’ouragan divin se détache et vient passer à travers ces hommes, et ils tressaillent, et l’un chante le chant suprême et l’autre pousse le cri terrible. Cette parole du dédain titanique, Cambronne ne la jette pas seulement à l’Europe au nom de l’empire, ce serait peu ; il la jette au passé au nom de la révolution. On l’entend, et l’on reconnaît dans Cambronne la vieille âme des géants. Il semble que c’est Danton qui parle ou Kléber qui rugit.

    Au mot de Cambronne, la voix anglaise répondit : feu ! les batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches d’airain sortit un dernier vomissement de mitraille épouvantable ; une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula, et, quand la fumée se dissipa, il n’y avait plus rien. Ce reste formidable était anéanti, la garde était morte. Les quatre murs de la redoute vivante gisaient, à peine distinguait-on çà et là un tressaillement parmi les cadavres ; et c’est ainsi que les légions françaises, plus grandes que les légions romaines, expirèrent à Mont-Saint-Jean sur la terre mouillée de pluie et de sang, dans les blés sombres, à l’endroit où passe maintenant à quatre heures du matin, en sifflant et en fouettant gaîment son cheval, Joseph, qui fait le service de la malle-poste de Nivelles.


     

    XVI


     

    QUOT LIBRAS IN DUCE ?


     

    La bataille de Waterloo est une énigme. Elle est aussi obscure pour ceux qui l’ont gagnée que pour celui qui l’ont perdue. Pour Napoléon, c’est une panique [3]. Blücher n’y voit que du feu ; Wellington n’y comprend rien. Voyez les rapports. Les bulletins sont confus, les commentaires sont embrouillés. Ceux-ci balbutient, ceux-là bégayent. Jomini partage la bataille de Waterloo en quatre moments ; Muffling la coupe en trois péripéties ; Charras, quoique sur quelques points nous ayons une autre appréciation que lui, a seul saisi de son fier coup d’œil les linéaments caractéristiques de cette catastrophe du génie humain aux prises avec le hasard divin. Tous les autres historiens ont un certain éblouissement, et dans cet éblouissement ils tâtonnent. Journée fulgurante, en effet, écroulement de la monarchie militaire qui, à la grande stupeur des rois, a entraîné tous les royaumes, chute de la force, déroute de la guerre.

    Dans cet événement, empreint de nécessité surhumaine, la part des hommes n’est rien.

    Retirer Waterloo à Wellington et à Blücher, est-ce ôter quelque chose à l’Angleterre et à l’Allemagne ? Non. Ni cette illustre Angleterre ni cette auguste Allemagne ne sont en question dans le problème de Waterloo. Grâce au ciel, les peuples sont grands en dehors des lugubres aventures de l’épée. Ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni la France, ne tiennent dans un fourreau. Dans cette époque où Waterloo n’est qu’un cliquetis de sabres, au-dessus de Blücher l’Allemagne a Gœthe et au-dessus de Wellington l’Angleterre a Byron. Un vaste lever d’idées est propre à notre siècle, et dans cette aurore l’Angleterre et l’Allemagne ont une lueur magnifique. Elles sont majestueuses par ce qu’elles pensent. L’élévation du niveau qu’elles apportent à la civilisation leur est intrinsèque ; il vient d’elles-mêmes, et non d’un accident. Ce qu’elles ont d’agrandissement au dix-neuvième siècle n’a point Waterloo pour source. Il n’y a que les peuples barbares qui aient des crues subites après une victoire. C’est la vanité passagère des torrents enflés d’un orage. Les peuples civilisés, surtout au temps où nous sommes, ne se haussent ni ne s’abaissent par la bonne ou mauvaise fortune d’un capitaine. Leur poids spécifique dans le genre humain résulte de quelque chose de plus qu’un combat. Leur honneur, Dieu merci, leur dignité, leur lumière, leur génie, ne sont pas des numéros que les héros et les conquérants, ces joueurs, peuvent mettre à la loterie des batailles. Souvent bataille perdue, progrès conquis. Moins de gloire, plus de liberté. Le tambour se tait, la raison prend la parole. C’est le jeu à qui perd gagne. Parlons donc de Waterloo froidement des deux côtés. Rendons au hasard ce qui est au hasard et à Dieu ce qui est à Dieu. Qu’est-ce que Waterloo ? Une victoire ? Non. Un quine.

    Quine gagné par l’Europe, payé par la France.

    Ce n’était pas beaucoup la peine de mettre là un lion.

    Waterloo, du reste, est la plus étrange rencontre qui soit dans l’histoire. Napoléon et Wellington. Ce ne sont pas des ennemis, ce sont des contraires. Jamais Dieu, qui se plaît aux antithèses, n’a fait un plus saisissant contraste et une confrontation plus extraordinaire. D’un côté la précision, la prévision, la géométrie, la prudence, la retraite assurée, les réserves ménagées, un sang-froid opiniâtre, une méthode imperturbable, la stratégie qui profite du terrain, la tactique qui équilibre les bataillons, le carnage tiré au cordeau, la guerre réglée montre en main, rien laissé volontairement au hasard, le vieux courage classique, la correction absolue ; de l’autre l’intuition, la divination, l’étrangeté militaire, l’instinct surhumain, le coup d’œil flamboyant, on ne sait quoi qui regarde comme l’aigle et qui frappe comme la foudre, un art prodigieux dans une impétuosité dédaigneuse, tous les mystères d’une âme profonde, l’association avec le destin, le fleuve, la plaine, la forêt, la colline, sommés et en quelque sorte forcés d’obéir, le despote allant jusqu’à tyranniser le champ de bataille, la foi à l’étoile mêlée à la science stratégique, la grandissant, mais la troublant. Wellington était le Barême de la guerre, Napoléon en était le Michel-Ange, et cette fois le génie fut vaincu par le calcul.

    Des deux côtés on attendait quelqu’un. Ce fut le calculateur exact qui réussit. Napoléon attendait Grouchy ; il ne vint pas. Wellington attendait Blücher ; il vint.

    Wellington, c’est la guerre classique qui prend sa revanche. Bonaparte, à son aurore, l’avait rencontrée en Italie, et superbement battue. La vieille chouette avait fui devant le jeune vautour. L’ancienne tactique avait été non seulement foudroyée, mais scandalisée. Qu’était-ce que ce Corse de vingt-six ans, que signifiait cet ignorant splendide qui, ayant tout contre lui, rien pour lui, sans vivres, sans munitions, sans canons, sans souliers, presque sans armée, avec une poignée d’hommes contre des masses, se ruait sur l’Europe coalisée, et gagnait absurdement des victoires dans l’impossible ? D’où sortait ce forcené foudroyant qui, presque sans reprendre haleine, et avec le même jeu de combattants dans la main, pulvérisait l’une après l’autre les cinq armées de l’empereur d’Allemagne, culbutant Beaulieu sur Alvinzi, Wurmser sur Beaulieu, Mélas sur Wurmser, Mack sur Mélas ? Qu’était-ce que ce nouveau venu de la guerre ayant l’effronterie d’un astre ? L’école académique militaire l’excommuniait en lâchant pied. De là une implacable rancune du vieux césarisme contre le nouveau, du sabre correct contre l’épée flamboyante, et de l’échiquier contre le génie. Le 18 juin 1815, cette rancune eut le dernier mot, et au-dessous de Lodi, de Montebello, de Montenotte, de Mantoue, de Marengo, d’Arcole, elle écrivit : Waterloo. Triomphe des médiocres, doux aux majorités. Le destin consentit à cette ironie. À son déclin, Napoléon retrouva devant lui Wurmser jeune.

    Pour avoir Wurmser en effet, il suffît de blanchir les cheveux de Wellington.

    Waterloo est une bataille du premier ordre gagnée par un capitaine du second.

    Ce qu’il faut admirer dans la bataille de Waterloo, c’est l’Angleterre, c’est la fermeté anglaise, c’est la résolution anglaise, c’est le sang anglais ; ce que l’Angleterre a eu là de superbe, ne lui en déplaise, c’est elle-même. Ce n’est pas son capitaine, c’est son armée.

    Wellington, bizarrement ingrat, déclare dans une lettre à lord Bathurst que son armée, l’armée qui a combattu le 18 juin 1815, était une « détestable armée ». Qu’en pense cette sombre mêlée d’ossements enfouis sous les sillons de Waterloo ?

    L’Angleterre a été trop modeste vis-à-vis de Wellington. Faire Wellington si grand, c’est faire l’Angleterre petite. Wellington n’est qu’un héros comme un autre. Ces Écossais gris, ces horse-guards, ces régiments de Maitland et de Mitchell, cette infanterie de Pack et de Kempt, cette cavalerie de Ponsomby et de Somerset, ces highlanders jouant du pibroch sous la mitraille, ces bataillons de Rylandt, ces recrues toutes fraîches qui savaient à peine manier le mousquet tenant tête aux vieilles bandes d’Essling et de Rivoli, voilà ce qui est grand. Wellington a été tenace, ce fut là son mérite, et nous ne le lui marchandons pas, mais le moindre de ses fantassins et de ses cavaliers a été tout aussi solide que lui. L’iron-soldier vaut l’iron-duke. Quant à nous, toute notre glorification va au soldat anglais. Si trophée il y a, c’est à l’Angleterre que le trophée est dû. La colonne de Waterloo serait plus juste si, au lieu de la figure d’un homme, elle élevait dans la nue la statue d’un peuple.

    Mais cette grande Angleterre s’irritera de ce que nous disons ici. Elle a encore, après son 1688 et notre 1789, l’illusion féodale. Elle croit à l’hérédité et à la hiérarchie. Ce peuple, qu’aucun ne dépasse en puissance et en gloire, s’estime comme nation, non comme peuple. En tant que peuple, il se subordonne volontiers et prend un lord pour une tête. Workman, il se laisse dédaigner ; soldat, il se laisse bâtonner. On se souvient qu’à la bataille d’Inkermann un sergent qui, à ce qu’il paraît, avait sauvé l’armée, ne put être mentionné par lord Raglan, la hiérarchie militaire anglaise ne permettant de citer dans un rapport aucun héros au-dessous du grade d’officier.

    Ce que nous admirons par-dessus tout, dans une rencontre du genre de celle de Waterloo, c’est la prodigieuse habileté du hasard. Pluie nocturne, mur de Hugomont, chemin creux d’Ohain, Grouchy sourd au canon, guide de Napoléon qui le trompe, guide de Bülow qui l’éclaire ; tout ce cataclysme est merveilleusement conduit.

    Au total, disons-le, il y eut à Waterloo plus de massacre que de bataille.

    Waterloo est de toutes les batailles rangées celle qui a le plus petit front sur un tel nombre de combattants. Napoléon, trois quarts de lieue, Wellington, une demi-lieue ; soixante-douze mille combattants de chaque côté. De cette épaisseur vint le carnage.

    On a fait ce calcul et établi cette proportion : Perte d’hommes : ― À Austerlitz, français, quatorze pour cent ; russes, trente pour cent ; autrichiens, quarante-quatre pour cent. À Wagram, français, treize pour cent ; autrichiens, quatorze. À la Moskowa, français, trente-sept pour cent ; russes, quarante-quatre. À Bautzen, français, treize pour cent ; russes et prussiens, quatorze. À Waterloo, français, cinquante-six pour cent ; alliés, trente et un. Total pour Waterloo, quarante et un pour cent. Cent quarante-quatre mille combattants ; soixante mille morts.

    Le champ de Waterloo aujourd’hui a le calme qui appartient à la terre, support impassible de l’homme, et il ressemble à toutes les plaines.

    La nuit pourtant une espèce de brume visionnaire s’en dégage, et si quelque voyageur s’y promène, s’il regarde, s’il écoute, s’il rêve comme Virgile devant les funestes plaines de Philippes, l’hallucination de la catastrophe le saisit. L’effrayant 18 juin revit ; la fausse colline monument s’efface, ce lion quelconque se dissipe, le champ de bataille reprend sa réalité ; des lignes d’infanterie ondulent dans la plaine, des galops furieux traversent l’horizon ; le songeur effaré voit l’éclair des sabres, l’étincelle des bayonnettes, le flamboiement des bombes, l’entrecroisement monstrueux des tonnerres ; il entend, comme un râle au fond d’une tombe, la clameur vague de la bataille fantôme ; ces ombres, ce sont les grenadiers ; ces lueurs, ce sont les cuirassiers ; ce squelette, c’est Napoléon ; ce squelette, c’est Wellington ; tout cela n’est plus et se heurte et combat encore ; et les ravins s’empourprent, et les arbres frissonnent, et il y a de la furie jusque dans les nuées, et, dans les ténèbres, toutes ces hauteurs farouches, Mont-Saint-Jean, Hougomont, Frischemont, Papelotte, Plancenoit, apparaissent confusément couronnées de tourbillons de spectres s’exterminant.


     

    XVII


     

    FAUT-IL TROUVER BON WATERLOO ?


     

    Il existe une école libérale très respectable qui ne hait point Waterloo. Nous n’en sommes pas. Pour nous, Waterloo n’est que la date stupéfaite de la liberté. Qu’un tel aigle sorte d’un tel œuf, c’est à coup sûr l’inattendu.

    Waterloo, si l’on se place au point de vue culminant de la question, est intentionnellement une victoire contre-révolutionnaire. C’est l’Europe contre la France, c’est Pétersbourg, Berlin et Vienne contre Paris, c’est le statu quo contre l’initiative, c’est le 14 juillet 1789 attaqué à travers le 20 mars 1815, c’est le branle-bas des monarchies contre l’indomptable émeute française. Éteindre enfin ce vaste peuple en éruption depuis vingt-six ans, tel était le rêve. Solidarité des Brunswick, des Nassau, des Romanoff, des Hohenzollern, des Habsburg, avec les Bourbons. Waterloo porte en croupe le droit divin. Il est vrai que, l’empire ayant été despotique, la royauté, par la réaction naturelle des choses, devait forcément être libérale, et qu’un ordre constitutionnel à contre-cœur est sorti de Waterloo, au grand regret des vainqueurs. C’est que la révolution ne peut être vraiment vaincue, et qu’étant providentielle et absolument fatale, elle reparaît toujours, avant Waterloo, dans Bonaparte jetant bas les vieux trônes, après Waterloo, dans Louis XVIII octroyant et subissant la Charte. Bonaparte met un postillon sur le trône de Naples et un sergent sur le trône de Suède, employant l’inégalité à démontrer l’égalité ; Louis XVIII à Saint-Ouen contresigne la déclaration des droits de l’homme. Voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que la révolution, appelez-la Progrès ; et voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que le progrès, appelez-le Demain. Demain fait irrésistiblement son œuvre, et il la fait dès aujourd’hui. Il arrive toujours à son but, étrangement. Il emploie Wellington à faire de Foy, qui n’était qu’un soldat, un orateur. Foy tombe à Hougomont et se relève à la tribune. Ainsi procède le progrès. Pas de mauvais outil pour cet ouvrier-là. Il ajuste à son travail divin, sans se déconcerter, l’homme qui a enjambé les Alpes, et le bon vieux malade chancelant du père Élysée. Il se sert du podagre comme du conquérant ; du conquérant au dehors, du podagre au dedans. Waterloo, en coupant court à la démolition des trônes européens par l’épée, n’a eu d’autre effet que de faire continuer le travail révolutionnaire d’un autre côté. Les sabreurs ont fini, c’est le tour des penseurs. Le siècle que Waterloo voulait arrêter a marché dessus et a poursuivi sa route. Cette victoire sinistre a été vaincue par la liberté.

    En somme, et incontestablement, ce qui triomphait à Waterloo, ce qui souriait derrière Wellington, ce qui lui apportait tous les bâtons de maréchal de l’Europe, y compris, dit-on, le bâton de maréchal de France, ce qui roulait joyeusement les brouettées de terre pleine d’ossements pour élever la butte du lion, ce qui a triomphalement écrit sur ce piédestal cette date : 18 juin 1815, ce qui encourageait Blücher sabrant la déroute, ce qui du haut du plateau de Mont-Saint-Jean se penchait sur la France comme sur une proie, c’était la contre-révolution. C’est la contre-révolution qui murmurait ce mot infâme : démembrement. Arrivée à Paris, elle a vu le cratère de près, elle a senti que cette cendre lui brûlait les pieds, et elle s’est ravisée. Elle est revenue au bégaiement d’une charte.

    Ne voyons dans Waterloo que ce qui est dans Waterloo. De liberté intentionnelle, point. La contre-révolution était involontairement libérale, de même que, par un phénomène correspondant, Napoléon était involontairement révolutionnaire. Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné.


     

    XVIII


     

    RECRUDESCENCE DU DROIT DIVIN


     

    Fin de la dictature. Tout un système d’Europe croula.

    L’empire s’affaissa dans une ombre qui ressembla à celle du monde romain expirant. On revit de l’abîme comme au temps des barbares. Seulement la barbarie de 1815, qu’il faut nommer, de son petit nom, la contre-révolution, avait peu d’haleine, s’essouffla vite, et resta court. L’empire, avouons-le, fut pleuré, et pleuré par des yeux héroïques. Si la gloire est dans le glaive fait sceptre, l’empire avait été la gloire même. Il avait répandu sur la terre toute la lumière que la tyrannie peut donner ; lumière sombre. Disons plus : lumière obscure. Comparée au vrai jour, c’est de la nuit. Cette disparition de la nuit fit l’effet d’une éclipse.

    Louis XVIII rentra dans Paris. Les danses en rond du 8 juillet effacèrent les enthousiasmes du 20 mars. Le corse devint l’antithèse du béarnais. Le drapeau du dôme des Tuileries fut blanc. L’exil trôna. La table de sapin de Hartwell prit place devant le fauteuil fleurdelysé de Louis XIV. On parla de Bouvines et de Fontenoy comme d’hier, Austerlitz ayant vieilli. L’autel et le trône fraternisèrent majestueusement. Une des formes les plus incontestées du salut de la société au dix-neuvième siècle s’établit sur la France et sur le continent. L’Europe prit la cocarde blanche. Trestaillon fut célèbre. La devise non pluribus impar reparut dans des rayons de pierre figurant un soleil sur la façade de la caserne du quai d’Orsay. Où il y avait eu une garde impériale, il y eut une maison rouge. L’arc du Carrousel, tout chargé de victoires mal portées, dépaysé dans ces nouveautés, un peu honteux peut-être de Marengo et d’Arcole, se tira d’affaire avec la statue du duc d’Angoulême. Le cimetière de la Madeleine, redoutable fosse commune de 93, se couvrit de marbre et de jaspe, les os de Louis XVI et de Marie-Antoinette étant dans cette poussière. Dans le fossé de Vincennes, un cippe sépulcral sortit de terre, rappelant que le duc d’Enghien était mort dans le mois même où Napoléon avait été couronné. Le pape Pie VII, qui avait fait ce sacre très près de cette mort, bénit tranquillement la chute comme il avait béni l’élévation. Il y eut à Schœnbrunn une petite ombre âgée de quatre ans qu’il fut séditieux d’appeler le roi de Rome. Et ces choses se sont faites, et ces rois ont repris leurs trônes, et le maître de l’Europe a été mis dans une cage, et l’ancien régime est devenu le nouveau, et toute l’ombre et toute la lumière de la terre ont changé de place, parce que, dans l’après-midi d’un jour d’été, un pâtre a dit à un prussien dans un bois : passez par ici et non par là !

    Ce 1815 fut une sorte d’avril lugubre. Les vieilles réalités malsaines et vénéneuses se couvrirent d’apparences neuves. Le mensonge épousa 1789, le droit divin se masqua d’une charte, les fictions se firent constitutionnelles, les préjugés, les superstitions et les arrière-pensées, avec l’article 14 au cœur, se vernirent de libéralisme. Changement de peau des serpents.

    L’homme avait été à la fois agrandi et amoindri par Napoléon. L’idéal, sous ce règne de la matière splendide, avait reçu le nom étrange d’idéologie. Grave imprudence d’un grand homme, tourner en dérision l’avenir. Les peuples cependant, cette chair à canon si amoureuse du canonnier, le cherchaient des yeux. Où est-il ? Que fait-il ? Napoléon est mort, disait un passant à un invalide de Marengo et de Waterloo. — Lui mort ! s’écria ce soldat, vous le connaissez bien ! Les imaginations déifiaient cet homme terrassé. Le fond de l’Europe, après Waterloo, fut ténébreux. Quelque chose d’énorme resta longtemps vide par l’évanouissement de Napoléon.

    Les rois se mirent dans ce vide. La vieille Europe en profita pour se reformer. Il y eut une Sainte-Alliance. Belle-Alliance, avait dit d’avance le champ fatal de Waterloo.

    En présence et en face de cette antique Europe refaite, les linéaments d’une France nouvelle s’ébauchèrent. L’avenir, raillé par l’empereur, fit son entrée. Il avait sur le front cette étoile, Liberté. Les yeux ardents des jeunes générations se tournèrent vers lui. Chose singulière, on s’éprit en même temps de cet avenir, Liberté, et de ce passé, Napoléon. La défaite avait grandi le vaincu. Bonaparte tombé semblait plus haut que Napoléon debout. Ceux qui avaient triomphé eurent peur. L’Angleterre le fit garder par Hudson Lowe et la France le fit guetter par Montchenu. Ses bras croisés devinrent l’inquiétude des trônes. Alexandre le nommait : mon insomnie. Cet effroi venait de la quantité de révolution qu’il avait en lui. C’est ce qui explique et excuse le libéralisme bonapartiste. Ce fantôme donnait le tremblement au vieux monde. Les rois régnèrent mal à leur aise, avec le rocher de Sainte-Hélène à l’horizon.

    Pendant que Napoléon agonisait à Longwood, les soixante mille hommes tombés dans le champ de Waterloo pourrirent tranquillement, et quelque chose de leur paix se répandit dans le monde. Le congrès de Vienne en fit les traités de 1815, et l’Europe nomma cela la restauration.

    Voilà ce que c’est que Waterloo.

    Mais qu’importe à l’infini ? Toute cette tempête, tout ce nuage, cette guerre, puis cette paix, toute cette ombre, ne troubla pas un moment la lueur de l’œil immense devant lequel un puceron sautant d’un brin d’herbe à l’autre égale l’aigle volant de clocher en clocher aux tours de Notre-Dame.


     

    XIX


     

    LE CHAMP DE BATAILLE LA NUIT


     

    Revenons, c’est une nécessité de ce livre, sur ce fatal champ de bataille.

    Le 18 juin 1815, c’était pleine lune. Cette clarté favorisa la poursuite féroce de Blücher, dénonça les traces des fuyards, livra cette masse désastreuse à la cavalerie prussienne acharnée, et aida au massacre. Il y a parfois dans les catastrophes de ces tragiques complaisances de la nuit.

    Après le dernier coup de canon tiré, la plaine de Mont-Saint-Jean resta déserte.

    Les anglais occupèrent le campement des français ; c’est la constatation habituelle de la victoire ; coucher dans le lit du vaincu. Ils établirent leur bivouac au delà de Rossomme. Les prussiens, lâchés sur la déroute, poussèrent en avant, Wellington alla au village de Waterloo rédiger son rapport à lord Bathurst.

    Si jamais le sic vos non vobis a été applicable, c’est à coup sûr à ce village de Waterloo. Waterloo n’a rien fait, et est resté à une demi-lieue de l’action. Mont-Saint-Jean a été canonné, Hougomont a été brûlé, Plancenoit a été brûlé, la Haie-Sainte a été prise d’assaut, la Belle-Alliance a vu l’embrasement des deux vainqueurs ; on sait à peine ces noms, et Waterloo qui n’a point travaillé dans la bataille en a tout l’honneur.

    Nous ne sommes pas de ceux qui flattent la guerre ; quand l’occasion s’en présente, nous lui disons ses vérités. La guerre a d’affreuses beautés que nous n’avons point cachées ; elle a aussi, convenons-en, quelques laideurs. Une des plus surprenantes, c’est le prompt dépouillement des morts après la victoire. L’aube qui suit une bataille se lève toujours sur des cadavres nus.

    Qui fait cela ? Qui souille ainsi le triomphe ? Quelle est cette hideuse main furtive qui se glisse dans la poche de la victoire ? Quels sont ces filous faisant leur coup derrière la gloire ? Quelques philosophes, Voltaire entre autres, affirment que ce sont précisément ceux-là qui ont fait la gloire. Ce sont les mêmes, disent-ils, il n’y a pas de rechange, ceux qui sont debout pillent ceux qui sont à terre. Le héros du jour est le vampire de la nuit. On a bien le droit, après tout, de détrousser un peu un cadavre dont on est l’auteur. Quant à nous, nous ne le croyons pas. Cueillir des lauriers et voler les souliers d’un mort, cela nous semble impossible à la même main.

    Ce qui est certain, c’est que, d’ordinaire, après les vainqueurs viennent les voleurs. Mais mettons le soldat, surtout le soldat contemporain, hors de cause.

    Toute armée a une queue, et c’est là ce qu’il faut accuser. Des êtres chauves-souris, mi-partis brigands et valets, toutes les espèces de vespertilio qu’engendre ce crépuscule qu’on appelle la guerre, des porteurs d’uniformes qui ne combattent pas, de faux malades, des éclopés redoutables, des cantiniers interlopes trottant quelquefois avec leurs femmes, sur de petites charrettes et volant ce qu’ils revendent, des mendiants s’offrant pour guides aux officiers, des goujats, des maraudeurs, les armées en marche autrefois, — nous ne parlons pas du temps présent, — traînaient tout cela, si bien que, dans la langue spéciale, cela s’appelait « les traînards ». Aucune armée ni aucune nation n’étaient responsables de ces êtres ; ils parlaient italien et suivaient les allemands ; ils parlaient français et suivaient les anglais. C’est par un de ces misérables, traînard espagnol qui parlait français, que le marquis de Fervacques, trompé par son baragouin picard, et le prenant pour un des nôtres, fut tué en traître et volé sur le champ de bataille même, dans la nuit qui suivit la victoire de Cerisoles. De la maraude naissait le maraud. La détestable maxime : vivre sur l’ennemi, produisait cette lèpre, qu’une forte discipline pouvait seule guérir. Il y a des renommées qui trompent ; on ne sait pas toujours pourquoi de certains généraux, grands d’ailleurs, ont été si populaires. Turenne était adoré de ses soldats parce qu’il tolérait le pillage ; le mal permis fait partie de la bonté ; Turenne était si bon qu’il a laissé mettre à feu et à sang le Palatinat. On voyait à la suite des armées moins ou plus de maraudeurs selon que le chef était plus ou moins sévère. Hoche et Marceau n’avaient point de traînards ; Wellington, nous lui rendons volontiers cette justice, en avait peu.

    Pourtant, dans la nuit du 18 au 19 juin, on dépouilla les morts. Wellington fut rigide ; ordre de passer par les armes quiconque serait pris en flagrant délit ; mais la rapine est tenace. Les maraudeurs volaient dans un coin du champ de bataille pendant qu’on les fusillait dans l’autre.

    La lune était sinistre sur cette plaine.

    Vers minuit, un homme rôdait, ou plutôt rampait, du côté du chemin creux d’Ohain. C’était, selon toute apparence, un de ceux que nous venons de caractériser, ni anglais, ni français, ni paysan, ni soldat, moins homme que goule, attiré par le flair des morts, ayant pour victoire le vol, venant dévaliser Waterloo. Il était vêtu d’une blouse qui était un peu une capote, il était inquiet et audacieux, il allait devant lui et regardait derrière lui. Qu’était-ce que cet homme ? La nuit probablement en savait plus sur son compte que le jour. Il n’avait point de sac, mais évidemment de larges poches sous sa capote. De temps en temps, il s’arrêtait, examinait la plaine autour de lui comme pour voir s’il n’était pas observé, se penchait brusquement, dérangeait à terre quelque chose de silencieux et d’immobile, puis se redressait et s’esquivait. Son glissement, ses attitudes, son geste rapide et mystérieux le faisaient ressembler à ces larves crépusculaires qui hantent les ruines et que les anciennes légendes normandes appellent les Alleurs.

    De certains échassiers nocturnes font de ces silhouettes dans les marécages.

    Un regard qui eût sondé attentivement toute cette brume eût pu remarquer, à quelque distance, arrêté et comme caché derrière la masure qui borde sur la chaussée de Nivelles l’angle de la route de Mont-Saint-Jean à Braine-l’Alleud, une façon de petit fourgon de vivandier à coiffe d’osier goudronnée, attelé d’une haridelle affamée broutant l’ortie à travers son mors, et dans ce fourgon une espèce de femme assise sur des coffres et des paquets. Peut-être y avait-il un lien entre ce fourgon et ce rôdeur.

    L’obscurité était sereine. Pas un nuage au zénith. Qu’importe que la terre soit rouge, la lune reste blanche. Ce sont là les indifférences du ciel. Dans les prairies, des branches d’arbre cassées par la mitraille mais non tombées et retenues par l’écorce se balançaient doucement au vent de la nuit. Une haleine, presque une respiration, remuait les broussailles. Il y avait dans l’herbe des frissons qui ressemblaient à des départs d’âmes.

    On entendait vaguement au loin aller et venir les patrouilles et les rondes-major du campement anglais.

    Hougomont et la Haie-Sainte continuaient de brûler, faisant, l’un à l’ouest, l’autre à l’est, deux grosses flammes auxquelles venait se rattacher, comme un collier de rubis dénoué ayant à ses extrémités deux escarboucles, le cordon de feux du bivouac anglais étalé en demi-cercle immense sur les collines de l’horizon.

    Nous avons dit la catastrophe du chemin d’Ohain. Ce qu’avait été cette mort pour tant de braves, le cœur s’épouvante d’y songer.

    Si quelque chose est effroyable, s’il existe une réalité qui dépasse le rêve, c’est ceci : vivre, voir le soleil, être en pleine possession de la force virile, avoir la santé et la joie, rire vaillamment, courir vers une gloire qu’on a devant soi, éblouissante, se sentir dans la poitrine un poumon qui respire, un cœur qui bat, une volonté qui raisonne, parler, penser, espérer, aimer, avoir une mère, avoir une femme, avoir des enfants, avoir la lumière, et tout à coup, le temps d’un cri, en moins d’une minute, s’effondrer dans un abîme, tomber, rouler, écraser, être écrasé, voir des épis de blé, des fleurs, des feuilles, des branches, ne pouvoir se retenir à rien, sentir son sabre inutile, des hommes sous soi, des chevaux sur soi, se débattre en vain, les os brisés par quelque ruade dans les ténèbres, sentir un talon qui vous fait jaillir les yeux, mordre avec rage des fers de chevaux, étouffer, hurler, se tordre, être là-dessous, et se dire : tout à l’heure j’étais un vivant !

    Là où avait râlé ce lamentable désastre, tout faisait silence maintenant. L’encaissement du chemin creux était comble de chevaux et de cavaliers inextricablement amoncelés. Enchevêtrement terrible. Il n’y avait plus de talus, les cadavres nivelaient la route avec la plaine et venaient au ras du bord comme un boisseau d’orge bien mesuré. Un tas de morts dans la partie haute, une rivière de sang dans la partie basse ; telle était cette route, le soir du 18 juin 1815. Le sang coulait jusque sur la chaussée de Nivelles et s’y extravasait en une large mare devant l’abattis d’arbres qui barrait la chaussée, à un endroit qu’on montre encore. C’est, on s’en souvient, au point opposé, vers la chaussée de Genappe, qu’avait eu lieu l’effondrement des cuirassiers. L’épaisseur des cadavres se proportionnait à la profondeur du chemin creux. Vers le milieu, à l’endroit où il devenait plan, là où avait passé la division Delord, la couche des morts s’amincissait.

    Le rôdeur nocturne que nous venons de faire entrevoir au lecteur allait de ce côté, il furetait cette immense tombe. Il regardait. Il passait on ne sait quelle hideuse revue des morts. Il marchait les pieds dans le sang.

    Tout à coup il s’arrêta.

    À quelques pas devant lui, dans le chemin creux, au point où finissait le monceau des morts, de dessous cet amas d’hommes et de chevaux, sortait une main ouverte, éclairée par la lune.

    Cette main avait au doigt quelque chose qui brillait, et qui était un anneau d’or.

    L’homme se courba, demeura un moment accroupi, et quand il se releva, il n’y avait plus d’anneau à cette main.

    Il ne se releva pas précisément ; il resta dans une attitude fausse et effarouchée, tournant le dos au tas de morts, scrutant l’horizon, à genoux, tout l’avant du corps portant sur les deux index appuyés à terre, la tête guettant par-dessus le bord du chemin creux. Les quatre pattes du chacal conviennent à de certaines actions.

    Puis, prenant son parti, il se dressa.

    En ce moment il eut un soubresaut. Il sentit que par derrière on le tenait.

    Il se retourna ; c’était la main ouverte qui s’était refermée et qui avait saisi le pan de sa capote.

    Un honnête homme eût eu peur. Celui-ci se mit à rire.

    Tiens, dit-il, ce n’est que le mort. J’aime mieux un revenant qu’un gendarme.

    Cependant la main défaillit et le lâcha. L’effort s’épuise vite dans la tombe.

    Ah çà ! reprit le rôdeur, est-il vivant ce mort ? Voyons donc.

    Il se pencha de nouveau, fouilla le tas, écarta ce qui faisait obstacle, saisit la main, empoigna le bras, dégagea la tête, tira le corps, et quelques instants après il traînait dans l’ombre du chemin creux un homme inanimé, au moins évanoui. C’était un cuirassier, un officier, un officier même d’un certain rang ; une grosse épaulette d’or sortait de dessous la cuirasse ; cet officier n’avait plus de casque. Un furieux coup de sabre balafrait son visage où l’on ne voyait que du sang. Du reste, il ne semblait pas qu’il eût de membre cassé, et par quelque hasard heureux, si ce mot est possible ici, les morts s’étaient arc-boutés au-dessus de lui de façon à le garantir de l’écrasement. Ses yeux étaient fermés.

    Il avait sur sa cuirasse la croix d’argent de la Légion d’honneur.

    Le rôdeur arracha cette croix qui disparut dans un des gouffres qu’il avait sous sa capote.

    Après quoi, il tâta le gousset de l’officier, y sentit une montre et la prit. Puis il fouilla le gilet, y trouva une bourse et l’empocha.

    Comme il en était à cette phase des secours qu’il portait à ce mourant, l’officier ouvrit les yeux.

    Merci, dit-il faiblement.

    La brusquerie des mouvements de l’homme qui le maniait, la fraîcheur de la nuit, l’air respiré librement, l’avaient tiré de sa léthargie.

    Le rôdeur ne répondit point. Il leva la tête. On entendait un bruit de pas dans la plaine ; probablement quelque patrouille qui approchait.

    L’officier murmura, car il y avait encore de l’agonie dans sa voix :

    Qui a gagné la bataille ?

    Les anglais, répondit le rôdeur.

    L’officier reprit :

    Cherchez dans mes poches. Vous y trouverez une bourse et une montre. Prenez-les.

    C’était déjà fait.

    Le rôdeur exécuta le semblant demandé, et dit :

    Il n’y a rien.

    On m’a volé, reprit l’officier, j’en suis fâché. C’eût été pour vous.

    Les pas de la patrouille devenaient de plus en plus distincts.

    Voici qu’on vient, dit le rôdeur, faisant le mouvement d’un homme qui s’en va.

    L’officier, soulevant péniblement le bras, le retint : — Vous m’avez sauvé la vie. Qui êtes-vous ?

    Le rôdeur répondit vite et bas :

    J’étais comme vous de l’armée française. Il faut que je vous quitte. Si l’on me prenait, on me fusillerait. Je vous ai sauvé la vie. Tirez-vous d’affaire maintenant.

    Quel est votre grade ?

    Sergent.

    Comment vous appelez-vous ?

    Thénardier.

    Je n’oublierai pas ce nom, dit l’officier. Et vous, retenez le mien. Je me nomme Pontmercy.


    I


     

    LE NUMÉRO 24601 DEVIENT LE NUMÉRO 9430

    Jean Valjean avait été repris.

    On nous saura gré de passer rapidement sur des détails douloureux. Nous nous bornons à transcrire deux entrefilets publiés par les journaux du temps, quelques mois après les événements surprenants accomplis à Montreuil-sur-Mer.

    Ces articles sont un peu sommaires. On se souvient qu’il n’existait pas encore à cette époque de Gazette des Tribunaux.

    Nous empruntons le premier au Drapeau blanc. Il est daté du 25 juillet 1823 :


     

    « — Un arrondissement du Pas-de-Calais vient d’être le théâtre d’un événement peu ordinaire. Un homme étranger au département et nommé M. Madeleine avait relevé depuis quelques années, grâce à des procédés nouveaux, une ancienne industrie locale, la fabrication des jais et des verroteries noires. Il y avait fait sa fortune, et, disons-le, celle de l’arrondissement. En reconnaissance de ses services, on l’avait nommé maire. La police a découvert que ce M. Madeleine n’était autre qu’un ancien forçat en rupture de ban, condamné en 1796 pour vol, et nommé Jean Valjean. Jean Valjean a été réintégré au bagne. Il paraît qu’avant son arrestation il avait réussi à retirer de chez M. Laffitte une somme de plus d’un demi-million qu’il y avait placée, et qu’il avait, du reste, très légitimement, dit-on, gagnée dans son commerce. On n’a pu savoir où Jean Valjean avait caché cette somme depuis sa rentrée au bagne de Toulon. »


     

    Le deuxième article, un peu plus détaillé, est extrait du Journal de Paris, même date.


     

    « — Un ancien forçat libéré, nommé Jean Valjean, vient de comparaître devant la cour d’assises du Var dans des circonstances faites pour appeler l’attention. Ce scélérat était parvenu à tromper la vigilance de la police ; il avait changé de nom et avait réussi à se faire nommer maire d’une de nos petites villes du Nord. Il avait établi dans cette ville un commerce assez considérable. Il a été enfin démasqué et arrêté, grâce au zèle infatigable du ministère public. Il avait pour concubine une fille publique qui est morte de saisissement au moment de son arrestation. Ce misérable, qui est doué d’une force herculéenne, avait trouvé moyen de s’évader ; mais, trois ou quatre jours après son évasion, la police mit de nouveau la main sur lui, à Paris même, au moment où il montait dans une de ces petites voitures qui font le trajet de la capitale au village de Montfermeil (Seine-et-Oise). On dit qu’il avait profité de l’intervalle de ces trois ou quatre jours de liberté pour retirer une somme considérable placée par lui chez un de nos principaux banquiers. On évalue cette somme à six ou sept cent mille francs. À en croire l’acte d’accusation, il l’aurait enfouie en un lieu connu de lui seul et l’on n’a pas pu la saisir. Quoi qu’il en soit, le nommé Jean Valjean vient d’être traduit aux assises du département du Var comme accusé d’un vol de grand chemin commis à main armée, il y a huit ans environ, sur la personne d’un de ces honnêtes enfants qui, comme l’a dit le patriarche de Ferney en vers immortels :

  • «… De Savoie arrivent tous les ans
    « Et dont la main légèrement essuie
    « Ces longs canaux engorgés par la suie.
  • Il le faut, disait un guerrier.
  • Je les donnerai, dit la mère, j’ai quatre-vingts francs. Il me restera de quoi aller au pays. En allant à pied. Je gagnerai de l’argent là-bas, et dès que j’en aurai un peu, je reviendrai chercher l’amour.

    La voix d’homme reprit :

    La petite a un trousseau ?

    C’est mon mari, dit la Thénardier.

    Sans doute elle a un trousseau, le pauvre trésor. J’ai bien vu que c’était votre mari. Et un beau trousseau encore ! un trousseau insensé. Tout par douzaines ; et des robes de soie comme une dame. Il est là dans mon sac de nuit.

    Il faudra le donner, repartit la voix d’homme.

    Je crois bien que je le donnerai ! dit la mère. Ce serait cela qui serait drôle si je laissais ma fille toute nue !

    La face du maître apparut.

    C’est bon, dit-il.

    Le marché fut conclu. La mère passa la nuit à l’auberge, donna son argent et laissa son enfant, renoua son sac de nuit dégonflé du trousseau et léger désormais, et partit le lendemain matin, comptant revenir bientôt. On arrange tranquillement ces départs-là, mais ce sont des désespoirs.

    Une voisine des Thénardier rencontra cette mère comme elle s’en allait, et s’en revint en disant :

    Je viens de voir une femme qui pleure dans la rue, que c’est un déchirement.

    Quand la mère de Cosette fut partie, l’homme dit à la femme :

    Cela va me payer mon effet de cent dix francs qui échoit demain. Il me manquait cinquante francs. Sais-tu que j’aurais eu l’huissier et un protêt ? Tu as fait là une bonne souricière avec tes petites.

    Sans m’en douter, dit la femme.


     

    II

    PREMIÈRE ESQUISSE
    DE DEUX FIGURES LOUCHES


     

    La souris prise était bien chétive ; mais le chat se réjouit même d’une souris maigre.

    Qu’était-ce que les Thénardier ?

    Disons-en un mot dès à présent. Nous compléterons le croquis plus tard.

    Ces êtres appartenaient à cette classe bâtarde composée de gens grossiers parvenus et de gens intelligents déchus,qui est entre la classe dite moyenne et la classe dite inférieure, et qui combine quelques-uns des défauts de la seconde avec presque tous les vices de la première, sans avoir le généreux élan de l’ouvrier ni l’ordre honnête du bourgeois.

    C’étaient de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d’une brute et dans l’homme l’étoffe d’un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l’espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu’elles n’y avancent, employant l’expérience à augmenter leur difformité, empirant sans cesse, et s’imprégnant de plus en plus d’une noirceur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.

    Le Thénardier particulièrement était gênant pour le physionomiste. On n’a qu’à regarder certains hommes pour s’en défier, on les sent ténébreux à leurs deux extrémités. Ils sont inquiets derrière eux et menaçants devant eux. Il y a en eux de l’inconnu. On ne peut pas plus répondre de ce qu’ils ont fait que de ce qu’ils feront. L’ombre qu’ils ont dans le regard les dénonce. Rien qu’en les entendant dire un mot ou qu’en les voyant faire un geste on entrevoit de sombres secrets dans leur passé et de sombres mystères dans leur avenir.

    Ce Thénardier, s’il fallait l’en croire, avait été soldat ; sergent, disait-il ; il avait fait probablement la campagne de 1815, et s’était même comporté assez bravement, à ce qu’il paraît. Nous verrons plus tard ce qu’il en était. L’enseigne de son cabaret était une allusion à l’un de ses faits d’armes. Il l’avait peinte lui-même, car il savait faire un peu de tout ; mal.

    C’était l’époque où l’antique roman classique, qui, après avoir été Clélie, n’était plus que Lodoïska, toujours noble, mais de plus en plus vulgaire, tombé de mademoiselle de Scudéri à madame Bournon-Malarme, et de madame de Lafayette à madame Barthélémy-Hadot, incendiait l’âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue. Madame Thénardier était juste assez intelligente pour lire ces espèces de livres. Elle s’en nourrissait. Elle y noyait ce qu’elle avait de cervelle ; cela lui avait donné, tant qu’elle avait été très jeune, et même un peu plus tard, une sorte d’attitude pensive près de son mari, coquin d’une certaine profondeur, ruffian lettré à la grammaire près, grossier et fin en même temps, mais, en fait de sentimentalisme, lisant Pigault-Lebrun, et pour « tout ce qui touche le sexe », comme il disait dans son jargon, butor correct et sans mélange. Sa femme avait quelque douze ou quinze ans de moins que lui. Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la Mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu’une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aînée se nomma Éponine. Quant à la cadette, la pauvre petite faillit se nommer Gulnare ; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil, de ne s’appeler qu’Azelma.

    Au reste, pour le dire en passant, tout n’est pas ridicule et superficiel dans cette curieuse époque à laquelle nous faisons ici allusion, et qu’on pourrait appeler l’anarchie des noms de baptême. À côté de l’élément romanesque, que nous venons d’indiquer, il y a le symptôme social. Il n’est pas rare aujourd’hui que le garçon bouvier se nomme Arthur, Alfred ou Alphonse, et que le vicomte — s’il y a encore des vicomtes — se nomme Thomas, Pierre ou Jacques. Ce déplacement qui met le nom « élégant » sur le plébéien et le nom campagnard sur l’aristocrate n’est autre chose qu’un remous d’égalité. L’irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde : la révolution française.


     

    III

    L’ALOUETTE.


     

    Il ne suffit pas d’être méchant pour prospérer. La gargote allait mal.

    Grâce aux cinquante-sept francs de la voyageuse, Thénardier avait pu éviter un protêt et faire honneur à sa signature. Le mois suivant ils eurent encore besoin d’argent ; la femme porta à Paris et engagea au mont-de-piété le trousseau de Cosette pour une somme de soixante francs. Dès que cette somme fut dépensée, les Thénardier s’accoutumèrent à ne plus voir dans la petite fille qu’un enfant qu’ils avaient chez eux par charité, et la traitèrent en conséquence. Comme elle n’avait plus de trousseau, on l’habilla des vieilles jupes et des vieilles chemises des petites Thénardier, c’est-à-dire de haillons. On la nourrit des restes de tout le monde, un peu mieux que le chien et un peu plus mal que le chat. Le chat et le chien étaient du reste ses commensaux habituels ; Cosette mangeait avec eux sous la table dans une écuelle de bois pareille à la leur.

    La mère, qui s’était fixée, comme on le verra plus tard, à Montreuil-sur-mer, écrivait, ou, pour mieux dire, faisait écrire tous les mois afin d’avoir des nouvelles de son enfant. Les Thénardier répondaient invariablement : Cosette est à merveille.

    Les six premiers mois révolus, la mère envoya sept francs pour le septième mois, et continua assez exactement ses envois de mois en mois. L’année n’était pas finie que le Thénardier dit : – Une belle grâce qu’elle nous fait là ! que veut-elle que nous fassions avec ses sept francs ? Et il écrivit pour exiger douze francs. La mère, à laquelle ils persuadaient que son enfant était heureuse « et venait bien », se soumit et envoya les douze francs.

    Certaines natures ne peuvent aimer d’un côté sans haïr de l’autre. La mère Thénardier aimait passionnément ses deux filles à elle, ce qui fit qu’elle détesta l’étrangère. Il est triste de songer que l’amour d’une mère peut avoir de vilains aspects. Si peu de place que Cosette tînt chez elle, il lui semblait que cela était pris aux siens, et que cette petite diminuait l’air que ses filles respiraient. Cette femme, comme beaucoup de femmes de sa sorte, avait une somme de caresses et une somme de coups et d’injures à dépenser chaque jour. Si elle n’avait pas eu Cosette, il est certain que ses filles, tout idolâtrées qu’elles étaient, auraient tout reçu ; mais l’étrangère leur rendit le service de détourner les coups sur elle. Ses filles n’eurent que les caresses. Cosette ne faisait pas un mouvement qui ne fît pleuvoir sur sa tête une grêle de châtiments violents et immérités. Doux être faible qui ne devait rien comprendre à ce monde ni à Dieu, sans cesse punie, grondée, rudoyée, battue et voyant à côté d’elle deux petites créatures comme elle, qui vivaient dans un rayon d’aurore !

    La Thénardier étant méchante pour Cosette, Éponine et Azelma furent méchantes. Les enfants, à cet âge, ne sont que des exemplaires de la mère. Le format est plus petit, voilà tout.

    Une année s’écoula, puis une autre.

    On disait dans le village :

    Ces Thénardier sont de braves gens. Ils ne sont pas riches, et ils élèvent un pauvre enfant qu’on leur a abandonné chez eux !

    On croyait Cosette oubliée par sa mère.

    Cependant le Thénardier, ayant appris par on ne sait quelles voies obscures que l’enfant était probablement bâtard et que la mère ne pouvait l’avouer, exigea quinze francs par mois, disant que « la créature » grandissait et mangeait, et menaçant de la renvoyer. « Qu’elle ne m’embête pas ! » s’écriait-il, « je lui bombarde son mioche tout au beau milieu de ses cachoteries. Il me faut de l’augmentation. » La mère paya les quinze francs.

    D’année en année, l’enfant grandit, et sa misère aussi.

    Tant que Cosette fut toute petite, elle fut le souffre-douleur des deux autres enfants ; dès qu’elle se mit à se développer un peu, c’est-à-dire avant même qu’elle eût cinq ans, elle devint la servante de la maison.

    Cinq ans, dira-t-on, c’est invraisemblable. Hélas, c’est vrai. La souffrance sociale commence à tout âge. N’avons-nous pas vu, récemment, le procès d’un nommé Dumolard, orphelin devenu bandit, qui, dès l’âge de cinq ans, disent les documents officiels, étant seul au monde « travaillait pour vivre, et volait ».

    On fit faire à Cosette les commissions, balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter même des fardeaux. Les Thénardier se crurent d’autant plus autorisés à agir ainsi que la mère qui était toujours à Montreuil-sur-mer commença à mal payer. Quelques mois restèrent en souffrance.

    Si cette mère fût revenue à Montfermeil au bout de ces trois années, elle n’eût point reconnu son enfant. Cosette, si jolie et si fraîche à son arrivée dans cette maison, était maintenant maigre et blême. Elle avait je ne sais quelle allure inquiète. Sournoise ! disaient les Thénardier.

    L’injustice l’avait faite hargneuse et la misère l’avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils étaient, il semblait qu’on y vît une plus grande quantité de tristesse.

    C’était une chose navrante de voir, l’hiver, ce pauvre enfant, qui n’avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toile trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux.

    Dans le pays on l’appelait l’Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s’était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu’un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l’aube.

    Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais.


     


     

    I

    HISTOIRE D’UN PROGRÈS DANS LES VERROTERIES NOIRES


     

    Cette mère cependant qui, au dire des gens de Montfermeil, semblait avoir abandonné son enfant, que devenait-elle ? où était-elle ? que faisait-elle ?

    Après avoir laissé sa petite Cosette aux Thénardier, elle avait continué son chemin et était arrivée à Montreuil-sur-Mer. C’était, on se le rappelle, en 1818.

    Fantine avait quitté sa province depuis une dizaine d’années. Montreuil-sur-Mer avait changé d’aspect. Tandis que Fantine descendait lentement de misère en misère, sa ville natale avait prospéré.

    Depuis deux ans environ, il s’y était accompli un de ces faits industriels qui sont les grands événements des petits pays.

    Ce détail importe, et nous croyons utile de le développer ; nous dirions presque, de le souligner.

    De temps immémorial, Montreuil-sur-Mer avait pour industrie spéciale l’imitation des jais anglais et des verroteries noires d’Allemagne. Cette industrie avait toujours végété, à cause de la cherté des matières premières qui réagissait sur la main-d’œuvre. Au moment où Fantine revint à Montreuil-sur-Mer, une transformation inouïe s’était opérée dans cette production des « articles noirs ». Vers la fin de 1815, un homme, un inconnu, était venu s’établir dans la ville et avait eu l’idée de substituer, dans cette fabrication, la gomme laque à la résine et, pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée. Ce tout petit changement avait été une révolution.

    Ce tout petit changement en effet avait prodigieusement réduit le prix de la matière première, ce qui avait permis, premièrement d’élever le prix de la main-d’œuvre, bienfait pour le pays, deuxièmement d’améliorer la fabrication, avantage pour le consommateur, troisièmement de vendre à meilleur marché tout en triplant le bénéfice, profit pour le manufacturier.

    Ainsi pour une idée trois résultats.

    En moins de trois ans, l’auteur de ce procédé était devenu riche, ce qui est bien, et avait tout fait riche autour de lui, ce qui est mieux. Il était étranger au département ! De son origine, on ne savait rien ; de ses commencements, peu de chose.

    On contait qu’il était venu dans la ville avec fort peu d’argent, quelques centaines de francs tout au plus.

    C’est de ce mince capital, mis au service d’une idée ingénieuse, fécondé par l’ordre et par la pensée, qu’il avait tiré sa fortune et la fortune de tout ce pays.

    À son arrivée à Montreuil-sur-Mer, il n’avait que les vêtements, la tournure et le langage d’un ouvrier.

    Il paraît que, le jour même où il faisait obscurément son entrée dans la petite ville de Montreuil-sur-Mer, à la tombée d’un soir de décembre, le sac au dos et le bâton d’épine à la main, un gros incendie venait d’éclater à la maison commune. Cet homme s’était jeté dans le feu, et avait sauvé, au péril de sa vie, deux enfants qui se trouvaient être ceux du capitaine de gendarmerie ; ce qui fait qu’on n’avait pas songé à lui demander son passe-port. Depuis lors, on avait su son nom. Il s’appelait le père Madeleine.


     

    II

    MADELEINE


     

    C’était un homme d’environ cinquante ans, qui avait l’air préoccupé et qui était bon. Voilà tout ce qu’on en pouvait dire.

    Grâce aux progrès rapides de cette industrie qu’il avait si admirablement remaniée, Montreuil-sur-Mer, pour ce commerce, faisait presque concurrence à Londres et à Berlin, Les bénéfices du père Madeleine étaient tels que, dès la deuxième année, il avait pu bâtir une grande fabrique dans laquelle il y avait deux vastes ateliers, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Quiconque avait faim pouvait s’y présenter, et était sûr de trouver là de l’emploi et du pain. Le père Madeleine demandait aux hommes de la bonne volonté, aux femmes des mœurs pures, à tous de la probité. Il avait divisé les ateliers, afin de séparer les sexes et que les filles et les femmes pussent rester sages. Sur ce point, il était inflexible. C’était le seul où il fût en quelque sorte intolérant. Il était d’autant plus fondé à cette sévérité que, Montreuil-sur-Mer étant une ville de garnison, les occasions de corruption abondaient. Du reste sa venue avait été un bienfait, et sa présence était une providence. Avant l’arrivée du père Madeleine, tout languissait dans le pays ; maintenant tout y vivait de la vie saine du travail. Une forte circulation échauffait tout et pénétrait partout. Le chômage et la misère étaient inconnus. Il n’y avait pas de poche si obscure où il n’y eût un peu d’argent, pas de logis si pauvre où il n’y eût un peu de joie.

    Le père Madeleine employait tout le monde. Il n’exigeait qu’une chose : soyez honnête homme ! soyez honnête fille !

    Comme nous l’avons dit, au milieu de cette activité dont il était la cause et le pivot, le père Madeleine faisait sa fortune, mais, chose assez singulière dans un simple homme de commerce, il ne paraissait point que ce fût là son principal souci. Il semblait qu’il songeât beaucoup aux autres et peu à lui. En 1820, on lui connaissait une somme de six cent mille francs, il avait dépensé plus d’un million pour la ville et pour les pauvres.

    L’hôpital était mal doté ; il y avait fondé deux lits. Montreuil-sur-Mer est divisé en ville haute et ville basse. La ville basse qu’il habitait n’avait qu’une école, méchante masure qui tombait en ruine ; il en avait construit deux, une pour les filles, l’autre pour les garçons. Il allouait de ses deniers aux deux instituteurs une indemnité double de leur maigre traitement officiel, et un jour, à quelqu’un qui s’en étonnait, il dit : « Les deux premiers fonctionnaires de l’état, c’est la nourrice et le maître d’école. » Il avait créé à ses frais une salle d’asile, chose alors presque inconnue en France, et une caisse de secours pour les ouvriers vieux et infirmes. Sa manufacture étant un centre, un nouveau quartier où il y avait bon nombre de familles indigentes avait rapidement surgi autour de lui ; il y avait établi une pharmacie gratuite.

    Dans les premiers temps, quand on le vit commencer, les bonnes âmes dirent : C’est un gaillard qui veut s’enrichir. Quand on le vit enrichir le pays avant de s’enrichir lui-même, les mêmes bonnes âmes dirent : C’est un ambitieux. Cela semblait d’autant plus probable que cet homme était religieux, et même pratiquait dans une certaine mesure, chose fort bien vue à cette époque. Il allait régulièrement entendre une basse messe tous les dimanches. Le député local, qui flairait partout des concurrences, ne tarda pas à s’inquiéter de cette religion. Ce député, qui avait été membre du corps législatif de l’empire, partageait les idées religieuses d’un père de l’oratoire connu sous le nom de Fouché, duc d’Otrante, dont il avait été la créature et l’ami. À huis clos il riait de Dieu doucement. Mais quand il vit le riche manufacturier Madeleine aller à la basse messe de sept heures, il entrevit un candidat possible, et résolut de lé dépasser ; il prit un confesseur jésuite et alla à la grand’messe et à vêpres. L’ambition en ce temps-là était, dans l’acception directe du mot, une course au clocher. Les pauvres profitèrent de cette terreur comme le bon Dieu, car l’honorable député fonda aussi deux lits à l’hôpital ; ce qui fit douze.

    Cependant en 1819 le bruit se répandit un matin dans la ville que, sur la présentation de M. le préfet et en considération des services rendus au pays, le père Madeleine allait être nommé par le roi maire de Montreuil-sur-Mer. Ceux qui avaient déclaré ce nouveau venu « un ambitieux » saisirent avec transport cette occasion que tous les hommes souhaitent de s’écrier : Là ! qu’est-ce que nous avions dit ? Tout Montreuil-sur-Mer fut en rumeur. Le bruit était fondé. Quelques jours après, la nomination parut dans le Moniteur. Le lendemain, le père Madeleine refusa.

    Dans cette même année 1819, les produits du nouveau procédé inventé par Madeleine figurèrent à l’exposition de l’industrie ; sur le rapport du jury, le roi nomma l’inventeur chevalier de la légion d’honneur. Nouvelle rumeur dans la petite ville. Eh bien ! c’est la croix qu’il voulait ! Le père Madeleine refusa la croix.

    Décidément cet homme était une énigme. Les bonnes âmes se tirèrent d’affaire en disant : Après tout, c’est une espèce d’aventurier.

    On l’a vu, le pays lui devait beaucoup, les pauvres lui devaient tout ; il était si utile qu’il avait bien fallu qu’on finît par l’aimer ; ses ouvriers en particulier l’adoraient, et il portait cette adoration avec une sorte de gravité mélancolique. Quand il fut constaté riche, « les personnes de la société » le saluèrent, et on l’appela dans la ville monsieur Madeleine ; ses ouvriers et les enfants continuèrent de l’appeler le père Madeleine, et c’était la chose qui le faisait le mieux sourire. À mesure qu’il montait, les invitations pleuvaient sur lui. « La société » le réclamait. Les petits salons guindés de Montreuil-sur-Mer qui, bien entendu, se fussent dans les premiers temps fermés à l’artisan, s’ouvrirent à deux battants au millionnaire. On lui fit mille avances. Il refusa.

    Cette fois encore les bonnes âmes ne furent point empêchées. — C’est un homme ignorant et de basse éducation. On ne sait d’où cela sort. Il ne saurait pas se tenir dans le monde. Il n’est pas du tout prouvé qu’il sache lire.

    Quand on l’avait vu gagner de l’argent, on avait dit : c’est un marchand. Quand on l’avait vu semer son argent, on avait dit : c’est un ambitieux. Quand on l’avait vu repousser les honneurs on avait dit : c’est un aventurier. Quand on le vit repousser le monde, on dit : c’est une brute.

    En 1820, cinq ans après son arrivée à Montreuil-sur-Mer, les services qu’il avait rendus au pays étaient si éclatants, le vœu de la contrée fut tellement unanime, que le roi le nomma de nouveau maire de la ville. Il refusa encore, mais le préfet résista à son refus, tous les notables vinrent le prier, le peuple en pleine rue le suppliait, l’insistance fut si vive qu’il finit par accepter. On remarqua que ce qui parut surtout le déterminer, ce fut l’apostrophe presque irritée d’une vieille femme du peuple qui lui cria du seuil de sa porte avec humeur : Un bon maire, c’est utile. Est-ce qu’on recule devant du bien qu’on peut faire ?

    Ce fut là la troisième phase de son ascension. Le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine, monsieur Madeleine devint monsieur le maire.


     

    III

    SOMMES DÉPOSÉES CHEZ LAFFITTE


     

    Du reste, il était demeuré aussi simple que le premier jour. Il avait les cheveux gris, l’œil sérieux, le teint hâlé d’un ouvrier, le visage pensif d’un philosophe. Il portait habituellement un chapeau à bords larges et une longue redingote de gros drap, boutonnée jusqu’au menton. Il remplissait ses fonctions de maire, mais hors de là il vivait solitaire. Il parlait à peu de monde, Il se dérobait aux politesses, saluait de côté, s’esquivait vite, souriait pour se dispenser de causer, donnait pour se dispenser de sourire. Les femmes disaient de lui : Quel bon ours ! Son plaisir était de se promener dans les champs.

    Il prenait ses repas toujours seul, avec un livre ouvert devant lui où il lisait. Il avait une petite bibliothèque bien faite. Il aimait les livres ; les livres sont des amis froids et sûrs. À mesure que le loisir lui venait avec la fortune, il semblait qu’il en profitât pour cultiver son esprit. Depuis qu’il était à Montreuil-sur-Mer, on remarquait que d’année en année son langage devenait plus poli, plus choisi et plus doux.

    Il emportait volontiers un fusil dans ses promenades, mais il s’en servait rarement. Quand cela lui arrivait par aventure, il avait un tir infaillible qui effrayait. Jamais il ne tuait un animal inoffensif. Jamais il ne tirait un petit oiseau.

    Quoiqu’il ne fût plus jeune, on contait qu’il était d’une force prodigieuse. Il offrait un coup de main à qui en avait besoin, relevait un cheval, poussait à une roue embourbée, arrêtait par les cornes un taureau échappé. Il avait toujours ses poches pleines de monnaie en sortant et vides en rentrant. Quand il passait dans un village, les marmots déguenillés couraient joyeusement après lui et l’entouraient comme une nuée de moucherons.

    On croyait deviner qu’il avait dû vivre jadis de la vie des champs, car il avait toutes sortes de secrets utiles qu’il enseignait aux paysans. Il leur apprenait à détruire la teigne des blés en aspergeant le grenier et en inondant les fentes du plancher d’une dissolution de sel commun, et à chasser les charançons en suspendant partout, aux murs et aux toits, dans les herbages et dans les maisons, de l’orviot en fleur. Il avait des « recettes » pour extirper d’un champ la luzette, la nielle, la vesce, la gaverolle, la queue-de-renard, toutes les herbes parasites qui mangent le blé. Il défendait une lapinière contre les rats, rien qu’avec l’odeur d’un petit cochon de Barbarie qu’il y mettait.

    Un jour il voyait des gens du pays très occupés à arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes déracinées èt déjà desséchées, et dit : — C’est mort. Cela serait pourtant bon si l’on savait s’en servir. Quant l’ortie est jeune, la feuille est un légume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile d’ortie vaut la toile de chanvre. Hachée, l’ortie est bonne pour la volaille ; broyée, elle est bonne pour lès bêtes à cornes, La graine de l’ortie mêlée au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la racine mêlée au sel produit une belle couleur jaune. C’est du reste un excellent foin qu’on peut faucher deux fois. Et que faut-il à l’ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe à mesure qu’elle mûrit, et est difficile à récolter. Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent à l’ortie ! — Il ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.

    Les enfants l’aimaient encore parce qu’il savait faire de charmants petits ouvrages avec de la paille et des noix de coco.

    Quand il voyait la porte d’une église tendue de noir, il entrait ; il recherchait un enterrement comme d’autres recherchent un baptême. Le veuvage et le malheur d’autrui l’attiraient à cause de sa grande douceur ; il se mêlait aux amis en deuil, aux familles vêtues de noir, aux prêtres gémissant autour d’un cercueil. Il semblait donner volontiers pour texte à ses pensées ces psalmodies funèbres pleines de la vision d’un autre monde. L’œil au ciel, il écoutait, avec une sorte d’aspiration vers tous les mystères de l’infini, ces voix tristes qui chantent sur le bord de l’abîme obscur de la mort.

    Il faisait une foule de bonnes actions en se cachant comme on se cache pour les mauvaises. Il pénétrait à la dérobée, le soir, dans les maisons ; il montait furtivement des escaliers. Un pauvre diable, en rentrant dans son galetas, trouvait que sa porte avait été ouverte, quelquefois même forcée, dans son absence. Le pauvre homme se récriait : quelque malfaiteur est venu ! Il entrait, et la première chose qu’il voyait, c’était une pièce d’or oubliée sur un meuble. « Le malfaiteur » qui était venu, c’était le père Madeleine.

    Il était affable et triste. Le peuple disait : Voilà un homme riche qui n’a pas l’air fier. Voilà un homme heureux qui n’a pas l’air content.

    Quelques-uns prétendaient que c’était un personnage mystérieux et affirmaient qu’on n’entrait jamais dans sa chambre, laquelle était une vraie cellule d’anachorète meublée de sabliers ailés et enjolivée de tibias en croix et de têtes de mort. Cela se disait beaucoup, si bien que quelques jeunes femmes élégantes et malignes de Montreuil-sur-Mer vinrent chez lui un jour, et lui demandèrent : — Monsieur le maire, montrez-nous donc votre chambre. On dît que c’est une grotte. — Il sourit, et les introduisit sur-le-champ dans cette « grotte ». Elles furent bien punies de leur curiosité. C’était une chambre garnie tout bonnement de meubles d’acajou assez laids comme tous les meubles de ce genre et tapissée de papier à douze sous. Elles n’y purent rien remarquer que deux flambeaux de forme vieillie qui étaient sur la cheminée et qui avaient l’air d’être en argent, « car ils étaient contrôlés ». Observation pleine de l’esprit des petites villes.

    On n’en continua pas moins de dire que personne ne pénétrait dans cette chambre et que c’était une caverne d’ermite, un rêvoir, un trou, un tombeau.

    On se chuchotait aussi qu’il avait des sommes « immenses » déposées chez Laffitte, avec cette particularité qu’elles étaient toujours à sa disposition immédiate, de telle sorte, ajoutait-on, que M. Madeleine pourrait arriver un matin chez Laffitte, signer un reçu et emporter ses deux ou trois millions en dix minutes. Dans la réalité ces « deux ou trois millions » se réduisaient, nous l’avons dit, à six cent trente ou quarante mille francs.


     

    IV

    M. MADELEINE EN DEUIL


     

    Au commencement de 1821, les journaux annoncèrent la mort de M. Myriel, évêque de Digne, « surnommé monseigneur Bienvenu », et trépassé en odeur de sainteté à l’âge de quatre-vingt-deux ans,

    L’évêque de Digne, pour ajouter ici un détail que les journaux omirent, était, quand il mourut, depuis plusieurs années aveugle, et content d’être aveugle, sa sœur étant près de lui.

    Disons-le en passant, être aveugle et être aimé, c’est en effet, sur cette terre où rien n’est complet, une des formes les plus étrangement exquises du bonheur. Avoir continuellement à ses côtés une femme, une fille, une sœur, un être charmant, qui est là parce que vous avez besoin d’elle et parce qu’elle ne peut se passer de vous, se savoir indispensable à qui nous est nécessaire, pouvoir incessamment mesurer son affection à la quantité de présence qu’elle nous donne, et se dire : puisqu’elle me consacre tout son temps, c’est que j’ai tout son cœur ; voir la pensée à défaut de la figure, constater la fidélité d’un être dans l’éclipse du monde ; percevoir le frôlement d’une robe comme un bruit d’ailes, l’entendre aller et venir, sortir, rentrer, parler, chanter, et songer qu’on est le centre de ces pas, de cette parole, de ce chant ; manifester à chaque minute sa propre attraction, se sentir d’autant plus puissant qu’on est plus infirme, devenir dans l’obscurité, et par l’obscurité, l’astre autour duquel gravite cet ange, peu de félicités égalent celle-là. Le suprême bonheur de la vie, c’est la conviction qu’on est aimé ; aimé pour soi-même, disons mieux, aimé malgré soi-même ; cette conviction, l’aveugle l’a. Dans celle détresse, être servi, c’est être caressé. Lui manque-t-il quelque chose ? Non. Ce n’est point perdre la lumière qu’avoir l’amour, Et quel amour ! un amour entièrement fait de vertu. Il n’y a point de cécité où il y a certitude. L’âme à tâtons cherche l’âme, et la trouve. Et cette âme trouvée et prouvée est une femme. Une main vous soutient, c’est la sienne ; une bouche effleure votre front, c’est sa bouche ; vous entendez une respiration tout près de vous, c’est elle. Tout avoir d’elle, depuis son culte jusqu’à sa pitié, n’être jamais quitté, avoir cette douce faiblesse qui vous secourt, s’appuyer sur ce roseau inébranlable, toucher de ses mains la providence et pouvoir la prendre dans ses bras ; Dieu palpable, quel ravissement ! Le cœur, cette céleste fleur obscure, entre dans un épanouissement mystérieux. On ne donnerait pas cette ombre pour toute la clarté. L’âme ange est là, sans cesse là ; si elle s’éloigne, c’est pour revenir ; elle s’efface comme le rêve et reparaît comme la réalité. On sent de la chaleur qui approche, la voilà. On déborde de sérénité, de gaîté et d’extase ; on est un rayonnement dans la nuit. Et mille petits soins. Des riens qui sont énormes dans ce vide. Les plus ineffables accents de la voix féminine employés à vous bercer, et suppléant pour vous à l’univers évanoui. On est caressé avec de l’âme. On ne voit rien, mais on se sent adoré. C’est un paradis de ténèbres.

    C’est de ce paradis que monseigneur Bienvenu était passé à l’autre.

    L’annonce de sa mort fut reproduite par le journal local de Montreuil-sur-Mer. M. Madeleine parut le lendemain tout en noir avec un crêpe à son chapeau.

    On remarqua dans la ville ce deuil, et l’on jasa. Cela parut une lueur sur l’origine de M, Madeleine. On en conclut qu’il avait quelque alliance avec le vénérable évêque. Il drape pour l’évêque de Digne, dirent les salons ; cela rehaussa fort M. Madeleine, et lui donna subitement et d’emblée une certaine considération dans le monde noble de Montreuil-sur-Mer. Le microscopique faubourg Saint-Germain de l’endroit songea à faire cesser la quarantaine de M. Madeleine, parent probable d’un évêque. M. Madeleine, s’aperçut de l’avancement qu’il obtenait à plus de révérences des vieilles femmes et à plus de sourires des jeunes. Un soir, une doyenne de ce petit grand monde-là, curieuse par droit d’ancienneté, se hasarda à lui demander : — Monsieur le maire est sans doute cousin du feu évêque de Digne ?

    Il dit : — Non, madame.

    Mais, reprit la douairière, vous en portez le deuil ? Il répondit : — C’est que dans ma jeunesse j’ai été laquais dans sa famille.

    Une remarque qu’on faisait encore, c’est que, chaque fois qu’il passait dans la ville un jeune savoyard courant le pays et cherchant des cheminées à ramoner, M. le maire le faisait appeler, lui demandait son nom, et lui donnait de l’argent. Les petits savoyards se le disaient et il en passait beaucoup.


     

    V

    VAGUES ÉCLAIRS À L’HORIZON


     

    Peu à peu, et avec le temps, toutes les oppositions étaient tombées. Il y avait eu d’abord contre M. Madeleine, sorte de loi que subissent toujours ceux qui s’élèvent, des noirceurs et des calomnies, puis ce ne fut plus que des méchancetés, puis ce ne fut plus que des malices, puis cela s’évanouit tout à fait ; le respect devint complet, unanime, cordial, et il arriva un moment, vers 1821, où ce mot ; monsieur le maire, fut prononcé à Montreuil-sur-Mer presque du même accent que ce mot : monseigneur l’évêque, était prononcé à Digne en 1815. On venait de dix lieues à la ronde consulter M, Madeleine. Il terminait les différends, il empêchait les procès, il réconciliait les ennemis. Chacun le prenait pour juge de son bon droit. Il semblait qu’il eût pour âme le livre de la loi naturelle. Ce fut comme une contagion de vénération qui, en six ou sept ans et de proche en proche, gagna tout le pays.

    Un seul homme, dans la ville et dans l’arrondissement, se déroba absolument à cette contagion, et, quoi que fît le père Madeleine, y demeura rebelle, comme si une sorte d’instinct, incorruptible et imperturbable, l’éveillait et l’inquiétait. Il semblerait en effet qu’il existe dans certains hommes un véritable instinct bestial, pur et intègre comme tout instinct, qui crée les antipathies et les sympathies, qui sépare fatalement une nature d’une autre nature, qui n’hésite pas, qui ne se trouble, ne se tait et ne se dément jamais, clair dans son obscurité, infaillible, impérieux, réfractaire à tous les conseils de l’intelligence et à tous les dissolvants de la raison, et qui, de quelque façon que les destinées soient faites, avertit secrètement l’homme-chien de la présence de l’homme-chat, et l’homme-renard de la présence de l’homme-lion.

    Souvent, quand M. Madeleine passait dans une rue, calme, affectueux, entouré des bénédictions de tous, il arrivait qu’un homme de haute taille, vêtu d’une redingote gris de fer, armé d’une grosse canne et coiffé d’un chapeau rabattu, se retournait brusquement derrière lui, et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, croisant les bras, secouant lentement la tête, et haussant sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure jusqu’à son nez, sorte de grimace significative qui pourrait se traduire par : — Mais qu’est-ce que c’est que cet homme-là? — Pour sûr je l’ai vu quelque part. — En tout cas, je ne suis toujours pas sa dupe.

    Ce personnage, grave d’une gravité presque menaçante, était de ceux qui, même rapidement entrevus, préoccupent l’observateur. Il se nommait Javert, et il était de la police.

    Il remplissait à Montreuil-sur-Mer les fonctions pénibles, mais utiles, d’inspecteur. Il n’avait pas vu les commencements de Madeleine. Javert devait le poste qu’il occupait à la protection de M. Chabouillet, le secrétaire du ministre d’état comte Anglès, alors préfet de police à Paris. Quand Javert était arrivé à Montreuil-sur-Mer, la fortune du grand manufacturier était déjà faite, et le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine.

    Certains officiers de police ont une physionomie à part et qui se complique d’un air de bassesse mêlé à un air d’autorité. Javert avait cette physionomie, moins la bassesse.

    Dans notre conviction, si les âmes étaient visibles aux yeux, on verrait distinctement cette chose étrange que chacun des individus de l’espèce humaine correspond à quelqu’une des espèces de la création animale ; et l’on pourrait reconnaître aisément cette vérité à peine entrevue par le penseur, que, depuis l’huître jusqu’à l’aigle, depuis le porc jusqu’au tigre, tous les animaux sont dans l’homme et que chacun d’eux est dans un homme. Quelquefois même plusieurs d’entre eux à la fois.

    Les animaux ne sont pas autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices, errantes devant nos yeux, les fantômes visibles de nos âmes. Dieu nous les montre pour nous faire réfléchir. Seulement, comme les animaux ne sont que des ombres, Dieu ne les a point faits éducables dans le sens complet du mot ; à quoi bon ? Au contraire, nos âmes étant des réalités et ayant une fin qui leur est propre, Dieu leur a donné l’intelligence, c’est-à-dire l’éducation possible. L’éducation sociale bien faite peut toujours tirer d’une âme, quelle qu’elle soit, l’utilité qu’elle contient.

    Ceci soit dit, bien entendu, au point de vue restreint de la vie terrestre apparente, et sans préjuger la question profonde de la personnalité antérieure ou ultérieure des êtres qui ne sont pas l’homme. Le moi visible n’autorise en aucune façon le penseur à nier le moi latent. Cette réserve faite, passons.

    Maintenant, si l’on admet un moment avec nous que dans tout homme il y a une des espèces animales de la création, il nous sera facile de dire ce que c’était que l’officier de paix Javert.

    Les paysans asturiens sont convaincus que dans toute portée de louve il y a un chien, lequel est tué par la mère, sans quoi en grandissant il dévorerait les autres petits.

    Donnez une face humaine à ce chien fils d’une louve, et ce sera Javert.

    Javert était né dans une prison d’une tireuse de cartes dont le mari était aux galères. En grandissant, il pensa qu’il était en dehors de la société et désespéra d’y rentrer jamais, Il remarqua que la société maintient irrémissiblement en dehors d’elle deux classes d’hommes, ceux qui l’attaquent et ceux qui la gardent ; il n’avait le choix qu’entre ces deux classes ; en même temps il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d’une inexprimable haine pour cette race de bohèmes dont il était. Il entra dans la police. Il y réussit. À quarante ans il était inspecteur.

    Il avait dans sa jeunesse été employé dans les chiourmes du midi.

    Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur ce mot face humaine que nous appliquions tout à l’heure à Javert.

    La face humaine de Javert consistait en un nez camard, avec deux profondes narines vers lesquelles montaient sur ses deux joues d’énormes favoris. On se sentait mal à l’aise la première fois qu’on voyait ces deux forêts et ces deux cavernes. Quand Javert riait, ce qui était rare et terrible, ses lèvres minces s’écartaient, et laissaient voir, non seulement ses dents, mais ses gencives, et il se faisait autour de son nez un plissement épaté et sauvage comme sur un mufle de bête fauve. Javert sérieux était un dogue ; lorsqu’il riait, c’était un tigre. Du reste, peu de crâne, beaucoup de mâchoire, les cheveux cachant le front et tombant sur les sourcils, entre les deux yeux un froncement central permanent comme une étoile de colère, le regard obscur, la bouche pincée et redoutable, l’air du commandement féroce.

    Cet homme était composé de deux sentiments très simples et relativement très bons, mais qu’il faisait presque mauvais à force de les exagérer, le respect de l’autorité, la haine de la rébellion; et à ses yeux le vol, le meurtre, tous les crimes, n’étaient que des formes de la rébellion. Il enveloppait dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans l’état, depuis le premier ministre jusqu’au garde champêtre. Il couvrait de mépris, d’aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n’admettait pas d’exceptions. D’une part il disait : — Le fonctionnaire ne peut se tromper ; le magistrat n’a jamais tort. — D’autre part il disait : — Ceux-ci sont irrémédiablement perdus. Rien de bon n’en peut sortir. — Il partageait pleinement l’opinion de ces esprits extrêmes qui attribuent à la loi humaine je ne sais quel pouvoir de faire ou, si l’on veut, de constater des démons, et qui mettent un Styx au bas de la société. Il était stoïque, sérieux, austère ; rêveur triste; humble et hautain comme les fanatiques. Son regard était une vrille, cela était froid et cela perçait. Toute sa vie tenait dans ces deux mots : veiller et surveiller. Il avait introduit la ligne droite dans ce qu’il y a de plus tortueux au monde ; il avait la conscience de son utilité, la religion de ses fonctions, et il était espion comme on est prêtre. Malheur à qui tombait sous sa main ! Il eût arrêté son père s’évadant du bagne et dénoncé sa mère en rupture de ban. Et il l’eût fait avec cette sorte de satisfaction intérieure que donne la vertu. Avec cela une vie de privations, l’isolement, l’abnégation, la chasteté, jamais une distraction. C’était le devoir implacable, la police comprise comme les Spartiates comprenaient Sparte, un guet impitoyable, une honnêteté farouche, un mouchard marmoréen, Brutus dans Vidocq.

    Toute la personne de Javert exprimait l’homme qui épie et qui se dérobe. L’école mystique de Joseph de Maistre, laquelle à cette époque assaisonnait de haute cosmogonie ce qu’on appelait les journaux ultras, n’eût pas manqué de dire que Javert était un symbole. On ne voyait pas son front qui disparaissait sous son chapeau, on ne voyait pas ses yeux qui se perdaient sous ses sourcils, on ne voyait pas son menton qui plongeait dans sa cravate, on ne voyait pas ses mains qui rentraient dans ses manches, on ne voyait pas sa canne qu’il portait sous sa redingote. Mais l’occasion venue, on voyait tout à coup sortir de toute cette ombre, comme d’une embuscade, un front anguleux et étroit, un regard funeste, un menton menaçant, des mains énormes, et un gourdin monstrueux.

    À ses moments de loisirs, qui étaient peu fréquents, tout en haïssant les livres, il lisait ; ce qui fait qu’il n’était pas complètement illettré. Cela se reconnaissait à quelque emphase dans sa parole.

    Il n’avait aucun vice, nous l’avons dit. Quand il était content de lui, il s’accordait une prise de tabac. Il tenait à l’humanité par là.

    On comprendra sans peine que Javert était l’effroi de toute cette classe que la statistique annuelle du ministère de la justice désigne sous la rubrique : Gens sans aveu. Le nom de Javert prononcé les mettait en déroute ; la face de Javert apparaissant les pétrifiait.

    Tel était cet homme formidable.

    Javert était comme un œil toujours fixé sur M. Madeleine. Œil plein de soupçon et de conjectures. M. Madeleine avait fini par s’en apercevoir, mais il sembla que cela fût insignifiant pour lui. Il ne fit pas même une question à Javert, il ne le cherchait ni ne l’évitait, il portait sans paraître y faire attention, ce regard gênant et presque pesant. Il traitait Javert comme tout le monde, avec aisance et bonté.

    À quelques paroles échappées à Javert, on devinait qu’il avait recherché secrètement, avec cette curiosité qui tient à la race et où il entre autant d’instinct que de volonté, toutes les traces antérieures que le père Madeleine avait pu laisser ailleurs. Il paraissait savoir, et il disait parfois à mots couverts, que quelqu’un avait pris certaines informations dans certains pays sur une certaine famille disparue. Une fois il lui arriva de dire, se parlant à lui-même : — Je crois que je le tiens ! — Puis il resta trois jours pensif sans prononcer une parole. Il paraît que le fil qu’il croyait tenir s’était rompu.

    Du reste, et ceci est le correctif nécessaire à ce que le sens de certains mots pourrait présenter de trop absolu, il ne peut y avoir rien de vraiment infaillible dans une créature humaine, et le propre de l’instinct est précisément de pouvoir être troublé, dépisté et dérouté, Sans quoi il serait supérieur à l’intelligence, et la bête se trouverait avoir une meilleure lumière que l’homme.

    Javert était évidemment quelque peu déconcerté par le complet naturel et la tranquillité de M. Madeleine.

    Un jour pourtant son étrange manière d’être parut faire impression sur M. Madeleine. Voici à quelle occasion.


     

    VI

    LE PÈRE FAUCHELEVENT


     

    M. Madeleine passait un matin dans une ruelle non pavée de Montreuil-sur-Mer. Il entendit du bruit et vit un groupe à quelque distance. Il y alla. Un vieux homme, nommé le père Fauchelevent, venait de tomber sous sa charrette dont le cheval s’était abattu.

    Ce Fauchelevent était un des rares ennemis qu’eût encore M. Madeleine à cette époque. Lorsque Madeleine était arrivé dans le pays, Fauchelevent, ancien tabellion et paysan presque lettré, avait un commerce qui commençait à aller mal. Fauchelevent avait vu ce simple ouvrier qui s’enrichissait, tandis que lui, maître, se ruinait. Cela l’avait rempli de jalousie, et il avait fait ce qu’il avait pu en toute occasion pour nuire à Madeleine, Puis la faillite était venue, et, vieux, n’ayant plus à lui qu’une charrette et un cheval, sans famille et sans enfants du reste, pour vivre il s’était fait charretier.

    Le cheval avait les deux cuisses cassées et ne pouvait se relever. Le vieillard était engagé entre les roues. La chute avait été tellement malheureuse que toute la voiture pesait sur sa poitrine. La charrette était assez lourdement chargée. Le père Fauchelevent poussait des râles lamentables. On avait essayé de le tirer, mais en vain. Un effort désordonné, une aide maladroite, une secousse à faux pouvaient l’achever. Il était impossible de le dégager autrement qu’en soulevant la voiture par dessous. Javert, qui était survenu au moment de l’accident, avait envoyé chercher un cric.

    M. Madeleine arriva. On s’écarta avec respect.

    À l’aide! criait le vieux Fauchelevent. Qui est ce qui est un bon enfant pour sauver le vieux ?

    M. Madeleine se tourna vers les assistants :

    A-t-on un cric ?

    On en est allé quérir un, répondit un paysan.

    Dans combien de temps l’aura-t-on ?

    On est allé au plus près, au lieu Flachot, où il y a un maréchal ; mais c’est égal, il faudra bien un bon quart d’heure.

    Un quart d’heure ! s’écria Madeleine.

    Il avait plu la veille, le sol était détrempé, la charrette s’enfonçait dans la terre à chaque instant et comprimait de plus en plus la poitrine du vieux charretier. Il était évident qu’avant cinq minutes il aurait les côtes brisées.

    Il est impossible d’attendre un quart d’heure, dit Madeleine aux paysans qui regardaient.

    Il faut bien !

    Mais il ne sera plus temps ! Vous ne voyez donc pas que la charrette s’enfonce ?

    Dame !

    Écoutez, reprit Madeleine, il y a encore assez de place sous la voiture pour qu’un homme s’y glisse et la soulève avec son dos. Rien qu’une demi-minute, et l’on tirera le pauvre homme. Y a-t-il quelqu’un qui ait des reins et du cœur ? Cinq louis d’or à gagner !

    Personne ne bougea dans le groupe.

    Dix louis, dit Madeleine.

    Les assistants baissaient les yeux. Un d’eux murmura : — Il faudrait être diablement fort. Et puis, on risque de se faire écraser !

    Allons ! recommença Madeleine, vingt louis !

    Même silence.

    Ce n’est pas la bonne volonté qui leur manque, dit une voix.

    M. Madeleine se retourna, et reconnut Javert. Il ne l’avait pas aperçu en arrivant.

    Javert continua :

    C’est la force. Il faudrait être un terrible homme pour faire la chose de lever une voiture comme cela sur son dos.

    Puis regardant fixement M. Madeleine, il poursuivit en appuyant sur chacun des mots qu’il prononçait :

    Monsieur Madeleine, je n’ai jamais connu qu’un seul homme capable de faire ce que vous demandez là.

    Madeleine tressaillit.

    Javert ajouta avec un air d’indifférence, mais sans quitter des yeux Madeleine :

    C’était un forçat.

    Ah ! dit Madeleine.

    Du bagne de Toulon.

    Madeleine devint pâle.

    Cependant la charrette continuait à s’enfoncer lentement. Le père Fauchelevent râlait et hurlait :

    J’étouffe ! Ça me brise les côtes ! Un cric ! quelque chose ! Ah !

    Madeleine regarda autour de lui :

    Il n’y a donc personne qui veuille gagner vingt louis et sauver la vie à ce pauvre vieux ?

    Aucun des assistants ne remua. Javert reprit :

    Je n’ai jamais connu qu’un homme qui pût remplacer un cric, c’était ce forçat.

    Ah ! voilà que ça m’écrase ! cria le vieillard.

    Madeleine leva la tête, rencontra l’œil de faucon de Javert toujours attaché sur lui, regarda les paysans immobiles, et sourit tristement. Puis, sans dire une parole, il tomba à genoux, et avant même que la foule eût eu le temps de jeter un cri, il était sous la voiture.

    Il y eut un affreux moment d’attente et de silence.

    On vit Madeleine presque à plat ventre sous ce poids effrayant essayer deux fois en vain de rapprocher ses coudes de ses genoux. On lui cria : — Père Madeleine ! retirez-vous de là ! — Le vieux Fauchelevent lui-même lui dit : — Monsieur Madeleine ! allez-vous-en ! C’est qu’il faut que je meure, voyez-vous ! Laissez-moi ! Vous allez vous faire écraser aussi ! — Madeleine ne répondit pas.

    Les assistants haletaient. Les roues avaient continué de s’enfoncer, et il était déjà devenu presque impossible que Madeleine sortît de dessous la voiture.

    Tout à coup on vit l’énorme masse s’ébranler, la charrette se soulevait lentement, les roues sortaient à demi de l’ornière. On entendit une voix étouffée qui criait : Dépêchez-vous ! aidez ! C’était Madeleine qui venait de faire un dernier effort.

    Ils se précipitèrent. Le dévouement d’un seul avait donné de la force et du courage à tous. La charrette fut enlevée par vingt bras. Le vieux Fauchelevent était sauvé.

    Madeleine se releva. Il était blême, quoique ruisselant de sueur. Ses habits étaient déchirés et couverts de boue. Tous pleuraient. Le vieillard lui baisait les genoux et l’appelait le bon Dieu. Lui, il avait sur le visage je ne sais quelle expression de souffrance heureuse et céleste, et il fixait son œil tranquille sur Javert qui le regardait toujours.


     

    VII

    FAUCHELEVENT DEVIENT JARDINIER À PARIS


     

    Fauchelevent s’était démis la rotule dans sa chute. Le père Madeleine le fit transporter dans une infirmerie qu’il avait établie pour ses ouvriers dans le bâtiment même de sa fabrique et qui était desservie par deux sœurs de charité. Le lendemain matin, le vieillard trouva un billet de mille francs sur la table de nuit, avec ce mot de la main du père Madeleine : Je vous achète votre charrette et votre cheval. La charrette était brisée et le cheval était mort. Fauchelevent guérit, mais son genou resta ankylosé. M. Madeleine, par les recommandations des sœurs et de son curé, fit placer le bonhomme comme jardinier dans un couvent de femmes du quartier Saint-Antoine à Paris.

    Quelque temps après, M. Madeleine fut nommé maire, La première fois que Javert vit M. Madeleine revêtu de l’écharpe qui lui donnait toute autorité sur la ville, il éprouva cette sorte de frémissement qu’éprouverait un dogue qui flairerait un loup sous les habits de son maître. À partir de ce moment, il l’évita le plus qu’il put. Quand les besoins du service l’exigeaient impérieusement et qu’il ne pouvait faire autrement que de se trouver avec M. le maire, il lui parlait avec un respect profond.

    Cette prospérité créée à Montreuil-sur-Mer par le père Madeleine avait, outre les signes visibles que nous avons indiqués, un autre symptôme qui, pour n’être pas visible, n’était pas moins significatif. Ceci ne trompe jamais. Quand la population souffre, quand le travail manque, quand le commerce est nul, le contribuable résiste à l’impôt par pénurie, épuise et dépasse les délais, et l’état dépense beaucoup d’argent en frais de contrainte et de rentrée. Quand le travail abonde, quand le pays est heureux et riche, l’impôt se paye aisément et coûte peu à l’état. On peut dire que la misère et la richesse publiques ont un thermomètre infaillible, les frais de perception de l’impôt. En sept ans, les frais de perception de l’impôt s’étaient réduits des trois quarts dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, ce qui faisait fréquemment citer cet arrondissement entre tous par M. de Villèle, alors ministre des finances.

    Telle était la situation du pays, lorsque Fantine y revint. Personne ne se souvenait plus d’elle. Heureusement la porte de la fabrique de M. Madeleine était comme un visage ami. Elle s’y présenta, et fut admise dans l’atelier des femmes. Le métier était tout nouveau pour Fantine, elle n’y pouvait être bien adroite, elle ne tirait donc de sa journée de travail que peu de chose, mais enfin cela suffisait, le problème était résolu, elle gagnait sa vie.


     

    VIII

    MADAME VICTURNIEN DÉPENSE TRENTE-CINQ FRANCS POUR LA MORALE


     

    Quand Fantine vit qu’elle vivait, elle eut un moment de joie. Vivre honnêtement de son travail, quelle grâce du ciel ! Le goût du travail lui revint vraiment. Elle acheta un miroir, se réjouit d’y regarder sa jeunesse, ses beaux cheveux et ses belles dents, oublia beaucoup de choses, ne songea plus qu’à sa Cosette et à l’avenir possible, et fut presque heureuse. Elle loua une petite chambre et la meubla à crédit sur son travail futur ; reste de ses habitudes de désordre.

    Ne pouvant pas dire qu’elle était mariée, elle s’était bien gardée, comme nous l’avons déjà fait entrevoir, de parler de sa petite fille.

    En ces commencements, on l’a vu, elle payait exactement les Thénardier. Comme elle ne savait que signer, elle était obligée de leur écrire par un écrivain public.

    Elle écrivait souvent. Cela fut remarqué. On commença à dire tout bas dans l’atelier des femmes que Fantine « écrivait des lettres » et qu’ « elle avait des allures ».

    Il n’y à rien de tel pour épier les actions des gens que ceux qu’elles ne regardent pas. — Pourquoi ce monsieur ne vient-il jamais qu’à la brune ? pourquoi monsieur un tel n’accroche-t-il jamais sa clef au clou le jeudi ? pourquoi prend-il toujours les petites rues ? pourquoi madame descend-elle toujours de son fiacre avant d’arriver à la maison ? pourquoi envoie-t-elle acheter un cahier de papier à lettres, quand elle en a « plein sa papeterie » ? etc., etc. — Il existe des êtres qui, pour connaître le mot de ces énigmes, lesquelles leur sont du reste parfaitement indifférentes, dépensent plus d’argent, prodiguent plus de temps, se donnent plus de peine qu’il n’en faudrait pour dix bonnes actions ; et cela gratuitement, pour le plaisir, sans être payés de la curiosité autrement que par la curiosité. Ils suivront celui-ci ou celle-là des jours entiers, feront faction des heures à des coins de rue, sous des portes d’allées, la nuit, par le froid et par la pluie, corrompront des commissionnaires, griseront des cochers de fiacre et des laquais, achèteront une femme de chambre, feront acquisition d’un portier. Pourquoi ? pour rien. Pur acharnement de voir, de savoir et de pénétrer. Pure démangeaison de dire. Et souvent ces secrets connus, ces mystères publiés, ces énigmes éclairées du grand jour, entraînent des catastrophes, des duels, des faillites, des familles ruinées, des existences brisées, à la grande joie de ceux qui ont « tout découvert » sans intérêt et par pur instinct. Chose triste.

    Certaines personnes sont méchantes uniquement par besoin de parler. Leur conversation, causerie dans le salon, bavardage dans l’antichambre, est comme ces cheminées qui usent vite le bois ; il leur faut beaucoup de combustible ; et le combustible, c’est le prochain.

    On observa donc Fantine,

    Avec cela, plus d’une était jalouse de ses cheveux blonds et de ses dents blanches.

    On constata que dans l’atelier, au milieu des autres, elle se détournait souvent pour essuyer une larme. C’étaient les moments où elle songeait à son enfant, peut-être aussi à l’homme qu’elle avait aimé.

    C’est un douloureux labeur que la rupture des sombres attaches du passé.

    On constata qu’elle écrivait, au moins deux fois par mois, toujours à la même adresse, et qu’elle affranchissait la lettre. On parvint à se procurer l’adresse : Monsieur, Monsieur Thénardier, aubergiste, à Montfermeil. On fit jaser au cabaret l’écrivain public, vieux bonhomme qui ne pouvait pas emplir son estomac de vin rouge sans vider sa poche aux secrets. Bref, on sut que Fantine avait un enfant. « Ce devait être une espèce de fille. » Il se trouva une commère qui fit le voyage de Montfermeil, parla aux Thénardier, et dit à son retour : Pour mes trente-cinq francs, j’en ai eu le cœur net. J’ai vu l’enfant !

    La commère qui fit cela était une gorgone appelée madame Victurnien, gardienne et portière de la vertu de tout le monde. Madame Victurnien avait cinquante-six ans, et doublait le masque de la laideur du masque de la vieillesse. Voix chevrotante, esprit capricant. Cette vieille femme avait été jeune, chose étonnante. Dans sa jeunesse, en plein 93, elle avait épousé un moine échappé du cloître en bonnet rouge et passé des bernardins aux jacobins. Elle était sêche, rêche, revêche, pointue, épineuse, presque venimeuse ; tout en se souvenant de son moine dont elle était veuve, et qui l’avait fort domptée et pliée. C’était une ortie où l’on voyait le froissement du froc. À la restauration, elle s’était faite bigote, et si énergiquement que les prêtres lui avaient pardonné son moine. Elle avait un petit bien qu’elle léguait bruyamment à une communauté religieuse. Elle était fort bien vue à l’évêché d’Arras. Cette madame Victurnien donc alla à Montfermeil et revint en disant : J’ai vu l’enfant.

    Tout cela prit du temps. Fantine était depuis plus d’un an à la fabrique, lorsqu’un matin la surveillante de l’atelier lui remit, de la part de M. le maire, cinquante francs, en lui disant qu’elle ne faisait plus partie de l’atelier et en l’engageant, de la part de M. le maire, à quitter le pays.

    C’était précisément dans ce même mois que les Thénardier, après avoir demandé douze francs au lieu de six, venaient d’exiger quinze francs au lieu de douze.

    Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s’en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette. Elle balbutia quelques mots suppliants. La surveillante lui signifia qu’elle eût à sortir sur-le-champ de l’atelier. Fantine n’était du reste qu’une ouvrière médiocre. Accablée de honte plus encore que de désespoir, elle quitta l’atelier et rentra dans sa chambre. Sa faute était donc maintenant connue de tous !

    Elle ne se sentit plus la force de dire un mot. On lui conseilla de voir M. le maire ; elle n’osa pas. M. le maire lui donnait cinquante francs, parce qu’il était bon, et la chassait, parce qu’il était juste. Elle plia sous cet arrêt.


     

    IX

    SUCCÈS DE MADAME VICTURNIEN


     

    La veuve du moine fut donc bonne à quelque chose.

    Du reste ; M. Madeleine n’avait rien su de tout cela. Ce sont là de ces combinaisons d’événements dont la vie est pleine. M. Madeleine avait pour habitude de n’entrer presque jamais dans l’atelier des femmes. Il avait mis à la tête de cet atelier une vieille fille que le curé lui avait donnée, et il avait toute confiance dans cette surveillante, personne vraiment respectable, ferme, équitable, intègre, remplie de la charité qui consiste à donner, mais n’ayant pas au même degré la charité qui consiste à comprendre et à pardonner. M. Madeleine se remettait de tout sur elle. Les meilleurs hommes sont souvent forcés de déléguer leur autorité. C’est dans cette pleine puissance et avec la conviction qu’elle faisait bien, que la surveillante avait instruit le procès, jugé, condamné et exécuté Fantine.

    Quant aux cinquante francs, elle les avait donnés sur une somme que M. Madeleine lui confiait pour aumônes et secours aux ouvrières et dont elle ne rendait pas compte.

    Fantine s’offrit comme servante dans le pays ; elle alla d’une maison à l’autre. Personne ne voulut d’elle. Elle n’avait pu quitter la ville. Le marchand fripier auquel elle devait ses meubles, quels meubles ! lui avait dit : Si vous vous en allez, je vous fais arrêter comme voleuse. Le propriétaire auquel elle devait son loyer, lui avait dit : Vous êtes jeune et jolie, vous pouvez payer. Elle partagea les cinquante francs entre le propriétaire et le fripier, rendit au marchand les trois quarts de son mobilier, ne garda que le nécessaire, et se trouva sans travail, sans état, n’ayant plus que son lit, et devant encore environ cent francs.

    Elle se mit à coudre de grosses chemises pour les soldats de la garnison, et gagnait douze sous par jour. Sa fille lui en coûtait dix. C’est en ce moment qu’elle commença à mal payer les Thénardier.

    Cependant une vieille femme qui lui allumait sa chandelle quand elle rentrait le soir, lui enseigna l’art de vivre dans la misère. Derrière vivre de peu, il y a vivre de rien. Ce sont deux chambres ; la première est obscure, la seconde est noire.

    Fantine apprit comment on se passe tout à fait de feu en hiver, comment on renonce à un oiseau qui vous mange un liard de millet tous les deux jours, comment on fait de son jupon sa couverture et de sa couverture son jupon, comment on ménage sa chandelle en prenant son repas à la lumière de la fenêtre d’en face. On ne sait pas tout ce que certains êtres faibles, qui ont vieilli dans le dénûment et l’honnêteté, savent tirer d’un sou. Cela finit par être un talent. Fantine acquit ce sublime talent et reprit un peu de courage.

    À celle époque, elle disait à une voisine : — Bah ! je me dis : en ne dormant que cinq heures et en travaillant tout le reste à mes coutures, je parviendrai bien toujours à gagner à peu près du pain. Et puis, quand on est triste, on mange moins. Eh bien ! des souffrances, des inquiétudes, un, peu de pain d’un côté, des chagrins de l’autre, tout cela me nourrira.

    Dans cette détresse, avoir sa petite fille eût été un étrange bonheur. Elle songea à la faire venir. Mais quoi ! lui faire partager son dénûment ! Et puis, elle devait aux Thénardier ! comment s’acquitter ? Et le voyage ! comment le payer ?

    La vieille qui lui avait donné ce qu’on pourrait appeler des leçons de vie indigente, était une sainte fille nommée Marguerite, dévote de la bonne dévotion, pauvre, et charitable pour les pauvres et même pour les riches, sachant tout juste assez écrire pour signer Margeritte, et croyant en Dieu, ce qui est la science.

    Il y a beaucoup de ces vertus-là en bas ; un jour elles seront en haut. Cette vie a un lendemain.

    Dans les premiers temps, Fantine avait été si honteuse qu’elle n’avait pas osé sortir.

    Quand elle était dans la rue, elle devinait qu’on se retournait derrière elle et qu’on la montrait du doigt ; tout le monde la regardait et personne ne la saluait ; le mépris âcre et froid des passants lui pénétrait dans la chair et dans l’âme comme une bise.

    Dans les petites villes, il semble qu’une malheureuse soit nue sous le sarcasme et la curiosité de tous. À Paris, du moins, personne ne vous connaît, et cette obscurité est un vêtement. Oh ! comme elle eût souhaité venir à Paris ! Impossible.

    Il fallut bien s’accoutumer à la déconsidération, comme elle s’était accoutumée à l’indigence. Peu à peu elle en prit son parti. Après deux ou trois mois elle secoua la honte et se mit à sortir comme si de rien n’était. — Cela m’est bien égal, dit-elle. Elle alla et vint, la tête haute, avec un sourire amer, et sentit qu’elle devenait effrontée.

    Madame Victurnien quelquefois la voyait passer de sa fenêtre, remarquait la détresse de « cette créature », grâce à elle « remise à sa place », et se félicitait. Les méchants ont un bonheur noir.

    L’excès du travail fatiguait Fantine, et là petite toux sèche qu’elle avait augmenta. Elle disait quelquefois à sa voisine : — Tâtez donc comme mes mains sont chaudes.

    Cependant le matin, quand elle peignait avec un vieux peigne cassé ses beaux cheveux qui ruisselaient comme de la soie floche, elle avait une minute de coquetterie heureuse.


     

    X

    SUITE DU SUCCÈS


     

    Elle avait été congédiée vers la fin de l’hiver ; l’été se passa, mais l’hiver revint. Jours courts, moins de travail. L’hiver, point de chaleur, point de lumière, point de midi, le soir touche au matin, brouillard, crépuscule, la fenêtre est grise, on n’y voit pas clair. Le ciel est un soupirail. Toute la journée est une cave. Le soleil a l’air d’un pauvre. L’affreuse saison ! L’hiver change en pierre l’eau du ciel et le cœur de l’homme. Ses créanciers la harcelaient.

    Fantine gagnait trop peu. Ses dettes avaient grossi. Les Thénardier, mal payés, lui écrivaient à chaque instant des lettres dont le contenu la désolait et dont le port la ruinait. Un jour ils lui écrivirent que sa petite Cosette était toute nue par le froid qu’il faisait, qu’elle avait besoin d’une jupe de laine, et qu’il fallait au moins que la mère envoyât dix francs pour cela. Elle reçut la lettre et la froissa dans ses mains tout le jour. Le soir elle entra chez un barbier qui habitait le coin de la rue, et défit son peigne. Ses admirables cheveux blonds lui tombèrent jusqu’aux reins.

    Les beaux cheveux ! s’écria le barbier.

    Combien m’en donneriez-vous ? dit-elle.

    Dix francs.

    Coupez-les.

    Elle acheta une jupe de tricot et l’envoya aux Thénardier.

    Cette jupe fit les Thénardier furieux. C’était de l’argent qu’ils voulaient. Ils donnèrent la jupe à Éponine. La pauvre Alouette continua de frissonner.

    Fantine pensa : — Mon enfant n’a plus froid. Je l’ai habillée de mes cheveux. — Elle mettait de petits bonnets ronds qui cachaient sa tête tondue et avec lesquels elle était encore jolie.

    Un travail ténébreux se faisait dans le cœur de Fantine. Quand elle vit qu’elle ne pouvait plus se coiffer, elle commença à tout prendre en haine autour d’elle. Elle avait longtemps partagé la vénération de tous pour le père Madeleine ; cependant, à force de se répéter que c’était lui qui l’avait chassée, et qu’il était la cause de son malheur, elle en vint à le haïr lui aussi, lui surtout. Quand elle passait devant la fabrique aux heures où les ouvriers sont sur la porte, elle affectait de rire et de chanter.

    Une vieille ouvrière qui la vit une fois chanter et rire de cette façon dit : — Voilà une fille qui finira mal.

    Elle prit un amant, le premier venu, un homme qu’elle n’aimait pas, par bravade, avec la rage dans le cœur. C’était un misérable, une espèce de musicien mendiant, un oisif gueux, qui la battait, et qui la quitta comme elle l’avait pris, avec dégoût.

    Elle adorait son enfant.

    Plus elle descendait, plus tout devenait sombre autour d’elle, plus ce petit ange rayonnait dans le fond de son âme. Elle disait : Quand je serai riche, j’aurai ma Cosette avec moi ; et elle riait. La toux ne la quittait pas, et elle avait des sueurs dans le dos.

    Un jour elle reçut des Thénardier une lettre ainsi conçue : « Cosette est malade d’une maladie qui est dans le pays. Une fièvre miliaire, qu’ils appellent. Il faut des drogues chères. Cela nous ruine et nous ne pouvons plus payer. Si vous ne nous envoyez pas quarante francs avant huit jours, la petite est morte. »

    Elle se mit à rire aux éclats, et elle dit à sa vieille voisine : — Ah ! ils sont bons ! quarante francs ! que ça ! ça fait deux napoléons ! Où veulent-ils que je les prenne ? Sont-ils bêtes ces paysans !

    Cependant elle alla dans l’escalier près d’une lucarne et relut cette lettre. Puis elle descendit l’escalier et sortit en courant et en sautant, riant toujours.

    Quelqu’un qui la rencontra lui dit — Qu’est-ce que vous avez donc à être si gaie ?

    Elle répondit : — C’est une bonne bêtise que viennent de m’écrire des gens de la campagne. Ils me demandent quarante francs. Paysans, va !

    Comme elle passait sur la place, elle vit beaucoup de monde qui entourait une voiture de forme bizarre, sur l’impériale de laquelle pérorait tout debout un homme vêtu de rouge. C’était un bateleur dentiste en tournée, qui offrait au public des râteliers complets, des opiats, des poudres et des élixirs.

    Fantine se mêla au groupe et se mit à rire comme les autres de cette harangue où il y avait de l’argot pour la canaille et du jargon pour les gens comme il faut. L’arracheur de dents vit cette belle fille qui riait, et s’écria tout à coup : — Vous avez de jolies dents, la fille qui riez là. Si vous voulez me vendre vos deux palettes, je vous donne de chaque un napoléon d’or.

    Qu’est-ce que c’est que ça, mes palettes ? demanda Fantine.

    Les palettes, reprit le professeur dentiste, c’est les dents de devant, les deux d’en haut.

    Quelle horreur ! s’écria Fantine,

    Deux napoléons ! grommela une vieille édentée qui était là. Qu’en voilà une qui est heureuse !

    Fantine s’enfuit et se boucha les oreilles pour ne pas entendre la voix enrouée de l’homme qui lui criait : — Ré fléchissez, la belle ! deux napoléons, ça peut servir. Si le cœur vous en dit, venez ce soir à l’auberge du Tillac d’argent, vous m’y trouverez.

    Fantine rentra, elle était furieuse et conta la chose à sa bonne voisine Marguerite : — Comprenez-vous ? ne voilà-t-il pas un abominable homme ? comment laisse-t-on des gens comme cela aller dans le pays ! M’arracher mes deux dents de devant ! mais je serais horrible ! Les cheveux repoussent, mais les dents ! Ah ! le monstre d’homme ! j’aimerais mieux me jeter d’un cinquième la tête la première sur le pavé ! Il m’a dit qu’il serait ce soir au Tillac d’argent.

    Et qu’est-ce qu’il offrait ? demanda Marguerite.

    Deux napoléons.

    Cela fait quarante francs.

    Oui, dit Fantine, cela fait quarante francs.

    Elle resta pensive, et se mit à son ouvrage. Au bout d’un quart d’heure, elle quitta sa couture et alla relire la lettre des Thénardier sur l’escalier.

    En rentrant, elle dit à Marguerite qui travaillait près d’elle :

    Qu’est-ce que c’est donc cela une fièvre miliaire ? Savez-vous ?

    Oui, répondit la vieille fille, c’est une maladie.

    Ça a donc besoin de beaucoup de drogues ?

    Oh ! des drogues terribles.

    Où ça vous prend-il ?

    C’est une maladie qu’on a comme ça.

    Cela attaque donc les enfants ?

    Surtout les enfants.

    Est-ce qu’on en meurt ?

    Très bien, dit Marguerite.

    Fantine sortit et alla encore une fois relire la lettre sur l’escalier.

    Le soir elle descendit et on là vit qui se dirigeait du côté de la rue de Paris où sont les auberges.

    Le lendemain matin, comme Marguerite entrait dans la chambre de Fantine avant le jour, car elles travaillaient toujours ensemble et de cette façon n’allumaient qu’une chandelle pour deux, elle trouva Fantine assise sur son fil, pâle, glacée. Elle ne s’était pas couchée. Son bonnet était tombé sur ses genoux. La chandelle avait brûlé toute la nuit et était presque entièrement consumée.

    Marguerite s’arrêta sur le seuil, pétrifiée de cet énorme désordre, et s’écria :

    Seigneur ! la chandelle qui est toute brûlée ! il s’est passé des événements !

    Puis elle regarda Fantine qui tournait vers elle sa tête sans cheveux.

    Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans,

    Jésus ! fit Marguerite, qu’est-ce que vous avez, Fantine ?

    Je n’ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente.

    En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons qui brillaient sur la table.

    Ah, Jésus Dieu ! dit Marguerite. Mais c’est une fortune ! Où avez-vous eu ces louis d’or ?

    Je les ai eus, répondit Fantine.

    En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C’était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.

    Les deux dents étaient arrachées.

    Elle envoya les quarante francs à Montfermeil.

    Du reste c’était une ruse des Thénardier pour avoir de l’argent. Cosette n’était pas malade.

    Fantine jeta son miroir par la fenêtre. Depuis longtemps elle avait quitté sa cellule du second pour une mansarde fermée d’un loquet sous le toit ; un de ces galetas dont le plafond fait angle avec le plancher et vous heurte à chaque instant la tête. Le pauvre ne peut aller au fond de sa chambre comme au fond de sa destinée qu’en se courbant de plus en plus. Elle n’avait plus de lit, il lui restait une loque qu’elle appelait sa couverture, un matelas à terre et une chaise dépaillée. Un petit rosier qu’elle avait s’était desséché dans un coin, oublié. Dans l’autre coin, il y avait un pot à beurre à mettre l’eau, qui gelait l’hiver, et où les différents niveaux de l’eau restaient longtemps marqués par des cercles de glace. Elle avait perdu la honte, elle perdit la coquetterie. Dernier signe. Elle sortait avec des bonnets sales. Soit faute de temps, soit indifférence, elle ne raccommodait plus son linge. À mesure que les talons s’usaient, elle tirait ses bas dans ses souliers. Cela se voyait à de certains plis perpendiculaires. Elle rapiéçait son corset, vieux et usé, avec des morceaux de calicot qui se déchiraient au moindre mouvement. Les gens auxquels elle devait lui fai saient « des scènes », et ne lui laissaient aucun repos. Elle les trouvait dans la rue, elle les retrouvait dans son escalier. Elle passait des nuits à pleurer et à songer. Elle avait les yeux très brillants, et elle sentait une douleur fixe dans l’épaule, vers le haut de l’omoplate gauche. Elle toussait beaucoup. Elle haïssait profondément le père Madeleine, et ne se plaignait pas. Elle cousait dix-sept heures par jour ; mais un entrepreneur du travail des prisons qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu, coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite ; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait. — Cent francs, songea Fantine. Mais où y a-t-il un état à gagner cent sous par jour ?

    Allons! dit-elle, vendons le reste.

    L’infortunée se fit fille publique.


     

    XI

    CHRISTUS NOS LIBERAVIT


     

    Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? C’est la société achetant une esclave.

    À qui ? À la misère.

    À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte.

    La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore. On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.

    Il pèse sur la femme, c’est-à-dire sur la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité. Ceci n’est pas une des moindres hontes de l’homme.

    Au point de ce douloureux drame où nous sommes arrivés, il ne reste plus rien à Fantine de ce qu’elle a été autrefois. Elle est devenue marbre en devenant boue. Qui la touche a froid. Elle passe, elle vous subit, et elle vous ignore ; elle est la figure déshonorée et sévère. La vie et l’ordre social lui ont dit leur dernier mot. Il lui est arrivé tout ce qui lui arrivera. Elle a tout ressenti, tout supporté, tout éprouvé, tout souffert, tout perdu, tout pleuré. Elle est résignée de cette résignation qui ressemble à l’indifférence comme la mort ressemble au sommeil. Elle n’évite plus rien. Elle ne craint plus rien. Tombe sur elle toute la nuée et passe sur elle tout l’océan ! que lui importe ! c’est une éponge imbibée.

    Elle le croit du moins, mais c’est une erreur de s’imaginer qu’on épuise le sort et qu’on touche le fond de quoi que ce soit.

    Hélas ! qu’est-ce que toutes ces destinées ainsi poussées pêle-mêle ? où vont-elles ? pourquoi sont-elles ainsi ?

    Celui qui sait cela voit toute l’ombre.

    Il est seul. Il s’appelle Dieu.


     

    XII

    LE DÉSŒUVREMENT DE M. BAMATABOIS


     

    Il y a dans toutes les petites villes, et il y avait à Montreuil-sur-Mer en particulier, une classe de jeunes gens qui grignotent quinze cents livres de rente en province du même air dont leurs pareils dévorent à Paris deux cent mille francs par an. Ce sont des êtres de la grande espèce neutre ; hongres, parasites, nuls, qui ont un peu de terre, un peu de sottise et un peu d’esprit, qui seraient des rustres dans un salon et se croient des gentilshommes au cabaret, qui disent : mes prés, mes bois, mes paysans, sifflent les actrices du théâtre pour prouver que ce sont des gens de goût, querellent les officiers de la garnison pour montrer qu’ils sont gens de guerre, chassent, fument, bâillent, boivent, sentent le tabac, jouent au billard, regardent les voyageurs descendre de diligence, vivent au café, dînent à l’auberge, ont un chien qui mange les os sous la table et une maîtresse qui pose les plats dessus, tiennent à un sou, exagèrent les modes, admirent la tragédie, méprisent les femmes, usent leurs vieilles bottes, copient Londres à travers Paris et Paris à travers Pont-à-Mousson, vieillissent hébétés, ne travaillent pas, ne servent à rien, et ne nuisent pas à grand’chose.

    M. Félix Tholomyès, resté dans sa province et n’ayant jamais vu Paris, serait un de ces hommes-là.

    S’ils étaient plus riches, on dirait : ce sont des élégants ; s’ils étaient plus pauvres, on dirait : ce sont des fainéants. Ce sont tout simplement des désœuvrés. Parmi ces désœuvrés, il y a des ennuyeux, des ennuyés, des rêvasseurs et quelques drôles.

    Dans ce temps-là, un élégant se composait d’un grand col, d’une grande cravate, d’une montre à breloques, de trois gilets superposés de couleur différentes, le bleu et le rouge en dedans, d’un habit couleur olive à taille courte, à queue de morue, à double rangée de boutons d’argent serrés les uns contre les autres et montant jusque sur l’épaule, et d’un pantalon olive plus clair, orné sur les deux coulures d’un nombre de côtes indéterminé, mais toujours impair, variant de une à onze, limite qui n’était jamais franchie. Ajoutez à cela des souliers-bottes avec de petits fers au talon, un chapeau à haute forme et à bords étroits, des cheveux en touffe, une énorme canne, et une conversation rehaussée des calembours de Potier. Sur le tout des éperons et des moustaches. À cette époque, des moustaches voulaient dire bourgeois et des éperons voulaient dire piéton.

    L’élégant de province portait les éperons plus longs et les moustaches plus farouches.

    C’était le temps de la lutte des républiques de l’Amérique méridionale contre le roi d’Espagne, de Bolivar contre Mo rillo. Les chapeaux à petits bords étaient royalistes et se nommaient des morillos ; les libéraux portaient des chapeaux à larges bords qui s’appelaient des bolivars.

    Huit ou dix mois donc après ce qui a été raconté dans les pages précédentes, vers les premiers jours de janvier 1823, un soir qu’il avait neigé, un de ces élégants, un de ces désœuvrés, un « bien pensant », car il avait un morillo, de plus chaudement enveloppé d’un de ces grands manteaux qui complétaient dans les temps froids le costume à la mode, se divertissait à harceler une créature qui rôdait en robe de bal et toute décolletée avec des fleurs sur la tête devant la vitre du café des officiers. Cet élégant fumait, car c’était décidément la mode.

    Chaque fois que celle femme passait devant lui, il lui jetait, avec une bouffée de la fumée de son cigare, quelque apostrophe qu’il croyait spirituelle et gaie, comme : — Que tu es laide ! — Veux-tu te cacher ! — Tu n’as pas de dents ! etc., etc. — Ce monsieur s’appelait monsieur Bamatabois. La femme, triste spectre paré qui allait et venait sur la neige, ne lui répondait pas, ne le regardait même pas, et n’en accomplissait pas moins en silence et avec une régularité sombre sa promenade qui la ramenait de cinq minutes en cinq minutes sous le sarcasme, comme le soldat condamné qui revient sous les verges. Ce peu d’effet piqua sans doute l’oisif qui, profitant d’un moment où elle se retournait, s’avança derrière elle à pas de loup et en étouffant son rire, se baissa, prit sur le pavé une poignée de neige et la lui plongea brusquement dans le dos entre ses deux épaules nues. La fille poussa un rugissement, se tourna, bondit comme une panthère, et se rua sur l’homme, lui enfonçant ses ongles dans le visage, avec les plus effroyables paroles qui puissent tomber du corps de garde dans le ruisseau. Ces injures, vomies d’une voix enrouée par l’eau-de-vie, sortaient hideusement d’une bouche à laquelle manquaient en effet les deux dents de devant. C’était la Fantine.

    Au bruit que cela fit, les officiers sortirent en foule du café, les passants s’amassèrent, et il se forma un grand cercle riant, huant et applaudissant, autour de ce tourbillon composé de deux êtres où l’on avait peine à reconnaître un homme et une femme, l’homme se débattant, son chapeau à terre, la femme frappant des pieds et des poings, décoiffée, hurlant, sans dents et sans cheveux, livide de colère, horrible.

    Tout à coup un homme de haute taille sortit vivement de la foule, saisit la femme à son corsage de satin couvert de boue, et lui dit : — Suis moi !

    La femme leva la tête; sa voix furieuse s’éteignit subitement, Ses yeux étaient vitreux, de livide elle était devenue pâle, et elle tremblait d’un tremblement de terreur. Elle avait reconnu Javert.

    L’élégant avait profité de l’incident pour s’esquiver.


     

    XIII

    SOLUTION DE QUELQUES QUESTIONS DE POLICE MUNICIPALE


     

    Javert écarta les assistants, rompit le cercle et se mit à marcher à grands pas vers le bureau de police qui est à l’extrémité de la place, traînant après lui la misérable. Elle se laissait faire machinalement. Ni lui, ni elle ne disaient un mot. La nuée des spectateurs, au paroxysme de la joie, suivait avec des quolibets. La suprême misère, occasion d’obscénités.

    Arrivé au bureau de police qui était une salle basse chauffée par un poêle et gardée par un poste, avec une porte vitrée et grillée sur la rue, Javert ouvrit la porte, entra avec la Fantine, et referma la porte derrière lui, au grand désappointement des curieux qui se haussèrent sur la pointe du pied et allongèrent le cou devant la vitre trouble du corps de garde, cherchant à voir. La curiosité est une gourmandise. Voir, c’est dévorer.

    En entrant, la Fantine alla tomber dans un coin, immobile et muette, accroupie comme une chienne qui a peur.

    Le sergent du poste apporta une chandelle allumée sur une table. Javert s’assit, tira de sa poche une feuille de papier timbré et se mit à écrire.

    Ces classes de femmes sont entièrement remises par nos lois à la discrétion de la police. Elle en fait ce qu’elle veut, les punit comme bon lui semble, et confisque à son gré ces deux tristes choses qu’elles appellent leur industrie et leur liberté. Javert était impassible ; son visage sérieux ne trahissait aucune émotion. Pourtant il était gravement et profondément préoccupé. C’était un de ces moments où il exerçait sans contrôle, mais avec tous les scrupules d’une conscience sévère, son redoutable pouvoir discrétionnaire. En cet instant, il le sentait, son escabeau d’agent de police était un tribunal. Il jugeait. Il jugeait et il condamnait. Il appelait tout ce qu’il pouvait avoir d’idées dans l’esprit autour de la grande chose qu’il faisait. Plus il examinait le fait de cette fille, plus il se sentait révolté. Il était évident qu’il venait de voir commettre un crime. Il venait de voir, là dans la rue, la société, représentée par un propriétaire- électeur, insultée et attaquée par une créature en dehors de tout. Une prostituée avait attenté à un bourgeois. Il avait vu cela, lui Javert. Il écrivait en silence.

    Quand il eut fini, il signa, plia le papier et dit au sergent du poste, en le lui remettant : — Prenez trois hommes, et menez celle fille au bloc. — Puis se tournant vers la Fantine : — Tu en as pour six mois.

    La malheureuse tressaillit.

    Six mois ! six mois de prison ! cria-t-elle. Six mois à gagner sept sous par jour ! Mais que deviendra Cosette ? ma ma fille ! ma fille ! Mais je dois encore plus de cent francs aux Thénardier, monsieur l’inspecteur, savez-vous cela ?

    Elle se traîna sur la dalle mouillée par les bottes boueuses de tous ces hommes, sans se lever, joignant les mains, faisant de grands pas avec ses genoux.

    Monsieur Javert, dit-elle, je vous demande grâce. Je vous assure que je n’ai pas eu tort. Si vous aviez vu le commencement, vous auriez vu ! je vous jure le bon Dieu que je n’ai pas eu tort. C’est ce monsieur le bourgeois que je ne connais pas qui m’a mis de la neige dans le dos. Est-ce qu’on a le droit de nous mettre de la neige dans le dos quand nous passons comme cela tranquillement sans faire de mal à personne ? Cela m’a saisie. Je suis un peu malade, voyez-vous ! Et puis il y avait déjà un peu de temps qu’il me disait des raisons. Tu es laide ! tu n’as pas de dents ! Je ne faisais rien, moi ; je disais : c’est un monsieur qui s’amuse. J’étais honnête avec lui, je ne lui parlais pas. C’est à cet instant-là qu’il m’a mis de la neige. Monsieur Javert, mon bon monsieur l’inspecteur ! est-ce qu’il n’y a personne là qui ait vu, pour vous dire que c’est bien vrai ! J’ai peut-être eu tort de me fâcher. Vous savez, dans le premier moment, on n’est pas maître. On a des vivacités. Et puis, quelque chose de si froid qu’on vous met dans le dos à l’heure que vous ne vous y attendez pas. J’ai eu tort d’abîmer le chapeau de ce monsieur. Pourquoi s’est-il en allé ? je lui demanderais pardon. Oh ! mon Dieu, cela me serait bien égal de lui demander pardon. Faites-moi grâce pour aujourd’hui cette fois, monsieur Javert. Tenez, vous ne savez pas ça, dans les prisons on ne gagne que sept sous, ce n’est pas la faute du gouvernement, mais on gagne sept sous, et figurez-vous que j’ai cent francs à payer, ou autrement on me renverra ma petite. Ô mon Dieu ! je ne peux pas l’avoir avec moi. C’est si vilain ce que je fais ! Ô ma Cosette, ô mon petit ange de la bonne sainte vierge, qu’est-ce qu’elle deviendra, pauvre loup ! Je vais vous dire, c’est les Thénardier, des aubergistes, des paysans, ça n’a pas de raisonnement. Il leur faut de l’argent. Ne me mettez pas en prison ! Voyez-vous, c’est une petite qu’on mettrait à même sur la grande route, va comme tu pourras, en plein cœur d’hiver, il faut avoir pitié de cette chose-là, mon bon monsieur Javert. Si c’était plus grand, ça gagnerait sa vie, mais ça ne peut pas, à ces âges-là. Je ne suis pas une mauvaise femme au fond. Ce n’est pas la lâcheté et la gourmandise qui ont fait de moi ça. J’ai bu de l’eau-de-vie, c’est par misère. Je ne l’aime pas, mais cela étourdit. Quand j’étais plus heureuse, on n’aurait eu qu’à regarder dans mes armoires, on aurait bien vu que je n’étais pas une femme coquette qui a du désordre. J’avais du linge, beaucoup de linge. Ayez pitié de moi, monsieur Javert !

    Elle parlait ainsi, brisée en deux, secouée par les sanglots, aveuglée par les larmes, la gorge nue, se tordant les mains, toussant d’une voix sèche et courte, balbutiant tout doucement avec la voix de l’agonie. La grande douleur est un rayon divin et terrible qui transfigure les misérables. À ce moment-là, la Fantine était redevenue belle. À de certains instants, elle s’arrêtait et baisait tendrement le bas de la redingote du mouchard. Elle eût attendri un cœur de granit ; mais on n’attendrit pas un cœur de bois.

    Allons ! dit Javert, je t’ai écoutée. As-tu bien tout dit ? Marche à présent ! Tu as les six mois ; le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien.

    À cette solennelle parole, le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien, elle comprit que l’arrêt était prononcé. Elle s’affaissa sur elle-même en murmurant :

    Grâce !

    Javert tourna le dos.

    Les soldats la saisirent par le bras.

    Depuis quelques minutes, un homme était entré sans qu’on eût pris garde à lui. Il avait refermé la porte, s’y était adossé, et avait entendu les prières désespérées de la Fantine.

    Au moment où les soldats mirent la main sur la malheureuse, qui ne voulait pas se lever, il fit un pas, sortit de l’ombre, et dit :

    Un instant, s’il vous plaît !

    Javert leva les yeux et reconnut M. Madeleine. Il ôta son chapeau, et saluant avec une sorte de gaucherie fâchée :

    Pardon, monsieur le maire...

    Ce mot, monsieur le maire, fit sur Fantine un effet étrange. Elle se dressa debout tout d’une pièce comme un spectre qui sort de terre, repoussa les soldats des deux bras, marcha droit à M. Madeleine avant qu’on eût pu la retenir, et le regardant fixement, l’air égaré, elle cria :

    Ah ! c’est donc toi qui es monsieur le maire !

    Puis elle éclata de rire et lui cracha au visage.

    M. Madeleine s’essuya le visage, et dit :

    Inspecteur Javert, mettez cette femme en liberté.

    Javert se sentit au moment de devenir fou. Il éprouvait en cet instant, coup sur coup, et presque mêlées ensemble, les plus violentes émotions qu’il eût ressenties de sa vie. Voir une fille publique cracher au visage d’un maire, cela était une chose si monstrueuse que, dans ses suppositions les plus effroyables, il eût regardé comme un sacrilège de le croire possible. D’un autre côté, dans le fond de sa pensée, il faisait confusément un rapprochement hideux entre ce qu’était cette femme et ce que pouvait être ce maire, et alors il entrevoyait avec horreur je ne sais quoi de tout simple dans ce prodigieux attentat. Mais quand il vit ce maire, ce magistrat, s’essuyer tranquillement le visage et dire : Mettez cette femme en liberté, il eut comme un éblouissement de stupeur ; la pensée et la parole lui manquèrent également ; la somme de l’étonnement possible était dépassée pour lui. Il resta muet.

    Ce mot n’avait pas porté un coup moins étrange à la Fantine. Elle leva son bras nu et se cramponna à la clef du poêle comme une personne qui chancelle. Cependant elle regardait tout autour d’elle et elle se mit à parler à voix basse, comme si elle se parlait à elle-même.

    En liberté ! qu’on me laisse aller ! que je n’aille pas en prison six mois ! Qui est-ce qui a dit cela ? Il n’est pas possible qu’on ait dit cela. J’ai mal entendu. Ça ne peut pas être ce monstre de maire ! Est-ce que c’est vous, mon bon monsieur Javert, qui avez dit qu’on me mette en liberté ? Oh ! voyez-vous ! je vais vous dire et vous me laisserez aller. Ce monstre de maire, ce vieux gredin de maire, c’est lui qui est cause de tout. Figurez-vous, monsieur Javert, qu’il m’a chassée ! à cause d’un tas de gueuses qui tiennent des propos dans l’atelier. Si ce n’est pas là une horreur ! renvoyer une pauvre fille qui fait honnêtement son ouvrage ! Alors je n’ai plus gagné assez, et tout le malheur est venu. D’abord il y a une amélioration que ces messieurs de la police devraient bien faire, ce serait d’empêcher les entrepreneurs des prisons de faire du tort aux pauvres gens. Je vais vous expliquer cela, voyez-vous. Vous gagnez douze sous dans les chemises, cela tombe à neuf sous, il n’y a plus moyen de vivre. Il faut donc devenir ce qu’on peut. Moi, j’avais ma petite Cosette, j’ai bien été forcée de devenir une mauvaise femme. Vous comprenez à présent que c’est ce gueux de maire qui a fait tout le mal. Après cela j’ai piétiné le chapeau de ce monsieur bourgeois devant le café des officiers. Mais lui, il m’avait perdu toute ma robe avec de la neige. Nous autres, nous n’avons qu’une robe de soie, pour le soir. Voyez-vous, je n’ai jamais fait de mal exprès, vrai, monsieur Javert, et je vois partout des femmes bien plus méchantes que moi qui sont bien plus heureuses. Ô monsieur Javert, c’est vous qui avez dit qu’on me mette dehors, n’est-ce pas ? Prenez des informations, parlez à mon propriétaire, maintenant je paye mon terme, on vous dira bien que je suis honnête. Ah ! mon Dieu, je vous demande pardon, j’ai touché, sans faire attention, à la clef du poêle, et cela fait fumer.

    M. Madeleine l’écoutait avec une attention profonde. Pendant qu’elle parlait, il avait fouillé dans son gilet, en avait tiré sa bourse et l’avait ouverte, Elle était vide. Il l’avait remise dans sa poche. Il dit à la Fantine :

    Combien avez-vous dit que vous deviez ?

    La Fantine, qui ne regardait que Javert, se retourna de son côté :

    Est-ce que je te parle, à toi !

    Puis s’adressant aux soldats :

    Dites donc, vous autres ? avez-vous vu comme je te vous lui ai craché à la figure ? Ah ! vieux scélérat de maire, tu viens ici pour me faire peur, mais je n’ai pas peur de toi. J’ai peur de monsieur Javert. J’ai peur de mon bon monsieur Javert !

    En parlant ainsi elle se retourna vers l’inspecteur :

    Avec ça, voyez-vous, monsieur l’inspecteur, il faut être juste. Je comprends que vous êtes juste, monsieur l’inspecteur. Au fait, c’est tout simple, un homme qui joue à mettre un peu de neige dans le dos d’une femme, ça les faisait rire, les officiers ; il faut bien qu’on se divertisse à quelque chose, nous autres nous sommes là pour qu’on s’amuse, quoi ! Et puis, vous, vous venez, vous êtes bien forcé de mettre l’ordre, vous emmenez la femme qui a tort, mais en y réfléchissant, comme vous êtes bon, vous dites qu’on me mette en liberté, c’est pour la petite, parce que six mois en prison, cela m’empêcherait de nourrir mon enfant. Seulement n’y reviens plus, coquine ! Oh ! je n’y reviendrai plus, monsieur Javert ! on me fera tout ce qu’on voudra maintenant, je ne bougerai plus. Seulement, aujourd’hui, voyez-vous, j’ai crié parce que cela m’a fait mal, je ne m’attendais pas du tout à cette neige de ce monsieur ; et puis, je vous ai dit, je ne me porte pas très bien, je tousse, j’ai là dans l’estomac comme une boule qui me brûle, que le médecin me dit : soignez-vous. Tenez, tâtez, donnez votre main, n’ayez pas peur, c’est ici.

    Elle ne pleurait plus, sa voix était caressante, elle appuyait sur sa gorge blanche et délicate la grosse main rude de Javert et elle le regardait en souriant.

    Tout à coup elle rajusta vivement le désordre de ses vêtements, fit retomber les plis de sa robe qui en se traînant s’était relevée presque à la hauteur du genou, et marcha vers la porte en disant à demi-voix aux soldats avec un signe de tête amical :

    Les enfants, monsieur l’inspecteur a dit qu’on me lâche, je m’en vas.

    Elle mit la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue.

    Javert jusqu’à cet instant était resté debout, immobile, l’œil fixé à terre, posé de travers au milieu de cette scène comme une statue dérangée qui attend qu’on la mette quelque part.

    Le bruit que fit le loquet le réveilla. Il releva la tête avec une expression d’autorité souveraine, expression d’autant plus effrayante que le pouvoir se trouve placé plus bas, féroce chez la bête fauve, atroce chez l’homme de rien.

    Sergent ! cria-t-il, vous ne voyez pas que cette drôlesse s’en va ! Qui est-ce qui vous a dit de la laisser aller ?

    Moi, dit Madeleine.

    La Fantine à la voix de Javert avait tremblé et lâché le loquet comme un voleur pris lâche l’objet volé. À la voix de Madeleine, elle se retourna, et à partir de ce moment, sans qu’elle prononçât un mot, sans qu’elle osât même laisser sortir son souffle librement, son regard alla tour à tour de Madeleine à Javert et de Javert à Madeleine, selon que c’était l’un ou l’autre qui parlait.

    Il était évident qu’il fallait que Javert eût été comme on dit « jeté hors des gonds » pour qu’il se fût permis d’apostropher le sergent comme il l’avait fait, après l’invitation du maire de mettre Fantine en liberté. En était-il venu à oublier la présence de monsieur le maire ? Avait-il fini par se déclarer à lui-même qu’il était impossible qu’une « autorité » eût donné un pareil ordre, et que bien certainement monsieur le maire avait dû dire sans le vouloir une chose pour une autre ? Ou bien, devant les énormités dont il était témoin depuis deux heures, se disait-il qu’il fallait revenir aux suprêmes résolutions, qu’il était nécessaire que le petit se fît grand, que le mouchard se transformât en magistrat, que l’homme de police devînt homme de justice, et qu’en cette extrémité prodigieuse l’ordre, la loi, la morale, le gouvernement, la société tout entière, se personnifiaient en lui Javert ?

    Quoi qu’il en soit, quand M. Madeleine eut dit ce moi qu’on vient d’entendre, on vit l’inspecteur de police Javert se tourner vers monsieur le maire, pâle, froid, les lèvres bleues, le regard désespéré, tout le corps agité d’un tremblement imperceptible, et, chose inouïe, lui dire, l’œil baissé, mais la voix ferme :

    Monsieur le maire, cela ne se peut pas.

    Comment ? dit M. Madeleine.

    Cette malheureuse a insulté un bourgeois.

    Inspecteur Javert, repartit M. Madeleine avec un accent conciliant et calme, écoutez. Vous êtes un honnête homme, et je ne fais nulle difficulté de m’expliquer avec vous. Voici le vrai. Je passais sur la place comme vous emmeniez cette femme, il y avait encore des groupes, je me suis informé, j’ai tout su, c’est le bourgeois qui a eu tort et qui, en bonne police, eût dû être arrêté.

    Javert reprit :

    Cette misérable vient d’insulter monsieur le maire.

    Ceci me regarde, dit M. Madeleine. Mon injure est à moi peut-être. J’en puis faire ce que je veux.

    Je demande pardon à monsieur le maire. Son injure n’est pas à lui, elle est à la justice.

    Inspecteur Javert, répliqua M. Madeleine, la première justice, c’est la conscience. J’ai entendu cette femme. Je sais ce que je fais.

    Et moi, monsieur le maire, je ne sais pas ce que je vois.

    Alors contentez-vous d’obéir.

    J’obéis à mon devoir. Mon devoir veut que cette femme fasse six mois de prison.

    M. Madeleine répondit avec douceur :

    Écoutez bien ceci. Elle n’en fera pas un jour.

    À cette parole décisive, Javert osa regarder le maire fixement, et lui dit, mais avec un son de voix toujours profondément respectueux :

    Je suis au désespoir de résister à monsieur le maire, c’est la première fois de ma vie, mais il daignera me permettre de lui faire observer que je suis dans la limite de mes attributions. Je reste, puisque monsieur le maire le veut, dans le fait du bourgeois. J’étais là. C’est cette fille qui s’est jetée sur monsieur Bamatabois, qui est électeur et propriétaire de cette belle maison à balcon qui fait le coin de l’esplanade, à trois étages et toute en pierre de taille. Enfin, il y a des choses dans ce monde ! Quoi qu’il en soit, monsieur le maire, cela, c’est un fait de police de la rue qui me regarde, et je retiens la femme Fantine.

    Alors M. Madeleine croisa les bras et dit avec une voix sévère que personne dans la ville n’avait encore entendue :

    Le fait dont vous parlez est un fait de police municipale. Aux termes des articles neuf, onze, quinze et soixante-six du code d’instruction criminelle, j’en suis juge. J’ordonne que cette femme soit mise en liberté.

    Javert voulut tenter un dernier effort.

    Mais, monsieur le maire...

    Je vous rappelle, à vous, l’article quatrevingt-un de la loi du 13 décembre 1799 sur la détention arbitraire.

    Monsieur le maire, permettez...

    Plus un mot.

    Pourtant...

    Sortez, dit M. Madeleine.

    Javert reçut le coup, debout, de face, et en pleine poitrine comme un soldat russe. Il salua jusqu’à terre monsieur le maire, et sortit.

    Fantine se rangea de la porte et le regarda avec stupeur passer devant elle.

    Cependant elle aussi était en proie à un bouleversement étrange. Elle venait de se voir en quelque sorte disputée par deux puissances opposées. Elle avait vu lutter devant ses yeux deux hommes tenant dans leurs mains sa liberté, sa vie, son âme, son enfant ; l’un de ces hommes l’attirait du côté de l’ombre, l’autre la ramenait vers la lumière. Dans cette lutte, entrevue à travers les grossissements de l’épouvante, ces deux hommes lui étaient apparus comme deux géants ; l’un parlait comme son démon, l’autre parlait comme son bon ange. L’ange avait vaincu le démon, et, chose qui la faisait frissonner de la tête aux pieds, cet ange, ce libérateur, c’était précisément l’homme qu’elle abhorrait, ce maire qu’elle avait si longtemps considéré comme l’auteur de tous ses maux, ce Madeleine ! et, au moment même où elle venait de l’insulter dune façon hideuse, il la sauvait ! S’était-elle donc trompée ? Devait-elle donc changer toute son âme ?... Elle ne savait, elle tremblait. Elle écoutait éperdue, elle regardait effarée, et à chaque parole que disait M. Madeleine, elle sentait fondre et s’écrouler en elle les affreuses ténèbres de la haine et naître dans son cœur je ne sais quoi de réchauffant et d’ineffable qui était de la joie, de la confiance et de l’amour.

    Quand Javert fut sorti, M. Madeleine se tourna vers elle, et il lui dit avec une voix lente, ayant peine à parler comme un homme sérieux qui ne veut pas pleurer :

    Je vous ai entendue. Je ne savais rien de ce que vous avez dit. Je crois que c’est vrai, et je sens que c’est vrai. J’ignorais même que vous eussiez quitté mes ateliers. Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressée à moi ? Mais voici : je payerai vos dettes, je ferai revenir votre enfant, ou vous irez la rejoindre. Vous vivrez ici, à Paris, où vous voudrez. Je me charge de votre enfant et de vous. Vous ne travaillerez plus, si vous voulez. Je vous donnerai tout l’argent qu’il vous faudra. Vous redeviendrez honnête en redevenant heureuse. Et même, écoutez, je vous le déclare dès à présent, si tout est comme vous le dites, et je n’en doute pas, vous n’avez jamais cessé d’être vertueuse et sainte devant Dieu. Oh ! pauvre femme !

    C’en était plus que la pauvre Fantine n’en pouvait supporter. Avoir Cosette ! sortir de cette vie infâme ! vivre libre, riche, heureuse, honnête, avec Cosette ! voir brusquement s’épanouir au milieu de sa misère toutes ces réalités du paradis ! Elle regarda comme hébétée cet homme qui lui parlait, et ne put que jeter deux ou trois sanglots : oh ! oh ! oh ! Ses jarrets plièrent, elle se mit à genoux devant M. Madeleine, et, avant qu’il eût pu l’en empêcher, il sentit qu’elle lui prenait la main et que ses lèvres s’y posaient.

    Puis elle s’évanouit.


     


    I

    COMMENCEMENT DU REPOS


     

    M. Madeleine fit transporter la Fantine à cette infirmerie qu’il avait dans sa propre maison. Il la confia aux sœurs qui la mirent au lit. Une fièvre ardente était survenue. Elle passa une partie de la nuit à délirer et à parler haut. Cependant elle finit par s’endormir.

    Le lendemain vers midi Fantine se réveilla, elle entendit une respiration tout près de son lit, elle écarta son rideau et vit M. Madeleine debout qui regardait quelque chose au- Il soupira profondément. Elle cependant lui souriait avec ce sublime sourire auquel il manquait deux dents.

    Javert dans cette même nuit avait écrit une lettre. Il remit lui-même cette lettre le lendemain matin au bureau de poste de Montreuil-sur-mer. Elle était pour Paris, et la suscription portait : À monsieur Chabouillet, secrétaire de monsieur le préfet de police. Comme l’affaire du corps de garde s’était ébruitée, la directrice du bureau de poste et quelques autres personnes qui virent la lettre avant le départ et qui reconnurent l’écriture de Javert sur l’adresse, pensèrent que c’était sa démission qu’il envoyait.

    M. Madeleine se hâta d’écrire aux Thénardier. Fantine leur devait cent vingt francs. Il leur envoya trois cents francs en leur disant de se payer sur cette somme, et d’amener tout de suite l’enfant à Montreuil-sur-mer où sa mère malade la réclamait.

    Ceci éblouit le Thénardier.

    Diable ! dit-il à sa femme, ne lâchons pas l’enfant. Voilà que cette mauviette va devenir une vache à lait. Je devine. Quelque jocrisse se sera amouraché de la mère.

    Il riposta par un mémoire de cinq cents et quelques francs fort bien fait. Dans ce mémoire figuraient pour plus de trois cents francs deux notes incontestables, l’une d’un médecin, l’autre d’un apothicaire, lesquels avaient soigné et médicamenté dans deux longues maladies Éponine et Azelma. Cosette, nous l’avons dit, n’avait pas été malade. Ce fut l’affaire d’une toute petite substitution de noms. Thénardier mit au bas du mémoire : Reçu à compte trois cents francs.

    M. Madeleine envoya tout de suite trois cents autres francs et écrivit : Dépêchez-vous d’amener Cosette.

    Cristi ! dit le Thénardier, ne lâchons pas l’enfant.

    Cependant Fantine ne se rétablissait point. Elle était toujours à l’infirmerie.

    Les sœurs n’avaient d’abord reçu et soigné « cette fille » qu’avec répugnance. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes est un des plus profonds instincts de la dignité féminine ; les sœurs l’avaient éprouvé, avec le redoublement qu’ajoute la religion. Mais, en peu de jours, Fantine les avait désarmées. Elle avait toutes sortes de paroles humbles et douces, et la mère qui était en elle attendrissait. Un jour les sœurs l’entendirent qui disait à travers la fièvre : — J’ai été une pécheresse, mais quand j’aurai mon enfant près de moi, cela voudra dire que Dieu m’a pardonné. Pendant que j’étais dans le mal, je n’aurais pas voulu avoir ma Cosette avec moi, je n’aurais pas pu supporter ses yeux étonnés et tristes. C’était pour elle pourtant que je faisais le mal, et c’est ce qui fait que Dieu me pardonne. Je sentirai la bénédiction du bon Dieu quand Cosette sera ici. Je la regarderai, cela me fera du bien de voir cette innocente. Elle ne sait rien du tout. C’est un ange, voyez-vous, mes sœurs. À cet âge-là, les ailes, ça n’est pas encore tombé.

    M. Madeleine l’allait voir deux fois par jour, et chaque fois elle lui demandait :

    Verrai-je bientôt ma Cosette ?

    Il lui répondait :

    Peut-être demain matin. D’un moment à l’autre elle arrivera, je l’attends.

    Et le visage pâle de la mère rayonnait.

    Oh ! disait-elle, comme je vais être heureuse !

    Nous venons de dire qu’elle ne se rétablissait pas. Au contraire, son état semblait s’aggraver de semaine en semaine. Cette poignée de neige appliquée à nu sur la peau entre les deux omoplates avait déterminé une suppression subite de transpiration à la suite de laquelle la maladie qu’elle couvait depuis plusieurs années finit par se déclarer violemment. On commençait alors à suivre pour l’étude et le traitement des maladies de poitrine les belles indications de Laënnec. Le médecin ausculta Fantine et hocha la tête.

    M. Madeleine dit au médecin :

    Eh bien ?

    N’a-t-elle pas un enfant qu’elle désire voir ? dit le médecin.

    Oui.

    Eh bien, hâtez-vous de le faire venir.

    M. Madeleine eut un tressaillement.

    Fantine lui demanda :

    Qu’a dit le médecin ?

    M. Madeleine s’efforça de sourire.

    Il a dit de faire venir bien vite votre enfant. Que cela vous rendra la santé.

    Oh ! reprit-elle, il a raison ! Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ces Thénardier à me garder ma Cosette ! Oh ! elle va venir. Voici enfin que je vois le bonheur tout près de moi !

    Le Thénardier cependant ne « lâchait pas l’enfant » et donnait cent mauvaises raisons. Cosette était un peu souffrante pour se mettre en route l’hiver. Et puis il y avait un reste de petites dettes criardes dans le pays dont il rassemblait les factures, etc., etc.

    J’enverrai quelqu’un chercher Cosette, dit le père Madeleine. S’il le faut, j’irai moi-même.

    Il écrivit sous la dictée de Fantine cette lettre qu’il lui fit signer :

    « Monsieur Thénardier,

    « Vous remettrez Cosette à la personne.

    « On vous payera toutes les petites choses.

    « J’ai l’honneur de vous saluer avec considération.

    « Fantine. »

    Sur ces entrefaites, il survint un grave incident. Nous avons beau tailler de notre mieux le bloc mystérieux dont notre vie est faite, la veine noire de la destinée y reparaît toujours.


     

    II

    COMMENT JEAN PEUT DEVENIR CHAMP


     

    Un matin, M. Madeleine était dans son cabinet, occupé à régler d’avance quelques affaires pressantes de la mairie pour le cas où il se déciderait à ce voyage de Montfermeil, lorsqu’on vint lui dire que l’inspecteur de police Javert demandait à lui parler. En entendant prononcer ce nom, M. Madeleine ne put se défendre d’une impression désagréable. Depuis l’aventure du bureau de police, Javert l’avait plus que jamais évité, et M. Madeleine ne l’avait point revu.

    Faites entrer, dit-il.

    Javert entra.

    M. Madeleine était resté assis près de la cheminée, une plume à la main, l’œil sur un dossier qu’il feuilletait et qu’il annotait, et qui contenait des procès-verbaux de contraventions à la police de la voirie. Il ne se dérangea point pour Javert. Il ne pouvait s’empêcher de songer à la pauvre Fantine, et il lui convenait d’être glacial.

    Javert salua respectueusement M. le maire qui lui tournait le dos. M. le maire ne le regarda pas et continua d’annoter son dossier.

    Javert fit deux ou trois pas dans le cabinet, et s’arrêta sans rompre le silence. Un physionomiste qui eût été familier avec la nature de Javert, qui eût étudié depuis longtemps ce sauvage au service de la civilisation, ce composé bizarre du Romain, du Spartiate, du moine et du caporal, cet espion incapable d’un mensonge, ce mouchard vierge, un physionomiste qui eût su sa secrète et ancienne aversion pour M. Madeleine, son conflit avec le maire au sujet de la Fantine, et qui eût considéré Javert en ce moment, se fût dit : que s’est-il passé ? Il était évident, pour qui eût connu cette conscience droite, claire, sincère, probe, austère et féroce, que Javert sortait de quelque grand événement intérieur. Javert n’avait rien dans l’âme qu’il ne l’eût aussi sur le visage. Il était, comme les gens violents, sujet aux revirements brusques. Jamais sa physionomie n’avait été plus étrange et plus inattendue. En entrant, il s’était incliné devant M. Madeleine avec un regard où il n’y avait ni rancune, ni colère, ni défiance, il s’était arrêté à quelques pas derrière le fauteuil du maire ; et maintenant il se tenait là, debout, dans une attitude presque disciplinaire, avec la rudesse naïve et froide d’un homme qui n’a jamais été doux et qui a toujours été patient ; il attendait, sans dire un mot, sans faire un mouvement, dans une humilité vraie et dans une résignation tranquille, qu’il plût à monsieur le maire de se retourner ; calme, sérieux, le chapeau à la main, les yeux baissés, avec une expression qui tenait le milieu entre le soldat devant son officier et le coupable devant son juge. Tous les sentiments comme tous les souvenirs qu’on eût pu lui supposer avaient disparu. Il n’y avait plus rien sur ce visage impénétrable et simple comme le granit, qu’une morne tristesse. Toute sa personne respirait l’abaissement et la fermeté, et je ne sais quel accablement courageux.

    Enfin M. le maire posa sa plume et se tourna à demi.

    Eh bien ! qu’est-ce ? qu’y a-t-il, Javert ?

    Javert demeura un instant silencieux comme s’il se recueillait, puis éleva la voix avec une sorte de solennité triste qui n’excluait pourtant pas la simplicité :

    Il y a, monsieur le maire, qu’un acte coupable a été commis.

    Quel acte ?

    Un agent inférieur de l’autorité a manqué de respect à un magistrat de la façon la plus grave. Je viens, comme c’est mon devoir, porter le fait à votre connaissance.

    Quel est cet agent ? demanda M. Madeleine.

    Moi, dit Javert.

    Vous ?

    Moi.

    Et quel est le magistrat qui aurait à se plaindre de l’agent ?

    Vous, monsieur le maire.

    M. Madeleine se dressa sur son fauteuil. Javert poursuivit, l’air sévère et les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, je viens vous prier de vouloir bien provoquer près de l’autorité ma destitution.

    M. Madeleine stupéfait ouvrit la bouche. Javert l’interrompit.

    Vous direz, j’aurais pu donner ma démission, mais cela ne suffit pas. Donner sa démission, c’est honorable. J’ai failli, je dois être puni. Il faut que je sois chassé.

    Et après une pause, il ajouta :

    Monsieur le maire, vous avez été sévère pour moi l’autre jour injustement. Soyez-le aujourd’hui justement.

    Ah çà ! pourquoi ? s’écria M. Madeleine. Quel est ce galimatias ? qu’est-ce que cela veut dire ? où y a-t-il un acte coupable commis contre moi par vous ? qu’est-ce que vous m’avez fait ? quels torts avez-vous envers moi ? Vous vous accusez, vous voulez être remplacé…

    Chassé, dit Javert.

    Chassé, soit. C’est fort bien. Je ne comprends pas.

    Vous allez comprendre, monsieur le maire.

    Javert soupira du fond de sa poitrine et reprit toujours froidement et tristement :

    Monsieur le maire, il y a six semaines, à la suite de cette scène pour cette fille, j’étais furieux, je vous ai dénoncé.

    Dénoncé !

    À la préfecture de police de Paris.

    M. Madeleine, qui ne riait pas beaucoup plus souvent que Javert, se mit à rire.

    Comme maire ayant empiété sur la police ?

    Comme ancien forçat.

    Le maire devint livide.

    Javert, qui n’avait pas levé les yeux, continua :

    Je le croyais. Depuis longtemps j’avais des idées.

    Une ressemblance, des renseignements que vous avez fait prendre à Faverolles, votre force des reins, l’aventure du vieux Fauchelevent, votre adresse au tir, votre jambe qui traîne un peu, est-ce que je sais, moi ? des bêtises ! mais enfin je vous prenais pour un nommé Jean Valjean.

    Un nommé ?… Comment dites-vous ce nom-là ?

    Jean Valjean. C’est un forçat que j’avais vu il y a vingt ans quand j’étais adjudant-garde-chiourme à Toulon. En sortant du bagne, ce Jean Valjean avait, à ce qu’il paraît, volé chez un évêque, puis il avait commis un autre vol à main armée, dans un chemin public, sur un petit savoyard. Depuis huit ans il s’était dérobé, on ne sait comment, et on le cherchait. Moi je m’étais figuré… Enfin, j’ai fait cette chose ! La colère m’a décidé, je vous ai dénoncé à la préfecture.

    M. Madeleine, qui avait ressaisi le dossier depuis quelques instants, reprit avec un accent de parfaite indifférence :

    Et que vous a-t-on répondu ?

    Que j’étais fou.

    Eh bien ?

    Eh bien, on avait raison. donc pas le sinvre, dit Brevet. Tu es Jean Valjean ! Tu as été au bagne de Toulon. Il y a vingt ans. Nous y étions ensemble. — Le Champmathieu nie. Parbleu ! vous comprenez. On approfondit. On me fouille cette aventure-là. Voici ce qu’on trouve : ce Champmathieu, il y a une trentaine d’années, a été ouvrier émondeur d’arbres dans plusieurs pays, notamment à Faverolles. Là on perd sa trace. Longtemps après, on le revoit en Auvergne, puis à Paris, où il dit avoir été charron et avoir eu une fille blanchisseuse, mais cela n’est pas prouvé ; enfin dans ce pays-ci. Or, avant d’aller au bagne pour vol qualifié, qu’était Jean Valjean ? émondeur. Où ? à Faverolles. Autre fait. Ce Valjean s’appelait de son nom de baptême Jean et sa mère se nommait de son nom de famille Mathieu. Quoi de plus naturel que de penser qu’en sortant du bagne il aura pris le nom de sa mère pour se cacher et se sera fait appeler Jean Mathieu ? Il va en Auvergne. De Jean la prononciation du pays fait Chan, on l’appelle Chan Mathieu. Notre homme se laisse faire et le voilà transformé en Champmathieu. Vous me suivez, n’est-ce pas ? On s’informe à Faverolles. La famille de Jean Valjean n’y est plus. On ne sait plus où elle est. Vous savez, dans ces classes-là, il y a souvent de ces évanouissements d’une famille. On cherche, on ne trouve plus rien. Ces gens-là, quand ce n’est pas de la boue, c’est de la poussière. Et puis, comme le commencement de ces histoires date de trente ans, il n’y a plus personne à Faverolles qui ait connu Jean Valjean. On s’informe à Toulon. Avec Brevet, il n’y a plus que deux forçats qui aient vu Jean Valjean. Ce sont les condamnés à vie Cochepaille et Chenildieu. On les extrait du bagne et on les fait venir. On les confronte au prétendu Champmathieu. Ils n’hésitent pas. Pour eux comme pour Brevet, c’est Jean Valjean. Même âge, il a cinquante-quatre ans, même taille, même air, même homme enfin, c’est lui. C’est en ce moment-là même que j’envoyais ma dénonciation à la préfecture de Paris. On me répond que je perds l’esprit et que Jean Valjean est à Arras au pouvoir de la justice. Vous concevez si cela m’étonne, moi qui croyais tenir ici ce même Jean Valjean ! J’écris à monsieur le juge d’instruction. Il me fait venir, on m’amène le Champmathieu…

    Eh bien ? interrompit M. Madeleine.

    Javert répondit avec son visage incorruptible et triste :

    Monsieur le maire, la vérité est la vérité. J’en suis fâché, mais c’est cet homme-là qui est Jean Valjean. Moi aussi je l’ai reconnu.

    M. Madeleine reprit d’une voix très basse :

    Vous êtes sûr ?

    Javert se mit à rire de ce rire douloureux qui échappe à une conviction profonde :

    Oh, sûr !

    Il demeura un moment pensif, prenant machinalement des pincées de poudre de bois dans la sébille à sécher l’encre qui était sur la table, et il ajouta :

    Et même, maintenant que je vois le vrai Jean Valjean, je ne comprends pas comment j’ai pu croire autre chose. Je vous demande pardon, monsieur le maire.

    En adressant cette parole suppliante et grave à celui qui, six semaines auparavant, l’avait humilié en plein corps de garde et lui avait dit : sortez ! Javert, cet homme hautain, était à son insu plein de simplicité et de dignité. M. Madeleine ne répondit à sa prière que par cette question brusque :

    Et que dit cet homme ?

    Ah, dame ! monsieur le maire, l’affaire est mauvaise. Si c’est Jean Valjean, il y a récidive. Enjamber un mur, casser une branche, chiper des pommes, pour un enfant, c’est une polissonnerie ; pour un homme, c’est un délit ; pour un forçat, c’est un crime. Escalade et vol, tout y est. Ce n’est plus la police correctionnelle, c’est la cour d’assises. Ce n’est plus quelques jours de prison, ce sont les galères à perpétuité. Et puis, il y a l’affaire du petit savoyard que j’espère bien qui reviendra. Diable ! il y a de quoi se débattre, n’est-ce pas ? Oui, pour un autre que Jean Valjean. Mais Jean Valjean est un sournois. C’est encore là que je le reconnais. Un autre sentirait que cela chauffe ; il se démènerait, il crierait, la bouilloire chante devant le feu, il ne voudrait pas être Jean Valjean, et caetera. Lui, il n’a pas l’air de comprendre, il dit : Je suis Champmathieu, je ne sors pas de là ! Il a l’air étonné, il fait la brute, c’est bien mieux. Oh ! le drôle est habile. Mais c’est égal, les preuves sont là. Il est reconnu par quatre personnes, le vieux coquin sera condamné. C’est porté aux assises, à Arras. Je vais y aller pour témoigner. Je suis cité.

    M. Madeleine s’était remis à son bureau, avait ressaisi son dossier, et le feuilletait tranquillement, lisant et écrivant tour à tour comme un homme affairé. Il se tourna vers Javert :

    Assez, Javert. Au fait, tous ces détails m’intéressent fort peu. Nous perdons notre temps, et nous avons des affaires pressées. Javert, vous allez vous rendre sur-le-champ chez la bonne femme Buseaupied qui vend des herbes là-bas au coin de la rue Saint-Saulve. Vous lui direz de déposer sa plainte contre le charretier Pierre Chesnelong. Cet homme est un brutal qui a failli écraser cette femme et son enfant. Il faut qu’il soit puni. Vous irez ensuite chez M. Charcellay, rue Montre-de-Champigny. Il se plaint qu’il y a une gouttière de la maison voisine qui verse l’eau de la pluie chez lui, et qui affouille les fondations de sa maison. Après vous constaterez des contraventions de police qu’on me signale rue Guibourg chez la veuve Doris, et rue du Garraud-Blanc chez madame Renée Le Bossé, et vous dresserez procès-verbal. Mais je vous donne là beaucoup de besogne. N’allez-vous pas être absent ? ne m’avez-vous pas dit que vous alliez à Arras pour cette affaire dans huit ou dix jours ?…

    Plus tôt que cela, monsieur le maire.

    Quel jour donc ?

    Mais je croyais avoir dit à monsieur le maire que cela se jugeait demain et que je partais par la diligence cette nuit.

    M. Madeleine fit un mouvement imperceptible.

    Et combien de temps durera l’affaire ?

    Un jour tout au plus. L’arrêt sera prononcé au plus tard demain dans la nuit. Mais je n’attendrai pas l’arrêt, qui ne peut manquer. Sitôt ma déposition faite, je reviendrai ici.

    C’est bon, dit M. Madeleine.

    Et il congédia Javert d’un signe de main.

    Javert ne s’en alla pas.

    Pardon, monsieur le maire, dit-il.

    Qu’est-ce encore ? demanda M. Madeleine.

    Monsieur le maire, il me reste une chose à vous rappeler.

    Laquelle ?

    C’est que je dois être destitué.

    M. Madeleine se leva.

    Javert, vous êtes un homme d’honneur, et je vous estime. Vous vous exagérez votre faute. Ceci d’ailleurs est encore une offense qui me concerne. Javert, vous êtes digne de monter et non de descendre. J’entends que vous gardiez votre place.

    Javert regarda M. Madeleine avec sa prunelle candide au fond de laquelle il semblait qu’on vit cette conscience peu éclairée, mais rigide et chaste, et il dit d’une voix tranquille :

    Monsieur le maire, je ne puis vous accorder cela.

    Je vous répète, répliqua M. Madeleine, que la chose me regarde.

    Mais Javert, attentif à sa seule pensée, continua :

    Quant à exagérer, je n’exagère point. Voici comment je raisonne. Je vous ai soupçonné injustement. Cela, ce n’est rien. C’est notre droit à nous autres de soupçonner, quoiqu’il y ait pourtant abus à soupçonner au-dessus de soi. Mais, sans preuves, dans un accès de colère, dans le but de me venger, je vous ai dénoncé comme forçat, vous, un homme respectable, un maire, un magistrat ! ceci est grave. Très grave. J’ai offensé l’autorité dans votre personne, moi, agent de l’autorité ! Si l’un de mes subordonnés avait fait ce que j’ai fait, je l’aurais déclaré indigne du service, et chassé. Eh bien ? — Tenez, monsieur le maire, encore un mot. J’ai souvent été sévère dans ma vie. Pour les autres. C’était juste. Je faisais bien. Maintenant, si je n’étais pas sévère pour moi, tout ce que j’ai fait de juste deviendrait injuste. Est-ce que je dois m’épargner plus que les autres ? Non. Quoi ! je n’aurais été bon qu’à châtier autrui, et pas moi ! mais je serais un misérable ! mais ceux qui disent : ce gueux de Javert ! auraient raison ! Monsieur le maire, je ne souhaite pas que vous me traitiez avec bonté, votre bonté m’a fait faire assez de mauvais sang quand elle était pour les autres. Je n’en veux pas pour moi. La bonté qui consiste à donner raison à la fille publique contre le bourgeois, à l’agent de police contre le maire, à celui qui est en bas contre celui qui est en haut, c’est ce que j’appelle de la mauvaise bonté. C’est avec cette bonté-là que la société se désorganise. Mon Dieu ! c’est bien facile d’être bon, le malaisé c’est d’être juste. Allez ! si vous aviez été ce que je croyais, je n’aurais pas été bon pour vous, moi ! vous auriez vu ! Monsieur le maire, je dois me traiter comme je traiterais tout autre. Quand je réprimais des malfaiteurs, quand je sévissais sur des gredins, je me suis souvent dit à moi-même : toi, si tu bronches, si jamais je te prends en faute, sois tranquille ! — J’ai bronché, je me prends en faute, tant pis ! Allons, renvoyé, cassé, chassé ! c’est bon. J’ai des bras, je travaillerai à la terre, cela m’est égal. Monsieur le maire, le bien du service veut un exemple. Je demande simplement la destitution de l’inspecteur Javert.

    Tout cela était prononcé d’un accent humble, fier, désespéré et convaincu qui donnait je ne sais quelle grandeur bizarre à cet étrange honnête homme.

    Nous verrons, fit M. Madeleine.

    Et il lui tendit la main.

    Javert recula, et dit d’un ton farouche :

    Pardon, monsieur le maire, mais cela ne doit pas être. Un maire ne donne pas la main à un mouchard.

    Il ajouta entre ses dents :

    Mouchard, oui ; du moment où j’ai mésusé de la police, je ne suis plus qu’un mouchard.

    Puis il salua profondément, et se dirigea vers la porte.

    Là il se retourna, et, les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, dit-il, je continuerai le service jusqu’à ce que je sois remplacé.

    Il sortit. M. Madeleine resta rêveur, écoutant ce pas ferme et assuré qui s’éloignait sur le pavé du corridor.

    I

    LA SŒUR SIMPLICE


     

    Les incidents qu’on va lire n’ont pas tous été connus à Montreuil-sur-mer, mais le peu qui en a percé a laissé dans cette ville un tel souvenir, que ce serait une grave lacune dans ce livre si nous ne les racontions dans leurs moindres détails.

    Dans ces détails, le lecteur rencontrera deux ou trois circonstances invraisemblables que nous maintenons par respect pour la vérité.

    Dans l’après-midi qui suivit la visite de Javert, M. Madeleine alla voir la Fantine comme d’habitude.

    Avant de pénétrer près de Fantine, il fit demander la sœur Simplice.

    Les deux religieuses qui faisaient le service de l’infirmerie, dames lazaristes comme toutes les sœurs de charité, s’appelaient sœur Perpétue et sœur Simplice.

    La sœur Perpétue était la première villageoise venue, grossièrement sœur de charité, entrée chez Dieu comme on entre en place. Elle était religieuse comme on est cuisinière. Ce type n’est point très rare. Les ordres monastiques acceptent volontiers cette lourde poterie paysanne, aisément façonnée en capucin ou en ursuline. Ces rusticités s’utilisent pour les grosses besognes de la dévotion. La transition d’un bouvier à un carme n’a rien de heurté ; l’un devient l’autre sans grand travail ; le fond commun d’ignorance du village et du cloître est une préparation toute faite, et met tout de suite le campagnard de plain-pied avec le moine. Un peu d’ampleur au sarrau, et voilà un froc. La sœur Perpétue était une forte religieuse, de Marines, près Pontoise, patoisant, psalmodiant, bougonnant, sucrant la tisane selon le bigotisme ou l’hypocrisie du grabataire, brusquant les malades, bourrue avec les mourants, leur jetant presque Dieu au visage, lapidant l’agonie avec des prières en colère, hardie, honnête et rougeaude.

    La sœur Simplice était blanche d’une blancheur de cire. Près de sœur Perpétue, c’était le cierge à côté de la chandelle. Vincent de Paul a divinement fixé la figure de la sœur de charité dans ces admirables paroles où il mêle tant de liberté à tant de servitude : « Elles n’auront pour monastère que la maison des malades, pour cellule qu’une chambre de louage, pour chapelle que l’église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l’obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, pour voile que la modestie. » Cet idéal était vivant dans la sœur Simplice. Personne n’eût pu dire l’âge de la sœur Simplice ; elle n’avait jamais été jeune et semblait ne devoir jamais être vieille. C’était une personne — nous n’osons dire une femme — calme, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n’avait jamais menti. Elle était si douce qu’elle paraissait fragile ; plus solide d’ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux avec de charmants doigts fins et purs. Il y avait, pour ainsi dire, du silence dans sa parole ; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son de voix qui eût tout à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon. Cette délicatesse s’accommodait de la robe de bure, trouvant à ce rude contact un rappel continuel du ciel et de Dieu. Insistons sur un détail. N’avoir jamais menti, n’avoir jamais dit, pour un intérêt quelconque, même indifféremment, une chose qui ne fût la vérité, la sainte vérité, c’était le trait distinctif de la sœur Simplice ; c’était l’accent de sa vertu. Elle était presque célèbre dans la congrégation pour cette véracité imperturbable. L’abbé Sicard parle de la sœur Simplice dans une lettre au sourd-muet Massieu. Si sincères, si loyaux et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre candeur au moins la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge, mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal. Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ; mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait. Et comme elle pensait, elle pratiquait. Il en résultait cette blancheur dont nous avons parlé, blancheur qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. Son sourire était blanc, son regard était blanc. Il n’y avait pas une toile d’araignée, pas un grain de poussière à la vitre de cette conscience. En entrant dans l’obédience de saint Vincent de Paul, elle avait pris le nom de Simplice par choix spécial. Simplice de Sicile, on le sait, est cette sainte qui aima mieux se laisser arracher les deux seins que de répondre, étant née à Syracuse, qu’elle était née à Ségeste, mensonge qui la sauvait. Cette patronne convenait à cette âme.

    La sœur Simplice, en entrant dans l’ordre, avait deux défauts dont elle s’était peu à peu corrigée ; elle avait eu le goût des friandises et elle avait aimé à recevoir des lettres. Elle ne lisait jamais qu’un livre de prières en gros caractères et en latin. Elle ne comprenait pas le latin, mais elle comprenait le livre.

    La pieuse fille avait pris en affection Fantine, y sentant probablement de la vertu latente, et s’était dévouée à la soigner presque exclusivement.

    M. Madeleine emmena à part la sœur Simplice et lui recommanda Fantine avec un accent singulier dont la sœur se souvint plus tard.

    En quittant la sœur, il s’approcha de Fantine.

    Fantine attendait chaque jour l’apparition de M. Madeleine comme on attend un rayon de chaleur et de joie. Elle disait aux sœurs : — Je ne vis que lorsque monsieur le maire est là.

    Elle avait ce jour-là beaucoup de fièvre. Dès qu’elle vit M. Madeleine, elle lui demanda :

    Et Cosette ?

    Il répondit en souriant :

    Bientôt.

    M. Madeleine fut avec Fantine comme à l’ordinaire. Seulement il resta une heure au lieu d’une demi-heure, au grand contentement de Fantine. Il fît mille instances à tout le monde pour que rien ne manquât à la malade. On remarqua qu’il y eut un moment où son visage devint très sombre. Mais cela s’expliqua quand on sut que le médecin s’était penché à son oreille et lui avait dit : — Elle baisse beaucoup.

    Puis il rentra à la mairie, et le garçon de bureau le vit examiner avec attention une carte routière de France qui était suspendue dans son cabinet. Il écrivit quelques chiffres au crayon sur un papier.


     

    II

    PERSPICACITÉ DE MAÎTRE SCAUFFLAIRE


     

    De la mairie il se rendit au bout de la ville chez un flamand, maître Scaufflaer, francisé Scaufflaire, qui louait des chevaux et des « cabriolets à volonté ».

    Pour aller chez ce Scaufflaire, le plus court était de prendre une rue peu fréquentée où était le presbytère de la paroisse que M. Madeleine habitait. Le curé était, disait-on, un homme digne et respectable, et de bon conseil. À l’instant où M. Madeleine arriva devant le presbytère, il n’y avait dans la rue qu’un passant, et ce passant remarqua ceci : M. le maire, après avoir dépassé la maison curiale, s’arrêta, demeura immobile, puis revint sur ses pas et rebroussa chemin jusqu’à la porte du presbytère, qui était une porte bâtarde avec marteau de fer. Il mit vivement la main au marteau, et le souleva ; puis il s’arrêta de nouveau, et resta court, et comme pensif, et, après quelques secondes, au lieu de laisser bruyamment retomber le marteau, il le reposa doucement et reprit son chemin avec une sorte de hâte qu’il n’avait pas auparavant.

    M. Madeleine trouva maître Scaufflaire chez lui occupé à repiquer un harnais.

    Maître Scaufflaire, demanda-t-il, avez-vous un bon cheval ?

    Monsieur le maire, dit le flamand, tous mes chevaux sont bons. Qu’entendez-vous par un bon cheval ?

    J’entends un cheval qui puisse faire vingt lieues en un jour.

    Diable ! fit le flamand, vingt lieues !

    Oui.

    Attelé à un cabriolet ?

    Oui.

    Et combien de temps se reposera-t-il après la course ?

    Il faut qu’il puisse au besoin repartir le lendemain.

    Pour refaire le même trajet ?

    Oui.

    Diable ! diable ! et c’est vingt lieues ?

    M. Madeleine tira de sa poche le papier où il avait crayonné des chiffres. Il les montra au flamand. c’étaient les chiffres 5, 6, 8 1/2.

    Vous voyez, dit-il. Total, dix-neuf et demi, autant dire vingt lieues.

    Monsieur le maire, reprit le flamand, j’ai votre affaire. Mon petit cheval blanc. Vous avez dû le voir passer quelquefois. C’est une petite bête du bas Boulonnais. C’est plein de feu. On a voulu d’abord en faire un cheval de selle. Bah ! il ruait, il flanquait tout le monde par terre. On le croyait vicieux, on ne savait qu’en faire. Je l’ai acheté. Je l’ai mis au cabriolet. Monsieur, c’est cela qu’il voulait ; il est doux comme une fille, il va le vent. Ah ! par exemple, il ne faudrait pas lui monter sur le dos. Ce n’est pas son idée d’être cheval de selle. Chacun a son ambition. Tirer, oui ; porter, non ; il faut croire qu’il s’est dit ça.

    Et il fera la course ?

    Vos vingt lieues. Toujours au grand trot, et en moins de huit heures. Mais voici à quelles conditions.

    Dites.

    Premièrement, vous le ferez souffler une heure à moitié chemin ; il mangera, et on sera là pendant qu’il mangera pour empêcher le garçon de l’auberge de lui voler son avoine ; car j’ai remarqué que dans les auberges l’avoine est plus souvent bue par les garçons d’écurie que mangée par les chevaux.

    On sera là.

    Deuxièmement… Est-ce pour monsieur le maire le cabriolet ?

    Oui.

    Monsieur le maire sait conduire ?

    Oui.

    Eh bien, monsieur le maire voyagera seul et sans bagage afin de ne point charger le cheval.

    Convenu.

    Mais monsieur le maire, n’ayant personne avec lui, sera obligé de prendre la peine de surveiller lui-même l’avoine.

    C’est dit.

    Il me faudra trente francs par jour. Les jours de repos payés. Pas un liard de moins, et la nourriture de la bête à la charge de monsieur le maire.

    M. Madeleine tira trois napoléons de sa bourse et les mit sur la table.

    Voilà deux jours d’avance.

    Quatrièmement, pour une course pareille sur cabriolet serait trop lourd et fatiguerait le cheval. Il faudrait que monsieur le maire consentît à voyager dans un petit tilbury que j’ai.

    J’y consens.

    C’est léger, mais c’est découvert.

    Cela m’est égal.

    Monsieur le maire a-t-il réfléchi que nous sommes en hiver ?…

    M. Madeleine ne répondit pas. Le flamand reprit :

    Qu’il fait très froid ?

    M. Madeleine garda le silence. Maître Scaufflaire continua :

    Qu’il peut pleuvoir ?

    M. Madeleine leva la tête et dit :

    Le tilbury et le cheval seront devant ma porte demain à quatre heures et demie du matin.

    C’est entendu, monsieur le maire, répondit Scaufflaire, puis, grattant avec l’ongle de son pouce une tache qui était dans le bois de la table, il reprit de cet air insouciant que les flamands savent si bien mêler à leur finesse :

    Mais voilà que j’y songe à présent ! monsieur le maire ne me dit pas où il va. Où est-ce que va monsieur le maire ?

    Il ne songeait pas à autre chose depuis le commencement de la conversation, mais il ne savait pourquoi il n’avait pas osé faire cette question.

    Votre cheval a-t-il de bonnes jambes de devant ? dit M. Madeleine.

    Oui, monsieur le maire. Vous le soutiendrez un peu dans les descentes. Y a-t-il beaucoup de descentes d’ici où vous allez ?

    N’oubliez pas d’être à ma porte à quatre heures et demie du matin, très précises, répondit M. Madeleine ; et il sortit.

    Le flamand resta « tout bête », comme il disait lui-même quelque temps après.

    M. le maire était sorti depuis deux ou trois minutes, lorsque la porte se rouvrit, c’était M. le maire.

    Il avait toujours le même air impassible et préoccupé.

    Monsieur Scaufflaire, dit-il, à quelle somme estimez-vous le cheval et le tilbury que vous me louerez, l’un portant l’autre ?

    L’un traînant l’autre, monsieur le maire, dit le flamand avec un gros rire.

    Soit. Eh bien ?

    Est-ce que monsieur le maire veut me les acheter ?

    Non ; mais à tout événement, je veux vous les garantir. À mon retour vous me rendrez la somme. À combien estimez-vous cabriolet et cheval ?

    À cinq cents francs, monsieur le maire.

    Les voici.

    M. Madeleine posa un billet de banque sur la table, puis sortit et cette fois ne rentra plus.

    Maître Scaufflaire regretta affreusement de n’avoir point dit mille francs. Du reste le cheval et le tilbury, en bloc, valaient cent écus.

    Le flamand appela sa femme, et lui conta la chose. Où diable monsieur le maire peut-il aller ? Ils tinrent conseil. — Il va à Paris, dit la femme. — Je ne crois pas, dit le mari. M. Madeleine avait oublié sur la cheminée le papier où il avait tracé des chiffres. Le flamand le reprit et l’étudia. — Cinq, six, huit et demi ? cela doit marquer des relais de poste. Il se tourna vers sa femme. — J’ai trouvé. — Comment ? — Il y a cinq lieues d’ici à Hesdin, six de Hesdin à Saint-Pol, huit et demie de Saint-Pol à Arras. Il va à Arras.

    Cependant M. Madeleine était rentré chez lui.

    Pour revenir de chez maître Scaufflaire, il avait pris le plus long, comme si la porte du presbytère avait été pour lui une tentation, et qu’il eût voulu l’éviter. Il était monté dans sa chambre et s’y était enfermé, ce qui n’avait rien que de simple, car il se couchait volontiers de bonne heure. Pourtant la concierge de la fabrique, qui était en même temps l’unique servante de M. Madeleine, observa que sa lumière s’éteignit à huit heures et demie, et elle le dit au caissier qui rentrait, en ajoutant :

    Est-ce que monsieur le maire est malade ? je lui ai trouvé l’air un peu singulier.

    Ce caissier habitait une chambre située précisément au-dessous de la chambre de M. Madeleine. Il ne prit point garde aux paroles de la portière, se coucha et s’endormit. Vers minuit, il se réveilla brusquement ; il avait entendu à travers son sommeil un bruit au-dessus de sa tête. Il écouta. C’était un pas qui allait et venait, comme si l’on marchait dans la chambre en haut. Il écouta plus attentivement, et reconnut le pas de M. Madeleine. Cela lui parut étrange ; habituellement aucun bruit ne se faisait dans la chambre de M. Madeleine avant l’heure de son lever. Un moment après le caissier entendit quelque chose qui ressemblait à une armoire qu’on ouvre et qu’on referme. Puis on dérangea un meuble, il y eut un silence, et le pas recommença. Le caissier se dressa sur son séant, s’éveilla tout à fait, regarda, et à travers les vitres de sa croisée aperçut sur le mur d’en face la réverbération rougeâtre d’une fenêtre éclairée. À la direction des rayons, ce ne pouvait être que la fenêtre de la chambre de M. Madeleine. La réverbération tremblait comme si elle venait plutôt d’un feu allumé que d’une lumière. L’ombre des châssis vitrés ne s’y dessinait pas, ce qui indiquait que la fenêtre était toute grande ouverte. Par le froid qu’il faisait, cette fenêtre ouverte était surprenante. Le caissier se rendormit. Une heure ou deux heures après, il se réveilla encore. Le même pas, lent et régulier, allait et venait toujours au-dessus de sa tête.

    La réverbération se dessinait toujours sur le mur, mais elle était maintenant pâle et paisible comme le reflet d’une lampe ou d’une bougie. La fenêtre était toujours ouverte.

    Voici ce qui se passait dans la chambre de M. Madeleine.


     

    III

    UNE TEMPÊTE SOUS UN CRÂNE


     

    Le lecteur a sans doute deviné que M. Madeleine n’est autre que Jean Valjean.

    Nous avons déjà regardé dans les profondeurs de cette conscience ; le moment est venu d’y regarder encore. Nous ne le faisons pas sans émotion et sans tremblement. Il n’existe rien de plus terrifiant que cette sorte de contemplation. L’œil de l’esprit ne peut trouver nulle part plus d’éblouissements ni plus de ténèbres que dans l’homme ; il ne peut se fixer sur aucune chose qui soit plus redoutable, plus compliquée, plus mystérieuse et plus infinie. Il y a un spectacle plus grand que la mer, c’est le ciel ; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme.

    Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. La conscience, c’est le chaos des chimères, des convoitises et des tentatives, la fournaise des rêves, l’antre des idées dont on a honte ; c’est le pandémonium des sophismes, c’est le champ de bataille des passions. À de certaines heures, pénétrez à travers la face livide d’un être humain qui réfléchit, et regardez derrière, regardez dans cette âme, regardez dans cette obscurité. Il y a là, sous le silence extérieur, des combats de géants comme dans Homère, des mêlées de dragons et d’hydres et des nuées de fantômes comme dans Milton, des spirales visionnaires comme chez Dante. Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie !

    Alighieri rencontra un jour une sinistre porte devant laquelle il hésita. En voici une aussi devant nous, au seuil de laquelle nous hésitons. Entrons pourtant.

    Nous n’avons que peu de chose à ajouter à ce que le lecteur connaît déjà de ce qui était arrivé à Jean Valjean depuis l’aventure de Petit-Gervais. À partir de ce moment, on l’a vu, il fut un autre homme. Ce que l’évêque avait voulu faire de lui, il l’exécuta. Ce fut plus qu’une transformation, ce fut une transfiguration.

    Il réussit à disparaître, vendit l’argenterie de l’évêque, ne gardant que les flambeaux, comme souvenir, se glissa de ville en ville, traversa la France, vint à Montreuil-sur-mer, eut l’idée que nous avons dite, accomplit ce que nous avons raconté, parvint à se faire insaisissable et inaccessible, et désormais, établi à Montreuil-sur-mer, heureux de sentir sa conscience attristée par son passé et la première moitié de son existence démentie par la dernière, il vécut paisible, rassuré et espérant, n’ayant plus que deux pensées : cacher son nom et sanctifier sa vie ; échapper aux hommes, et revenir à Dieu.

    Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu’elles n’en formaient qu’une seule ; elles étaient toutes deux également absorbantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions. D’ordinaire elles étaient d’accord pour régler la conduite de sa vie ; elles le tournaient vers l’ombre ; elles le faisaient bienveillant et simple ; elles lui conseillaient les mêmes choses. Quelquefois cependant il y avait conflit entre elles. Dans ce cas-là, on s’en souvient, l’homme que tout le pays de Montreuil-sur-mer appelait M. Madeleine ne balançait pas à sacrifier la première à la seconde, sa sécurité à sa vertu. Ainsi, en dépit de toute réserve et de toute prudence, il avait gardé les chandeliers de l’évêque, porté son deuil, appelé et interrogé tous les petits savoyards qui passaient, pris des renseignements sur les familles de Faverolles, et sauvé la vie au vieux Fauchelevent, malgré les inquiétantes insinuations de Javert. Il semblait, nous l’avons déjà remarqué, qu’il pensât, à l’exemple de tous ceux qui ont été sages, saints et justes, que son premier devoir n’était pas envers lui.

    Toutefois, il faut le dire, jamais rien de pareil ne s’était encore présenté. Jamais les deux idées qui gouvernaient le malheureux homme dont nous racontons les souffrances n’avaient engagé une lutte si sérieuse. Il le comprit confusément, mais profondément, dès les premières paroles que prononça Javert, en entrant dans son cabinet. Au moment où fut si étrangement articulé ce nom qu’il avait enseveli sous tant d’épaisseurs, il fut saisi de stupeur et comme enivré par la sinistre bizarrerie de sa destinée, et, à travers cette stupeur, il eut ce tressaillement qui précède les grandes secousses ; il se courba comme un chêne à l’approche d’un orage, comme un soldat à l’approche d’un assaut. Il sentit venir sur sa tête des ombres pleines de foudres et d’éclairs. Tout en écoutant parler Javert, il eut une première pensée d’aller, de courir, de se dénoncer, de tirer ce Champmathieu de prison et de s’y mettre ; cela fut douloureux et poignant comme une incision dans la chair vive, puis cela passa, et il se dit : — Voyons ! voyons ! — Il réprima ce premier mouvement généreux et recula devant l’héroïsme.

    Sans doute, il serait beau qu’après les saintes paroles de l’évêque, après tant d’années de repentir et d’abnégation, au milieu d’une pénitence admirablement commencée, cet homme, même en présence d’une si terrible conjoncture, n’eût pas bronché un instant et eût continué de marcher du même pas vers ce précipice ouvert au fond duquel était le ciel ; cela serait beau, mais cela ne fut pas ainsi. Il faut bien que nous rendions compte des choses qui s’accomplissaient dans cette âme, et nous ne pouvons dire que ce qui y était. Ce qui l’emporta tout d’abord, ce fut l’instinct de la conservation ; il rallia en hâte ses idées, étouffa ses émotions, considéra la présence de Javert, ce grand péril, ajourna toute résolution avec la fermeté de l’épouvante, s’étourdit sur ce qu’il y avait à faire, et reprit son calme comme un lutteur ramasse son bouclier.

    Le reste de la journée il fut dans cet état, un tourbillon au dedans, une tranquillité profonde au dehors ; il ne prit que ce qu’on pourrait appeler « les mesures conservatoires ». Tout était encore confus et se heurtait dans son cerveau ; le trouble y était tel qu’il ne voyait distinctement la forme d’aucune idée ; et lui-même n’aurait pu rien dire de lui-même, si ce n’est qu’il venait de recevoir un grand coup. Il se rendit comme d’habitude près du lit de douleur de Fantine et prolongea sa visite, par un instinct de bonté, se disant qu’il fallait agir ainsi et la bien recommander aux sœurs pour le cas où il arriverait qu’il eût à s’absenter. Il sentit vaguement qu’il faudrait peut-être aller à Arras, et, sans être le moins du monde décidé à ce voyage, il se dit qu’à l’abri de tout soupçon comme il l’était, il n’y avait point d’inconvénient à être témoin de ce qui se passerait, et il retint le tilbury de Scaufflaire, afin d’être préparé à tout événement.

    Il dîna avec assez d’appétit.

    Rentré dans sa chambre il se recueillit.

    Il examina la situation et la trouva inouïe ; tellement inouïe qu’au milieu de sa rêverie, par je ne sais quelle impulsion d’anxiété presque inexplicable, il se leva de sa chaise et ferma sa porte au verrou. Il craignait qu’il n’entrât encore quelque chose. Il se barricadait contre le possible.

    Un moment après il souffla sa lumière. Elle le gênait.

    Il lui semblait qu’on pouvait le voir.

    Qui, on ?

    Hélas ! ce qu’il voulait mettre à la porte était entré ; ce qu’il voulait aveugler, le regardait. Sa conscience.

    Sa conscience, c’est-à-dire Dieu.

    Pourtant, dans le premier moment, il se fit illusion ; il eut un sentiment de sûreté et de solitude ; le verrou tiré, il se crut imprenable ; la chandelle éteinte, il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même ; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres.

    Où en suis-je ? — Est-ce que je ne rêve pas ? — Que m’a-t-on dit ? — Est-il bien vrai que j’aie vu ce Javert et qu’il m’ait parlé ainsi ? — Que peut être ce Champmathieu ? — Il me ressemble donc ? — Est-ce possible ? — Quand je pense qu’hier j’étais si tranquille et si loin de me douter de rien ! — Qu’est-ce que je faisais donc hier à pareille heure ? — Qu’y a-t-il dans cet incident ? — Comment se dénouera-t-il ? — Que faire ?

    Voilà dans quelle tourmente il était. Son cerveau avait perdu la force de retenir ses idées, elles passaient comme des ondes, et il prenait son front dans ses deux mains pour les arrêter.

    De ce tumulte qui bouleversait sa volonté et sa raison, et dont il cherchait à tirer une évidence et une résolution, rien ne se dégageait que l’angoisse.

    Sa tête était brûlante. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande. Il n’y avait pas d’étoiles au ciel. Il revint s’asseoir près de la table.

    La première heure s’écoula ainsi.

    Peu à peu cependant des linéaments vagues commencèrent à se former et à se fixer dans sa méditation, et il put entrevoir avec la précision de la réalité, non l’ensemble de la situation, mais quelques détails.

    Il commença par reconnaître que, si extraordinaire et si critique que fût cette situation, il en était tout à fait le maître.

    Sa stupeur ne fit que s’en accroître.

    Indépendamment du but sévère et religieux que se proposaient ses actions, tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour n’était autre chose qu’un trou qu’il creusait pour y enfouir son nom. Ce qu’il avait toujours le plus redouté, dans ses heures de repli sur lui-même, dans ses nuits d’insomnie, c’était d’entendre jamais prononcer ce nom ; il se disait que ce serait là pour lui la fin de tout ; que le jour où ce nom reparaîtrait, il ferait évanouir autour de lui sa vie nouvelle, et, qui sait même peut-être ? au dedans de lui sa nouvelle âme. Il frémissait de la seule pensée que c’était possible. Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moments-là qu’une heure viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hideux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup de la nuit et se dresserait devant lui, où cette lumière formidable faite pour dissiper le mystère dont il s’enveloppait resplendirait subitement sur sa tête, et que ce nom ne le menacerait pas, que cette lumière ne produirait qu’une obscurité plus épaisse, que ce voile déchiré accroîtrait le mystère ; que ce tremblement de terre consoliderait son édifice, que ce prodigieux incident n’aurait d’autre résultat, si bon lui semblait, à lui, que de rendre son existence à la fois plus claire et plus impénétrable, et que, de sa confrontation avec le fantôme de Jean Valjean, le bon et digne bourgeois « monsieur Madeleine » sortirait plus honoré, plus paisible et plus respecté que jamais ; — si quelqu’un lui eût dit cela, il eût hoché la tête et regardé ces paroles comme insensées. Eh bien ! tout cela venait précisément d’arriver, tout cet entassement de l’impossible était un fait, et Dieu avait permis que ces choses folles devinssent des choses réelles !

    Sa rêverie continuait de s’éclaircir. Il se rendait de plus en plus compte de sa position.

    Il lui semblait qu’il venait de s’éveiller de je ne sais quel sommeil, et qu’il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant, reculant en vain, sur le bord extrême d’un abîme. Il entrevoyait distinctement dans l’ombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelqu’un y tombât, lui ou l’autre.

    Il n’avait qu’à laisser faire.

    La clarté devint complète, et il s’avoua ceci : — Que sa place était vide aux galères, qu’il avait beau faire, qu’elle l’y attendait toujours, que le vol de Petit-Gervais l’y ramenait, que cette place vide l’attendrait et l’attirerait jusqu’à ce qu’il y fût, que cela était inévitable et fatal. — Et puis il se dit : — Qu’en ce moment il avait un remplaçant, qu’il paraissait qu’un nommé Champmathieu avait cette mauvaise chance, et que, quant à lui, présent désormais au bagne dans la personne de ce Champmathieu, présent dans la société sous le nom de M. Madeleine, il n’avait plus rien à redouter, pourvu qu’il n’empêchât pas les hommes de sceller sur la tête de ce Champmathieu cette pierre de l’infamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais.

    Tout cela était si violent et si étrange qu’il se fit soudain en lui cette espèce de mouvement indescriptible qu’aucun homme n’éprouve plus de deux ou trois fois dans sa vie, sorte de convulsion de la conscience qui remue tout ce que le cœur a de douteux, qui se compose d’ironie, de joie et de désespoir, et qu’on pourrait appeler un éclat de rire intérieur.

    Il ralluma brusquement sa bougie.

    Eh bien quoi ! se dit-il, de quoi est-ce que j’ai peur ? qu’est-ce que j’ai à songer comme cela ? Me voilà sauvé. Tout est fini. Je n’avais plus qu’une porte entr’ouverte par laquelle mon passé pouvait faire irruption dans ma vie ; cette porte, la voilà murée ! à jamais ! Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m’avoir deviné, qui m’avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean ! Qui sait même, il est probable qu’il voudra quitter la ville ! Et tout cela s’est fait sans moi ! Et je n’y suis pour rien ! Ah çà, mais ! qu’est-ce qu’il y a de malheureux dans ceci ? Des gens qui me verraient, parole d’honneur ! croiraient qu’il m’est arrivé une catastrophe ! Après tout, s’il y a du mal pour quelqu’un, ce n’est aucunement de ma faute. C’est la providence qui a tout fait. C’est qu’elle veut cela apparemment ! Ai-je le droit de déranger ce qu’elle arrange ? Qu’est-ce que je demande à présent ? De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas. Comment ! je ne suis pas content ! Mais qu’est-ce qu’il me faut donc ? Le but auquel j’aspire depuis tant d’années, le songe de mes nuits, l’objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l’atteins ! C’est Dieu qui le veut. Je n’ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j’ai commencé, pour que je fasse le bien, pour que je sois un jour un grand et encourageant exemple, pour qu’il soit dit qu’il y a eu enfin un peu de bonheur attaché à cette pénitence que j’ai subie et à cette vertu où je suis revenu ! Vraiment je ne comprends pas pourquoi j’ai eu peur tantôt d’entrer chez ce brave curé et de tout lui raconter comme à un confesseur, et de lui demander conseil, c’est évidemment là ce qu’il m’aurait dit. C’est décidé, laissons aller les choses ! laissons faire le bon Dieu !

    Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme. Il se leva de sa chaise, et se mit à marcher dans la chambre. — Allons, dit-il, n’y pensons plus. Voilà une résolution prise ! — Mais il ne sentit aucune joie.

    Au contraire.

    On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée ; pour le coupable, cela s’appelle le remords. Dieu soulève l’âme comme l’océan.

    Au bout de peu d’instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c’était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu’il eût voulu taire, écoutant ce qu’il n’eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense ! comme elle disait il y a deux mille ans à un autre condamné : marche !

    Avant d’aller plus loin et pour être pleinement compris, insistons sur une observation nécessaire.

    Il est certain qu’on se parle à soi-même, il n’est pas un être pensant qui ne l’ait éprouvé. On peut dire même que le verbe n’est jamais un plus magnifique mystère que lorsqu’il va, dans l’intérieur d’un homme, de la pensée à la conscience et qu’il retourne de la conscience à la pensée. C’est dans ce sens seulement qu’il faut entendre les mots souvent employés dans ce chapitre, il dit, il s’écria. On se dit, on se parle, on s’écrie en soi-même, sans que le silence extérieur soit rompu. Il y a un grand tumulte ; tout parle en nous, excepté la bouche. Les réalités de l’âme, pour n’être point visibles et palpables, n’en sont pas moins des réalités.

    Il se demanda donc où il en était. Il s’interrogea sur cette « résolution prise ». Il se confessa à lui-même que tout ce qu’il venait d’arranger dans son esprit était monstrueux, que « laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu », c’était tout simplement horrible. Laisser s’accomplir cette méprise de la destinée et des hommes, ne pas l’empêcher, s’y prêter par son silence, ne rien faire enfin, c’était faire tout ! c’était le dernier degré de l’indignité hypocrite ! c’était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

    Pour la première fois depuis huit années, le malheureux homme venait de sentir la saveur amère d’une mauvaise pensée et d’une mauvaise action.

    Il la recracha avec dégoût.

    Il continua de se questionner. Il se demanda sévèrement ce qu’il avait entendu par ceci : « Mon but est atteint ! » Il se déclara que sa vie avait un but en effet. Mais quel but ? Cacher son nom ? tromper la police ? Était-ce pour une chose si petite qu’il avait fait tout ce qu’il avait fait ? Est-ce qu’il n’avait pas un autre but, qui était le grand, qui était le vrai ? Sauver, non sa personne, mais son âme. Redevenir honnête et bon. Être un juste ! Est-ce que ce n’était pas là surtout, là uniquement, ce qu’il avait toujours voulu, ce que l’évêque lui avait ordonné ? — Fermer la porte à son passé ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu’on appelle le bagne ! Au contraire, se livrer, sauver cet homme frappé d’une si lugubre erreur, reprendre son nom, redevenir par devoir le forçat Jean Valjean, c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ! Y retomber en apparence, c’était en sortir en réalité ! Il fallait faire cela ! il n’avait rien fait s’il ne faisait pas cela ! toute sa vie était inutile, toute sa pénitence était perdue, et il n’y avait plus qu’à dire : à quoi bon ? Il sentait que l’évêque était là, que l’évêque était d’autant plus présent qu’il était mort, que l’évêque le regardait fixement, que désormais le maire Madeleine avec toutes ses vertus lui serait abominable, et que le galérien Jean Valjean serait admirable et pur devant lui. Que les hommes voyaient son masque, mais que l’évêque voyait sa face. Que les hommes voyaient sa vie, mais que l’évêque voyait sa conscience. Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! c’était là le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir ; mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n’entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s’il rentrait dans l’infamie aux yeux des hommes !

    Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! faisons notre devoir ! sauvons cet homme !

    Il prononça ces paroles à haute voix, sans s’apercevoir qu’il parlait tout haut.

    Il prit ses livres, les vérifia et les mit en ordre. Il jeta au feu une liasse de créances qu’il avait sur de petits commerçants gênés. Il écrivit une lettre qu’il cacheta et sur l’enveloppe de laquelle on aurait pu lire, s’il y avait eu quelqu’un dans sa chambre en cet instant : À Monsieur Laffitte, banquier, rue d’Artois, à Paris.

    Il tira d’un secrétaire un portefeuille qui contenait quelques billets de banque et le passeport dont il s’était servi cette même année pour aller aux élections.

    Qui l’eût vu pendant qu’il accomplissait ces divers actes auxquels se mêlait une méditation si grave, ne se fût pas douté de ce qui se passait en lui. Seulement par moments ses lèvres remuaient ; dans d’autres instants il relevait la tête et fixait son regard sur un point quelconque de la muraille, comme s’il y avait précisément là quelque chose qu’il voulait éclaircir ou interroger.

    La lettre à M. Laffitte terminée, il la mit dans sa poche ainsi que le portefeuille, et recommença à marcher.

    Sa rêverie n’avait point dévié. Il continuait de voir clairement son devoir écrit en lettres lumineuses qui flamboyaient devant ses yeux et se déplaçaient avec son regard : — Va ! nomme-toi ! dénonce-toi !

    Il voyait de même, et comme si elles se fussent mues devant lui avec des formes sensibles, les deux idées qui avaient été jusque-là la double règle de sa vie : cacher son nom, sanctifier son âme. Pour la première fois, elles lui apparaissaient absolument distinctes, et il voyait la différence qui les séparait. Il reconnaissait que l’une de ces idées était nécessairement bonne, tandis que l’autre pouvait devenir mauvaise ; que celle-là était le dévouement et que celle-ci était la personnalité ; que l’une disait : le prochain, et que l’autre disait : moi ; que l’une venait de la lumière et que l’autre venait de la nuit.

    Elles se combattaient, il les voyait se combattre. À mesure qu’il songeait, elles avaient grandi devant l’œil de son esprit ; elles avaient maintenant des statures colossales ; et il lui semblait qu’il voyait lutter au dedans de lui-même, dans cet infini dont nous parlions tout à l’heure, au milieu des obscurités et des lueurs, une déesse et une géante.

    Il était plein d’épouvante, mais il lui semblait que la bonne pensée l’emportait.

    Il sentait qu’il touchait à l’autre moment décisif de sa conscience et de sa destinée ; que l’évêque avait marqué la première phase de sa vie nouvelle, et que ce Champmathieu en marquait la seconde. Après la grande crise, la grande épreuve.

    Cependant la fièvre, un instant apaisée, lui revenait peu à peu. Mille pensées le traversaient, mais elles continuaient de le fortifier dans sa résolution.

    Un moment il s’était dit : — qu’il prenait peut-être la chose trop vivement, qu’après tout ce Champmathieu n’était pas intéressant, qu’en somme il avait volé.

    Il se répondit : — Si cet homme a en effet volé quelques pommes, c’est un mois de prison. Il y a loin de là aux galères. Et qui sait même ? a-t-il volé ? est-ce prouvé ? Le nom de Jean Valjean l’accable et semble dispenser de preuves. Les procureurs du roi n’agissent-ils pas habituellement ainsi ? On le croit voleur parce qu’on le sait forçat.

    Dans un autre instant, cette idée lui vint que, lorsqu’il se serait dénoncé, peut-être on considérerait l’héroïsme de son action, et sa vie honnête depuis sept ans, et ce qu’il avait fait pour le pays, et qu’on lui ferait grâce.

    Mais cette supposition s’évanouit bien vite, et il sourit amèrement en songeant que le vol des quarante sous à Petit-Gervais le faisait récidiviste, que cette affaire reparaîtrait certainement et, aux termes précis de la loi, le ferait passible des travaux forcés à perpétuité.

    Il se détourna de toute illusion, se détacha de plus en plus de la terre et chercha la consolation et la force ailleurs. Il se dit qu’il fallait faire son devoir ; que peut-être même ne serait-il pas plus malheureux après avoir fait son devoir qu’après l’avoir éludé ; que s’il laissait faire, s’il restait à Montreuil-sur-Mer, sa considération, sa bonne renommée, ses bonnes œuvres, la déférence, la vénération, sa charité, sa richesse, sa popularité, sa vertu, seraient assaisonnées d’un crime ; et quel goût auraient toutes ces choses saintes liées à cette chose hideuse ! tandis que, s’il accomplissait son sacrifice, au bagne, au poteau, au carcan, au bonnet vert, au travail sans relâche, à la honte sans pitié, il se mêlerait une idée céleste !

    Enfin il se dit qu’il y avait nécessité, que sa destinée était ainsi faite, qu’il n’était pas maître de déranger les arrangements d’en haut, que dans tous les cas il fallait choisir : ou la vertu au dehors et l’abomination au dedans, ou la sainteté au dedans et l’infamie au dehors.

    À remuer tant d’idées lugubres, son courage ne défaillait pas, mais son cerveau se fatiguait. Il commençait à penser malgré lui à d’autres choses, à des choses indifférentes.

    Ses artères battaient violemment dans ses tempes. Il allait et venait toujours. Minuit sonna d’abord à la paroisse, puis à la maison de ville. Il compta les douze coups aux deux horloges, et il compara le son des deux cloches. Il se rappela à cette occasion que quelques jours auparavant il avait vu chez un marchand de ferrailles une vieille cloche à vendre sur laquelle ce nom était écrit : Antoine Albin de Romainville.

    Il avait froid. Il alluma un peu de feu. Il ne songea pas à fermer la fenêtre.

    Cependant il était retombé dans sa stupeur. Il lui fallait faire un assez grand effort pour se rappeler à quoi il songeait avant que minuit sonnât. Il y parvint enfin.

    Ah ! oui, se dit-il, j’avais pris la résolution de me dénoncer.

    Et puis tout à coup il pensa à la Fantine.

    Tiens ! dit-il, et cette pauvre femme !

    Ici une crise nouvelle se déclara.

    Fantine, apparaissant brusquement dans sa rêverie, y fut comme un rayon d’une lumière inattendue. Il lui sembla que tout changeait d’aspect autour de lui, il s’écria :

    Ah çà, mais ! jusqu’ici je n’ai considéré que moi ! je n’ai eu égard qu’à ma convenance ! Il me convient de me taire ou de me dénoncer, — cacher ma personne ou sauver mon âme, — être un magistrat méprisable et respecté ou un galérien infâme et vénérable, c’est moi, c’est toujours moi, ce n’est que moi ! Mais, mon Dieu, c’est de l’égoïsme tout cela ! Ce sont des formes diverses de l’égoïsme, mais c’est de l’égoïsme ! Si je songeais un peu aux autres ? La première sainteté est de penser à autrui. Voyons, examinons. Moi excepté, moi effacé, moi oublié, qu’arrivera-t-il de tout ceci ? — Si je me dénonce ? on me prend, on lâche ce Champmathieu, on me remet aux galères, c’est bien, et puis ? Que se passe-t-il ici ? Ah ! ici, il y a un pays, une ville, des fabriques, une industrie, des ouvriers, des hommes, des femmes, des vieux grands-pères, des enfants, des pauvres gens ! J’ai créé tout cela, je fais vivre tout cela ; partout où il y a une cheminée qui fume, c’est moi qui ai mis le tison dans le feu et la viande dans la marmite ; j’ai fait l’aisance, la circulation, le crédit ; avant moi il n’y avait rien ; j’ai relevé, vivifié, animé, fécondé, stimulé, enrichi tout le pays ; moi de moins, c’est l’âme de moins. Je m’ôte, tout meurt. — Et cette femme qui a tant souffert, qui a tant de mérites dans sa chute, dont j’ai causé sans le vouloir tout le malheur ! Et cet enfant que je voulais aller chercher, que j’ai promis à la mère ! Est-ce que je ne dois pas aussi quelque chose à cette femme, en réparation du mal que je lui ai fait ? Si je disparais, qu’arrive-t-il ? La mère meurt. L’enfant devient ce qu’il peut. Voilà ce qui se passe, si je me dénonce.

    Si je ne me dénonce pas !... Voyons, si je ne me dénonce pas ?

    Après s’être fait cette question, il s’arrêta ; il eut comme un moment d’hésitation et de tremblement ; mais ce moment dura peu, et il se répondit avec calme :

    Eh bien, cet homme va aux galères, c’est vrai, mais, que diable ! il a volé ! J’ai beau me dire qu’il n’a pas volé, il a volé ! Moi, je reste ici, je continue. Dans dix ans j’aurai gagné dix millions, je les répands dans le pays, je n’ai rien à moi, qu’est-ce que cela me fait ? Ce n’est pas pour moi ce que je fais ! La prospérité de tous va croissant, les industries s’éveillent et s’excitent, les manufactures et les usines se multiplient, les familles, cent familles, mille familles ! sont heureuses ; la contrée se peuple ; il naît des villages où il n’y a que des fermes, il naît des fermes où il n’y a rien ; la misère disparaît, et avec la misère disparaissent la débauche, la prostitution, le vol, le meurtre, tous les vices, tous les crimes ! Et cette pauvre mère élève son enfant ! et voilà tout un pays riche et honnête ! Ah çà, j’étais fou, j’étais absurde, qu’est-ce que je parlais donc de me dénoncer ? Il faut faire attention, vraiment, et ne rien précipiter. Quoi ! parce qu’il m’aura plu de faire le grand et le généreux, — c’est du mélodrame, après tout ! — parce que je n’aurai songé qu’à moi, qu’à moi seul, quoi ! pour sauver d’une punition peut-être un peu exagérée, mais juste au fond, on ne sait qui, un voleur, un drôle évidemment, il faudra que tout un pays périsse ! il faudra qu’une pauvre femme crève à l’hôpital ! qu’une pauvre petite fille crève sur le pavé ! comme des chiens ! Ah ! mais c’est abominable ! Sans même que la mère ait revu son enfant ! sans que l’enfant ait presque connu sa mère ! Et tout ça pour ce vieux gredin de voleur de pommes qui, à coup sûr, a mérité les galères pour autre chose, si ce n’est pour cela ! Beaux scrupules qui sauvent un coupable et qui sacrifient des innocents, qui sauvent un vieux vagabond, lequel n’a plus que quelques années à vivre au bout du compte et ne sera guère plus malheureux au bagne que dans sa masure, et qui sacrifient toute une population, mères, femmes, enfants ! Cette pauvre petite Cosette qui n’a que moi au monde et qui est sans doute en ce moment toute bleue de froid dans le bouge de ces Thénardier ! Voilà encore des canailles, ceux-là ! Et je manquerais à mes devoirs envers tous ces pauvres êtres ! Et je m’en irais me dénoncer ! Et je ferais cette inepte sottise ! Mettons tout au pis. Supposons qu’il y ait une mauvaise action pour moi dans ceci et que ma conscience me la reproche un jour, accepter, pour le bien d’autrui, ces reproches qui ne chargent que moi, cette mauvaise action qui ne compromet que mon âme, c’est là qu’est le dévouement, c’est là qu’est la vertu.

    Il se leva, il se remit à marcher. Cette fois il lui semblait qu’il était content.

    On ne trouve les diamants que dans les ténèbres de la terre ; on ne trouve les vérités que dans les profondeurs de la pensée. Il lui semblait qu’après être descendu dans ces profondeurs, après avoir longtemps tâtonné au plus noir de ces ténèbres, il venait enfin de trouver un de ces diamants, une de ces vérités, et qu’il la tenait dans sa main ; et il s’éblouissait à la regarder.

    Oui, pensa-t-il, c’est cela. Je suis dans le vrai. J’ai la solution. Il faut finir par s’en tenir à quelque chose. Mon parti est pris. Laissons faire ! Ne vacillons plus, ne reculons plus. Ceci est dans l’intérêt de tous, non dans le mien. Je suis Madeleine, je reste Madeleine. Malheur à celui qui est Jean Valjean ! Ce n’est plus moi. Je ne connais pas cet homme, je ne sais plus ce que c’est, s’il se trouve que quelqu’un est Jean Valjean à cette heure, qu’il s’arrange ! cela ne me regarde pas. C’est un nom de fatalité qui flotte dans la nuit, s’il s’arrête et s’abat sur une tête, tant pis pour elle !

    Il se regarda dans le petit miroir qui était sur sa cheminée, et dit :

    Tiens ! cela m’a soulagé de prendre une résolution ! Je suis tout autre à présent.

    Il marcha encore quelques pas, puis il s’arrêta court :

    Allons ! dit-il, il ne faut hésiter devant aucune des conséquences de la résolution prise. Il y a encore des fils qui m’attachent à ce Jean Valjean. Il faut les briser ! Il y a ici, dans cette chambre même, des objets qui m’accuseraient, des choses muettes qui seraient des témoins, c’est dit, il faut que tout cela disparaisse.

    Il fouilla dans sa poche, en tira sa bourse, l’ouvrit, et y prit une petite clef.

    Il introduisit cette clef dans une serrure dont on voyait à peine le trou, perdu qu’il était dans les nuances les plus sombres du dessin qui couvrait le papier collé sur le mur. Une cachette s’ouvrit, une espèce de fausse armoire ménagée entre l’angle de la muraille et le manteau de la cheminée. Il n’y avait dans cette cachette que quelques guenilles, un sarrau de toile bleue, un vieux pantalon, un vieux havresac, et un gros bâton d’épine ferré aux deux bouts. Ceux qui avaient vu Jean Valjean à l’époque où il traversait Digne, en octobre 1815, eussent aisément reconnu toutes les pièces de ce misérable accoutrement.

    Il les avait conservées comme il avait conservé les chandeliers d’argent, pour se rappeler toujours son point de départ. Seulement il cachait ceci qui venait du bagne, et il laissait voir les flambeaux qui venaient de l’évêque.

    Il jeta un regard furtif vers la porte, comme s’il eût craint qu’elle ne s’ouvrît malgré le verrou qui la fermait ; puis d’un mouvement vif et brusque et d’une seule brassée, sans même donner un coup d’œil à ces choses qu’il avait si religieusement et si périlleusement gardées pendant tant d’années, il prit tout, haillons, bâton, havresac, et jeta tout au feu.

    Il referma la fausse armoire, et, redoublant de précautions, désormais inutiles puisqu’elle était vide, en cacha la porte derrière un gros meuble qu’il y poussa.

    Au bout de quelques secondes, la chambre et le mur d’en face furent éclairés d’une grande réverbération rouge et tremblante. Tout brûlait. Le bâton d’épine pétillait et jetait des étincelles jusqu’au milieu de la chambre.

    Le havresac, en se consumant avec d’affreux chiffons qu’il contenait, avait mis à nu quelque chose qui brillait dans la cendre. En se penchant, on eût aisément reconnu une pièce d’argent. Sans doute la pièce de quarante sous volée au petit savoyard.

    Lui ne regardait pas le feu et marchait, allant et venant toujours du même pas.

    Tout à coup ses yeux tombèrent sur les deux flambeaux d’argent que la réverbération faisait reluire vaguement sur la cheminée.

    Tiens ! pensa-t-il, tout Jean Valjean est encore là-dedans. Il faut aussi détruire cela.

    Il prit les deux flambeaux.

    Il y avait assez de feu pour qu’on pût les déformer promptement et en faire une sorte de lingot méconnaissable.

    Il se pencha sur le foyer et s’y chauffa un instant. Il eut un vrai bien-être. — La bonne chaleur ! dit-il.

    Il remua le brasier avec un des deux chandeliers.

    Une minute de plus, et ils étaient dans le feu.

    En ce moment il lui sembla qu’il entendait une voix qui criait au dedans de lui :

    Jean Valjean ! Jean Valjean !

    Ses cheveux se dressèrent, il devint comme un homme qui écoute une chose terrible.

    Oui ! c’est cela, achève ! disait la voix. Complète ce que tu fais ! détruis ces flambeaux ! anéantis ce souvenir ! oublie l’évêque ! oublie tout ! perds ce Champmathieu ! va, c’est bien. Applaudis-toi ! Ainsi, c’est convenu, c’est résolu, c’est dit, voilà un homme, voilà un vieillard qui ne sait ce qu’on lui veut, qui n’a rien fait peut-être, un innocent, dont ton nom fait tout le malheur, sur qui ton nom pèse comme un crime, qui va être pris pour toi, qui va être condamné, qui va finir ses jours dans l’abjection et dans l’horreur ! c’est bien. Sois honnête homme, toi. Reste monsieur le maire, reste honorable et honoré, enrichis la ville, nourris des indigents, élève des orphelins, vis heureux, vertueux et admiré, et pendant ce temps-là, pendant que tu seras ici dans la joie et dans la lumière, il y aura quelqu’un qui aura ta casaque rouge, qui portera ton nom dans l’ignominie et qui traînera ta chaîne au bagne ! Oui, c’est bien arrangé ainsi ! Ah ! misérable !

    La sueur lui coulait du front. Il attachait sur les flambeaux un œil hagard. Cependant ce qui parlait en lui n’avait pas fini. La voix continuait :

    Jean Valjean ! il y aura autour de toi beaucoup de voix qui feront un grand bruit, qui parleront bien haut, et qui te béniront, et une seule que personne n’entendra et qui te maudira dans les ténèbres. Eh bien ! écoute, infâme ! toutes ces bénédictions retomberont avant d’arriver au ciel, et il n’y aura que la malédiction qui montera jusqu’à Dieu !

    Cette voix, d’abord toute faible et qui s’était élevée du plus obscur de sa conscience, était devenue par degrés éclatante et formidable, et il l’entendait maintenant à son oreille. Il lui semblait qu’elle était sortie de lui-même et qu’elle parlait à présent en dehors de lui. Il crut entendre les dernières paroles si distinctement qu’il regarda dans la chambre avec une sorte de terreur.

    Y a-t-il quelqu’un ici ? demanda-t-il à haute voix, et tout égaré.

    Puis il reprit avec un rire qui ressemblait au rire d’un idiot :

    Que je suis bête ! il ne peut y avoir personne.

    Il y avait quelqu’un ; mais celui qui y était n’était pas de ceux que l’œil humain peut voir.

    Il posa les flambeaux sur la cheminée.

    Alors il reprit cette marche monotone et lugubre qui troublait dans ses rêves et réveillait en sursaut l’homme endormi au-dessous de lui.

    Cette marche le soulageait et l’enivrait en même temps. Il semble que parfois dans les occasions suprêmes on se remue pour demander conseil à tout ce qu’on peut rencontrer en se déplaçant. Au bout de quelques instants il ne savait plus où il en était.

    Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. — Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir !

    Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans ces livres, il n’écrirait plus sur cette petite table de bois blanc ! Sa vieille portière, la seule servante qu’il eût, ne lui monterait plus son café le matin. Grand Dieu ! au lieu de cela, la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaîne au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp, toutes ces horreurs connues ! À son âge, après avoir été ce qu’il était ! Si encore il était jeune ! Mais, vieux, être tutoyé par le premier venu, être fouillé par le garde-chiourme, recevoir le coup de bâton de l’argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier qui visite la manille ! subir la curiosité des étrangers auxquels on dirait : Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-mer ! Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l’escalier-échelle du bagne flottant ! Oh ! quelle misère ! La destinée peut-elle donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cœur humain !

    Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : — rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer, et y devenir ange !

    Que faire, grand Dieu ! que faire ?

    La tourmente dont il était sorti avec tant de peine se déchaîna de nouveau en lui. Ses idées recommencèrent à se mêler. Elles prirent ce je ne sais quoi de stupéfié et de machinal qui est propre au désespoir. Le nom de Romainville lui revenait sans cesse à l’esprit avec deux vers d’une chanson qu’il avait entendue autrefois. Il songeait que Romainville est un petit bois près Paris où les jeunes gens amoureux vont cueillir des lilas au mois d’avril.

    Il chancelait au dehors comme au dedans. Il marchait comme un petit enfant qu’on laisse aller seul.

    À de certains moments, luttant contre sa lassitude, il faisait effort pour ressaisir son intelligence. Il tâchait de se poser une dernière fois, et définitivement, le problème sur lequel il était en quelque sorte tombé d’épuisement. Faut-il se dénoncer ! Faut-il se taire ? — Il ne réussissait à rien voir de distinct. Les vagues aspects de tous les raisonnements ébauchés par sa rêverie tremblaient et se dissipaient l’un après l’autre en fumée. Seulement il sentait que, à quelque parti qu’il s’arrêtât, nécessairement, et sans qu’il fût possible d’y échapper, quelque chose de lui allait mourir ; qu’il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; qu’il accomplissait une agonie, l’agonie de son bonheur ou l’agonie de sa vertu.

    Hélas ! toutes ses irrésolutions l’avaient repris. Il n’était pas plus avancé qu’au commencement.

    Ainsi se débattait sous l’angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l’être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l’humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l’infini, longtemps écarté de la main l’effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d’ombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines d’étoiles.


     

    IV

    FORMES QUE PREND LA SOUFFRANCE PENDANT LE SOMMEIL


     

    Trois heures du matin venaient de sonner, et il y avait cinq heures qu’il marchait ainsi, presque sans interruption lorsqu’il se laissa tomber sur sa chaise.

    Il s’y endormit et fit un rêve.

    Ce rêve, comme la plupart des rêves, ne se rapportait à la situation que par je ne sais quoi de funeste et de poignant, mais il lui fit impression. Ce cauchemar le frappa tellement que plus tard il l’a écrit. C’est un des papiers écrits de sa main qu’il a laissés. Nous croyons devoir transcrire ici cette chose textuellement.

    Quel que soit ce rêve, l’histoire de cette nuit serait incomplète si nous l’omettions. C’est la sombre aventure d’une âme malade.

    Le voici. Sur l’enveloppe nous trouvons cette ligne écrite : Le rêve que j’ai eu cette nuit-là.

    « J’étais dans une campagne. Une grande campagne triste où il n’y avait pas d’herbe. Il ne me semblait pas qu’il fît jour, ni qu’il fît nuit.

    « Je me promenais avec mon frère, le frère de mes années d’enfance, ce frère auquel je dois dire que je ne pense jamais et dont je ne me souviens presque plus.

    « Nous causions, et nous rencontrions des passants. Nous parlions d’une voisine que nous avions eue autrefois, et qui, depuis qu’elle demeurait sur la rue, travaillait la fenêtre toujours ouverte. Tout en causant, nous avions froid à cause de cette fenêtre ouverte.

    « Il n’y avait pas d’arbres dans la campagne.

    « Nous vîmes un homme qui passa près de nous. C’était un homme tout nu, couleur de cendre, monté sur un cheval couleur de terre. L’homme n’avait pas de cheveux ; on voyait son crâne et des veines sur son crâne. Il tenait à la main une baguette qui était souple comme un sarment de vigne et lourde comme du fer. Ce cavalier passa et ne nous dit rien.

    « Mon frère me dit : Prenons par le chemin creux.

    « Il y avait un chemin creux où l’on ne voyait pas une broussaille ni un brin de mousse. Tout était couleur de terre, même le ciel. Au bout de quelques pas, on ne me répondit plus quand je parlais. Je m’aperçus que mon frère n’était plus avec moi.

    « J’entrai dans un village que je vis. Je songeai que ce devait être là Romainville (pourquoi Romainville ?).[1]

    « La première rue où j’entrai était déserte. J’entrai dans une seconde rue. Derrière l’angle que faisaient les deux rues, il y avait un homme debout contre le mur. Je dis à cet homme : Quel est ce pays ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas. Je vis la porte d’une maison ouverte, j’y entrai.

    « La première chambre était déserte. J’entrai dans la seconde. Derrière la porte de cette chambre, il y avait un homme debout contre le mur. Je demandai à cet homme : — À qui est cette maison ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « La maison avait un jardin. Je sortis de la maison et j’entrai dans le jardin. Le jardin était désert. Derrière le premier arbre, je trouvai un homme qui se tenait debout. Je dis à cet homme : Quel est ce jardin ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « J’errai dans le village, et je m’aperçus que c’était une ville. Toutes les rues étaient désertes, toutes les portes étaient ouvertes. Aucun être vivant ne passait dans les rues, ne marchait dans les chambres ou ne se promenait dans les jardins. Mais il y avait derrière chaque angle de mur, derrière chaque porte, derrière chaque arbre, un homme debout qui se taisait. On n’en voyait jamais qu’un à la fois. Ces hommes me regardaient passer.

    « Je sortis de la ville et je me mis à marcher dans les champs.

    « Au bout de quelque temps, je me retournai, et je vis une grande foule qui venait derrière moi. Je reconnus tous les hommes que j’avais vus dans la ville. Ils avaient des têtes étranges. Ils ne semblaient pas se hâter, et cependant ils marchaient plus vite que moi. Ils ne faisaient aucun bruit en marchant. En un instant, cette foule me rejoignit et m’entoura. Les visages de ces hommes étaient couleur de terre.

    « Alors le premier que j’avais vu et questionné en entrant dans la ville me dit : — Où allez-vous ? Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes mort depuis longtemps ?

    « J’ouvris la bouche pour répondre, et je m’aperçus qu’il n’y avait personne autour de moi. »

    Il se réveilla. Il était glacé. Un vent qui était froid comme le vent du matin faisait tourner dans leurs gonds les châssis de la croisée restée ouverte. Le feu s’était éteint. La bougie touchait à sa fin. Il était encore nuit noire.

    Il se leva, il alla à la fenêtre. Il n’y avait toujours pas d’étoiles au ciel.

    De sa fenêtre on voyait la cour de la maison et la rue. Un bruit sec et dur qui résonna tout à coup sur le sol lui fit baisser les yeux.

    Il vit au-dessous de lui deux étoiles rouges dont les rayons s’allongeaient et se raccourcissaient bizarrement dans l’ombre.

    Comme sa pensée était encore à demi submergée dans la brume des rêves, — Tiens ! songea-t-il, il n’y en a pas dans le ciel. Elles sont sur la terre maintenant.

    Cependant ce trouble se dissipa, un second bruit pareil au premier acheva de le réveiller, il regarda, et il reconnut que ces deux étoiles étaient les lanternes d’une voiture. À la clarté qu’elles jetaient, il put distinguer la forme de cette voiture. C’était un tilbury attelé d’un petit cheval blanc. Le bruit qu’il avait entendu, c’étaient les coups de pied du cheval sur le pavé.

    Qu’est-ce que c’est que cette voiture ? se dit-il. Qui est-ce qui vient donc si matin ?

    En ce moment on frappa un petit coup à la porte de sa chambre.

    Il frissonna de la tête aux pieds, et cria d’une voix terrible :

    Qui est là ?

    Quelqu’un répondit :

    Moi, monsieur le maire.

    Il reconnut la voix de la vieille femme, sa portière.

    Eh bien, reprit-il, qu’est-ce que c’est ?

    Monsieur le maire, il est tout à l’heure cinq heures du matin.

    Qu’est-ce que cela me fait ?

    Monsieur le maire, c’est le cabriolet.

    Quel cabriolet ?

    Le tilbury.

    Quel tilbury ?

    Est-ce que monsieur le maire n’a pas fait demander un tilbury ?

    Non, dit-il.

    Le cocher dit qu’il vient chercher monsieur le maire.

    Quel cocher ?

    Le cocher de M. Scaufflaire.

    M. Scaufflaire ?

    Ce nom le fit tressaillir comme si un éclair lui eût passé devant la face.

    Ah ! oui ! reprit-il, M. Scaufflaire.

    Si la vieille femme l’eût pu voir en ce moment, elle eût été épouvantée.

    Il se fit un assez long silence. Il examinait d’un air stupide la flamme de la bougie et prenait autour de la mèche de la cire brûlante qu’il roulait dans ses doigts. La vieille attendait. Elle se hasarda pourtant à élever encore la voix :

    Monsieur le maire, que faut-il que je réponde ?

    Dites que c’est bien, et que je descends.


     

    V

    BÂTONS DANS LES ROUES


     

    Le service des postes d’Arras à Montreuil-sur-mer se faisait encore à cette époque par de petites malles du temps de l’empire. Ces malles étaient des cabriolets à deux roues, tapissés de cuir fauve au dedans, suspendus sur des ressorts à pompe, et n’ayant que deux places, l’une pour le courrier, l’autre pour le voyageur. Les roues étaient armées de ces longs moyeux offensifs qui tiennent les autres voitures à distance et qu’on voit encore sur les routes d’Allemagne. Le coffre aux dépêches, immense boîte oblongue, était placé derrière le cabriolet et faisait corps avec lui. Ce coffre était peint en noir et le cabriolet en jaune.

    Ces voitures, auxquelles rien ne ressemble aujourd’hui, avaient je ne sais quoi de difforme et de bossu, et, quand on les voyait passer de loin et ramper dans quelque route à l’horizon, elles ressemblaient à ces insectes qu’on appelle, je crois, termites, et qui, avec un petit corsage, traînent un gros arrière-train. Elles allaient, du reste, fort vite. La malle partie d’Arras toutes les nuits à une heure, après le passage du courrier de Paris, arrivait à Montreuil-sur-mer un peu avant cinq heures du matin.

    Cette nuit-là, la malle qui descendait à Montreuil-sur-mer par la route de Hesdin accrocha, au tournant d’une rue, au moment où elle entrait dans la ville, un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, qui venait en sens inverse et dans lequel il n’y avait qu’une personne, un homme enveloppé d’un manteau. La roue du tilbury reçut un choc assez rude. Le courrier cria à cet homme d’arrêter, mais le voyageur n’écouta pas, et continua sa route au grand trot.

    Voilà un homme diablement pressé ! dit le courrier.

    L’homme qui se hâtait ainsi, c’est celui que nous venons de voir se débattre dans des convulsions dignes à coup sûr de pitié.

    Où allait-il ? Il n’eût pu le dire. Pourquoi se hâtait-il ? Il ne savait. Il allait au hasard devant lui. Où ? À Arras sans doute ; mais il allait peut-être ailleurs aussi. Par moments il le sentait, et il tressaillait. Il s’enfonçait dans cette nuit comme dans un gouffre. Quelque chose le poussait, quelque chose l’attirait. Ce qui se passait en lui, personne ne pourrait le dire, tous le comprendront. Quel homme n’est entré, au moins une fois en sa vie, dans cette obscure caverne de l’inconnu ?

    Du reste il n’avait rien résolu, rien décidé, rien arrêté, rien fait. Aucun des actes de sa conscience n’avait été définitif. Il était plus que jamais comme au premier moment.

    Pourquoi allait-il à Arras ?

    Il se répétait ce qu’il s’était déjà dit en retenant le cabriolet de Scaufflaire, — que, quel que dût être le résultat, il n’y avait aucun inconvénient à voir de ses yeux, à juger les choses par lui-même ; — que cela même était prudent, qu’il fallait savoir ce qui se passerait ; — qu’on ne pouvait rien décider sans avoir observé et scruté ; — que de loin on se faisait des montagnes de tout ; qu’au bout du compte, lorsqu’il aurait vu ce Champmathieu, quelque misérable, sa conscience serait probablement fort soulagée de le laisser aller au bagne à sa place ; — qu’à la vérité il y aurait là Javert, et ce Brevet, ce Chenildieu, ce Cochepaille, anciens forçats qui l’avaient connu ; mais qu’à coup sûr ils ne le reconnaîtraient pas ; — bah ! quelle idée ! — que Javert en était à cent lieues ; — que toutes les conjectures et toutes les suppositions étaient fixées sur ce Champmathieu, et que rien n’est entêté comme les suppositions et les conjectures ; — qu’il n’y avait donc aucun danger.

    Que sans doute c’était un moment noir, mais qu’il en sortirait ; — qu’après tout il tenait sa destinée, si mauvaise qu’elle voulût être, dans sa main ; — qu’il en était le maître. Il se cramponnait à cette pensée.

    Au fond, pour tout dire, il eût mieux aimé ne point aller à Arras.

    Cependant il y allait.

    Tout en songeant, il fouettait le cheval, lequel trottait de ce bon trot réglé et sûr qui fait deux lieues et demie à l’heure.

    À mesure que le cabriolet avançait, il sentait quelque chose en lui qui reculait.

    Au point du jour il était en rase campagne ; la ville de Montreuil-sur-mer était assez loin derrière lui. Il regarda l’horizon blanchir ; il regarda, sans les voir, passer devant ses yeux toutes les froides figures d’une aube d’hiver. Le matin a ses spectres comme le soir. Il ne les voyait pas, mais, à son insu, et par une sorte de pénétration presque physique, ces noires silhouettes d’arbres et de collines ajoutaient à l’état violent de son âme je ne sais quoi de morne et de sinistre.

    Chaque fois qu’il passait devant une de ces maisons isolées qui côtoient parfois les routes, il se disait : il y a pourtant là-dedans des gens qui dorment !

    Le trot du cheval, les grelots du harnais, les roues sur le pavé, faisaient un bruit doux et monotone. Ces choses-là sont charmantes quand on est joyeux et lugubres quand on est triste.

    Il était grand jour lorsqu’il arriva à Hesdin. Il s’arrêta devant une auberge pour laisser souffler le cheval et lui faire donner l’avoine.

    Ce cheval était, comme l’avait dit Scaufflaire, de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre et pas assez d’encolure, mais qui a le poitrail ouvert, la croupe large, la jambe sèche et fine et le pied solide ; race laide, mais robuste et saine. L’excellente bête avait fait cinq lieues en deux heures et n’avait pas une goutte de sueur sur la croupe.

    Il n’était pas descendu du tilbury. Le garçon d’écurie qui apportait l’avoine se baissa tout à coup et examina la roue de gauche.

    Allez-vous loin comme cela ? dit cet homme.

    Il répondit, presque sans sortir de sa rêverie :

    Pourquoi ?

    Venez-vous de loin ? reprit le garçon.

    De cinq lieues d’ici.

    Ah !

    Pourquoi dites-vous : ah ?

    Le garçon se pencha de nouveau, resta un moment silencieux, l’œil fixé sur la roue, puis se redressa en disant :

    C’est que voilà une roue qui vient de faire cinq lieues, c’est possible, mais qui à coup sûr ne fera pas maintenant un quart de lieue.

    Il sauta à bas du tilbury.

    Que dites-vous là, mon ami ?

    Je dis que c’est un miracle que vous ayez fait cinq lieues sans rouler, vous et votre cheval, dans quelque fossé de la grande route. Regardez plutôt.

    La roue en effet était gravement endommagée. Le choc de la malle-poste avait fendu deux rayons et labouré le moyeu dont l’écrou ne tenait plus.

    Mon ami, dit-il au garçon d’écurie, il y a un charron ici ?

    Sans doute, monsieur.

    Rendez-moi le service de l’aller chercher.

    Il est là, à deux pas. Hé ! maître Bourgaillard !

    Maître Bourgaillard, le charron, était sur le seuil de sa porte. Il vint examiner la roue et fit la grimace d’un chirurgien qui considère une jambe cassée.

    Pouvez-vous raccommoder cette roue sur-le-champ ?

    Oui, monsieur.

    Quand pourrai-je repartir ?

    Demain.

    Demain !

    Il y a une grande journée d’ouvrage. Est-ce que monsieur est pressé ?

    Très pressé. Il faut que je reparte dans une heure au plus tard.

    Impossible, monsieur.

    Je payerai tout ce qu’on voudra.

    Impossible.

    Eh bien ! dans deux heures.

    Impossible pour aujourd’hui. Il faut refaire deux rais et un moyeu. Monsieur ne pourra repartir avant demain.

    L’affaire que j’ai ne peut attendre à demain. Si, au lieu de raccommoder cette roue, on la remplaçait ?

    Comment cela ?

    Vous êtes charron ?

    Sans doute, monsieur.

    Est-ce que vous n’auriez pas une roue à me vendre ? Je pourrais repartir tout de suite.

    Une roue de rechange ?

    Oui.

    Je n’ai pas une roue toute faite pour votre cabriolet. Deux roues font la paire. Deux roues ne vont pas ensemble au hasard.

    En ce cas, vendez-moi une paire de roues.

    Monsieur, toutes les roues ne vont pas à tous les essieux.

    Essayez toujours.

    C’est inutile, monsieur. Je n’ai à vendre que des roues de charrette. Nous sommes un petit pays ici.

    Auriez-vous un cabriolet à me louer ?

    Le maître charron, du premier coup d’œil, avait reconnu que le tilbury était une voiture de louage. Il haussa les épaules.

    Vous les arrangez bien, les cabriolets qu’on vous loue ! j’en aurais un que je ne vous le louerais pas.

    Eh bien, à me vendre ?

    Je n’en ai pas.

    Quoi ! pas une carriole ? Je ne suis pas difficile, comme vous voyez.

    Nous sommes un petit pays. J’ai bien là sous la remise, ajouta le charron, une vieille calèche qui est à un bourgeois de la ville qui me l’a donnée en garde et qui s’en sert tous les trente-six du mois. Je vous la louerais bien, qu’est-ce que cela me fait ? mais il ne faudrait pas que le bourgeois la vît passer ; et puis, c’est une calèche, il faudrait deux chevaux.

    Je prendrai deux chevaux de poste.

    Où va monsieur ?

    À Arras.

    Et monsieur veut arriver aujourd’hui ?

    Mais oui.

    En prenant des chevaux de poste ?

    Pourquoi pas ?

    Est-il égal à monsieur d’arriver cette nuit à quatre heures du matin ?

    Non certes.

    C’est que, voyez-vous bien, il y a une chose à dire, en prenant des chevaux de poste… — Monsieur a son passeport ?

    Oui.

    Eh bien, en prenant des chevaux de poste, monsieur n’arrivera pas à Arras avant demain. Nous sommes un chemin de traverse. Les relais sont mal servis, les chevaux sont aux champs. C’est la saison des grandes charrues qui commence, il faut de forts attelages, et l’on prend les chevaux partout, à la poste comme ailleurs. Monsieur attendra au moins trois ou quatre heures à chaque relais. Et puis on va au pas. Il y a beaucoup de côtes à monter.

    Allons, j’irai à cheval. Dételez le cabriolet. On me vendra bien une selle dans le pays.

    Sans doute. Mais ce cheval-ci endure-t-il la selle ?

    C’est vrai, vous m’y faites penser. Il ne l’endure pas.

    Alors…

    Mais je trouverai bien dans le village un cheval à louer ?

    Un cheval pour aller à Arras d’une traite !

    Oui.

    Il faudrait un cheval comme on n’en a pas dans nos endroits. Il faudrait l’acheter d’abord, car on ne vous connaît pas. Mais ni à vendre, ni à louer, ni pour cinq cents francs, ni pour mille, vous ne le trouveriez pas !

    Comment faire ?

    Le mieux, là, en honnête homme, c’est que je raccommode la roue et que vous remettiez votre voyage à demain.

    Demain il sera trop tard.

    Dame !

    N’y a-t-il pas la malle-poste qui va à Arras ? Quand passe-t-elle ?

    La nuit prochaine. Les deux malles font le service la nuit, celle qui monte comme celle qui descend.

    Comment ! il vous faut une journée pour raccommoder cette roue ?

    Une journée, et une bonne !

    En mettant deux ouvriers ?

    En en mettant dix !

    Si on liait les rayons avec des cordes ?

    Les rayons, oui ; le moyeu, non. Et puis la jante aussi est en mauvais état.

    Y a-t-il un loueur de voitures dans la ville ?

    Non.

    Y a-t-il un autre charron ?

    Le garçon d’écurie et le maître charron répondirent en même temps en hochant la tête.

    Non.

    Il sentit une immense joie.

    Il était évident que la providence s’en mêlait. C’était elle qui avait brisé la roue du tilbury et qui l’arrêtait en route. Il ne s’était pas rendu à cette espèce de première sommation ; il venait de faire tous les efforts possibles pour continuer son voyage ; il avait loyalement et scrupuleusement épuisé tous les moyens ; il n’avait reculé ni devant la saison, ni devant la fatigue, ni devant la dépense ; il n’avait rien à se reprocher. S’il n’allait pas plus loin, cela ne le regardait plus. Ce n’était plus sa faute, c’était, non le fait de sa conscience, mais le fait de la providence.

    Il respira. Il respira librement et à pleine poitrine pour la première fois depuis la visite de Javert. Il lui semblait que le poignet de fer qui lui serrait le cœur depuis vingt heures, venait de le lâcher.

    Il lui paraissait que maintenant Dieu était pour lui, et se déclarait.

    Il se dit qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait, et qu’à présent il n’avait qu’à revenir sur ses pas, tranquillement.

    Si sa conversation avec le charron eût eu lieu dans une chambre de l’auberge, elle n’eût point eu de témoins, personne ne l’eût entendue, les choses en fussent restées là, et il est probable que nous n’aurions eu à raconter aucun des événements qu’on va lire ; mais cette conversation s’était faite dans la rue. Tout colloque dans la rue produit inévitablement un cercle. Il y a toujours des gens qui ne demandent qu’à être spectateurs. Pendant qu’il questionnait le charron, quelques allants et venants s’étaient arrêtés autour d’eux. Après avoir écouté pendant quelques minutes, un jeune garçon, auquel personne n’avait pris garde, s’était détaché du groupe en courant.

    Au moment où le voyageur, après la délibération intérieure que nous venons d’indiquer, prenait la résolution de rebrousser chemin, cet enfant revenait. Il était accompagné d’une vieille femme.

    Monsieur, dit la femme, mon garçon me dit que vous avez envie de louer un cabriolet.

    Cette simple parole, prononcée par une vieille femme que conduisait un enfant, lui fit ruisseler la sueur dans les reins. Il crut voir la main qui l’avait lâché reparaître dans l’ombre derrière lui, toute prête à le reprendre.

    Il répondit :

    Oui, bonne femme, je cherche un cabriolet à louer.

    Et il se hâta d’ajouter :

    Mais il n’y en a pas dans le pays.

    Si fait, dit la vieille.

    Où ça donc ? reprit le charron.

    Chez moi, répliqua la vieille.

    Il tressaillit. La main fatale l’avait ressaisi.

    La vieille avait en effet sous un hangar une façon de carriole en osier. Le charron et le garçon d’auberge, désolés que le voyageur leur échappât, intervinrent.

    C’était une affreuse guimbarde, — cela était posé à cru sur l’essieu, — il est vrai que les banquettes étaient suspendues à l’intérieur avec des lanières de cuir, — il pleuvait dedans, — les roues étaient rouillées et rongées d’humidité, — cela n’irait pas beaucoup plus loin que le tilbury, — une vraie patache ! — Ce monsieur aurait bien tort de s’y embarquer, — etc., etc.

    Tout cela était vrai, mais cette guimbarde, cette patache, cette chose, quelle qu’elle fût, roulait sur ses deux roues et pouvait aller à Arras.

    Il paya ce qu’on voulut, laissa le tilbury à réparer chez le charron pour l’y retrouver à son retour, fit atteler le cheval blanc à la carriole, y monta, et reprit la route qu’il suivait depuis le matin.

    Au moment où la carriole s’ébranla, il s’avoua qu’il avait eu l’instant d’auparavant une certaine joie de songer qu’il n’irait point où il allait. Il examina cette joie avec une sorte de colère et la trouva absurde. Pourquoi de la joie à revenir en arrière ? Après tout, il faisait ce voyage librement. Personne ne l’y forçait.

    Et, certainement, rien n’arriverait que ce qu’il voudrait bien.

    Comme il sortait de Hesdin, il entendit une voix qui lui criait : arrêtez ! arrêtez ! Il arrêta la carriole d’un mouvement vif dans lequel il y avait encore je ne sais quoi de fébrile et de convulsif qui ressemblait à de l’espérance.

    C’était le petit garçon de la vieille.

    Monsieur, dit-il, c’est moi qui vous ai procuré la carriole.

    Eh bien ?

    Vous ne m’avez rien donné.

    Lui qui donnait à tous et si facilement, il trouva cette prétention exorbitante et presque odieuse.

    Ah ! c’est toi, drôle ? dit-il, tu n’auras rien !

    Il fouetta le cheval et repartit au grand trot.

    Il avait perdu beaucoup de temps à Hesdin, il eût voulu le rattraper. Le petit cheval était courageux et tirait comme deux ; mais on était au mois de février, il avait plu, les routes étaient mauvaises. Et puis, ce n’était plus le tilbury. La carriole était dure et très lourde. Avec cela force montées.

    Il mit près de quatre heures pour aller de Hesdin à Saint-Pol. Quatre heures pour cinq lieues.

    À Saint-Pol il détela à la première auberge venue, et fit mener le cheval à l’écurie. Comme il l’avait promis à Scaufflaire, il se tint près du râtelier pendant que le cheval mangeait. Il songeait à des choses tristes et confuses.

    La femme de l’aubergiste entre dans l’écurie.

    Est-ce que monsieur ne veut pas déjeuner ?

    Tiens, c’est vrai, dit-il, j’ai même bon appétit.

    Il suivit cette femme qui avait une figure fraîche et réjouie. Elle le conduisit dans une salle basse où il y avait des tables ayant pour nappes des toiles cirées.

    Dépêchez-vous, reprit-il, il faut que je reparte. Je suis pressé.

    Une grosse servante flamande mit son couvert en toute hâte. Il regardait cette fille avec un sentiment de bien-être.

    C’est là ce que j’avais, pensa-t-il. Je n’avais pas déjeuné.

    On le servit. Il se jeta sur le pain, mordit une bouchée, puis le reposa lentement sur la table et n’y toucha plus.

    Un roulier mangeait à une autre table. Il dit à cet homme :

    Pourquoi leur pain est-il donc si amer ?

    Le roulier était allemand et n’entendit pas.

    Il retourna dans l’écurie près du cheval.

    Une heure après, il avait quitté Saint-Pol et se dirigeait vers Tinques qui n’est qu’à cinq lieues d’Arras.

    Que faisait-il pendant ce trajet ? À quoi pensait-il ? Comme le matin, il regardait passer les arbres, les toits de chaume, les champs cultivés, et les évanouissements du paysage qui se disloque à chaque coude du chemin. C’est là une contemplation qui suffit quelquefois à l’âme et qui la dispense presque de penser. Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond ! Voyager, c’est naître et mourir à chaque instant. Peut-être, dans la région la plus vague de son esprit, faisait-il des rapprochements entre ces horizons changeants et l’existence humaine. Toutes les choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent : après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres.

    Le crépuscule tombait au moment où des enfants qui sortaient de l’école regardèrent ce voyageur entrer dans Tinques. Il est vrai qu’on était encore aux jours courts de l’année. Il ne s’arrêta pas à Tinques. Comme il débouchait du village, un cantonnier qui empierrait la route dressa la tête et dit :

    Voilà un cheval bien fatigué.

    La pauvre bête en effet n’allait plus qu’au pas.

    Est-ce que vous allez à Arras ? ajouta le cantonnier.

    Oui.

    Si vous allez de ce train, vous n’y arriverez pas de bonne heure.

    Il arrêta le cheval et demanda au cantonnier :

    Combien y a-t-il encore d’ici à Arras ?

    Près de sept grandes lieues.

    Comment cela ? le livre de poste ne marque que cinq lieues et un quart.

    Ah ! reprit le cantonnier, vous ne savez donc pas que la route est en réparation ? Vous allez la trouver coupée à un quart d’heure d’ici. Pas moyen d’aller plus loin.

    Vraiment ?

    Vous prendrez à gauche, le chemin qui va à Carency, vous passerez la rivière ; et, quand vous serez à Camblin, vous tournerez à droite ; c’est la route de Mont-Saint-Éloy qui va à Arras.

    Mais voilà la nuit, je me perdrai.

    Vous n’êtes pas du pays ?

    Non.

    Avec ça, c’est tout chemins de traverse. Tenez, Monsieur, reprit le cantonnier, voulez-vous que je vous donne un conseil ? Votre cheval est las, rentrez dans Tinques. Il y a une bonne auberge. Couchez-y. Vous irez demain à Arras.

    Il faut que j’y sois ce soir.

    C’est différent. Alors allez tout de même à cette auberge et prenez-y un cheval de renfort. Le garçon du cheval vous guidera dans la traverse.

    Il suivit le conseil du cantonnier, rebroussa chemin, et une demi-heure après il repassait au même endroit, mais au grand trot, avec un bon cheval de renfort. Un garçon d’écurie qui s’intitulait postillon était assis sur le brancard de la carriole.

    Cependant il sentait qu’il perdait du temps.

    Il faisait tout à fait nuit.

    Ils s’engagèrent dans la traverse. La route devint affreuse. La carriole tombait d’une ornière dans l’autre. Il dit au postillon :

    Toujours au trot, et double pourboire.

    Dans un cahot le palonnier cassa.

    Monsieur, dit le postillon, voilà le palonnier cassé, je ne sais plus comment atteler mon cheval, cette route-ci est bien mauvaise la nuit ; si vous vouliez revenir coucher à Tinques, nous pourrions être demain matin de bonne heure à Arras.

    Il répondit : — As-tu un bout de corde et un couteau ?

    Oui, monsieur.

    Il coupa une branche d’arbre et en fit un palonnier.

    Ce fut encore une perte de vingt minutes ; mais ils repartirent au galop.

    La plaine était ténébreuse. Des brouillards bas, courts et noirs rampaient sur les collines et s’en arrachaient comme des fumées. Il y avait des lueurs blanchâtres dans les nuages. Un grand vent qui venait de la mer faisait dans tous les coins de l’horizon le bruit de quelqu’un qui remue des meubles. Tout ce qu’on entrevoyait avait des attitudes de terreur. Que de choses frissonnent sous ces vastes souffles de la nuit !

    Le froid le pénétrait. Il n’avait pas mangé depuis la veille. Il se rappelait vaguement son autre course nocturne dans la grande plaine aux environs de Digne. Il y avait huit ans ; et cela lui semblait hier.

    Une heure sonna à quelque clocher lointain. Il demanda au garçon :

    Quelle est cette heure ?

    Sept heures, monsieur. Nous serons à Arras à huit. Nous n’avons plus que trois lieues.

    En ce moment il fit pour la première fois cette réflexion — en trouvant étrange qu’elle ne lui fût pas venue plus tôt : — que c’était peut-être inutile, toute la peine qu’il prenait ; qu’il ne savait seulement pas l’heure du procès ; qu’il aurait dû au moins s’en informer ; qu’il était extravagant d’aller ainsi devant soi sans savoir si cela servirait à quelque chose. — Puis il ébaucha quelques calculs dans son esprit : — qu’ordinairement les séances des cours d’assises commençaient à neuf heures du matin ; — que cela ne devait pas être long, cette affaire-là ; — que le vol de pommes, ce serait très court ; — qu’il n’y aurait plus ensuite qu’une question d’identité ; — quatre ou cinq dépositions, peu de chose à dire pour les avocats ; — qu’il allait arriver lorsque tout serait fini !

    Le postillon fouettait les chevaux. Ils avaient passé la rivière et laissé derrière eux Mont-Saint-Éloy.

    La nuit devenait de plus en plus profonde.


     

    VI

    LA SŒUR SIMPLICE MISE À L’ÉPREUVE


     

    Cependant, en ce moment-là même, Fantine était dans la joie.

    Elle avait passé une très mauvaise nuit. Toux affreuse, redoublement de fièvre ; elle avait eu des songes. Le matin, à la visite du médecin, elle délirait. Il avait eu l’air alarmé et avait recommandé qu’on le prévînt dès que M. Madeleine viendrait.

    Toute la matinée elle fut morne, parla peu, et fit des plis à ses draps en murmurant à voix basse des calculs qui avaient l’air d’être des calculs de distances. Ses yeux étaient caves et fixes. Ils paraissaient presque éteints, et puis, par moments, ils se rallumaient et resplendissaient comme des étoiles. Il semble qu’aux approches d’une certaine heure sombre, la clarté du ciel emplisse ceux que quitte la clarté de la terre.

    Chaque fois que la sœur Simplice lui demandait comment elle se trouvait, elle répondait invariablement : — Bien. Je voudrais voir monsieur Madeleine.

    Quelques mois auparavant, à ce moment où Fantine venait de perdre sa dernière pudeur, sa dernière honte et sa dernière joie, elle était l’ombre d’elle-même ; maintenant elle en était le spectre. Le mal physique avait complété l’œuvre du mal moral. Cette créature de vingt-cinq ans avait le front ridé, les joues flasques, les narines pincées, les dents déchaussées, le teint plombé, le cou osseux, les clavicules saillantes, les membres chétifs, la peau terreuse, et ses cheveux blonds poussaient mêlés de cheveux gris. Hélas ! comme la maladie improvise la vieillesse !

    À midi, le médecin revint, il fit quelques prescriptions, s’informa si M. le maire avait paru à l’infirmerie, et branla la tête.

    M. Madeleine venait d’habitude à trois heures voir la malade. Comme l’exactitude était de la bonté, il était exact.

    Vers deux heures et demie, Fantine commença à s’agiter. Dans l’espace de vingt minutes, elle demanda plus de dix fois à la religieuse : — Ma sœur, quelle heure est-il ?

    Trois heures sonnèrent. Au troisième coup, Fantine se dressa sur son séant, elle qui d’ordinaire pouvait à peine remuer dans son lit ; elle joignit dans une sorte d’étreinte convulsive ses deux mains décharnées et jaunes, et la religieuse entendit sortir de sa poitrine un de ces soupirs profonds qui semblent soulever un accablement. Puis Fantine se tourna et regarda la porte.

    Personne n’entra ; la porte ne s’ouvrit point.

    Elle resta ainsi un quart d’heure, l’œil attaché sur la porte, immobile et comme retenant son haleine. La sœur n’osait lui parler. L’église sonna trois heures un quart. Fantine se laissa retomber sur l’oreiller.

    Elle ne dit rien et se remit à faire des plis à son drap.

    La demi-heure passa, puis l’heure. Personne ne vint. Chaque fois que l’horloge sonnait, Fantine se dressait et regardait du côté de la porte, puis elle retombait.

    On voyait clairement sa pensée, mais elle ne prononçait aucun nom, elle ne se plaignait pas, elle n’accusait pas. Seulement elle toussait d’une façon lugubre. On eût dit que quelque chose d’obscur s’abaissait sur elle. Elle était livide et avait les lèvres bleues. Elle souriait par moments.

    Cinq heures sonnèrent. Alors la sœur l’entendit qui disait très bas et doucement : — Mais puisque je m’en vais demain, il a tort de ne pas venir aujourd’hui !

    La sœur Simplice elle-même était surprise du retard de M. Madeleine.

    Cependant Fantine regardait le ciel de son lit. Elle avait l’air de chercher à se rappeler quelque chose. Tout à coup elle se mit à chanter d’une voix faible comme un souffle. La religieuse écouta. Voici ce que Fantine chantait :

     


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    La vierge Marie auprès de mon poêle
    Est venue hier en manteau brodé,
    Et m’a dit : — Voici, caché sous mon voile,
    Le petit qu’un jour tu m’as demandé. —
    Courez à la ville, ayez de la toile,
    Achetez du fil, achetez un dé.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.


    Bonne sainte Vierge, auprès de mon poêle
    J’ai mis un berceau de rubans orné.
    Dieu me donnerait sa plus belle étoile,
    J’aime mieux l’enfant que tu m’as donné.
    — Madame, que faire avec cette toile ?
    — Faites un trousseau pour mon nouveau-né.


    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    — Lavez cette toile. — Où ? — Dans la rivière.
    Faites-en, sans rien gâter ni salir,
    Une belle jupe avec sa brassière
    Que je veux broder et de fleurs emplir.
    — L’enfant n’est plus là, madame, qu’en faire ?
    — Faites-en un drap pour m’ensevelir.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.

     

    Cette chanson était une vieille romance de berceuse avec laquelle autrefois elle endormait sa petite Cosette, et qui ne s’était pas offerte à son esprit depuis cinq ans qu’elle n’avait plus son enfant. Elle chantait cela d’une voix si triste et sur un air si doux que c’était à faire pleurer, même une religieuse. La sœur, habituée aux choses austères, sentit une larme lui venir.

    L’horloge sonna six heures. Fantine ne parut pas entendre. Elle semblait ne plus faire attention à aucune chose autour d’elle.

    La sœur Simplice envoya une fille de service s’informer près de la portière de la fabrique si M. le maire était rentré et s’il ne monterait pas bientôt à l’infirmerie. La fille revint au bout de quelques minutes.

    Fantine était toujours immobile et paraissait attentive à des idées qu’elle avait.

    La servante raconta très bas à la sœur Simplice que M. le maire était parti le matin même avant six heures dans un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, par le froid qu’il faisait, qu’il était parti seul, pas même de cocher, qu’on ne savait pas le chemin qu’il avait pris, que des personnes disaient l’avoir vu tourner par la route d’Arras, que d’autres assuraient l’avoir rencontré sur la route de Paris. Qu’en s’en allant il avait été comme à l’ordinaire très doux, et qu’il avait seulement dit à la portière qu’on ne l’attendît pas cette nuit.

    Pendant que les deux femmes, le dos tourné au lit de la Fantine, chuchotaient, la sœur questionnant, la servante conjecturant, la Fantine, avec cette vivacité fébrile de certaines maladies organiques qui mêle les mouvements libres de la santé à l’effrayante maigreur de la mort, s’était mise à genoux sur son lit, ses deux poings crispés appuyés sur le traversin, et, la tête passée par l’intervalle des rideaux, elle écoutait. Tout à coup elle cria :

    Vous parlez là de monsieur Madeleine ! pourquoi parlez-vous tout bas ? Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi ne vient-il pas ?

    Sa voix était si brusque et si rauque que les deux femmes crurent entendre une voix d’homme ; elles se retournèrent effrayées.

    Répondez donc ! cria Fantine.

    La servante balbutia :

    La portière m’a dit qu’il ne pourrait pas venir aujourd’hui.

    Mon enfant, dit la sœur, tenez-vous tranquille, recouchez-vous.

    Fantine, sans changer d’attitude, reprit d’une voix haute et avec un accent tout à la fois impérieux et déchirant :

    Il ne pourra venir... Pourquoi cela ? Vous savez la raison. Vous la chuchotiez là entre vous. Je veux le savoir.

    La servante se hâta de dire à l’oreille de la religieuse :

    Répondez qu’il est occupé au conseil municipal.

    La sœur Simplice rougit légèrement ; c’était un mensonge que la servante lui proposait. D’un autre côté il lui semblait bien que dire la vérité à la malade ce serait sans doute lui porter un coup terrible et que cela était grave dans l’état où était Fantine. Cette rougeur dura peu. La sœur leva sur Fantine son œil calme et triste, et dit :

    Monsieur le maire est parti.

    Fantine se redressa et s’assit sur ses talons. Ses yeux étincelèrent. Une joie inouïe rayonna sur cette physionomie douloureuse.

    Parti ! s’écria-t-elle. Il est allé chercher Cosette !

    Puis elle tendit ses deux mains vers le ciel et tout son visage devint ineffable. Ses lèvres remuaient ; elle priait à voix basse.

    Quand sa prière fut finie : — Ma sœur, dit-elle, je veux bien me recoucher, je vais faire tout ce qu’on voudra ; tout à l’heure j’ai été méchante, je vous demande pardon d’avoir parlé si haut, c’est très mal de parler haut, je le sais bien, ma bonne sœur ; mais voyez-vous, je suis très contente. Le bon Dieu est bon, monsieur Madeleine est bon, figurez-vous qu’il est allé chercher ma petite Cosette à Montfermeil.

    Elle se recoucha, aida la religieuse à arranger l’oreiller et baisa une petite croix d’argent qu’elle avait au cou et que la sœur Simplice lui avait donnée.

    Mon enfant, dit la sœur, tâchez de reposer maintenant, et ne parlez plus.

    Fantine prit dans ses mains moites la main de la sœur, qui souffrait de lui sentir cette sueur.

    Il est parti ce matin pour aller à Paris. Au fait il n’a pas même besoin de passer par Paris. Montfermeil, c’est un peu à gauche en venant. Vous rappelez-vous comme il me disait hier quand je lui parlais de Cosette : bientôt, bientôt ! C’est une surprise qu’il veut me faire. Vous savez ? il m’avait fait signer une lettre pour la reprendre aux Thénardier. Ils n’auront rien à dire, pas vrai ? Ils rendront Cosette. Puisqu’ils sont payés. Les autorités ne souffriraient pas qu’on garde un enfant quand on est payé. Ma sœur, ne me faites pas signe qu’il ne faut pas que je parle. Je suis extrêmement heureuse, je vais très bien, je n’ai plus de mal du tout, je vais revoir Cosette, j’ai même très faim. Il y a près de cinq ans que je ne l’ai vue. Vous ne vous figurez pas, vous, comme cela vous tient, les enfants ! Et puis elle sera si gentille, vous verrez ! Si vous saviez, elle a de si jolis petits doigts roses ! D’abord elle aura de très belles mains. À un an, elle avait des mains ridicules. Ainsi ! — Elle doit être grande à présent. Cela vous a sept ans. C’est une demoiselle. Je l’appelle Cosette, mais elle s’appelle Euphrasie. Tenez, ce matin, je regardais de la poussière qui était sur la cheminée et j’avais bien l’idée comme cela que je reverrais bientôt Cosette. Mon Dieu ! comme on a tort d’être des années sans voir ses enfants ! on devrait bien réfléchir que la vie n’est pas éternelle ! Oh ! comme il est bon d’être parti, monsieur le maire ! C’est vrai ça qu’il fait bien froid ? avait-il son manteau au moins ? Il sera ici demain, n’est-ce pas ? Ce sera demain fête. Demain matin, ma sœur, vous me ferez penser à mettre mon petit bonnet qui a de la dentelle. Montfermeil, c’est un pays. J’ai fait cette route-là, à pied, dans le temps. Il y a eu bien loin pour moi. Mais les diligences vont très vite ! Il sera ici demain avec Cosette. Combien y a-t-il d’ici Montfermeil ?

    La sœur, qui n’avait aucune idée des distances, répondit :

    Oh ! je crois bien qu’il pourra être ici demain.

    Demain ! demain ! dit Fantine, je verrai Cosette demain ! Voyez-vous, bonne sœur du bon Dieu, je ne suis plus malade. Je suis folle. Je danserais, si on voulait.

    Quelqu’un qui l’eût vue un quart d’heure auparavant n’y eût rien compris. Elle était maintenant toute rose, elle parlait d’une voix vive et naturelle, toute sa figure n’était qu’un sourire. Par moments elle riait en se parlant tout bas. Joie de mère, c’est presque joie d’enfant.

    Eh bien, reprit la religieuse, vous voilà heureuse, obéissez-moi, ne parlez plus.

    Fantine posa sa tête sur l’oreiller et dit à demi-voix : — Oui, recouche-toi, sois sage puisque tu vas avoir ton enfant. Elle a raison, sœur Simplice. Tous ceux qui sont ici ont raison.

    Et puis, sans bouger, sans remuer la tête, elle se mit à regarder partout avec ses yeux tout grands ouverts et un air joyeux, et elle ne dit plus rien.

    La sœur referma ses rideaux, espérant qu’elle s’assoupirait.

    Entre sept et huit heures le médecin vint. N’entendant aucun bruit, il crut que Fantine dormait, entra doucement et s’approcha du lit sur la pointe du pied. Il entr’ouvrit les rideaux, et à la lueur de la veilleuse il vit les grands yeux calmes de Fantine qui le regardaient.

    Elle lui dit : — Monsieur, n’est-ce pas, on me laissera la coucher à côté de moi dans un petit lit ?

    Le médecin crut qu’elle délirait. Elle ajouta :

    Regardez plutôt, il y a juste de la place.

    Le médecin prit à part la sœur Simplice qui lui expliqua la chose, que M. Madeleine était absent pour un jour ou deux, et que, dans le doute, on n’avait pas cru devoir détromper la malade qui croyait monsieur le maire parti pour Montfermeil ; qu’il était possible en somme qu’elle eût deviné juste. Le médecin approuva.

    Il se rapprocha du lit de Fantine, qui reprit :

    C’est que, voyez-vous, le matin, quand elle s’éveillera, je lui dirai bonjour à ce pauvre chat, et la nuit, moi qui ne dors pas, je l’entendrai dormir. Sa petite respiration si douce, cela me fera du bien.

    Donnez-moi votre main, dit le médecin.

    Elle tendit son bras, et s’écria en riant :

    Ah ! tiens ! au fait, c’est vrai, vous ne savez pas ! c’est que je suis guérie. Cosette arrive demain.

    Le médecin fut surpris. Elle était mieux. L’oppression était moindre. Le pouls avait repris de la force. Une sorte de vie survenue tout à coup ranimait ce pauvre être épuisé.

    Monsieur le docteur, reprit-elle, la sœur vous a-t-elle dit que monsieur le maire était allé chercher le chiffon ?

    Le médecin recommanda le silence et qu’on évitât toute émotion pénible. Il prescrivit une infusion de quinquina pur, et, pour le cas où la fièvre reprendrait dans la nuit, une potion calmante. En s’en allant, il dit à la sœur : — Cela va mieux. Si le bonheur voulait qu’en effet monsieur le maire arrivât demain avec l’enfant, qui sait ? il y a des crises si étonnantes, on a vu de grandes joies arrêter court des maladies ; je sais bien que celle-ci est une maladie organique, et bien avancée, mais c’est un tel mystère que tout cela ! Nous la sauverions peut-être.


     

    VII

    LE VOYAGEUR ARRIVÉ PREND SES PRÉCAUTIONS POUR REPARTIR


     

    Il était près de huit heures du soir quand la carriole que nous avons laissée en route entra sous la porte cochère de l’hôtel de la Poste à Arras. L’homme que nous avons suivi jusqu’à ce moment en descendit, répondit d’un air distrait aux empressements des gens de l’auberge, renvoya le cheval de renfort, et conduisit lui-même le petit cheval blanc à l’écurie ; puis il poussa la porte d’une salle de billard qui était au rez-de-chaussée, s’y assit, et s’accouda sur une table. Il avait mis quatorze heures à ce trajet qu’il comptait faire en six. Il se rendait la justice que ce n’était pas sa faute ; mais au fond il n’en était pas fâché.

    La maîtresse de l’hôtel entra.

    Monsieur couche-t-il ? monsieur soupe-t-il ?

    Il fit un signe de tête négatif.

    Le garçon d’écurie dit que le cheval de monsieur est bien fatigué !

    Ici il rompit le silence.

    Est-ce que le cheval ne pourra pas repartir demain matin ?

    Oh ! monsieur ! il lui faut au moins deux jours de repos.

    Il demanda :

    N’est-ce pas ici le bureau de poste ?

    Oui, monsieur.

    L’hôtesse le mena à ce bureau ; il montra son passeport et s’informa s’il y avait moyen de revenir cette nuit même à Montreuil-sur-mer par la malle ; la place à côté du courrier était justement vacante ; il la retint et la paya. — Monsieur, dit le buraliste, ne manquez pas d’être ici pour partir à une heure précise du matin.

    Cela fait, il sortit de l’hôtel et se mit à marcher dans la ville.

    Il ne connaissait pas Arras, les rues étaient obscures, et il allait au hasard. Cependant il semblait s’obstiner à ne pas demander son chemin aux passants. Il traversa la petite rivière Crinchon et se trouva dans un dédale de ruelles étroites où il se perdit. Un bourgeois cheminait avec un falot. Après quelque hésitation, il prit le parti de s’adresser à ce bourgeois, non sans avoir d’abord regardé devant et derrière lui, comme s’il craignait que quelqu’un n’entendît la question qu’il allait faire.

    Monsieur, dit-il, le palais de justice, s’il vous plaît ?

    Vous n’êtes pas de la ville, monsieur ? répondit le bourgeois qui était un assez vieux homme, eh bien, suivez-moi. Je vais précisément du côté du palais de justice, c’est-à-dire du côté de l’hôtel de la préfecture. Car on répare en ce moment le palais, et provisoirement les tribunaux ont leurs audiences à la préfecture.

    Est-ce là, demanda-t-il, qu’on tient les assises ?

    Sans doute, monsieur. Voyez-vous, ce qui est la préfecture aujourd’hui était l’évêché avant la révolution. Monsieur de Conzié, qui était évêque en quatre-vingt-deux, y a fait bâtir une grande salle. C’est dans cette grande salle qu’on juge.

    Chemin faisant, le bourgeois lui dit :

    Si c’est un procès que monsieur veut voir, il est un peu tard. Ordinairement les séances finissent à six heures.

    Cependant, comme ils arrivaient sur la grande place, le bourgeois lui montra quatre longues fenêtres éclairées sur la façade d’un vaste bâtiment ténébreux.

    Ma foi, monsieur, vous arrivez à temps, vous avez du bonheur. Voyez-vous ces quatre fenêtres ? c’est la cour d’assises. Il y a de la lumière. Donc ce n’est pas fini. L’affaire aura traîné en longueur et on fait une audience du soir. Vous vous intéressez à cette affaire ? Est-ce que c’est un procès criminel ? Est-ce que vous êtes témoin ?

    Il répondit :

    Je ne viens pour aucune affaire, j’ai seulement à parler à un avocat.

    C’est différent, dit le bourgeois. Tenez, monsieur, voici la porte. Où est le factionnaire. Vous n’aurez qu’à monter le grand escalier.

    Il se conforma aux indications du bourgeois, et, quelques minutes après, il était dans une salle où il y avait beaucoup de monde et où des groupes mêlés d’avocats en robe chuchotaient çà et là.

    C’est toujours une chose qui serre le cœur de voir ces attroupements d’hommes vêtus de noir qui murmurent entre eux à voix basse sur le seuil des chambres de justice. Il est rare que la charité et la pitié sortent de toutes ces paroles. Ce qui en sort le plus souvent, ce sont des condamnations faites d’avance. Tous ces groupes semblent à l’observateur qui passe et qui rêve autant de ruches sombres où des esprits bourdonnants construisent en commun toutes sortes d’édifices ténébreux.

    Cette salle, spacieuse et éclairée d’une seule lampe, était une ancienne salle de l’évêché et servait de salle des pas perdus. Une porte à deux battants, fermée en ce moment, la séparait de la grande chambre où siégeait la cour d’assises.

    L’obscurité était telle qu’il ne craignit pas de s’adresser au premier avocat qu’il rencontra.

    Monsieur, dit-il, où en est-on ?

    C’est fini, dit l’avocat.

    Fini !

    Ce mot fut répété d’un tel accent que l’avocat se retourna.

    Pardon, monsieur, vous êtes peut-être un parent ?

    Non, Je ne connais personne ici. Et y a-t-il eu condamnation ?

    Sans doute. Cela n’était guère possible autrement.

    Aux travaux forcés ?...

    À perpétuité.

    Il reprit d’une voix tellement faible qu’on l’entendait à peine :

    L’identité a donc été constatée ?

    Quelle identité ? répondit l’avocat. Il n’y avait pas d’identité à constater. L’affaire était simple. Cette femme avait tué son enfant, l’infanticide a été prouvé, le jury a écarté la préméditation, on l’a condamnée à vie.

    C’est donc une femme ? dit-il.

    Mais sûrement. La fille Limosin. De quoi me parlez-vous donc ?

    De rien. Mais puisque c’est fini, comment se fait-il que la salle soit encore éclairée ?

    C’est pour l’autre affaire qu’on a commencée il y a à peu près deux heures.

    Quelle autre affaire ?

    Oh ! celle-là est claire aussi. C’est une espèce de gueux, un récidiviste, un galérien, qui a volé. Je ne sais plus trop son nom. En voilà un qui vous a une mine de bandit. Rien que pour avoir cette figure-là, je l’enverrais aux galères.

    Monsieur, demanda-t-il, y a-t-il moyen de pénétrer dans la salle ?

    Je ne crois vraiment pas. Il y a beaucoup de foule. Cependant l’audience est suspendue. Il y a des gens qui sont sortis, et, à la reprise de l’audience, vous pourrez essayer.

    Par où entre-t-on ?

    Par cette grande porte.

    L’avocat le quitta. En quelques instants, il avait éprouvé, presque en même temps, presque mêlées, toutes les émotions possibles. Les paroles de cet indifférent lui avaient tour à tour traversé le cœur comme des aiguilles de glace et comme des lames de feu. Quand il vit que rien n’était terminé, il respira ; mais il n’eût pu dire si ce qu’il ressentait était du contentement ou de la douleur.

    Il s’approcha de plusieurs groupes et il écouta ce qu’on disait. Le rôle de la session étant très chargé, le président avait indiqué pour ce même jour deux affaires simples et courtes. On avait commencé par l’infanticide, et maintenant on en était au forçat, au récidiviste, au « cheval de retour ». Cet homme avait volé des pommes, mais cela ne paraissait pas bien prouvé ; ce qui était prouvé, c’est qu’il avait été déjà aux galères à Toulon. C’est ce qui faisait son affaire mauvaise. Du reste, l’interrogatoire de l’homme était terminé et les dépositions des témoins ; mais il y avait encore les plaidoiries de l’avocat et le réquisitoire du ministère public ; cela ne devait guère finir avant minuit. L’homme serait probablement condamné ; l’avocat général était très bon, — et ne manquait pas ses accusés ; — c’était un garçon d’esprit qui faisait des vers.

    Un huissier se tenait debout près de la porte qui communiquait avec la salle des assises. Il demanda à cet huissier :

    Monsieur, la porte va-t-elle bientôt s’ouvrir ?

    Elle ne s’ouvrira pas, dit l’huissier.

    Comment ! on ne l’ouvrira pas à la reprise de l’audience ? est-ce que l’audience n’est pas suspendue ?

    L’audience vient d’être reprise, répondit l’huissier, mais la porte ne se rouvrira pas.

    Pourquoi ?

    Parce que la salle est pleine.

    Quoi ! il n’y a plus une place ?

    Plus une seule. La porte est fermée. Personne ne peut plus entrer.

    L’huissier ajouta après un silence : — Il y a bien encore deux ou trois places derrière monsieur le président, mais monsieur le président n’y admet que les fonctionnaires publics.

    Cela dit, l’huissier lui tourna le dos.

    Il se retira la tête baissée, traversa l’antichambre et redescendit l’escalier lentement, comme hésitant à chaque marche. Il est probable qu’il tenait conseil avec lui-même. Le violent combat qui se livrait en lui depuis la veille n’était pas fini ; et, à chaque instant, il en traversait quelque nouvelle péripétie. Arrivé sur le palier de l’escalier, il s’adossa à la rampe et croisa les bras. Tout à coup il ouvrit sa redingote, prit son portefeuille, en tira un crayon, déchira une feuille, et écrivit rapidement sur cette feuille à la lueur du réverbère cette ligne : — M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer. Puis il remonta l’escalier à grands pas, fendit la foule, marcha droit à l’huissier, lui remit le papier, et lui dit avec autorité : — Portez ceci à monsieur le président.

    L’huissier prit le papier, y jeta un coup d’œil et obéit.


     

    VIII

    ENTRÉE DE FAVEUR


     

    Sans qu’il s’en doutât, le maire de Montreuil-sur-Mer avait une sorte de célébrité. Depuis sept ans que sa réputation de vertu remplissait tout le bas Boulonnais, elle avait fini par franchir les limites d’un petit pays et s’était répandue dans les deux ou trois départements voisins. Outre le service considérable qu’il avait rendu au chef-lieu en y restaurant l’industrie des verroteries noires, il n’était pas une des cent quarante et une communes de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer qui ne lui dût quelque bienfait. Il avait su même au besoin aider et féconder les industries des autres arrondissements. C’est ainsi qu’il avait dans l’occasion soutenu de son crédit et de ses fonds la fabrique de tulle de Boulogne, la filature de lin à la mécanique de Frévent et la manufacture hydraulique de toiles de Boubers-sur-Canche. Partout on prononçait avec vénération le nom de M. Madeleine. Arras et Douai enviaient son maire à l’heureuse petite ville de Montreuil-sur-Mer.

    Le conseiller à la cour royale de Douai, qui présidait cette session des assises à Arras, connaissait comme tout le monde ce nom si profondément et si universellement honoré. Quand l’huissier, ouvrant discrètement la porte qui communiquait de la chambre du conseil à l’audience, se pencha derrière le fauteuil du président et lui remit le papier où était écrite la ligne qu’on vient de lire, en ajoutant : Ce monsieur désire assister à l’audience, le président fit un vif mouvement de déférence, saisit une plume, écrivit quelques mots au bas du papier, et le rendit à l’huissier en lui disant :

    Faites entrer.

    L’homme malheureux dont nous racontons l’histoire était resté près de la porte de la salle à la même place et dans la même attitude où l’huissier l’avait quitté. Il entendit, à travers sa rêverie, quelqu’un qui lui disait : Monsieur veut-il bien me faire l’honneur de me suivre ? C’était ce même huissier qui lui avait tourné le dos l’instant d’auparavant et qui maintenant le saluait jusqu’à terre. L’huissier en même temps lui remit le papier. Il le déplia, et, comme il se rencontrait qu’il était près de la lampe, il put lire :

    « Le président de la cour d’assises présente son respect à M. Madeleine. »

    Il froissa le papier entre ses mains, comme si ces quelques mots eussent eu pour lui un arrière-goût étrange et amer.

    Il suivit l’huissier.

    Quelques minutes après, il se trouvait seul dans une espèce de cabinet lambrissé, d’un aspect sévère, éclairé par deux bougies posées sur un tapis vert. Il avait encore dans l’oreille les dernières paroles de l’huissier qui venait de le quitter : « Monsieur, vous voici dans la chambre du conseil ; vous n’avez qu’à tourner le bouton de cuivre de cette porte, et vous vous trouverez dans l’audience derrière le fauteuil de monsieur le président. » — Ces paroles se mêlaient dans sa pensée à un souvenir vague de corridors étroits et d’escaliers noirs qu’il venait de parcourir.

    L’huissier l’avait laissé seul. Le moment suprême était arrivé. Il cherchait à se recueillir sans pouvoir y parvenir. C’est surtout aux heures où l’on aurait le plus besoin de les rattacher aux réalités poignantes de la vie que tous les fils de la pensée se rompent dans le cerveau. Il était dans l’endroit même où les juges délibèrent et condamnent. Il regardait avec une tranquillité stupide cette chambre paisible et redoutable où tant d’existences avaient été brisées, où son nom allait retentir tout à l’heure, et que sa destinée traversait en ce moment. Il regardait la muraille, puis il se regardait lui-même, s’étonnant que ce fût cette chambre et que ce fût lui.

    Il n’avait pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, il était brisé par les cahots de la carriole, mais il ne le sentait pas ; il lui semblait qu’il ne sentait rien.

    Il s’approcha d’un cadre noir qui était accroché au mur et qui contenait sous verre une vieille lettre autographe de Jean-Nicolas Pache, maire de Paris et ministre, datée sans doute par erreur du 9 juin an II, et dans laquelle Pache envoyait à la commune la liste des ministres et des députés tenus en arrestation chez eux. Un témoin qui l’eût pu voir et qui l’eût observé en cet instant eût sans doute imaginé que cette lettre lui paraissait bien curieuse, car il n’en détachait pas ses yeux, et il la lut deux ou trois fois. Il la lisait sans y faire attention et à son insu. Il pensait à Fantine et à Cosette.

    Tout en rêvant, il se retourna, et ses yeux rencontrèrent le bouton de cuivre de la porte qui le séparait de la salle des assises. Il avait presque oublié cette porte. Son regard, d’abord calme, s’y arrêta, resta attaché à ce bouton de cuivre, puis devint effaré et fixe, et s’empreignit peu à peu d’épouvante. Des gouttes de sueur lui sortaient d’entre les cheveux et ruisselaient sur ses tempes.

    À un certain moment, il fit avec une sorte d’autorité mêlée de rébellion ce geste indescriptible qui veut dire et qui dit si bien : Pardieu ! qui est-ce qui m’y force ? Puis il se tourna vivement, vit devant lui la porte par laquelle il était entré, y alla, l’ouvrit, et sortit. Il n’était plus dans cette chambre, il était dehors, dans un corridor, un corridor long, étroit, coupé de degrés et de guichets, faisant toutes sortes d’angles, éclairé çà et là de réverbères pareils à des veilleuses de malades, le corridor par où il était venu. Il respira, il écouta, aucun bruit derrière lui, aucun bruit devant lui ; il se mit à fuir comme si on le poursuivait.

    Quand il eut doublé plusieurs des coudes de ce couloir, il écouta encore. C’était toujours le même silence et la même ombre autour de lui. Il était essoufflé, il chancelait, il s’appuya au mur. La pierre était froide, sa sueur était glacée sur son front, il se redressa en frissonnant.

    Alors, là, seul, debout dans cette obscurité, tremblant de froid et d’autre chose peut-être, il songea. Il avait songé toute la nuit, il avait songé toute la journée ; il n’entendait plus en lui qu’une voix qui disait : hélas !

    Un quart d’heure s’écoula ainsi. Enfin, il pencha la tête, soupira avec angoisse, laissa pendre ses bras, et revint sur ses pas. Il marchait lentement et comme accablé. Il semblait que quelqu’un l’eût atteint dans sa fuite et le ramenât.

    Il rentra dans la chambre du conseil. La première chose qu’il aperçut, ce fut la gâchette de la porte. Cette gâchette, ronde et en cuivre poli, resplendissait pour lui comme une effroyable étoile. Il la regardait comme une brebis regarderait l’œil d’un tigre.

    Ses yeux ne pouvaient s’en détacher.

    De temps en temps il faisait un pas et se rapprochait de la porte.

    S’il eût écouté, il eût entendu, comme une sorte de murmure confus, le bruit de la salle voisine ; mais il n’écoutait pas, il n’entendait pas.

    Tout à coup, sans qu’il sût lui-même comment, il se trouva près de la porte. Il saisit convulsivement le bouton ; la porte s’ouvrit.

    Il était dans la salle d’audience.


     

    IX

    UN LIEU OÙ DES CONVICTIONS SONT EN TRAIN DE SE FORMER


     

    Il fit un pas, referma machinalement la porte derrière lui, et resta debout, considérant ce qu’il voyait.

    C’était une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de rumeur, tantôt pleine de silence, où tout l’appareil d’un procès criminel se développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule.

    À un bout de la salle, celui où il se trouvait, des juges à l’air distrait, en robe usée, se rongeant les ongles ou fermant les paupières ; à l’autre bout, une foule en haillons ; des avocats dans toutes sortes d’attitudes ; des soldats au visage honnête et dur ; de vieilles boiseries tachées, un plafond sale, des tables couvertes d’une serge plutôt jaune que verte, des portes noircies par les mains ; à des clous plantés dans le lambris, des quinquets d’estaminet donnant plus de fumée que de clarté ; sur les tables, des chandelles dans des chandeliers de cuivre ; l’obscurité, la laideur, la tristesse ; et de tout cela se dégageait une impression austère et auguste, car on y sentait cette grande chose humaine qu’on appelle la loi et cette grande chose divine qu’on appelle la justice.

    Personne dans cette foule ne fit attention à lui. Tous les regards convergeaient vers un point unique, un banc de bois adossé à une petite porte, le long de la muraille, à gauche du président. Sur ce banc, que plusieurs chandelles éclairaient, il y avait un homme entre deux gendarmes.

    Cet homme, c’était l’homme.

    Il ne le chercha pas, il le vit. Ses yeux allèrent là naturellement, comme s’ils avaient su d’avance où était cette figure.

    Il crut se voir lui-même, vieilli ; non pas sans doute absolument semblable de visage, mais tout pareil d’attitude et d’aspect ; avec ces cheveux hérissés, avec cette prunelle fauve et inquiète, avec cette blouse, tel qu’il était le jour où il entrait à Digne, plein de haine et cachant dans son âme ce hideux trésor de pensées affreuses qu’il avait mis dix-neuf ans à ramasser sur le pavé du bagne.

    Il se dit avec un frémissement : — Mon Dieu ! est-ce que je redeviendrai ainsi ?

    Cet être paraissait au moins soixante ans. Il avait je ne sais quoi de rude, de stupide et d’effarouché.

    Au bruit de la porte, on s’était rangé pour lui faire place, le président avait tourné la tête, et comprenant que le personnage qui venait d’entrer était M. le maire de Montreuil-sur-Mer, il l’avait salué. L’avocat général, qui avait vu M. Madeleine à Montreuil-sur-Mer où des opérations de son ministère l’avaient plus d’une fois appelé, le reconnut, et salua également. Lui s’en aperçut à peine. Il était en proie à une sorte d’hallucination ; il regardait.

    Des juges, un greffier, des gendarmes, une foule de têtes cruellement curieuses, il avait déjà vu cela une fois, autrefois, il y avait vingt-sept ans. Ces choses funestes, il les retrouvait ; elles étaient là, elles remuaient, elles existaient. Ce n’était plus un effort de sa mémoire, un mirage de sa pensée, c’étaient de vrais gendarmes et de vrais juges, une vraie foule et de vrais hommes en chair et en os. C’en était fait, il voyait reparaître et revivre autour de lui, avec tout ce que la réalité a de formidable, les aspects monstrueux de son passé.

    Tout cela était béant devant lui.

    Il en eut horreur, il ferma les yeux, et s’écria au plus profond de son âme : jamais !

    Et par un jeu tragique de la destinée qui faisait trembler toutes ses idées et le rendait presque fou, c’était un autre lui-même qui était là ! Cet homme qu’on jugeait, tous l’appelaient Jean Valjean !

    Il avait sous les yeux, vision inouïe, une sorte de représentation du moment le plus horrible de sa vie, jouée par son fantôme.

    Tout y était, c’était le même appareil, la même heure de nuit, presque les mêmes faces de juges, de soldats et de spectateurs. Seulement, au-dessus de la tête du président, il y avait un crucifix, chose qui manquait aux tribunaux du temps de sa condamnation. Quand on l’avait jugé, Dieu était absent.

    Une chaise était derrière lui ; il s’y laissa tomber, terrifié de l’idée qu’on pouvait le voir. Quand il fut assis, il profita d’une pile de cartons qui était sur le bureau des juges pour dérober son visage à toute la salle. Il pouvait maintenant voir sans être vu. Peu à peu il se remit. Il rentra pleinement dans le sentiment du réel ; il arriva à cette phase de calme où l’on peut écouter.

    M. Bamatabois était au nombre des jurés.

    Il chercha Javert, mais il ne le vit pas. Le banc des témoins lui était caché par la table du greffier. Et puis, nous venons de le dire, la salle était à peine éclairée.

    Au moment où il était entré, l’avocat de l’accusé achevait sa plaidoirie. L’attention de tous était excitée au plus haut point ; l’affaire durait depuis trois heures. Depuis trois heures, cette foule regardait plier peu à peu sous le poids d’une vraisemblance terrible un homme, un inconnu, une espèce d’être misérable, profondément stupide ou profondément habile. Cet homme, on le sait déjà, était un vagabond qui avait été trouvé dans un champ, emportant une branche chargée de pommes mûres, cassée à un pommier dans un clos voisin, appelé le clos Pierron. Qui était cet homme ? Une enquête avait eu lieu, des témoins venaient d’être entendus, ils avaient été unanimes, des lumières avaient jailli de tout le débat. L’accusation disait : — Nous ne tenons pas seulement un voleur de fruits, un maraudeur ; nous tenons là, dans notre main, un bandit, un relaps en rupture de ban, un ancien forçat, un scélérat des plus dangereux, un malfaiteur appelé Jean Valjean que la justice recherche depuis longtemps, et qui, il y a huit ans, en sortant du bagne de Toulon, a commis un vol de grand chemin à main armée sur la personne d’un enfant savoyard appelé Petit-Gervais, crime prévu par l’article 383 du code pénal, pour lequel nous nous réservons de le poursuivre ultérieurement, quand l’identité sera judiciairement acquise. Il vient de commettre un nouveau vol. C’est un cas de récidive. Condamnez-le pour le fait nouveau ; il sera jugé plus tard pour le fait ancien. — Devant cette accusation, devant l’unanimité des témoins, l’accusé paraissait surtout étonné. Il faisait des gestes et des signes qui voulaient dire non, ou bien il considérait le plafond. Il parlait avec peine, répondait avec embarras, mais, de la tête aux pieds, toute sa personne niait. Il était comme un idiot en présence de toutes ces intelligences rangées en bataille autour de lui, et comme un étranger au milieu de cette société qui le saisissait. Cependant il y allait pour lui de l’avenir le plus menaçant, la vraisemblance croissait à chaque minute, et toute cette foule regardait avec plus d’anxiété que lui-même cette sentence pleine de calamités qui penchait sur lui de plus en plus. Une éventualité laissait même entrevoir, outre le bagne, la peine de mort possible, si l’identité était reconnue et si l’affaire Petit-Gervais se terminait plus tard par une condamnation. Qu’était-ce que cet homme ? De quelle nature était son apathie ? Était-ce imbécillité ou ruse ? Comprenait-il trop, ou ne comprenait-il pas du tout ? Questions qui divisaient la foule et semblaient partager le jury. Il y avait dans ce procès ce qui effraye et ce qui intrigue ; le drame n’était pas seulement sombre, il était obscur.

    Le défenseur avait assez bien plaidé, dans cette langue de province qui a longtemps constitué l’éloquence du barreau et dont usaient jadis tous les avocats, aussi bien à Paris qu’à Romorantin ou à Montbrison, et qui aujourd’hui, étant devenue classique, n’est plus guère parlée que par les orateurs officiels du parquet, auxquels elle convient par sa sonorité grave et son allure majestueuse ; langue où un mari s’appelle un époux, une femme, une épouse, Paris, le centre des arts et de la civilisation, le roi, le monarque, monseigneur l’évêque, un saint pontife, l’avocat général, l’éloquent interprète de la vindicte, la plaidoirie, les accents qu’on vient d’entendre, le siècle de Louis xiv, le grand siècle, un théâtre, le temple de Melpomène, la famille régnante, l’auguste sang de nos rois, un concert, une solennité musicale, monsieur le général commandant le département, l’illustre guerrier qui, etc., les élèves du séminaire, ces tendres lévites, les erreurs imputées aux journaux, l’imposture qui distille son venin dans les colonnes de ces organes, etc., etc. — L’avocat donc avait commencé par s’expliquer sur le vol de pommes, — chose malaisée en beau style ; mais Bénigne Bossuet lui-même a été obligé de faire allusion à une poule en pleine oraison funèbre, et il s’en est tiré avec pompe. L’avocat avait établi que le vol de pommes n’était pas matériellement prouvé. — Son client, qu’en sa qualité de défenseur, il persistait à appeler Champmathieu, n’avait été vu de personne escaladant le mur ou cassant la branche. — On l’avait arrêté nanti de cette branche (que l’avocat appelait plus volontiers rameau) ; — mais il disait l’avoir trouvée à terre et ramassée. Où était la preuve du contraire ? — Sans doute cette branche avait été cassée et dérobée après escalade, puis jetée là par le maraudeur alarmé ; sans doute il y avait un voleur ; — qu’est-ce qui prouvait que ce voleur était Champmathieu ? Une seule chose. Sa qualité d’ancien forçat. L’avocat ne niait pas que cette qualité ne parût malheureusement bien constatée ; l’accusé avait résidé à Faverolles ; l’accusé y avait été émondeur; le nom de Champmathieu pouvait bien avoir pour origine Jean Mathieu ; tout cela était vrai ; enfin quatre témoins reconnaissaient sans hésiter et positivement Champmathieu pour être le galérien Jean Valjean ; à ces indications, à ces témoignages, l’avocat ne pouvait opposer que la dénégation de son client, dénégation très intéressée ; mais en supposant qu’il fût le forçat Jean Valjean, cela prouvait-il qu’il fût le voleur des pommes ? C’était une présomption tout au plus ; non une preuve. L’accusé, cela était vrai, et le défenseur « dans sa bonne foi » devait en convenir, avait adopté « un mauvais système de défense ». Il s’obstinait à nier tout, le vol et sa qualité de forçat. Un aveu de ce dernier point eût mieux valu, à coup sûr, et lui eût concilié l’indulgence de ses juges ; l’avocat le lui avait conseillé ; mais l’accusé s’y était refusé obstinément, croyant sans doute sauver tout en n’avouant rien. C’était un tort ; mais ne fallait-il pas considérer la brièveté de cette intelligence ? Cet homme était visiblement stupide. Un long malheur au bagne, une longue misère hors du bagne, l’avaient abruti, etc., etc. Il se défendait mal, était-ce une raison pour le condamner ? Quant à l’affaire Petit-Gervais, l’avocat n’avait pas à la discuter, elle n’était point dans la cause. L’avocat concluait en suppliant le jury et la cour, si l’identité de Jean Valjean leur paraissait évidente, de lui appliquer les peines de police qui s’adressent au condamné en rupture de ban, et non le châtiment épouvantable qui frappe le forçat récidiviste.

    L’avocat général répliqua au défenseur. Il fut violent et fleuri, comme sont habituellement les avocats généraux.

    Il félicita le défenseur de sa « loyauté », et profita habilement de cette loyauté. Il atteignit l’accusé par toutes les concessions que l’avocat avait faites, L’avocat semblait accorder que l’accusé était Jean Valjean. Il en prit acte. Cet homme était donc Jean Valjean. Ceci était acquis à l’accusation et ne pouvait plus se contester. Ici, par une habile antonomase, remontant aux sources et aux causes de la criminalité, l’avocat général tonna contre l’immoralité de l’école romantique, alors à son aurore sous le nom d’école satanique que lui avaient décerné les critiques de la Quotidienne et de l’Oriflamme ; il attribua, non sans vraisemblance, à l’influence de cette littérature perverse le délit de Champmathieu, ou pour mieux dire, de Jean Valjean. Ces considérations épuisées, il passa à Jean Valjean lui-même. Qu’était-ce que Jean Valjean ? Description de Jean Valjean. Un monstre vomi, etc. Le modèle de ces sortes de descriptions est dans le récit de Théramène, lequel n’est pas utile à la tragédie, mais rend tous les jours de grands services à l’éloquence judiciaire. L’auditoire et les jurés « frémirent ». La description achevée, l’avocat général reprit, dans un mouvement oratoire fait pour exciter au plus haut point le lendemain matin l’enthousiasme du Journal de la Préfecture : — Et c’est un pareil homme, etc., etc., etc., vagabond, mendiant, sans moyens d’existence, etc., etc., — accoutumé par sa vie passée aux actions coupables et peu corrigé par son séjour au bagne, comme le prouve le crime commis sur Petit-Gervais, etc., etc., — c’est un homme pareil qui, trouvé sur la voie publique en flagrant délit de vol, à quelques pas d’un mur escaladé, tenant encore à la main l’objet volé, nie le flagrant délit, le vol, l’escalade, nie tout, nie jusqu’à son nom, nie jusqu’à son identité ! Outre cent autres preuves sur lesquelles nous ne revenons, pas, quatre témoins le reconnaissent, Javert, l’intègre inspecteur de police Javert, et trois de ses anciens compagnons d’ignominie, les forçats Brevet, Chenildieu et Cochepaille. Qu’oppose-t-il à cette unanimité foudroyante ? Il nie. Quel endurcissement ! Vous ferez justice, messieurs les jurés, etc., etc. — Pendant que l’avocat général parlait, l’accusé écoutait, la bouche ouverte, avec une sorte d’étonnement où il entrait bien quelque admiration. Il était évidemment surpris qu’un homme pût parler comme cela. De temps en temps, aux moments les plus « énergiques » du réquisitoire, dans ces instants où l’éloquence, qui ne peut se contenir, déborde dans un flux d’épithètes flétrissantes et enveloppe l’accusé comme un orage, il remuait lentement la tête de droite à gauche et de gauche à droite, sorte de protestation triste et muette dont il se contentait depuis le commencement des débats. Deux ou trois fois les spectateurs placés le plus près de lui l’entendirent dire à demi-voix : — Voilà ce que c’est, de n’avoir pas demandé à M. Baloup ! — L’avocat général fit remarquer au jury cette attitude hébétée, calculée évidemment, qui dénotait, non l’imbécillité, mais l’adresse, la ruse, l’habitude de tromper la justice, et qui mettait dans tout son jour « la profonde perversité » de cet homme. Il termina en faisant ses réserves pour l’affaire Petit-Gervais, et en réclamant une condamnation sévère.

    C’était, pour l’instant, on s’en souvient, les travaux forcés à perpétuité.

    Le défenseur se leva, commença par complimenter « monsieur l’avocat général » sur son « admirable parole », puis répliqua comme il put, mais il faiblissait ; le terrain évidemment se dérobait sous lui.


     

    X

    LE SYSTÈME DE DÉNÉGATIONS


     

    L’instant de clore les débats était venu. Le président fit lever l’accusé et lui adressa la question d’usage : — Avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?

    L’homme, debout, roulant dans ses mains un affreux bonnet qu’il avait, sembla ne pas entendre.

    Le président répéta la question.

    Cette fois l’homme entendit. Il parut comprendre, il fit le mouvement de quelqu’un qui se réveille, promena ses yeux autour de lui, regarda le public, les gendarmes, son avocat, les jurés, la cour, posa son poing monstrueux sur le rebord de la boiserie placée devant son banc, regarda encore, et tout à coup, fixant son regard sur l’avocat général, il se mit à parler. Ce fut comme une éruption. Il sembla, à la façon dont les paroles s’échappaient de sa bouche, incohérentes, impétueuses, heurtées, pêle-mêle, qu’elles s’y pressaient toutes à la fois pour sortir en même temps. Il dit : — J’ai à dire ça. Que j’ai été charron à Paris, même que c’était chez monsieur Baloup. C’est un état dur. Dans la chose de charron, on travaille toujours en plein air, dans des cours, sous des hangars chez les bons maîtres, jamais dans des ateliers fermés, parce qu’il faut des espaces, voyez-vous. L’hiver, on a si froid qu’on se bat les bras pour se réchauffer ; mais les maîtres ne veulent pas, ils disent que cela perd du temps. Manier du fer quand il y a de la glace entre les pavés, c’est rude. Ça vous use vite un homme. On est vieux tout jeune dans cet état-là. À quarante ans, un homme est fini. Moi, j’en avais cinquante-trois, j’avais bien du mal. Et puis c’est si méchant les ouvriers ! Quand un bonhomme n’est plus jeune, on vous l’appelle pour tout vieux serin, vieille bête ! Je ne gagnais plus que trente sous par jour, on me payait le moins cher qu’on pouvait, les maîtres profitaient de mon âge. Avec ça, j’avais ma fille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté. À nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d’eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l’eau arrive par des robinets. On n’est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince devant soi dans le bassin. Comme c’est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a une buée d’eau chaude qui est terrible et qui vous perd les yeux. Elle revenait à sept heures du soir, et se couchait bien vite ; elle était si fatiguée. Son mari la battait. Elle est morte. Nous n’avons pas été bien heureux. C’était une brave fille qui n’allait pas au bal, qui était bien tranquille. Je me rappelle un mardi gras où elle était couchée à huit heures. Voilà. Je dis vrai. Vous n’avez qu’à demander. Ah bien oui ! demander ! que je suis bête ! Paris, c’est un gouffre. Qui est-ce qui connaît le père Champmathieu ? Pourtant je vous dis monsieur Baloup. Voyez chez monsieur Baloup. Après ça, je ne sais pas ce qu’on me veut.

    L’homme se tut, et resta debout. Il avait dit ces choses d’une voix haute, rapide, rauque, dure et enrouée, avec une sorte de naïveté irritée et sauvage. Une fois il s’était interrompu pour saluer quelqu’un dans la foule. Les espèces d’affirmations qu’il semblait jeter au hasard devant lui, lui venaient comme des hoquets, et il ajoutait à chacune d’elles le geste d’un bûcheron qui fend du bois. Quand il eut fini, l’auditoire éclata de rire. Il regarda le public, et voyant qu’on riait, et ne comprenant pas, il se mit à rire lui-même.

    Cela était sinistre.

    Le président, homme attentif et bienveillant, éleva la voix.

    Il rappela à « messieurs les jurés » que « le sieur Baloup, l’ancien maître charron chez lequel l’accusé disait avoir servi, avait été inutilement cité. Il était en faillite et n’avait pu être retrouvé ». Puis se tournant vers l’accusé, il l’engagea à écouter ce qu’il allait lui dire et ajouta : — Vous êtes dans une situation où il faut réfléchir. Les présomptions les plus graves pèsent sur vous et peuvent entraîner des conséquences capitales. Accusé, dans votre intérêt, je vous interpelle une dernière fois, expliquez-vous clairement sur ces deux faits : — Premièrement, avez-vous, oui ou non, franchi le mur du clos Pierron, cassé la branche et volé les pommes, c’est-à-dire, commis le crime de vol avec escalade ? Deuxièmement, oui ou non, êtes-vous le forçat libéré Jean Valjean ?

    L’accusé secoua la tête d’un air capable, comme un homme qui a bien compris et qui sait ce qu’il va répondre. Il ouvrit la bouche, se tourna vers le président et dit :

    D’abord...

    Puis il regarda son bonnet, il regarda le plafond, et se tut.

    Accusé, reprit l’avocat général d’une voix sévère, faites attention. Vous ne répondez à rien de ce qu’on vous demande. Votre trouble vous condamne. Il est évident que vous ne vous appelez pas Champmathieu, que vous êtes le forçat Jean Valjean caché d’abord sous le nom de Jean Mathieu qui était le nom de sa mère, que vous êtes allé en Auvergne, que vous êtes né à Faverolles où vous avez été émondeur. Il est évident que vous avez volé avec escalade des pommes mûres dans le clos Pierron. Messieurs les jurés apprécieront.

    L’accusé avait fini par se rasseoir ; il se leva brusquement quand l’avocat général eut fini, et s’écria :

    Vous êtes très méchant, vous! Voilà ce que je voulais dire. Je ne trouvais pas d’abord. Je n’ai rien volé. Je suis un homme qui ne mange pas tous les jours. Je venais d’Ailly, je marchais dans le pays après une ondée qui avait fait la campagne toute jaune, même que les mares débordaient et qu’il ne sortait plus des sables que de petits brins d’herbe au bord de la route ; j’ai trouvé une branche cassée par terre où il y avait des pommes, j’ai ramassé la branche sans savoir qu’elle me ferait arriver de la peine. Il y a trois mois que je suis en prison et qu’on me trimballe. Après ça, je ne peux pas dire, on parle contre moi, on me dit : répondez ! Le gendarme, qui est bon enfant, me pousse le coude et me dit tout bas : réponds donc. Je ne sais pas expliquer, moi, je n’ai pas fait les études, je suis un pauvre homme. Voilà ce qu’on a tort de ne pas voir. Je n’ai pas volé, j’ai ramassé par terre des choses qu’il y avait. Vous dites Jean Valjean, Jean Mathieu ! Je ne connais pas ces personnes-là. C’est des villageois. J’ai travaillé chez monsieur Baloup, boulevard de l’Hôpital. Je m’appelle Champmathieu. Vous êtes bien malins de me dire où je suis né. Moi, je l’ignore. Tout le monde n’a pas des maisons pour y venir au monde. Ce serait trop commode. Je crois que mon père et ma mère étaient des gens qui allaient sur les routes. Je ne sais pas d’ailleurs. Quand j’étais enfant, on m’appelait Petit, maintenant on m’appelle Vieux, Voilà mes noms de baptême. Prenez ça comme vous voudrez. J’ai été en Auvergne, j’ai été à Faverolles, pardi ! Eh bien ? est-ce qu’on ne peut pas avoir été en Auvergne et avoir été à Faverolles sans avoir été aux galères ? Je vous dis que je n’ai pas volé, et que je suis le père Champmathieu. J’ai été chez monsieur Baloup, j’ai été domicilié. Vous m’ennuyez avec vos bêtises à la fin ! Pourquoi donc est-ce que le monde est après moi comme des acharnés ?

    L’avocat général était demeuré debout; il s’adressa au président :

    Monsieur le président, en présence des dénégations confuses, mais fort habiles de l’accusé, qui voudrait bien se faire passer pour idiot, mais qui n’y parviendra pas, — nous l’en prévenons, — nous requérons qu’il vous plaise et qu’il plaise à la cour appeler de nouveau dans cette enceinte les condamnés Brevet, Cochepaille et Chenildieu et l’inspecteur de police Javert, et les interpeller une dernière fois sur l’identité de l’accusé avec le forçat Jean Valjean.

    Je fais remarquer à monsieur l’avocat général, dit le président, que l’inspecteur de police Javert, rappelé par ses fonctions au chef-lieu d’un arrondissement voisin, a quitté l’audience et même la ville, aussitôt sa déposition faite. Nous lui en avons accordé l’autorisation, avec l’agrément de monsieur l’avocat général et du défenseur de l’accusé.

    C’est juste, monsieur le président, reprit l’avocat général. En l’absence du sieur Javert, je crois devoir rappeler à messieurs les jurés ce qu’il a dit ici même il y a peu d’heures. Javert est un homme estimé qui honore par sa rigoureuse et stricte probité des fonctions inférieures, mais importantes. Voici en quels termes il a déposé : — « Je n’ai pas même besoin des présomptions morales et des preuves matérielles qui démentent les dénégations de l’accusé. Je le reconnais parfaitement. Cet homme ne s’appelle pas Champmathieu ; c’est un ancien forçat très méchant et très redouté nommé Jean Valjean. On ne l’a libéré à l’expiration de sa peine qu’avec un extrême regret. Il a subi dix-neuf ans de travaux forcés pour vol qualifié. Il avait cinq ou six fois tenté de s’évader. Outre le vol Petit-Gervais et le vol Pierron, je le soupçonne encore d’un vol commis chez sa grandeur le défunt évêque de Digne. Je l’ai souvent vu, à l’époque où j’étais adjudant garde-chiourme au bagne de Toulon. Je répète que je le reconnais parfaitement. »

    Cette déclaration si précise parut produire une vive impression sur le public et le jury. L’avocat général termina en insistant pour qu’à défaut de Javert, les trois témoins Brevet, Chenildieu et Cochepaille fussent entendus de nouveau et interpellés solennellement.

    Le président transmit un ordre à un huissier, et un moment après la porte de la chambre des témoins s’ouvrit. L’huissier, accompagné d’un gendarme prêt à lui prêter main-forte, introduisit le condamné Brevet. L’auditoire était en suspens et toutes les poitrines palpitaient comme si elles n’eussent eu qu’une seule âme.

    L’ancien forçat Brevet portait la veste noire et grise des maisons centrales. Brevet était un personnage d’une soixantaine d’années qui avait une espèce de figure d’homme d’affaires et l’air d’un coquin. Cela va quelquefois ensemble. Il était devenu, dans la prison où de nouveaux méfaits l’avaient ramené, quelque chose comme guichetier. C’était un homme dont les chefs disaient : Il cherche à se rendre utile. Les aumôniers portaient bon témoignage de ses habitudes religieuses. Il ne faut pas oublier que ceci se passait sous la restauration.

    Brevet, dit le président, vous avez subi une condamnation infamante et vous ne pouvez prêter serment.

    Brevet baissa les yeux.

    Cependant, reprit le président, même dans l’homme que la loi a dégradé, il peut rester, quand la pitié divine le permet, un sentiment d’honneur et d’équité. C’est à ce sentiment que je fais appel à cette heure décisive. S’il existe encore en vous, et je l’espère, réfléchissez avant de me répondre, considérez d’une part cet homme qu’un mot de vous peut perdre, d’autre part la justice qu’un mot de vous peut éclairer. L’instant est solennel, et il est toujours temps de vous rétracter, si vous croyez vous être trompé. — Accusé, levez-vous. — Brevet, regardez bien l’accusé, recueillez vos souvenirs, et dites-nous, en votre âme et conscience, si vous persistez à reconnaître cet homme pour votre ancien camarade de bagne Jean Valjean.

    Brevet regarda l’accusé, puis se retourna vers la cour.

    Oui, monsieur le président. C’est moi qui l’ai reconnu le premier et je persiste. Cet homme est Jean Valjean, entré à Toulon en 1796 et sorti en 1815. Je suis sorti l’an d’après. Il a l’air d’une brute maintenant, alors ce serait que l’âge l’a abruti ; au bagne il était sournois. Je le reconnais positivement.

    Allez vous asseoir, dit le président. Accusé, restez debout.

    On introduisit Chenildieu, forçat à vie, comme l’indiquaient sa casaque rouge et son bonnet vert. Il subissait sa peine à Toulon, d’où on l’avait extrait pour cette affaire. C’était un petit homme d’environ cinquante ans, vif, ridé, chétif, jaune, effronté, fiévreux, qui avait dans tous ses membres et dans toute sa personne une sorte de faiblesse maladive et dans le regard une force immense. Ses compagnons du bagne l’avaient surnommé Je-nie-Dieu.

    Le président lui adressa à peu près les mêmes paroles qu’à Brevet. Au moment où il lui rappela que son infamie lui ôtait le droit de prêter serment, Chenildieu leva la tête et regarda la foule en face. Le président l’invita à se recueillir et lui demanda, comme à Brevet, s’il persistait à reconnaître l’accusé.

    Chenildieu éclata de rire.

    Pardine ! si je le reconnais ! nous avons été cinq ans attachés à la même chaîne. Tu boudes donc, mon vieux ?

    Allez vous asseoir, dit le président.

    L’huissier amena Cochepaille. Cet autre condamné à perpétuité, venu du bagne et vêtu de rouge comme Chenildieu, était un paysan de Lourdes et un demi-ours des Pyrénées. Il avait gardé des troupeaux dans la montagne et de pâtre il avait glissé brigand. Cochepaille n’était pas moins sauvage et paraissait plus stupide encore que l’accusé. C’était un de ces malheureux hommes que la nature a ébauchés en bêtes fauves et que la société termine en galériens.

    Le président essaya de le remuer par quelques paroles pathétiques et graves et lui demanda, comme aux deux autres, s’il persistait, sans hésitation et sans trouble, à reconnaître l’homme debout devant lui.

    C’est Jean Valjean, dit Cochepaille. Même qu’on l’appelait Jean-le-Cric, tant il était fort.

    Chacune des affirmations de ces trois hommes, évidemment sincères et de bonne foi, avait soulevé dans l’auditoire un murmure de fâcheux augure pour l’accusé, murmure qui croissait et se prolongeait plus longtemps chaque fois qu’une déclaration nouvelle venait s’ajouter à la précédente. L’accusé, lui, les avait écoutées avec ce visage étonné qui, selon l’accusation, était son principal moyen de défense. À la première, les gendarmes ses voisins l’avaient entendu grommeler entre ses dents : Ah bien ! en voilà un ! Après la seconde il dit un peu plus haut, d’un air presque satisfait : Bon ! À la troisième il s’écria : Fameux !

    Le président l’interpella :

    Accusé, vous avez entendu. Qu’avez-vous à dire ?

    Il répondit : — Je dis — Fameux !

    Une rumeur éclata dans le public et gagna presque le jury. Il était évident que l’homme était perdu.

    Huissiers, dit le président, faites faire silence. Je vais clore les débats.

    En ce moment un mouvement se fit tout à côté du président. On entendit une voix qui criait :

    Brevet, Chenildieu, Cochepaille ! regardez de ce côté-ci. Tous ceux qui entendirent cette voix se sentirent glacés, tant elle était lamentable et terrible. Les yeux se tournèrent vers le point d’où elle venait. Un homme, placé parmi les spectateurs privilégiés qui étaient assis derrière la cour, venait de se lever, avait poussé la porte à hauteur d’appui qui séparait le tribunal du prétoire, et était debout au milieu de la salle. Le président, l’avocat général, M. Bamatabois, vingt personnes, le reconnurent, et s’écrièrent à la fois :

    Monsieur Madeleine !


     

    XI

    CHAMPMATHIEU DE PLUS EN PLUS ÉTONNÉ


     

    C’était lui en effet. La lampe du greffier éclairait son visage. Il tenait son chapeau à la main, il n’y avait aucun désordre dans ses vêtements, sa redingote était boutonnée avec soin. Il était très pâle et il tremblait légèrement. Ses cheveux, gris encore au moment de son arrivée à Arras, étaient maintenant tout à fait blancs. Ils avaient blanchi depuis une heure qu’il était là.

    Toutes les têtes se dressèrent. La sensation fut indescriptible. Il y eut dans l’auditoire un instant d’hésitation, La voix avait été si poignante, l’homme qui était là paraissait si calme, qu’au premier abord on ne comprit pas. On se demanda qui avait crié. On ne pouvait croire que ce fût cet homme tranquille qui eût jeté ce cri effrayant.

    Cette indécision ne dura que quelques secondes. Avant même que le président et l’avocat général eussent pu dire un mot, avant que les gendarmes et les huissiers eussent pu faire un geste, l’homme que tous appelaient encore en ce moment M. Madeleine s’était avancé vers les témoins Cochepaille, Brevet et Chenildieu.

    Vous ne me reconnaissez pas ? dit-il.

    Tous trois demeurèrent interdits et indiquèrent par un signe de tête qu’ils ne le connaissaient point. Cochepaille intimidé fit le salut militaire. M. Madeleine se tourna vers les jurés et vers la cour et dit d’une voix douce :

    Messieurs les jurés, faites relâcher l’accusé. Monsieur le président, faites-moi arrêter. L’homme que vous cherchez, ce n’est pas lui, c’est moi. Je suis Jean Valjean.

    Pas une bouche ne respirait. À la première commotion de l’étonnement avait succédé un silence de sépulcre. On sentait dans la salle cette espèce de terreur religieuse qui saisit la foule lorsque quelque chose de grand s’accomplit.

    Cependant le visage du président s’était empreint de sympathie et de tristesse ; il avait échangé un signe rapide avec l’avocat général et quelques paroles à voix basse avec les conseillers assesseurs. Il s’adressa au public, et demanda avec un accent qui fut compris de tous :

    Y a-t-il un médecin ici ?

    L’avocat général prit la parole :

    Messieurs les jurés, l’incident si étrange et si inattendu qui trouble l’audience ne nous inspire, ainsi qu’à vous, qu’un sentiment que nous n’avons pas besoin d’exprimer. Vous connaissez tous, au moins de réputation, l’honorable M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, S’il y a un médecin dans l’auditoire, nous nous joignons à monsieur le président pour le prier de vouloir bien assister monsieur Madeleine et le reconduire à sa demeure.

    M. Madeleine ne laissa point achever l’avocat général. Il l’interrompit d’un accent plein de mansuétude et d’autorité. Voici les paroles qu’il prononça ; les voici littéralement, telles qu’elles furent écrites immédiatement après l’audience par un des témoins de cette scène, telles qu’elles sont encore dans l’oreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourd’hui.

    Je vous remercie, monsieur l’avocat général, mais je ne suis pas fou. Vous allez voir. Vous étiez sur le point de commettre une grande erreur, lâchez cet homme, j’accomplis un devoir, je suis ce malheureux condamné. Je suis le seul qui voie clair ici, et je vous dis la vérité. Ce que je fais en ce moment, Dieu, qui est là-haut, le regarde, et cela suffit. Vous pouvez me prendre, puisque me voilà. J’avais pourtant fait de mon mieux. Je me suis caché sous un nom ; je suis devenu riche, je suis devenu maire ; j’ai voulu rentrer parmi les honnêtes gens. Il paraît que cela ne se peut pas. Enfin, il y a bien des choses que je ne puis pas dire, je ne vais pas vous raconter ma vie, un jour on saura. J’ai volé monseigneur l’évêque, cela est vrai ; j’ai volé Petit-Gervais, cela est vrai. On a eu raison de vous dire que Jean Valjean était un malheureux très méchant. Toute la faute n’est peut-être pas à lui. Écoutez, messieurs les juges, un homme aussi abaissé que moi n’a pas de remontrance à faire à la providence ni de conseil à donner à la société ; mais, voyez-vous, l’infamie d’où j’avais essayé de sortir est une chose nuisible. Les galères font le galérien. Recueillez cela, si vous voulez. Avant le bagne, j’étais un pauvre paysan très peu intelligent, une espèce d’idiot ; le bagne m’a changé. J’étais stupide, je suis devenu méchant ; j’étais bûche, je suis devenu tison. Plus tard l’indulgence et la bonté m’ont sauvé, comme la sévérité m’avait perdu. Mais, pardon, vous ne pouvez pas comprendre ce que je dis là. Vous trouverez chez moi, dans les cendres de la cheminée, la pièce de quarante sous que j’ai volée il y a sept ans à Petit-Gervais. Je n’ai plus rien à ajouter. Prenez-moi. Mon Dieu ! monsieur l’avocat général remue la tête, vous dites : M. Madeleine est devenu fou, vous ne me croyez pas ! Voilà qui est affligeant. N’allez point condamner cet homme au moins ! Quoi ! ceux-ci ne me reconnaissent pas ! Je voudrais que Javert fût ici. Il me reconnaîtrait, lui !

    Rien ne pourrait rendre ce qu’il y avait de mélancolie bienveillante et sombre dans l’accent qui accompagnait ces paroles.

    Il se tourna vers les trois forçats :

    Eh bien, je vous reconnais, moi ! Brevet ! vous rappelez-vous ?…

    Il s’interrompit, hésita un moment, et dit :

    Te rappelles-tu ces bretelles en tricot à damier que tu avais au bagne ?

    Brevet eut comme une secousse de surprise et le regarda de la tête aux pieds d’un air effrayé. Lui continua.

    Chenildieu, qui te surnommais toi-même Je-nie-Dieu, tu as toute l’épaule droite brûlée profondément, parce que tu t’es couché un jour l’épaule sur un réchaud plein de braise, pour effacer les trois lettres T. F. P., qu’on y voit toujours cependant. Réponds, est-ce vrai ?

    C’est vrai, dit Chenildieu.

    Il s’adressa à Cochepaille :

    Cochepaille, tu as près de la saignée du bras gauche une date gravée en lettres bleues avec de la poudre brûlée. Cette date, c’est celle du débarquement de l’empereur à Cannes, 1er mars 1815. Relève ta manche.

    Cochepaille releva sa manche, tous les regards se penchèrent autour de lui sur son bras nu. Un gendarme approcha une lampe ; la date y était.

    Le malheureux homme se tourna vers l’auditoire et vers les juges avec un sourire dont ceux qui l’ont vu sont encore navrés lorsqu’ils y songent. C’était le sourire du triomphe, c’était aussi le sourire du désespoir.

    Vous voyez bien, dit-il, que je suis Jean Valjean.

    Il n’y avait plus dans cette enceinte ni juges, ni accusateurs, ni gendarmes ; il n’y avait que des yeux fixes et des cœurs émus. Personne ne se rappelait plus le rôle que chacun pouvait avoir à jouer; l’avocat général oubliait qu’il était là pour requérir, le président qu’il était là pour présider, le défenseur qu’il était là pour défendre. Chose frappante, aucune question ne fut faite, aucune autorité n’intervint. Le propre des spectacles sublimes, c’est de prendre toutes les âmes et de faire de tous les témoins des spectateurs. Aucun peut-être ne se rendait compte de ce qu’il éprouvait ; aucun, sans doute, ne se disait qu’il voyait resplendir là une grande lumière ; tous intérieurement se sentaient éblouis.

    Il était évident qu’on avait sous les yeux Jean Valjean. Cela rayonnait. L’apparition de cet homme avait suffi pour remplir de clarté cette aventure si obscure le moment d’auparavant. Sans qu’il fût besoin d’aucune explication désormais, toute cette foule, comme par une sorte de révélation électrique, comprit tout de suite et d’un seul coup d’œil cette simple et magnifique histoire d’un homme qui se livrait pour qu’un autre homme ne fût pas condamné à sa place. Les détails, les hésitations, les petites résistances possibles se perdirent dans ce vaste fait lumineux.

    Impression qui passa vite, mais qui dans l’instant fut irrésistible.

    Je ne veux pas déranger davantage l’audience, reprit Jean Valjean. Je m’en vais, puisqu’on ne m’arrête pas. J’ai plusieurs choses à faire. Monsieur l’avocat général sait qui je suis, il sait où je vais, il me fera arrêter quand il voudra.

    Il se dirigea vers la porte de sortie. Pas une voix ne s’éleva, pas un bras ne s’étendit pour l’empêcher. Tous s’écartèrent. Il avait en ce moment ce je ne sais quoi de divin qui fait que les multitudes reculent et se rangent devant un homme, Il traversa la foule à pas lents. On n’a jamais su qui ouvrit la porte, mais il est certain que la porte se trouva ouverte lorsqu’il y parvint. Arrivé là, il se retourna et dit :

    Monsieur l’avocat général, je reste à votre disposition.

    Puis il s’adressa à l’auditoire :

    Vous tous, tous ceux qui sont ici, vous me trouvez digne de pitié, n’est-ce pas ? Mon Dieu ! quand je pense à ce que j’ai été sur le point de faire, je me trouve digne d’envie. Cependant j’aurais mieux aimé que tout ceci n’arrivât pas.

    Il sortit, et la porte se referma comme elle avait été ouverte, car ceux qui font de certaines choses souveraines sont toujours sûrs d’être servis par quelqu’un dans la foule.

    Moins d’une heure après, le verdict du jury déchargeait de toute accusation le nommé Champmathieu ; et Champmathieu, mis en liberté immédiatement, s’en allait stupéfait, croyant tous les hommes fous et ne comprenant rien à cette vision.


     

    I

    DANS QUEL MIROIR M. MADELEINE REGARDE SES CHEVEUX


     

    Le jour commençait à poindre, Fantine avait eu une nuit de fièvre et d’insomnie, pleine d’ailleurs d’images heureuses ; au matin, elle s’endormit. La sœur Simplice, qui l’avait veillée, profita de ce sommeil pour aller préparer une nouvelle potion de quinquina. La digne sœur était depuis quelques instants dans le laboratoire de l’infirmerie, penchée sur ses drogues et sur ses fioles et regardant de très près à cause de cette brume que le crépuscule répand sur les objets. Tout à coup elle tourna la tête et fit un léger cri. M. Madeleine était devant elle. Il venait d’entrer silencieusement.

    C’est vous, monsieur le maire ! s’écria-t-elle. Il répondit, à voix basse :

    Comment va cette pauvre femme ?

    Pas mal en ce moment. Mais nous avons été bien inquiets, allez !

    Elle lui expliqua ce qui s’était passé, que Fantine était bien mal la veille et que maintenant elle était mieux, parce qu’elle croyait que monsieur le maire était allé chercher son enfant à Montfermeil. La sœur n’osa pas interroger monsieur le maire, mais elle vit bien à son air que ce n’était point de là qu’il venait.

    Tout cela est bien, dit-il, vous avez eu raison de ne pas la détromper.

    Oui, reprit la sœur, mais maintenant, monsieur le maire, qu’elle va vous voir et qu’elle ne verra pas son enfant, que lui dirons-nous ?

    Il resta un moment rêveur.

    Dieu nous inspirera, dit-il.

    On ne pourrait cependant pas mentir, murmura la sœur à demi-voix.

    Le plein jour s’était fait dans la chambre. Il éclairait en face le visage de M. Madeleine. Le hasard fit que la sœur leva les yeux.

    Mon Dieu, monsieur ! s’écria-t-elle, que vous est-il arrivé ? vos cheveux sont tout blancs !

    Blancs ! dit-il.

    La sœur Simplice n’avait point de miroir ; elle fouilla dans une trousse et en tira une petite glace dont se servait le médecin de l’infirmerie pour constater qu’un malade était mort et ne respirait plus. M. Madeleine prit la glace, y considéra ses cheveux, et dit : Tiens !

    Il prononça ce mot avec indifférence et comme s’il pensait à autre chose.

    La sœur se sentit glacée par je ne sais quoi d’inconnu qu’elle entrevoyait dans tout ceci.

    Il demanda :

    Puis-je la voir ?

    Est-ce que monsieur le maire ne lui fera pas revenir son enfant ? dit la sœur, osant à peine hasarder une question.

    Sans doute, mais il faut au moins deux ou trois jours.

    Si elle ne voyait pas monsieur le maire d’ici là, reprit timidement la sœur, elle ne saurait pas que monsieur le maire est de retour, il serait aisé de lui faire prendre patience, et quand l’enfant arriverait elle penserait tout naturellement que monsieur le maire est arrivé avec l’enfant. On n’aurait pas de mensonge à faire.

    M. Madeleine parut réfléchir quelques instants, puis il dit avec sa gravité calme :

    Non, ma sœur, il faut que je la voie. Je suis peut-être pressé.

    La religieuse ne sembla pas remarquer ce mot « peut-être », qui donnait un sens obscur et singulier aux paroles de M. le maire. Elle répondit en baissant les yeux et la voix respectueusement :

    En ce cas, elle repose, mais monsieur le maire peut entrer.

    Il fit quelques observations sur une porte qui fermait mal, et dont le bruit pouvait réveiller la malade, puis il entra dans la chambre de Fantine, s’approcha du lit et entr’ouvrit les rideaux. Elle dormait. Son souffle sortait de sa poitrine avec ce bruit tragique qui est propre à ces maladies, et qui navre les pauvres mères lorsqu’elles veillent la nuit près de leur enfant condamné et endormi. Mais cette respiration pénible troublait à peine une sorte de sérénité ineffable, répandue sur son visage, qui la transfigurait dans son sommeil. Sa pâleur était devenue de la blancheur ; ses joues étaient vermeilles. Ses longs cils blonds, la seule beauté qui lui fût restée de sa virginité et de sa jeunesse, palpitaient tout en demeurant clos et baissés. Toute sa personne tremblait, de je ne sais quel déploiement d’ailes prêtes à s’entr’ouvrir et à l’emporter, qu’on sentait frémir, mais qu’on ne voyait pas. À la voir ainsi, on n’eût jamais pu croire que c’était là une malade presque désespérée. Elle ressemblait plutôt à ce qui va s’envoler qu’à ce qui va mourir.

    La branche, lorsqu’une main s’approche pour détacher la fleur, frissonne, et semble à la fois se dérober et s’offrir. Le corps humain a quelque chose de ce tressaillement, quand arrive l’instant où les doigts mystérieux de la mort vont cueillir l’âme.

    M. Madeleine resta quelque temps immobile près de ce lit, regardant tour à tour la malade et le crucifix, comme il faisait deux mois auparavant, le jour où il était venu pour la première fois la voir dans cet asile. Ils étaient encore là tous les deux dans la même attitude ; elle dormant, lui priant ; seulement maintenant, depuis ces deux mois écoulés, elle avait des cheveux gris et lui des cheveux blancs.

    La sœur n’était pas entrée avec lui. Il se tenait près de ce lit, debout. le doigt sur la bouche, comme s’il y eût eu dans la chambre quelqu’un à faire taire.

    Elle ouvrit les yeux, le vit, et dit paisiblement, avec un sourire :

    Et Cosette ?


     

    II

    FANTINE HEUREUSE


     

    Elle n’eut pas un mouvement de surprise, ni un mouvement de joie ; elle était la joie même. Cette simple question : — Et Cosette ? fut faite avec une foi si profonde, avec tant de certitude, avec une absence si complète d’inquiétude et de doute, qu’il ne trouva pas une parole. Elle continua :

    Je savais que vous étiez là. Je dormais, mais je vous voyais. Il y a longtemps que je vous vois. Je vous ai suivi des yeux toute la nuit. Vous étiez dans une gloire et vous aviez autour de vous toutes sortes de figures célestes.

    Il leva son regard vers le crucifix.

    Mais, reprit-elle, dites-moi donc où est Cosette ? Pourquoi ne l’avoir pas mise sur mon lit pour le moment où je m’éveillerais ?

    Il répondit machinalement quelque chose qu’il n’a jamais pu se rappeler plus tard.

    Heureusement le médecin, averti, était survenu. Il vint en aide à M. Madeleine.

    Mon enfant, dit le médecin, calmez-vous. Votre enfant est là.

    Les yeux de Fantine s’illuminèrent et couvrirent de clarté tout son visage. Elle joignit les mains avec une expression qui contenait tout ce que la prière peut avoir à la fois de plus violent et de plus doux :

    Oh ! s’écria-t-elle, apportez-la-moi !

    Touchante illusion de mère ! Cosette était toujours pour elle le petit enfant qu’on apporte.

    Pas encore, reprit le médecin, pas en ce moment. Vous avez un reste de fièvre. La vue de votre enfant vous agiterait et vous ferait du mal. Il faut d’abord vous guérir.

    Elle l’interrompit impétueusement.

    Mais je suis guérie ! je vous dis que je suis guérie ! Est-il âne, ce médecin ! Ah çà ! je veux voir mon enfant, moi !

    Vous voyez, dit le médecin, comme vous vous emportez. Tant que vous serez ainsi, je m’opposerai à ce que vous ayez votre enfant. Il ne suffit pas de la voir, il faut vivre pour elle. Quand vous serez raisonnable, je vous l’amènerai moi-même.

    La pauvre mère courba la tête.

    Monsieur le médecin, je vous demande pardon, je vous demande vraiment bien pardon. Autrefois je n’aurais pas parlé comme je viens de faire, il m’est arrivé tant de malheurs que quelquefois je ne sais plus ce que je dis. Je comprends, vous craignez l’émotion, j’attendrai tant que vous voudrez, mais je vous jure que cela ne m’aurait pas fait de mal de voir ma fille. Je la vois, je ne la quitte pas des yeux depuis hier au soir. Savez-vous ? on me l’apporterait maintenant que je me mettrais à lui parler doucement. Voilà tout. Est-ce que ce n’est pas bien naturel que j’aie envie de voir mon enfant qu’on a été me chercher exprès à Montfermeil ? Je ne suis pas en colère. Je sais bien que je vais être heureuse. Toute la nuit j’ai vu des choses blanches et des personnes qui me souriaient. Quand monsieur le médecin voudra, il m’apportera ma Cosette. Je n’ai plus de fièvre, puisque je suis guérie ; je sens bien que je n’ai plus rien du tout ; mais je vais faire comme si j’étais malade et ne pas bouger pour faire plaisir aux dames d’ici. Quand on verra que je suis bien tranquille, on dira : il faut lui donner son enfant.

    M. Madeleine s’était assis sur une chaise qui était à côté du lit. Elle se tourna vers lui ; elle faisait visiblement effort pour paraître calme et « bien sage », comme elle disait dans cet affaiblissement de la maladie qui ressemble à l’enfance, afin que, la voyant si paisible, on ne fît pas difficulté de lui amener Cosette. Cependant, tout en se contenant, elle ne pouvait s’empêcher d’adresser à M. Madeleine mille questions.

    Avez-vous fait un bon voyage, monsieur le maire ? Oh ! comme vous êtes bon d’avoir été me la chercher ! Dites-moi seulement comment elle est. A-t-elle bien supporté la route ? Hélas! elle ne me reconnaîtra pas ! Depuis le temps, elle m’a oubliée, pauvre chou ! Les enfants, cela n’a pas de mémoire. C’est comme des oiseaux. Aujourd’hui cela voit une chose et demain une autre, et cela ne pense plus à rien. Avait-elle du linge blanc seulement ? Ces Thénardier la tenaient-ils proprement ? Comment la nourrissait-on ? Oh ! comme j’ai souffert, si vous saviez ! de me faire toutes ces questions-là dans le temps de ma misère ! Maintenant, c’est passé. Je suis joyeuse. Oh ! que je voudrais donc la voir ! Monsieur le maire, l’avez-vous trouvée jolie ? N’est-ce pas qu’elle est belle, ma fille ? Vous devez avoir eu bien froid dans cette diligence ! Est-ce qu’on ne pourrait pas l’amener rien qu’un petit moment ? On la remporterait tout de suite après. Dites ! vous qui êtes le maître, si vous vouliez !

    Il lui prit la main : — Cosette est belle, dit-il, Cosette se porte bien, vous la verrez bientôt, mais apaisez-vous. Vous parlez trop vivement, et puis, vous sortez vos bras du lit, et cela vous fait tousser.

    En effet, des quintes de toux interrompaient Fantine, presque à chaque mot.

    Fantine ne murmura pas, elle craignit d’avoir compromis par quelques plaintes trop passionnées la confiance qu’elle voulait inspirer, et elle se mit à dire des paroles indifférentes.

    C’est assez joli, Monfermeil, n’est-ce pas ? L’été, on y va faire des parties de plaisir. Ces Thénardier font-ils de bonnes affaires ? Il ne passe pas grand monde dans leur pays. C’est une espèce de gargote que cette auberge-là.

    M. Madeleine lui tenait toujours la main, il la considérait avec anxiété ; il était évident qu’il était venu pour lui dire des choses devant lesquelles sa pensée hésitait maintenant. Le médecin, sa visite faite, s’était retiré. La sœur Simplice était restée auprès d’eux.

    Cependant, au milieu de ce silence, Fantine s’écria :

    Je l’entends ! mon Dieu ! je l’entends !

    Elle étendit le bras pour qu’on se tût autour d’elle, retint son souffle, et se mit à écouter avec ravissement.

    Il y avait un enfant qui jouait dans la cour ; l’enfant de la portière ou d’une ouvrière quelconque. C’est là un de ces hasards qu’on retrouve toujours et qui semblent faire partie de la mystérieuse mise en scène des événements lugubres. L’enfant — c’était une petite fille — allait, venait, courait pour se réchauffer, riait et chantait à haute voix. Hélas ! à quoi les jeux des enfants ne se mêlent-ils pas ! C’était cette petite fille que Fantine entendait chanter.

    Oh ! reprit-elle, c’est ma Cosette ! je reconnais sa voix !

    L’enfant s’éloigna comme il était venu, la voix s’éteignit, Fantine écouta encore quelque temps, puis son visage s’assombrit, et M. Madeleine l’entendit qui disait à voix basse : — Comme ce médecin est méchant de ne pas me laisser voir ma fille ! Il a une mauvaise figure, cet homme-là !

    Cependant le fond riant de ses idées revint. Elle continua de se parler à elle-même, la tête sur l’oreiller : — Comme nous allons être heureuses ! Nous aurons un petit jardin, d’abord! monsieur Madeleine me l’a promis. Ma fille jouera dans le jardin. Elle doit savoir ses lettres maintenant. Je la ferai épeler. Elle courra dans l’herbe après les papillons. Je la regarderai. Et puis elle fera sa première communion. Ah çà ! quand fera-t-elle sa première communion ?

    Elle se mit à compter sur ces doigts.

    ... Un, deux, trois, quatre... elle a sept ans. Dans cinq ans. Elle aura un voile blanc, des bas à jour, elle aura l’air d’une petite femme. Ô ma bonne sœur, vous ne savez pas comme je suis bête, voilà que je pense à la première communion de ma fille !

    Et elle se mit à rire.

    Il avait quitté la main de Fantine. Il écoutait ces paroles comme on écoute un vent qui souffle, les yeux à terre, l’esprit plongé dans des réflexions sans fond. Tout à coup elle cessa de parler, cela lui fit lever machinalement la tête, Fantine était devenue effrayante.

    Elle ne parlait plus, elle ne respirait plus ; elle s’était soulevée à demi sur son séant ; son épaule maigre sortait de sa chemise ; son visage, radieux le moment d’auparavant, était blême, et elle paraissait fixer sur quelque chose de formidable, devant elle, à l’autre extrémité de la chambre, son œil agrandi par la terreur.

    Mon Dieu ! s’écria-t-il. Qu’avez-vous, Fantine ?

    Elle ne répondit pas, elle ne quitta point des yeux l’objet quelconque qu’elle semblait voir, elle lui toucha le bras d’une main et de l’autre lui fit signe de regarder derrière lui.

    Il se retourna, et vit Javert.


     

    III

    JAVERT CONTENT


     

    Voici ce qui s’était passé.

    Minuit et demi venait de sonner, quand M. Madeleine était sorti de la salle des assises d’Arras. Il était rentré à son auberge juste à temps pour repartir par la malle-poste où l’on se rappelle qu’il avait retenu sa place. Un peu avant six heures du matin, il était arrivé à Montreuil-sur-Mer, et son premier soin avait été de jeter à la poste sa lettre à M. Laffitte, puis d’entrer à l’infirmerie et de voir Fantine.

    Cependant, à peine avait-il quitté la salle d’audience de la cour d’assises, que l’avocat général, revenu du premier saisissement, avait pris la parole pour déplorer l’acte de folie de l’honorable maire de Montreuil-sur-Mer, déclarer que ses convictions n’étaient en rien modifiées par cet incident bizarre qui s’éclaircirait plus tard, et requérir, en attendant, la condamnation de ce Champmathieu, évidemment le vrai Jean Valjean. La persistance de l’avocat général était visiblement en contradiction avec le sentiment de tous, du public, de la cour et du jury. Le défenseur avait eu peu de peine à réfuter cette harangue et à établir que, par suite des révélations de M. Madeleine, c’est-à-dire du vrai Jean Valjean, la face de l’affaire était bouleversée de fond en comble, et que le jury n’avait plus devant les yeux qu’un innocent. L’avocat avait tiré de là quelques épiphonèmes, malheureusement peu neufs, sur les erreurs judiciaires, etc., etc. ; le président dans son résumé s’était joint au défenseur, et le jury en quelques minutes avait mis hors de cause Champmathieu.

    Cependant il fallait un Jean Valjean à l’avocat général, et, n’ayant plus Champmathieu, il prit Madeleine.

    Immédiatement après la mise en liberté de Champmathieu, l’avocat général s’enferma avec le président. Ils conférèrent « de la nécessité de se saisir de la personne de M. le maire de Montreuil-sur-Mer ». Cette phrase, où il y a beaucoup de de, est de M. l’avocat général. La première émotion passée, le président fit peu d’objections. Il fallait bien que justice eût son cours. Et puis, pour tout dire, quoique le président fût homme bon et assez intelligent, il était en même temps fort royaliste et presque ardent, et il avait été choqué que le maire de Montreuil-sur-Mer, en parlant du débarquement à Cannes, eût dit l’empereur et non Buonaparte.

    L’ordre d’arrestation fut donc expédié. L’avocat général l’envoya à Montreuil-sur-Mer par un exprès, à franc étrier, et en chargea l’inspecteur de police Javert.

    On sait que Javert était revenu à Montreuil-sur-Mer immédiatement après avoir fait sa déposition.

    Javert se levait au moment où l’exprès lui remit l’ordre d’arrestation et le mandat d’amener.

    L’exprès était lui-même un homme de police fort entendu qui, en deux mots, mit Javert au fait de ce qui était arrivé à Arras. L’ordre d’arrestation, signé de l’avocat général, était ainsi conçu : — L’inspecteur Javert appréhendera au corps le sieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, qui, dans l’audience de ce jour, a été reconnu pour être le forçat libéré Jean Valjean.

    Quelqu’un qui n’eût pas connu Javert et qui l’eût vu au moment où il pénétra dans l’antichambre de l’infirmerie n’eût pu rien deviner de ce qui se passait, et lui eût trouvé l’air le plus ordinaire du monde. Il était froid, calme, grave, avait ses cheveux gris parfaitement lissés sur les tempes et venait de monter l’escalier avec sa lenteur habituelle. Quelqu’un qui l’eût connu à fond et qui l’eût examiné attentivement eût frémi. La boucle de son col de cuir, au lieu d’être sur sa nuque, était sur son oreille gauche. Ceci révélait une agitation inouïe.

    Javert était un caractère complet, ne faisant faire de pli ni à son devoir, ni à son uniforme ; méthodique avec les scélérats, rigide avec les boutons de son habit.

    Pour qu’il eût mal mis la boucle de son col, il fallait qu’il y eût en lui une de ces émotions qu’on pourrait appeler des tremblements de terre intérieurs.

    Il était venu simplement, avait requis un caporal et quatre soldats au poste voisin, avait laissé les soldats dans la cour, et s’était fait indiquer la chambre de Fantine par la portière sans défiance, accoutumée qu’elle était à voir des gens armés demander monsieur le maire.

    Arrivé à la chambre de Fantine, Javert tourna la clef, poussa la porte avec une douceur de garde-malade ou de mouchard, et entra.

    À proprement parler, il n’entra pas. Il se tint debout dans la porte entre-bâillée, le chapeau sur la tête, la main gauche dans sa redingote fermée jusqu’au menton. Dans le pli du coude on pouvait voir le pommeau de plomb de son énorme canne, laquelle disparaissait derrière lui.

    Il resta ainsi près d’une minute sans qu’on s’aperçût de sa présence. Tout à coup Fantine leva les yeux, le vit, et fit retourner M. Madeleine.

    À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie.

    Ce fut le visage d’un démon qui vient de retrouver son damné.

    La certitude de tenir enfin Jean Valjean fît apparaître sur sa physionomie tout ce qu’il avait dans l’âme. Le fond remué monta à la surface. L’humiliation d’avoir un peu perdu la piste et de s’être mépris quelques minutes sur ce Champmathieu, s’effaçait sous l’orgueil d’avoir si bien deviné d’abord et d’avoir eu si longtemps un instinct juste. Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite.

    Javert en ce moment était au ciel. Sans qu’il s’en rendît nettement compte, mais pourtant avec une intuition confuse de sa nécessité et de son succès, il personnifiait, lui Javert, la justice, la lumière et la vérité dans leur fonction céleste d’écrasement du mal. Il avait derrière lui et autour de lui, à une profondeur infinie, l’autorité, la raison, la chose jugée, la conscience légale, la vindicte publique, toutes les étoiles ; il protégeait l’ordre, il faisait sortir de la loi la foudre, il vengeait la société, il prêtait main-forte à l’absolu ; il se dressait dans une gloire ; il y avait dans sa victoire un reste de défi et de combat ; debout, altier, éclatant, il étalait en plein azur la bestialité surhumaine d’un archange féroce ; l’ombre redoutable de l’action qu’il accomplissait faisait visible à son poing crispé le vague flamboiement de l’épée sociale ; heureux et indigné, il tenait sous son talon le crime, le vice, la rébellion, la perdition, l’enfer, il rayonnait, il exterminait, il souriait, et il y avait une incontestable grandeur dans ce saint Michel monstrueux.

    Javert, effroyable, n’avait rien d’ignoble. La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, l’idée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans l’horreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, l’erreur. L’impitoyable joie honnête d’un fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable. Sans qu’il s’en doutât, Javert, dans son bonheur formidable, était à plaindre comme tout ignorant qui triomphe. Rien n’était poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce qu’on pourrait appeler tout le mauvais du bon.


     

    IV

    L’AUTORITÉ REPREND SES DROITS


     

    La Fantine n’avait point vu Javert depuis le jour où M. le maire l’avait arrachée à cet homme. Son cerveau malade ne se rendit compte de rien, seulement elle ne douta pas qu’il ne revînt la chercher. Elle ne put supporter cette figure affreuse, elle se sentit expirer, elle cacha son visage de ses deux mains et cria avec angoisse :

    Monsieur Madeleine, sauvez-moi !

    Jean Valjean — nous ne le nommerons plus désormais autrement — s’était levé. Il dit à Fantine de sa voix la plus douce et la plus calme :

    Soyez tranquille, Ce n’est pas pour vous qu’il vient.

    Puis il s’adressa à Javert et lui dit :

    Je sais ce que vous voulez.

    Javert répondit :

    Allons, vite !

    Il y eut dans l’inflexion qui accompagna ces deux mots je ne sais quoi de fauve et de frénétique. Javert ne dit pas : Allons, vite ! il dit : Allonouaite ! Aucune orthographe ne pourrait rendre l’accent dont cela fut prononcé ; ce n’était plus une parole humaine, c’était un rugissement.

    Il ne fit point comme d’habitude; il n’entra point en matière ; il n’exhiba point de mandat d’amener. Pour lui, Jean Valjean était une sorte de combattant mystérieux et insaisissable, un lutteur ténébreux qu’il étreignait depuis cinq ans sans pouvoir le renverser. Cette arrestation n’était pas un commencement, mais une fin. Il se borna à dire : Allons, vite !

    En parlant ainsi, il ne fit point un pas ; il lança sur Jean Valjean ce regard qu’il jetait comme un crampon, et avec lequel il avait coutume de tirer violemment les misérables a lui.

    C’était ce regard que la Fantine avait senti pénétrer jusque dans la moelle de ses os, deux mois auparavant.

    Au cri de Javert, Fantine avait rouvert les yeux. Mais M. le maire était là. Que pouvait-elle craindre ?

    Javert avança au milieu de la chambre et cria :

    Ah çà ! viendras-tu ?

    La malheureuse regarda autour d’elle. Il n’y avait personne que la religieuse et monsieur le maire. À qui pouvait s’adresser ce tutoiement abject ? À elle seulement. Elle frissonna.

    Alors elle vit une chose inouïe, tellement inouïe que jamais rien de pareil ne lui était apparu dans les plus noirs délires de la fièvre.

    Elle vit le mouchard Javert saisir au collet monsieur le maire ; elle vit monsieur le maire courber la tête. Il lui sembla que le monde s’évanouissait.

    Javert, en effet, avait pris Jean Valjean au collet.

    Monsieur le maire ! cria Fantine.

    Javert éclata de rire, de cet affreux rire qui lui déchaussait toutes les dents.

    Il n’y a plus de monsieur le maire ici !

    Jean Valjean n’essaya pas de déranger la main qui tenait le col de sa redingote. Il dit :

    Javert...

    Javert l’interrompit : — Appelle-moi monsieur l’inspecteur.

    Monsieur, reprit Jean Valjean, je voudrais vous dire un mot en particulier.

    Tout haut ! parle tout haut ! répondit Javert ; on me parle tout haut à moi !

    Jean Valjean continua en baissant la voix :

    C’est une prière que j’ai à vous faire...

    Je te dis de parler tout haut.

    Mais cela ne doit être entendu que de vous seul...

    Qu’est-ce que cela me fait ? je n’écoute pas !

    Jean Valjean se tourna vers lui et lui dit rapidement et très bas :

    Accordez-moi trois jours ! trois jours pour aller chercher l’enfant de cette malheureuse femme. Je payerai ce qu’il faudra. Vous m’accompagnerez si vous voulez.

    Tu veux rire ! cria Javert. Ah çà ! je ne te croyais pas bête ! Tu me demandes trois jours pour t’en aller ! Tu dis que c’est pour aller chercher l’enfant de cette fille ! Ah ! ah ! c’est bon ! voilà qui est bon !

    Fantine eut un tremblement.

    Mon enfant ! s’écria-t-elle, aller chercher mon enfant ! Elle n’est donc pas ici ! Ma sœur, répondez-moi ; où est Cosette ? Je veux mon enfant ! Monsieur Madeleine ! monsieur le maire !

    Javert frappa du pied.

    Voilà l’autre, à présent ! Te tairas-tu, drôlesse ! Gredin de pays où les galériens sont magistrats et où les filles publiques sont soignées comme des comtesses ! Ah mais ! tout ça va changer ; il était temps !

    Il regarda fixement Fantine et ajouta en reprenant à poignée la cravate, la chemise et le collet de Jean Valjean :

    Je te dis qu’il n’y a point de monsieur Madeleine et qu’il n’y a point de monsieur le maire. Il y a un voleur, il y a un brigand, il y a un forçat appelé Jean Valjean ! c’est lui que je tiens ! voilà ce qu’il y a !

    Fantine se dressa en sursaut, appuyée sur ses bras roides et sur ses deux mains, elle regarda Jean Valjean, elle regarda Javert, elle regarda la religieuse, elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour d’elle comme quelqu’un qui se noie, puis elle s’affaissa subitement sur l’oreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.

    Elle était morte.

    Jean Valjean posa sa main sur la main de Javert qui le tenait, et l’ouvrit comme il eût ouvert la main d’un enfant, puis il dit à Javert :

    Vous avez tué cette femme.

    Finirons-nous ! cria Javert furieux. Je ne suis pas ici pour entendre des raisons. Économisons tout ça. La garde est en bas. Marchons tout de suite, ou les poucettes !

    Il y avait dans un coin de la chambre un vieux lit en fer en assez mauvais état qui servait de lit de camp aux sœurs quand elles veillaient, Jean Valjean alla à ce lit, disloqua en un clin d’œil le chevet déjà fort délabré, chose facile à des muscles comme les siens, saisit à poigne-main la maîtresse-tringle, et considéra Javert. Javert recula vers la porte.

    Jean Valjean, sa barre de fer au poing, marcha lentement vers le lit de Fantine. Quand il y fut parvenu, il se retourna, et dit à Javert d’une voix qu’on entendait à peine :

    Je ne vous conseille pas de me déranger en ce moment.

    Ce qui est certain, c’est que Javert tremblait.

    Il eut l’idée d’aller appeler la garde, mais Jean Valjean pouvait profiter de cette minute pour s’évader. Il resta donc, saisit sa canne par le petit bout, et s’adossa au chambranle de la porte sans quitter du regard Jean Valjean.

    Jean Valjean posa son coude sur la pomme du chevet du lit et son front sur sa main, et se mit à contempler Fantine immobile et étendue. Il demeura ainsi, absorbé, muet, et ne songeant évidemment plus à aucune chose de cette vie. Il n’y avait plus rien sur son visage et dans son attitude qu’une inexprimable pitié. Après quelques instants de cette rêverie, il se pencha vers Fantine et lui parla à voix basse.

    Que lui dit-il ? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé, à cette femme qui était morte ? Qu’était-ce que ces paroles ? Personne sur la terre ne les a entendues. La morte les entendit-elle ? Il y a des illusions touchantes qui sont peut-être des réalités sublimes. Ce qui est hors de doute, c’est que la sœur Simplice, unique témoin de la chose qui se passait, a souvent raconté qu’au moment où Jean Valjean parla à l’oreille de Fantine, elle vit distinctement poindre un ineffable sourire sur ces lèvres pâles et dans ces prunelles vagues, pleines de l’étonnement du tombeau.

    Jean Valjean prit dans ses deux mains la tête de Fantine et l’arrangea sur l’oreiller comme une mère eût fait pour son enfant, il lui rattacha le cordon de sa chemise et rentra ses cheveux sous son bonnet. Cela fait, il lui ferma les yeux.

    La face de Fantine en cet instant semblait étrangement éclairée.

    La mort, c’est l’entrée dans la grande lueur. La main de Fantine pendait hors du lit. Jean Valjean s’agenouilla devant cette main, la souleva doucement et la baisa.

    Puis il se redressa, et, se tournant vers Javert :

    Maintenant, dit-il, je suis à vous.


     

    V

    TOMBEAU CONVENABLE


     

    Javert déposa Jean Valjean à la prison de la ville.

    L’arrestation de M. Madeleine produisit à Montreuil-sur-Mer une sensation, ou pour mieux dire une commotion extraordinaire. Nous sommes triste de ne pouvoir dissimuler que sur ce seul mot : c’était un galérien, tout le monde à peu près l’abandonna. En moins de deux heures tout le bien qu’il avait fait fut oublié, et ce ne fut plus qu’un « galérien ». Il est juste de dire qu’on ne connaissait pas encore les détails de l’événement d’Arras. Toute la journée on entendait dans toutes les parties de la ville des conversations comme celle-ci :

    Vous ne savez pas ? c’était un forçat libéré ! — Qui ça ? — Le maire. — Bah ! M. Madeleine ? — Oui. — Vraiment ? — Il ne s’appelait pas Madeleine, il a un affreux nom, Béjean, Bojean, Boujean. — Ah, mon Dieu ! — Il est arrêté. — Arrêté ! — En prison à la prison de la ville, en attendant qu’on le transfère. — Qu’on le transfère ! On va le transférer ! Où va-t-on le transférer ? — Il va passer aux assises pour un vol de grand chemin qu’il a fait autrefois. — Eh bien ! je m’en doutais. Cet homme était trop bon, trop parfait, trop confit. Il refusait la croix, il donnait des sous à tous les petits drôles qu’il rencontrait. J’ai toujours pensé qu’il y avait là-dessous quelque mauvaise histoire.

    Les « salons » surtout abondèrent dans ce sens.

    Une vieille dame, abonnée au Drapeau blanc, fit cette réflexion dont il est presque impossible de sonder la profondeur :

    Je n’en suis pas fâchée. Cela apprendra aux buonapartistes !

    C’est ainsi que ce fantôme qui s’était appelé M. Madeleine se dissipa à Montreuil-sur-Mer. Trois ou quatre personnes seulement dans toute la ville restèrent fidèles à cette mémoire. La vieille portière qui l’avait servi fut du nombre.

    Le soir de ce même jour, cette digne vieille était assise dans sa loge, encore tout effarée et réfléchissant tristement. La fabrique avait été fermée toute la journée, la porte cochère était verrouillée, la rue était déserte. Il n’y avait dans la maison que les deux religieuses, sœur Perpétue et sœur Simplice, qui veillaient près du corps de Fantine.

    Vers l’heure où M. Madeleine avait coutume de rentrer, la brave portière se leva machinalement, prit la clef de la chambre de M. Madeleine dans un tiroir et le bougeoir dont il se servait tous les soirs pour monter chez lui, puis elle accrocha la clef au clou où il la prenait d’habitude, et plaça le bougeoir à côté, comme si elle l’attendait. Ensuite elle se rassit sur sa chaise et se remit à songer. La pauvre bonne vieille avait fait tout cela sans en avoir conscience.

    Ce ne fut qu’au bout de plus de deux heures qu’elle sortit de sa rêverie et s’écria : Tiens ! mon bon Dieu Jésus ! moi qui ai mis sa clef au clou !

    En ce moment la vitre de la loge s’ouvrit, une main passa par l’ouverture, saisit la clef et le bougeoir et alluma la bougie à la chandelle qui brûlait.

    La portière leva les yeux et resta béante, avec un cri dans le gosier qu’elle retint.

    Elle connaissait cette main, ce bras, cette manche de redingote.

    C’était M. Madeleine.

    Elle fut quelques secondes avant de pouvoir parler, saisie, comme elle le disait elle-même plus tard en racontant son aventure.

    Mon Dieu ! monsieur le maire, s’écria-t-elle enfin, je vous croyais…

    Elle s’arrêta, la fin de sa phrase eût manqué de respect au commencement. Jean Valjean était toujours pour elle monsieur le maire.

    Il acheva sa pensée.

    En prison, dit-il. J’y étais. J’ai brisé un barreau d’une fenêtre, je me suis laissé tomber du haut d’un toit, et me voici. Je monte à ma chambre, allez me chercher la sœur Simplice. Elle est sans doute près de cette pauvre femme.

    La vieille obéit en toute hâte.

    Il ne lui fit aucune recommandation ; il était bien sûr qu’elle le garderait mieux qu’il ne se garderait lui-même.

    On n’a jamais su comment il avait réussi à pénétrer dans la cour sans faire ouvrir la porte cochère. Il avait, et portait toujours sur lui, un passe-partout qui ouvrait une petite porte latérale ; mais on avait dû le fouiller et lui prendre son passe-partout. Ce point n’a pas été éclairci.

    Il monta l’escalier qui conduisait à sa chambre. Arrivé en haut, il laissa son bougeoir sur les dernières marches de l’escalier, ouvrit sa porte avec peu de bruit, et alla fermer à tâtons sa fenêtre et son volet, puis il revint prendre sa bougie et rentra dans sa chambre.

    La précaution était utile ; on se souvient que sa fenêtre pouvait être aperçue de la rue.

    Il jeta un coup d’œil autour de lui, sur sa table, sur sa chaise, sur son lit qui n’avait pas été défait depuis trois jours. Il ne restait aucune trace du désordre de l’avant-dernière nuit, La portière avait « fait la chambre ». Seulement elle avait ramassé dans les cendres et posé proprement sur la table les deux bouts du bâton ferré et la pièce de quarante sous noircie par le feu.

    Il prit une feuille de papier sur laquelle il écrivit : Voici les deux bouts de mon bâton ferré et la pièce de quarante sous volée à Petit-Gervais dont j’ai parlé à la cour d’assises, et il posa sur cette feuille la pièce d’argent et les deux morceaux de fer, de façon que ce fût la première chose qu’on aperçût en entrant dans la chambre. Il tira d’une armoire une vieille chemise à lui qu’il déchira. Cela fit quelques morceaux de toile dans lesquels il emballa les deux flambeaux d’argent. Du reste il n’avait ni hâte ni agitation, et, tout en emballant les chandeliers de l’évêque, il mordait dans un morceau de pain noir. Il est probable que c’était le pain de la prison qu’il avait emporté en s’évadant.

    Ceci a été constaté par les miettes de pain qui furent trouvées sur le carreau de la chambre, lorsque la justice plus tard fit une perquisition.

    On frappa deux petits coups à la porte.

    Entrez, dit-il. C’était la sœur Simplice.

    Elle était pâle, elle avait les yeux rouges, la chandelle qu’elle tenait vacillait dans sa main. Les violences de la destinée ont cela de particulier que, si perfectionnés ou si refroidis que nous soyons, elles nous tirent du fond des entrailles la nature humaine et la forcent de reparaître au dehors. Dans les émotions de cette journée, la religieuse était redevenue femme. Elle avait pleuré, et elle tremblait.

    Jean Valjean venait d’écrire quelques lignes sur un papier qu’il tendit à la religieuse en disant : — Ma sœur, vous remettrez ceci à monsieur le curé.

    Le papier était déplié. Elle y jeta les yeux.

    Vous pouvez lire, dit-il.

    Elle lut : — « Je prie monsieur le curé de veiller sur

    Javert aperçut la sœur et s’arrêta interdit.

    On se rappelle que le fond même de Javert, son élément, son milieu respirable, c’était la vénération de toute autorité. Il était tout d’une pièce et n’admettait ni objection, ni restriction. Pour lui, bien entendu, l’autorité ecclésiastique était la première de toutes ; il était religieux, superficiel et correct sur ce point comme sur tous. À ses yeux un prêtre était un esprit qui ne se trompe pas, une religieuse était une créature qui ne pèche pas. C’étaient des âmes murées à ce monde avec une seule porte qui ne s’ouvrait jamais que pour laisser sortir la vérité.

    En apercevant la sœur, son premier mouvement fut de se retirer.

    Cependant il y avait aussi un autre devoir qui le tenait, et qui le poussait impérieusement en sens inverse. Son second mouvement fut de rester et de hasarder au moins une question.

    C’était cette sœur Simplice qui n’avait menti de sa vie. Javert le savait, et la vénérait particulièrement à cause de cela.

    Ma sœur, dit-il, êtes-vous seule dans cette chambre ?

    Il y eut un moment affreux pendant lequel la pauvre portière se sentit défaillir.

    La sœur leva les yeux et répondit :

    Oui.

    Ainsi, reprit Javert, excusez-moi si j’insiste, c’est mon devoir, vous n’avez pas vu ce soir une personne, un homme ? Il s’est évadé, nous le cherchons, — ce nommé Jean Valjean, vous ne l’avez pas vu ?

    La sœur répondit : — Non.

    Elle mentit deux fois de suite, coup sur coup, sans hésiter, rapidement, comme on se dévoue.

    Pardon, dit Javert ; et il se retira en saluant profondément.

    Ô sainte fille ! vous n’êtes plus de ce monde depuis beaucoup d’années ; vous avez rejoint dans la lumière vos sœurs les vierges et vos frères les anges ; que ce mensonge vous soit compté dans le paradis !

    L’affirmation de la sœur fut pour Javert quelque chose de si décisif qu’il ne remarqua même pas la singularité de cette bougie qu’on venait de souffler et qui fumait sur la table.

    Une heure après, un homme, marchant à travers les arbres et les brumes, s’éloignait rapidement de Montreuil-sur-Mer dans la direction de Paris. Cet homme était Jean Valjean. Il a été établi, par le témoignage de deux ou trois rouliers qui l’avaient rencontré, qu’il portait un paquet et qu’il était vêtu d’une blouse. Où avait-il pris cette blouse ? On ne l’a jamais su. Cependant un vieux ouvrier était mort quelques jours auparavant à l’infirmerie de la fabrique, ne laissant que sa blouse. C’était peut-être celle-là.

    Un dernier mot sur Fantine.

    Nous avons tous une mère, la terre. On rendit Fantine à cette mère.

    Le curé crut bien faire, et fit bien peut-être, en réservant, sur ce que Jean Valjean avait laissé, le plus d’argent possible aux pauvres. Après tout, de quoi s’agissait-il ? d’un forçat et d’une fille publique. C’est pourquoi il simplifia l’enterrement de Fantine, et le réduisit à ce strict nécessaire qu’on appelle la fosse commune.

    Fantine fut donc enterrée dans le coin gratis du cimetière qui est à tous et à personne, et où l’on perd les pauvres. Heureusement Dieu sait où retrouver l’âme. On coucha Fantine dans les ténèbres parmi les premiers os venus ; elle subit la promiscuité des cendres. Elle fut jetée à la fosse publique. Sa tombe ressembla à son lit.


     

    I


     

    CE QU’ON RENCONTRE EN VENANT
    DE NIVELLES


     

    L’an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux rangées d’arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des collines qui viennent l’une après l’autre, soulèvent la route et la laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l’ouest, le clocher d’ardoise de Braine-l’Alleud qui a la forme d’un vase renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une hauteur, et, à l’angle d’un chemin de traverse, à côté d’une espèce de potence vermoulue portant l’inscription : Ancienne barrière n° 4, un cabaret ayant sur sa façade cet écriteau : Au quatre vents. Échabeau, café de particulier.

    Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au fond d’un petit vallon où il y a de l’eau qui passe sous une arche pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d’arbres, clair-semé mais très vert, qui emplit le vallon d’un côté de la chaussée, s’éparpille de l’autre dans les prairies et s’en va avec grâce et comme en désordre vers Braine-l’Alleud.

    Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près d’une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une échelle le long d’un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune, probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au vent. À l’angle de l’auberge, à côté d’une mare où naviguait une flottille de canards, un sentier mal pavé s’enfonçait dans les broussailles. Ce passant y entra.

    Au bout d’une centaine de pas, après avoir longé un mur du quinzième siècle surmonté d’un pignon aigu à briques contrariées, il se trouva en présence d’une grande porte de pierre cintrée, avec imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de deux médaillons plans. Une façade sévère dominait cette porte ; un mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et la flanquait d’un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour clôture deux battants décrépits ornés d’un vieux marteau rouillé.

    Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait éperdument dans un grand arbre.

    Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation circulaire ressemblant à l’alvéole d’une sphère. En ce moment les battants s’écartèrent et une paysanne sortit.

    Elle vit le passant et aperçut ce qu’il regardait.

    C’est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle ajouta :

    Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d’un clou, c’est le trou d’un gros biscaïen. Le biscaïen n’a pas traversé le bois.

    Comment s’appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.

    Hougomont, dit la paysanne.

    Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s’en alla regarder au-dessus des haies. Il aperçut à l’horizon à travers les arbres une espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin, ressemblait à un lion.

    Il était dans le champ de bataille de Waterloo.


     

    II


     

    HOUGOMONT


     

    Hougomont, ce fut là un lieu funèbre, le commencement de l’obstacle, la première résistance que rencontra à Waterloo ce grand bûcheron de l’Europe qu’on appelait Napoléon ; le premier nœud sous le coup de hache.

    C’était un château, ce n’est plus qu’une ferme. Hougomont, pour l’antiquaire, c’est Hugomons. Ce manoir fut bâti par Hugo, sire de Somerel, le même qui dota la sixième chapellenie de l’abbaye de Villiers.

    Le passant poussa la porte, coudoya sous un porche une vieille calèche, et entra dans la cour.

    La première chose qui le frappa dans ce préau, ce fut une porte du seizième siècle qui y simule une arcade, tout étant tombé autour d’elle. L’aspect monumental naît souvent de la ruine. Auprès de l’arcade s’ouvre dans un mur une autre porte avec claveaux du temps de Henri IV, laissant voir les arbres d’un verger. À côté de cette porte un trou à fumier, des pioches et des pelles, quelques charrettes, un vieux puits avec sa dalle et son tourniquet de fer, un poulain qui saute, un dindon qui fait la roue, une chapelle que surmonte un petit clocher, un poirier en fleur en espalier sur le mur de la chapelle, voilà cette cour dont la conquête fut un rêve de Napoléon. Ce coin de terre, s’il eût pu le prendre, lui eût peut-être donné le monde. Des poules y éparpillent du bec la poussière. On entend un grondement, c’est un gros chien qui montre les dents et qui remplace les Anglais.

    Les Anglais là ont été admirables. Les quatre compagnies des gardes de Cooke y ont tenu tête pendant sept heures à l’acharnement d’une armée.

    Hougomont, vu sur la carte, en plan géométral, bâtiments et enclos compris, présente une espèce de rectangle irrégulier dont un angle aurait été entaillé. C’est à cet angle qu’est la porte méridionale gardée par ce mur qui la fusille à bout portant. Hougomont a deux portes, la porte méridionale, celle du château, et la porte septentrionale, celle de la ferme. Napoléon envoya contre Hougomont son frère Jérôme ; les divisions Guilleminot, Foy et Bachelu s’y heurtèrent, presque tout le corps de Reille y fut employé et y échoua, les boulets de Kellermann s’épuisèrent sur cet héroïque pan de mur. Ce ne fut pas trop de la brigade Bauduin pour forcer Hougomont au nord, et la brigade Soye ne put que l’entamer au sud, sans le prendre.

    Les bâtiments de la ferme bordent la cour au sud. Un morceau de la porte nord, brisée par les Français, pend accroché au mur. Ce sont quatre planches clouées sur deux traverses, et où l’on distingue les balafres de l’attaque.

    La porte septentrionale, enfoncée par les français, et à laquelle on a mis une pièce pour remplacer le panneau suspendu à la muraille, s’entrebâille au fond du préau ; elle est coupée carrément dans un mur, de pierre en bas, de brique en haut, qui ferme la cour au nord. C’est une simple porte charretière comme il y en a dans toutes les métairies, deux larges battants faits de planches rustiques ; au delà, des prairies. La dispute de cette entrée a été furieuse. On a longtemps vu sur le montant de la porte toutes sortes d’empreintes de mains sanglantes. C’est là que Bauduin fut tué.

    L’orage du combat est encore dans cette cour ; l’horreur y est visible ; le bouleversement de la mêlée s’y est pétrifié ; cela vit, cela meurt ; c’était hier. Les murs agonisent, les pierres tombent, les brèches crient ; les trous sont des plaies ; les arbres penchés et frissonnants semblent faire effort pour s’enfuir.

    Cette cour, en 1815, était plus bâtie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Des constructions qu’on a depuis jetées bas y faisaient des redans, des angles et des coudes d’équerre.

    Les anglais s’y étaient barricadés ; les français y pénétrèrent, mais ne purent s’y maintenir. À côté de la chapelle, une aile du château, le seul débris qui reste du manoir d’Hougomont, se dresse écroulée, on pourrait dire éventrée. Le château servit de donjon, la chapelle servit de blockhaus. On s’y extermina. Les français, arquebusés de toutes parts, de derrière les murailles, du haut des greniers, du fond des caves, par toutes les croisées, par tous les soupiraux, par toutes les fentes des pierres, apportèrent des fascines et mirent le feu aux murs et aux hommes ; la mitraille eut pour réplique l’incendie.

    On entrevoit dans l’aile ruinée, à travers des fenêtres garnies de barreaux de fer, les chambres démantelées d’un corps de logis en brique ; les gardes anglaises étaient embusquées dans ces chambres ; la spirale de l’escalier, crevassé du rez-de-chaussée jusqu’au toit, apparaît comme l’intérieur d’un coquillage brisé. L’escalier a deux étages ; les anglais, assiégés dans l’escalier, et massés sur les marches supérieures, avaient coupé les marches inférieures. Ce sont de larges dalles de pierre bleue qui font un monceau dans les orties. Une dizaine de marches tiennent encore au mur ; sur la première est entaillée l’image d’un trident. Ces degrés inaccessibles sont solides dans leurs alvéoles. Tout le reste ressemble à une mâchoire édentée. Deux vieux arbres sont là ; l’un est mort, l’autre est blessé au pied, et reverdit en avril. Depuis 1815, il s’est mis à pousser à travers l’escalier.

    On s’est massacré dans la chapelle. Le dedans, redevenu calme, est étrange. On n’y a plus dit la messe depuis le carnage. Pourtant l’autel y est resté, un autel de bois grossier adossé à un fond de pierre brute. Quatre murs lavés au lait de chaux, une porte vis-à-vis l’autel, deux petites fenêtres cintrées, sur la porte un grand crucifix de bois, au-dessus du crucifix un soupirail carré bouché d’une botte de foin, dans un coin à terre un vieux châssis vitré tout cassé, telle est cette chapelle. Près de l’autel est clouée une statue en bois de sainte Anne, du quinzième siècle ; la tête de l’enfant Jésus a été emportée par un biscaïen. Les français, maîtres un moment de la chapelle, puis délogés, l’ont incendiée. Les flammes ont rempli cette masure ; elle a été fournaise ; la porte a brûlé, le plancher a brûlé, le christ, en bois, n’a pas brûlé. Le feu lui a rongé les pieds dont on ne voit plus que les moignons noircis, puis s’est arrêté. Miracle, au dire des gens du pays. L’enfant Jésus, décapité, n’a pas été aussi heureux que le christ.

    Les murs sont couverts d’inscriptions. Près des pieds du Christ on lit ce nom : Henquinez. Puis ces autres : Conde de Rio Maïor. Marques y Marquesa de Almagro (Habana). Il y a des noms français avec des points d’exclamation, signes de colère. On a reblanchi le mur en 1849. Les nations s’y insultaient.

    C’est à la porte de cette chapelle qu’a été ramassé un cadavre qui tenait une hache à la main. Ce cadavre était le sous-lieutenant Legros.

    On sort de la chapelle, et à gauche on voit un puits. Il y en a deux dans cette cour. On demande : pourquoi n’y a-t-il pas de seau et de poulie à celui-ci ? C’est qu’on n’y puise plus d’eau. Pourquoi n’y puise-t-on plus d’eau ? Parce qu’il est plein de squelettes.

    Le dernier qui ait tiré de l’eau de ce puits se nommait Guillaume Van Kylsom. C’était un paysan qui habitait Hougomont et y était jardinier. Le 18 juin 1815, sa famille prit la fuite et s’alla cacher dans les bois.

    La forêt autour de l’abbaye de Villiers abrita pendant plusieurs jours et plusieurs nuits toutes ces malheureuses populations dispersées. Aujourd’hui encore de certains vestiges reconnaissables, tels que de vieux troncs d’arbres brûlés, marquent la place de ces pauvres bivouacs tremblants au fond des halliers.

    Guillaume Van Kylsom demeura à Hougomont « pour garder le château » et se blottit dans une cave. Les anglais l’y découvrirent. On l’arracha de sa cachette, et, à coups de plat de sabre, les combattants se firent servir par cet homme effrayé. Ils avaient soif ; ce Guillaume leur portait à boire. C’est à ce puits qu’il puisait l’eau. Beaucoup burent là leur dernière gorgée. Ce puits, où burent tant de morts, devait mourir lui aussi.

    Après l’action, on eut une hâte : enterrer les cadavres. La mort a une façon à elle de harceler la victoire, et elle fait suivre la gloire par la peste. Le typhus est une annexe du triomphe. Ce puits était profond, on en fit un sépulcre. On y jeta trois cents morts. Peut-être avec trop d’empressement. Tous étaient-ils morts ? la légende dit non. Il parait que, la nuit qui suivit l’ensevelissement, on entendit sortir du puits des voix faibles qui appelaient.

    Ce puits est isolé au milieu de la cour. Trois murs mi-partis pierre et brique, repliés comme les feuilles d’un paravent et simulant une tourelle carrée, l’entourent de trois côtés. Le quatrième côté est ouvert. C’est par là qu’on puisait l’eau. Le mur du fond a une façon d’œil-de-bœuf informe, peut-être un trou d’obus. Cette tourelle avait un plafond dont il ne reste que les poutres. La ferrure de soutènement du mur de droite dessine une croix. On se penche, et l’œil se perd dans un profond cylindre de brique qu’emplit un entassement de ténèbres. Tout autour du puits, le bas des murs disparaît dans les orties.

    Ce puits n’a point pour devanture la large dalle bleue qui sert de tablier à tous les puits de Belgique. La dalle bleue y est remplacée par une traverse à laquelle s’appuient cinq ou six difformes tronçons de bois, noueux et ankylosés, qui ressemblent à de grands ossements. Il n’a plus ni seau, ni chaîne, ni poulie ; mais il a encore la cuvette de pierre qui servait de déversoir. L’eau des pluies s’y amasse, et de temps en temps un oiseau des forêts voisines vient y boire et s’envole.

    Une maison dans cette ruine, la maison de la ferme, est encore habitée. La porte de cette maison donne sur la cour. À côté d’une jolie plaque de serrure gothique il y a sur cette porte une poignée de fer à trèfles, posée de biais. Au moment où le lieutenant hanovrien Wilda saisissait cette poignée pour se réfugier dans la ferme, un sapeur français lui abattit la main d’un coup de hache.

    La famille qui occupe la maison a pour grand-père l’ancien jardinier Van Kylsom, mort depuis longtemps. Une femme en cheveux gris nous dit : ― J’étais là. J’avais trois ans. Ma sœur, plus grande, avait peur et pleurait. On nous a emportées dans les bois. J’étais dans les bras de ma mère. On se collait l’oreille à terre pour écouter. Moi, j’imitais le canon et je faisais boum, boum.

    Une porte de la cour, à gauche, nous l’avons dit, donne dans le verger.

    Le verger est terrible.

    Il est en trois parties, on pourrait presque dire en trois actes. La première partie est un jardin, la deuxième est le verger, la troisième est un bois. Ces trois parties ont une enceinte commune, du côté de l’entrée les bâtiments du château et de la ferme, à gauche une haie, à droite un mur, au fond un mur. Le mur de droite est en brique, le mur du fond est en pierre. On entre dans le jardin d’abord. Il est en contre-bas, planté de groseilliers, encombré de végétations sauvages, fermé d’un terrassement monumental en pierre de taille avec balustres à double renflement. C’était un jardin seigneurial dans ce premier style français qui a précédé Lenôtre ; ruine et ronce aujourd’hui. Les pilastres sont surmontés de globes qui semblent des boulets de pierre. On compte encore quarante-trois balustres sur leurs dés ; les autres sont couchés dans l’herbe. Presque tous ont des éraflures de mousqueterie. Un balustre brisé est posé sur l’étrave comme une jambe cassée.

    C’est dans ce jardin, plus bas que le verger, que six voltigeurs du 1er léger, ayant pénétré là et n’en pouvant plus sortir, pris et traqués comme des ours dans leur fosse, acceptèrent le combat avec deux compagnies hanovriennes, dont une était armée de carabines. Les hanovriens bordaient ces balustres et tiraient d’en haut. Ces voltigeurs, ripostant d’en bas, six contre deux cents, intrépides, n’ayant pour abri que les groseilliers, mirent un quart d’heure à mourir.

    On monte quelques marches, et du jardin on passe dans le verger proprement dit. Là, dans ces quelques toises carrées, quinze cents hommes tombèrent en moins d’une heure. Le mur semble prêt à recommencer le combat. Les trente-huit meurtrières percées par les anglais à des hauteurs irrégulières, y sont encore. Devant la seizième sont couchées deux tombes anglaises en granit. Il n’y a de meurtrières qu’au mur sud, l’attaque principale venait de là. Ce mur est caché au dehors par une grande haie vive ; les français arrivèrent, croyant n’avoir affaire qu’à la haie, la franchirent, et trouvèrent le mur, obstacle et embuscade, les gardes anglaises derrière, les trente-huit meurtrières faisant feu à la fois, un orage de mitraille et de balles ; et la brigade Soye s’y brisa. Waterloo commença ainsi.

    Le verger pourtant fut pris. On n’avait pas d’échelles, les français grimpèrent avec les ongles. On se battit corps à corps sous les arbres. Toute cette herbe a été mouillée de sang. Un bataillon de Nassau, sept cents hommes, fut foudroyé là. Au dehors le mur, contre lequel furent braquées les deux batteries de Kellermann, est rongé par la mitraille.

    Ce verger est sensible comme un autre au mois de mai. Il a ses boutons d’or et ses pâquerettes, l’herbe y est haute, des chevaux de charrue y paissent, des cordes de crin où sèche du linge traversent les intervalles des arbres et font baisser la tête aux passants, on marche dans cette friche et le pied enfonce dans les trous de taupes. Au milieu de l’herbe on remarque un tronc déraciné, gisant, verdissant. Le major Blackmann s’y est adossé pour expirer. Sous un grand arbre voisin est tombé le général allemand Duplat, d’une famille française réfugiée à la révocation de l’édit de Nantes. Tout à côté se penche un vieux pommier malade pansé avec un bandage de paille et de terre glaise. Presque tous les pommiers tombent de vieillesse. Il n’y en a pas un qui n’ait sa balle ou son biscaïen. Les squelettes d’arbres morts abondent dans ce verger. Les corbeaux volent dans les branches, au fond il y a un bois plein de violettes.

    Bauduin tué, Foy blessé, l’incendie, le massacre, le carnage, un ruisseau fait de sang anglais, de sang allemand et de sang français, furieusement mêlés, un puits comblé de cadavres, le régiment de Nassau et le régiment de Brunswick détruits, Duplat tué, Blackmann tué, les gardes anglaises mutilées, vingt bataillons français, sur les quarante du corps de Reille, décimés, trois mille hommes, dans cette seule masure de Hougomont, sabrés, écharpés, égorgés, fusillés, brûlés ; et tout cela pour qu’aujourd’hui un paysan dise à un voyageur : Monsieur, donnez-moi trois francs ; si vous aimez, je vous expliquerai la chose de Waterloo !


     

    III


     

    LE 18 JUIN 1815


     

    Retournons en arrière, c’est un des droits du narrateur, et replaçons-nous en l’année 1815, et même un peu avant l’époque où commence l’action racontée dans la première partie de ce livre.

    S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde.

    La bataille de Waterloo, et ceci a donné à Blücher le temps d’arriver, n’a pu commencer qu’à onze heures et demie. Pourquoi ? Parce que la terre était mouillée. Il a fallu attendre un peu de raffermissement pour que l’artillerie pût manœuvrer.

    Napoléon était officier d’artillerie, et il s’en ressentait. Le fond de ce prodigieux capitaine, c’était l’homme qui, dans le rapport au Directoire sur Aboukir, disait : Tel de nos boulets a tué six hommes. Tous ses plans de bataille sont faits pour le projectile. Faire converger l’artillerie sur un point donné, c’était là sa clef de victoire. Il traitait la stratégie du général ennemi comme une citadelle, et il la battait en brèche. Il accablait le point faible de mitraille ; il nouait et dénouait les batailles avec le canon. Il y avait du tir dans son génie. Enfoncer les carrés, pulvériser les régiments, rompre les lignes, broyer et disperser les masses, tout pour lui était là, frapper, frapper, frapper sans cesse, et il confiait cette besogne au boulet. Méthode redoutable, et qui, jointe au génie, a fait invincible pendant quinze ans ce sombre athlète du pugilat de la guerre.

    Le 18 juin 1815, il comptait d’autant plus sur l’artillerie qu’il avait pour lui le nombre. Wellington n’avait que cent cinquante-neuf bouches à feu ; Napoléon en avait deux cent quarante.

    Supposez la terre sèche, l’artillerie pouvant rouler, l’action commençait à six heures du matin. La bataille était gagnée et finie à deux heures, trois heures avant la péripétie prussienne.

    Quelle quantité de faute y a-t-il de la part de Napoléon dans la perte de cette bataille ? le naufrage est-il imputable au pilote ?

    Le déclin physique évident de Napoléon se compliquait-il à cette époque d’une certaine diminution intérieure ? les vingt ans de guerre avaient-ils usé la lame comme le fourreau, l’âme comme le corps ? le vétéran se faisait-il fâcheusement sentir dans le capitaine ? en un mot, ce génie, comme beaucoup d’historiens considérables l’ont cru, s’éclipsait-il ? entrait-il en frénésie pour se déguiser à lui-même son affaiblissement ? commençait-il à osciller sous l’égarement d’un souffle d’aventure ? devenait-il, chose grave dans un général, inconscient du péril ? dans cette classe de grands hommes matériels qu’on peut appeler les géants de l’action, y a-t-il un âge pour la myopie du génie ? La vieillesse n’a pas de prises sur les génies de l’idéal ; pour les Dantes et les Michel-Anges, vieillir, c’est croître ; pour les Annibals et les Bonapartes, est-ce décroître ? Napoléon avait-il perdu le sens direct de la victoire ? en était-il à ne plus reconnaître l’écueil, à ne plus deviner le piége, à ne plus discerner le bord croulant des abîmes ? manquait-il du flair des catastrophes ? lui qui jadis savait toutes les routes du triomphe et qui, du haut de son char d’éclairs, les indiquait d’un doigt souverain, avait-il maintenant cet ahurissement sinistre de mener aux précipices son tumultueux attelage de légions ? était-il pris, à quarante-six ans, d’une folie suprême ? ce cocher titanique du destin n’était-il plus qu’un immense casse-cou ?

    Nous ne le pensons point.

    Son plan de bataille était, de l’aveu de tous, un chef-d’œuvre. Aller droit au centre de la ligne alliée, faire un trou dans l’ennemi, le couper en deux, pousser la moitié britannique sur Hal et la moitié prussienne sur Tongres, faire de Wellington et de Blücher deux tronçons, enlever Mont-Saint-Jean, saisir Bruxelles, jeter l’allemand dans le Rhin et l’anglais dans la mer. Tout cela, pour Napoléon, était dans cette bataille. Ensuite on verrait.

    Il va sans dire que nous ne prétendons pas faire ici l’histoire de Waterloo ; une des scènes génératrices du drame que nous racontons se rattache à cette bataille, mais cette histoire n’est pas notre sujet ; cette histoire d’ailleurs est faite, et faite magistralement, à un point de vue par Napoléon, à l’autre point de vue par toute une pléiade d’historiens [1]. Quant à nous, nous laissons les historiens aux prises ; nous ne sommes qu’un témoin à distance, un passant dans la plaine, un chercheur penché sur cette terre pétrie de chair humaine, prenant peut-être des apparences pour des réalités ; nous n’avons pas le droit de tenir tête, au nom de la science, à un ensemble de faits où il y a sans doute du mirage, nous n’avons ni la pratique militaire ni la compétence stratégique qui autorisent un système ; selon nous, un enchaînement de hasards domine à Waterloo les deux capitaines ; et quand il s’agit du destin, ce mystérieux accusé, nous jugeons comme le peuple, ce juge naïf.


     

    IV


     

    A


     

    Ceux qui veulent se figurer nettement la bataille de Waterloo n’ont qu’à coucher sur le sol par la pensée un A majuscule. Le jambage gauche de l’A est la route de Nivelles, le jambage droit est la route de Genappe, la corde de l’A est le chemin creux d’Ohain à Braine-l’Alleud. Le sommet de l’A est Mont-Saint-Jean, là est Wellington ; la pointe gauche inférieure est Hougomont, là est Reille avec Jérôme Bonaparte ; la pointe droite inférieure est la Belle-Alliance, là est Napoléon. Un peu au-dessous du point où la corde de l’A rencontre et coupe le jambage droit est la Haie-Sainte. Au milieu de cette corde est le point précis où s’est dit le mot final de la bataille. C’est là qu’on a placé le lion, symbole involontaire du suprême héroïsme de la garde impériale.

    Le triangle compris au sommet de l’A, entre les deux jambages et la corde, est le plateau de Mont-Saint-Jean. La dispute de ce plateau fut toute la bataille.

    Les ailes des deux armées s’étendent à droite et à gauche des deux routes de Genappe et de Nivelles ; d’Erlon faisant face à Picton, Reille faisant face à Hill.

    Derrière la pointe de l’A, derrière le plateau de Mont-Saint-Jean, est la forêt de Soignes.

    Quant à la plaine en elle-même, qu’on se représente un vaste terrain ondulant ; chaque pli domine le pli suivant, et toutes les ondulations montent vers Mont-Saint-Jean, et y aboutissent à la forêt.

    Deux troupes ennemies sur un champ de bataille sont deux lutteurs. C’est un bras-le-corps. L’une cherche à faire glisser l’autre. On se cramponne à tout ; un buisson est un point d’appui ; un angle de mur est un épaulement ; faute d’une bicoque où s’adosser, un régiment lâche pied ; un ravalement de la plaine, un mouvement de terrain, un sentier transversal à propos, un bois, un ravin, peuvent arrêter le talon de ce colosse qu’on appelle une armée et l’empêcher de reculer. Qui sort du champ est perdu. De là, pour le chef responsable, la nécessité d’examiner la moindre touffe d’arbres et d’approfondir le moindre relief.

    Les deux généraux avaient attentivement étudié la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd’hui plaine de Waterloo. Dès l’année précédente, Wellington, avec une sagacité prévoyante, l’avait examinée comme un en-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon côté, Napoléon le mauvais. L’armée anglaise était en haut, l’armée française en bas.

    Esquisser ici l’aspect de Napoléon à cheval, sa lunette à la main, sur la hauteur de Rossomme, à l’aube du 18 juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu’on le montre, tout le monde l’a vu. Ce profil calme sous le petit chapeau de l’école de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote cachant les épaulettes, l’angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse de velours pourpre ayant aux coins des N couronnées et des aigles, les bottes à l’écuyère sur des bas de soie, les éperons d’argent, l’épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, acclamée des uns, sévèrement regardée par les autres.

    Cette figure a été longtemps toute dans la lumière ; cela tenait à un certain obscurcissement légendaire que la plupart des héros dégagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vérité ; mais aujourd’hui l’histoire et le jour se font.

    Cette clarté, l’histoire, est impitoyable ; elle a cela d’étrange et de divin que, toute lumière qu’elle est et précisément parce qu’elle est lumière, elle met souvent de l’ombre là où l’on voyait des rayons ; du même homme elle fait deux fantômes différents, et l’un attaque l’autre, et en fait justice, et les ténèbres du despote luttent avec l’éblouissement du capitaine. De là une mesure plus vraie dans l’appréciation définitive des peuples. Babylone violée diminue Alexandre ; Rome enchaînée diminue César ; Jérusalem tuée diminue Titus. La tyrannie suit le tyran. C’est un malheur pour un homme de laisser derrière lui de la nuit qui a sa forme.


     

    V


     

    LE « QUID OBSCURUM » DES BATAILLES


     

    Tout le monde connaît la première phase de cette bataille ; début trouble, incertain, hésitant, menaçant pour les deux armées, mais pour les anglais plus encore que pour les français.

    Il avait plu toute la nuit ; la terre était défoncée par l’averse ; l’eau s’était çà et là amassée dans les creux de la plaine, comme dans des cuvettes ; sur de certains points les équipages du train en avaient jusqu’à l’essieu ; les sous-ventrières des attelages dégouttaient de boue liquide ; si les blés et les seigles couchés par cette cohue de charrois en masse n’eussent comblé les ornières et fait litière sous les roues, tout mouvement, particulièrement dans les vallons du côté de Papelotte, eût été impossible.

    L’affaire commença tard ; Napoléon, nous l’avons expliqué, avait l’habitude de tenir toute l’artillerie dans sa main comme un pistolet, visant tantôt tel point, tantôt tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre que les batteries attelées pussent rouler et galoper librement ; il fallait pour cela que le soleil parût et séchât le sol. Mais le soleil ne parut pas. Ce n’était plus le rendez-vous d’Austerlitz. Quand le premier coup de canon fut tiré, le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu’il était onze heures trente-cinq minutes.

    L’action s’engagea avec furie, plus de furie peut-être que l’empereur n’eût voulu, par l’aile gauche française sur Hougomont. En même temps Napoléon attaqua le centre en précipitant la brigade Quiot sur la Haie-Sainte, et Ney poussa l’aile droite française contre l’aile gauche anglaise qui s’appuyait sur Papelotte.

    L’attaque sur Hougomont avait quelque simulation ; attirer là Wellington, le faire pencher à gauche, tel était le plan. Ce plan eût réussi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la division Perponcher n’eussent solidement gardé la position, et Wellington, au lieu de s’y masser, put se borner à y envoyer, pour tout renfort, quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.

    L’attaque de l’aile droite française sur Papelotte était à fond ; culbuter la gauche anglaise, couper la route de Bruxelles, barrer le passage aux prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington sur Hougomont, de là sur Braine-l’Alleud, de là sur Hal, rien de plus net. À part quelques incidents, cette attaque réussit. Papelotte fut pris ; la Haie-Sainte fut enlevée.

    Détail à noter. Il y avait dans l’infanterie anglaise, particulièrement dans la brigade de Kempt, force recrues. Ces jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants ; leur inexpérience se tira intrépidement d’affaire ; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs ; le soldat en tirailleur, un peu livré à lui-même, devient pour ainsi dire son propre général ; ces recrues montrèrent quelque chose de l’invention et de la furie françaises. Cette infanterie novice eut de la verve. Ceci déplut à Wellington.

    Après la prise de la Haie-Sainte, la bataille vacilla.

    Il y a dans cette journée, de midi à quatre heures, un intervalle obscur ; le milieu de cette bataille est presque indistinct et participe du sombre de la mêlée. Le crépuscule s’y fait. On aperçoit de vastes fluctuations dans cette brume, un mirage vertigineux, l’attirail de guerre d’alors presque inconnu aujourd’hui, les colbacks à flamme, les sabretaches flottantes, les buffleteries croisées, les gibernes à grenade, les dolmans des hussards, les bottes rouges à mille plis, les lourds shakos enguirlandés de torsades, l’infanterie presque noire de Brunswick mêlée à l’infanterie écarlate d’Angleterre, les soldats anglais ayant aux entournures pour épaulettes de gros bourrelets blancs circulaires, les chevau-légers hanovriens avec leur casque de cuir oblong à bandes de cuivre et à crinières de crins rouges, les écossais aux genoux nus et aux plaids quadrillés, les grandes guêtres blanches de nos grenadiers, des tableaux, non des lignes stratégiques, ce qu’il faut à Salvator Rosa, non ce qu’il faut à Gribeauval.

    Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une bataille. Quid obscurum, quid divinum. Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle. Quelle que soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a d’incalculables reflux ; dans l’action, les deux plans des deux chefs entrent l’un dans l’autre et se déforment l’un par l’autre. Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l’eau qu’on y jette. On est obligé de reverser là plus de soldats qu’on ne voudrait. Dépenses qui sont l’imprévu. La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres ; où était l’artillerie, accourt la cavalerie ; les bataillons sont des fumées. Il y avait là quelque chose, cherchez, c’est disparu ; les éclaircies se déplacent ; les plis sombres avancent et reculent ; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques. Qu’est-ce qu’une mêlée ? une oscillation. L’immobilité d’un plan mathématique exprime une minute et non une journée. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres qui aient du chaos dans le pinceau ; Rembrandt vaut mieux que Vandermeulen. Vandermeulen, exact à midi, ment à trois heures. La géométrie trompe ; l’ouragan seul est vrai. C’est ce qui donne à Folard le droit de contredire Polybe. Ajoutons qu’il y a toujours un certain instant où la bataille dégénère en combat, se particularise, et s’éparpille en d’innombrables faits de détail qui, pour emprunter l’expression de Napoléon lui-même, « appartiennent plutôt à la biographie des régiments qu’à l’histoire de l’armée ». L’historien, en ce cas, a le droit évident de résumé. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n’est donné à aucun narrateur, si consciencieux qu’il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible qu’on appelle une bataille.

    Ceci, qui est vrai de tous les grands chocs armés, est particulièrement applicable à Waterloo.

    Toutefois, dans l’après-midi, à un certain moment, la bataille se précisa.


     


     

    VI


     

    QUATRE HEURES DE L’APRÈS-MIDI


     

    Vers quatre heures, la situation de l’armée anglaise était grave. Le prince d’Orange commandait le centre, Hill l’aile droite, Picton l’aile gauche. Le prince d’Orange, éperdu et intrépide, criait aux hollando-belges : Nassau ! Brunswick ! jamais en arrière ! Hill, affaibli, venait s’adosser à Wellington, Picton était mort. Dans la même minute où les anglais avaient enlevé aux français le drapeau du 105e de ligne, les français avaient tué aux anglais le général Picton d’une balle à travers la tête. La bataille, pour Wellington, avait deux points d’appui, Hougomont et la Hale-Sainte ; Hougomont tenait encore, mais brûlait ; la Haie-Sainte était prise. Du bataillon allemand qui la défendait, quarante-deux hommes seulement survivaient ; tous les officiers, moins cinq, étaient morts ou pris. Trois mille combattants s’étaient massacrés dans cette grange. Un sergent des gardes anglaises, le premier boxeur de l’Angleterre, réputé par ses compagnons invulnérable, y avait été tué par un petit tambour français. Baring était délogé. Alten était sabré. Plusieurs drapeaux étaient perdus, dont un de la division Alten, et un du bataillon de Lunebourg porté par un prince de la famille de Deux-Ponts. Les Écossais gris n’existaient plus ; les gros dragons de Ponsonby étaient hachés. Cette vaillante cavalerie avait plié sous les lanciers de Bro et sous les cuirassiers de Travers ; de douze cents chevaux il en restait six cents ; des trois lieutenants-colonels, deux étaient à terre, Hamilton blessé, Mater tué. Ponsonby était tombé, troué de sept coups de lance. Gordon était mort, Marsh était mort. Deux divisions, la cinquième et la sixième, étaient détruites.

    Hougomont entamé, la Haie-Sainte prise, il n’y avait plus qu’un nœud, le centre. Ce nœud-là tenait toujours. Wellington le renforça. Il y appela Hill qui était à Merbe-Braine, il y appela Chassé qui était à Braine-l’Alleud.

    Le centre de l’armée anglaise, un peu concave, très dense et très compact, était fortement situé. Il occupait le plateau de Mont-Saint-Jean, ayant derrière lui le village et devant lui la pente, assez âpre alors. Il s’adossait à cette forte maison de pierre, qui était à cette époque un bien domanial de Nivelles et qui marque l’intersection des routes, masse du seizième siècle si robuste que les boulets y ricochaient sans l’entamer. Tout autour du plateau, les anglais avaient taillé çà et là les haies, fait des embrasures dans les aubépines, mis une gueule de canon entre deux branches, crénelé les buissons. Leur artillerie était en embuscade sous les broussailles. Ce travail punique, incontestablement autorisé par la guerre qui admet le piége, était si bien fait que Haxo, envoyé par l’empereur à neuf heures du matin pour reconnaître les batteries ennemies, n’en avait rien vu, et était revenu dire à Napoléon qu’il n’y avait pas d’obstacle, hors les deux barricades barrant les routes de Nivelles et de Genappe. C’était le moment où la moisson est haute ; sur la lisière du plateau, un bataillon de la brigade de Kempt, le 95e, armé de carabines, était couché dans les grands blés.

    Ainsi assuré et contre-buté, le centre de l’armée anglo-hollandaise était en bonne posture.

    Le péril de cette position était la forêt de Soignes, alors contiguë au champ de bataille et coupée par les étangs de Grœnendael et de Boitsfort. Une armée n’eût pu y reculer sans se dissoudre; les régiments s’y fussent tout de suite désagrégés. L’artillerie s’y fût perdue dans les marais. La retraite, selon l’opinion de plusieurs hommes du métier, contestée par d’autres, il est vrai, eût été là un sauve-qui-peut.

    Wellington ajouta à ce centre une brigade de Chassé, ôtée à l’aile droite, et une brigade de Wincke, ôtée à l’aile gauche, plus la division Clinton. À ses anglais, aux régiments de Halkett, à la brigade de Mitchell, aux gardes de Maitland, il donna comme épaulements et contre-forts l’infanterie de Brunswick, le contingent de Nassau, les hanovriens de Kielmansegge et les allemands d’Ompteda. Cela lui mit sous la main vingt-six bataillons. L’aile droite, comme dit Charras, fut rabattue derrière le centre. Une batterie énorme était masquée par des sacs à terre à l’endroit où est aujourd’hui ce qu’on appelle « le musée de Waterloo ». Wellington avait en outre dans un pli de terrain les dragons-gardes de Somerset, quatorze cents chevaux. C’était l’autre moitié de cette cavalerie anglaise, si justement célèbre. Ponsomby détruit, restait Somerset.

    La batterie, qui, achevée, eût été presque une redoute, était disposée derrière un mur de jardin très bas, revêtu à la hâte d’une chemise de sacs de sable et d’un large talus de terre. Cet ouvrage n’était pas fini ; on n’avait pas eu le temps de le palissader.

    Wellington, inquiet, mais impassible, était à cheval, et y demeura toute la journée dans la même attitude, un peu en avant du vieux moulin de Mont-Saint-Jean, qui existe encore, sous un orme qu’un anglais, depuis, vandale enthousiaste, a acheté deux cents francs, scié et emporté. Wellington fut là froidement héroïque. Les boulets pleuvaient. L’aide de camp Gordon venait de tomber à côté de lui. Lord Hill, lui montrant un obus qui éclatait, lui dit : — Milord, quelles sont vos instructions, et quels ordres nous laissez-vous, si vous vous faites tuer ? — De faire comme moi, répondit Wellington. À Clinton, il dit laconiquement : — Tenir ici jusqu’au dernier homme. — La journée, visiblement, tournait mal. Wellington criait à ses anciens compagnons de Talavera, de Vitoria et de Salamanque : — Boys (garçons) ! est-ce qu’on peut songer à lâcher pied ? pensez à la vieille Angleterre !

    Vers quatre heures, la ligne anglaise s’ébranla en arrière. Tout à coup on ne vit plus sur la crête du plateau que l’artillerie et les tirailleurs, le reste disparut ; les régiments, chassés par les obus et les boulets français, se replièrent dans le fond que coupe encore aujourd’hui le sentier de service de la ferme de Mont-Saint-Jean, un mouvement rétrograde se fit, le front de bataille anglais se déroba, Wellington recula. — Commencement de retraite ! cria Napoléon.


     

    VII


     

    NAPOLÉON DE BELLE HUMEUR


    L’empereur, quoique malade et gêné à cheval par une souffrance locale, n’avait jamais été de si bonne humeur que ce jour-là. Depuis le matin, son impénétrabilité souriait. Le 18 juin 1815, cette âme profonde, masquée de marbre, rayonnait aveuglément. L’homme qui avait été sombre à Austerlitz fut gai à Waterloo. Les plus grands prédestinés font de ces contre-sens. Nos joies sont de l’ombre. Le suprême sourire est à Dieu.

    Ridet Caesar, Pompeius flebit, disaient les légionnaires de la légion Fulminatrix. Pompée cette fois ne devait pas pleurer, mais il est certain que César riait.

    Dès la veille, la nuit, à une heure, explorant à cheval, sous l’orage et sous la pluie, avec Bertrand, les collines qui avoisinent Rossomme, satisfait de voir la longue ligne des feux anglais illuminant tout l’horizon de Frischemont à Braine-l’Alleud, il lui avait semblé que le destin assigné par lui à jour fixe sur le champ de Waterloo, était exact ; il avait arrêté son cheval, et était demeuré quelque temps immobile, regardant les éclairs, écoutant le tonnerre, et on avait entendu ce fataliste jeter dans l’ombre cette parole mystérieuse : « Nous sommes d’accord. » Napoléon se trompait. Ils n’étaient plus d’accord.

    Il n’avait pas pris une minute de sommeil, tous les instants de cette nuit-là avaient été marqués pour lui par une joie. Il avait parcouru toute la ligne des grand’gardes, en s’arrêtant çà et là pour parler aux vedettes. À deux heures et demie, près du bois d’Hougomont, il avait entendu le pas d’une colonne en marche ; il avait cru un moment à la reculade de Wellington. Il avait dit : C’est l’arrière-garde anglaise qui s’ébranle pour décamper. Je ferai prisonniers les six mille anglais qui viennent d’arriver à Ostende. Il causait avec expansion ; il avait retrouvé cette verve du débarquement du 1er mars, quand il montrait au grand-maréchal le paysan enthousiaste du golfe Juan, en s’écriant : — Eh bien, Bertrand, voilà déjà du renfort ! La nuit du 17 au 18 juin, il raillait Wellington. — Ce petit anglais a besoin d’une leçon, disait Napoléon. La pluie redoublait ; il tonnait pendant que l’empereur parlait.

    À trois heures et demie du matin, il avait perdu une illusion ; des officiers envoyés en reconnaissance lui avaient annoncé que l’ennemi ne faisait aucun mouvement. Rien ne bougeait ; pas un feu de bivouac n’était éteint. L’armée anglaise dormait. Le silence était profond sur la terre ; il n’y avait de bruit que dans le ciel. À quatre heures, un paysan lui avait été amené par les coureurs ; ce paysan avait servi de guide à une brigade de cavalerie anglaise, probablement la brigade Vivian, qui allait prendre position au village d’Ohain, à l’extrême gauche. À cinq heures, deux déserteurs belges lui avaient rapporté qu’ils venaient de quitter leur régiment, et que l’armée anglaise attendait la bataille. ― Tant mieux ! s’était écrié Napoléon. J’aime encore mieux les culbuter que les refouler.

    Le matin, sur la berge qui fait l’angle du chemin de Plancenoit, il avait mis pied à terre dans la boue, s’était fait apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s’était assis, avec une botte de paille pour tapis, et avait déployé sur la table la carte du champ de bataille, en disant : Joli échiquier !

    Par suite des pluies de la nuit, les convois de vivres, empêtrés dans des routes défoncées, n’avaient pu arriver le matin, le soldat n’avait pas dormi, était mouillé, et était à jeun ; cela n’avait pas empêché Napoléon de crier allègrement à Ney : Nous avons quatrevingt-dix chances sur cent. À huit heures, on avait apporté le déjeuner de l’empereur. Il y avait invité plusieurs généraux. Tout en déjeunant, on avait raconté que Wellington était l’avant-veille au bal à Bruxelles, chez la duchesse de Richmond, et Soult, rude homme de guerre avec une figure d’archevêque, avait dit : Le bal, c’est aujourd’hui. L’empereur avait plaisanté Ney qui disait : Wellington ne sera pas assez simple pour attendre votre majesté. C’était là d’ailleurs sa manière. Il badinait volontiers, dit Fleury de Chaboulon. Le fond de son caractère était une humeur enjouée, dit Gourgaud. Il abondait en plaisanteries, plutôt bizarres que spirituelles, dit Benjamin Constant. Ces gaîtés de géants valent la peine qu’on y insiste. C’est lui qui avait appelé ses grenadiers « les grognards » ; il leur pinçait l’oreille, il leur tirait la moustache. L’empereur ne faisait que nous faire des niches ; ceci est un mot de l’un d’eux. Pendant le mystérieux trajet de l’île d’Elbe en France, le 27 février, en pleine mer, le brick de guerre français le Zéphir ayant rencontré le brick l’Inconstant où Napoléon était caché et ayant demandé à l’Inconstant des nouvelles de Napoléon, l’empereur, qui avait encore en ce moment-là à son chapeau la cocarde blanche et amarante semée d’abeilles, adoptée par lui à l’île d’Elbe, avait pris en riant le porte-voix et avait répondu lui-même : L’empereur se porte bien. Qui rit de la sorte est en familiarité avec les événements. Napoléon avait eu plusieurs accès de rire pendant le déjeuner de Waterloo. Après le déjeuner il s’était recueilli un quart d’heure, puis deux généraux s’étaient assis sur la botte de paille, une plume à la main, une feuille de papier sur le genou, et l’empereur leur avait dicté l’ordre de bataille.

    À neuf heures, à l’instant où l’armée française, échelonnée et mise en mouvement sur cinq colonnes, s’était déployée, les divisions sur deux lignes, l’artillerie entre les brigades, musique en tête, battant aux champs, avec les roulements des tambours et les sonneries des trompettes, puissante, vaste, joyeuse, mer de casques, de sabres et de bayonnettes sur l’horizon, l’empereur, ému, s’était écrié à deux reprises : « Magnifique ! magnifique ! »

    De neuf heures à dix heures et demie, toute l’armée, ce qui semble incroyable, avait pris position et s’était rangée sur six lignes, formant pour répéter l’expression de l’empereur « la figure de six V ». Quelques instants après la formation du front de bataille, au milieu de ce profond silence de commencement d’orage qui précède les mêlées, voyant défiler les trois batteries de douze, détachées sur son ordre des trois corps de d’Erlon, de Reille et de Lobau, et destinées à commencer l’action en battant Mont-Saint-Jean où est l’intersection des routes de Nivelles et de Genappe, l’empereur avait frappé sur l’épaule de Haxo en lui disant : Voilà vingt-quatre belles filles, général.

    Sûr de l’issue, il avait encouragé d’un sourire, à son passage devant lui, la compagnie de sapeurs du premier corps, désignée par lui pour se barricader dans Mont-Saint-Jean, sitôt le village enlevé. Toute cette sérénité n’avait été traversée que par un mot de pitié hautaine ; en voyant à sa gauche, à un endroit où il y a aujourd’hui une grande tombe, se masser avec leurs chevaux superbes ces admirables Écossais gris, il avait dit : C’est dommage.

    Puis il était monté à cheval, s’était porté en avant de Rossomme, et avait choisi pour observatoire une étroite croupe de gazon à droite de la route de Genappe à Bruxelles, qui fut sa seconde station pendant la bataille. La troisième station, celle de sept heures du soir, entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte, est redoutable ; c’est un tertre assez élevé qui existe encore et derrière lequel la garde était massée dans une déclivité de la plaine. Autour de ce tertre, les boulets ricochaient sur le pavé de la chaussée jusqu’à Napoléon. Comme à Brienne, il avait sur sa tête le sifflement des balles et des biscaïens. On a ramassé, presque à l’endroit où étaient les pieds de son cheval, des boulets vermoulus, de vieilles lames de sabre et des projectiles informes, mangés de rouille. Scabra rubigine. Il y a quelques années, on y a déterré un obus de soixante, encore chargé, dont la fusée s’était brisée au ras de la bombe. C’est à cette dernière station que l’empereur disait à son guide Lacoste, un paysan hostile, effaré, attaché à la selle d’un hussard, se retournant à chaque paquet de mitraille, et tâchant de se cacher derrière lui : — Imbécile ! c’est honteux, tu vas te faire tuer dans le dos. Celui qui écrit ces lignes a trouvé lui-même dans le talus friable de ce tertre, en creusant le sable, les restes du col d’une bombe désagrégés par l’oxyde de quarante-six années, et de vieux tronçons de fer qui cassaient comme des bâtons de sureau entre ses doigts.

    Les ondulations des plaines diversement inclinées où eut lieu la rencontre de Napoléon et de Wellington ne sont plus, personne ne l’ignore, ce qu’elles étaient le 18 juin 1815. En prenant à ce champ funèbre de quoi lui faire un monument, on lui a ôté son relief réel, et l’histoire déconcertée ne s’y reconnaît plus. Pour le glorifier, on l’a défiguré. Wellington, deux ans après, revoyant Waterloo, s’est écrié : On m’a changé mon champ de bataille. Là où est aujourd’hui la grosse pyramide de terre surmontée du lion, il y avait une crête qui, vers la route de Nivelles, s’abaissait en rampe praticable, mais qui, du côté de la chaussée de Genappe, était presque un escarpement. L’élévation de cet escarpement peut encore être mesurée aujourd’hui par la hauteur des deux tertres des deux grandes sépultures qui encaissent la route de Genappe à Bruxelles ; l’une, le tombeau anglais, à gauche ; l’autre, le tombeau allemand, à droite. Il n’y a point de tombeau français. Pour la France, toute cette plaine est sépulcre. Grâce aux mille et mille charretées de terre employées à la butte de cent cinquante pieds de haut et d’un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd’hui accessible en pente douce ; le jour de la bataille, surtout du côté de la Haie-Sainte, il était d’un abord âpre et abrupt. Le versant là était si incliné que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d’eux la ferme située au fond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore raviné cette roideur, la fange compliquait la montée, et non seulement on gravissait, mais on s’embourbait. Le long de la crête du plateau courait une sorte de fossé impossible à deviner pour un observateur lointain.

    Qu’était-ce que ce fossé ? Disons-le. Braine-l’Alleud est un village de Belgique, Ohain en est un autre. Ces villages, cachés tous les deux dans des courbes de terrain, sont joints par un chemin d’une lieue et demie environ qui traverse une plaine à niveau ondulant, et souvent entre et s’enfonce dans des collines comme un sillon, ce qui fait que sur divers points cette route est un ravin. En 1815, comme aujourd’hui, cette route coupait la crête du plateau de Mont-Saint-Jean entre les deux chaussées de Genappe et de Nivelles ; seulement, elle est aujourd’hui de plain-pied avec la plaine ; elle était alors chemin creux. On lui a pris ses deux talus pour la butte-monument. Cette route était et est encore une tranchée dans la plus grande partie de son parcours ; tranchée creuse quelquefois d’une douzaine de pieds et dont les talus trop escarpés s’écroulaient çà et là, surtout en hiver, sous les averses. Des accidents y arrivaient. La route était si étroite à l’entrée de Braine-l’Alleud qu’un passant y avait été broyé par un chariot, comme le constate une croix de pierre debout près du cimetière qui donne le nom du mort, Monsieur Bernard Debrye, marchand à Bruxelles, et la date de l’accident, février 1637*. Elle était si profonde sur le plateau du Mont-Saint-Jean, qu’un paysan, Mathieu Nicaise, y avait été écrasé en 1783 par un éboulement du talus, comme le constatait une autre croix de pierre dont le faîte a disparu dans les défrichements, mais dont le piédestal renversé est encore visible aujourd’hui sur la pente du gazon à gauche de la chaussée entre la Haie-Sainte et la ferme du Mont-Saint-Jean.

    * Voici l’inscription :

    DOM
    CY A ÉTÉ ÉCRASÉ
    PAR MALHEUR
    SOUS UN CHARIOT
    MONSIEUR BERNARD
    DE BRYE MARCHAND
    A BRUXELLE LE (illisible)
    FEBVRIER 1637


     

    Un jour de bataille, ce chemin creux dont rien n’avertissait, bordant la crête de Mont-Saint-Jean, fossé au sommet de l’escarpement, ornière cachée dans les terres, était invisible, c’est-à-dire terrible.


     

    VIII


     

    L’EMPEREUR FAIT UNE QUESTION
    AU GUIDE LACOSTE


     

    Donc, le matin de Waterloo, Napoléon était content.

    Il avait raison ; le plan de bataille, conçu par lui, nous l’avons constaté, était en effet admirable.

    Une fois la bataille engagée, ses péripéties très diverses, la résistance d’Hougomont, la ténacité de la Haie-Sainte, Bauduin tué, Foy mis hors de combat, la muraille inattendue où s’était brisée la brigade Soye, l’étourderie fatale de Guillemot n’ayant ni pétards ni sacs à poudre, l’embourbement des batteries, les quinze pièces sans escorte culbutées par Uxbridge dans un chemin creux, le peu d’effet des bombes tombant dans les lignes anglaises, s’y enfouissant dans le sol détrempé par les pluies et ne réussissant qu’à y faire des volcans de boue, de sorte que la mitraille se changeait en éclaboussure, l’inutilité de la démonstration de Piré sur Braine-l’Alleud, toute cette cavalerie, quinze escadrons, à peu près annulée, l’aile droite anglaise mal inquiétée, l’aile gauche mal entamée, l’étrange malentendu de Ney, massant au lieu de les échelonner, les quatre divisions du premier corps, des épaisseurs de vingt-sept rangs et des fronts de deux cents hommes livrés de la sorte à la mitraille, l’effrayante trouée des boulets dans ces masses, les colonnes d’attaque désunies, la batterie d’écharpe brusquement démasquée sur leur flanc, Bourgeois, Donzelot et Durutte compromis, Quiot repoussé, le lieutenant Vieux, cet hercule sorti de l’école polytechnique, blessé au moment où il enfonçait à coups de hache la porte de la Haie-Sainte sous le feu plongeant de la barricade anglaise barrant le coude de la route de Genappe à Bruxelles, la division Marcognet, prise entre l’infanterie et la cavalerie, fusillée à bout portant dans les blés par Best et Pack, sabrée par Ponsomby, sa batterie de sept pièces enclouée, le prince de Saxe-Weimar tenant et gardant, malgré le comte d’Erlon, Frischemont et Smohain, le drapeau du 105e pris, le drapeau du 45e pris, ce hussard noir prussien arrêté par les coureurs de la colonne volante de trois cents chasseurs battant l’estrade entre Wavre et Plancenoit, les choses inquiétantes que ce prisonnier avait dites, le retard de Grouchy, les quinze cents hommes tués en moins d’une heure dans le verger d’Hougomont, les dix-huit cents hommes couchés en moins de temps encore autour de la Haie-Sainte, tous ces incidents orageux, passant comme les nuées de la bataille devant Napoléon, avaient à peine troublé son regard et n’avaient point assombri cette face impériale de la certitude. Napoléon était habitué à regarder la guerre fixement ; il ne faisait jamais chiffre à chiffre l’addition poignante du détail ; les chiffres lui importaient peu, pourvu qu’ils donnassent ce total : victoire ; que les commencements s’égarassent, il ne s’en alarmait point, lui qui se croyait maître et possesseur de la fin ; il savait attendre, se supposant hors de question, et il traitait le destin d’égal à égal. Il paraissait dire au sort : tu n’oserais pas.

    Mi-parti lumière et ombre, Napoléon se sentait protégé dans le bien et toléré dans le mal. Il avait ou croyait avoir pour lui, une connivence, on pourrait presque dire une complicité des événements, équivalente à l’antique invulnérabilité.

    Pourtant, quand on a derrière soi la Bérésina, Leipsick et Fontainebleau, il semble qu’on pourrait se défier de Waterloo. Un mystérieux froncement de sourcil devient visible au fond du ciel.

    Au moment où Wellington rétrograda, Napoléon tressaillit. Il vit subitement le plateau de Mont-Saint-Jean se dégarnir et le front de l’armée anglaise disparaître. Elle se ralliait, mais se dérobait. L’empereur se souleva à demi sur ses étriers. L’éclair de la victoire passa dans ses yeux.

    Wellington acculé à la forêt de Soignes et détruit, c’était le terrassement définitif de l’Angleterre par la France ; c’était Crécy, Poitiers, Malplaquet et Ramillies vengés. L’homme de Marengo raturait Azincourt.

    L’empereur alors, méditant la péripétie terrible, promena une dernière fois sa lunette sur tous les points du champ de bataille. Sa garde, l’arme au pied derrière lui, l’observait d’en bas avec une sorte de religion. Il songeait ; il examinait les versants, notait les pentes, scrutait le bouquet d’arbres, le carré de seigles, le sentier ; il semblait compter chaque buisson. Il regarda avec quelque fixité les barricades anglaises des deux chaussées, deux larges abattis d’arbres, celle de la chaussée de Genappe au-dessus de la Haie-Sainte, armée de deux canons, les seuls de toute l’artillerie anglaise qui vissent le fond du champ de bataille, et celle de la chaussée de Nivelles où étincelaient les bayonnettes hollandaises de la brigade Chassé. Il remarqua près de cette barricade la vieille chapelle de Saint-Nicolas peinte en blanc qui est à l’angle de la traverse vers Braine-l’Alleud. Il se pencha et parla à demi-voix au guide Lacoste. Le guide fit un signe de tête négatif, probablement perfide.

    L’empereur se redressa et se recueillit.

    Wellington avait reculé. Il ne restait plus qu’à achever ce recul par un écrasement.

    Napoléon, se retournant brusquement, expédia une estafette à franc étrier à Paris pour y annoncer que la bataille était gagnée.

    Napoléon était un de ces génies d’où sort le tonnerre.

    Il venait de trouver son coup de foudre.

    Il donna l’ordre aux cuirassiers de Milhaud d’enlever le plateau de Mont-Saint-Jean.


     

    IX


     

    L’INATTENDU


     

    Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d’un quart de lieue. C’étaient des hommes géants sur des chevaux colosses. Ils étaient vingt-six escadrons ; et ils avaient derrière eux, pour les appuyer, la division de Lefebvre-Desnouettes, les cent six gendarmes d’élite, les chasseurs de la garde, onze cent quatrevingt-dix-sept hommes, et les lanciers de la garde, huit cent quatrevingts lances. Ils portaient le casque sans crins et la cuirasse de fer battu, avec les pistolets d’arçon dans les fontes et le long sabre-épée. Le matin toute l’armée les avait admirés, quand, à neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantant Veillons au salut de l’empire, ils étaient venus, colonne épaisse, une de leurs batteries à leur flanc, l’autre à leur centre, se déployer sur deux rangs entre la chaussée de Genappe et Frischemont, et prendre leur place de bataille dans cette puissante deuxième ligne, si savamment composée par Napoléon, laquelle, ayant à son extrémité de gauche les cuirassiers de Kellerman et à son extrémité de droite les cuirassiers de Milhaud, avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.

    L’aide de camp Bernard leur porta l’ordre de l’empereur. Ney tira son épée et prit la tête. Les escadrons énormes s’ébranlèrent.

    Alors on vit un spectacle formidable.

    Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonne par division, descendit d’un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l’autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables ; dans les intervalles de la mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.

    Rien de semblable ne s’était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie ; Murat y manquait, mais Ney s’y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l’hydre.

    Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.

    Bizarre coïncidence numérique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrière la crête du plateau, à l’ombre de la batterie masquée, l’infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l’épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d’hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre.

    Tout à coup, chose tragique, à la gauche des anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crête, effrénés, tout à leur furie et à leur course d’extermination sur les carrés et les canons, les cuirassiers venaient d’apercevoir entre eux et les anglais un fossé, une fosse. C’était le chemin creux d’Ohain.

    L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus ; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n’était plus qu’un projectile, la force acquise pour écraser les anglais écrasa les français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé, cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu’une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d’hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme.

    Ceci commença la perte de la bataille.

    Une tradition locale, qui exagère évidemment, dit que deux mille chevaux et quinze cents hommes furent ensevelis dans le chemin creux d’Ohain. Ce chiffre vraisemblablement comprend tous les autres cadavres qu’on jeta dans ce ravin le lendemain du combat.

    Notons en passant que c’était cette brigade Dubois, si funestement éprouvée, qui, une heure auparavant, chargeant à part, avait enlevé le drapeau du bataillon de Lunebourg.

    Napoléon, avant d’ordonner cette charge des cuirassiers de Milhaud, avait scruté le terrain, mais n’avait pu voir ce chemin creux qui ne faisait pas même une ride à la surface du plateau. Averti pourtant et mis en éveil par la petite chapelle blanche qui en marque l’angle sur la chaussée de Nivelles, il avait fait, probablement sur l’éventualité d’un obstacle, une question au guide Lacoste. Le guide avait répondu non. On pourrait presque dire que de ce signe de tête d’un paysan est sortie la catastrophe de Napoléon.

    D’autres fatalités encore devaient surgir.

    Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille ? nous répondons non. Pourquoi ? À cause de Wellington ? à cause de Blücher ? Non. À cause de Dieu.

    Bonaparte vainqueur à Waterloo, ceci n’était plus dans la loi du dix-neuvième siècle. Une autre série de faits se préparait, où Napoléon n’avait plus de place. La mauvaise volonté des événements s’était annoncée de longue date.

    Il était temps que cet homme vaste tombât.

    L’excessive pesanteur de cet homme dans la destinée humaine troublait l’équilibre. Cet individu comptait à lui seul plus que le groupe universel. Ces pléthores de toute la vitalité humaine concentrée dans une seule tête, le monde montant au cerveau d’un homme, cela serait mortel à la civilisation si cela durait. Le moment était venu pour l’incorruptible équité suprême d’aviser. Probablement les principes et les éléments, d’où dépendent les gravitations régulières dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, se plaignaient. Le sang qui fume, le trop-plein des cimetières, les mères en larmes, ce sont des plaidoyers redoutables. Il y a, quand la terre souffre d’une surcharge, de mystérieux gémissements de l’ombre, que l’abîme entend.

    Napoléon avait été dénoncé dans l’infini, et sa chute était décidée.

    Il gênait Dieu.

    Waterloo n’est point une bataille ; c’est le changement de front de l’univers.


     

    X


     

    LE PLATEAU DE MONT-SAINT-JEAN


     

    En même temps que le ravin, la batterie s’était démasquée.

    Soixante canons et les treize carrés foudroyèrent les cuirassiers à bout portant. L’intrépide général Delord fit le salut militaire à la batterie anglaise.

    Toute l’artillerie volante anglaise était rentrée au galop dans les carrés. Les cuirassiers n’eurent pas même un temps d’arrêt. Le désastre du chemin creux les avait décimés, mais non découragés. C’étaient de ces hommes qui, diminués de nombre, grandissent de cœur.

    La colonne Wathier seule avait souffert du désastre ; la colonne Delord, que Ney avait fait obliquer à gauche, comme s’il pressentait l’embûche, était arrivée entière.

    Les cuirassiers se ruèrent sur les carrés anglais.

    Ventre à terre, brides lâchées, sabre aux dents, pistolets au poing, telle fut l’attaque.

    Il y a des moments dans les batailles où l’âme durcit l’homme jusqu’à changer le soldat en statue, et où toute cette chair se fait granit. Les bataillons anglais, éperdument assaillis, ne bougèrent pas.

    Alors ce fut effrayant.

    Toutes les faces des carrés anglais furent attaquées à la fois. Un tournoiement frénétique les enveloppa. Cette froide infanterie demeura impassible. Le premier rang, genou en terre, recevait les cuirassiers sur les bayonnettes, le second rang les fusillait ; derrière le second rang les canonniers chargeaient les pièces, le front du carré s’ouvrait, laissait passer une éruption de mitraille et se refermait. Les cuirassiers répondaient par l’écrasement. Leurs grands chevaux se cabraient, enjambaient les rangs, sautaient par-dessus les bayonnettes et tombaient, gigantesques, au milieu de ces quatre murs vivants. Les boulets faisaient des trouées dans les cuirassiers, les cuirassiers faisaient des brèches dans les carrés. Des files d’hommes disparaissaient broyées sous les chevaux. Les bayonnettes s’enfonçaient dans les ventres de ces centaures. De là une difformité de blessures qu’on n’a pas vue peut-être ailleurs. Les carrés, rongés par cette cavalerie forcenée, se rétrécissaient sans broncher. Inépuisables en mitraille, ils faisaient explosion au milieu des assaillants. La figure de ce combat était monstrueuse. Ces carrés n’étaient plus des bataillons, c’étaient des cratères ; ces cuirassiers n’étaient plus une cavalerie, c’était une tempête. Chaque carré était un volcan attaqué par un nuage ; la lave combattait la foudre.

    Le carré extrême de droite, le plus exposé de tous, étant en l’air, fut presque anéanti dès les premiers chocs. Il était formé du 75e régiment de highlanders. Le joueur de cornemuse au centre, pendant qu’on s’exterminait autour de lui, baissant dans une inattention profonde son œil mélancolique plein du reflet des forêts et des lacs, assis sur un tambour, son pibroch sous le bras, jouait les airs de la montagne. Ces Écossais mouraient en pensant au Ben Lothian, comme les Grecs en se souvenant d’Argos. Le sabre d’un cuirassier, abattant le pibroch et le bras qui le portait, fit cesser le chant en tuant le chanteur.

    Les cuirassiers, relativement peu nombreux, amoindris par la catastrophe du ravin, avaient là contre eux presque toute l’armée anglaise, mais ils se multipliaient, chaque homme valant dix. Cependant quelques bataillons hanovriens plièrent. Wellington le vit, et songea à sa cavalerie. Si Napoléon, en ce moment-là même, eût songé à son infanterie, il eût gagné la bataille. Cet oubli fut sa grande faute fatale.

    Tout à coup les cuirassiers, assaillants, se sentirent assaillis. La cavalerie anglaise était sur leur dos. Devant eux les carrés, derrière eux Somerset ; Somerset, c’étaient les quatorze cents dragons-gardes. Somerset avait à sa droite Dornberg avec les chevau-légers allemands, et à sa gauche Trip avec les carabiniers belges ; les cuirassiers, attaqués en flanc et en tête, en avant et en arrière, par l’infanterie et par la cavalerie, durent faire face de tous les côtés. Que leur importait ? ils étaient tourbillon. La bravoure devint inexprimable.

    En outre, ils avaient derrière eux la batterie toujours tonnante. Il fallait cela pour que ces hommes fussent blessés dans le dos. Une de leurs cuirasses, trouée à l’omoplate gauche d’un biscayen, est dans la collection dite musée de Waterloo.

    Pour de tels français, il ne fallait pas moins que de tels anglais.

    Ce ne fut plus une mêlée, ce fut une ombre, une furie, un vertigineux emportement d’âmes et de courages, un ouragan d’épées éclairs. En un instant les quatorze cents dragons-gardes ne furent plus que huit cents ; Fuller, leur lieutenant-colonel, tomba mort. Ney accourut avec les lanciers et les chasseurs de Lefebvre-Desnouettes. Le plateau de Mont-Saint-Jean fut pris, repris, pris encore. Les cuirassiers quittaient la cavalerie pour retourner à l’infanterie, ou, pour mieux dire, toute cette cohue formidable se colletait sans que l’un lâchât l’autre. Les carrés tenaient toujours. Il y eut douze assauts. Ney eut quatre chevaux tués sous lui. La moitié des cuirassiers resta sur le plateau. Cette lutte dura deux heures.

    L’armée anglaise en fut profondément ébranlée. Nul doute que, s’ils n’eussent été affaiblis dans leur premier choc par le désastre du chemin creux, les cuirassiers n’eussent culbuté le centre et décidé la victoire. Cette cavalerie extraordinaire pétrifia Clinton qui avait vu Talavera et Badajoz. Wellington, aux trois quarts vaincu, admirait héroïquement. Il disait à demi-voix : Sublime [2] !

    Les cuirassiers anéantirent sept carrés sur treize, prirent ou enclouèrent soixante pièces de canon, et enlevèrent aux régiments anglais six drapeaux, que trois cuirassiers et trois chasseurs de la garde allèrent porter à l’empereur devant la ferme de la Belle-Alliance.

    La situation de Wellington avait empiré. Cette étrange bataille était comme un duel entre deux blessés acharnés qui, chacun de leur côté, tout en combattant et en se résistant toujours, perdent tout leur sang. Lequel des deux tombera le premier ?

    La lutte du plateau continuait.

    Jusqu’où sont allés les cuirassiers ? personne ne saurait le dire. Ce qui est certain, c’est que, le lendemain de la bataille, un cuirassier et son cheval furent trouvés morts dans la charpente de la bascule du pesage des voitures à Mont-Saint-Jean, au point même où s’entrecoupent et se rencontrent les quatre routes de Nivelles, de Genappe, de La Hulpe et de Bruxelles. Ce cavalier avait percé les lignes anglaises. Un des hommes qui ont relevé ce cadavre vit encore à Mont-Saint-Jean. Il se nomme Dehaze. Il avait alors dix-huit ans.

    Wellington se sentait pencher. La crise était proche.

    Les cuirassiers n’avaient point réussi, en ce sens que le centre n’était pas enfoncé. Tout le monde ayant le plateau, personne ne l’avait, et en somme il restait pour la plus grande part aux anglais. Wellington avait le village et la plaine culminante ; Ney n’avait que la crête et la pente. Des deux côtés on semblait enraciné dans ce sol funèbre.

    Mais l’affaiblissement des anglais paraissait irrémédiable. L’hémorrhagie de cette armée était horrible. Kempt, à l’aile gauche, réclamait du renfort. — Il n’y en a pas, répondait Wellington, qu’il se fasse tuer ! — Presque à la même minute, rapprochement singulier qui peint l’épuisement des deux armées, Ney demandait de l’infanterie à Napoléon, et Napoléon s’écriait : De l’infanterie ! où veut-il que j’en prenne ? Veut-il que j’en fasse ?

    Pourtant l’armée anglaise était la plus malade. Les poussées furieuses de ces grands escadrons à cuirasses de fer et à poitrines d’acier avaient broyé l’infanterie. Quelques hommes autour d’un drapeau marquaient la place d’un régiment, tel bataillon n’était plus commandé que par un capitaine ou par un lieutenant ; la division Alten, déjà si maltraitée à la Haie-Sainte, était presque détruite ; les intrépides Belges de la brigade Van Kluze jonchaient les seigles le long de la route de Nivelles ; il ne restait presque rien de ces grenadiers hollandais qui, en 1811, mêlés en Espagne à nos rangs, combattaient Wellington, et qui, en 1815, ralliés aux anglais, combattaient Napoléon. La perte en officiers était considérable. Lord Uxbridge, qui le lendemain fit enterrer sa jambe, avait le genou fracassé. Si, du côté des français, dans cette lutte des cuirassiers, Delord, Lhéritier, Colbert, Dnop, Travers et Blancard étaient hors de combat, du côté des anglais, Alten était blessé, Barne était blessé, Delancey était tué, Van Meeren était tué, Ompteda était tué, tout l’état-major de Wellington était décimé, et l’Angleterre avait le pire partage dans ce sanglant équilibre. Le 2e régiment des gardes à pied avait perdu cinq lieutenants-colonels, quatre capitaines et trois enseignes ; le premier bataillon du 30e d’infanterie avait perdu vingt-quatre officiers et cent douze soldats ; le 79e montagnards avait vingt-quatre officiers blessés, dix-huit officiers morts, quatre cent cinquante soldats tués. Les hussards hanovriens de Cumberland, un régiment tout entier, ayant à sa tête son colonel Hacke, qui devait plus tard être jugé et cassé, avaient tourné bride devant la mêlée et étaient en fuite dans la forêt de Soignes, semant la déroute jusqu’à Bruxelles. Les charrois, les prolonges, les bagages, les fourgons pleins de blessés, voyant les français gagner du terrain et s’approcher de la forêt, s’y précipitaient ; les Hollandais, sabrés par la cavalerie française, criaient : Alarme ! De Vert-Coucou jusqu’à Groenendael, sur une longueur de près de deux lieues dans la direction de Bruxelles, il y avait, au dire des témoins qui existent encore, un encombrement de fuyards. Cette panique fut telle qu’elle gagna le prince de Condé à Malines et Louis XVIII à Gand. À l’exception de la faible réserve échelonnée derrière l’ambulance établie dans la ferme de Mont-Saint-Jean et des brigades Vivian et Vandeleur qui flanquaient l’aile gauche, Wellington n’avait plus de cavalerie. Nombre de batteries gisaient démontées. Ces faits sont avoués par Siborne ; et Pringle, exagérant le désastre, va jusqu’à dire que l’armée anglo-hollandaise était réduite à trente-quatre mille hommes. Le duc-de-fer demeurait calme, mais ses lèvres avaient blêmi. Le commissaire autrichien Vincent, le commissaire espagnol Alava, présents à la bataille dans l’état-major anglais, croyaient le duc perdu. À cinq heures, Wellington tira sa montre, et on l’entendit murmurer ce mot sombre : Blücher, ou la nuit !

    Ce fut vers ce moment-là qu’une ligne lointaine de bayonnettes étincela sur les hauteurs du côté de Frischemont.

    Ici est la péripétie de ce drame géant.


     

    XI


     

    MAUVAIS GUIDE À NAPOLÉON, BON GUIDE
    À BULOW


     

    On connaît la poignante méprise de Napoléon : Grouchy espéré, Blücher survenant ; la mort au lieu de la vie.

    La destinée a de ces tournants ; on s’attendait au trône du monde ; on aperçoit Sainte-Hélène.

    Si le petit pâtre, qui servait de guide à Bülow, lieutenant de Blücher, lui eût conseillé de déboucher de la forêt au-dessus de Frischemont plutôt qu’au dessous de Plancenoit, la forme du dix-neuvième siècle eût peut-être été différente. Napoléon eût gagné la bataille de Waterloo. Par tout autre chemin qu’au-dessous de Plancenoit, l’armée prussienne aboutissait à un ravin infranchissable à l’artillerie, et Bülow n’arrivait pas.

    Or, une heure de retard, c’est le général prussien Muffling qui le déclare, et Blücher n’aurait plus trouvé Wellington debout ; « la bataille était perdue ».

    Il était temps, on le voit, que Bülow arrivât. Il avait du reste été fort retardé. Il avait bivouaqué à Dion-le-Mont et était parti dès l’aube. Mais les chemins étaient impraticables et ses divisions s’étaient embourbées. Les ornières venaient au moyeu des canons. En outre, il avait fallu passer la Dyle sur l’étroit pont de Wavre ; la rue menant au pont avait été incendiée par les français ; les caissons et les fourgons de l’artillerie, ne pouvant passer entre deux rangs de maisons en feu, avaient dû attendre que l’incendie fût éteint. Il était midi que l’avant-garde de Bülow n’avait pu encore atteindre Chapelle-Saint-Lambert.

    L’action, commencée deux heures plus tôt, eût été finie à quatre heures, et Blücher serait tombé sur la bataille gagnée par Napoléon. Tels sont ces immenses hasards, proportionnés à un infini qui nous échappe.

    Dès midi, l’empereur, le premier, avec sa longue-vue, avait aperçu à l’extrême horizon quelque chose qui avait fixé son attention. Il avait dit : — Je vois là-bas un nuage qui me paraît être des troupes. Puis il avait demandé au duc de Dalmatie : — Soult, que voyez-vous vers Chapelle-Saint-Lambert ? — Le maréchal braquant sa lunette avait répondu : — Quatre ou cinq mille hommes, sire. Évidemment Grouchy. — Cependant cela restait immobile dans la brume. Toutes les lunettes de l’état-major avaient étudié « le nuage » signalé par l’empereur. Quelques-uns avaient dit : Ce sont des colonnes qui font halte. La plupart avaient dit : Ce sont des arbres. La vérité est que le nuage ne remuait pas. L’empereur avait détaché en reconnaissance vers ce point obscur la division de cavalerie légère de Domon.

    Bülow en effet n’avait pas bougé. Son avant-garde était très faible, et ne pouvait rien. Il devait attendre le gros du corps d’armée, et il avait l’ordre de se concentrer avant d’entrer en ligne ; mais à cinq heures, voyant le péril de Wellington, Blücher ordonna à Bülow d’attaquer et dit ce mot remarquable : « Il faut donner de l’air à l’armée anglaise. »

    Peu après, les divisions Losthin, Hiller, Hacke et Ryssel se déployaient devant le corps de Lobau, la cavalerie du prince Guillaume de Prusse débouchait du bois de Paris, Plancenoit était en flammes, et les boulets prussiens commençaient à pleuvoir jusque dans les rangs de la garde en réserve derrière Napoléon.


     

    XII


     

    LA GARDE


     

    On sait le reste : l’irruption d’une troisième armée, la bataille disloquée, quatrevingt-six bouches à feu tonnant tout à coup, Pirch Ier survenant avec Bülow, la cavalerie de Zieten menée par Blücher en personne, les français refoulés, Marcognet balayé du plateau d’Ohain, Durutte délogé de Papelotte, Donzelot et Quiot reculant, Lobau pris en écharpe, une nouvelle bataille se précipitant ; à la nuit tombante sur nos régiments démantelés, toute la ligne anglaise reprenant l’offensive et poussée en avant, la gigantesque trouée faite dans l’armée française, la mitraille anglaise et la mitraille prussienne s’entr’aidant, l’extermination, le désastre de front, le désastre en flanc, la garde entrant en ligne sous cet épouvantable écroulement.

    Comme elle sentait qu’elle allait mourir, elle cria : Vive l’empereur ! L’histoire n’a rien de plus émouvant que cette agonie éclatant en acclamations.

    Le ciel avait été couvert toute la journée. Tout à coup, en ce moment-là même, il était huit heures du soir, les nuages de l’horizon s’écartèrent et laissèrent passer, à travers les ormes de la route de Nivelles, la grande rougeur sinistre du soleil qui se couchait. On l’avait vu se lever à Austerlitz.

    Chaque bataillon de la garde, pour ce dénouement, était commandé par un général. Friant, Michel, Roguet, Harlet, Mallet, Poret de Morvan, étaient là. Quand les hauts bonnets des grenadiers de la garde avec la large plaque à l’aigle apparurent, symétriques, alignés, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mêlée, l’ennemi sentit le respect de la France ; on crut voir vingt victoires entrer sur le champ de bataille, ailes déployées, et ceux qui étaient vainqueurs, s’estimant vaincus, reculèrent ; mais Wellington cria : Debout, gardes, et visez juste ! le régiment rouge des gardes anglaises, couché derrière les haies, se leva, une nuée de mitraille cribla le drapeau tricolore frissonnant autour de nos aigles, tous se ruèrent, et le suprême carnage commença. La garde impériale sentit dans l’ombre l’armée lâchant pied autour d’elle, et le vaste ébranlement de la déroute, elle entendit le sauve-qui-peut ! qui avait remplacé le vive l’empereur ! et, avec la fuite derrière elle, elle continua d’avancer, de plus en plus foudroyée et mourant davantage à chaque pas qu’elle faisait. Il n’y eut point d’hésitants ni de timides. Le soldat dans cette troupe était aussi héros que le général. Pas un homme ne manqua au suicide.

    Ney, éperdu, grand de toute la hauteur de la mort acceptée, s’offrait à tous les coups dans cette tourmente. Il eut là son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, l’écume aux lèvres, l’uniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi coupée par le coup de sabre d’un horse-guard, sa plaque de grand-aigle bosselée par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une épée cassée à la main, il disait : Venez voir comment meurt un maréchal de France sur le champ de bataille ! Mais en vain ; il ne mourut pas. Il était hagard et indigné. Il jetait à Drouet d’Erlon cette question : Est-ce que tu ne te fais pas tuer, toi ? Il criait au milieu de toute cette artillerie écrasant une poignée d’hommes : — Il n’y a donc rien pour moi ! Oh ! je voudrais que tous ces boulets anglais m’entrassent dans le ventre ! Tu étais réservé à des balles françaises, infortuné !


     

    XIII


     

    LA CATASTROPHE


     

    La déroute derrière la garde fut lugubre.

    L’armée plia brusquement de tous les côtés à la fois, de Hougomont, de la Haie-Sainte, de Papelotte, de Plancenoit. Le cri trahison ! fut suivi du cri sauve-qui-peut ! Une armée qui se débande, c’est un dégel. Tout fléchit, se fêle, craque, flotte, roule, tombe, se heurte, se hâte, se précipite. Désagrégation inouïe. Ney emprunte un cheval, saute dessus, et, sans chapeau, sans cravate, sans épée, se met en travers de la chaussée de Bruxelles, arrêtant à la fois les anglais et les français. Il tâche de retenir l’armée, il la rappelle, il l’insulte, il se cramponne à la déroute. Il est débordé. Les soldats le fuient, en criant : Vive le maréchal Ney ! Deux régiments de Durutte vont et viennent effarés et comme ballottés entre le sabre des uhlans et la fusillade des brigades de Kempt, de Best, de Pack et de Rylandt ; la pire des mêlées, c’est la déroute, les amis s’entretuent pour fuir ; les escadrons et les bataillons se brisent et se dispersent les uns contre les autres, énorme écume de la bataille. Lobau à une extrémité comme Reille à l’autre sont roulés dans le flot. En vain Napoléon fait des murailles avec ce qui lui reste de la garde ; en vain il dépense à un dernier effort ses escadrons de service. Quiot recule devant Vivian, Kellermann devant Vandeleur, Lobau devant Bülow, Morand devant Pirch, Domon et Subervic devant le prince Guillaume de Prusse. Guyot, qui a mené à la charge les escadrons de l’empereur, tombe sous les pieds des dragons anglais. Napoléon court au galop le long des fuyards, les harangue, presse, menace, supplie. Toutes ces bouches qui criaient le matin : vive l’empereur ! restent béantes ; c’est à peine si on le connaît. La cavalerie prussienne, fraîche venue, s’élance, vole, sabre, taille, hache, tue, extermine. Les attelages se ruent, les canons se sauvent ; les soldats du train détellent les caissons et en prennent les chevaux pour s’échapper ; des fourgons culbutés les quatre roues en l’air entravent la route et sont des occasions de massacre. On s’écrase, on se foule, on marche sur les morts et sur les vivants. Les bras sont éperdus. Une multitude vertigineuse emplit les routes, les sentiers, les ponts, les plaines, les collines, les vallées, les bois, encombrés par cette évasion de quarante mille hommes. Cris, désespoirs, sacs et fusils jetés dans les seigles, passages frayés à coups d’épée, plus de camarades, plus d’officiers, plus de généraux, une inexprimable épouvante. Zieten sabrant la France à son aise. Les lions devenus chevreuils. Telle fut cette fuite.

    À Genappe, on essaya de se retourner, de faire front, d’enrayer. Lobau rallia trois cents hommes. On barricada l’entrée du village ; mais à la première volée de la mitraille prussienne, tout se remit à fuir, et Lobau fut pris. On voit encore aujourd’hui cette volée de mitraille empreinte sur le vieux pignon d’une masure en brique à droite de la route, quelques minutes avant d’entrer à Genappe. Les prussiens s’élancèrent dans Genappe, furieux sans doute d’être si peu vainqueurs. La poursuite fut monstrueuse. Blücher ordonna l’extermination. Roguet avait donné ce lugubre exemple de menacer de mort tout grenadier français qui lui amènerait un prisonnier prussien. Blücher dépassa Roguet. Le général de la jeune garde, Duhesme, acculé sur la porte d’une auberge de Genappe, rendit son épée à un hussard de la mort qui prit l’épée et tua le prisonnier. La victoire s’acheva par l’assassinat des vaincus. Punissons, puisque nous sommes l’histoire : le vieux Blücher se déshonora. Cette férocité mit le comble au désastre. La déroute désespérée traversa Genappe, traversa les Quatre-Bras, traversa Gosselies, traversa Frasnes, traversa Charleroi, traversa Thuin, et ne s’arrêta qu’à la frontière. Hélas ! et qui donc fuyait de la sorte ? la grande armée.

    Ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais étonné l’histoire, est-ce que cela est sans cause ? Non. L’ombre d’une droite énorme se projette sur Waterloo. C’est la journée du destin. La force au-dessus de l’homme a donné ce jour-là. De là le pli épouvanté des têtes ; de là toutes ces grandes âmes rendant leur épée. Ceux qui avaient vaincu l’Europe sont tombés terrassés, n’ayant plus rien à dire ni à faire, sentant dans l’ombre une présence terrible. Hoc erat in fatis. Ce jour-là, la perspective du genre humain a changé. Waterloo, c’est le gond du dix-neuvième siècle. La disparition du grand homme était nécessaire à l’avènement du grand siècle. Quelqu’un à qui on ne réplique pas s’en est chargé. La panique des héros s’explique. Dans la bataille de Waterloo, il y a plus du nuage, il y a du météore. Dieu a passé.

    À la nuit tombante, dans un champ près de Genappe, Bernard et Bertrand saisirent par un pan de sa redingote et arrêtèrent un homme hagard, pensif, sinistre, qui, entraîné jusque-là par le courant de la déroute, venait de mettre pied à terre, avait passé sous son bras la bride de son cheval, et, l’œil égaré, s’en retournait seul vers Waterloo. C’était Napoléon essayant encore d’aller en avant, immense somnambule de ce rêve écroulé.


     

    XIV


     

    LE DERNIER CARRÉ


     

    Quelques carrés de la garde, immobiles dans le ruissellement de la déroute comme des rochers dans de l’eau qui coule, tinrent jusqu’à la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inébranlables, s’en laissèrent envelopper. Chaque régiment, isolé des autres et n’ayant plus de lien avec l’armée rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernière action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean. Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux.

    Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de l’artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densité de projectiles, ce carré luttait. Il était commandé par un officier obscur nommé Cambronne. À chaque décharge, le carré diminuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade, rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, s’arrêtant par moment, essoufflés, écoutaient dans les ténèbres ce sombre tonnerre décroissant.

    Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !


     

    XV


     

    CAMBRONNE


     

    Le lecteur français voulant être respecté, le plus beau mot peut-être qu’un français ait jamais dit ne peut lui être répété. Défense de déposer du sublime dans l’histoire.

    À nos risques et périls, nous enfreignons cette défense.

    Donc, parmi tous ces géants, il y eut un titan, Cambronne.

    Dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu.

    L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n’est pas Napoléon en déroute, ce n’est pas Wellington pliant à quatre heures, désespéré à cinq, ce n’est pas Blücher qui ne s’est point battu ; l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne.

    Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre.

    Faire cette réponse à la catastrophe, dire cela au destin, donner cette base au lion futur, jeter cette réplique à la pluie de la nuit, au mur traître de Hougomont, au chemin creux d’Ohain, au retard de Grouchy, à l’arrivée de Blücher, être l’ironie dans le sépulcre, faire en sorte de rester debout après qu’on sera tombé, noyer dans deux syllabes la coalition européenne, offrir aux rois ces latrines déjà connues des césars, faire du dernier des mots le premier en y mêlant l’éclair de la France, clore insolemment Waterloo par le mardi gras, compléter Léonidas par Rabelais, résumer cette victoire dans une parole suprême impossible à prononcer, perdre le terrain et garder l’histoire, après ce carnage avoir pour soi les rieurs, c’est immense.

    C’est l’insulte à la foudre. Cela atteint la grandeur eschylienne.

    Le mot de Cambronne fait l’effet d’une fracture. Qu’est la fracture d’une poitrine par le dédain ; c’est le trop plein de l’agonie qui fait explosion. Qui a vaincu ? Est-ce Wellington ? Non. Sans Blücher il était perdu. Est-ce Blücher ? Non. Si Wellington n’eût pas commencé, Blücher n’aurait pu finir. Ce Cambronne, ce passant de la dernière heure, ce soldat ignoré, cet infiniment petit de la guerre, sent qu’il y a là un mensonge, un mensonge dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment où il en éclate de rage, on lui offre cette dérision : la vie ! Comment ne pas bondir ? Ils sont là, tous les rois de l’Europe, les généraux heureux, les Jupiters tonnants, ils ont cent mille soldats victorieux, et derrière les cent mille, un million, leurs canons, mèche allumée, sont béants, ils ont sous leurs talons la garde impériale et la grande armée, ils viennent d’écraser Napoléon, et il ne reste plus que Cambronne ; il n’y a plus pour protester que ce ver de terre. Il protestera. Alors il cherche un mot comme on cherche une épée. Il lui vient de l’écume, et cette écume, c’est le mot. Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément. Nous le répétons. Dire cela, faire cela, trouver cela, c’est être le vainqueur.

    L’esprit des grands jours entra dans cet homme inconnu à cette minute fatale. Cambronne trouve le mot de Waterloo comme Rouget de l’Isle trouve la Marseillaise, par visitation du souffle d’en haut. Un effluve de l’ouragan divin se détache et vient passer à travers ces hommes, et ils tressaillent, et l’un chante le chant suprême et l’autre pousse le cri terrible. Cette parole du dédain titanique, Cambronne ne la jette pas seulement à l’Europe au nom de l’empire, ce serait peu ; il la jette au passé au nom de la révolution. On l’entend, et l’on reconnaît dans Cambronne la vieille âme des géants. Il semble que c’est Danton qui parle ou Kléber qui rugit.

    Au mot de Cambronne, la voix anglaise répondit : feu ! les batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches d’airain sortit un dernier vomissement de mitraille épouvantable ; une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula, et, quand la fumée se dissipa, il n’y avait plus rien. Ce reste formidable était anéanti, la garde était morte. Les quatre murs de la redoute vivante gisaient, à peine distinguait-on çà et là un tressaillement parmi les cadavres ; et c’est ainsi que les légions françaises, plus grandes que les légions romaines, expirèrent à Mont-Saint-Jean sur la terre mouillée de pluie et de sang, dans les blés sombres, à l’endroit où passe maintenant à quatre heures du matin, en sifflant et en fouettant gaîment son cheval, Joseph, qui fait le service de la malle-poste de Nivelles.


     

    XVI


     

    QUOT LIBRAS IN DUCE ?


     

    La bataille de Waterloo est une énigme. Elle est aussi obscure pour ceux qui l’ont gagnée que pour celui qui l’ont perdue. Pour Napoléon, c’est une panique [3]. Blücher n’y voit que du feu ; Wellington n’y comprend rien. Voyez les rapports. Les bulletins sont confus, les commentaires sont embrouillés. Ceux-ci balbutient, ceux-là bégayent. Jomini partage la bataille de Waterloo en quatre moments ; Muffling la coupe en trois péripéties ; Charras, quoique sur quelques points nous ayons une autre appréciation que lui, a seul saisi de son fier coup d’œil les linéaments caractéristiques de cette catastrophe du génie humain aux prises avec le hasard divin. Tous les autres historiens ont un certain éblouissement, et dans cet éblouissement ils tâtonnent. Journée fulgurante, en effet, écroulement de la monarchie militaire qui, à la grande stupeur des rois, a entraîné tous les royaumes, chute de la force, déroute de la guerre.

    Dans cet événement, empreint de nécessité surhumaine, la part des hommes n’est rien.

    Retirer Waterloo à Wellington et à Blücher, est-ce ôter quelque chose à l’Angleterre et à l’Allemagne ? Non. Ni cette illustre Angleterre ni cette auguste Allemagne ne sont en question dans le problème de Waterloo. Grâce au ciel, les peuples sont grands en dehors des lugubres aventures de l’épée. Ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni la France, ne tiennent dans un fourreau. Dans cette époque où Waterloo n’est qu’un cliquetis de sabres, au-dessus de Blücher l’Allemagne a Gœthe et au-dessus de Wellington l’Angleterre a Byron. Un vaste lever d’idées est propre à notre siècle, et dans cette aurore l’Angleterre et l’Allemagne ont une lueur magnifique. Elles sont majestueuses par ce qu’elles pensent. L’élévation du niveau qu’elles apportent à la civilisation leur est intrinsèque ; il vient d’elles-mêmes, et non d’un accident. Ce qu’elles ont d’agrandissement au dix-neuvième siècle n’a point Waterloo pour source. Il n’y a que les peuples barbares qui aient des crues subites après une victoire. C’est la vanité passagère des torrents enflés d’un orage. Les peuples civilisés, surtout au temps où nous sommes, ne se haussent ni ne s’abaissent par la bonne ou mauvaise fortune d’un capitaine. Leur poids spécifique dans le genre humain résulte de quelque chose de plus qu’un combat. Leur honneur, Dieu merci, leur dignité, leur lumière, leur génie, ne sont pas des numéros que les héros et les conquérants, ces joueurs, peuvent mettre à la loterie des batailles. Souvent bataille perdue, progrès conquis. Moins de gloire, plus de liberté. Le tambour se tait, la raison prend la parole. C’est le jeu à qui perd gagne. Parlons donc de Waterloo froidement des deux côtés. Rendons au hasard ce qui est au hasard et à Dieu ce qui est à Dieu. Qu’est-ce que Waterloo ? Une victoire ? Non. Un quine.

    Quine gagné par l’Europe, payé par la France.

    Ce n’était pas beaucoup la peine de mettre là un lion.

    Waterloo, du reste, est la plus étrange rencontre qui soit dans l’histoire. Napoléon et Wellington. Ce ne sont pas des ennemis, ce sont des contraires. Jamais Dieu, qui se plaît aux antithèses, n’a fait un plus saisissant contraste et une confrontation plus extraordinaire. D’un côté la précision, la prévision, la géométrie, la prudence, la retraite assurée, les réserves ménagées, un sang-froid opiniâtre, une méthode imperturbable, la stratégie qui profite du terrain, la tactique qui équilibre les bataillons, le carnage tiré au cordeau, la guerre réglée montre en main, rien laissé volontairement au hasard, le vieux courage classique, la correction absolue ; de l’autre l’intuition, la divination, l’étrangeté militaire, l’instinct surhumain, le coup d’œil flamboyant, on ne sait quoi qui regarde comme l’aigle et qui frappe comme la foudre, un art prodigieux dans une impétuosité dédaigneuse, tous les mystères d’une âme profonde, l’association avec le destin, le fleuve, la plaine, la forêt, la colline, sommés et en quelque sorte forcés d’obéir, le despote allant jusqu’à tyranniser le champ de bataille, la foi à l’étoile mêlée à la science stratégique, la grandissant, mais la troublant. Wellington était le Barême de la guerre, Napoléon en était le Michel-Ange, et cette fois le génie fut vaincu par le calcul.

    Des deux côtés on attendait quelqu’un. Ce fut le calculateur exact qui réussit. Napoléon attendait Grouchy ; il ne vint pas. Wellington attendait Blücher ; il vint.

    Wellington, c’est la guerre classique qui prend sa revanche. Bonaparte, à son aurore, l’avait rencontrée en Italie, et superbement battue. La vieille chouette avait fui devant le jeune vautour. L’ancienne tactique avait été non seulement foudroyée, mais scandalisée. Qu’était-ce que ce Corse de vingt-six ans, que signifiait cet ignorant splendide qui, ayant tout contre lui, rien pour lui, sans vivres, sans munitions, sans canons, sans souliers, presque sans armée, avec une poignée d’hommes contre des masses, se ruait sur l’Europe coalisée, et gagnait absurdement des victoires dans l’impossible ? D’où sortait ce forcené foudroyant qui, presque sans reprendre haleine, et avec le même jeu de combattants dans la main, pulvérisait l’une après l’autre les cinq armées de l’empereur d’Allemagne, culbutant Beaulieu sur Alvinzi, Wurmser sur Beaulieu, Mélas sur Wurmser, Mack sur Mélas ? Qu’était-ce que ce nouveau venu de la guerre ayant l’effronterie d’un astre ? L’école académique militaire l’excommuniait en lâchant pied. De là une implacable rancune du vieux césarisme contre le nouveau, du sabre correct contre l’épée flamboyante, et de l’échiquier contre le génie. Le 18 juin 1815, cette rancune eut le dernier mot, et au-dessous de Lodi, de Montebello, de Montenotte, de Mantoue, de Marengo, d’Arcole, elle écrivit : Waterloo. Triomphe des médiocres, doux aux majorités. Le destin consentit à cette ironie. À son déclin, Napoléon retrouva devant lui Wurmser jeune.

    Pour avoir Wurmser en effet, il suffît de blanchir les cheveux de Wellington.

    Waterloo est une bataille du premier ordre gagnée par un capitaine du second.

    Ce qu’il faut admirer dans la bataille de Waterloo, c’est l’Angleterre, c’est la fermeté anglaise, c’est la résolution anglaise, c’est le sang anglais ; ce que l’Angleterre a eu là de superbe, ne lui en déplaise, c’est elle-même. Ce n’est pas son capitaine, c’est son armée.

    Wellington, bizarrement ingrat, déclare dans une lettre à lord Bathurst que son armée, l’armée qui a combattu le 18 juin 1815, était une « détestable armée ». Qu’en pense cette sombre mêlée d’ossements enfouis sous les sillons de Waterloo ?

    L’Angleterre a été trop modeste vis-à-vis de Wellington. Faire Wellington si grand, c’est faire l’Angleterre petite. Wellington n’est qu’un héros comme un autre. Ces Écossais gris, ces horse-guards, ces régiments de Maitland et de Mitchell, cette infanterie de Pack et de Kempt, cette cavalerie de Ponsomby et de Somerset, ces highlanders jouant du pibroch sous la mitraille, ces bataillons de Rylandt, ces recrues toutes fraîches qui savaient à peine manier le mousquet tenant tête aux vieilles bandes d’Essling et de Rivoli, voilà ce qui est grand. Wellington a été tenace, ce fut là son mérite, et nous ne le lui marchandons pas, mais le moindre de ses fantassins et de ses cavaliers a été tout aussi solide que lui. L’iron-soldier vaut l’iron-duke. Quant à nous, toute notre glorification va au soldat anglais. Si trophée il y a, c’est à l’Angleterre que le trophée est dû. La colonne de Waterloo serait plus juste si, au lieu de la figure d’un homme, elle élevait dans la nue la statue d’un peuple.

    Mais cette grande Angleterre s’irritera de ce que nous disons ici. Elle a encore, après son 1688 et notre 1789, l’illusion féodale. Elle croit à l’hérédité et à la hiérarchie. Ce peuple, qu’aucun ne dépasse en puissance et en gloire, s’estime comme nation, non comme peuple. En tant que peuple, il se subordonne volontiers et prend un lord pour une tête. Workman, il se laisse dédaigner ; soldat, il se laisse bâtonner. On se souvient qu’à la bataille d’Inkermann un sergent qui, à ce qu’il paraît, avait sauvé l’armée, ne put être mentionné par lord Raglan, la hiérarchie militaire anglaise ne permettant de citer dans un rapport aucun héros au-dessous du grade d’officier.

    Ce que nous admirons par-dessus tout, dans une rencontre du genre de celle de Waterloo, c’est la prodigieuse habileté du hasard. Pluie nocturne, mur de Hugomont, chemin creux d’Ohain, Grouchy sourd au canon, guide de Napoléon qui le trompe, guide de Bülow qui l’éclaire ; tout ce cataclysme est merveilleusement conduit.

    Au total, disons-le, il y eut à Waterloo plus de massacre que de bataille.

    Waterloo est de toutes les batailles rangées celle qui a le plus petit front sur un tel nombre de combattants. Napoléon, trois quarts de lieue, Wellington, une demi-lieue ; soixante-douze mille combattants de chaque côté. De cette épaisseur vint le carnage.

    On a fait ce calcul et établi cette proportion : Perte d’hommes : ― À Austerlitz, français, quatorze pour cent ; russes, trente pour cent ; autrichiens, quarante-quatre pour cent. À Wagram, français, treize pour cent ; autrichiens, quatorze. À la Moskowa, français, trente-sept pour cent ; russes, quarante-quatre. À Bautzen, français, treize pour cent ; russes et prussiens, quatorze. À Waterloo, français, cinquante-six pour cent ; alliés, trente et un. Total pour Waterloo, quarante et un pour cent. Cent quarante-quatre mille combattants ; soixante mille morts.

    Le champ de Waterloo aujourd’hui a le calme qui appartient à la terre, support impassible de l’homme, et il ressemble à toutes les plaines.

    La nuit pourtant une espèce de brume visionnaire s’en dégage, et si quelque voyageur s’y promène, s’il regarde, s’il écoute, s’il rêve comme Virgile devant les funestes plaines de Philippes, l’hallucination de la catastrophe le saisit. L’effrayant 18 juin revit ; la fausse colline monument s’efface, ce lion quelconque se dissipe, le champ de bataille reprend sa réalité ; des lignes d’infanterie ondulent dans la plaine, des galops furieux traversent l’horizon ; le songeur effaré voit l’éclair des sabres, l’étincelle des bayonnettes, le flamboiement des bombes, l’entrecroisement monstrueux des tonnerres ; il entend, comme un râle au fond d’une tombe, la clameur vague de la bataille fantôme ; ces ombres, ce sont les grenadiers ; ces lueurs, ce sont les cuirassiers ; ce squelette, c’est Napoléon ; ce squelette, c’est Wellington ; tout cela n’est plus et se heurte et combat encore ; et les ravins s’empourprent, et les arbres frissonnent, et il y a de la furie jusque dans les nuées, et, dans les ténèbres, toutes ces hauteurs farouches, Mont-Saint-Jean, Hougomont, Frischemont, Papelotte, Plancenoit, apparaissent confusément couronnées de tourbillons de spectres s’exterminant.


     

    XVII


     

    FAUT-IL TROUVER BON WATERLOO ?


     

    Il existe une école libérale très respectable qui ne hait point Waterloo. Nous n’en sommes pas. Pour nous, Waterloo n’est que la date stupéfaite de la liberté. Qu’un tel aigle sorte d’un tel œuf, c’est à coup sûr l’inattendu.

    Waterloo, si l’on se place au point de vue culminant de la question, est intentionnellement une victoire contre-révolutionnaire. C’est l’Europe contre la France, c’est Pétersbourg, Berlin et Vienne contre Paris, c’est le statu quo contre l’initiative, c’est le 14 juillet 1789 attaqué à travers le 20 mars 1815, c’est le branle-bas des monarchies contre l’indomptable émeute française. Éteindre enfin ce vaste peuple en éruption depuis vingt-six ans, tel était le rêve. Solidarité des Brunswick, des Nassau, des Romanoff, des Hohenzollern, des Habsburg, avec les Bourbons. Waterloo porte en croupe le droit divin. Il est vrai que, l’empire ayant été despotique, la royauté, par la réaction naturelle des choses, devait forcément être libérale, et qu’un ordre constitutionnel à contre-cœur est sorti de Waterloo, au grand regret des vainqueurs. C’est que la révolution ne peut être vraiment vaincue, et qu’étant providentielle et absolument fatale, elle reparaît toujours, avant Waterloo, dans Bonaparte jetant bas les vieux trônes, après Waterloo, dans Louis XVIII octroyant et subissant la Charte. Bonaparte met un postillon sur le trône de Naples et un sergent sur le trône de Suède, employant l’inégalité à démontrer l’égalité ; Louis XVIII à Saint-Ouen contresigne la déclaration des droits de l’homme. Voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que la révolution, appelez-la Progrès ; et voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que le progrès, appelez-le Demain. Demain fait irrésistiblement son œuvre, et il la fait dès aujourd’hui. Il arrive toujours à son but, étrangement. Il emploie Wellington à faire de Foy, qui n’était qu’un soldat, un orateur. Foy tombe à Hougomont et se relève à la tribune. Ainsi procède le progrès. Pas de mauvais outil pour cet ouvrier-là. Il ajuste à son travail divin, sans se déconcerter, l’homme qui a enjambé les Alpes, et le bon vieux malade chancelant du père Élysée. Il se sert du podagre comme du conquérant ; du conquérant au dehors, du podagre au dedans. Waterloo, en coupant court à la démolition des trônes européens par l’épée, n’a eu d’autre effet que de faire continuer le travail révolutionnaire d’un autre côté. Les sabreurs ont fini, c’est le tour des penseurs. Le siècle que Waterloo voulait arrêter a marché dessus et a poursuivi sa route. Cette victoire sinistre a été vaincue par la liberté.

    En somme, et incontestablement, ce qui triomphait à Waterloo, ce qui souriait derrière Wellington, ce qui lui apportait tous les bâtons de maréchal de l’Europe, y compris, dit-on, le bâton de maréchal de France, ce qui roulait joyeusement les brouettées de terre pleine d’ossements pour élever la butte du lion, ce qui a triomphalement écrit sur ce piédestal cette date : 18 juin 1815, ce qui encourageait Blücher sabrant la déroute, ce qui du haut du plateau de Mont-Saint-Jean se penchait sur la France comme sur une proie, c’était la contre-révolution. C’est la contre-révolution qui murmurait ce mot infâme : démembrement. Arrivée à Paris, elle a vu le cratère de près, elle a senti que cette cendre lui brûlait les pieds, et elle s’est ravisée. Elle est revenue au bégaiement d’une charte.

    Ne voyons dans Waterloo que ce qui est dans Waterloo. De liberté intentionnelle, point. La contre-révolution était involontairement libérale, de même que, par un phénomène correspondant, Napoléon était involontairement révolutionnaire. Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné.


     

    XVIII


     

    RECRUDESCENCE DU DROIT DIVIN


     

    Fin de la dictature. Tout un système d’Europe croula.

    L’empire s’affaissa dans une ombre qui ressembla à celle du monde romain expirant. On revit de l’abîme comme au temps des barbares. Seulement la barbarie de 1815, qu’il faut nommer, de son petit nom, la contre-révolution, avait peu d’haleine, s’essouffla vite, et resta court. L’empire, avouons-le, fut pleuré, et pleuré par des yeux héroïques. Si la gloire est dans le glaive fait sceptre, l’empire avait été la gloire même. Il avait répandu sur la terre toute la lumière que la tyrannie peut donner ; lumière sombre. Disons plus : lumière obscure. Comparée au vrai jour, c’est de la nuit. Cette disparition de la nuit fit l’effet d’une éclipse.

    Louis XVIII rentra dans Paris. Les danses en rond du 8 juillet effacèrent les enthousiasmes du 20 mars. Le corse devint l’antithèse du béarnais. Le drapeau du dôme des Tuileries fut blanc. L’exil trôna. La table de sapin de Hartwell prit place devant le fauteuil fleurdelysé de Louis XIV. On parla de Bouvines et de Fontenoy comme d’hier, Austerlitz ayant vieilli. L’autel et le trône fraternisèrent majestueusement. Une des formes les plus incontestées du salut de la société au dix-neuvième siècle s’établit sur la France et sur le continent. L’Europe prit la cocarde blanche. Trestaillon fut célèbre. La devise non pluribus impar reparut dans des rayons de pierre figurant un soleil sur la façade de la caserne du quai d’Orsay. Où il y avait eu une garde impériale, il y eut une maison rouge. L’arc du Carrousel, tout chargé de victoires mal portées, dépaysé dans ces nouveautés, un peu honteux peut-être de Marengo et d’Arcole, se tira d’affaire avec la statue du duc d’Angoulême. Le cimetière de la Madeleine, redoutable fosse commune de 93, se couvrit de marbre et de jaspe, les os de Louis XVI et de Marie-Antoinette étant dans cette poussière. Dans le fossé de Vincennes, un cippe sépulcral sortit de terre, rappelant que le duc d’Enghien était mort dans le mois même où Napoléon avait été couronné. Le pape Pie VII, qui avait fait ce sacre très près de cette mort, bénit tranquillement la chute comme il avait béni l’élévation. Il y eut à Schœnbrunn une petite ombre âgée de quatre ans qu’il fut séditieux d’appeler le roi de Rome. Et ces choses se sont faites, et ces rois ont repris leurs trônes, et le maître de l’Europe a été mis dans une cage, et l’ancien régime est devenu le nouveau, et toute l’ombre et toute la lumière de la terre ont changé de place, parce que, dans l’après-midi d’un jour d’été, un pâtre a dit à un prussien dans un bois : passez par ici et non par là !

    Ce 1815 fut une sorte d’avril lugubre. Les vieilles réalités malsaines et vénéneuses se couvrirent d’apparences neuves. Le mensonge épousa 1789, le droit divin se masqua d’une charte, les fictions se firent constitutionnelles, les préjugés, les superstitions et les arrière-pensées, avec l’article 14 au cœur, se vernirent de libéralisme. Changement de peau des serpents.

    L’homme avait été à la fois agrandi et amoindri par Napoléon. L’idéal, sous ce règne de la matière splendide, avait reçu le nom étrange d’idéologie. Grave imprudence d’un grand homme, tourner en dérision l’avenir. Les peuples cependant, cette chair à canon si amoureuse du canonnier, le cherchaient des yeux. Où est-il ? Que fait-il ? Napoléon est mort, disait un passant à un invalide de Marengo et de Waterloo. — Lui mort ! s’écria ce soldat, vous le connaissez bien ! Les imaginations déifiaient cet homme terrassé. Le fond de l’Europe, après Waterloo, fut ténébreux. Quelque chose d’énorme resta longtemps vide par l’évanouissement de Napoléon.

    Les rois se mirent dans ce vide. La vieille Europe en profita pour se reformer. Il y eut une Sainte-Alliance. Belle-Alliance, avait dit d’avance le champ fatal de Waterloo.

    En présence et en face de cette antique Europe refaite, les linéaments d’une France nouvelle s’ébauchèrent. L’avenir, raillé par l’empereur, fit son entrée. Il avait sur le front cette étoile, Liberté. Les yeux ardents des jeunes générations se tournèrent vers lui. Chose singulière, on s’éprit en même temps de cet avenir, Liberté, et de ce passé, Napoléon. La défaite avait grandi le vaincu. Bonaparte tombé semblait plus haut que Napoléon debout. Ceux qui avaient triomphé eurent peur. L’Angleterre le fit garder par Hudson Lowe et la France le fit guetter par Montchenu. Ses bras croisés devinrent l’inquiétude des trônes. Alexandre le nommait : mon insomnie. Cet effroi venait de la quantité de révolution qu’il avait en lui. C’est ce qui explique et excuse le libéralisme bonapartiste. Ce fantôme donnait le tremblement au vieux monde. Les rois régnèrent mal à leur aise, avec le rocher de Sainte-Hélène à l’horizon.

    Pendant que Napoléon agonisait à Longwood, les soixante mille hommes tombés dans le champ de Waterloo pourrirent tranquillement, et quelque chose de leur paix se répandit dans le monde. Le congrès de Vienne en fit les traités de 1815, et l’Europe nomma cela la restauration.

    Voilà ce que c’est que Waterloo.

    Mais qu’importe à l’infini ? Toute cette tempête, tout ce nuage, cette guerre, puis cette paix, toute cette ombre, ne troubla pas un moment la lueur de l’œil immense devant lequel un puceron sautant d’un brin d’herbe à l’autre égale l’aigle volant de clocher en clocher aux tours de Notre-Dame.


     

    XIX


     

    LE CHAMP DE BATAILLE LA NUIT


     

    Revenons, c’est une nécessité de ce livre, sur ce fatal champ de bataille.

    Le 18 juin 1815, c’était pleine lune. Cette clarté favorisa la poursuite féroce de Blücher, dénonça les traces des fuyards, livra cette masse désastreuse à la cavalerie prussienne acharnée, et aida au massacre. Il y a parfois dans les catastrophes de ces tragiques complaisances de la nuit.

    Après le dernier coup de canon tiré, la plaine de Mont-Saint-Jean resta déserte.

    Les anglais occupèrent le campement des français ; c’est la constatation habituelle de la victoire ; coucher dans le lit du vaincu. Ils établirent leur bivouac au delà de Rossomme. Les prussiens, lâchés sur la déroute, poussèrent en avant, Wellington alla au village de Waterloo rédiger son rapport à lord Bathurst.

    Si jamais le sic vos non vobis a été applicable, c’est à coup sûr à ce village de Waterloo. Waterloo n’a rien fait, et est resté à une demi-lieue de l’action. Mont-Saint-Jean a été canonné, Hougomont a été brûlé, Plancenoit a été brûlé, la Haie-Sainte a été prise d’assaut, la Belle-Alliance a vu l’embrasement des deux vainqueurs ; on sait à peine ces noms, et Waterloo qui n’a point travaillé dans la bataille en a tout l’honneur.

    Nous ne sommes pas de ceux qui flattent la guerre ; quand l’occasion s’en présente, nous lui disons ses vérités. La guerre a d’affreuses beautés que nous n’avons point cachées ; elle a aussi, convenons-en, quelques laideurs. Une des plus surprenantes, c’est le prompt dépouillement des morts après la victoire. L’aube qui suit une bataille se lève toujours sur des cadavres nus.

    Qui fait cela ? Qui souille ainsi le triomphe ? Quelle est cette hideuse main furtive qui se glisse dans la poche de la victoire ? Quels sont ces filous faisant leur coup derrière la gloire ? Quelques philosophes, Voltaire entre autres, affirment que ce sont précisément ceux-là qui ont fait la gloire. Ce sont les mêmes, disent-ils, il n’y a pas de rechange, ceux qui sont debout pillent ceux qui sont à terre. Le héros du jour est le vampire de la nuit. On a bien le droit, après tout, de détrousser un peu un cadavre dont on est l’auteur. Quant à nous, nous ne le croyons pas. Cueillir des lauriers et voler les souliers d’un mort, cela nous semble impossible à la même main.

    Ce qui est certain, c’est que, d’ordinaire, après les vainqueurs viennent les voleurs. Mais mettons le soldat, surtout le soldat contemporain, hors de cause.

    Toute armée a une queue, et c’est là ce qu’il faut accuser. Des êtres chauves-souris, mi-partis brigands et valets, toutes les espèces de vespertilio qu’engendre ce crépuscule qu’on appelle la guerre, des porteurs d’uniformes qui ne combattent pas, de faux malades, des éclopés redoutables, des cantiniers interlopes trottant quelquefois avec leurs femmes, sur de petites charrettes et volant ce qu’ils revendent, des mendiants s’offrant pour guides aux officiers, des goujats, des maraudeurs, les armées en marche autrefois, — nous ne parlons pas du temps présent, — traînaient tout cela, si bien que, dans la langue spéciale, cela s’appelait « les traînards ». Aucune armée ni aucune nation n’étaient responsables de ces êtres ; ils parlaient italien et suivaient les allemands ; ils parlaient français et suivaient les anglais. C’est par un de ces misérables, traînard espagnol qui parlait français, que le marquis de Fervacques, trompé par son baragouin picard, et le prenant pour un des nôtres, fut tué en traître et volé sur le champ de bataille même, dans la nuit qui suivit la victoire de Cerisoles. De la maraude naissait le maraud. La détestable maxime : vivre sur l’ennemi, produisait cette lèpre, qu’une forte discipline pouvait seule guérir. Il y a des renommées qui trompent ; on ne sait pas toujours pourquoi de certains généraux, grands d’ailleurs, ont été si populaires. Turenne était adoré de ses soldats parce qu’il tolérait le pillage ; le mal permis fait partie de la bonté ; Turenne était si bon qu’il a laissé mettre à feu et à sang le Palatinat. On voyait à la suite des armées moins ou plus de maraudeurs selon que le chef était plus ou moins sévère. Hoche et Marceau n’avaient point de traînards ; Wellington, nous lui rendons volontiers cette justice, en avait peu.

    Pourtant, dans la nuit du 18 au 19 juin, on dépouilla les morts. Wellington fut rigide ; ordre de passer par les armes quiconque serait pris en flagrant délit ; mais la rapine est tenace. Les maraudeurs volaient dans un coin du champ de bataille pendant qu’on les fusillait dans l’autre.

    La lune était sinistre sur cette plaine.

    Vers minuit, un homme rôdait, ou plutôt rampait, du côté du chemin creux d’Ohain. C’était, selon toute apparence, un de ceux que nous venons de caractériser, ni anglais, ni français, ni paysan, ni soldat, moins homme que goule, attiré par le flair des morts, ayant pour victoire le vol, venant dévaliser Waterloo. Il était vêtu d’une blouse qui était un peu une capote, il était inquiet et audacieux, il allait devant lui et regardait derrière lui. Qu’était-ce que cet homme ? La nuit probablement en savait plus sur son compte que le jour. Il n’avait point de sac, mais évidemment de larges poches sous sa capote. De temps en temps, il s’arrêtait, examinait la plaine autour de lui comme pour voir s’il n’était pas observé, se penchait brusquement, dérangeait à terre quelque chose de silencieux et d’immobile, puis se redressait et s’esquivait. Son glissement, ses attitudes, son geste rapide et mystérieux le faisaient ressembler à ces larves crépusculaires qui hantent les ruines et que les anciennes légendes normandes appellent les Alleurs.

    De certains échassiers nocturnes font de ces silhouettes dans les marécages.

    Un regard qui eût sondé attentivement toute cette brume eût pu remarquer, à quelque distance, arrêté et comme caché derrière la masure qui borde sur la chaussée de Nivelles l’angle de la route de Mont-Saint-Jean à Braine-l’Alleud, une façon de petit fourgon de vivandier à coiffe d’osier goudronnée, attelé d’une haridelle affamée broutant l’ortie à travers son mors, et dans ce fourgon une espèce de femme assise sur des coffres et des paquets. Peut-être y avait-il un lien entre ce fourgon et ce rôdeur.

    L’obscurité était sereine. Pas un nuage au zénith. Qu’importe que la terre soit rouge, la lune reste blanche. Ce sont là les indifférences du ciel. Dans les prairies, des branches d’arbre cassées par la mitraille mais non tombées et retenues par l’écorce se balançaient doucement au vent de la nuit. Une haleine, presque une respiration, remuait les broussailles. Il y avait dans l’herbe des frissons qui ressemblaient à des départs d’âmes.

    On entendait vaguement au loin aller et venir les patrouilles et les rondes-major du campement anglais.

    Hougomont et la Haie-Sainte continuaient de brûler, faisant, l’un à l’ouest, l’autre à l’est, deux grosses flammes auxquelles venait se rattacher, comme un collier de rubis dénoué ayant à ses extrémités deux escarboucles, le cordon de feux du bivouac anglais étalé en demi-cercle immense sur les collines de l’horizon.

    Nous avons dit la catastrophe du chemin d’Ohain. Ce qu’avait été cette mort pour tant de braves, le cœur s’épouvante d’y songer.

    Si quelque chose est effroyable, s’il existe une réalité qui dépasse le rêve, c’est ceci : vivre, voir le soleil, être en pleine possession de la force virile, avoir la santé et la joie, rire vaillamment, courir vers une gloire qu’on a devant soi, éblouissante, se sentir dans la poitrine un poumon qui respire, un cœur qui bat, une volonté qui raisonne, parler, penser, espérer, aimer, avoir une mère, avoir une femme, avoir des enfants, avoir la lumière, et tout à coup, le temps d’un cri, en moins d’une minute, s’effondrer dans un abîme, tomber, rouler, écraser, être écrasé, voir des épis de blé, des fleurs, des feuilles, des branches, ne pouvoir se retenir à rien, sentir son sabre inutile, des hommes sous soi, des chevaux sur soi, se débattre en vain, les os brisés par quelque ruade dans les ténèbres, sentir un talon qui vous fait jaillir les yeux, mordre avec rage des fers de chevaux, étouffer, hurler, se tordre, être là-dessous, et se dire : tout à l’heure j’étais un vivant !

    Là où avait râlé ce lamentable désastre, tout faisait silence maintenant. L’encaissement du chemin creux était comble de chevaux et de cavaliers inextricablement amoncelés. Enchevêtrement terrible. Il n’y avait plus de talus, les cadavres nivelaient la route avec la plaine et venaient au ras du bord comme un boisseau d’orge bien mesuré. Un tas de morts dans la partie haute, une rivière de sang dans la partie basse ; telle était cette route, le soir du 18 juin 1815. Le sang coulait jusque sur la chaussée de Nivelles et s’y extravasait en une large mare devant l’abattis d’arbres qui barrait la chaussée, à un endroit qu’on montre encore. C’est, on s’en souvient, au point opposé, vers la chaussée de Genappe, qu’avait eu lieu l’effondrement des cuirassiers. L’épaisseur des cadavres se proportionnait à la profondeur du chemin creux. Vers le milieu, à l’endroit où il devenait plan, là où avait passé la division Delord, la couche des morts s’amincissait.

    Le rôdeur nocturne que nous venons de faire entrevoir au lecteur allait de ce côté, il furetait cette immense tombe. Il regardait. Il passait on ne sait quelle hideuse revue des morts. Il marchait les pieds dans le sang.

    Tout à coup il s’arrêta.

    À quelques pas devant lui, dans le chemin creux, au point où finissait le monceau des morts, de dessous cet amas d’hommes et de chevaux, sortait une main ouverte, éclairée par la lune.

    Cette main avait au doigt quelque chose qui brillait, et qui était un anneau d’or.

    L’homme se courba, demeura un moment accroupi, et quand il se releva, il n’y avait plus d’anneau à cette main.

    Il ne se releva pas précisément ; il resta dans une attitude fausse et effarouchée, tournant le dos au tas de morts, scrutant l’horizon, à genoux, tout l’avant du corps portant sur les deux index appuyés à terre, la tête guettant par-dessus le bord du chemin creux. Les quatre pattes du chacal conviennent à de certaines actions.

    Puis, prenant son parti, il se dressa.

    En ce moment il eut un soubresaut. Il sentit que par derrière on le tenait.

    Il se retourna ; c’était la main ouverte qui s’était refermée et qui avait saisi le pan de sa capote.

    Un honnête homme eût eu peur. Celui-ci se mit à rire.

    Tiens, dit-il, ce n’est que le mort. J’aime mieux un revenant qu’un gendarme.

    Cependant la main défaillit et le lâcha. L’effort s’épuise vite dans la tombe.

    Ah çà ! reprit le rôdeur, est-il vivant ce mort ? Voyons donc.

    Il se pencha de nouveau, fouilla le tas, écarta ce qui faisait obstacle, saisit la main, empoigna le bras, dégagea la tête, tira le corps, et quelques instants après il traînait dans l’ombre du chemin creux un homme inanimé, au moins évanoui. C’était un cuirassier, un officier, un officier même d’un certain rang ; une grosse épaulette d’or sortait de dessous la cuirasse ; cet officier n’avait plus de casque. Un furieux coup de sabre balafrait son visage où l’on ne voyait que du sang. Du reste, il ne semblait pas qu’il eût de membre cassé, et par quelque hasard heureux, si ce mot est possible ici, les morts s’étaient arc-boutés au-dessus de lui de façon à le garantir de l’écrasement. Ses yeux étaient fermés.

    Il avait sur sa cuirasse la croix d’argent de la Légion d’honneur.

    Le rôdeur arracha cette croix qui disparut dans un des gouffres qu’il avait sous sa capote.

    Après quoi, il tâta le gousset de l’officier, y sentit une montre et la prit. Puis il fouilla le gilet, y trouva une bourse et l’empocha.

    Comme il en était à cette phase des secours qu’il portait à ce mourant, l’officier ouvrit les yeux.

    Merci, dit-il faiblement.

    La brusquerie des mouvements de l’homme qui le maniait, la fraîcheur de la nuit, l’air respiré librement, l’avaient tiré de sa léthargie.

    Le rôdeur ne répondit point. Il leva la tête. On entendait un bruit de pas dans la plaine ; probablement quelque patrouille qui approchait.

    L’officier murmura, car il y avait encore de l’agonie dans sa voix :

    Qui a gagné la bataille ?

    Les anglais, répondit le rôdeur.

    L’officier reprit :

    Cherchez dans mes poches. Vous y trouverez une bourse et une montre. Prenez-les.

    C’était déjà fait.

    Le rôdeur exécuta le semblant demandé, et dit :

    Il n’y a rien.

    On m’a volé, reprit l’officier, j’en suis fâché. C’eût été pour vous.

    Les pas de la patrouille devenaient de plus en plus distincts.

    Voici qu’on vient, dit le rôdeur, faisant le mouvement d’un homme qui s’en va.

    L’officier, soulevant péniblement le bras, le retint : — Vous m’avez sauvé la vie. Qui êtes-vous ?

    Le rôdeur répondit vite et bas :

    J’étais comme vous de l’armée française. Il faut que je vous quitte. Si l’on me prenait, on me fusillerait. Je vous ai sauvé la vie. Tirez-vous d’affaire maintenant.

    Quel est votre grade ?

    Sergent.

    Comment vous appelez-vous ?

    Thénardier.

    Je n’oublierai pas ce nom, dit l’officier. Et vous, retenez le mien. Je me nomme Pontmercy.


    I


     

    LE NUMÉRO 24601 DEVIENT LE NUMÉRO 9430

    Jean Valjean avait été repris.

    On nous saura gré de passer rapidement sur des détails douloureux. Nous nous bornons à transcrire deux entrefilets publiés par les journaux du temps, quelques mois après les événements surprenants accomplis à Montreuil-sur-Mer.

    Ces articles sont un peu sommaires. On se souvient qu’il n’existait pas encore à cette époque de Gazette des Tribunaux.

    Nous empruntons le premier au Drapeau blanc. Il est daté du 25 juillet 1823 :


     

    « — Un arrondissement du Pas-de-Calais vient d’être le théâtre d’un événement peu ordinaire. Un homme étranger au département et nommé M. Madeleine avait relevé depuis quelques années, grâce à des procédés nouveaux, une ancienne industrie locale, la fabrication des jais et des verroteries noires. Il y avait fait sa fortune, et, disons-le, celle de l’arrondissement. En reconnaissance de ses services, on l’avait nommé maire. La police a découvert que ce M. Madeleine n’était autre qu’un ancien forçat en rupture de ban, condamné en 1796 pour vol, et nommé Jean Valjean. Jean Valjean a été réintégré au bagne. Il paraît qu’avant son arrestation il avait réussi à retirer de chez M. Laffitte une somme de plus d’un demi-million qu’il y avait placée, et qu’il avait, du reste, très légitimement, dit-on, gagnée dans son commerce. On n’a pu savoir où Jean Valjean avait caché cette somme depuis sa rentrée au bagne de Toulon. »


     

    Le deuxième article, un peu plus détaillé, est extrait du Journal de Paris, même date.


     

    « — Un ancien forçat libéré, nommé Jean Valjean, vient de comparaître devant la cour d’assises du Var dans des circonstances faites pour appeler l’attention. Ce scélérat était parvenu à tromper la vigilance de la police ; il avait changé de nom et avait réussi à se faire nommer maire d’une de nos petites villes du Nord. Il avait établi dans cette ville un commerce assez considérable. Il a été enfin démasqué et arrêté, grâce au zèle infatigable du ministère public. Il avait pour concubine une fille publique qui est morte de saisissement au moment de son arrestation. Ce misérable, qui est doué d’une force herculéenne, avait trouvé moyen de s’évader ; mais, trois ou quatre jours après son évasion, la police mit de nouveau la main sur lui, à Paris même, au moment où il montait dans une de ces petites voitures qui font le trajet de la capitale au village de Montfermeil (Seine-et-Oise). On dit qu’il avait profité de l’intervalle de ces trois ou quatre jours de liberté pour retirer une somme considérable placée par lui chez un de nos principaux banquiers. On évalue cette somme à six ou sept cent mille francs. À en croire l’acte d’accusation, il l’aurait enfouie en un lieu connu de lui seul et l’on n’a pas pu la saisir. Quoi qu’il en soit, le nommé Jean Valjean vient d’être traduit aux assises du département du Var comme accusé d’un vol de grand chemin commis à main armée, il y a huit ans environ, sur la personne d’un de ces honnêtes enfants qui, comme l’a dit le patriarche de Ferney en vers immortels :

  • «… De Savoie arrivent tous les ans
    « Et dont la main légèrement essuie
    « Ces longs canaux engorgés par la suie.
  • Il le faut, disait un guerrier.
  • Je les donnerai, dit la mère, j’ai quatre-vingts francs. Il me restera de quoi aller au pays. En allant à pied. Je gagnerai de l’argent là-bas, et dès que j’en aurai un peu, je reviendrai chercher l’amour.

    La voix d’homme reprit :

    La petite a un trousseau ?

    C’est mon mari, dit la Thénardier.

    Sans doute elle a un trousseau, le pauvre trésor. J’ai bien vu que c’était votre mari. Et un beau trousseau encore ! un trousseau insensé. Tout par douzaines ; et des robes de soie comme une dame. Il est là dans mon sac de nuit.

    Il faudra le donner, repartit la voix d’homme.

    Je crois bien que je le donnerai ! dit la mère. Ce serait cela qui serait drôle si je laissais ma fille toute nue !

    La face du maître apparut.

    C’est bon, dit-il.

    Le marché fut conclu. La mère passa la nuit à l’auberge, donna son argent et laissa son enfant, renoua son sac de nuit dégonflé du trousseau et léger désormais, et partit le lendemain matin, comptant revenir bientôt. On arrange tranquillement ces départs-là, mais ce sont des désespoirs.

    Une voisine des Thénardier rencontra cette mère comme elle s’en allait, et s’en revint en disant :

    Je viens de voir une femme qui pleure dans la rue, que c’est un déchirement.

    Quand la mère de Cosette fut partie, l’homme dit à la femme :

    Cela va me payer mon effet de cent dix francs qui échoit demain. Il me manquait cinquante francs. Sais-tu que j’aurais eu l’huissier et un protêt ? Tu as fait là une bonne souricière avec tes petites.

    Sans m’en douter, dit la femme.


     

    II

    PREMIÈRE ESQUISSE
    DE DEUX FIGURES LOUCHES


     

    La souris prise était bien chétive ; mais le chat se réjouit même d’une souris maigre.

    Qu’était-ce que les Thénardier ?

    Disons-en un mot dès à présent. Nous compléterons le croquis plus tard.

    Ces êtres appartenaient à cette classe bâtarde composée de gens grossiers parvenus et de gens intelligents déchus,qui est entre la classe dite moyenne et la classe dite inférieure, et qui combine quelques-uns des défauts de la seconde avec presque tous les vices de la première, sans avoir le généreux élan de l’ouvrier ni l’ordre honnête du bourgeois.

    C’étaient de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d’une brute et dans l’homme l’étoffe d’un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l’espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu’elles n’y avancent, employant l’expérience à augmenter leur difformité, empirant sans cesse, et s’imprégnant de plus en plus d’une noirceur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.

    Le Thénardier particulièrement était gênant pour le physionomiste. On n’a qu’à regarder certains hommes pour s’en défier, on les sent ténébreux à leurs deux extrémités. Ils sont inquiets derrière eux et menaçants devant eux. Il y a en eux de l’inconnu. On ne peut pas plus répondre de ce qu’ils ont fait que de ce qu’ils feront. L’ombre qu’ils ont dans le regard les dénonce. Rien qu’en les entendant dire un mot ou qu’en les voyant faire un geste on entrevoit de sombres secrets dans leur passé et de sombres mystères dans leur avenir.

    Ce Thénardier, s’il fallait l’en croire, avait été soldat ; sergent, disait-il ; il avait fait probablement la campagne de 1815, et s’était même comporté assez bravement, à ce qu’il paraît. Nous verrons plus tard ce qu’il en était. L’enseigne de son cabaret était une allusion à l’un de ses faits d’armes. Il l’avait peinte lui-même, car il savait faire un peu de tout ; mal.

    C’était l’époque où l’antique roman classique, qui, après avoir été Clélie, n’était plus que Lodoïska, toujours noble, mais de plus en plus vulgaire, tombé de mademoiselle de Scudéri à madame Bournon-Malarme, et de madame de Lafayette à madame Barthélémy-Hadot, incendiait l’âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue. Madame Thénardier était juste assez intelligente pour lire ces espèces de livres. Elle s’en nourrissait. Elle y noyait ce qu’elle avait de cervelle ; cela lui avait donné, tant qu’elle avait été très jeune, et même un peu plus tard, une sorte d’attitude pensive près de son mari, coquin d’une certaine profondeur, ruffian lettré à la grammaire près, grossier et fin en même temps, mais, en fait de sentimentalisme, lisant Pigault-Lebrun, et pour « tout ce qui touche le sexe », comme il disait dans son jargon, butor correct et sans mélange. Sa femme avait quelque douze ou quinze ans de moins que lui. Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la Mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu’une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aînée se nomma Éponine. Quant à la cadette, la pauvre petite faillit se nommer Gulnare ; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil, de ne s’appeler qu’Azelma.

    Au reste, pour le dire en passant, tout n’est pas ridicule et superficiel dans cette curieuse époque à laquelle nous faisons ici allusion, et qu’on pourrait appeler l’anarchie des noms de baptême. À côté de l’élément romanesque, que nous venons d’indiquer, il y a le symptôme social. Il n’est pas rare aujourd’hui que le garçon bouvier se nomme Arthur, Alfred ou Alphonse, et que le vicomte — s’il y a encore des vicomtes — se nomme Thomas, Pierre ou Jacques. Ce déplacement qui met le nom « élégant » sur le plébéien et le nom campagnard sur l’aristocrate n’est autre chose qu’un remous d’égalité. L’irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde : la révolution française.


     

    III

    L’ALOUETTE.


     

    Il ne suffit pas d’être méchant pour prospérer. La gargote allait mal.

    Grâce aux cinquante-sept francs de la voyageuse, Thénardier avait pu éviter un protêt et faire honneur à sa signature. Le mois suivant ils eurent encore besoin d’argent ; la femme porta à Paris et engagea au mont-de-piété le trousseau de Cosette pour une somme de soixante francs. Dès que cette somme fut dépensée, les Thénardier s’accoutumèrent à ne plus voir dans la petite fille qu’un enfant qu’ils avaient chez eux par charité, et la traitèrent en conséquence. Comme elle n’avait plus de trousseau, on l’habilla des vieilles jupes et des vieilles chemises des petites Thénardier, c’est-à-dire de haillons. On la nourrit des restes de tout le monde, un peu mieux que le chien et un peu plus mal que le chat. Le chat et le chien étaient du reste ses commensaux habituels ; Cosette mangeait avec eux sous la table dans une écuelle de bois pareille à la leur.

    La mère, qui s’était fixée, comme on le verra plus tard, à Montreuil-sur-mer, écrivait, ou, pour mieux dire, faisait écrire tous les mois afin d’avoir des nouvelles de son enfant. Les Thénardier répondaient invariablement : Cosette est à merveille.

    Les six premiers mois révolus, la mère envoya sept francs pour le septième mois, et continua assez exactement ses envois de mois en mois. L’année n’était pas finie que le Thénardier dit : – Une belle grâce qu’elle nous fait là ! que veut-elle que nous fassions avec ses sept francs ? Et il écrivit pour exiger douze francs. La mère, à laquelle ils persuadaient que son enfant était heureuse « et venait bien », se soumit et envoya les douze francs.

    Certaines natures ne peuvent aimer d’un côté sans haïr de l’autre. La mère Thénardier aimait passionnément ses deux filles à elle, ce qui fit qu’elle détesta l’étrangère. Il est triste de songer que l’amour d’une mère peut avoir de vilains aspects. Si peu de place que Cosette tînt chez elle, il lui semblait que cela était pris aux siens, et que cette petite diminuait l’air que ses filles respiraient. Cette femme, comme beaucoup de femmes de sa sorte, avait une somme de caresses et une somme de coups et d’injures à dépenser chaque jour. Si elle n’avait pas eu Cosette, il est certain que ses filles, tout idolâtrées qu’elles étaient, auraient tout reçu ; mais l’étrangère leur rendit le service de détourner les coups sur elle. Ses filles n’eurent que les caresses. Cosette ne faisait pas un mouvement qui ne fît pleuvoir sur sa tête une grêle de châtiments violents et immérités. Doux être faible qui ne devait rien comprendre à ce monde ni à Dieu, sans cesse punie, grondée, rudoyée, battue et voyant à côté d’elle deux petites créatures comme elle, qui vivaient dans un rayon d’aurore !

    La Thénardier étant méchante pour Cosette, Éponine et Azelma furent méchantes. Les enfants, à cet âge, ne sont que des exemplaires de la mère. Le format est plus petit, voilà tout.

    Une année s’écoula, puis une autre.

    On disait dans le village :

    Ces Thénardier sont de braves gens. Ils ne sont pas riches, et ils élèvent un pauvre enfant qu’on leur a abandonné chez eux !

    On croyait Cosette oubliée par sa mère.

    Cependant le Thénardier, ayant appris par on ne sait quelles voies obscures que l’enfant était probablement bâtard et que la mère ne pouvait l’avouer, exigea quinze francs par mois, disant que « la créature » grandissait et mangeait, et menaçant de la renvoyer. « Qu’elle ne m’embête pas ! » s’écriait-il, « je lui bombarde son mioche tout au beau milieu de ses cachoteries. Il me faut de l’augmentation. » La mère paya les quinze francs.

    D’année en année, l’enfant grandit, et sa misère aussi.

    Tant que Cosette fut toute petite, elle fut le souffre-douleur des deux autres enfants ; dès qu’elle se mit à se développer un peu, c’est-à-dire avant même qu’elle eût cinq ans, elle devint la servante de la maison.

    Cinq ans, dira-t-on, c’est invraisemblable. Hélas, c’est vrai. La souffrance sociale commence à tout âge. N’avons-nous pas vu, récemment, le procès d’un nommé Dumolard, orphelin devenu bandit, qui, dès l’âge de cinq ans, disent les documents officiels, étant seul au monde « travaillait pour vivre, et volait ».

    On fit faire à Cosette les commissions, balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter même des fardeaux. Les Thénardier se crurent d’autant plus autorisés à agir ainsi que la mère qui était toujours à Montreuil-sur-mer commença à mal payer. Quelques mois restèrent en souffrance.

    Si cette mère fût revenue à Montfermeil au bout de ces trois années, elle n’eût point reconnu son enfant. Cosette, si jolie et si fraîche à son arrivée dans cette maison, était maintenant maigre et blême. Elle avait je ne sais quelle allure inquiète. Sournoise ! disaient les Thénardier.

    L’injustice l’avait faite hargneuse et la misère l’avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils étaient, il semblait qu’on y vît une plus grande quantité de tristesse.

    C’était une chose navrante de voir, l’hiver, ce pauvre enfant, qui n’avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toile trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux.

    Dans le pays on l’appelait l’Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s’était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu’un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l’aube.

    Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais.


     


     

    I

    HISTOIRE D’UN PROGRÈS DANS LES VERROTERIES NOIRES


     

    Cette mère cependant qui, au dire des gens de Montfermeil, semblait avoir abandonné son enfant, que devenait-elle ? où était-elle ? que faisait-elle ?

    Après avoir laissé sa petite Cosette aux Thénardier, elle avait continué son chemin et était arrivée à Montreuil-sur-Mer. C’était, on se le rappelle, en 1818.

    Fantine avait quitté sa province depuis une dizaine d’années. Montreuil-sur-Mer avait changé d’aspect. Tandis que Fantine descendait lentement de misère en misère, sa ville natale avait prospéré.

    Depuis deux ans environ, il s’y était accompli un de ces faits industriels qui sont les grands événements des petits pays.

    Ce détail importe, et nous croyons utile de le développer ; nous dirions presque, de le souligner.

    De temps immémorial, Montreuil-sur-Mer avait pour industrie spéciale l’imitation des jais anglais et des verroteries noires d’Allemagne. Cette industrie avait toujours végété, à cause de la cherté des matières premières qui réagissait sur la main-d’œuvre. Au moment où Fantine revint à Montreuil-sur-Mer, une transformation inouïe s’était opérée dans cette production des « articles noirs ». Vers la fin de 1815, un homme, un inconnu, était venu s’établir dans la ville et avait eu l’idée de substituer, dans cette fabrication, la gomme laque à la résine et, pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée. Ce tout petit changement avait été une révolution.

    Ce tout petit changement en effet avait prodigieusement réduit le prix de la matière première, ce qui avait permis, premièrement d’élever le prix de la main-d’œuvre, bienfait pour le pays, deuxièmement d’améliorer la fabrication, avantage pour le consommateur, troisièmement de vendre à meilleur marché tout en triplant le bénéfice, profit pour le manufacturier.

    Ainsi pour une idée trois résultats.

    En moins de trois ans, l’auteur de ce procédé était devenu riche, ce qui est bien, et avait tout fait riche autour de lui, ce qui est mieux. Il était étranger au département ! De son origine, on ne savait rien ; de ses commencements, peu de chose.

    On contait qu’il était venu dans la ville avec fort peu d’argent, quelques centaines de francs tout au plus.

    C’est de ce mince capital, mis au service d’une idée ingénieuse, fécondé par l’ordre et par la pensée, qu’il avait tiré sa fortune et la fortune de tout ce pays.

    À son arrivée à Montreuil-sur-Mer, il n’avait que les vêtements, la tournure et le langage d’un ouvrier.

    Il paraît que, le jour même où il faisait obscurément son entrée dans la petite ville de Montreuil-sur-Mer, à la tombée d’un soir de décembre, le sac au dos et le bâton d’épine à la main, un gros incendie venait d’éclater à la maison commune. Cet homme s’était jeté dans le feu, et avait sauvé, au péril de sa vie, deux enfants qui se trouvaient être ceux du capitaine de gendarmerie ; ce qui fait qu’on n’avait pas songé à lui demander son passe-port. Depuis lors, on avait su son nom. Il s’appelait le père Madeleine.


     

    II

    MADELEINE


     

    C’était un homme d’environ cinquante ans, qui avait l’air préoccupé et qui était bon. Voilà tout ce qu’on en pouvait dire.

    Grâce aux progrès rapides de cette industrie qu’il avait si admirablement remaniée, Montreuil-sur-Mer, pour ce commerce, faisait presque concurrence à Londres et à Berlin, Les bénéfices du père Madeleine étaient tels que, dès la deuxième année, il avait pu bâtir une grande fabrique dans laquelle il y avait deux vastes ateliers, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Quiconque avait faim pouvait s’y présenter, et était sûr de trouver là de l’emploi et du pain. Le père Madeleine demandait aux hommes de la bonne volonté, aux femmes des mœurs pures, à tous de la probité. Il avait divisé les ateliers, afin de séparer les sexes et que les filles et les femmes pussent rester sages. Sur ce point, il était inflexible. C’était le seul où il fût en quelque sorte intolérant. Il était d’autant plus fondé à cette sévérité que, Montreuil-sur-Mer étant une ville de garnison, les occasions de corruption abondaient. Du reste sa venue avait été un bienfait, et sa présence était une providence. Avant l’arrivée du père Madeleine, tout languissait dans le pays ; maintenant tout y vivait de la vie saine du travail. Une forte circulation échauffait tout et pénétrait partout. Le chômage et la misère étaient inconnus. Il n’y avait pas de poche si obscure où il n’y eût un peu d’argent, pas de logis si pauvre où il n’y eût un peu de joie.

    Le père Madeleine employait tout le monde. Il n’exigeait qu’une chose : soyez honnête homme ! soyez honnête fille !

    Comme nous l’avons dit, au milieu de cette activité dont il était la cause et le pivot, le père Madeleine faisait sa fortune, mais, chose assez singulière dans un simple homme de commerce, il ne paraissait point que ce fût là son principal souci. Il semblait qu’il songeât beaucoup aux autres et peu à lui. En 1820, on lui connaissait une somme de six cent mille francs, il avait dépensé plus d’un million pour la ville et pour les pauvres.

    L’hôpital était mal doté ; il y avait fondé deux lits. Montreuil-sur-Mer est divisé en ville haute et ville basse. La ville basse qu’il habitait n’avait qu’une école, méchante masure qui tombait en ruine ; il en avait construit deux, une pour les filles, l’autre pour les garçons. Il allouait de ses deniers aux deux instituteurs une indemnité double de leur maigre traitement officiel, et un jour, à quelqu’un qui s’en étonnait, il dit : « Les deux premiers fonctionnaires de l’état, c’est la nourrice et le maître d’école. » Il avait créé à ses frais une salle d’asile, chose alors presque inconnue en France, et une caisse de secours pour les ouvriers vieux et infirmes. Sa manufacture étant un centre, un nouveau quartier où il y avait bon nombre de familles indigentes avait rapidement surgi autour de lui ; il y avait établi une pharmacie gratuite.

    Dans les premiers temps, quand on le vit commencer, les bonnes âmes dirent : C’est un gaillard qui veut s’enrichir. Quand on le vit enrichir le pays avant de s’enrichir lui-même, les mêmes bonnes âmes dirent : C’est un ambitieux. Cela semblait d’autant plus probable que cet homme était religieux, et même pratiquait dans une certaine mesure, chose fort bien vue à cette époque. Il allait régulièrement entendre une basse messe tous les dimanches. Le député local, qui flairait partout des concurrences, ne tarda pas à s’inquiéter de cette religion. Ce député, qui avait été membre du corps législatif de l’empire, partageait les idées religieuses d’un père de l’oratoire connu sous le nom de Fouché, duc d’Otrante, dont il avait été la créature et l’ami. À huis clos il riait de Dieu doucement. Mais quand il vit le riche manufacturier Madeleine aller à la basse messe de sept heures, il entrevit un candidat possible, et résolut de lé dépasser ; il prit un confesseur jésuite et alla à la grand’messe et à vêpres. L’ambition en ce temps-là était, dans l’acception directe du mot, une course au clocher. Les pauvres profitèrent de cette terreur comme le bon Dieu, car l’honorable député fonda aussi deux lits à l’hôpital ; ce qui fit douze.

    Cependant en 1819 le bruit se répandit un matin dans la ville que, sur la présentation de M. le préfet et en considération des services rendus au pays, le père Madeleine allait être nommé par le roi maire de Montreuil-sur-Mer. Ceux qui avaient déclaré ce nouveau venu « un ambitieux » saisirent avec transport cette occasion que tous les hommes souhaitent de s’écrier : Là ! qu’est-ce que nous avions dit ? Tout Montreuil-sur-Mer fut en rumeur. Le bruit était fondé. Quelques jours après, la nomination parut dans le Moniteur. Le lendemain, le père Madeleine refusa.

    Dans cette même année 1819, les produits du nouveau procédé inventé par Madeleine figurèrent à l’exposition de l’industrie ; sur le rapport du jury, le roi nomma l’inventeur chevalier de la légion d’honneur. Nouvelle rumeur dans la petite ville. Eh bien ! c’est la croix qu’il voulait ! Le père Madeleine refusa la croix.

    Décidément cet homme était une énigme. Les bonnes âmes se tirèrent d’affaire en disant : Après tout, c’est une espèce d’aventurier.

    On l’a vu, le pays lui devait beaucoup, les pauvres lui devaient tout ; il était si utile qu’il avait bien fallu qu’on finît par l’aimer ; ses ouvriers en particulier l’adoraient, et il portait cette adoration avec une sorte de gravité mélancolique. Quand il fut constaté riche, « les personnes de la société » le saluèrent, et on l’appela dans la ville monsieur Madeleine ; ses ouvriers et les enfants continuèrent de l’appeler le père Madeleine, et c’était la chose qui le faisait le mieux sourire. À mesure qu’il montait, les invitations pleuvaient sur lui. « La société » le réclamait. Les petits salons guindés de Montreuil-sur-Mer qui, bien entendu, se fussent dans les premiers temps fermés à l’artisan, s’ouvrirent à deux battants au millionnaire. On lui fit mille avances. Il refusa.

    Cette fois encore les bonnes âmes ne furent point empêchées. — C’est un homme ignorant et de basse éducation. On ne sait d’où cela sort. Il ne saurait pas se tenir dans le monde. Il n’est pas du tout prouvé qu’il sache lire.

    Quand on l’avait vu gagner de l’argent, on avait dit : c’est un marchand. Quand on l’avait vu semer son argent, on avait dit : c’est un ambitieux. Quand on l’avait vu repousser les honneurs on avait dit : c’est un aventurier. Quand on le vit repousser le monde, on dit : c’est une brute.

    En 1820, cinq ans après son arrivée à Montreuil-sur-Mer, les services qu’il avait rendus au pays étaient si éclatants, le vœu de la contrée fut tellement unanime, que le roi le nomma de nouveau maire de la ville. Il refusa encore, mais le préfet résista à son refus, tous les notables vinrent le prier, le peuple en pleine rue le suppliait, l’insistance fut si vive qu’il finit par accepter. On remarqua que ce qui parut surtout le déterminer, ce fut l’apostrophe presque irritée d’une vieille femme du peuple qui lui cria du seuil de sa porte avec humeur : Un bon maire, c’est utile. Est-ce qu’on recule devant du bien qu’on peut faire ?

    Ce fut là la troisième phase de son ascension. Le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine, monsieur Madeleine devint monsieur le maire.


     

    III

    SOMMES DÉPOSÉES CHEZ LAFFITTE


     

    Du reste, il était demeuré aussi simple que le premier jour. Il avait les cheveux gris, l’œil sérieux, le teint hâlé d’un ouvrier, le visage pensif d’un philosophe. Il portait habituellement un chapeau à bords larges et une longue redingote de gros drap, boutonnée jusqu’au menton. Il remplissait ses fonctions de maire, mais hors de là il vivait solitaire. Il parlait à peu de monde, Il se dérobait aux politesses, saluait de côté, s’esquivait vite, souriait pour se dispenser de causer, donnait pour se dispenser de sourire. Les femmes disaient de lui : Quel bon ours ! Son plaisir était de se promener dans les champs.

    Il prenait ses repas toujours seul, avec un livre ouvert devant lui où il lisait. Il avait une petite bibliothèque bien faite. Il aimait les livres ; les livres sont des amis froids et sûrs. À mesure que le loisir lui venait avec la fortune, il semblait qu’il en profitât pour cultiver son esprit. Depuis qu’il était à Montreuil-sur-Mer, on remarquait que d’année en année son langage devenait plus poli, plus choisi et plus doux.

    Il emportait volontiers un fusil dans ses promenades, mais il s’en servait rarement. Quand cela lui arrivait par aventure, il avait un tir infaillible qui effrayait. Jamais il ne tuait un animal inoffensif. Jamais il ne tirait un petit oiseau.

    Quoiqu’il ne fût plus jeune, on contait qu’il était d’une force prodigieuse. Il offrait un coup de main à qui en avait besoin, relevait un cheval, poussait à une roue embourbée, arrêtait par les cornes un taureau échappé. Il avait toujours ses poches pleines de monnaie en sortant et vides en rentrant. Quand il passait dans un village, les marmots déguenillés couraient joyeusement après lui et l’entouraient comme une nuée de moucherons.

    On croyait deviner qu’il avait dû vivre jadis de la vie des champs, car il avait toutes sortes de secrets utiles qu’il enseignait aux paysans. Il leur apprenait à détruire la teigne des blés en aspergeant le grenier et en inondant les fentes du plancher d’une dissolution de sel commun, et à chasser les charançons en suspendant partout, aux murs et aux toits, dans les herbages et dans les maisons, de l’orviot en fleur. Il avait des « recettes » pour extirper d’un champ la luzette, la nielle, la vesce, la gaverolle, la queue-de-renard, toutes les herbes parasites qui mangent le blé. Il défendait une lapinière contre les rats, rien qu’avec l’odeur d’un petit cochon de Barbarie qu’il y mettait.

    Un jour il voyait des gens du pays très occupés à arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes déracinées èt déjà desséchées, et dit : — C’est mort. Cela serait pourtant bon si l’on savait s’en servir. Quant l’ortie est jeune, la feuille est un légume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile d’ortie vaut la toile de chanvre. Hachée, l’ortie est bonne pour la volaille ; broyée, elle est bonne pour lès bêtes à cornes, La graine de l’ortie mêlée au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la racine mêlée au sel produit une belle couleur jaune. C’est du reste un excellent foin qu’on peut faucher deux fois. Et que faut-il à l’ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe à mesure qu’elle mûrit, et est difficile à récolter. Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent à l’ortie ! — Il ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.

    Les enfants l’aimaient encore parce qu’il savait faire de charmants petits ouvrages avec de la paille et des noix de coco.

    Quand il voyait la porte d’une église tendue de noir, il entrait ; il recherchait un enterrement comme d’autres recherchent un baptême. Le veuvage et le malheur d’autrui l’attiraient à cause de sa grande douceur ; il se mêlait aux amis en deuil, aux familles vêtues de noir, aux prêtres gémissant autour d’un cercueil. Il semblait donner volontiers pour texte à ses pensées ces psalmodies funèbres pleines de la vision d’un autre monde. L’œil au ciel, il écoutait, avec une sorte d’aspiration vers tous les mystères de l’infini, ces voix tristes qui chantent sur le bord de l’abîme obscur de la mort.

    Il faisait une foule de bonnes actions en se cachant comme on se cache pour les mauvaises. Il pénétrait à la dérobée, le soir, dans les maisons ; il montait furtivement des escaliers. Un pauvre diable, en rentrant dans son galetas, trouvait que sa porte avait été ouverte, quelquefois même forcée, dans son absence. Le pauvre homme se récriait : quelque malfaiteur est venu ! Il entrait, et la première chose qu’il voyait, c’était une pièce d’or oubliée sur un meuble. « Le malfaiteur » qui était venu, c’était le père Madeleine.

    Il était affable et triste. Le peuple disait : Voilà un homme riche qui n’a pas l’air fier. Voilà un homme heureux qui n’a pas l’air content.

    Quelques-uns prétendaient que c’était un personnage mystérieux et affirmaient qu’on n’entrait jamais dans sa chambre, laquelle était une vraie cellule d’anachorète meublée de sabliers ailés et enjolivée de tibias en croix et de têtes de mort. Cela se disait beaucoup, si bien que quelques jeunes femmes élégantes et malignes de Montreuil-sur-Mer vinrent chez lui un jour, et lui demandèrent : — Monsieur le maire, montrez-nous donc votre chambre. On dît que c’est une grotte. — Il sourit, et les introduisit sur-le-champ dans cette « grotte ». Elles furent bien punies de leur curiosité. C’était une chambre garnie tout bonnement de meubles d’acajou assez laids comme tous les meubles de ce genre et tapissée de papier à douze sous. Elles n’y purent rien remarquer que deux flambeaux de forme vieillie qui étaient sur la cheminée et qui avaient l’air d’être en argent, « car ils étaient contrôlés ». Observation pleine de l’esprit des petites villes.

    On n’en continua pas moins de dire que personne ne pénétrait dans cette chambre et que c’était une caverne d’ermite, un rêvoir, un trou, un tombeau.

    On se chuchotait aussi qu’il avait des sommes « immenses » déposées chez Laffitte, avec cette particularité qu’elles étaient toujours à sa disposition immédiate, de telle sorte, ajoutait-on, que M. Madeleine pourrait arriver un matin chez Laffitte, signer un reçu et emporter ses deux ou trois millions en dix minutes. Dans la réalité ces « deux ou trois millions » se réduisaient, nous l’avons dit, à six cent trente ou quarante mille francs.


     

    IV

    M. MADELEINE EN DEUIL


     

    Au commencement de 1821, les journaux annoncèrent la mort de M. Myriel, évêque de Digne, « surnommé monseigneur Bienvenu », et trépassé en odeur de sainteté à l’âge de quatre-vingt-deux ans,

    L’évêque de Digne, pour ajouter ici un détail que les journaux omirent, était, quand il mourut, depuis plusieurs années aveugle, et content d’être aveugle, sa sœur étant près de lui.

    Disons-le en passant, être aveugle et être aimé, c’est en effet, sur cette terre où rien n’est complet, une des formes les plus étrangement exquises du bonheur. Avoir continuellement à ses côtés une femme, une fille, une sœur, un être charmant, qui est là parce que vous avez besoin d’elle et parce qu’elle ne peut se passer de vous, se savoir indispensable à qui nous est nécessaire, pouvoir incessamment mesurer son affection à la quantité de présence qu’elle nous donne, et se dire : puisqu’elle me consacre tout son temps, c’est que j’ai tout son cœur ; voir la pensée à défaut de la figure, constater la fidélité d’un être dans l’éclipse du monde ; percevoir le frôlement d’une robe comme un bruit d’ailes, l’entendre aller et venir, sortir, rentrer, parler, chanter, et songer qu’on est le centre de ces pas, de cette parole, de ce chant ; manifester à chaque minute sa propre attraction, se sentir d’autant plus puissant qu’on est plus infirme, devenir dans l’obscurité, et par l’obscurité, l’astre autour duquel gravite cet ange, peu de félicités égalent celle-là. Le suprême bonheur de la vie, c’est la conviction qu’on est aimé ; aimé pour soi-même, disons mieux, aimé malgré soi-même ; cette conviction, l’aveugle l’a. Dans celle détresse, être servi, c’est être caressé. Lui manque-t-il quelque chose ? Non. Ce n’est point perdre la lumière qu’avoir l’amour, Et quel amour ! un amour entièrement fait de vertu. Il n’y a point de cécité où il y a certitude. L’âme à tâtons cherche l’âme, et la trouve. Et cette âme trouvée et prouvée est une femme. Une main vous soutient, c’est la sienne ; une bouche effleure votre front, c’est sa bouche ; vous entendez une respiration tout près de vous, c’est elle. Tout avoir d’elle, depuis son culte jusqu’à sa pitié, n’être jamais quitté, avoir cette douce faiblesse qui vous secourt, s’appuyer sur ce roseau inébranlable, toucher de ses mains la providence et pouvoir la prendre dans ses bras ; Dieu palpable, quel ravissement ! Le cœur, cette céleste fleur obscure, entre dans un épanouissement mystérieux. On ne donnerait pas cette ombre pour toute la clarté. L’âme ange est là, sans cesse là ; si elle s’éloigne, c’est pour revenir ; elle s’efface comme le rêve et reparaît comme la réalité. On sent de la chaleur qui approche, la voilà. On déborde de sérénité, de gaîté et d’extase ; on est un rayonnement dans la nuit. Et mille petits soins. Des riens qui sont énormes dans ce vide. Les plus ineffables accents de la voix féminine employés à vous bercer, et suppléant pour vous à l’univers évanoui. On est caressé avec de l’âme. On ne voit rien, mais on se sent adoré. C’est un paradis de ténèbres.

    C’est de ce paradis que monseigneur Bienvenu était passé à l’autre.

    L’annonce de sa mort fut reproduite par le journal local de Montreuil-sur-Mer. M. Madeleine parut le lendemain tout en noir avec un crêpe à son chapeau.

    On remarqua dans la ville ce deuil, et l’on jasa. Cela parut une lueur sur l’origine de M, Madeleine. On en conclut qu’il avait quelque alliance avec le vénérable évêque. Il drape pour l’évêque de Digne, dirent les salons ; cela rehaussa fort M. Madeleine, et lui donna subitement et d’emblée une certaine considération dans le monde noble de Montreuil-sur-Mer. Le microscopique faubourg Saint-Germain de l’endroit songea à faire cesser la quarantaine de M. Madeleine, parent probable d’un évêque. M. Madeleine, s’aperçut de l’avancement qu’il obtenait à plus de révérences des vieilles femmes et à plus de sourires des jeunes. Un soir, une doyenne de ce petit grand monde-là, curieuse par droit d’ancienneté, se hasarda à lui demander : — Monsieur le maire est sans doute cousin du feu évêque de Digne ?

    Il dit : — Non, madame.

    Mais, reprit la douairière, vous en portez le deuil ? Il répondit : — C’est que dans ma jeunesse j’ai été laquais dans sa famille.

    Une remarque qu’on faisait encore, c’est que, chaque fois qu’il passait dans la ville un jeune savoyard courant le pays et cherchant des cheminées à ramoner, M. le maire le faisait appeler, lui demandait son nom, et lui donnait de l’argent. Les petits savoyards se le disaient et il en passait beaucoup.


     

    V

    VAGUES ÉCLAIRS À L’HORIZON


     

    Peu à peu, et avec le temps, toutes les oppositions étaient tombées. Il y avait eu d’abord contre M. Madeleine, sorte de loi que subissent toujours ceux qui s’élèvent, des noirceurs et des calomnies, puis ce ne fut plus que des méchancetés, puis ce ne fut plus que des malices, puis cela s’évanouit tout à fait ; le respect devint complet, unanime, cordial, et il arriva un moment, vers 1821, où ce mot ; monsieur le maire, fut prononcé à Montreuil-sur-Mer presque du même accent que ce mot : monseigneur l’évêque, était prononcé à Digne en 1815. On venait de dix lieues à la ronde consulter M, Madeleine. Il terminait les différends, il empêchait les procès, il réconciliait les ennemis. Chacun le prenait pour juge de son bon droit. Il semblait qu’il eût pour âme le livre de la loi naturelle. Ce fut comme une contagion de vénération qui, en six ou sept ans et de proche en proche, gagna tout le pays.

    Un seul homme, dans la ville et dans l’arrondissement, se déroba absolument à cette contagion, et, quoi que fît le père Madeleine, y demeura rebelle, comme si une sorte d’instinct, incorruptible et imperturbable, l’éveillait et l’inquiétait. Il semblerait en effet qu’il existe dans certains hommes un véritable instinct bestial, pur et intègre comme tout instinct, qui crée les antipathies et les sympathies, qui sépare fatalement une nature d’une autre nature, qui n’hésite pas, qui ne se trouble, ne se tait et ne se dément jamais, clair dans son obscurité, infaillible, impérieux, réfractaire à tous les conseils de l’intelligence et à tous les dissolvants de la raison, et qui, de quelque façon que les destinées soient faites, avertit secrètement l’homme-chien de la présence de l’homme-chat, et l’homme-renard de la présence de l’homme-lion.

    Souvent, quand M. Madeleine passait dans une rue, calme, affectueux, entouré des bénédictions de tous, il arrivait qu’un homme de haute taille, vêtu d’une redingote gris de fer, armé d’une grosse canne et coiffé d’un chapeau rabattu, se retournait brusquement derrière lui, et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, croisant les bras, secouant lentement la tête, et haussant sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure jusqu’à son nez, sorte de grimace significative qui pourrait se traduire par : — Mais qu’est-ce que c’est que cet homme-là? — Pour sûr je l’ai vu quelque part. — En tout cas, je ne suis toujours pas sa dupe.

    Ce personnage, grave d’une gravité presque menaçante, était de ceux qui, même rapidement entrevus, préoccupent l’observateur. Il se nommait Javert, et il était de la police.

    Il remplissait à Montreuil-sur-Mer les fonctions pénibles, mais utiles, d’inspecteur. Il n’avait pas vu les commencements de Madeleine. Javert devait le poste qu’il occupait à la protection de M. Chabouillet, le secrétaire du ministre d’état comte Anglès, alors préfet de police à Paris. Quand Javert était arrivé à Montreuil-sur-Mer, la fortune du grand manufacturier était déjà faite, et le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine.

    Certains officiers de police ont une physionomie à part et qui se complique d’un air de bassesse mêlé à un air d’autorité. Javert avait cette physionomie, moins la bassesse.

    Dans notre conviction, si les âmes étaient visibles aux yeux, on verrait distinctement cette chose étrange que chacun des individus de l’espèce humaine correspond à quelqu’une des espèces de la création animale ; et l’on pourrait reconnaître aisément cette vérité à peine entrevue par le penseur, que, depuis l’huître jusqu’à l’aigle, depuis le porc jusqu’au tigre, tous les animaux sont dans l’homme et que chacun d’eux est dans un homme. Quelquefois même plusieurs d’entre eux à la fois.

    Les animaux ne sont pas autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices, errantes devant nos yeux, les fantômes visibles de nos âmes. Dieu nous les montre pour nous faire réfléchir. Seulement, comme les animaux ne sont que des ombres, Dieu ne les a point faits éducables dans le sens complet du mot ; à quoi bon ? Au contraire, nos âmes étant des réalités et ayant une fin qui leur est propre, Dieu leur a donné l’intelligence, c’est-à-dire l’éducation possible. L’éducation sociale bien faite peut toujours tirer d’une âme, quelle qu’elle soit, l’utilité qu’elle contient.

    Ceci soit dit, bien entendu, au point de vue restreint de la vie terrestre apparente, et sans préjuger la question profonde de la personnalité antérieure ou ultérieure des êtres qui ne sont pas l’homme. Le moi visible n’autorise en aucune façon le penseur à nier le moi latent. Cette réserve faite, passons.

    Maintenant, si l’on admet un moment avec nous que dans tout homme il y a une des espèces animales de la création, il nous sera facile de dire ce que c’était que l’officier de paix Javert.

    Les paysans asturiens sont convaincus que dans toute portée de louve il y a un chien, lequel est tué par la mère, sans quoi en grandissant il dévorerait les autres petits.

    Donnez une face humaine à ce chien fils d’une louve, et ce sera Javert.

    Javert était né dans une prison d’une tireuse de cartes dont le mari était aux galères. En grandissant, il pensa qu’il était en dehors de la société et désespéra d’y rentrer jamais, Il remarqua que la société maintient irrémissiblement en dehors d’elle deux classes d’hommes, ceux qui l’attaquent et ceux qui la gardent ; il n’avait le choix qu’entre ces deux classes ; en même temps il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d’une inexprimable haine pour cette race de bohèmes dont il était. Il entra dans la police. Il y réussit. À quarante ans il était inspecteur.

    Il avait dans sa jeunesse été employé dans les chiourmes du midi.

    Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur ce mot face humaine que nous appliquions tout à l’heure à Javert.

    La face humaine de Javert consistait en un nez camard, avec deux profondes narines vers lesquelles montaient sur ses deux joues d’énormes favoris. On se sentait mal à l’aise la première fois qu’on voyait ces deux forêts et ces deux cavernes. Quand Javert riait, ce qui était rare et terrible, ses lèvres minces s’écartaient, et laissaient voir, non seulement ses dents, mais ses gencives, et il se faisait autour de son nez un plissement épaté et sauvage comme sur un mufle de bête fauve. Javert sérieux était un dogue ; lorsqu’il riait, c’était un tigre. Du reste, peu de crâne, beaucoup de mâchoire, les cheveux cachant le front et tombant sur les sourcils, entre les deux yeux un froncement central permanent comme une étoile de colère, le regard obscur, la bouche pincée et redoutable, l’air du commandement féroce.

    Cet homme était composé de deux sentiments très simples et relativement très bons, mais qu’il faisait presque mauvais à force de les exagérer, le respect de l’autorité, la haine de la rébellion; et à ses yeux le vol, le meurtre, tous les crimes, n’étaient que des formes de la rébellion. Il enveloppait dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans l’état, depuis le premier ministre jusqu’au garde champêtre. Il couvrait de mépris, d’aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n’admettait pas d’exceptions. D’une part il disait : — Le fonctionnaire ne peut se tromper ; le magistrat n’a jamais tort. — D’autre part il disait : — Ceux-ci sont irrémédiablement perdus. Rien de bon n’en peut sortir. — Il partageait pleinement l’opinion de ces esprits extrêmes qui attribuent à la loi humaine je ne sais quel pouvoir de faire ou, si l’on veut, de constater des démons, et qui mettent un Styx au bas de la société. Il était stoïque, sérieux, austère ; rêveur triste; humble et hautain comme les fanatiques. Son regard était une vrille, cela était froid et cela perçait. Toute sa vie tenait dans ces deux mots : veiller et surveiller. Il avait introduit la ligne droite dans ce qu’il y a de plus tortueux au monde ; il avait la conscience de son utilité, la religion de ses fonctions, et il était espion comme on est prêtre. Malheur à qui tombait sous sa main ! Il eût arrêté son père s’évadant du bagne et dénoncé sa mère en rupture de ban. Et il l’eût fait avec cette sorte de satisfaction intérieure que donne la vertu. Avec cela une vie de privations, l’isolement, l’abnégation, la chasteté, jamais une distraction. C’était le devoir implacable, la police comprise comme les Spartiates comprenaient Sparte, un guet impitoyable, une honnêteté farouche, un mouchard marmoréen, Brutus dans Vidocq.

    Toute la personne de Javert exprimait l’homme qui épie et qui se dérobe. L’école mystique de Joseph de Maistre, laquelle à cette époque assaisonnait de haute cosmogonie ce qu’on appelait les journaux ultras, n’eût pas manqué de dire que Javert était un symbole. On ne voyait pas son front qui disparaissait sous son chapeau, on ne voyait pas ses yeux qui se perdaient sous ses sourcils, on ne voyait pas son menton qui plongeait dans sa cravate, on ne voyait pas ses mains qui rentraient dans ses manches, on ne voyait pas sa canne qu’il portait sous sa redingote. Mais l’occasion venue, on voyait tout à coup sortir de toute cette ombre, comme d’une embuscade, un front anguleux et étroit, un regard funeste, un menton menaçant, des mains énormes, et un gourdin monstrueux.

    À ses moments de loisirs, qui étaient peu fréquents, tout en haïssant les livres, il lisait ; ce qui fait qu’il n’était pas complètement illettré. Cela se reconnaissait à quelque emphase dans sa parole.

    Il n’avait aucun vice, nous l’avons dit. Quand il était content de lui, il s’accordait une prise de tabac. Il tenait à l’humanité par là.

    On comprendra sans peine que Javert était l’effroi de toute cette classe que la statistique annuelle du ministère de la justice désigne sous la rubrique : Gens sans aveu. Le nom de Javert prononcé les mettait en déroute ; la face de Javert apparaissant les pétrifiait.

    Tel était cet homme formidable.

    Javert était comme un œil toujours fixé sur M. Madeleine. Œil plein de soupçon et de conjectures. M. Madeleine avait fini par s’en apercevoir, mais il sembla que cela fût insignifiant pour lui. Il ne fit pas même une question à Javert, il ne le cherchait ni ne l’évitait, il portait sans paraître y faire attention, ce regard gênant et presque pesant. Il traitait Javert comme tout le monde, avec aisance et bonté.

    À quelques paroles échappées à Javert, on devinait qu’il avait recherché secrètement, avec cette curiosité qui tient à la race et où il entre autant d’instinct que de volonté, toutes les traces antérieures que le père Madeleine avait pu laisser ailleurs. Il paraissait savoir, et il disait parfois à mots couverts, que quelqu’un avait pris certaines informations dans certains pays sur une certaine famille disparue. Une fois il lui arriva de dire, se parlant à lui-même : — Je crois que je le tiens ! — Puis il resta trois jours pensif sans prononcer une parole. Il paraît que le fil qu’il croyait tenir s’était rompu.

    Du reste, et ceci est le correctif nécessaire à ce que le sens de certains mots pourrait présenter de trop absolu, il ne peut y avoir rien de vraiment infaillible dans une créature humaine, et le propre de l’instinct est précisément de pouvoir être troublé, dépisté et dérouté, Sans quoi il serait supérieur à l’intelligence, et la bête se trouverait avoir une meilleure lumière que l’homme.

    Javert était évidemment quelque peu déconcerté par le complet naturel et la tranquillité de M. Madeleine.

    Un jour pourtant son étrange manière d’être parut faire impression sur M. Madeleine. Voici à quelle occasion.


     

    VI

    LE PÈRE FAUCHELEVENT


     

    M. Madeleine passait un matin dans une ruelle non pavée de Montreuil-sur-Mer. Il entendit du bruit et vit un groupe à quelque distance. Il y alla. Un vieux homme, nommé le père Fauchelevent, venait de tomber sous sa charrette dont le cheval s’était abattu.

    Ce Fauchelevent était un des rares ennemis qu’eût encore M. Madeleine à cette époque. Lorsque Madeleine était arrivé dans le pays, Fauchelevent, ancien tabellion et paysan presque lettré, avait un commerce qui commençait à aller mal. Fauchelevent avait vu ce simple ouvrier qui s’enrichissait, tandis que lui, maître, se ruinait. Cela l’avait rempli de jalousie, et il avait fait ce qu’il avait pu en toute occasion pour nuire à Madeleine, Puis la faillite était venue, et, vieux, n’ayant plus à lui qu’une charrette et un cheval, sans famille et sans enfants du reste, pour vivre il s’était fait charretier.

    Le cheval avait les deux cuisses cassées et ne pouvait se relever. Le vieillard était engagé entre les roues. La chute avait été tellement malheureuse que toute la voiture pesait sur sa poitrine. La charrette était assez lourdement chargée. Le père Fauchelevent poussait des râles lamentables. On avait essayé de le tirer, mais en vain. Un effort désordonné, une aide maladroite, une secousse à faux pouvaient l’achever. Il était impossible de le dégager autrement qu’en soulevant la voiture par dessous. Javert, qui était survenu au moment de l’accident, avait envoyé chercher un cric.

    M. Madeleine arriva. On s’écarta avec respect.

    À l’aide! criait le vieux Fauchelevent. Qui est ce qui est un bon enfant pour sauver le vieux ?

    M. Madeleine se tourna vers les assistants :

    A-t-on un cric ?

    On en est allé quérir un, répondit un paysan.

    Dans combien de temps l’aura-t-on ?

    On est allé au plus près, au lieu Flachot, où il y a un maréchal ; mais c’est égal, il faudra bien un bon quart d’heure.

    Un quart d’heure ! s’écria Madeleine.

    Il avait plu la veille, le sol était détrempé, la charrette s’enfonçait dans la terre à chaque instant et comprimait de plus en plus la poitrine du vieux charretier. Il était évident qu’avant cinq minutes il aurait les côtes brisées.

    Il est impossible d’attendre un quart d’heure, dit Madeleine aux paysans qui regardaient.

    Il faut bien !

    Mais il ne sera plus temps ! Vous ne voyez donc pas que la charrette s’enfonce ?

    Dame !

    Écoutez, reprit Madeleine, il y a encore assez de place sous la voiture pour qu’un homme s’y glisse et la soulève avec son dos. Rien qu’une demi-minute, et l’on tirera le pauvre homme. Y a-t-il quelqu’un qui ait des reins et du cœur ? Cinq louis d’or à gagner !

    Personne ne bougea dans le groupe.

    Dix louis, dit Madeleine.

    Les assistants baissaient les yeux. Un d’eux murmura : — Il faudrait être diablement fort. Et puis, on risque de se faire écraser !

    Allons ! recommença Madeleine, vingt louis !

    Même silence.

    Ce n’est pas la bonne volonté qui leur manque, dit une voix.

    M. Madeleine se retourna, et reconnut Javert. Il ne l’avait pas aperçu en arrivant.

    Javert continua :

    C’est la force. Il faudrait être un terrible homme pour faire la chose de lever une voiture comme cela sur son dos.

    Puis regardant fixement M. Madeleine, il poursuivit en appuyant sur chacun des mots qu’il prononçait :

    Monsieur Madeleine, je n’ai jamais connu qu’un seul homme capable de faire ce que vous demandez là.

    Madeleine tressaillit.

    Javert ajouta avec un air d’indifférence, mais sans quitter des yeux Madeleine :

    C’était un forçat.

    Ah ! dit Madeleine.

    Du bagne de Toulon.

    Madeleine devint pâle.

    Cependant la charrette continuait à s’enfoncer lentement. Le père Fauchelevent râlait et hurlait :

    J’étouffe ! Ça me brise les côtes ! Un cric ! quelque chose ! Ah !

    Madeleine regarda autour de lui :

    Il n’y a donc personne qui veuille gagner vingt louis et sauver la vie à ce pauvre vieux ?

    Aucun des assistants ne remua. Javert reprit :

    Je n’ai jamais connu qu’un homme qui pût remplacer un cric, c’était ce forçat.

    Ah ! voilà que ça m’écrase ! cria le vieillard.

    Madeleine leva la tête, rencontra l’œil de faucon de Javert toujours attaché sur lui, regarda les paysans immobiles, et sourit tristement. Puis, sans dire une parole, il tomba à genoux, et avant même que la foule eût eu le temps de jeter un cri, il était sous la voiture.

    Il y eut un affreux moment d’attente et de silence.

    On vit Madeleine presque à plat ventre sous ce poids effrayant essayer deux fois en vain de rapprocher ses coudes de ses genoux. On lui cria : — Père Madeleine ! retirez-vous de là ! — Le vieux Fauchelevent lui-même lui dit : — Monsieur Madeleine ! allez-vous-en ! C’est qu’il faut que je meure, voyez-vous ! Laissez-moi ! Vous allez vous faire écraser aussi ! — Madeleine ne répondit pas.

    Les assistants haletaient. Les roues avaient continué de s’enfoncer, et il était déjà devenu presque impossible que Madeleine sortît de dessous la voiture.

    Tout à coup on vit l’énorme masse s’ébranler, la charrette se soulevait lentement, les roues sortaient à demi de l’ornière. On entendit une voix étouffée qui criait : Dépêchez-vous ! aidez ! C’était Madeleine qui venait de faire un dernier effort.

    Ils se précipitèrent. Le dévouement d’un seul avait donné de la force et du courage à tous. La charrette fut enlevée par vingt bras. Le vieux Fauchelevent était sauvé.

    Madeleine se releva. Il était blême, quoique ruisselant de sueur. Ses habits étaient déchirés et couverts de boue. Tous pleuraient. Le vieillard lui baisait les genoux et l’appelait le bon Dieu. Lui, il avait sur le visage je ne sais quelle expression de souffrance heureuse et céleste, et il fixait son œil tranquille sur Javert qui le regardait toujours.


     

    VII

    FAUCHELEVENT DEVIENT JARDINIER À PARIS


     

    Fauchelevent s’était démis la rotule dans sa chute. Le père Madeleine le fit transporter dans une infirmerie qu’il avait établie pour ses ouvriers dans le bâtiment même de sa fabrique et qui était desservie par deux sœurs de charité. Le lendemain matin, le vieillard trouva un billet de mille francs sur la table de nuit, avec ce mot de la main du père Madeleine : Je vous achète votre charrette et votre cheval. La charrette était brisée et le cheval était mort. Fauchelevent guérit, mais son genou resta ankylosé. M. Madeleine, par les recommandations des sœurs et de son curé, fit placer le bonhomme comme jardinier dans un couvent de femmes du quartier Saint-Antoine à Paris.

    Quelque temps après, M. Madeleine fut nommé maire, La première fois que Javert vit M. Madeleine revêtu de l’écharpe qui lui donnait toute autorité sur la ville, il éprouva cette sorte de frémissement qu’éprouverait un dogue qui flairerait un loup sous les habits de son maître. À partir de ce moment, il l’évita le plus qu’il put. Quand les besoins du service l’exigeaient impérieusement et qu’il ne pouvait faire autrement que de se trouver avec M. le maire, il lui parlait avec un respect profond.

    Cette prospérité créée à Montreuil-sur-Mer par le père Madeleine avait, outre les signes visibles que nous avons indiqués, un autre symptôme qui, pour n’être pas visible, n’était pas moins significatif. Ceci ne trompe jamais. Quand la population souffre, quand le travail manque, quand le commerce est nul, le contribuable résiste à l’impôt par pénurie, épuise et dépasse les délais, et l’état dépense beaucoup d’argent en frais de contrainte et de rentrée. Quand le travail abonde, quand le pays est heureux et riche, l’impôt se paye aisément et coûte peu à l’état. On peut dire que la misère et la richesse publiques ont un thermomètre infaillible, les frais de perception de l’impôt. En sept ans, les frais de perception de l’impôt s’étaient réduits des trois quarts dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, ce qui faisait fréquemment citer cet arrondissement entre tous par M. de Villèle, alors ministre des finances.

    Telle était la situation du pays, lorsque Fantine y revint. Personne ne se souvenait plus d’elle. Heureusement la porte de la fabrique de M. Madeleine était comme un visage ami. Elle s’y présenta, et fut admise dans l’atelier des femmes. Le métier était tout nouveau pour Fantine, elle n’y pouvait être bien adroite, elle ne tirait donc de sa journée de travail que peu de chose, mais enfin cela suffisait, le problème était résolu, elle gagnait sa vie.


     

    VIII

    MADAME VICTURNIEN DÉPENSE TRENTE-CINQ FRANCS POUR LA MORALE


     

    Quand Fantine vit qu’elle vivait, elle eut un moment de joie. Vivre honnêtement de son travail, quelle grâce du ciel ! Le goût du travail lui revint vraiment. Elle acheta un miroir, se réjouit d’y regarder sa jeunesse, ses beaux cheveux et ses belles dents, oublia beaucoup de choses, ne songea plus qu’à sa Cosette et à l’avenir possible, et fut presque heureuse. Elle loua une petite chambre et la meubla à crédit sur son travail futur ; reste de ses habitudes de désordre.

    Ne pouvant pas dire qu’elle était mariée, elle s’était bien gardée, comme nous l’avons déjà fait entrevoir, de parler de sa petite fille.

    En ces commencements, on l’a vu, elle payait exactement les Thénardier. Comme elle ne savait que signer, elle était obligée de leur écrire par un écrivain public.

    Elle écrivait souvent. Cela fut remarqué. On commença à dire tout bas dans l’atelier des femmes que Fantine « écrivait des lettres » et qu’ « elle avait des allures ».

    Il n’y à rien de tel pour épier les actions des gens que ceux qu’elles ne regardent pas. — Pourquoi ce monsieur ne vient-il jamais qu’à la brune ? pourquoi monsieur un tel n’accroche-t-il jamais sa clef au clou le jeudi ? pourquoi prend-il toujours les petites rues ? pourquoi madame descend-elle toujours de son fiacre avant d’arriver à la maison ? pourquoi envoie-t-elle acheter un cahier de papier à lettres, quand elle en a « plein sa papeterie » ? etc., etc. — Il existe des êtres qui, pour connaître le mot de ces énigmes, lesquelles leur sont du reste parfaitement indifférentes, dépensent plus d’argent, prodiguent plus de temps, se donnent plus de peine qu’il n’en faudrait pour dix bonnes actions ; et cela gratuitement, pour le plaisir, sans être payés de la curiosité autrement que par la curiosité. Ils suivront celui-ci ou celle-là des jours entiers, feront faction des heures à des coins de rue, sous des portes d’allées, la nuit, par le froid et par la pluie, corrompront des commissionnaires, griseront des cochers de fiacre et des laquais, achèteront une femme de chambre, feront acquisition d’un portier. Pourquoi ? pour rien. Pur acharnement de voir, de savoir et de pénétrer. Pure démangeaison de dire. Et souvent ces secrets connus, ces mystères publiés, ces énigmes éclairées du grand jour, entraînent des catastrophes, des duels, des faillites, des familles ruinées, des existences brisées, à la grande joie de ceux qui ont « tout découvert » sans intérêt et par pur instinct. Chose triste.

    Certaines personnes sont méchantes uniquement par besoin de parler. Leur conversation, causerie dans le salon, bavardage dans l’antichambre, est comme ces cheminées qui usent vite le bois ; il leur faut beaucoup de combustible ; et le combustible, c’est le prochain.

    On observa donc Fantine,

    Avec cela, plus d’une était jalouse de ses cheveux blonds et de ses dents blanches.

    On constata que dans l’atelier, au milieu des autres, elle se détournait souvent pour essuyer une larme. C’étaient les moments où elle songeait à son enfant, peut-être aussi à l’homme qu’elle avait aimé.

    C’est un douloureux labeur que la rupture des sombres attaches du passé.

    On constata qu’elle écrivait, au moins deux fois par mois, toujours à la même adresse, et qu’elle affranchissait la lettre. On parvint à se procurer l’adresse : Monsieur, Monsieur Thénardier, aubergiste, à Montfermeil. On fit jaser au cabaret l’écrivain public, vieux bonhomme qui ne pouvait pas emplir son estomac de vin rouge sans vider sa poche aux secrets. Bref, on sut que Fantine avait un enfant. « Ce devait être une espèce de fille. » Il se trouva une commère qui fit le voyage de Montfermeil, parla aux Thénardier, et dit à son retour : Pour mes trente-cinq francs, j’en ai eu le cœur net. J’ai vu l’enfant !

    La commère qui fit cela était une gorgone appelée madame Victurnien, gardienne et portière de la vertu de tout le monde. Madame Victurnien avait cinquante-six ans, et doublait le masque de la laideur du masque de la vieillesse. Voix chevrotante, esprit capricant. Cette vieille femme avait été jeune, chose étonnante. Dans sa jeunesse, en plein 93, elle avait épousé un moine échappé du cloître en bonnet rouge et passé des bernardins aux jacobins. Elle était sêche, rêche, revêche, pointue, épineuse, presque venimeuse ; tout en se souvenant de son moine dont elle était veuve, et qui l’avait fort domptée et pliée. C’était une ortie où l’on voyait le froissement du froc. À la restauration, elle s’était faite bigote, et si énergiquement que les prêtres lui avaient pardonné son moine. Elle avait un petit bien qu’elle léguait bruyamment à une communauté religieuse. Elle était fort bien vue à l’évêché d’Arras. Cette madame Victurnien donc alla à Montfermeil et revint en disant : J’ai vu l’enfant.

    Tout cela prit du temps. Fantine était depuis plus d’un an à la fabrique, lorsqu’un matin la surveillante de l’atelier lui remit, de la part de M. le maire, cinquante francs, en lui disant qu’elle ne faisait plus partie de l’atelier et en l’engageant, de la part de M. le maire, à quitter le pays.

    C’était précisément dans ce même mois que les Thénardier, après avoir demandé douze francs au lieu de six, venaient d’exiger quinze francs au lieu de douze.

    Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s’en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette. Elle balbutia quelques mots suppliants. La surveillante lui signifia qu’elle eût à sortir sur-le-champ de l’atelier. Fantine n’était du reste qu’une ouvrière médiocre. Accablée de honte plus encore que de désespoir, elle quitta l’atelier et rentra dans sa chambre. Sa faute était donc maintenant connue de tous !

    Elle ne se sentit plus la force de dire un mot. On lui conseilla de voir M. le maire ; elle n’osa pas. M. le maire lui donnait cinquante francs, parce qu’il était bon, et la chassait, parce qu’il était juste. Elle plia sous cet arrêt.


     

    IX

    SUCCÈS DE MADAME VICTURNIEN


     

    La veuve du moine fut donc bonne à quelque chose.

    Du reste ; M. Madeleine n’avait rien su de tout cela. Ce sont là de ces combinaisons d’événements dont la vie est pleine. M. Madeleine avait pour habitude de n’entrer presque jamais dans l’atelier des femmes. Il avait mis à la tête de cet atelier une vieille fille que le curé lui avait donnée, et il avait toute confiance dans cette surveillante, personne vraiment respectable, ferme, équitable, intègre, remplie de la charité qui consiste à donner, mais n’ayant pas au même degré la charité qui consiste à comprendre et à pardonner. M. Madeleine se remettait de tout sur elle. Les meilleurs hommes sont souvent forcés de déléguer leur autorité. C’est dans cette pleine puissance et avec la conviction qu’elle faisait bien, que la surveillante avait instruit le procès, jugé, condamné et exécuté Fantine.

    Quant aux cinquante francs, elle les avait donnés sur une somme que M. Madeleine lui confiait pour aumônes et secours aux ouvrières et dont elle ne rendait pas compte.

    Fantine s’offrit comme servante dans le pays ; elle alla d’une maison à l’autre. Personne ne voulut d’elle. Elle n’avait pu quitter la ville. Le marchand fripier auquel elle devait ses meubles, quels meubles ! lui avait dit : Si vous vous en allez, je vous fais arrêter comme voleuse. Le propriétaire auquel elle devait son loyer, lui avait dit : Vous êtes jeune et jolie, vous pouvez payer. Elle partagea les cinquante francs entre le propriétaire et le fripier, rendit au marchand les trois quarts de son mobilier, ne garda que le nécessaire, et se trouva sans travail, sans état, n’ayant plus que son lit, et devant encore environ cent francs.

    Elle se mit à coudre de grosses chemises pour les soldats de la garnison, et gagnait douze sous par jour. Sa fille lui en coûtait dix. C’est en ce moment qu’elle commença à mal payer les Thénardier.

    Cependant une vieille femme qui lui allumait sa chandelle quand elle rentrait le soir, lui enseigna l’art de vivre dans la misère. Derrière vivre de peu, il y a vivre de rien. Ce sont deux chambres ; la première est obscure, la seconde est noire.

    Fantine apprit comment on se passe tout à fait de feu en hiver, comment on renonce à un oiseau qui vous mange un liard de millet tous les deux jours, comment on fait de son jupon sa couverture et de sa couverture son jupon, comment on ménage sa chandelle en prenant son repas à la lumière de la fenêtre d’en face. On ne sait pas tout ce que certains êtres faibles, qui ont vieilli dans le dénûment et l’honnêteté, savent tirer d’un sou. Cela finit par être un talent. Fantine acquit ce sublime talent et reprit un peu de courage.

    À celle époque, elle disait à une voisine : — Bah ! je me dis : en ne dormant que cinq heures et en travaillant tout le reste à mes coutures, je parviendrai bien toujours à gagner à peu près du pain. Et puis, quand on est triste, on mange moins. Eh bien ! des souffrances, des inquiétudes, un, peu de pain d’un côté, des chagrins de l’autre, tout cela me nourrira.

    Dans cette détresse, avoir sa petite fille eût été un étrange bonheur. Elle songea à la faire venir. Mais quoi ! lui faire partager son dénûment ! Et puis, elle devait aux Thénardier ! comment s’acquitter ? Et le voyage ! comment le payer ?

    La vieille qui lui avait donné ce qu’on pourrait appeler des leçons de vie indigente, était une sainte fille nommée Marguerite, dévote de la bonne dévotion, pauvre, et charitable pour les pauvres et même pour les riches, sachant tout juste assez écrire pour signer Margeritte, et croyant en Dieu, ce qui est la science.

    Il y a beaucoup de ces vertus-là en bas ; un jour elles seront en haut. Cette vie a un lendemain.

    Dans les premiers temps, Fantine avait été si honteuse qu’elle n’avait pas osé sortir.

    Quand elle était dans la rue, elle devinait qu’on se retournait derrière elle et qu’on la montrait du doigt ; tout le monde la regardait et personne ne la saluait ; le mépris âcre et froid des passants lui pénétrait dans la chair et dans l’âme comme une bise.

    Dans les petites villes, il semble qu’une malheureuse soit nue sous le sarcasme et la curiosité de tous. À Paris, du moins, personne ne vous connaît, et cette obscurité est un vêtement. Oh ! comme elle eût souhaité venir à Paris ! Impossible.

    Il fallut bien s’accoutumer à la déconsidération, comme elle s’était accoutumée à l’indigence. Peu à peu elle en prit son parti. Après deux ou trois mois elle secoua la honte et se mit à sortir comme si de rien n’était. — Cela m’est bien égal, dit-elle. Elle alla et vint, la tête haute, avec un sourire amer, et sentit qu’elle devenait effrontée.

    Madame Victurnien quelquefois la voyait passer de sa fenêtre, remarquait la détresse de « cette créature », grâce à elle « remise à sa place », et se félicitait. Les méchants ont un bonheur noir.

    L’excès du travail fatiguait Fantine, et là petite toux sèche qu’elle avait augmenta. Elle disait quelquefois à sa voisine : — Tâtez donc comme mes mains sont chaudes.

    Cependant le matin, quand elle peignait avec un vieux peigne cassé ses beaux cheveux qui ruisselaient comme de la soie floche, elle avait une minute de coquetterie heureuse.


     

    X

    SUITE DU SUCCÈS


     

    Elle avait été congédiée vers la fin de l’hiver ; l’été se passa, mais l’hiver revint. Jours courts, moins de travail. L’hiver, point de chaleur, point de lumière, point de midi, le soir touche au matin, brouillard, crépuscule, la fenêtre est grise, on n’y voit pas clair. Le ciel est un soupirail. Toute la journée est une cave. Le soleil a l’air d’un pauvre. L’affreuse saison ! L’hiver change en pierre l’eau du ciel et le cœur de l’homme. Ses créanciers la harcelaient.

    Fantine gagnait trop peu. Ses dettes avaient grossi. Les Thénardier, mal payés, lui écrivaient à chaque instant des lettres dont le contenu la désolait et dont le port la ruinait. Un jour ils lui écrivirent que sa petite Cosette était toute nue par le froid qu’il faisait, qu’elle avait besoin d’une jupe de laine, et qu’il fallait au moins que la mère envoyât dix francs pour cela. Elle reçut la lettre et la froissa dans ses mains tout le jour. Le soir elle entra chez un barbier qui habitait le coin de la rue, et défit son peigne. Ses admirables cheveux blonds lui tombèrent jusqu’aux reins.

    Les beaux cheveux ! s’écria le barbier.

    Combien m’en donneriez-vous ? dit-elle.

    Dix francs.

    Coupez-les.

    Elle acheta une jupe de tricot et l’envoya aux Thénardier.

    Cette jupe fit les Thénardier furieux. C’était de l’argent qu’ils voulaient. Ils donnèrent la jupe à Éponine. La pauvre Alouette continua de frissonner.

    Fantine pensa : — Mon enfant n’a plus froid. Je l’ai habillée de mes cheveux. — Elle mettait de petits bonnets ronds qui cachaient sa tête tondue et avec lesquels elle était encore jolie.

    Un travail ténébreux se faisait dans le cœur de Fantine. Quand elle vit qu’elle ne pouvait plus se coiffer, elle commença à tout prendre en haine autour d’elle. Elle avait longtemps partagé la vénération de tous pour le père Madeleine ; cependant, à force de se répéter que c’était lui qui l’avait chassée, et qu’il était la cause de son malheur, elle en vint à le haïr lui aussi, lui surtout. Quand elle passait devant la fabrique aux heures où les ouvriers sont sur la porte, elle affectait de rire et de chanter.

    Une vieille ouvrière qui la vit une fois chanter et rire de cette façon dit : — Voilà une fille qui finira mal.

    Elle prit un amant, le premier venu, un homme qu’elle n’aimait pas, par bravade, avec la rage dans le cœur. C’était un misérable, une espèce de musicien mendiant, un oisif gueux, qui la battait, et qui la quitta comme elle l’avait pris, avec dégoût.

    Elle adorait son enfant.

    Plus elle descendait, plus tout devenait sombre autour d’elle, plus ce petit ange rayonnait dans le fond de son âme. Elle disait : Quand je serai riche, j’aurai ma Cosette avec moi ; et elle riait. La toux ne la quittait pas, et elle avait des sueurs dans le dos.

    Un jour elle reçut des Thénardier une lettre ainsi conçue : « Cosette est malade d’une maladie qui est dans le pays. Une fièvre miliaire, qu’ils appellent. Il faut des drogues chères. Cela nous ruine et nous ne pouvons plus payer. Si vous ne nous envoyez pas quarante francs avant huit jours, la petite est morte. »

    Elle se mit à rire aux éclats, et elle dit à sa vieille voisine : — Ah ! ils sont bons ! quarante francs ! que ça ! ça fait deux napoléons ! Où veulent-ils que je les prenne ? Sont-ils bêtes ces paysans !

    Cependant elle alla dans l’escalier près d’une lucarne et relut cette lettre. Puis elle descendit l’escalier et sortit en courant et en sautant, riant toujours.

    Quelqu’un qui la rencontra lui dit — Qu’est-ce que vous avez donc à être si gaie ?

    Elle répondit : — C’est une bonne bêtise que viennent de m’écrire des gens de la campagne. Ils me demandent quarante francs. Paysans, va !

    Comme elle passait sur la place, elle vit beaucoup de monde qui entourait une voiture de forme bizarre, sur l’impériale de laquelle pérorait tout debout un homme vêtu de rouge. C’était un bateleur dentiste en tournée, qui offrait au public des râteliers complets, des opiats, des poudres et des élixirs.

    Fantine se mêla au groupe et se mit à rire comme les autres de cette harangue où il y avait de l’argot pour la canaille et du jargon pour les gens comme il faut. L’arracheur de dents vit cette belle fille qui riait, et s’écria tout à coup : — Vous avez de jolies dents, la fille qui riez là. Si vous voulez me vendre vos deux palettes, je vous donne de chaque un napoléon d’or.

    Qu’est-ce que c’est que ça, mes palettes ? demanda Fantine.

    Les palettes, reprit le professeur dentiste, c’est les dents de devant, les deux d’en haut.

    Quelle horreur ! s’écria Fantine,

    Deux napoléons ! grommela une vieille édentée qui était là. Qu’en voilà une qui est heureuse !

    Fantine s’enfuit et se boucha les oreilles pour ne pas entendre la voix enrouée de l’homme qui lui criait : — Ré fléchissez, la belle ! deux napoléons, ça peut servir. Si le cœur vous en dit, venez ce soir à l’auberge du Tillac d’argent, vous m’y trouverez.

    Fantine rentra, elle était furieuse et conta la chose à sa bonne voisine Marguerite : — Comprenez-vous ? ne voilà-t-il pas un abominable homme ? comment laisse-t-on des gens comme cela aller dans le pays ! M’arracher mes deux dents de devant ! mais je serais horrible ! Les cheveux repoussent, mais les dents ! Ah ! le monstre d’homme ! j’aimerais mieux me jeter d’un cinquième la tête la première sur le pavé ! Il m’a dit qu’il serait ce soir au Tillac d’argent.

    Et qu’est-ce qu’il offrait ? demanda Marguerite.

    Deux napoléons.

    Cela fait quarante francs.

    Oui, dit Fantine, cela fait quarante francs.

    Elle resta pensive, et se mit à son ouvrage. Au bout d’un quart d’heure, elle quitta sa couture et alla relire la lettre des Thénardier sur l’escalier.

    En rentrant, elle dit à Marguerite qui travaillait près d’elle :

    Qu’est-ce que c’est donc cela une fièvre miliaire ? Savez-vous ?

    Oui, répondit la vieille fille, c’est une maladie.

    Ça a donc besoin de beaucoup de drogues ?

    Oh ! des drogues terribles.

    Où ça vous prend-il ?

    C’est une maladie qu’on a comme ça.

    Cela attaque donc les enfants ?

    Surtout les enfants.

    Est-ce qu’on en meurt ?

    Très bien, dit Marguerite.

    Fantine sortit et alla encore une fois relire la lettre sur l’escalier.

    Le soir elle descendit et on là vit qui se dirigeait du côté de la rue de Paris où sont les auberges.

    Le lendemain matin, comme Marguerite entrait dans la chambre de Fantine avant le jour, car elles travaillaient toujours ensemble et de cette façon n’allumaient qu’une chandelle pour deux, elle trouva Fantine assise sur son fil, pâle, glacée. Elle ne s’était pas couchée. Son bonnet était tombé sur ses genoux. La chandelle avait brûlé toute la nuit et était presque entièrement consumée.

    Marguerite s’arrêta sur le seuil, pétrifiée de cet énorme désordre, et s’écria :

    Seigneur ! la chandelle qui est toute brûlée ! il s’est passé des événements !

    Puis elle regarda Fantine qui tournait vers elle sa tête sans cheveux.

    Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans,

    Jésus ! fit Marguerite, qu’est-ce que vous avez, Fantine ?

    Je n’ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente.

    En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons qui brillaient sur la table.

    Ah, Jésus Dieu ! dit Marguerite. Mais c’est une fortune ! Où avez-vous eu ces louis d’or ?

    Je les ai eus, répondit Fantine.

    En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C’était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.

    Les deux dents étaient arrachées.

    Elle envoya les quarante francs à Montfermeil.

    Du reste c’était une ruse des Thénardier pour avoir de l’argent. Cosette n’était pas malade.

    Fantine jeta son miroir par la fenêtre. Depuis longtemps elle avait quitté sa cellule du second pour une mansarde fermée d’un loquet sous le toit ; un de ces galetas dont le plafond fait angle avec le plancher et vous heurte à chaque instant la tête. Le pauvre ne peut aller au fond de sa chambre comme au fond de sa destinée qu’en se courbant de plus en plus. Elle n’avait plus de lit, il lui restait une loque qu’elle appelait sa couverture, un matelas à terre et une chaise dépaillée. Un petit rosier qu’elle avait s’était desséché dans un coin, oublié. Dans l’autre coin, il y avait un pot à beurre à mettre l’eau, qui gelait l’hiver, et où les différents niveaux de l’eau restaient longtemps marqués par des cercles de glace. Elle avait perdu la honte, elle perdit la coquetterie. Dernier signe. Elle sortait avec des bonnets sales. Soit faute de temps, soit indifférence, elle ne raccommodait plus son linge. À mesure que les talons s’usaient, elle tirait ses bas dans ses souliers. Cela se voyait à de certains plis perpendiculaires. Elle rapiéçait son corset, vieux et usé, avec des morceaux de calicot qui se déchiraient au moindre mouvement. Les gens auxquels elle devait lui fai saient « des scènes », et ne lui laissaient aucun repos. Elle les trouvait dans la rue, elle les retrouvait dans son escalier. Elle passait des nuits à pleurer et à songer. Elle avait les yeux très brillants, et elle sentait une douleur fixe dans l’épaule, vers le haut de l’omoplate gauche. Elle toussait beaucoup. Elle haïssait profondément le père Madeleine, et ne se plaignait pas. Elle cousait dix-sept heures par jour ; mais un entrepreneur du travail des prisons qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu, coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite ; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait. — Cent francs, songea Fantine. Mais où y a-t-il un état à gagner cent sous par jour ?

    Allons! dit-elle, vendons le reste.

    L’infortunée se fit fille publique.


     

    XI

    CHRISTUS NOS LIBERAVIT


     

    Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? C’est la société achetant une esclave.

    À qui ? À la misère.

    À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte.

    La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore. On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.

    Il pèse sur la femme, c’est-à-dire sur la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité. Ceci n’est pas une des moindres hontes de l’homme.

    Au point de ce douloureux drame où nous sommes arrivés, il ne reste plus rien à Fantine de ce qu’elle a été autrefois. Elle est devenue marbre en devenant boue. Qui la touche a froid. Elle passe, elle vous subit, et elle vous ignore ; elle est la figure déshonorée et sévère. La vie et l’ordre social lui ont dit leur dernier mot. Il lui est arrivé tout ce qui lui arrivera. Elle a tout ressenti, tout supporté, tout éprouvé, tout souffert, tout perdu, tout pleuré. Elle est résignée de cette résignation qui ressemble à l’indifférence comme la mort ressemble au sommeil. Elle n’évite plus rien. Elle ne craint plus rien. Tombe sur elle toute la nuée et passe sur elle tout l’océan ! que lui importe ! c’est une éponge imbibée.

    Elle le croit du moins, mais c’est une erreur de s’imaginer qu’on épuise le sort et qu’on touche le fond de quoi que ce soit.

    Hélas ! qu’est-ce que toutes ces destinées ainsi poussées pêle-mêle ? où vont-elles ? pourquoi sont-elles ainsi ?

    Celui qui sait cela voit toute l’ombre.

    Il est seul. Il s’appelle Dieu.


     

    XII

    LE DÉSŒUVREMENT DE M. BAMATABOIS


     

    Il y a dans toutes les petites villes, et il y avait à Montreuil-sur-Mer en particulier, une classe de jeunes gens qui grignotent quinze cents livres de rente en province du même air dont leurs pareils dévorent à Paris deux cent mille francs par an. Ce sont des êtres de la grande espèce neutre ; hongres, parasites, nuls, qui ont un peu de terre, un peu de sottise et un peu d’esprit, qui seraient des rustres dans un salon et se croient des gentilshommes au cabaret, qui disent : mes prés, mes bois, mes paysans, sifflent les actrices du théâtre pour prouver que ce sont des gens de goût, querellent les officiers de la garnison pour montrer qu’ils sont gens de guerre, chassent, fument, bâillent, boivent, sentent le tabac, jouent au billard, regardent les voyageurs descendre de diligence, vivent au café, dînent à l’auberge, ont un chien qui mange les os sous la table et une maîtresse qui pose les plats dessus, tiennent à un sou, exagèrent les modes, admirent la tragédie, méprisent les femmes, usent leurs vieilles bottes, copient Londres à travers Paris et Paris à travers Pont-à-Mousson, vieillissent hébétés, ne travaillent pas, ne servent à rien, et ne nuisent pas à grand’chose.

    M. Félix Tholomyès, resté dans sa province et n’ayant jamais vu Paris, serait un de ces hommes-là.

    S’ils étaient plus riches, on dirait : ce sont des élégants ; s’ils étaient plus pauvres, on dirait : ce sont des fainéants. Ce sont tout simplement des désœuvrés. Parmi ces désœuvrés, il y a des ennuyeux, des ennuyés, des rêvasseurs et quelques drôles.

    Dans ce temps-là, un élégant se composait d’un grand col, d’une grande cravate, d’une montre à breloques, de trois gilets superposés de couleur différentes, le bleu et le rouge en dedans, d’un habit couleur olive à taille courte, à queue de morue, à double rangée de boutons d’argent serrés les uns contre les autres et montant jusque sur l’épaule, et d’un pantalon olive plus clair, orné sur les deux coulures d’un nombre de côtes indéterminé, mais toujours impair, variant de une à onze, limite qui n’était jamais franchie. Ajoutez à cela des souliers-bottes avec de petits fers au talon, un chapeau à haute forme et à bords étroits, des cheveux en touffe, une énorme canne, et une conversation rehaussée des calembours de Potier. Sur le tout des éperons et des moustaches. À cette époque, des moustaches voulaient dire bourgeois et des éperons voulaient dire piéton.

    L’élégant de province portait les éperons plus longs et les moustaches plus farouches.

    C’était le temps de la lutte des républiques de l’Amérique méridionale contre le roi d’Espagne, de Bolivar contre Mo rillo. Les chapeaux à petits bords étaient royalistes et se nommaient des morillos ; les libéraux portaient des chapeaux à larges bords qui s’appelaient des bolivars.

    Huit ou dix mois donc après ce qui a été raconté dans les pages précédentes, vers les premiers jours de janvier 1823, un soir qu’il avait neigé, un de ces élégants, un de ces désœuvrés, un « bien pensant », car il avait un morillo, de plus chaudement enveloppé d’un de ces grands manteaux qui complétaient dans les temps froids le costume à la mode, se divertissait à harceler une créature qui rôdait en robe de bal et toute décolletée avec des fleurs sur la tête devant la vitre du café des officiers. Cet élégant fumait, car c’était décidément la mode.

    Chaque fois que celle femme passait devant lui, il lui jetait, avec une bouffée de la fumée de son cigare, quelque apostrophe qu’il croyait spirituelle et gaie, comme : — Que tu es laide ! — Veux-tu te cacher ! — Tu n’as pas de dents ! etc., etc. — Ce monsieur s’appelait monsieur Bamatabois. La femme, triste spectre paré qui allait et venait sur la neige, ne lui répondait pas, ne le regardait même pas, et n’en accomplissait pas moins en silence et avec une régularité sombre sa promenade qui la ramenait de cinq minutes en cinq minutes sous le sarcasme, comme le soldat condamné qui revient sous les verges. Ce peu d’effet piqua sans doute l’oisif qui, profitant d’un moment où elle se retournait, s’avança derrière elle à pas de loup et en étouffant son rire, se baissa, prit sur le pavé une poignée de neige et la lui plongea brusquement dans le dos entre ses deux épaules nues. La fille poussa un rugissement, se tourna, bondit comme une panthère, et se rua sur l’homme, lui enfonçant ses ongles dans le visage, avec les plus effroyables paroles qui puissent tomber du corps de garde dans le ruisseau. Ces injures, vomies d’une voix enrouée par l’eau-de-vie, sortaient hideusement d’une bouche à laquelle manquaient en effet les deux dents de devant. C’était la Fantine.

    Au bruit que cela fit, les officiers sortirent en foule du café, les passants s’amassèrent, et il se forma un grand cercle riant, huant et applaudissant, autour de ce tourbillon composé de deux êtres où l’on avait peine à reconnaître un homme et une femme, l’homme se débattant, son chapeau à terre, la femme frappant des pieds et des poings, décoiffée, hurlant, sans dents et sans cheveux, livide de colère, horrible.

    Tout à coup un homme de haute taille sortit vivement de la foule, saisit la femme à son corsage de satin couvert de boue, et lui dit : — Suis moi !

    La femme leva la tête; sa voix furieuse s’éteignit subitement, Ses yeux étaient vitreux, de livide elle était devenue pâle, et elle tremblait d’un tremblement de terreur. Elle avait reconnu Javert.

    L’élégant avait profité de l’incident pour s’esquiver.


     

    XIII

    SOLUTION DE QUELQUES QUESTIONS DE POLICE MUNICIPALE


     

    Javert écarta les assistants, rompit le cercle et se mit à marcher à grands pas vers le bureau de police qui est à l’extrémité de la place, traînant après lui la misérable. Elle se laissait faire machinalement. Ni lui, ni elle ne disaient un mot. La nuée des spectateurs, au paroxysme de la joie, suivait avec des quolibets. La suprême misère, occasion d’obscénités.

    Arrivé au bureau de police qui était une salle basse chauffée par un poêle et gardée par un poste, avec une porte vitrée et grillée sur la rue, Javert ouvrit la porte, entra avec la Fantine, et referma la porte derrière lui, au grand désappointement des curieux qui se haussèrent sur la pointe du pied et allongèrent le cou devant la vitre trouble du corps de garde, cherchant à voir. La curiosité est une gourmandise. Voir, c’est dévorer.

    En entrant, la Fantine alla tomber dans un coin, immobile et muette, accroupie comme une chienne qui a peur.

    Le sergent du poste apporta une chandelle allumée sur une table. Javert s’assit, tira de sa poche une feuille de papier timbré et se mit à écrire.

    Ces classes de femmes sont entièrement remises par nos lois à la discrétion de la police. Elle en fait ce qu’elle veut, les punit comme bon lui semble, et confisque à son gré ces deux tristes choses qu’elles appellent leur industrie et leur liberté. Javert était impassible ; son visage sérieux ne trahissait aucune émotion. Pourtant il était gravement et profondément préoccupé. C’était un de ces moments où il exerçait sans contrôle, mais avec tous les scrupules d’une conscience sévère, son redoutable pouvoir discrétionnaire. En cet instant, il le sentait, son escabeau d’agent de police était un tribunal. Il jugeait. Il jugeait et il condamnait. Il appelait tout ce qu’il pouvait avoir d’idées dans l’esprit autour de la grande chose qu’il faisait. Plus il examinait le fait de cette fille, plus il se sentait révolté. Il était évident qu’il venait de voir commettre un crime. Il venait de voir, là dans la rue, la société, représentée par un propriétaire- électeur, insultée et attaquée par une créature en dehors de tout. Une prostituée avait attenté à un bourgeois. Il avait vu cela, lui Javert. Il écrivait en silence.

    Quand il eut fini, il signa, plia le papier et dit au sergent du poste, en le lui remettant : — Prenez trois hommes, et menez celle fille au bloc. — Puis se tournant vers la Fantine : — Tu en as pour six mois.

    La malheureuse tressaillit.

    Six mois ! six mois de prison ! cria-t-elle. Six mois à gagner sept sous par jour ! Mais que deviendra Cosette ? ma ma fille ! ma fille ! Mais je dois encore plus de cent francs aux Thénardier, monsieur l’inspecteur, savez-vous cela ?

    Elle se traîna sur la dalle mouillée par les bottes boueuses de tous ces hommes, sans se lever, joignant les mains, faisant de grands pas avec ses genoux.

    Monsieur Javert, dit-elle, je vous demande grâce. Je vous assure que je n’ai pas eu tort. Si vous aviez vu le commencement, vous auriez vu ! je vous jure le bon Dieu que je n’ai pas eu tort. C’est ce monsieur le bourgeois que je ne connais pas qui m’a mis de la neige dans le dos. Est-ce qu’on a le droit de nous mettre de la neige dans le dos quand nous passons comme cela tranquillement sans faire de mal à personne ? Cela m’a saisie. Je suis un peu malade, voyez-vous ! Et puis il y avait déjà un peu de temps qu’il me disait des raisons. Tu es laide ! tu n’as pas de dents ! Je ne faisais rien, moi ; je disais : c’est un monsieur qui s’amuse. J’étais honnête avec lui, je ne lui parlais pas. C’est à cet instant-là qu’il m’a mis de la neige. Monsieur Javert, mon bon monsieur l’inspecteur ! est-ce qu’il n’y a personne là qui ait vu, pour vous dire que c’est bien vrai ! J’ai peut-être eu tort de me fâcher. Vous savez, dans le premier moment, on n’est pas maître. On a des vivacités. Et puis, quelque chose de si froid qu’on vous met dans le dos à l’heure que vous ne vous y attendez pas. J’ai eu tort d’abîmer le chapeau de ce monsieur. Pourquoi s’est-il en allé ? je lui demanderais pardon. Oh ! mon Dieu, cela me serait bien égal de lui demander pardon. Faites-moi grâce pour aujourd’hui cette fois, monsieur Javert. Tenez, vous ne savez pas ça, dans les prisons on ne gagne que sept sous, ce n’est pas la faute du gouvernement, mais on gagne sept sous, et figurez-vous que j’ai cent francs à payer, ou autrement on me renverra ma petite. Ô mon Dieu ! je ne peux pas l’avoir avec moi. C’est si vilain ce que je fais ! Ô ma Cosette, ô mon petit ange de la bonne sainte vierge, qu’est-ce qu’elle deviendra, pauvre loup ! Je vais vous dire, c’est les Thénardier, des aubergistes, des paysans, ça n’a pas de raisonnement. Il leur faut de l’argent. Ne me mettez pas en prison ! Voyez-vous, c’est une petite qu’on mettrait à même sur la grande route, va comme tu pourras, en plein cœur d’hiver, il faut avoir pitié de cette chose-là, mon bon monsieur Javert. Si c’était plus grand, ça gagnerait sa vie, mais ça ne peut pas, à ces âges-là. Je ne suis pas une mauvaise femme au fond. Ce n’est pas la lâcheté et la gourmandise qui ont fait de moi ça. J’ai bu de l’eau-de-vie, c’est par misère. Je ne l’aime pas, mais cela étourdit. Quand j’étais plus heureuse, on n’aurait eu qu’à regarder dans mes armoires, on aurait bien vu que je n’étais pas une femme coquette qui a du désordre. J’avais du linge, beaucoup de linge. Ayez pitié de moi, monsieur Javert !

    Elle parlait ainsi, brisée en deux, secouée par les sanglots, aveuglée par les larmes, la gorge nue, se tordant les mains, toussant d’une voix sèche et courte, balbutiant tout doucement avec la voix de l’agonie. La grande douleur est un rayon divin et terrible qui transfigure les misérables. À ce moment-là, la Fantine était redevenue belle. À de certains instants, elle s’arrêtait et baisait tendrement le bas de la redingote du mouchard. Elle eût attendri un cœur de granit ; mais on n’attendrit pas un cœur de bois.

    Allons ! dit Javert, je t’ai écoutée. As-tu bien tout dit ? Marche à présent ! Tu as les six mois ; le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien.

    À cette solennelle parole, le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien, elle comprit que l’arrêt était prononcé. Elle s’affaissa sur elle-même en murmurant :

    Grâce !

    Javert tourna le dos.

    Les soldats la saisirent par le bras.

    Depuis quelques minutes, un homme était entré sans qu’on eût pris garde à lui. Il avait refermé la porte, s’y était adossé, et avait entendu les prières désespérées de la Fantine.

    Au moment où les soldats mirent la main sur la malheureuse, qui ne voulait pas se lever, il fit un pas, sortit de l’ombre, et dit :

    Un instant, s’il vous plaît !

    Javert leva les yeux et reconnut M. Madeleine. Il ôta son chapeau, et saluant avec une sorte de gaucherie fâchée :

    Pardon, monsieur le maire...

    Ce mot, monsieur le maire, fit sur Fantine un effet étrange. Elle se dressa debout tout d’une pièce comme un spectre qui sort de terre, repoussa les soldats des deux bras, marcha droit à M. Madeleine avant qu’on eût pu la retenir, et le regardant fixement, l’air égaré, elle cria :

    Ah ! c’est donc toi qui es monsieur le maire !

    Puis elle éclata de rire et lui cracha au visage.

    M. Madeleine s’essuya le visage, et dit :

    Inspecteur Javert, mettez cette femme en liberté.

    Javert se sentit au moment de devenir fou. Il éprouvait en cet instant, coup sur coup, et presque mêlées ensemble, les plus violentes émotions qu’il eût ressenties de sa vie. Voir une fille publique cracher au visage d’un maire, cela était une chose si monstrueuse que, dans ses suppositions les plus effroyables, il eût regardé comme un sacrilège de le croire possible. D’un autre côté, dans le fond de sa pensée, il faisait confusément un rapprochement hideux entre ce qu’était cette femme et ce que pouvait être ce maire, et alors il entrevoyait avec horreur je ne sais quoi de tout simple dans ce prodigieux attentat. Mais quand il vit ce maire, ce magistrat, s’essuyer tranquillement le visage et dire : Mettez cette femme en liberté, il eut comme un éblouissement de stupeur ; la pensée et la parole lui manquèrent également ; la somme de l’étonnement possible était dépassée pour lui. Il resta muet.

    Ce mot n’avait pas porté un coup moins étrange à la Fantine. Elle leva son bras nu et se cramponna à la clef du poêle comme une personne qui chancelle. Cependant elle regardait tout autour d’elle et elle se mit à parler à voix basse, comme si elle se parlait à elle-même.

    En liberté ! qu’on me laisse aller ! que je n’aille pas en prison six mois ! Qui est-ce qui a dit cela ? Il n’est pas possible qu’on ait dit cela. J’ai mal entendu. Ça ne peut pas être ce monstre de maire ! Est-ce que c’est vous, mon bon monsieur Javert, qui avez dit qu’on me mette en liberté ? Oh ! voyez-vous ! je vais vous dire et vous me laisserez aller. Ce monstre de maire, ce vieux gredin de maire, c’est lui qui est cause de tout. Figurez-vous, monsieur Javert, qu’il m’a chassée ! à cause d’un tas de gueuses qui tiennent des propos dans l’atelier. Si ce n’est pas là une horreur ! renvoyer une pauvre fille qui fait honnêtement son ouvrage ! Alors je n’ai plus gagné assez, et tout le malheur est venu. D’abord il y a une amélioration que ces messieurs de la police devraient bien faire, ce serait d’empêcher les entrepreneurs des prisons de faire du tort aux pauvres gens. Je vais vous expliquer cela, voyez-vous. Vous gagnez douze sous dans les chemises, cela tombe à neuf sous, il n’y a plus moyen de vivre. Il faut donc devenir ce qu’on peut. Moi, j’avais ma petite Cosette, j’ai bien été forcée de devenir une mauvaise femme. Vous comprenez à présent que c’est ce gueux de maire qui a fait tout le mal. Après cela j’ai piétiné le chapeau de ce monsieur bourgeois devant le café des officiers. Mais lui, il m’avait perdu toute ma robe avec de la neige. Nous autres, nous n’avons qu’une robe de soie, pour le soir. Voyez-vous, je n’ai jamais fait de mal exprès, vrai, monsieur Javert, et je vois partout des femmes bien plus méchantes que moi qui sont bien plus heureuses. Ô monsieur Javert, c’est vous qui avez dit qu’on me mette dehors, n’est-ce pas ? Prenez des informations, parlez à mon propriétaire, maintenant je paye mon terme, on vous dira bien que je suis honnête. Ah ! mon Dieu, je vous demande pardon, j’ai touché, sans faire attention, à la clef du poêle, et cela fait fumer.

    M. Madeleine l’écoutait avec une attention profonde. Pendant qu’elle parlait, il avait fouillé dans son gilet, en avait tiré sa bourse et l’avait ouverte, Elle était vide. Il l’avait remise dans sa poche. Il dit à la Fantine :

    Combien avez-vous dit que vous deviez ?

    La Fantine, qui ne regardait que Javert, se retourna de son côté :

    Est-ce que je te parle, à toi !

    Puis s’adressant aux soldats :

    Dites donc, vous autres ? avez-vous vu comme je te vous lui ai craché à la figure ? Ah ! vieux scélérat de maire, tu viens ici pour me faire peur, mais je n’ai pas peur de toi. J’ai peur de monsieur Javert. J’ai peur de mon bon monsieur Javert !

    En parlant ainsi elle se retourna vers l’inspecteur :

    Avec ça, voyez-vous, monsieur l’inspecteur, il faut être juste. Je comprends que vous êtes juste, monsieur l’inspecteur. Au fait, c’est tout simple, un homme qui joue à mettre un peu de neige dans le dos d’une femme, ça les faisait rire, les officiers ; il faut bien qu’on se divertisse à quelque chose, nous autres nous sommes là pour qu’on s’amuse, quoi ! Et puis, vous, vous venez, vous êtes bien forcé de mettre l’ordre, vous emmenez la femme qui a tort, mais en y réfléchissant, comme vous êtes bon, vous dites qu’on me mette en liberté, c’est pour la petite, parce que six mois en prison, cela m’empêcherait de nourrir mon enfant. Seulement n’y reviens plus, coquine ! Oh ! je n’y reviendrai plus, monsieur Javert ! on me fera tout ce qu’on voudra maintenant, je ne bougerai plus. Seulement, aujourd’hui, voyez-vous, j’ai crié parce que cela m’a fait mal, je ne m’attendais pas du tout à cette neige de ce monsieur ; et puis, je vous ai dit, je ne me porte pas très bien, je tousse, j’ai là dans l’estomac comme une boule qui me brûle, que le médecin me dit : soignez-vous. Tenez, tâtez, donnez votre main, n’ayez pas peur, c’est ici.

    Elle ne pleurait plus, sa voix était caressante, elle appuyait sur sa gorge blanche et délicate la grosse main rude de Javert et elle le regardait en souriant.

    Tout à coup elle rajusta vivement le désordre de ses vêtements, fit retomber les plis de sa robe qui en se traînant s’était relevée presque à la hauteur du genou, et marcha vers la porte en disant à demi-voix aux soldats avec un signe de tête amical :

    Les enfants, monsieur l’inspecteur a dit qu’on me lâche, je m’en vas.

    Elle mit la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue.

    Javert jusqu’à cet instant était resté debout, immobile, l’œil fixé à terre, posé de travers au milieu de cette scène comme une statue dérangée qui attend qu’on la mette quelque part.

    Le bruit que fit le loquet le réveilla. Il releva la tête avec une expression d’autorité souveraine, expression d’autant plus effrayante que le pouvoir se trouve placé plus bas, féroce chez la bête fauve, atroce chez l’homme de rien.

    Sergent ! cria-t-il, vous ne voyez pas que cette drôlesse s’en va ! Qui est-ce qui vous a dit de la laisser aller ?

    Moi, dit Madeleine.

    La Fantine à la voix de Javert avait tremblé et lâché le loquet comme un voleur pris lâche l’objet volé. À la voix de Madeleine, elle se retourna, et à partir de ce moment, sans qu’elle prononçât un mot, sans qu’elle osât même laisser sortir son souffle librement, son regard alla tour à tour de Madeleine à Javert et de Javert à Madeleine, selon que c’était l’un ou l’autre qui parlait.

    Il était évident qu’il fallait que Javert eût été comme on dit « jeté hors des gonds » pour qu’il se fût permis d’apostropher le sergent comme il l’avait fait, après l’invitation du maire de mettre Fantine en liberté. En était-il venu à oublier la présence de monsieur le maire ? Avait-il fini par se déclarer à lui-même qu’il était impossible qu’une « autorité » eût donné un pareil ordre, et que bien certainement monsieur le maire avait dû dire sans le vouloir une chose pour une autre ? Ou bien, devant les énormités dont il était témoin depuis deux heures, se disait-il qu’il fallait revenir aux suprêmes résolutions, qu’il était nécessaire que le petit se fît grand, que le mouchard se transformât en magistrat, que l’homme de police devînt homme de justice, et qu’en cette extrémité prodigieuse l’ordre, la loi, la morale, le gouvernement, la société tout entière, se personnifiaient en lui Javert ?

    Quoi qu’il en soit, quand M. Madeleine eut dit ce moi qu’on vient d’entendre, on vit l’inspecteur de police Javert se tourner vers monsieur le maire, pâle, froid, les lèvres bleues, le regard désespéré, tout le corps agité d’un tremblement imperceptible, et, chose inouïe, lui dire, l’œil baissé, mais la voix ferme :

    Monsieur le maire, cela ne se peut pas.

    Comment ? dit M. Madeleine.

    Cette malheureuse a insulté un bourgeois.

    Inspecteur Javert, repartit M. Madeleine avec un accent conciliant et calme, écoutez. Vous êtes un honnête homme, et je ne fais nulle difficulté de m’expliquer avec vous. Voici le vrai. Je passais sur la place comme vous emmeniez cette femme, il y avait encore des groupes, je me suis informé, j’ai tout su, c’est le bourgeois qui a eu tort et qui, en bonne police, eût dû être arrêté.

    Javert reprit :

    Cette misérable vient d’insulter monsieur le maire.

    Ceci me regarde, dit M. Madeleine. Mon injure est à moi peut-être. J’en puis faire ce que je veux.

    Je demande pardon à monsieur le maire. Son injure n’est pas à lui, elle est à la justice.

    Inspecteur Javert, répliqua M. Madeleine, la première justice, c’est la conscience. J’ai entendu cette femme. Je sais ce que je fais.

    Et moi, monsieur le maire, je ne sais pas ce que je vois.

    Alors contentez-vous d’obéir.

    J’obéis à mon devoir. Mon devoir veut que cette femme fasse six mois de prison.

    M. Madeleine répondit avec douceur :

    Écoutez bien ceci. Elle n’en fera pas un jour.

    À cette parole décisive, Javert osa regarder le maire fixement, et lui dit, mais avec un son de voix toujours profondément respectueux :

    Je suis au désespoir de résister à monsieur le maire, c’est la première fois de ma vie, mais il daignera me permettre de lui faire observer que je suis dans la limite de mes attributions. Je reste, puisque monsieur le maire le veut, dans le fait du bourgeois. J’étais là. C’est cette fille qui s’est jetée sur monsieur Bamatabois, qui est électeur et propriétaire de cette belle maison à balcon qui fait le coin de l’esplanade, à trois étages et toute en pierre de taille. Enfin, il y a des choses dans ce monde ! Quoi qu’il en soit, monsieur le maire, cela, c’est un fait de police de la rue qui me regarde, et je retiens la femme Fantine.

    Alors M. Madeleine croisa les bras et dit avec une voix sévère que personne dans la ville n’avait encore entendue :

    Le fait dont vous parlez est un fait de police municipale. Aux termes des articles neuf, onze, quinze et soixante-six du code d’instruction criminelle, j’en suis juge. J’ordonne que cette femme soit mise en liberté.

    Javert voulut tenter un dernier effort.

    Mais, monsieur le maire...

    Je vous rappelle, à vous, l’article quatrevingt-un de la loi du 13 décembre 1799 sur la détention arbitraire.

    Monsieur le maire, permettez...

    Plus un mot.

    Pourtant...

    Sortez, dit M. Madeleine.

    Javert reçut le coup, debout, de face, et en pleine poitrine comme un soldat russe. Il salua jusqu’à terre monsieur le maire, et sortit.

    Fantine se rangea de la porte et le regarda avec stupeur passer devant elle.

    Cependant elle aussi était en proie à un bouleversement étrange. Elle venait de se voir en quelque sorte disputée par deux puissances opposées. Elle avait vu lutter devant ses yeux deux hommes tenant dans leurs mains sa liberté, sa vie, son âme, son enfant ; l’un de ces hommes l’attirait du côté de l’ombre, l’autre la ramenait vers la lumière. Dans cette lutte, entrevue à travers les grossissements de l’épouvante, ces deux hommes lui étaient apparus comme deux géants ; l’un parlait comme son démon, l’autre parlait comme son bon ange. L’ange avait vaincu le démon, et, chose qui la faisait frissonner de la tête aux pieds, cet ange, ce libérateur, c’était précisément l’homme qu’elle abhorrait, ce maire qu’elle avait si longtemps considéré comme l’auteur de tous ses maux, ce Madeleine ! et, au moment même où elle venait de l’insulter dune façon hideuse, il la sauvait ! S’était-elle donc trompée ? Devait-elle donc changer toute son âme ?... Elle ne savait, elle tremblait. Elle écoutait éperdue, elle regardait effarée, et à chaque parole que disait M. Madeleine, elle sentait fondre et s’écrouler en elle les affreuses ténèbres de la haine et naître dans son cœur je ne sais quoi de réchauffant et d’ineffable qui était de la joie, de la confiance et de l’amour.

    Quand Javert fut sorti, M. Madeleine se tourna vers elle, et il lui dit avec une voix lente, ayant peine à parler comme un homme sérieux qui ne veut pas pleurer :

    Je vous ai entendue. Je ne savais rien de ce que vous avez dit. Je crois que c’est vrai, et je sens que c’est vrai. J’ignorais même que vous eussiez quitté mes ateliers. Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressée à moi ? Mais voici : je payerai vos dettes, je ferai revenir votre enfant, ou vous irez la rejoindre. Vous vivrez ici, à Paris, où vous voudrez. Je me charge de votre enfant et de vous. Vous ne travaillerez plus, si vous voulez. Je vous donnerai tout l’argent qu’il vous faudra. Vous redeviendrez honnête en redevenant heureuse. Et même, écoutez, je vous le déclare dès à présent, si tout est comme vous le dites, et je n’en doute pas, vous n’avez jamais cessé d’être vertueuse et sainte devant Dieu. Oh ! pauvre femme !

    C’en était plus que la pauvre Fantine n’en pouvait supporter. Avoir Cosette ! sortir de cette vie infâme ! vivre libre, riche, heureuse, honnête, avec Cosette ! voir brusquement s’épanouir au milieu de sa misère toutes ces réalités du paradis ! Elle regarda comme hébétée cet homme qui lui parlait, et ne put que jeter deux ou trois sanglots : oh ! oh ! oh ! Ses jarrets plièrent, elle se mit à genoux devant M. Madeleine, et, avant qu’il eût pu l’en empêcher, il sentit qu’elle lui prenait la main et que ses lèvres s’y posaient.

    Puis elle s’évanouit.


     


    I

    COMMENCEMENT DU REPOS


     

    M. Madeleine fit transporter la Fantine à cette infirmerie qu’il avait dans sa propre maison. Il la confia aux sœurs qui la mirent au lit. Une fièvre ardente était survenue. Elle passa une partie de la nuit à délirer et à parler haut. Cependant elle finit par s’endormir.

    Le lendemain vers midi Fantine se réveilla, elle entendit une respiration tout près de son lit, elle écarta son rideau et vit M. Madeleine debout qui regardait quelque chose au- Il soupira profondément. Elle cependant lui souriait avec ce sublime sourire auquel il manquait deux dents.

    Javert dans cette même nuit avait écrit une lettre. Il remit lui-même cette lettre le lendemain matin au bureau de poste de Montreuil-sur-mer. Elle était pour Paris, et la suscription portait : À monsieur Chabouillet, secrétaire de monsieur le préfet de police. Comme l’affaire du corps de garde s’était ébruitée, la directrice du bureau de poste et quelques autres personnes qui virent la lettre avant le départ et qui reconnurent l’écriture de Javert sur l’adresse, pensèrent que c’était sa démission qu’il envoyait.

    M. Madeleine se hâta d’écrire aux Thénardier. Fantine leur devait cent vingt francs. Il leur envoya trois cents francs en leur disant de se payer sur cette somme, et d’amener tout de suite l’enfant à Montreuil-sur-mer où sa mère malade la réclamait.

    Ceci éblouit le Thénardier.

    Diable ! dit-il à sa femme, ne lâchons pas l’enfant. Voilà que cette mauviette va devenir une vache à lait. Je devine. Quelque jocrisse se sera amouraché de la mère.

    Il riposta par un mémoire de cinq cents et quelques francs fort bien fait. Dans ce mémoire figuraient pour plus de trois cents francs deux notes incontestables, l’une d’un médecin, l’autre d’un apothicaire, lesquels avaient soigné et médicamenté dans deux longues maladies Éponine et Azelma. Cosette, nous l’avons dit, n’avait pas été malade. Ce fut l’affaire d’une toute petite substitution de noms. Thénardier mit au bas du mémoire : Reçu à compte trois cents francs.

    M. Madeleine envoya tout de suite trois cents autres francs et écrivit : Dépêchez-vous d’amener Cosette.

    Cristi ! dit le Thénardier, ne lâchons pas l’enfant.

    Cependant Fantine ne se rétablissait point. Elle était toujours à l’infirmerie.

    Les sœurs n’avaient d’abord reçu et soigné « cette fille » qu’avec répugnance. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes est un des plus profonds instincts de la dignité féminine ; les sœurs l’avaient éprouvé, avec le redoublement qu’ajoute la religion. Mais, en peu de jours, Fantine les avait désarmées. Elle avait toutes sortes de paroles humbles et douces, et la mère qui était en elle attendrissait. Un jour les sœurs l’entendirent qui disait à travers la fièvre : — J’ai été une pécheresse, mais quand j’aurai mon enfant près de moi, cela voudra dire que Dieu m’a pardonné. Pendant que j’étais dans le mal, je n’aurais pas voulu avoir ma Cosette avec moi, je n’aurais pas pu supporter ses yeux étonnés et tristes. C’était pour elle pourtant que je faisais le mal, et c’est ce qui fait que Dieu me pardonne. Je sentirai la bénédiction du bon Dieu quand Cosette sera ici. Je la regarderai, cela me fera du bien de voir cette innocente. Elle ne sait rien du tout. C’est un ange, voyez-vous, mes sœurs. À cet âge-là, les ailes, ça n’est pas encore tombé.

    M. Madeleine l’allait voir deux fois par jour, et chaque fois elle lui demandait :

    Verrai-je bientôt ma Cosette ?

    Il lui répondait :

    Peut-être demain matin. D’un moment à l’autre elle arrivera, je l’attends.

    Et le visage pâle de la mère rayonnait.

    Oh ! disait-elle, comme je vais être heureuse !

    Nous venons de dire qu’elle ne se rétablissait pas. Au contraire, son état semblait s’aggraver de semaine en semaine. Cette poignée de neige appliquée à nu sur la peau entre les deux omoplates avait déterminé une suppression subite de transpiration à la suite de laquelle la maladie qu’elle couvait depuis plusieurs années finit par se déclarer violemment. On commençait alors à suivre pour l’étude et le traitement des maladies de poitrine les belles indications de Laënnec. Le médecin ausculta Fantine et hocha la tête.

    M. Madeleine dit au médecin :

    Eh bien ?

    N’a-t-elle pas un enfant qu’elle désire voir ? dit le médecin.

    Oui.

    Eh bien, hâtez-vous de le faire venir.

    M. Madeleine eut un tressaillement.

    Fantine lui demanda :

    Qu’a dit le médecin ?

    M. Madeleine s’efforça de sourire.

    Il a dit de faire venir bien vite votre enfant. Que cela vous rendra la santé.

    Oh ! reprit-elle, il a raison ! Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ces Thénardier à me garder ma Cosette ! Oh ! elle va venir. Voici enfin que je vois le bonheur tout près de moi !

    Le Thénardier cependant ne « lâchait pas l’enfant » et donnait cent mauvaises raisons. Cosette était un peu souffrante pour se mettre en route l’hiver. Et puis il y avait un reste de petites dettes criardes dans le pays dont il rassemblait les factures, etc., etc.

    J’enverrai quelqu’un chercher Cosette, dit le père Madeleine. S’il le faut, j’irai moi-même.

    Il écrivit sous la dictée de Fantine cette lettre qu’il lui fit signer :

    « Monsieur Thénardier,

    « Vous remettrez Cosette à la personne.

    « On vous payera toutes les petites choses.

    « J’ai l’honneur de vous saluer avec considération.

    « Fantine. »

    Sur ces entrefaites, il survint un grave incident. Nous avons beau tailler de notre mieux le bloc mystérieux dont notre vie est faite, la veine noire de la destinée y reparaît toujours.


     

    II

    COMMENT JEAN PEUT DEVENIR CHAMP


     

    Un matin, M. Madeleine était dans son cabinet, occupé à régler d’avance quelques affaires pressantes de la mairie pour le cas où il se déciderait à ce voyage de Montfermeil, lorsqu’on vint lui dire que l’inspecteur de police Javert demandait à lui parler. En entendant prononcer ce nom, M. Madeleine ne put se défendre d’une impression désagréable. Depuis l’aventure du bureau de police, Javert l’avait plus que jamais évité, et M. Madeleine ne l’avait point revu.

    Faites entrer, dit-il.

    Javert entra.

    M. Madeleine était resté assis près de la cheminée, une plume à la main, l’œil sur un dossier qu’il feuilletait et qu’il annotait, et qui contenait des procès-verbaux de contraventions à la police de la voirie. Il ne se dérangea point pour Javert. Il ne pouvait s’empêcher de songer à la pauvre Fantine, et il lui convenait d’être glacial.

    Javert salua respectueusement M. le maire qui lui tournait le dos. M. le maire ne le regarda pas et continua d’annoter son dossier.

    Javert fit deux ou trois pas dans le cabinet, et s’arrêta sans rompre le silence. Un physionomiste qui eût été familier avec la nature de Javert, qui eût étudié depuis longtemps ce sauvage au service de la civilisation, ce composé bizarre du Romain, du Spartiate, du moine et du caporal, cet espion incapable d’un mensonge, ce mouchard vierge, un physionomiste qui eût su sa secrète et ancienne aversion pour M. Madeleine, son conflit avec le maire au sujet de la Fantine, et qui eût considéré Javert en ce moment, se fût dit : que s’est-il passé ? Il était évident, pour qui eût connu cette conscience droite, claire, sincère, probe, austère et féroce, que Javert sortait de quelque grand événement intérieur. Javert n’avait rien dans l’âme qu’il ne l’eût aussi sur le visage. Il était, comme les gens violents, sujet aux revirements brusques. Jamais sa physionomie n’avait été plus étrange et plus inattendue. En entrant, il s’était incliné devant M. Madeleine avec un regard où il n’y avait ni rancune, ni colère, ni défiance, il s’était arrêté à quelques pas derrière le fauteuil du maire ; et maintenant il se tenait là, debout, dans une attitude presque disciplinaire, avec la rudesse naïve et froide d’un homme qui n’a jamais été doux et qui a toujours été patient ; il attendait, sans dire un mot, sans faire un mouvement, dans une humilité vraie et dans une résignation tranquille, qu’il plût à monsieur le maire de se retourner ; calme, sérieux, le chapeau à la main, les yeux baissés, avec une expression qui tenait le milieu entre le soldat devant son officier et le coupable devant son juge. Tous les sentiments comme tous les souvenirs qu’on eût pu lui supposer avaient disparu. Il n’y avait plus rien sur ce visage impénétrable et simple comme le granit, qu’une morne tristesse. Toute sa personne respirait l’abaissement et la fermeté, et je ne sais quel accablement courageux.

    Enfin M. le maire posa sa plume et se tourna à demi.

    Eh bien ! qu’est-ce ? qu’y a-t-il, Javert ?

    Javert demeura un instant silencieux comme s’il se recueillait, puis éleva la voix avec une sorte de solennité triste qui n’excluait pourtant pas la simplicité :

    Il y a, monsieur le maire, qu’un acte coupable a été commis.

    Quel acte ?

    Un agent inférieur de l’autorité a manqué de respect à un magistrat de la façon la plus grave. Je viens, comme c’est mon devoir, porter le fait à votre connaissance.

    Quel est cet agent ? demanda M. Madeleine.

    Moi, dit Javert.

    Vous ?

    Moi.

    Et quel est le magistrat qui aurait à se plaindre de l’agent ?

    Vous, monsieur le maire.

    M. Madeleine se dressa sur son fauteuil. Javert poursuivit, l’air sévère et les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, je viens vous prier de vouloir bien provoquer près de l’autorité ma destitution.

    M. Madeleine stupéfait ouvrit la bouche. Javert l’interrompit.

    Vous direz, j’aurais pu donner ma démission, mais cela ne suffit pas. Donner sa démission, c’est honorable. J’ai failli, je dois être puni. Il faut que je sois chassé.

    Et après une pause, il ajouta :

    Monsieur le maire, vous avez été sévère pour moi l’autre jour injustement. Soyez-le aujourd’hui justement.

    Ah çà ! pourquoi ? s’écria M. Madeleine. Quel est ce galimatias ? qu’est-ce que cela veut dire ? où y a-t-il un acte coupable commis contre moi par vous ? qu’est-ce que vous m’avez fait ? quels torts avez-vous envers moi ? Vous vous accusez, vous voulez être remplacé…

    Chassé, dit Javert.

    Chassé, soit. C’est fort bien. Je ne comprends pas.

    Vous allez comprendre, monsieur le maire.

    Javert soupira du fond de sa poitrine et reprit toujours froidement et tristement :

    Monsieur le maire, il y a six semaines, à la suite de cette scène pour cette fille, j’étais furieux, je vous ai dénoncé.

    Dénoncé !

    À la préfecture de police de Paris.

    M. Madeleine, qui ne riait pas beaucoup plus souvent que Javert, se mit à rire.

    Comme maire ayant empiété sur la police ?

    Comme ancien forçat.

    Le maire devint livide.

    Javert, qui n’avait pas levé les yeux, continua :

    Je le croyais. Depuis longtemps j’avais des idées.

    Une ressemblance, des renseignements que vous avez fait prendre à Faverolles, votre force des reins, l’aventure du vieux Fauchelevent, votre adresse au tir, votre jambe qui traîne un peu, est-ce que je sais, moi ? des bêtises ! mais enfin je vous prenais pour un nommé Jean Valjean.

    Un nommé ?… Comment dites-vous ce nom-là ?

    Jean Valjean. C’est un forçat que j’avais vu il y a vingt ans quand j’étais adjudant-garde-chiourme à Toulon. En sortant du bagne, ce Jean Valjean avait, à ce qu’il paraît, volé chez un évêque, puis il avait commis un autre vol à main armée, dans un chemin public, sur un petit savoyard. Depuis huit ans il s’était dérobé, on ne sait comment, et on le cherchait. Moi je m’étais figuré… Enfin, j’ai fait cette chose ! La colère m’a décidé, je vous ai dénoncé à la préfecture.

    M. Madeleine, qui avait ressaisi le dossier depuis quelques instants, reprit avec un accent de parfaite indifférence :

    Et que vous a-t-on répondu ?

    Que j’étais fou.

    Eh bien ?

    Eh bien, on avait raison. donc pas le sinvre, dit Brevet. Tu es Jean Valjean ! Tu as été au bagne de Toulon. Il y a vingt ans. Nous y étions ensemble. — Le Champmathieu nie. Parbleu ! vous comprenez. On approfondit. On me fouille cette aventure-là. Voici ce qu’on trouve : ce Champmathieu, il y a une trentaine d’années, a été ouvrier émondeur d’arbres dans plusieurs pays, notamment à Faverolles. Là on perd sa trace. Longtemps après, on le revoit en Auvergne, puis à Paris, où il dit avoir été charron et avoir eu une fille blanchisseuse, mais cela n’est pas prouvé ; enfin dans ce pays-ci. Or, avant d’aller au bagne pour vol qualifié, qu’était Jean Valjean ? émondeur. Où ? à Faverolles. Autre fait. Ce Valjean s’appelait de son nom de baptême Jean et sa mère se nommait de son nom de famille Mathieu. Quoi de plus naturel que de penser qu’en sortant du bagne il aura pris le nom de sa mère pour se cacher et se sera fait appeler Jean Mathieu ? Il va en Auvergne. De Jean la prononciation du pays fait Chan, on l’appelle Chan Mathieu. Notre homme se laisse faire et le voilà transformé en Champmathieu. Vous me suivez, n’est-ce pas ? On s’informe à Faverolles. La famille de Jean Valjean n’y est plus. On ne sait plus où elle est. Vous savez, dans ces classes-là, il y a souvent de ces évanouissements d’une famille. On cherche, on ne trouve plus rien. Ces gens-là, quand ce n’est pas de la boue, c’est de la poussière. Et puis, comme le commencement de ces histoires date de trente ans, il n’y a plus personne à Faverolles qui ait connu Jean Valjean. On s’informe à Toulon. Avec Brevet, il n’y a plus que deux forçats qui aient vu Jean Valjean. Ce sont les condamnés à vie Cochepaille et Chenildieu. On les extrait du bagne et on les fait venir. On les confronte au prétendu Champmathieu. Ils n’hésitent pas. Pour eux comme pour Brevet, c’est Jean Valjean. Même âge, il a cinquante-quatre ans, même taille, même air, même homme enfin, c’est lui. C’est en ce moment-là même que j’envoyais ma dénonciation à la préfecture de Paris. On me répond que je perds l’esprit et que Jean Valjean est à Arras au pouvoir de la justice. Vous concevez si cela m’étonne, moi qui croyais tenir ici ce même Jean Valjean ! J’écris à monsieur le juge d’instruction. Il me fait venir, on m’amène le Champmathieu…

    Eh bien ? interrompit M. Madeleine.

    Javert répondit avec son visage incorruptible et triste :

    Monsieur le maire, la vérité est la vérité. J’en suis fâché, mais c’est cet homme-là qui est Jean Valjean. Moi aussi je l’ai reconnu.

    M. Madeleine reprit d’une voix très basse :

    Vous êtes sûr ?

    Javert se mit à rire de ce rire douloureux qui échappe à une conviction profonde :

    Oh, sûr !

    Il demeura un moment pensif, prenant machinalement des pincées de poudre de bois dans la sébille à sécher l’encre qui était sur la table, et il ajouta :

    Et même, maintenant que je vois le vrai Jean Valjean, je ne comprends pas comment j’ai pu croire autre chose. Je vous demande pardon, monsieur le maire.

    En adressant cette parole suppliante et grave à celui qui, six semaines auparavant, l’avait humilié en plein corps de garde et lui avait dit : sortez ! Javert, cet homme hautain, était à son insu plein de simplicité et de dignité. M. Madeleine ne répondit à sa prière que par cette question brusque :

    Et que dit cet homme ?

    Ah, dame ! monsieur le maire, l’affaire est mauvaise. Si c’est Jean Valjean, il y a récidive. Enjamber un mur, casser une branche, chiper des pommes, pour un enfant, c’est une polissonnerie ; pour un homme, c’est un délit ; pour un forçat, c’est un crime. Escalade et vol, tout y est. Ce n’est plus la police correctionnelle, c’est la cour d’assises. Ce n’est plus quelques jours de prison, ce sont les galères à perpétuité. Et puis, il y a l’affaire du petit savoyard que j’espère bien qui reviendra. Diable ! il y a de quoi se débattre, n’est-ce pas ? Oui, pour un autre que Jean Valjean. Mais Jean Valjean est un sournois. C’est encore là que je le reconnais. Un autre sentirait que cela chauffe ; il se démènerait, il crierait, la bouilloire chante devant le feu, il ne voudrait pas être Jean Valjean, et caetera. Lui, il n’a pas l’air de comprendre, il dit : Je suis Champmathieu, je ne sors pas de là ! Il a l’air étonné, il fait la brute, c’est bien mieux. Oh ! le drôle est habile. Mais c’est égal, les preuves sont là. Il est reconnu par quatre personnes, le vieux coquin sera condamné. C’est porté aux assises, à Arras. Je vais y aller pour témoigner. Je suis cité.

    M. Madeleine s’était remis à son bureau, avait ressaisi son dossier, et le feuilletait tranquillement, lisant et écrivant tour à tour comme un homme affairé. Il se tourna vers Javert :

    Assez, Javert. Au fait, tous ces détails m’intéressent fort peu. Nous perdons notre temps, et nous avons des affaires pressées. Javert, vous allez vous rendre sur-le-champ chez la bonne femme Buseaupied qui vend des herbes là-bas au coin de la rue Saint-Saulve. Vous lui direz de déposer sa plainte contre le charretier Pierre Chesnelong. Cet homme est un brutal qui a failli écraser cette femme et son enfant. Il faut qu’il soit puni. Vous irez ensuite chez M. Charcellay, rue Montre-de-Champigny. Il se plaint qu’il y a une gouttière de la maison voisine qui verse l’eau de la pluie chez lui, et qui affouille les fondations de sa maison. Après vous constaterez des contraventions de police qu’on me signale rue Guibourg chez la veuve Doris, et rue du Garraud-Blanc chez madame Renée Le Bossé, et vous dresserez procès-verbal. Mais je vous donne là beaucoup de besogne. N’allez-vous pas être absent ? ne m’avez-vous pas dit que vous alliez à Arras pour cette affaire dans huit ou dix jours ?…

    Plus tôt que cela, monsieur le maire.

    Quel jour donc ?

    Mais je croyais avoir dit à monsieur le maire que cela se jugeait demain et que je partais par la diligence cette nuit.

    M. Madeleine fit un mouvement imperceptible.

    Et combien de temps durera l’affaire ?

    Un jour tout au plus. L’arrêt sera prononcé au plus tard demain dans la nuit. Mais je n’attendrai pas l’arrêt, qui ne peut manquer. Sitôt ma déposition faite, je reviendrai ici.

    C’est bon, dit M. Madeleine.

    Et il congédia Javert d’un signe de main.

    Javert ne s’en alla pas.

    Pardon, monsieur le maire, dit-il.

    Qu’est-ce encore ? demanda M. Madeleine.

    Monsieur le maire, il me reste une chose à vous rappeler.

    Laquelle ?

    C’est que je dois être destitué.

    M. Madeleine se leva.

    Javert, vous êtes un homme d’honneur, et je vous estime. Vous vous exagérez votre faute. Ceci d’ailleurs est encore une offense qui me concerne. Javert, vous êtes digne de monter et non de descendre. J’entends que vous gardiez votre place.

    Javert regarda M. Madeleine avec sa prunelle candide au fond de laquelle il semblait qu’on vit cette conscience peu éclairée, mais rigide et chaste, et il dit d’une voix tranquille :

    Monsieur le maire, je ne puis vous accorder cela.

    Je vous répète, répliqua M. Madeleine, que la chose me regarde.

    Mais Javert, attentif à sa seule pensée, continua :

    Quant à exagérer, je n’exagère point. Voici comment je raisonne. Je vous ai soupçonné injustement. Cela, ce n’est rien. C’est notre droit à nous autres de soupçonner, quoiqu’il y ait pourtant abus à soupçonner au-dessus de soi. Mais, sans preuves, dans un accès de colère, dans le but de me venger, je vous ai dénoncé comme forçat, vous, un homme respectable, un maire, un magistrat ! ceci est grave. Très grave. J’ai offensé l’autorité dans votre personne, moi, agent de l’autorité ! Si l’un de mes subordonnés avait fait ce que j’ai fait, je l’aurais déclaré indigne du service, et chassé. Eh bien ? — Tenez, monsieur le maire, encore un mot. J’ai souvent été sévère dans ma vie. Pour les autres. C’était juste. Je faisais bien. Maintenant, si je n’étais pas sévère pour moi, tout ce que j’ai fait de juste deviendrait injuste. Est-ce que je dois m’épargner plus que les autres ? Non. Quoi ! je n’aurais été bon qu’à châtier autrui, et pas moi ! mais je serais un misérable ! mais ceux qui disent : ce gueux de Javert ! auraient raison ! Monsieur le maire, je ne souhaite pas que vous me traitiez avec bonté, votre bonté m’a fait faire assez de mauvais sang quand elle était pour les autres. Je n’en veux pas pour moi. La bonté qui consiste à donner raison à la fille publique contre le bourgeois, à l’agent de police contre le maire, à celui qui est en bas contre celui qui est en haut, c’est ce que j’appelle de la mauvaise bonté. C’est avec cette bonté-là que la société se désorganise. Mon Dieu ! c’est bien facile d’être bon, le malaisé c’est d’être juste. Allez ! si vous aviez été ce que je croyais, je n’aurais pas été bon pour vous, moi ! vous auriez vu ! Monsieur le maire, je dois me traiter comme je traiterais tout autre. Quand je réprimais des malfaiteurs, quand je sévissais sur des gredins, je me suis souvent dit à moi-même : toi, si tu bronches, si jamais je te prends en faute, sois tranquille ! — J’ai bronché, je me prends en faute, tant pis ! Allons, renvoyé, cassé, chassé ! c’est bon. J’ai des bras, je travaillerai à la terre, cela m’est égal. Monsieur le maire, le bien du service veut un exemple. Je demande simplement la destitution de l’inspecteur Javert.

    Tout cela était prononcé d’un accent humble, fier, désespéré et convaincu qui donnait je ne sais quelle grandeur bizarre à cet étrange honnête homme.

    Nous verrons, fit M. Madeleine.

    Et il lui tendit la main.

    Javert recula, et dit d’un ton farouche :

    Pardon, monsieur le maire, mais cela ne doit pas être. Un maire ne donne pas la main à un mouchard.

    Il ajouta entre ses dents :

    Mouchard, oui ; du moment où j’ai mésusé de la police, je ne suis plus qu’un mouchard.

    Puis il salua profondément, et se dirigea vers la porte.

    Là il se retourna, et, les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, dit-il, je continuerai le service jusqu’à ce que je sois remplacé.

    Il sortit. M. Madeleine resta rêveur, écoutant ce pas ferme et assuré qui s’éloignait sur le pavé du corridor.

    I

    LA SŒUR SIMPLICE


     

    Les incidents qu’on va lire n’ont pas tous été connus à Montreuil-sur-mer, mais le peu qui en a percé a laissé dans cette ville un tel souvenir, que ce serait une grave lacune dans ce livre si nous ne les racontions dans leurs moindres détails.

    Dans ces détails, le lecteur rencontrera deux ou trois circonstances invraisemblables que nous maintenons par respect pour la vérité.

    Dans l’après-midi qui suivit la visite de Javert, M. Madeleine alla voir la Fantine comme d’habitude.

    Avant de pénétrer près de Fantine, il fit demander la sœur Simplice.

    Les deux religieuses qui faisaient le service de l’infirmerie, dames lazaristes comme toutes les sœurs de charité, s’appelaient sœur Perpétue et sœur Simplice.

    La sœur Perpétue était la première villageoise venue, grossièrement sœur de charité, entrée chez Dieu comme on entre en place. Elle était religieuse comme on est cuisinière. Ce type n’est point très rare. Les ordres monastiques acceptent volontiers cette lourde poterie paysanne, aisément façonnée en capucin ou en ursuline. Ces rusticités s’utilisent pour les grosses besognes de la dévotion. La transition d’un bouvier à un carme n’a rien de heurté ; l’un devient l’autre sans grand travail ; le fond commun d’ignorance du village et du cloître est une préparation toute faite, et met tout de suite le campagnard de plain-pied avec le moine. Un peu d’ampleur au sarrau, et voilà un froc. La sœur Perpétue était une forte religieuse, de Marines, près Pontoise, patoisant, psalmodiant, bougonnant, sucrant la tisane selon le bigotisme ou l’hypocrisie du grabataire, brusquant les malades, bourrue avec les mourants, leur jetant presque Dieu au visage, lapidant l’agonie avec des prières en colère, hardie, honnête et rougeaude.

    La sœur Simplice était blanche d’une blancheur de cire. Près de sœur Perpétue, c’était le cierge à côté de la chandelle. Vincent de Paul a divinement fixé la figure de la sœur de charité dans ces admirables paroles où il mêle tant de liberté à tant de servitude : « Elles n’auront pour monastère que la maison des malades, pour cellule qu’une chambre de louage, pour chapelle que l’église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l’obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, pour voile que la modestie. » Cet idéal était vivant dans la sœur Simplice. Personne n’eût pu dire l’âge de la sœur Simplice ; elle n’avait jamais été jeune et semblait ne devoir jamais être vieille. C’était une personne — nous n’osons dire une femme — calme, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n’avait jamais menti. Elle était si douce qu’elle paraissait fragile ; plus solide d’ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux avec de charmants doigts fins et purs. Il y avait, pour ainsi dire, du silence dans sa parole ; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son de voix qui eût tout à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon. Cette délicatesse s’accommodait de la robe de bure, trouvant à ce rude contact un rappel continuel du ciel et de Dieu. Insistons sur un détail. N’avoir jamais menti, n’avoir jamais dit, pour un intérêt quelconque, même indifféremment, une chose qui ne fût la vérité, la sainte vérité, c’était le trait distinctif de la sœur Simplice ; c’était l’accent de sa vertu. Elle était presque célèbre dans la congrégation pour cette véracité imperturbable. L’abbé Sicard parle de la sœur Simplice dans une lettre au sourd-muet Massieu. Si sincères, si loyaux et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre candeur au moins la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge, mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal. Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ; mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait. Et comme elle pensait, elle pratiquait. Il en résultait cette blancheur dont nous avons parlé, blancheur qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. Son sourire était blanc, son regard était blanc. Il n’y avait pas une toile d’araignée, pas un grain de poussière à la vitre de cette conscience. En entrant dans l’obédience de saint Vincent de Paul, elle avait pris le nom de Simplice par choix spécial. Simplice de Sicile, on le sait, est cette sainte qui aima mieux se laisser arracher les deux seins que de répondre, étant née à Syracuse, qu’elle était née à Ségeste, mensonge qui la sauvait. Cette patronne convenait à cette âme.

    La sœur Simplice, en entrant dans l’ordre, avait deux défauts dont elle s’était peu à peu corrigée ; elle avait eu le goût des friandises et elle avait aimé à recevoir des lettres. Elle ne lisait jamais qu’un livre de prières en gros caractères et en latin. Elle ne comprenait pas le latin, mais elle comprenait le livre.

    La pieuse fille avait pris en affection Fantine, y sentant probablement de la vertu latente, et s’était dévouée à la soigner presque exclusivement.

    M. Madeleine emmena à part la sœur Simplice et lui recommanda Fantine avec un accent singulier dont la sœur se souvint plus tard.

    En quittant la sœur, il s’approcha de Fantine.

    Fantine attendait chaque jour l’apparition de M. Madeleine comme on attend un rayon de chaleur et de joie. Elle disait aux sœurs : — Je ne vis que lorsque monsieur le maire est là.

    Elle avait ce jour-là beaucoup de fièvre. Dès qu’elle vit M. Madeleine, elle lui demanda :

    Et Cosette ?

    Il répondit en souriant :

    Bientôt.

    M. Madeleine fut avec Fantine comme à l’ordinaire. Seulement il resta une heure au lieu d’une demi-heure, au grand contentement de Fantine. Il fît mille instances à tout le monde pour que rien ne manquât à la malade. On remarqua qu’il y eut un moment où son visage devint très sombre. Mais cela s’expliqua quand on sut que le médecin s’était penché à son oreille et lui avait dit : — Elle baisse beaucoup.

    Puis il rentra à la mairie, et le garçon de bureau le vit examiner avec attention une carte routière de France qui était suspendue dans son cabinet. Il écrivit quelques chiffres au crayon sur un papier.


     

    II

    PERSPICACITÉ DE MAÎTRE SCAUFFLAIRE


     

    De la mairie il se rendit au bout de la ville chez un flamand, maître Scaufflaer, francisé Scaufflaire, qui louait des chevaux et des « cabriolets à volonté ».

    Pour aller chez ce Scaufflaire, le plus court était de prendre une rue peu fréquentée où était le presbytère de la paroisse que M. Madeleine habitait. Le curé était, disait-on, un homme digne et respectable, et de bon conseil. À l’instant où M. Madeleine arriva devant le presbytère, il n’y avait dans la rue qu’un passant, et ce passant remarqua ceci : M. le maire, après avoir dépassé la maison curiale, s’arrêta, demeura immobile, puis revint sur ses pas et rebroussa chemin jusqu’à la porte du presbytère, qui était une porte bâtarde avec marteau de fer. Il mit vivement la main au marteau, et le souleva ; puis il s’arrêta de nouveau, et resta court, et comme pensif, et, après quelques secondes, au lieu de laisser bruyamment retomber le marteau, il le reposa doucement et reprit son chemin avec une sorte de hâte qu’il n’avait pas auparavant.

    M. Madeleine trouva maître Scaufflaire chez lui occupé à repiquer un harnais.

    Maître Scaufflaire, demanda-t-il, avez-vous un bon cheval ?

    Monsieur le maire, dit le flamand, tous mes chevaux sont bons. Qu’entendez-vous par un bon cheval ?

    J’entends un cheval qui puisse faire vingt lieues en un jour.

    Diable ! fit le flamand, vingt lieues !

    Oui.

    Attelé à un cabriolet ?

    Oui.

    Et combien de temps se reposera-t-il après la course ?

    Il faut qu’il puisse au besoin repartir le lendemain.

    Pour refaire le même trajet ?

    Oui.

    Diable ! diable ! et c’est vingt lieues ?

    M. Madeleine tira de sa poche le papier où il avait crayonné des chiffres. Il les montra au flamand. c’étaient les chiffres 5, 6, 8 1/2.

    Vous voyez, dit-il. Total, dix-neuf et demi, autant dire vingt lieues.

    Monsieur le maire, reprit le flamand, j’ai votre affaire. Mon petit cheval blanc. Vous avez dû le voir passer quelquefois. C’est une petite bête du bas Boulonnais. C’est plein de feu. On a voulu d’abord en faire un cheval de selle. Bah ! il ruait, il flanquait tout le monde par terre. On le croyait vicieux, on ne savait qu’en faire. Je l’ai acheté. Je l’ai mis au cabriolet. Monsieur, c’est cela qu’il voulait ; il est doux comme une fille, il va le vent. Ah ! par exemple, il ne faudrait pas lui monter sur le dos. Ce n’est pas son idée d’être cheval de selle. Chacun a son ambition. Tirer, oui ; porter, non ; il faut croire qu’il s’est dit ça.

    Et il fera la course ?

    Vos vingt lieues. Toujours au grand trot, et en moins de huit heures. Mais voici à quelles conditions.

    Dites.

    Premièrement, vous le ferez souffler une heure à moitié chemin ; il mangera, et on sera là pendant qu’il mangera pour empêcher le garçon de l’auberge de lui voler son avoine ; car j’ai remarqué que dans les auberges l’avoine est plus souvent bue par les garçons d’écurie que mangée par les chevaux.

    On sera là.

    Deuxièmement… Est-ce pour monsieur le maire le cabriolet ?

    Oui.

    Monsieur le maire sait conduire ?

    Oui.

    Eh bien, monsieur le maire voyagera seul et sans bagage afin de ne point charger le cheval.

    Convenu.

    Mais monsieur le maire, n’ayant personne avec lui, sera obligé de prendre la peine de surveiller lui-même l’avoine.

    C’est dit.

    Il me faudra trente francs par jour. Les jours de repos payés. Pas un liard de moins, et la nourriture de la bête à la charge de monsieur le maire.

    M. Madeleine tira trois napoléons de sa bourse et les mit sur la table.

    Voilà deux jours d’avance.

    Quatrièmement, pour une course pareille sur cabriolet serait trop lourd et fatiguerait le cheval. Il faudrait que monsieur le maire consentît à voyager dans un petit tilbury que j’ai.

    J’y consens.

    C’est léger, mais c’est découvert.

    Cela m’est égal.

    Monsieur le maire a-t-il réfléchi que nous sommes en hiver ?…

    M. Madeleine ne répondit pas. Le flamand reprit :

    Qu’il fait très froid ?

    M. Madeleine garda le silence. Maître Scaufflaire continua :

    Qu’il peut pleuvoir ?

    M. Madeleine leva la tête et dit :

    Le tilbury et le cheval seront devant ma porte demain à quatre heures et demie du matin.

    C’est entendu, monsieur le maire, répondit Scaufflaire, puis, grattant avec l’ongle de son pouce une tache qui était dans le bois de la table, il reprit de cet air insouciant que les flamands savent si bien mêler à leur finesse :

    Mais voilà que j’y songe à présent ! monsieur le maire ne me dit pas où il va. Où est-ce que va monsieur le maire ?

    Il ne songeait pas à autre chose depuis le commencement de la conversation, mais il ne savait pourquoi il n’avait pas osé faire cette question.

    Votre cheval a-t-il de bonnes jambes de devant ? dit M. Madeleine.

    Oui, monsieur le maire. Vous le soutiendrez un peu dans les descentes. Y a-t-il beaucoup de descentes d’ici où vous allez ?

    N’oubliez pas d’être à ma porte à quatre heures et demie du matin, très précises, répondit M. Madeleine ; et il sortit.

    Le flamand resta « tout bête », comme il disait lui-même quelque temps après.

    M. le maire était sorti depuis deux ou trois minutes, lorsque la porte se rouvrit, c’était M. le maire.

    Il avait toujours le même air impassible et préoccupé.

    Monsieur Scaufflaire, dit-il, à quelle somme estimez-vous le cheval et le tilbury que vous me louerez, l’un portant l’autre ?

    L’un traînant l’autre, monsieur le maire, dit le flamand avec un gros rire.

    Soit. Eh bien ?

    Est-ce que monsieur le maire veut me les acheter ?

    Non ; mais à tout événement, je veux vous les garantir. À mon retour vous me rendrez la somme. À combien estimez-vous cabriolet et cheval ?

    À cinq cents francs, monsieur le maire.

    Les voici.

    M. Madeleine posa un billet de banque sur la table, puis sortit et cette fois ne rentra plus.

    Maître Scaufflaire regretta affreusement de n’avoir point dit mille francs. Du reste le cheval et le tilbury, en bloc, valaient cent écus.

    Le flamand appela sa femme, et lui conta la chose. Où diable monsieur le maire peut-il aller ? Ils tinrent conseil. — Il va à Paris, dit la femme. — Je ne crois pas, dit le mari. M. Madeleine avait oublié sur la cheminée le papier où il avait tracé des chiffres. Le flamand le reprit et l’étudia. — Cinq, six, huit et demi ? cela doit marquer des relais de poste. Il se tourna vers sa femme. — J’ai trouvé. — Comment ? — Il y a cinq lieues d’ici à Hesdin, six de Hesdin à Saint-Pol, huit et demie de Saint-Pol à Arras. Il va à Arras.

    Cependant M. Madeleine était rentré chez lui.

    Pour revenir de chez maître Scaufflaire, il avait pris le plus long, comme si la porte du presbytère avait été pour lui une tentation, et qu’il eût voulu l’éviter. Il était monté dans sa chambre et s’y était enfermé, ce qui n’avait rien que de simple, car il se couchait volontiers de bonne heure. Pourtant la concierge de la fabrique, qui était en même temps l’unique servante de M. Madeleine, observa que sa lumière s’éteignit à huit heures et demie, et elle le dit au caissier qui rentrait, en ajoutant :

    Est-ce que monsieur le maire est malade ? je lui ai trouvé l’air un peu singulier.

    Ce caissier habitait une chambre située précisément au-dessous de la chambre de M. Madeleine. Il ne prit point garde aux paroles de la portière, se coucha et s’endormit. Vers minuit, il se réveilla brusquement ; il avait entendu à travers son sommeil un bruit au-dessus de sa tête. Il écouta. C’était un pas qui allait et venait, comme si l’on marchait dans la chambre en haut. Il écouta plus attentivement, et reconnut le pas de M. Madeleine. Cela lui parut étrange ; habituellement aucun bruit ne se faisait dans la chambre de M. Madeleine avant l’heure de son lever. Un moment après le caissier entendit quelque chose qui ressemblait à une armoire qu’on ouvre et qu’on referme. Puis on dérangea un meuble, il y eut un silence, et le pas recommença. Le caissier se dressa sur son séant, s’éveilla tout à fait, regarda, et à travers les vitres de sa croisée aperçut sur le mur d’en face la réverbération rougeâtre d’une fenêtre éclairée. À la direction des rayons, ce ne pouvait être que la fenêtre de la chambre de M. Madeleine. La réverbération tremblait comme si elle venait plutôt d’un feu allumé que d’une lumière. L’ombre des châssis vitrés ne s’y dessinait pas, ce qui indiquait que la fenêtre était toute grande ouverte. Par le froid qu’il faisait, cette fenêtre ouverte était surprenante. Le caissier se rendormit. Une heure ou deux heures après, il se réveilla encore. Le même pas, lent et régulier, allait et venait toujours au-dessus de sa tête.

    La réverbération se dessinait toujours sur le mur, mais elle était maintenant pâle et paisible comme le reflet d’une lampe ou d’une bougie. La fenêtre était toujours ouverte.

    Voici ce qui se passait dans la chambre de M. Madeleine.


     

    III

    UNE TEMPÊTE SOUS UN CRÂNE


     

    Le lecteur a sans doute deviné que M. Madeleine n’est autre que Jean Valjean.

    Nous avons déjà regardé dans les profondeurs de cette conscience ; le moment est venu d’y regarder encore. Nous ne le faisons pas sans émotion et sans tremblement. Il n’existe rien de plus terrifiant que cette sorte de contemplation. L’œil de l’esprit ne peut trouver nulle part plus d’éblouissements ni plus de ténèbres que dans l’homme ; il ne peut se fixer sur aucune chose qui soit plus redoutable, plus compliquée, plus mystérieuse et plus infinie. Il y a un spectacle plus grand que la mer, c’est le ciel ; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme.

    Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. La conscience, c’est le chaos des chimères, des convoitises et des tentatives, la fournaise des rêves, l’antre des idées dont on a honte ; c’est le pandémonium des sophismes, c’est le champ de bataille des passions. À de certaines heures, pénétrez à travers la face livide d’un être humain qui réfléchit, et regardez derrière, regardez dans cette âme, regardez dans cette obscurité. Il y a là, sous le silence extérieur, des combats de géants comme dans Homère, des mêlées de dragons et d’hydres et des nuées de fantômes comme dans Milton, des spirales visionnaires comme chez Dante. Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie !

    Alighieri rencontra un jour une sinistre porte devant laquelle il hésita. En voici une aussi devant nous, au seuil de laquelle nous hésitons. Entrons pourtant.

    Nous n’avons que peu de chose à ajouter à ce que le lecteur connaît déjà de ce qui était arrivé à Jean Valjean depuis l’aventure de Petit-Gervais. À partir de ce moment, on l’a vu, il fut un autre homme. Ce que l’évêque avait voulu faire de lui, il l’exécuta. Ce fut plus qu’une transformation, ce fut une transfiguration.

    Il réussit à disparaître, vendit l’argenterie de l’évêque, ne gardant que les flambeaux, comme souvenir, se glissa de ville en ville, traversa la France, vint à Montreuil-sur-mer, eut l’idée que nous avons dite, accomplit ce que nous avons raconté, parvint à se faire insaisissable et inaccessible, et désormais, établi à Montreuil-sur-mer, heureux de sentir sa conscience attristée par son passé et la première moitié de son existence démentie par la dernière, il vécut paisible, rassuré et espérant, n’ayant plus que deux pensées : cacher son nom et sanctifier sa vie ; échapper aux hommes, et revenir à Dieu.

    Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu’elles n’en formaient qu’une seule ; elles étaient toutes deux également absorbantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions. D’ordinaire elles étaient d’accord pour régler la conduite de sa vie ; elles le tournaient vers l’ombre ; elles le faisaient bienveillant et simple ; elles lui conseillaient les mêmes choses. Quelquefois cependant il y avait conflit entre elles. Dans ce cas-là, on s’en souvient, l’homme que tout le pays de Montreuil-sur-mer appelait M. Madeleine ne balançait pas à sacrifier la première à la seconde, sa sécurité à sa vertu. Ainsi, en dépit de toute réserve et de toute prudence, il avait gardé les chandeliers de l’évêque, porté son deuil, appelé et interrogé tous les petits savoyards qui passaient, pris des renseignements sur les familles de Faverolles, et sauvé la vie au vieux Fauchelevent, malgré les inquiétantes insinuations de Javert. Il semblait, nous l’avons déjà remarqué, qu’il pensât, à l’exemple de tous ceux qui ont été sages, saints et justes, que son premier devoir n’était pas envers lui.

    Toutefois, il faut le dire, jamais rien de pareil ne s’était encore présenté. Jamais les deux idées qui gouvernaient le malheureux homme dont nous racontons les souffrances n’avaient engagé une lutte si sérieuse. Il le comprit confusément, mais profondément, dès les premières paroles que prononça Javert, en entrant dans son cabinet. Au moment où fut si étrangement articulé ce nom qu’il avait enseveli sous tant d’épaisseurs, il fut saisi de stupeur et comme enivré par la sinistre bizarrerie de sa destinée, et, à travers cette stupeur, il eut ce tressaillement qui précède les grandes secousses ; il se courba comme un chêne à l’approche d’un orage, comme un soldat à l’approche d’un assaut. Il sentit venir sur sa tête des ombres pleines de foudres et d’éclairs. Tout en écoutant parler Javert, il eut une première pensée d’aller, de courir, de se dénoncer, de tirer ce Champmathieu de prison et de s’y mettre ; cela fut douloureux et poignant comme une incision dans la chair vive, puis cela passa, et il se dit : — Voyons ! voyons ! — Il réprima ce premier mouvement généreux et recula devant l’héroïsme.

    Sans doute, il serait beau qu’après les saintes paroles de l’évêque, après tant d’années de repentir et d’abnégation, au milieu d’une pénitence admirablement commencée, cet homme, même en présence d’une si terrible conjoncture, n’eût pas bronché un instant et eût continué de marcher du même pas vers ce précipice ouvert au fond duquel était le ciel ; cela serait beau, mais cela ne fut pas ainsi. Il faut bien que nous rendions compte des choses qui s’accomplissaient dans cette âme, et nous ne pouvons dire que ce qui y était. Ce qui l’emporta tout d’abord, ce fut l’instinct de la conservation ; il rallia en hâte ses idées, étouffa ses émotions, considéra la présence de Javert, ce grand péril, ajourna toute résolution avec la fermeté de l’épouvante, s’étourdit sur ce qu’il y avait à faire, et reprit son calme comme un lutteur ramasse son bouclier.

    Le reste de la journée il fut dans cet état, un tourbillon au dedans, une tranquillité profonde au dehors ; il ne prit que ce qu’on pourrait appeler « les mesures conservatoires ». Tout était encore confus et se heurtait dans son cerveau ; le trouble y était tel qu’il ne voyait distinctement la forme d’aucune idée ; et lui-même n’aurait pu rien dire de lui-même, si ce n’est qu’il venait de recevoir un grand coup. Il se rendit comme d’habitude près du lit de douleur de Fantine et prolongea sa visite, par un instinct de bonté, se disant qu’il fallait agir ainsi et la bien recommander aux sœurs pour le cas où il arriverait qu’il eût à s’absenter. Il sentit vaguement qu’il faudrait peut-être aller à Arras, et, sans être le moins du monde décidé à ce voyage, il se dit qu’à l’abri de tout soupçon comme il l’était, il n’y avait point d’inconvénient à être témoin de ce qui se passerait, et il retint le tilbury de Scaufflaire, afin d’être préparé à tout événement.

    Il dîna avec assez d’appétit.

    Rentré dans sa chambre il se recueillit.

    Il examina la situation et la trouva inouïe ; tellement inouïe qu’au milieu de sa rêverie, par je ne sais quelle impulsion d’anxiété presque inexplicable, il se leva de sa chaise et ferma sa porte au verrou. Il craignait qu’il n’entrât encore quelque chose. Il se barricadait contre le possible.

    Un moment après il souffla sa lumière. Elle le gênait.

    Il lui semblait qu’on pouvait le voir.

    Qui, on ?

    Hélas ! ce qu’il voulait mettre à la porte était entré ; ce qu’il voulait aveugler, le regardait. Sa conscience.

    Sa conscience, c’est-à-dire Dieu.

    Pourtant, dans le premier moment, il se fit illusion ; il eut un sentiment de sûreté et de solitude ; le verrou tiré, il se crut imprenable ; la chandelle éteinte, il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même ; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres.

    Où en suis-je ? — Est-ce que je ne rêve pas ? — Que m’a-t-on dit ? — Est-il bien vrai que j’aie vu ce Javert et qu’il m’ait parlé ainsi ? — Que peut être ce Champmathieu ? — Il me ressemble donc ? — Est-ce possible ? — Quand je pense qu’hier j’étais si tranquille et si loin de me douter de rien ! — Qu’est-ce que je faisais donc hier à pareille heure ? — Qu’y a-t-il dans cet incident ? — Comment se dénouera-t-il ? — Que faire ?

    Voilà dans quelle tourmente il était. Son cerveau avait perdu la force de retenir ses idées, elles passaient comme des ondes, et il prenait son front dans ses deux mains pour les arrêter.

    De ce tumulte qui bouleversait sa volonté et sa raison, et dont il cherchait à tirer une évidence et une résolution, rien ne se dégageait que l’angoisse.

    Sa tête était brûlante. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande. Il n’y avait pas d’étoiles au ciel. Il revint s’asseoir près de la table.

    La première heure s’écoula ainsi.

    Peu à peu cependant des linéaments vagues commencèrent à se former et à se fixer dans sa méditation, et il put entrevoir avec la précision de la réalité, non l’ensemble de la situation, mais quelques détails.

    Il commença par reconnaître que, si extraordinaire et si critique que fût cette situation, il en était tout à fait le maître.

    Sa stupeur ne fit que s’en accroître.

    Indépendamment du but sévère et religieux que se proposaient ses actions, tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour n’était autre chose qu’un trou qu’il creusait pour y enfouir son nom. Ce qu’il avait toujours le plus redouté, dans ses heures de repli sur lui-même, dans ses nuits d’insomnie, c’était d’entendre jamais prononcer ce nom ; il se disait que ce serait là pour lui la fin de tout ; que le jour où ce nom reparaîtrait, il ferait évanouir autour de lui sa vie nouvelle, et, qui sait même peut-être ? au dedans de lui sa nouvelle âme. Il frémissait de la seule pensée que c’était possible. Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moments-là qu’une heure viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hideux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup de la nuit et se dresserait devant lui, où cette lumière formidable faite pour dissiper le mystère dont il s’enveloppait resplendirait subitement sur sa tête, et que ce nom ne le menacerait pas, que cette lumière ne produirait qu’une obscurité plus épaisse, que ce voile déchiré accroîtrait le mystère ; que ce tremblement de terre consoliderait son édifice, que ce prodigieux incident n’aurait d’autre résultat, si bon lui semblait, à lui, que de rendre son existence à la fois plus claire et plus impénétrable, et que, de sa confrontation avec le fantôme de Jean Valjean, le bon et digne bourgeois « monsieur Madeleine » sortirait plus honoré, plus paisible et plus respecté que jamais ; — si quelqu’un lui eût dit cela, il eût hoché la tête et regardé ces paroles comme insensées. Eh bien ! tout cela venait précisément d’arriver, tout cet entassement de l’impossible était un fait, et Dieu avait permis que ces choses folles devinssent des choses réelles !

    Sa rêverie continuait de s’éclaircir. Il se rendait de plus en plus compte de sa position.

    Il lui semblait qu’il venait de s’éveiller de je ne sais quel sommeil, et qu’il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant, reculant en vain, sur le bord extrême d’un abîme. Il entrevoyait distinctement dans l’ombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelqu’un y tombât, lui ou l’autre.

    Il n’avait qu’à laisser faire.

    La clarté devint complète, et il s’avoua ceci : — Que sa place était vide aux galères, qu’il avait beau faire, qu’elle l’y attendait toujours, que le vol de Petit-Gervais l’y ramenait, que cette place vide l’attendrait et l’attirerait jusqu’à ce qu’il y fût, que cela était inévitable et fatal. — Et puis il se dit : — Qu’en ce moment il avait un remplaçant, qu’il paraissait qu’un nommé Champmathieu avait cette mauvaise chance, et que, quant à lui, présent désormais au bagne dans la personne de ce Champmathieu, présent dans la société sous le nom de M. Madeleine, il n’avait plus rien à redouter, pourvu qu’il n’empêchât pas les hommes de sceller sur la tête de ce Champmathieu cette pierre de l’infamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais.

    Tout cela était si violent et si étrange qu’il se fit soudain en lui cette espèce de mouvement indescriptible qu’aucun homme n’éprouve plus de deux ou trois fois dans sa vie, sorte de convulsion de la conscience qui remue tout ce que le cœur a de douteux, qui se compose d’ironie, de joie et de désespoir, et qu’on pourrait appeler un éclat de rire intérieur.

    Il ralluma brusquement sa bougie.

    Eh bien quoi ! se dit-il, de quoi est-ce que j’ai peur ? qu’est-ce que j’ai à songer comme cela ? Me voilà sauvé. Tout est fini. Je n’avais plus qu’une porte entr’ouverte par laquelle mon passé pouvait faire irruption dans ma vie ; cette porte, la voilà murée ! à jamais ! Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m’avoir deviné, qui m’avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean ! Qui sait même, il est probable qu’il voudra quitter la ville ! Et tout cela s’est fait sans moi ! Et je n’y suis pour rien ! Ah çà, mais ! qu’est-ce qu’il y a de malheureux dans ceci ? Des gens qui me verraient, parole d’honneur ! croiraient qu’il m’est arrivé une catastrophe ! Après tout, s’il y a du mal pour quelqu’un, ce n’est aucunement de ma faute. C’est la providence qui a tout fait. C’est qu’elle veut cela apparemment ! Ai-je le droit de déranger ce qu’elle arrange ? Qu’est-ce que je demande à présent ? De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas. Comment ! je ne suis pas content ! Mais qu’est-ce qu’il me faut donc ? Le but auquel j’aspire depuis tant d’années, le songe de mes nuits, l’objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l’atteins ! C’est Dieu qui le veut. Je n’ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j’ai commencé, pour que je fasse le bien, pour que je sois un jour un grand et encourageant exemple, pour qu’il soit dit qu’il y a eu enfin un peu de bonheur attaché à cette pénitence que j’ai subie et à cette vertu où je suis revenu ! Vraiment je ne comprends pas pourquoi j’ai eu peur tantôt d’entrer chez ce brave curé et de tout lui raconter comme à un confesseur, et de lui demander conseil, c’est évidemment là ce qu’il m’aurait dit. C’est décidé, laissons aller les choses ! laissons faire le bon Dieu !

    Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme. Il se leva de sa chaise, et se mit à marcher dans la chambre. — Allons, dit-il, n’y pensons plus. Voilà une résolution prise ! — Mais il ne sentit aucune joie.

    Au contraire.

    On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée ; pour le coupable, cela s’appelle le remords. Dieu soulève l’âme comme l’océan.

    Au bout de peu d’instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c’était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu’il eût voulu taire, écoutant ce qu’il n’eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense ! comme elle disait il y a deux mille ans à un autre condamné : marche !

    Avant d’aller plus loin et pour être pleinement compris, insistons sur une observation nécessaire.

    Il est certain qu’on se parle à soi-même, il n’est pas un être pensant qui ne l’ait éprouvé. On peut dire même que le verbe n’est jamais un plus magnifique mystère que lorsqu’il va, dans l’intérieur d’un homme, de la pensée à la conscience et qu’il retourne de la conscience à la pensée. C’est dans ce sens seulement qu’il faut entendre les mots souvent employés dans ce chapitre, il dit, il s’écria. On se dit, on se parle, on s’écrie en soi-même, sans que le silence extérieur soit rompu. Il y a un grand tumulte ; tout parle en nous, excepté la bouche. Les réalités de l’âme, pour n’être point visibles et palpables, n’en sont pas moins des réalités.

    Il se demanda donc où il en était. Il s’interrogea sur cette « résolution prise ». Il se confessa à lui-même que tout ce qu’il venait d’arranger dans son esprit était monstrueux, que « laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu », c’était tout simplement horrible. Laisser s’accomplir cette méprise de la destinée et des hommes, ne pas l’empêcher, s’y prêter par son silence, ne rien faire enfin, c’était faire tout ! c’était le dernier degré de l’indignité hypocrite ! c’était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

    Pour la première fois depuis huit années, le malheureux homme venait de sentir la saveur amère d’une mauvaise pensée et d’une mauvaise action.

    Il la recracha avec dégoût.

    Il continua de se questionner. Il se demanda sévèrement ce qu’il avait entendu par ceci : « Mon but est atteint ! » Il se déclara que sa vie avait un but en effet. Mais quel but ? Cacher son nom ? tromper la police ? Était-ce pour une chose si petite qu’il avait fait tout ce qu’il avait fait ? Est-ce qu’il n’avait pas un autre but, qui était le grand, qui était le vrai ? Sauver, non sa personne, mais son âme. Redevenir honnête et bon. Être un juste ! Est-ce que ce n’était pas là surtout, là uniquement, ce qu’il avait toujours voulu, ce que l’évêque lui avait ordonné ? — Fermer la porte à son passé ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu’on appelle le bagne ! Au contraire, se livrer, sauver cet homme frappé d’une si lugubre erreur, reprendre son nom, redevenir par devoir le forçat Jean Valjean, c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ! Y retomber en apparence, c’était en sortir en réalité ! Il fallait faire cela ! il n’avait rien fait s’il ne faisait pas cela ! toute sa vie était inutile, toute sa pénitence était perdue, et il n’y avait plus qu’à dire : à quoi bon ? Il sentait que l’évêque était là, que l’évêque était d’autant plus présent qu’il était mort, que l’évêque le regardait fixement, que désormais le maire Madeleine avec toutes ses vertus lui serait abominable, et que le galérien Jean Valjean serait admirable et pur devant lui. Que les hommes voyaient son masque, mais que l’évêque voyait sa face. Que les hommes voyaient sa vie, mais que l’évêque voyait sa conscience. Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! c’était là le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir ; mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n’entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s’il rentrait dans l’infamie aux yeux des hommes !

    Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! faisons notre devoir ! sauvons cet homme !

    Il prononça ces paroles à haute voix, sans s’apercevoir qu’il parlait tout haut.

    Il prit ses livres, les vérifia et les mit en ordre. Il jeta au feu une liasse de créances qu’il avait sur de petits commerçants gênés. Il écrivit une lettre qu’il cacheta et sur l’enveloppe de laquelle on aurait pu lire, s’il y avait eu quelqu’un dans sa chambre en cet instant : À Monsieur Laffitte, banquier, rue d’Artois, à Paris.

    Il tira d’un secrétaire un portefeuille qui contenait quelques billets de banque et le passeport dont il s’était servi cette même année pour aller aux élections.

    Qui l’eût vu pendant qu’il accomplissait ces divers actes auxquels se mêlait une méditation si grave, ne se fût pas douté de ce qui se passait en lui. Seulement par moments ses lèvres remuaient ; dans d’autres instants il relevait la tête et fixait son regard sur un point quelconque de la muraille, comme s’il y avait précisément là quelque chose qu’il voulait éclaircir ou interroger.

    La lettre à M. Laffitte terminée, il la mit dans sa poche ainsi que le portefeuille, et recommença à marcher.

    Sa rêverie n’avait point dévié. Il continuait de voir clairement son devoir écrit en lettres lumineuses qui flamboyaient devant ses yeux et se déplaçaient avec son regard : — Va ! nomme-toi ! dénonce-toi !

    Il voyait de même, et comme si elles se fussent mues devant lui avec des formes sensibles, les deux idées qui avaient été jusque-là la double règle de sa vie : cacher son nom, sanctifier son âme. Pour la première fois, elles lui apparaissaient absolument distinctes, et il voyait la différence qui les séparait. Il reconnaissait que l’une de ces idées était nécessairement bonne, tandis que l’autre pouvait devenir mauvaise ; que celle-là était le dévouement et que celle-ci était la personnalité ; que l’une disait : le prochain, et que l’autre disait : moi ; que l’une venait de la lumière et que l’autre venait de la nuit.

    Elles se combattaient, il les voyait se combattre. À mesure qu’il songeait, elles avaient grandi devant l’œil de son esprit ; elles avaient maintenant des statures colossales ; et il lui semblait qu’il voyait lutter au dedans de lui-même, dans cet infini dont nous parlions tout à l’heure, au milieu des obscurités et des lueurs, une déesse et une géante.

    Il était plein d’épouvante, mais il lui semblait que la bonne pensée l’emportait.

    Il sentait qu’il touchait à l’autre moment décisif de sa conscience et de sa destinée ; que l’évêque avait marqué la première phase de sa vie nouvelle, et que ce Champmathieu en marquait la seconde. Après la grande crise, la grande épreuve.

    Cependant la fièvre, un instant apaisée, lui revenait peu à peu. Mille pensées le traversaient, mais elles continuaient de le fortifier dans sa résolution.

    Un moment il s’était dit : — qu’il prenait peut-être la chose trop vivement, qu’après tout ce Champmathieu n’était pas intéressant, qu’en somme il avait volé.

    Il se répondit : — Si cet homme a en effet volé quelques pommes, c’est un mois de prison. Il y a loin de là aux galères. Et qui sait même ? a-t-il volé ? est-ce prouvé ? Le nom de Jean Valjean l’accable et semble dispenser de preuves. Les procureurs du roi n’agissent-ils pas habituellement ainsi ? On le croit voleur parce qu’on le sait forçat.

    Dans un autre instant, cette idée lui vint que, lorsqu’il se serait dénoncé, peut-être on considérerait l’héroïsme de son action, et sa vie honnête depuis sept ans, et ce qu’il avait fait pour le pays, et qu’on lui ferait grâce.

    Mais cette supposition s’évanouit bien vite, et il sourit amèrement en songeant que le vol des quarante sous à Petit-Gervais le faisait récidiviste, que cette affaire reparaîtrait certainement et, aux termes précis de la loi, le ferait passible des travaux forcés à perpétuité.

    Il se détourna de toute illusion, se détacha de plus en plus de la terre et chercha la consolation et la force ailleurs. Il se dit qu’il fallait faire son devoir ; que peut-être même ne serait-il pas plus malheureux après avoir fait son devoir qu’après l’avoir éludé ; que s’il laissait faire, s’il restait à Montreuil-sur-Mer, sa considération, sa bonne renommée, ses bonnes œuvres, la déférence, la vénération, sa charité, sa richesse, sa popularité, sa vertu, seraient assaisonnées d’un crime ; et quel goût auraient toutes ces choses saintes liées à cette chose hideuse ! tandis que, s’il accomplissait son sacrifice, au bagne, au poteau, au carcan, au bonnet vert, au travail sans relâche, à la honte sans pitié, il se mêlerait une idée céleste !

    Enfin il se dit qu’il y avait nécessité, que sa destinée était ainsi faite, qu’il n’était pas maître de déranger les arrangements d’en haut, que dans tous les cas il fallait choisir : ou la vertu au dehors et l’abomination au dedans, ou la sainteté au dedans et l’infamie au dehors.

    À remuer tant d’idées lugubres, son courage ne défaillait pas, mais son cerveau se fatiguait. Il commençait à penser malgré lui à d’autres choses, à des choses indifférentes.

    Ses artères battaient violemment dans ses tempes. Il allait et venait toujours. Minuit sonna d’abord à la paroisse, puis à la maison de ville. Il compta les douze coups aux deux horloges, et il compara le son des deux cloches. Il se rappela à cette occasion que quelques jours auparavant il avait vu chez un marchand de ferrailles une vieille cloche à vendre sur laquelle ce nom était écrit : Antoine Albin de Romainville.

    Il avait froid. Il alluma un peu de feu. Il ne songea pas à fermer la fenêtre.

    Cependant il était retombé dans sa stupeur. Il lui fallait faire un assez grand effort pour se rappeler à quoi il songeait avant que minuit sonnât. Il y parvint enfin.

    Ah ! oui, se dit-il, j’avais pris la résolution de me dénoncer.

    Et puis tout à coup il pensa à la Fantine.

    Tiens ! dit-il, et cette pauvre femme !

    Ici une crise nouvelle se déclara.

    Fantine, apparaissant brusquement dans sa rêverie, y fut comme un rayon d’une lumière inattendue. Il lui sembla que tout changeait d’aspect autour de lui, il s’écria :

    Ah çà, mais ! jusqu’ici je n’ai considéré que moi ! je n’ai eu égard qu’à ma convenance ! Il me convient de me taire ou de me dénoncer, — cacher ma personne ou sauver mon âme, — être un magistrat méprisable et respecté ou un galérien infâme et vénérable, c’est moi, c’est toujours moi, ce n’est que moi ! Mais, mon Dieu, c’est de l’égoïsme tout cela ! Ce sont des formes diverses de l’égoïsme, mais c’est de l’égoïsme ! Si je songeais un peu aux autres ? La première sainteté est de penser à autrui. Voyons, examinons. Moi excepté, moi effacé, moi oublié, qu’arrivera-t-il de tout ceci ? — Si je me dénonce ? on me prend, on lâche ce Champmathieu, on me remet aux galères, c’est bien, et puis ? Que se passe-t-il ici ? Ah ! ici, il y a un pays, une ville, des fabriques, une industrie, des ouvriers, des hommes, des femmes, des vieux grands-pères, des enfants, des pauvres gens ! J’ai créé tout cela, je fais vivre tout cela ; partout où il y a une cheminée qui fume, c’est moi qui ai mis le tison dans le feu et la viande dans la marmite ; j’ai fait l’aisance, la circulation, le crédit ; avant moi il n’y avait rien ; j’ai relevé, vivifié, animé, fécondé, stimulé, enrichi tout le pays ; moi de moins, c’est l’âme de moins. Je m’ôte, tout meurt. — Et cette femme qui a tant souffert, qui a tant de mérites dans sa chute, dont j’ai causé sans le vouloir tout le malheur ! Et cet enfant que je voulais aller chercher, que j’ai promis à la mère ! Est-ce que je ne dois pas aussi quelque chose à cette femme, en réparation du mal que je lui ai fait ? Si je disparais, qu’arrive-t-il ? La mère meurt. L’enfant devient ce qu’il peut. Voilà ce qui se passe, si je me dénonce.

    Si je ne me dénonce pas !... Voyons, si je ne me dénonce pas ?

    Après s’être fait cette question, il s’arrêta ; il eut comme un moment d’hésitation et de tremblement ; mais ce moment dura peu, et il se répondit avec calme :

    Eh bien, cet homme va aux galères, c’est vrai, mais, que diable ! il a volé ! J’ai beau me dire qu’il n’a pas volé, il a volé ! Moi, je reste ici, je continue. Dans dix ans j’aurai gagné dix millions, je les répands dans le pays, je n’ai rien à moi, qu’est-ce que cela me fait ? Ce n’est pas pour moi ce que je fais ! La prospérité de tous va croissant, les industries s’éveillent et s’excitent, les manufactures et les usines se multiplient, les familles, cent familles, mille familles ! sont heureuses ; la contrée se peuple ; il naît des villages où il n’y a que des fermes, il naît des fermes où il n’y a rien ; la misère disparaît, et avec la misère disparaissent la débauche, la prostitution, le vol, le meurtre, tous les vices, tous les crimes ! Et cette pauvre mère élève son enfant ! et voilà tout un pays riche et honnête ! Ah çà, j’étais fou, j’étais absurde, qu’est-ce que je parlais donc de me dénoncer ? Il faut faire attention, vraiment, et ne rien précipiter. Quoi ! parce qu’il m’aura plu de faire le grand et le généreux, — c’est du mélodrame, après tout ! — parce que je n’aurai songé qu’à moi, qu’à moi seul, quoi ! pour sauver d’une punition peut-être un peu exagérée, mais juste au fond, on ne sait qui, un voleur, un drôle évidemment, il faudra que tout un pays périsse ! il faudra qu’une pauvre femme crève à l’hôpital ! qu’une pauvre petite fille crève sur le pavé ! comme des chiens ! Ah ! mais c’est abominable ! Sans même que la mère ait revu son enfant ! sans que l’enfant ait presque connu sa mère ! Et tout ça pour ce vieux gredin de voleur de pommes qui, à coup sûr, a mérité les galères pour autre chose, si ce n’est pour cela ! Beaux scrupules qui sauvent un coupable et qui sacrifient des innocents, qui sauvent un vieux vagabond, lequel n’a plus que quelques années à vivre au bout du compte et ne sera guère plus malheureux au bagne que dans sa masure, et qui sacrifient toute une population, mères, femmes, enfants ! Cette pauvre petite Cosette qui n’a que moi au monde et qui est sans doute en ce moment toute bleue de froid dans le bouge de ces Thénardier ! Voilà encore des canailles, ceux-là ! Et je manquerais à mes devoirs envers tous ces pauvres êtres ! Et je m’en irais me dénoncer ! Et je ferais cette inepte sottise ! Mettons tout au pis. Supposons qu’il y ait une mauvaise action pour moi dans ceci et que ma conscience me la reproche un jour, accepter, pour le bien d’autrui, ces reproches qui ne chargent que moi, cette mauvaise action qui ne compromet que mon âme, c’est là qu’est le dévouement, c’est là qu’est la vertu.

    Il se leva, il se remit à marcher. Cette fois il lui semblait qu’il était content.

    On ne trouve les diamants que dans les ténèbres de la terre ; on ne trouve les vérités que dans les profondeurs de la pensée. Il lui semblait qu’après être descendu dans ces profondeurs, après avoir longtemps tâtonné au plus noir de ces ténèbres, il venait enfin de trouver un de ces diamants, une de ces vérités, et qu’il la tenait dans sa main ; et il s’éblouissait à la regarder.

    Oui, pensa-t-il, c’est cela. Je suis dans le vrai. J’ai la solution. Il faut finir par s’en tenir à quelque chose. Mon parti est pris. Laissons faire ! Ne vacillons plus, ne reculons plus. Ceci est dans l’intérêt de tous, non dans le mien. Je suis Madeleine, je reste Madeleine. Malheur à celui qui est Jean Valjean ! Ce n’est plus moi. Je ne connais pas cet homme, je ne sais plus ce que c’est, s’il se trouve que quelqu’un est Jean Valjean à cette heure, qu’il s’arrange ! cela ne me regarde pas. C’est un nom de fatalité qui flotte dans la nuit, s’il s’arrête et s’abat sur une tête, tant pis pour elle !

    Il se regarda dans le petit miroir qui était sur sa cheminée, et dit :

    Tiens ! cela m’a soulagé de prendre une résolution ! Je suis tout autre à présent.

    Il marcha encore quelques pas, puis il s’arrêta court :

    Allons ! dit-il, il ne faut hésiter devant aucune des conséquences de la résolution prise. Il y a encore des fils qui m’attachent à ce Jean Valjean. Il faut les briser ! Il y a ici, dans cette chambre même, des objets qui m’accuseraient, des choses muettes qui seraient des témoins, c’est dit, il faut que tout cela disparaisse.

    Il fouilla dans sa poche, en tira sa bourse, l’ouvrit, et y prit une petite clef.

    Il introduisit cette clef dans une serrure dont on voyait à peine le trou, perdu qu’il était dans les nuances les plus sombres du dessin qui couvrait le papier collé sur le mur. Une cachette s’ouvrit, une espèce de fausse armoire ménagée entre l’angle de la muraille et le manteau de la cheminée. Il n’y avait dans cette cachette que quelques guenilles, un sarrau de toile bleue, un vieux pantalon, un vieux havresac, et un gros bâton d’épine ferré aux deux bouts. Ceux qui avaient vu Jean Valjean à l’époque où il traversait Digne, en octobre 1815, eussent aisément reconnu toutes les pièces de ce misérable accoutrement.

    Il les avait conservées comme il avait conservé les chandeliers d’argent, pour se rappeler toujours son point de départ. Seulement il cachait ceci qui venait du bagne, et il laissait voir les flambeaux qui venaient de l’évêque.

    Il jeta un regard furtif vers la porte, comme s’il eût craint qu’elle ne s’ouvrît malgré le verrou qui la fermait ; puis d’un mouvement vif et brusque et d’une seule brassée, sans même donner un coup d’œil à ces choses qu’il avait si religieusement et si périlleusement gardées pendant tant d’années, il prit tout, haillons, bâton, havresac, et jeta tout au feu.

    Il referma la fausse armoire, et, redoublant de précautions, désormais inutiles puisqu’elle était vide, en cacha la porte derrière un gros meuble qu’il y poussa.

    Au bout de quelques secondes, la chambre et le mur d’en face furent éclairés d’une grande réverbération rouge et tremblante. Tout brûlait. Le bâton d’épine pétillait et jetait des étincelles jusqu’au milieu de la chambre.

    Le havresac, en se consumant avec d’affreux chiffons qu’il contenait, avait mis à nu quelque chose qui brillait dans la cendre. En se penchant, on eût aisément reconnu une pièce d’argent. Sans doute la pièce de quarante sous volée au petit savoyard.

    Lui ne regardait pas le feu et marchait, allant et venant toujours du même pas.

    Tout à coup ses yeux tombèrent sur les deux flambeaux d’argent que la réverbération faisait reluire vaguement sur la cheminée.

    Tiens ! pensa-t-il, tout Jean Valjean est encore là-dedans. Il faut aussi détruire cela.

    Il prit les deux flambeaux.

    Il y avait assez de feu pour qu’on pût les déformer promptement et en faire une sorte de lingot méconnaissable.

    Il se pencha sur le foyer et s’y chauffa un instant. Il eut un vrai bien-être. — La bonne chaleur ! dit-il.

    Il remua le brasier avec un des deux chandeliers.

    Une minute de plus, et ils étaient dans le feu.

    En ce moment il lui sembla qu’il entendait une voix qui criait au dedans de lui :

    Jean Valjean ! Jean Valjean !

    Ses cheveux se dressèrent, il devint comme un homme qui écoute une chose terrible.

    Oui ! c’est cela, achève ! disait la voix. Complète ce que tu fais ! détruis ces flambeaux ! anéantis ce souvenir ! oublie l’évêque ! oublie tout ! perds ce Champmathieu ! va, c’est bien. Applaudis-toi ! Ainsi, c’est convenu, c’est résolu, c’est dit, voilà un homme, voilà un vieillard qui ne sait ce qu’on lui veut, qui n’a rien fait peut-être, un innocent, dont ton nom fait tout le malheur, sur qui ton nom pèse comme un crime, qui va être pris pour toi, qui va être condamné, qui va finir ses jours dans l’abjection et dans l’horreur ! c’est bien. Sois honnête homme, toi. Reste monsieur le maire, reste honorable et honoré, enrichis la ville, nourris des indigents, élève des orphelins, vis heureux, vertueux et admiré, et pendant ce temps-là, pendant que tu seras ici dans la joie et dans la lumière, il y aura quelqu’un qui aura ta casaque rouge, qui portera ton nom dans l’ignominie et qui traînera ta chaîne au bagne ! Oui, c’est bien arrangé ainsi ! Ah ! misérable !

    La sueur lui coulait du front. Il attachait sur les flambeaux un œil hagard. Cependant ce qui parlait en lui n’avait pas fini. La voix continuait :

    Jean Valjean ! il y aura autour de toi beaucoup de voix qui feront un grand bruit, qui parleront bien haut, et qui te béniront, et une seule que personne n’entendra et qui te maudira dans les ténèbres. Eh bien ! écoute, infâme ! toutes ces bénédictions retomberont avant d’arriver au ciel, et il n’y aura que la malédiction qui montera jusqu’à Dieu !

    Cette voix, d’abord toute faible et qui s’était élevée du plus obscur de sa conscience, était devenue par degrés éclatante et formidable, et il l’entendait maintenant à son oreille. Il lui semblait qu’elle était sortie de lui-même et qu’elle parlait à présent en dehors de lui. Il crut entendre les dernières paroles si distinctement qu’il regarda dans la chambre avec une sorte de terreur.

    Y a-t-il quelqu’un ici ? demanda-t-il à haute voix, et tout égaré.

    Puis il reprit avec un rire qui ressemblait au rire d’un idiot :

    Que je suis bête ! il ne peut y avoir personne.

    Il y avait quelqu’un ; mais celui qui y était n’était pas de ceux que l’œil humain peut voir.

    Il posa les flambeaux sur la cheminée.

    Alors il reprit cette marche monotone et lugubre qui troublait dans ses rêves et réveillait en sursaut l’homme endormi au-dessous de lui.

    Cette marche le soulageait et l’enivrait en même temps. Il semble que parfois dans les occasions suprêmes on se remue pour demander conseil à tout ce qu’on peut rencontrer en se déplaçant. Au bout de quelques instants il ne savait plus où il en était.

    Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. — Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir !

    Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans ces livres, il n’écrirait plus sur cette petite table de bois blanc ! Sa vieille portière, la seule servante qu’il eût, ne lui monterait plus son café le matin. Grand Dieu ! au lieu de cela, la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaîne au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp, toutes ces horreurs connues ! À son âge, après avoir été ce qu’il était ! Si encore il était jeune ! Mais, vieux, être tutoyé par le premier venu, être fouillé par le garde-chiourme, recevoir le coup de bâton de l’argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier qui visite la manille ! subir la curiosité des étrangers auxquels on dirait : Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-mer ! Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l’escalier-échelle du bagne flottant ! Oh ! quelle misère ! La destinée peut-elle donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cœur humain !

    Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : — rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer, et y devenir ange !

    Que faire, grand Dieu ! que faire ?

    La tourmente dont il était sorti avec tant de peine se déchaîna de nouveau en lui. Ses idées recommencèrent à se mêler. Elles prirent ce je ne sais quoi de stupéfié et de machinal qui est propre au désespoir. Le nom de Romainville lui revenait sans cesse à l’esprit avec deux vers d’une chanson qu’il avait entendue autrefois. Il songeait que Romainville est un petit bois près Paris où les jeunes gens amoureux vont cueillir des lilas au mois d’avril.

    Il chancelait au dehors comme au dedans. Il marchait comme un petit enfant qu’on laisse aller seul.

    À de certains moments, luttant contre sa lassitude, il faisait effort pour ressaisir son intelligence. Il tâchait de se poser une dernière fois, et définitivement, le problème sur lequel il était en quelque sorte tombé d’épuisement. Faut-il se dénoncer ! Faut-il se taire ? — Il ne réussissait à rien voir de distinct. Les vagues aspects de tous les raisonnements ébauchés par sa rêverie tremblaient et se dissipaient l’un après l’autre en fumée. Seulement il sentait que, à quelque parti qu’il s’arrêtât, nécessairement, et sans qu’il fût possible d’y échapper, quelque chose de lui allait mourir ; qu’il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; qu’il accomplissait une agonie, l’agonie de son bonheur ou l’agonie de sa vertu.

    Hélas ! toutes ses irrésolutions l’avaient repris. Il n’était pas plus avancé qu’au commencement.

    Ainsi se débattait sous l’angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l’être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l’humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l’infini, longtemps écarté de la main l’effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d’ombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines d’étoiles.


     

    IV

    FORMES QUE PREND LA SOUFFRANCE PENDANT LE SOMMEIL


     

    Trois heures du matin venaient de sonner, et il y avait cinq heures qu’il marchait ainsi, presque sans interruption lorsqu’il se laissa tomber sur sa chaise.

    Il s’y endormit et fit un rêve.

    Ce rêve, comme la plupart des rêves, ne se rapportait à la situation que par je ne sais quoi de funeste et de poignant, mais il lui fit impression. Ce cauchemar le frappa tellement que plus tard il l’a écrit. C’est un des papiers écrits de sa main qu’il a laissés. Nous croyons devoir transcrire ici cette chose textuellement.

    Quel que soit ce rêve, l’histoire de cette nuit serait incomplète si nous l’omettions. C’est la sombre aventure d’une âme malade.

    Le voici. Sur l’enveloppe nous trouvons cette ligne écrite : Le rêve que j’ai eu cette nuit-là.

    « J’étais dans une campagne. Une grande campagne triste où il n’y avait pas d’herbe. Il ne me semblait pas qu’il fît jour, ni qu’il fît nuit.

    « Je me promenais avec mon frère, le frère de mes années d’enfance, ce frère auquel je dois dire que je ne pense jamais et dont je ne me souviens presque plus.

    « Nous causions, et nous rencontrions des passants. Nous parlions d’une voisine que nous avions eue autrefois, et qui, depuis qu’elle demeurait sur la rue, travaillait la fenêtre toujours ouverte. Tout en causant, nous avions froid à cause de cette fenêtre ouverte.

    « Il n’y avait pas d’arbres dans la campagne.

    « Nous vîmes un homme qui passa près de nous. C’était un homme tout nu, couleur de cendre, monté sur un cheval couleur de terre. L’homme n’avait pas de cheveux ; on voyait son crâne et des veines sur son crâne. Il tenait à la main une baguette qui était souple comme un sarment de vigne et lourde comme du fer. Ce cavalier passa et ne nous dit rien.

    « Mon frère me dit : Prenons par le chemin creux.

    « Il y avait un chemin creux où l’on ne voyait pas une broussaille ni un brin de mousse. Tout était couleur de terre, même le ciel. Au bout de quelques pas, on ne me répondit plus quand je parlais. Je m’aperçus que mon frère n’était plus avec moi.

    « J’entrai dans un village que je vis. Je songeai que ce devait être là Romainville (pourquoi Romainville ?).[1]

    « La première rue où j’entrai était déserte. J’entrai dans une seconde rue. Derrière l’angle que faisaient les deux rues, il y avait un homme debout contre le mur. Je dis à cet homme : Quel est ce pays ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas. Je vis la porte d’une maison ouverte, j’y entrai.

    « La première chambre était déserte. J’entrai dans la seconde. Derrière la porte de cette chambre, il y avait un homme debout contre le mur. Je demandai à cet homme : — À qui est cette maison ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « La maison avait un jardin. Je sortis de la maison et j’entrai dans le jardin. Le jardin était désert. Derrière le premier arbre, je trouvai un homme qui se tenait debout. Je dis à cet homme : Quel est ce jardin ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « J’errai dans le village, et je m’aperçus que c’était une ville. Toutes les rues étaient désertes, toutes les portes étaient ouvertes. Aucun être vivant ne passait dans les rues, ne marchait dans les chambres ou ne se promenait dans les jardins. Mais il y avait derrière chaque angle de mur, derrière chaque porte, derrière chaque arbre, un homme debout qui se taisait. On n’en voyait jamais qu’un à la fois. Ces hommes me regardaient passer.

    « Je sortis de la ville et je me mis à marcher dans les champs.

    « Au bout de quelque temps, je me retournai, et je vis une grande foule qui venait derrière moi. Je reconnus tous les hommes que j’avais vus dans la ville. Ils avaient des têtes étranges. Ils ne semblaient pas se hâter, et cependant ils marchaient plus vite que moi. Ils ne faisaient aucun bruit en marchant. En un instant, cette foule me rejoignit et m’entoura. Les visages de ces hommes étaient couleur de terre.

    « Alors le premier que j’avais vu et questionné en entrant dans la ville me dit : — Où allez-vous ? Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes mort depuis longtemps ?

    « J’ouvris la bouche pour répondre, et je m’aperçus qu’il n’y avait personne autour de moi. »

    Il se réveilla. Il était glacé. Un vent qui était froid comme le vent du matin faisait tourner dans leurs gonds les châssis de la croisée restée ouverte. Le feu s’était éteint. La bougie touchait à sa fin. Il était encore nuit noire.

    Il se leva, il alla à la fenêtre. Il n’y avait toujours pas d’étoiles au ciel.

    De sa fenêtre on voyait la cour de la maison et la rue. Un bruit sec et dur qui résonna tout à coup sur le sol lui fit baisser les yeux.

    Il vit au-dessous de lui deux étoiles rouges dont les rayons s’allongeaient et se raccourcissaient bizarrement dans l’ombre.

    Comme sa pensée était encore à demi submergée dans la brume des rêves, — Tiens ! songea-t-il, il n’y en a pas dans le ciel. Elles sont sur la terre maintenant.

    Cependant ce trouble se dissipa, un second bruit pareil au premier acheva de le réveiller, il regarda, et il reconnut que ces deux étoiles étaient les lanternes d’une voiture. À la clarté qu’elles jetaient, il put distinguer la forme de cette voiture. C’était un tilbury attelé d’un petit cheval blanc. Le bruit qu’il avait entendu, c’étaient les coups de pied du cheval sur le pavé.

    Qu’est-ce que c’est que cette voiture ? se dit-il. Qui est-ce qui vient donc si matin ?

    En ce moment on frappa un petit coup à la porte de sa chambre.

    Il frissonna de la tête aux pieds, et cria d’une voix terrible :

    Qui est là ?

    Quelqu’un répondit :

    Moi, monsieur le maire.

    Il reconnut la voix de la vieille femme, sa portière.

    Eh bien, reprit-il, qu’est-ce que c’est ?

    Monsieur le maire, il est tout à l’heure cinq heures du matin.

    Qu’est-ce que cela me fait ?

    Monsieur le maire, c’est le cabriolet.

    Quel cabriolet ?

    Le tilbury.

    Quel tilbury ?

    Est-ce que monsieur le maire n’a pas fait demander un tilbury ?

    Non, dit-il.

    Le cocher dit qu’il vient chercher monsieur le maire.

    Quel cocher ?

    Le cocher de M. Scaufflaire.

    M. Scaufflaire ?

    Ce nom le fit tressaillir comme si un éclair lui eût passé devant la face.

    Ah ! oui ! reprit-il, M. Scaufflaire.

    Si la vieille femme l’eût pu voir en ce moment, elle eût été épouvantée.

    Il se fit un assez long silence. Il examinait d’un air stupide la flamme de la bougie et prenait autour de la mèche de la cire brûlante qu’il roulait dans ses doigts. La vieille attendait. Elle se hasarda pourtant à élever encore la voix :

    Monsieur le maire, que faut-il que je réponde ?

    Dites que c’est bien, et que je descends.


     

    V

    BÂTONS DANS LES ROUES


     

    Le service des postes d’Arras à Montreuil-sur-mer se faisait encore à cette époque par de petites malles du temps de l’empire. Ces malles étaient des cabriolets à deux roues, tapissés de cuir fauve au dedans, suspendus sur des ressorts à pompe, et n’ayant que deux places, l’une pour le courrier, l’autre pour le voyageur. Les roues étaient armées de ces longs moyeux offensifs qui tiennent les autres voitures à distance et qu’on voit encore sur les routes d’Allemagne. Le coffre aux dépêches, immense boîte oblongue, était placé derrière le cabriolet et faisait corps avec lui. Ce coffre était peint en noir et le cabriolet en jaune.

    Ces voitures, auxquelles rien ne ressemble aujourd’hui, avaient je ne sais quoi de difforme et de bossu, et, quand on les voyait passer de loin et ramper dans quelque route à l’horizon, elles ressemblaient à ces insectes qu’on appelle, je crois, termites, et qui, avec un petit corsage, traînent un gros arrière-train. Elles allaient, du reste, fort vite. La malle partie d’Arras toutes les nuits à une heure, après le passage du courrier de Paris, arrivait à Montreuil-sur-mer un peu avant cinq heures du matin.

    Cette nuit-là, la malle qui descendait à Montreuil-sur-mer par la route de Hesdin accrocha, au tournant d’une rue, au moment où elle entrait dans la ville, un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, qui venait en sens inverse et dans lequel il n’y avait qu’une personne, un homme enveloppé d’un manteau. La roue du tilbury reçut un choc assez rude. Le courrier cria à cet homme d’arrêter, mais le voyageur n’écouta pas, et continua sa route au grand trot.

    Voilà un homme diablement pressé ! dit le courrier.

    L’homme qui se hâtait ainsi, c’est celui que nous venons de voir se débattre dans des convulsions dignes à coup sûr de pitié.

    Où allait-il ? Il n’eût pu le dire. Pourquoi se hâtait-il ? Il ne savait. Il allait au hasard devant lui. Où ? À Arras sans doute ; mais il allait peut-être ailleurs aussi. Par moments il le sentait, et il tressaillait. Il s’enfonçait dans cette nuit comme dans un gouffre. Quelque chose le poussait, quelque chose l’attirait. Ce qui se passait en lui, personne ne pourrait le dire, tous le comprendront. Quel homme n’est entré, au moins une fois en sa vie, dans cette obscure caverne de l’inconnu ?

    Du reste il n’avait rien résolu, rien décidé, rien arrêté, rien fait. Aucun des actes de sa conscience n’avait été définitif. Il était plus que jamais comme au premier moment.

    Pourquoi allait-il à Arras ?

    Il se répétait ce qu’il s’était déjà dit en retenant le cabriolet de Scaufflaire, — que, quel que dût être le résultat, il n’y avait aucun inconvénient à voir de ses yeux, à juger les choses par lui-même ; — que cela même était prudent, qu’il fallait savoir ce qui se passerait ; — qu’on ne pouvait rien décider sans avoir observé et scruté ; — que de loin on se faisait des montagnes de tout ; qu’au bout du compte, lorsqu’il aurait vu ce Champmathieu, quelque misérable, sa conscience serait probablement fort soulagée de le laisser aller au bagne à sa place ; — qu’à la vérité il y aurait là Javert, et ce Brevet, ce Chenildieu, ce Cochepaille, anciens forçats qui l’avaient connu ; mais qu’à coup sûr ils ne le reconnaîtraient pas ; — bah ! quelle idée ! — que Javert en était à cent lieues ; — que toutes les conjectures et toutes les suppositions étaient fixées sur ce Champmathieu, et que rien n’est entêté comme les suppositions et les conjectures ; — qu’il n’y avait donc aucun danger.

    Que sans doute c’était un moment noir, mais qu’il en sortirait ; — qu’après tout il tenait sa destinée, si mauvaise qu’elle voulût être, dans sa main ; — qu’il en était le maître. Il se cramponnait à cette pensée.

    Au fond, pour tout dire, il eût mieux aimé ne point aller à Arras.

    Cependant il y allait.

    Tout en songeant, il fouettait le cheval, lequel trottait de ce bon trot réglé et sûr qui fait deux lieues et demie à l’heure.

    À mesure que le cabriolet avançait, il sentait quelque chose en lui qui reculait.

    Au point du jour il était en rase campagne ; la ville de Montreuil-sur-mer était assez loin derrière lui. Il regarda l’horizon blanchir ; il regarda, sans les voir, passer devant ses yeux toutes les froides figures d’une aube d’hiver. Le matin a ses spectres comme le soir. Il ne les voyait pas, mais, à son insu, et par une sorte de pénétration presque physique, ces noires silhouettes d’arbres et de collines ajoutaient à l’état violent de son âme je ne sais quoi de morne et de sinistre.

    Chaque fois qu’il passait devant une de ces maisons isolées qui côtoient parfois les routes, il se disait : il y a pourtant là-dedans des gens qui dorment !

    Le trot du cheval, les grelots du harnais, les roues sur le pavé, faisaient un bruit doux et monotone. Ces choses-là sont charmantes quand on est joyeux et lugubres quand on est triste.

    Il était grand jour lorsqu’il arriva à Hesdin. Il s’arrêta devant une auberge pour laisser souffler le cheval et lui faire donner l’avoine.

    Ce cheval était, comme l’avait dit Scaufflaire, de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre et pas assez d’encolure, mais qui a le poitrail ouvert, la croupe large, la jambe sèche et fine et le pied solide ; race laide, mais robuste et saine. L’excellente bête avait fait cinq lieues en deux heures et n’avait pas une goutte de sueur sur la croupe.

    Il n’était pas descendu du tilbury. Le garçon d’écurie qui apportait l’avoine se baissa tout à coup et examina la roue de gauche.

    Allez-vous loin comme cela ? dit cet homme.

    Il répondit, presque sans sortir de sa rêverie :

    Pourquoi ?

    Venez-vous de loin ? reprit le garçon.

    De cinq lieues d’ici.

    Ah !

    Pourquoi dites-vous : ah ?

    Le garçon se pencha de nouveau, resta un moment silencieux, l’œil fixé sur la roue, puis se redressa en disant :

    C’est que voilà une roue qui vient de faire cinq lieues, c’est possible, mais qui à coup sûr ne fera pas maintenant un quart de lieue.

    Il sauta à bas du tilbury.

    Que dites-vous là, mon ami ?

    Je dis que c’est un miracle que vous ayez fait cinq lieues sans rouler, vous et votre cheval, dans quelque fossé de la grande route. Regardez plutôt.

    La roue en effet était gravement endommagée. Le choc de la malle-poste avait fendu deux rayons et labouré le moyeu dont l’écrou ne tenait plus.

    Mon ami, dit-il au garçon d’écurie, il y a un charron ici ?

    Sans doute, monsieur.

    Rendez-moi le service de l’aller chercher.

    Il est là, à deux pas. Hé ! maître Bourgaillard !

    Maître Bourgaillard, le charron, était sur le seuil de sa porte. Il vint examiner la roue et fit la grimace d’un chirurgien qui considère une jambe cassée.

    Pouvez-vous raccommoder cette roue sur-le-champ ?

    Oui, monsieur.

    Quand pourrai-je repartir ?

    Demain.

    Demain !

    Il y a une grande journée d’ouvrage. Est-ce que monsieur est pressé ?

    Très pressé. Il faut que je reparte dans une heure au plus tard.

    Impossible, monsieur.

    Je payerai tout ce qu’on voudra.

    Impossible.

    Eh bien ! dans deux heures.

    Impossible pour aujourd’hui. Il faut refaire deux rais et un moyeu. Monsieur ne pourra repartir avant demain.

    L’affaire que j’ai ne peut attendre à demain. Si, au lieu de raccommoder cette roue, on la remplaçait ?

    Comment cela ?

    Vous êtes charron ?

    Sans doute, monsieur.

    Est-ce que vous n’auriez pas une roue à me vendre ? Je pourrais repartir tout de suite.

    Une roue de rechange ?

    Oui.

    Je n’ai pas une roue toute faite pour votre cabriolet. Deux roues font la paire. Deux roues ne vont pas ensemble au hasard.

    En ce cas, vendez-moi une paire de roues.

    Monsieur, toutes les roues ne vont pas à tous les essieux.

    Essayez toujours.

    C’est inutile, monsieur. Je n’ai à vendre que des roues de charrette. Nous sommes un petit pays ici.

    Auriez-vous un cabriolet à me louer ?

    Le maître charron, du premier coup d’œil, avait reconnu que le tilbury était une voiture de louage. Il haussa les épaules.

    Vous les arrangez bien, les cabriolets qu’on vous loue ! j’en aurais un que je ne vous le louerais pas.

    Eh bien, à me vendre ?

    Je n’en ai pas.

    Quoi ! pas une carriole ? Je ne suis pas difficile, comme vous voyez.

    Nous sommes un petit pays. J’ai bien là sous la remise, ajouta le charron, une vieille calèche qui est à un bourgeois de la ville qui me l’a donnée en garde et qui s’en sert tous les trente-six du mois. Je vous la louerais bien, qu’est-ce que cela me fait ? mais il ne faudrait pas que le bourgeois la vît passer ; et puis, c’est une calèche, il faudrait deux chevaux.

    Je prendrai deux chevaux de poste.

    Où va monsieur ?

    À Arras.

    Et monsieur veut arriver aujourd’hui ?

    Mais oui.

    En prenant des chevaux de poste ?

    Pourquoi pas ?

    Est-il égal à monsieur d’arriver cette nuit à quatre heures du matin ?

    Non certes.

    C’est que, voyez-vous bien, il y a une chose à dire, en prenant des chevaux de poste… — Monsieur a son passeport ?

    Oui.

    Eh bien, en prenant des chevaux de poste, monsieur n’arrivera pas à Arras avant demain. Nous sommes un chemin de traverse. Les relais sont mal servis, les chevaux sont aux champs. C’est la saison des grandes charrues qui commence, il faut de forts attelages, et l’on prend les chevaux partout, à la poste comme ailleurs. Monsieur attendra au moins trois ou quatre heures à chaque relais. Et puis on va au pas. Il y a beaucoup de côtes à monter.

    Allons, j’irai à cheval. Dételez le cabriolet. On me vendra bien une selle dans le pays.

    Sans doute. Mais ce cheval-ci endure-t-il la selle ?

    C’est vrai, vous m’y faites penser. Il ne l’endure pas.

    Alors…

    Mais je trouverai bien dans le village un cheval à louer ?

    Un cheval pour aller à Arras d’une traite !

    Oui.

    Il faudrait un cheval comme on n’en a pas dans nos endroits. Il faudrait l’acheter d’abord, car on ne vous connaît pas. Mais ni à vendre, ni à louer, ni pour cinq cents francs, ni pour mille, vous ne le trouveriez pas !

    Comment faire ?

    Le mieux, là, en honnête homme, c’est que je raccommode la roue et que vous remettiez votre voyage à demain.

    Demain il sera trop tard.

    Dame !

    N’y a-t-il pas la malle-poste qui va à Arras ? Quand passe-t-elle ?

    La nuit prochaine. Les deux malles font le service la nuit, celle qui monte comme celle qui descend.

    Comment ! il vous faut une journée pour raccommoder cette roue ?

    Une journée, et une bonne !

    En mettant deux ouvriers ?

    En en mettant dix !

    Si on liait les rayons avec des cordes ?

    Les rayons, oui ; le moyeu, non. Et puis la jante aussi est en mauvais état.

    Y a-t-il un loueur de voitures dans la ville ?

    Non.

    Y a-t-il un autre charron ?

    Le garçon d’écurie et le maître charron répondirent en même temps en hochant la tête.

    Non.

    Il sentit une immense joie.

    Il était évident que la providence s’en mêlait. C’était elle qui avait brisé la roue du tilbury et qui l’arrêtait en route. Il ne s’était pas rendu à cette espèce de première sommation ; il venait de faire tous les efforts possibles pour continuer son voyage ; il avait loyalement et scrupuleusement épuisé tous les moyens ; il n’avait reculé ni devant la saison, ni devant la fatigue, ni devant la dépense ; il n’avait rien à se reprocher. S’il n’allait pas plus loin, cela ne le regardait plus. Ce n’était plus sa faute, c’était, non le fait de sa conscience, mais le fait de la providence.

    Il respira. Il respira librement et à pleine poitrine pour la première fois depuis la visite de Javert. Il lui semblait que le poignet de fer qui lui serrait le cœur depuis vingt heures, venait de le lâcher.

    Il lui paraissait que maintenant Dieu était pour lui, et se déclarait.

    Il se dit qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait, et qu’à présent il n’avait qu’à revenir sur ses pas, tranquillement.

    Si sa conversation avec le charron eût eu lieu dans une chambre de l’auberge, elle n’eût point eu de témoins, personne ne l’eût entendue, les choses en fussent restées là, et il est probable que nous n’aurions eu à raconter aucun des événements qu’on va lire ; mais cette conversation s’était faite dans la rue. Tout colloque dans la rue produit inévitablement un cercle. Il y a toujours des gens qui ne demandent qu’à être spectateurs. Pendant qu’il questionnait le charron, quelques allants et venants s’étaient arrêtés autour d’eux. Après avoir écouté pendant quelques minutes, un jeune garçon, auquel personne n’avait pris garde, s’était détaché du groupe en courant.

    Au moment où le voyageur, après la délibération intérieure que nous venons d’indiquer, prenait la résolution de rebrousser chemin, cet enfant revenait. Il était accompagné d’une vieille femme.

    Monsieur, dit la femme, mon garçon me dit que vous avez envie de louer un cabriolet.

    Cette simple parole, prononcée par une vieille femme que conduisait un enfant, lui fit ruisseler la sueur dans les reins. Il crut voir la main qui l’avait lâché reparaître dans l’ombre derrière lui, toute prête à le reprendre.

    Il répondit :

    Oui, bonne femme, je cherche un cabriolet à louer.

    Et il se hâta d’ajouter :

    Mais il n’y en a pas dans le pays.

    Si fait, dit la vieille.

    Où ça donc ? reprit le charron.

    Chez moi, répliqua la vieille.

    Il tressaillit. La main fatale l’avait ressaisi.

    La vieille avait en effet sous un hangar une façon de carriole en osier. Le charron et le garçon d’auberge, désolés que le voyageur leur échappât, intervinrent.

    C’était une affreuse guimbarde, — cela était posé à cru sur l’essieu, — il est vrai que les banquettes étaient suspendues à l’intérieur avec des lanières de cuir, — il pleuvait dedans, — les roues étaient rouillées et rongées d’humidité, — cela n’irait pas beaucoup plus loin que le tilbury, — une vraie patache ! — Ce monsieur aurait bien tort de s’y embarquer, — etc., etc.

    Tout cela était vrai, mais cette guimbarde, cette patache, cette chose, quelle qu’elle fût, roulait sur ses deux roues et pouvait aller à Arras.

    Il paya ce qu’on voulut, laissa le tilbury à réparer chez le charron pour l’y retrouver à son retour, fit atteler le cheval blanc à la carriole, y monta, et reprit la route qu’il suivait depuis le matin.

    Au moment où la carriole s’ébranla, il s’avoua qu’il avait eu l’instant d’auparavant une certaine joie de songer qu’il n’irait point où il allait. Il examina cette joie avec une sorte de colère et la trouva absurde. Pourquoi de la joie à revenir en arrière ? Après tout, il faisait ce voyage librement. Personne ne l’y forçait.

    Et, certainement, rien n’arriverait que ce qu’il voudrait bien.

    Comme il sortait de Hesdin, il entendit une voix qui lui criait : arrêtez ! arrêtez ! Il arrêta la carriole d’un mouvement vif dans lequel il y avait encore je ne sais quoi de fébrile et de convulsif qui ressemblait à de l’espérance.

    C’était le petit garçon de la vieille.

    Monsieur, dit-il, c’est moi qui vous ai procuré la carriole.

    Eh bien ?

    Vous ne m’avez rien donné.

    Lui qui donnait à tous et si facilement, il trouva cette prétention exorbitante et presque odieuse.

    Ah ! c’est toi, drôle ? dit-il, tu n’auras rien !

    Il fouetta le cheval et repartit au grand trot.

    Il avait perdu beaucoup de temps à Hesdin, il eût voulu le rattraper. Le petit cheval était courageux et tirait comme deux ; mais on était au mois de février, il avait plu, les routes étaient mauvaises. Et puis, ce n’était plus le tilbury. La carriole était dure et très lourde. Avec cela force montées.

    Il mit près de quatre heures pour aller de Hesdin à Saint-Pol. Quatre heures pour cinq lieues.

    À Saint-Pol il détela à la première auberge venue, et fit mener le cheval à l’écurie. Comme il l’avait promis à Scaufflaire, il se tint près du râtelier pendant que le cheval mangeait. Il songeait à des choses tristes et confuses.

    La femme de l’aubergiste entre dans l’écurie.

    Est-ce que monsieur ne veut pas déjeuner ?

    Tiens, c’est vrai, dit-il, j’ai même bon appétit.

    Il suivit cette femme qui avait une figure fraîche et réjouie. Elle le conduisit dans une salle basse où il y avait des tables ayant pour nappes des toiles cirées.

    Dépêchez-vous, reprit-il, il faut que je reparte. Je suis pressé.

    Une grosse servante flamande mit son couvert en toute hâte. Il regardait cette fille avec un sentiment de bien-être.

    C’est là ce que j’avais, pensa-t-il. Je n’avais pas déjeuné.

    On le servit. Il se jeta sur le pain, mordit une bouchée, puis le reposa lentement sur la table et n’y toucha plus.

    Un roulier mangeait à une autre table. Il dit à cet homme :

    Pourquoi leur pain est-il donc si amer ?

    Le roulier était allemand et n’entendit pas.

    Il retourna dans l’écurie près du cheval.

    Une heure après, il avait quitté Saint-Pol et se dirigeait vers Tinques qui n’est qu’à cinq lieues d’Arras.

    Que faisait-il pendant ce trajet ? À quoi pensait-il ? Comme le matin, il regardait passer les arbres, les toits de chaume, les champs cultivés, et les évanouissements du paysage qui se disloque à chaque coude du chemin. C’est là une contemplation qui suffit quelquefois à l’âme et qui la dispense presque de penser. Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond ! Voyager, c’est naître et mourir à chaque instant. Peut-être, dans la région la plus vague de son esprit, faisait-il des rapprochements entre ces horizons changeants et l’existence humaine. Toutes les choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent : après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres.

    Le crépuscule tombait au moment où des enfants qui sortaient de l’école regardèrent ce voyageur entrer dans Tinques. Il est vrai qu’on était encore aux jours courts de l’année. Il ne s’arrêta pas à Tinques. Comme il débouchait du village, un cantonnier qui empierrait la route dressa la tête et dit :

    Voilà un cheval bien fatigué.

    La pauvre bête en effet n’allait plus qu’au pas.

    Est-ce que vous allez à Arras ? ajouta le cantonnier.

    Oui.

    Si vous allez de ce train, vous n’y arriverez pas de bonne heure.

    Il arrêta le cheval et demanda au cantonnier :

    Combien y a-t-il encore d’ici à Arras ?

    Près de sept grandes lieues.

    Comment cela ? le livre de poste ne marque que cinq lieues et un quart.

    Ah ! reprit le cantonnier, vous ne savez donc pas que la route est en réparation ? Vous allez la trouver coupée à un quart d’heure d’ici. Pas moyen d’aller plus loin.

    Vraiment ?

    Vous prendrez à gauche, le chemin qui va à Carency, vous passerez la rivière ; et, quand vous serez à Camblin, vous tournerez à droite ; c’est la route de Mont-Saint-Éloy qui va à Arras.

    Mais voilà la nuit, je me perdrai.

    Vous n’êtes pas du pays ?

    Non.

    Avec ça, c’est tout chemins de traverse. Tenez, Monsieur, reprit le cantonnier, voulez-vous que je vous donne un conseil ? Votre cheval est las, rentrez dans Tinques. Il y a une bonne auberge. Couchez-y. Vous irez demain à Arras.

    Il faut que j’y sois ce soir.

    C’est différent. Alors allez tout de même à cette auberge et prenez-y un cheval de renfort. Le garçon du cheval vous guidera dans la traverse.

    Il suivit le conseil du cantonnier, rebroussa chemin, et une demi-heure après il repassait au même endroit, mais au grand trot, avec un bon cheval de renfort. Un garçon d’écurie qui s’intitulait postillon était assis sur le brancard de la carriole.

    Cependant il sentait qu’il perdait du temps.

    Il faisait tout à fait nuit.

    Ils s’engagèrent dans la traverse. La route devint affreuse. La carriole tombait d’une ornière dans l’autre. Il dit au postillon :

    Toujours au trot, et double pourboire.

    Dans un cahot le palonnier cassa.

    Monsieur, dit le postillon, voilà le palonnier cassé, je ne sais plus comment atteler mon cheval, cette route-ci est bien mauvaise la nuit ; si vous vouliez revenir coucher à Tinques, nous pourrions être demain matin de bonne heure à Arras.

    Il répondit : — As-tu un bout de corde et un couteau ?

    Oui, monsieur.

    Il coupa une branche d’arbre et en fit un palonnier.

    Ce fut encore une perte de vingt minutes ; mais ils repartirent au galop.

    La plaine était ténébreuse. Des brouillards bas, courts et noirs rampaient sur les collines et s’en arrachaient comme des fumées. Il y avait des lueurs blanchâtres dans les nuages. Un grand vent qui venait de la mer faisait dans tous les coins de l’horizon le bruit de quelqu’un qui remue des meubles. Tout ce qu’on entrevoyait avait des attitudes de terreur. Que de choses frissonnent sous ces vastes souffles de la nuit !

    Le froid le pénétrait. Il n’avait pas mangé depuis la veille. Il se rappelait vaguement son autre course nocturne dans la grande plaine aux environs de Digne. Il y avait huit ans ; et cela lui semblait hier.

    Une heure sonna à quelque clocher lointain. Il demanda au garçon :

    Quelle est cette heure ?

    Sept heures, monsieur. Nous serons à Arras à huit. Nous n’avons plus que trois lieues.

    En ce moment il fit pour la première fois cette réflexion — en trouvant étrange qu’elle ne lui fût pas venue plus tôt : — que c’était peut-être inutile, toute la peine qu’il prenait ; qu’il ne savait seulement pas l’heure du procès ; qu’il aurait dû au moins s’en informer ; qu’il était extravagant d’aller ainsi devant soi sans savoir si cela servirait à quelque chose. — Puis il ébaucha quelques calculs dans son esprit : — qu’ordinairement les séances des cours d’assises commençaient à neuf heures du matin ; — que cela ne devait pas être long, cette affaire-là ; — que le vol de pommes, ce serait très court ; — qu’il n’y aurait plus ensuite qu’une question d’identité ; — quatre ou cinq dépositions, peu de chose à dire pour les avocats ; — qu’il allait arriver lorsque tout serait fini !

    Le postillon fouettait les chevaux. Ils avaient passé la rivière et laissé derrière eux Mont-Saint-Éloy.

    La nuit devenait de plus en plus profonde.


     

    VI

    LA SŒUR SIMPLICE MISE À L’ÉPREUVE


     

    Cependant, en ce moment-là même, Fantine était dans la joie.

    Elle avait passé une très mauvaise nuit. Toux affreuse, redoublement de fièvre ; elle avait eu des songes. Le matin, à la visite du médecin, elle délirait. Il avait eu l’air alarmé et avait recommandé qu’on le prévînt dès que M. Madeleine viendrait.

    Toute la matinée elle fut morne, parla peu, et fit des plis à ses draps en murmurant à voix basse des calculs qui avaient l’air d’être des calculs de distances. Ses yeux étaient caves et fixes. Ils paraissaient presque éteints, et puis, par moments, ils se rallumaient et resplendissaient comme des étoiles. Il semble qu’aux approches d’une certaine heure sombre, la clarté du ciel emplisse ceux que quitte la clarté de la terre.

    Chaque fois que la sœur Simplice lui demandait comment elle se trouvait, elle répondait invariablement : — Bien. Je voudrais voir monsieur Madeleine.

    Quelques mois auparavant, à ce moment où Fantine venait de perdre sa dernière pudeur, sa dernière honte et sa dernière joie, elle était l’ombre d’elle-même ; maintenant elle en était le spectre. Le mal physique avait complété l’œuvre du mal moral. Cette créature de vingt-cinq ans avait le front ridé, les joues flasques, les narines pincées, les dents déchaussées, le teint plombé, le cou osseux, les clavicules saillantes, les membres chétifs, la peau terreuse, et ses cheveux blonds poussaient mêlés de cheveux gris. Hélas ! comme la maladie improvise la vieillesse !

    À midi, le médecin revint, il fit quelques prescriptions, s’informa si M. le maire avait paru à l’infirmerie, et branla la tête.

    M. Madeleine venait d’habitude à trois heures voir la malade. Comme l’exactitude était de la bonté, il était exact.

    Vers deux heures et demie, Fantine commença à s’agiter. Dans l’espace de vingt minutes, elle demanda plus de dix fois à la religieuse : — Ma sœur, quelle heure est-il ?

    Trois heures sonnèrent. Au troisième coup, Fantine se dressa sur son séant, elle qui d’ordinaire pouvait à peine remuer dans son lit ; elle joignit dans une sorte d’étreinte convulsive ses deux mains décharnées et jaunes, et la religieuse entendit sortir de sa poitrine un de ces soupirs profonds qui semblent soulever un accablement. Puis Fantine se tourna et regarda la porte.

    Personne n’entra ; la porte ne s’ouvrit point.

    Elle resta ainsi un quart d’heure, l’œil attaché sur la porte, immobile et comme retenant son haleine. La sœur n’osait lui parler. L’église sonna trois heures un quart. Fantine se laissa retomber sur l’oreiller.

    Elle ne dit rien et se remit à faire des plis à son drap.

    La demi-heure passa, puis l’heure. Personne ne vint. Chaque fois que l’horloge sonnait, Fantine se dressait et regardait du côté de la porte, puis elle retombait.

    On voyait clairement sa pensée, mais elle ne prononçait aucun nom, elle ne se plaignait pas, elle n’accusait pas. Seulement elle toussait d’une façon lugubre. On eût dit que quelque chose d’obscur s’abaissait sur elle. Elle était livide et avait les lèvres bleues. Elle souriait par moments.

    Cinq heures sonnèrent. Alors la sœur l’entendit qui disait très bas et doucement : — Mais puisque je m’en vais demain, il a tort de ne pas venir aujourd’hui !

    La sœur Simplice elle-même était surprise du retard de M. Madeleine.

    Cependant Fantine regardait le ciel de son lit. Elle avait l’air de chercher à se rappeler quelque chose. Tout à coup elle se mit à chanter d’une voix faible comme un souffle. La religieuse écouta. Voici ce que Fantine chantait :

     


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    La vierge Marie auprès de mon poêle
    Est venue hier en manteau brodé,
    Et m’a dit : — Voici, caché sous mon voile,
    Le petit qu’un jour tu m’as demandé. —
    Courez à la ville, ayez de la toile,
    Achetez du fil, achetez un dé.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.


    Bonne sainte Vierge, auprès de mon poêle
    J’ai mis un berceau de rubans orné.
    Dieu me donnerait sa plus belle étoile,
    J’aime mieux l’enfant que tu m’as donné.
    — Madame, que faire avec cette toile ?
    — Faites un trousseau pour mon nouveau-né.


    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    — Lavez cette toile. — Où ? — Dans la rivière.
    Faites-en, sans rien gâter ni salir,
    Une belle jupe avec sa brassière
    Que je veux broder et de fleurs emplir.
    — L’enfant n’est plus là, madame, qu’en faire ?
    — Faites-en un drap pour m’ensevelir.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.

     

    Cette chanson était une vieille romance de berceuse avec laquelle autrefois elle endormait sa petite Cosette, et qui ne s’était pas offerte à son esprit depuis cinq ans qu’elle n’avait plus son enfant. Elle chantait cela d’une voix si triste et sur un air si doux que c’était à faire pleurer, même une religieuse. La sœur, habituée aux choses austères, sentit une larme lui venir.

    L’horloge sonna six heures. Fantine ne parut pas entendre. Elle semblait ne plus faire attention à aucune chose autour d’elle.

    La sœur Simplice envoya une fille de service s’informer près de la portière de la fabrique si M. le maire était rentré et s’il ne monterait pas bientôt à l’infirmerie. La fille revint au bout de quelques minutes.

    Fantine était toujours immobile et paraissait attentive à des idées qu’elle avait.

    La servante raconta très bas à la sœur Simplice que M. le maire était parti le matin même avant six heures dans un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, par le froid qu’il faisait, qu’il était parti seul, pas même de cocher, qu’on ne savait pas le chemin qu’il avait pris, que des personnes disaient l’avoir vu tourner par la route d’Arras, que d’autres assuraient l’avoir rencontré sur la route de Paris. Qu’en s’en allant il avait été comme à l’ordinaire très doux, et qu’il avait seulement dit à la portière qu’on ne l’attendît pas cette nuit.

    Pendant que les deux femmes, le dos tourné au lit de la Fantine, chuchotaient, la sœur questionnant, la servante conjecturant, la Fantine, avec cette vivacité fébrile de certaines maladies organiques qui mêle les mouvements libres de la santé à l’effrayante maigreur de la mort, s’était mise à genoux sur son lit, ses deux poings crispés appuyés sur le traversin, et, la tête passée par l’intervalle des rideaux, elle écoutait. Tout à coup elle cria :

    Vous parlez là de monsieur Madeleine ! pourquoi parlez-vous tout bas ? Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi ne vient-il pas ?

    Sa voix était si brusque et si rauque que les deux femmes crurent entendre une voix d’homme ; elles se retournèrent effrayées.

    Répondez donc ! cria Fantine.

    La servante balbutia :

    La portière m’a dit qu’il ne pourrait pas venir aujourd’hui.

    Mon enfant, dit la sœur, tenez-vous tranquille, recouchez-vous.

    Fantine, sans changer d’attitude, reprit d’une voix haute et avec un accent tout à la fois impérieux et déchirant :

    Il ne pourra venir... Pourquoi cela ? Vous savez la raison. Vous la chuchotiez là entre vous. Je veux le savoir.

    La servante se hâta de dire à l’oreille de la religieuse :

    Répondez qu’il est occupé au conseil municipal.

    La sœur Simplice rougit légèrement ; c’était un mensonge que la servante lui proposait. D’un autre côté il lui semblait bien que dire la vérité à la malade ce serait sans doute lui porter un coup terrible et que cela était grave dans l’état où était Fantine. Cette rougeur dura peu. La sœur leva sur Fantine son œil calme et triste, et dit :

    Monsieur le maire est parti.

    Fantine se redressa et s’assit sur ses talons. Ses yeux étincelèrent. Une joie inouïe rayonna sur cette physionomie douloureuse.

    Parti ! s’écria-t-elle. Il est allé chercher Cosette !

    Puis elle tendit ses deux mains vers le ciel et tout son visage devint ineffable. Ses lèvres remuaient ; elle priait à voix basse.

    Quand sa prière fut finie : — Ma sœur, dit-elle, je veux bien me recoucher, je vais faire tout ce qu’on voudra ; tout à l’heure j’ai été méchante, je vous demande pardon d’avoir parlé si haut, c’est très mal de parler haut, je le sais bien, ma bonne sœur ; mais voyez-vous, je suis très contente. Le bon Dieu est bon, monsieur Madeleine est bon, figurez-vous qu’il est allé chercher ma petite Cosette à Montfermeil.

    Elle se recoucha, aida la religieuse à arranger l’oreiller et baisa une petite croix d’argent qu’elle avait au cou et que la sœur Simplice lui avait donnée.

    Mon enfant, dit la sœur, tâchez de reposer maintenant, et ne parlez plus.

    Fantine prit dans ses mains moites la main de la sœur, qui souffrait de lui sentir cette sueur.

    Il est parti ce matin pour aller à Paris. Au fait il n’a pas même besoin de passer par Paris. Montfermeil, c’est un peu à gauche en venant. Vous rappelez-vous comme il me disait hier quand je lui parlais de Cosette : bientôt, bientôt ! C’est une surprise qu’il veut me faire. Vous savez ? il m’avait fait signer une lettre pour la reprendre aux Thénardier. Ils n’auront rien à dire, pas vrai ? Ils rendront Cosette. Puisqu’ils sont payés. Les autorités ne souffriraient pas qu’on garde un enfant quand on est payé. Ma sœur, ne me faites pas signe qu’il ne faut pas que je parle. Je suis extrêmement heureuse, je vais très bien, je n’ai plus de mal du tout, je vais revoir Cosette, j’ai même très faim. Il y a près de cinq ans que je ne l’ai vue. Vous ne vous figurez pas, vous, comme cela vous tient, les enfants ! Et puis elle sera si gentille, vous verrez ! Si vous saviez, elle a de si jolis petits doigts roses ! D’abord elle aura de très belles mains. À un an, elle avait des mains ridicules. Ainsi ! — Elle doit être grande à présent. Cela vous a sept ans. C’est une demoiselle. Je l’appelle Cosette, mais elle s’appelle Euphrasie. Tenez, ce matin, je regardais de la poussière qui était sur la cheminée et j’avais bien l’idée comme cela que je reverrais bientôt Cosette. Mon Dieu ! comme on a tort d’être des années sans voir ses enfants ! on devrait bien réfléchir que la vie n’est pas éternelle ! Oh ! comme il est bon d’être parti, monsieur le maire ! C’est vrai ça qu’il fait bien froid ? avait-il son manteau au moins ? Il sera ici demain, n’est-ce pas ? Ce sera demain fête. Demain matin, ma sœur, vous me ferez penser à mettre mon petit bonnet qui a de la dentelle. Montfermeil, c’est un pays. J’ai fait cette route-là, à pied, dans le temps. Il y a eu bien loin pour moi. Mais les diligences vont très vite ! Il sera ici demain avec Cosette. Combien y a-t-il d’ici Montfermeil ?

    La sœur, qui n’avait aucune idée des distances, répondit :

    Oh ! je crois bien qu’il pourra être ici demain.

    Demain ! demain ! dit Fantine, je verrai Cosette demain ! Voyez-vous, bonne sœur du bon Dieu, je ne suis plus malade. Je suis folle. Je danserais, si on voulait.

    Quelqu’un qui l’eût vue un quart d’heure auparavant n’y eût rien compris. Elle était maintenant toute rose, elle parlait d’une voix vive et naturelle, toute sa figure n’était qu’un sourire. Par moments elle riait en se parlant tout bas. Joie de mère, c’est presque joie d’enfant.

    Eh bien, reprit la religieuse, vous voilà heureuse, obéissez-moi, ne parlez plus.

    Fantine posa sa tête sur l’oreiller et dit à demi-voix : — Oui, recouche-toi, sois sage puisque tu vas avoir ton enfant. Elle a raison, sœur Simplice. Tous ceux qui sont ici ont raison.

    Et puis, sans bouger, sans remuer la tête, elle se mit à regarder partout avec ses yeux tout grands ouverts et un air joyeux, et elle ne dit plus rien.

    La sœur referma ses rideaux, espérant qu’elle s’assoupirait.

    Entre sept et huit heures le médecin vint. N’entendant aucun bruit, il crut que Fantine dormait, entra doucement et s’approcha du lit sur la pointe du pied. Il entr’ouvrit les rideaux, et à la lueur de la veilleuse il vit les grands yeux calmes de Fantine qui le regardaient.

    Elle lui dit : — Monsieur, n’est-ce pas, on me laissera la coucher à côté de moi dans un petit lit ?

    Le médecin crut qu’elle délirait. Elle ajouta :

    Regardez plutôt, il y a juste de la place.

    Le médecin prit à part la sœur Simplice qui lui expliqua la chose, que M. Madeleine était absent pour un jour ou deux, et que, dans le doute, on n’avait pas cru devoir détromper la malade qui croyait monsieur le maire parti pour Montfermeil ; qu’il était possible en somme qu’elle eût deviné juste. Le médecin approuva.

    Il se rapprocha du lit de Fantine, qui reprit :

    C’est que, voyez-vous, le matin, quand elle s’éveillera, je lui dirai bonjour à ce pauvre chat, et la nuit, moi qui ne dors pas, je l’entendrai dormir. Sa petite respiration si douce, cela me fera du bien.

    Donnez-moi votre main, dit le médecin.

    Elle tendit son bras, et s’écria en riant :

    Ah ! tiens ! au fait, c’est vrai, vous ne savez pas ! c’est que je suis guérie. Cosette arrive demain.

    Le médecin fut surpris. Elle était mieux. L’oppression était moindre. Le pouls avait repris de la force. Une sorte de vie survenue tout à coup ranimait ce pauvre être épuisé.

    Monsieur le docteur, reprit-elle, la sœur vous a-t-elle dit que monsieur le maire était allé chercher le chiffon ?

    Le médecin recommanda le silence et qu’on évitât toute émotion pénible. Il prescrivit une infusion de quinquina pur, et, pour le cas où la fièvre reprendrait dans la nuit, une potion calmante. En s’en allant, il dit à la sœur : — Cela va mieux. Si le bonheur voulait qu’en effet monsieur le maire arrivât demain avec l’enfant, qui sait ? il y a des crises si étonnantes, on a vu de grandes joies arrêter court des maladies ; je sais bien que celle-ci est une maladie organique, et bien avancée, mais c’est un tel mystère que tout cela ! Nous la sauverions peut-être.


     

    VII

    LE VOYAGEUR ARRIVÉ PREND SES PRÉCAUTIONS POUR REPARTIR


     

    Il était près de huit heures du soir quand la carriole que nous avons laissée en route entra sous la porte cochère de l’hôtel de la Poste à Arras. L’homme que nous avons suivi jusqu’à ce moment en descendit, répondit d’un air distrait aux empressements des gens de l’auberge, renvoya le cheval de renfort, et conduisit lui-même le petit cheval blanc à l’écurie ; puis il poussa la porte d’une salle de billard qui était au rez-de-chaussée, s’y assit, et s’accouda sur une table. Il avait mis quatorze heures à ce trajet qu’il comptait faire en six. Il se rendait la justice que ce n’était pas sa faute ; mais au fond il n’en était pas fâché.

    La maîtresse de l’hôtel entra.

    Monsieur couche-t-il ? monsieur soupe-t-il ?

    Il fit un signe de tête négatif.

    Le garçon d’écurie dit que le cheval de monsieur est bien fatigué !

    Ici il rompit le silence.

    Est-ce que le cheval ne pourra pas repartir demain matin ?

    Oh ! monsieur ! il lui faut au moins deux jours de repos.

    Il demanda :

    N’est-ce pas ici le bureau de poste ?

    Oui, monsieur.

    L’hôtesse le mena à ce bureau ; il montra son passeport et s’informa s’il y avait moyen de revenir cette nuit même à Montreuil-sur-mer par la malle ; la place à côté du courrier était justement vacante ; il la retint et la paya. — Monsieur, dit le buraliste, ne manquez pas d’être ici pour partir à une heure précise du matin.

    Cela fait, il sortit de l’hôtel et se mit à marcher dans la ville.

    Il ne connaissait pas Arras, les rues étaient obscures, et il allait au hasard. Cependant il semblait s’obstiner à ne pas demander son chemin aux passants. Il traversa la petite rivière Crinchon et se trouva dans un dédale de ruelles étroites où il se perdit. Un bourgeois cheminait avec un falot. Après quelque hésitation, il prit le parti de s’adresser à ce bourgeois, non sans avoir d’abord regardé devant et derrière lui, comme s’il craignait que quelqu’un n’entendît la question qu’il allait faire.

    Monsieur, dit-il, le palais de justice, s’il vous plaît ?

    Vous n’êtes pas de la ville, monsieur ? répondit le bourgeois qui était un assez vieux homme, eh bien, suivez-moi. Je vais précisément du côté du palais de justice, c’est-à-dire du côté de l’hôtel de la préfecture. Car on répare en ce moment le palais, et provisoirement les tribunaux ont leurs audiences à la préfecture.

    Est-ce là, demanda-t-il, qu’on tient les assises ?

    Sans doute, monsieur. Voyez-vous, ce qui est la préfecture aujourd’hui était l’évêché avant la révolution. Monsieur de Conzié, qui était évêque en quatre-vingt-deux, y a fait bâtir une grande salle. C’est dans cette grande salle qu’on juge.

    Chemin faisant, le bourgeois lui dit :

    Si c’est un procès que monsieur veut voir, il est un peu tard. Ordinairement les séances finissent à six heures.

    Cependant, comme ils arrivaient sur la grande place, le bourgeois lui montra quatre longues fenêtres éclairées sur la façade d’un vaste bâtiment ténébreux.

    Ma foi, monsieur, vous arrivez à temps, vous avez du bonheur. Voyez-vous ces quatre fenêtres ? c’est la cour d’assises. Il y a de la lumière. Donc ce n’est pas fini. L’affaire aura traîné en longueur et on fait une audience du soir. Vous vous intéressez à cette affaire ? Est-ce que c’est un procès criminel ? Est-ce que vous êtes témoin ?

    Il répondit :

    Je ne viens pour aucune affaire, j’ai seulement à parler à un avocat.

    C’est différent, dit le bourgeois. Tenez, monsieur, voici la porte. Où est le factionnaire. Vous n’aurez qu’à monter le grand escalier.

    Il se conforma aux indications du bourgeois, et, quelques minutes après, il était dans une salle où il y avait beaucoup de monde et où des groupes mêlés d’avocats en robe chuchotaient çà et là.

    C’est toujours une chose qui serre le cœur de voir ces attroupements d’hommes vêtus de noir qui murmurent entre eux à voix basse sur le seuil des chambres de justice. Il est rare que la charité et la pitié sortent de toutes ces paroles. Ce qui en sort le plus souvent, ce sont des condamnations faites d’avance. Tous ces groupes semblent à l’observateur qui passe et qui rêve autant de ruches sombres où des esprits bourdonnants construisent en commun toutes sortes d’édifices ténébreux.

    Cette salle, spacieuse et éclairée d’une seule lampe, était une ancienne salle de l’évêché et servait de salle des pas perdus. Une porte à deux battants, fermée en ce moment, la séparait de la grande chambre où siégeait la cour d’assises.

    L’obscurité était telle qu’il ne craignit pas de s’adresser au premier avocat qu’il rencontra.

    Monsieur, dit-il, où en est-on ?

    C’est fini, dit l’avocat.

    Fini !

    Ce mot fut répété d’un tel accent que l’avocat se retourna.

    Pardon, monsieur, vous êtes peut-être un parent ?

    Non, Je ne connais personne ici. Et y a-t-il eu condamnation ?

    Sans doute. Cela n’était guère possible autrement.

    Aux travaux forcés ?...

    À perpétuité.

    Il reprit d’une voix tellement faible qu’on l’entendait à peine :

    L’identité a donc été constatée ?

    Quelle identité ? répondit l’avocat. Il n’y avait pas d’identité à constater. L’affaire était simple. Cette femme avait tué son enfant, l’infanticide a été prouvé, le jury a écarté la préméditation, on l’a condamnée à vie.

    C’est donc une femme ? dit-il.

    Mais sûrement. La fille Limosin. De quoi me parlez-vous donc ?

    De rien. Mais puisque c’est fini, comment se fait-il que la salle soit encore éclairée ?

    C’est pour l’autre affaire qu’on a commencée il y a à peu près deux heures.

    Quelle autre affaire ?

    Oh ! celle-là est claire aussi. C’est une espèce de gueux, un récidiviste, un galérien, qui a volé. Je ne sais plus trop son nom. En voilà un qui vous a une mine de bandit. Rien que pour avoir cette figure-là, je l’enverrais aux galères.

    Monsieur, demanda-t-il, y a-t-il moyen de pénétrer dans la salle ?

    Je ne crois vraiment pas. Il y a beaucoup de foule. Cependant l’audience est suspendue. Il y a des gens qui sont sortis, et, à la reprise de l’audience, vous pourrez essayer.

    Par où entre-t-on ?

    Par cette grande porte.

    L’avocat le quitta. En quelques instants, il avait éprouvé, presque en même temps, presque mêlées, toutes les émotions possibles. Les paroles de cet indifférent lui avaient tour à tour traversé le cœur comme des aiguilles de glace et comme des lames de feu. Quand il vit que rien n’était terminé, il respira ; mais il n’eût pu dire si ce qu’il ressentait était du contentement ou de la douleur.

    Il s’approcha de plusieurs groupes et il écouta ce qu’on disait. Le rôle de la session étant très chargé, le président avait indiqué pour ce même jour deux affaires simples et courtes. On avait commencé par l’infanticide, et maintenant on en était au forçat, au récidiviste, au « cheval de retour ». Cet homme avait volé des pommes, mais cela ne paraissait pas bien prouvé ; ce qui était prouvé, c’est qu’il avait été déjà aux galères à Toulon. C’est ce qui faisait son affaire mauvaise. Du reste, l’interrogatoire de l’homme était terminé et les dépositions des témoins ; mais il y avait encore les plaidoiries de l’avocat et le réquisitoire du ministère public ; cela ne devait guère finir avant minuit. L’homme serait probablement condamné ; l’avocat général était très bon, — et ne manquait pas ses accusés ; — c’était un garçon d’esprit qui faisait des vers.

    Un huissier se tenait debout près de la porte qui communiquait avec la salle des assises. Il demanda à cet huissier :

    Monsieur, la porte va-t-elle bientôt s’ouvrir ?

    Elle ne s’ouvrira pas, dit l’huissier.

    Comment ! on ne l’ouvrira pas à la reprise de l’audience ? est-ce que l’audience n’est pas suspendue ?

    L’audience vient d’être reprise, répondit l’huissier, mais la porte ne se rouvrira pas.

    Pourquoi ?

    Parce que la salle est pleine.

    Quoi ! il n’y a plus une place ?

    Plus une seule. La porte est fermée. Personne ne peut plus entrer.

    L’huissier ajouta après un silence : — Il y a bien encore deux ou trois places derrière monsieur le président, mais monsieur le président n’y admet que les fonctionnaires publics.

    Cela dit, l’huissier lui tourna le dos.

    Il se retira la tête baissée, traversa l’antichambre et redescendit l’escalier lentement, comme hésitant à chaque marche. Il est probable qu’il tenait conseil avec lui-même. Le violent combat qui se livrait en lui depuis la veille n’était pas fini ; et, à chaque instant, il en traversait quelque nouvelle péripétie. Arrivé sur le palier de l’escalier, il s’adossa à la rampe et croisa les bras. Tout à coup il ouvrit sa redingote, prit son portefeuille, en tira un crayon, déchira une feuille, et écrivit rapidement sur cette feuille à la lueur du réverbère cette ligne : — M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer. Puis il remonta l’escalier à grands pas, fendit la foule, marcha droit à l’huissier, lui remit le papier, et lui dit avec autorité : — Portez ceci à monsieur le président.

    L’huissier prit le papier, y jeta un coup d’œil et obéit.


     

    VIII

    ENTRÉE DE FAVEUR


     

    Sans qu’il s’en doutât, le maire de Montreuil-sur-Mer avait une sorte de célébrité. Depuis sept ans que sa réputation de vertu remplissait tout le bas Boulonnais, elle avait fini par franchir les limites d’un petit pays et s’était répandue dans les deux ou trois départements voisins. Outre le service considérable qu’il avait rendu au chef-lieu en y restaurant l’industrie des verroteries noires, il n’était pas une des cent quarante et une communes de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer qui ne lui dût quelque bienfait. Il avait su même au besoin aider et féconder les industries des autres arrondissements. C’est ainsi qu’il avait dans l’occasion soutenu de son crédit et de ses fonds la fabrique de tulle de Boulogne, la filature de lin à la mécanique de Frévent et la manufacture hydraulique de toiles de Boubers-sur-Canche. Partout on prononçait avec vénération le nom de M. Madeleine. Arras et Douai enviaient son maire à l’heureuse petite ville de Montreuil-sur-Mer.

    Le conseiller à la cour royale de Douai, qui présidait cette session des assises à Arras, connaissait comme tout le monde ce nom si profondément et si universellement honoré. Quand l’huissier, ouvrant discrètement la porte qui communiquait de la chambre du conseil à l’audience, se pencha derrière le fauteuil du président et lui remit le papier où était écrite la ligne qu’on vient de lire, en ajoutant : Ce monsieur désire assister à l’audience, le président fit un vif mouvement de déférence, saisit une plume, écrivit quelques mots au bas du papier, et le rendit à l’huissier en lui disant :

    Faites entrer.

    L’homme malheureux dont nous racontons l’histoire était resté près de la porte de la salle à la même place et dans la même attitude où l’huissier l’avait quitté. Il entendit, à travers sa rêverie, quelqu’un qui lui disait : Monsieur veut-il bien me faire l’honneur de me suivre ? C’était ce même huissier qui lui avait tourné le dos l’instant d’auparavant et qui maintenant le saluait jusqu’à terre. L’huissier en même temps lui remit le papier. Il le déplia, et, comme il se rencontrait qu’il était près de la lampe, il put lire :

    « Le président de la cour d’assises présente son respect à M. Madeleine. »

    Il froissa le papier entre ses mains, comme si ces quelques mots eussent eu pour lui un arrière-goût étrange et amer.

    Il suivit l’huissier.

    Quelques minutes après, il se trouvait seul dans une espèce de cabinet lambrissé, d’un aspect sévère, éclairé par deux bougies posées sur un tapis vert. Il avait encore dans l’oreille les dernières paroles de l’huissier qui venait de le quitter : « Monsieur, vous voici dans la chambre du conseil ; vous n’avez qu’à tourner le bouton de cuivre de cette porte, et vous vous trouverez dans l’audience derrière le fauteuil de monsieur le président. » — Ces paroles se mêlaient dans sa pensée à un souvenir vague de corridors étroits et d’escaliers noirs qu’il venait de parcourir.

    L’huissier l’avait laissé seul. Le moment suprême était arrivé. Il cherchait à se recueillir sans pouvoir y parvenir. C’est surtout aux heures où l’on aurait le plus besoin de les rattacher aux réalités poignantes de la vie que tous les fils de la pensée se rompent dans le cerveau. Il était dans l’endroit même où les juges délibèrent et condamnent. Il regardait avec une tranquillité stupide cette chambre paisible et redoutable où tant d’existences avaient été brisées, où son nom allait retentir tout à l’heure, et que sa destinée traversait en ce moment. Il regardait la muraille, puis il se regardait lui-même, s’étonnant que ce fût cette chambre et que ce fût lui.

    Il n’avait pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, il était brisé par les cahots de la carriole, mais il ne le sentait pas ; il lui semblait qu’il ne sentait rien.

    Il s’approcha d’un cadre noir qui était accroché au mur et qui contenait sous verre une vieille lettre autographe de Jean-Nicolas Pache, maire de Paris et ministre, datée sans doute par erreur du 9 juin an II, et dans laquelle Pache envoyait à la commune la liste des ministres et des députés tenus en arrestation chez eux. Un témoin qui l’eût pu voir et qui l’eût observé en cet instant eût sans doute imaginé que cette lettre lui paraissait bien curieuse, car il n’en détachait pas ses yeux, et il la lut deux ou trois fois. Il la lisait sans y faire attention et à son insu. Il pensait à Fantine et à Cosette.

    Tout en rêvant, il se retourna, et ses yeux rencontrèrent le bouton de cuivre de la porte qui le séparait de la salle des assises. Il avait presque oublié cette porte. Son regard, d’abord calme, s’y arrêta, resta attaché à ce bouton de cuivre, puis devint effaré et fixe, et s’empreignit peu à peu d’épouvante. Des gouttes de sueur lui sortaient d’entre les cheveux et ruisselaient sur ses tempes.

    À un certain moment, il fit avec une sorte d’autorité mêlée de rébellion ce geste indescriptible qui veut dire et qui dit si bien : Pardieu ! qui est-ce qui m’y force ? Puis il se tourna vivement, vit devant lui la porte par laquelle il était entré, y alla, l’ouvrit, et sortit. Il n’était plus dans cette chambre, il était dehors, dans un corridor, un corridor long, étroit, coupé de degrés et de guichets, faisant toutes sortes d’angles, éclairé çà et là de réverbères pareils à des veilleuses de malades, le corridor par où il était venu. Il respira, il écouta, aucun bruit derrière lui, aucun bruit devant lui ; il se mit à fuir comme si on le poursuivait.

    Quand il eut doublé plusieurs des coudes de ce couloir, il écouta encore. C’était toujours le même silence et la même ombre autour de lui. Il était essoufflé, il chancelait, il s’appuya au mur. La pierre était froide, sa sueur était glacée sur son front, il se redressa en frissonnant.

    Alors, là, seul, debout dans cette obscurité, tremblant de froid et d’autre chose peut-être, il songea. Il avait songé toute la nuit, il avait songé toute la journée ; il n’entendait plus en lui qu’une voix qui disait : hélas !

    Un quart d’heure s’écoula ainsi. Enfin, il pencha la tête, soupira avec angoisse, laissa pendre ses bras, et revint sur ses pas. Il marchait lentement et comme accablé. Il semblait que quelqu’un l’eût atteint dans sa fuite et le ramenât.

    Il rentra dans la chambre du conseil. La première chose qu’il aperçut, ce fut la gâchette de la porte. Cette gâchette, ronde et en cuivre poli, resplendissait pour lui comme une effroyable étoile. Il la regardait comme une brebis regarderait l’œil d’un tigre.

    Ses yeux ne pouvaient s’en détacher.

    De temps en temps il faisait un pas et se rapprochait de la porte.

    S’il eût écouté, il eût entendu, comme une sorte de murmure confus, le bruit de la salle voisine ; mais il n’écoutait pas, il n’entendait pas.

    Tout à coup, sans qu’il sût lui-même comment, il se trouva près de la porte. Il saisit convulsivement le bouton ; la porte s’ouvrit.

    Il était dans la salle d’audience.


     

    IX

    UN LIEU OÙ DES CONVICTIONS SONT EN TRAIN DE SE FORMER


     

    Il fit un pas, referma machinalement la porte derrière lui, et resta debout, considérant ce qu’il voyait.

    C’était une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de rumeur, tantôt pleine de silence, où tout l’appareil d’un procès criminel se développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule.

    À un bout de la salle, celui où il se trouvait, des juges à l’air distrait, en robe usée, se rongeant les ongles ou fermant les paupières ; à l’autre bout, une foule en haillons ; des avocats dans toutes sortes d’attitudes ; des soldats au visage honnête et dur ; de vieilles boiseries tachées, un plafond sale, des tables couvertes d’une serge plutôt jaune que verte, des portes noircies par les mains ; à des clous plantés dans le lambris, des quinquets d’estaminet donnant plus de fumée que de clarté ; sur les tables, des chandelles dans des chandeliers de cuivre ; l’obscurité, la laideur, la tristesse ; et de tout cela se dégageait une impression austère et auguste, car on y sentait cette grande chose humaine qu’on appelle la loi et cette grande chose divine qu’on appelle la justice.

    Personne dans cette foule ne fit attention à lui. Tous les regards convergeaient vers un point unique, un banc de bois adossé à une petite porte, le long de la muraille, à gauche du président. Sur ce banc, que plusieurs chandelles éclairaient, il y avait un homme entre deux gendarmes.

    Cet homme, c’était l’homme.

    Il ne le chercha pas, il le vit. Ses yeux allèrent là naturellement, comme s’ils avaient su d’avance où était cette figure.

    Il crut se voir lui-même, vieilli ; non pas sans doute absolument semblable de visage, mais tout pareil d’attitude et d’aspect ; avec ces cheveux hérissés, avec cette prunelle fauve et inquiète, avec cette blouse, tel qu’il était le jour où il entrait à Digne, plein de haine et cachant dans son âme ce hideux trésor de pensées affreuses qu’il avait mis dix-neuf ans à ramasser sur le pavé du bagne.

    Il se dit avec un frémissement : — Mon Dieu ! est-ce que je redeviendrai ainsi ?

    Cet être paraissait au moins soixante ans. Il avait je ne sais quoi de rude, de stupide et d’effarouché.

    Au bruit de la porte, on s’était rangé pour lui faire place, le président avait tourné la tête, et comprenant que le personnage qui venait d’entrer était M. le maire de Montreuil-sur-Mer, il l’avait salué. L’avocat général, qui avait vu M. Madeleine à Montreuil-sur-Mer où des opérations de son ministère l’avaient plus d’une fois appelé, le reconnut, et salua également. Lui s’en aperçut à peine. Il était en proie à une sorte d’hallucination ; il regardait.

    Des juges, un greffier, des gendarmes, une foule de têtes cruellement curieuses, il avait déjà vu cela une fois, autrefois, il y avait vingt-sept ans. Ces choses funestes, il les retrouvait ; elles étaient là, elles remuaient, elles existaient. Ce n’était plus un effort de sa mémoire, un mirage de sa pensée, c’étaient de vrais gendarmes et de vrais juges, une vraie foule et de vrais hommes en chair et en os. C’en était fait, il voyait reparaître et revivre autour de lui, avec tout ce que la réalité a de formidable, les aspects monstrueux de son passé.

    Tout cela était béant devant lui.

    Il en eut horreur, il ferma les yeux, et s’écria au plus profond de son âme : jamais !

    Et par un jeu tragique de la destinée qui faisait trembler toutes ses idées et le rendait presque fou, c’était un autre lui-même qui était là ! Cet homme qu’on jugeait, tous l’appelaient Jean Valjean !

    Il avait sous les yeux, vision inouïe, une sorte de représentation du moment le plus horrible de sa vie, jouée par son fantôme.

    Tout y était, c’était le même appareil, la même heure de nuit, presque les mêmes faces de juges, de soldats et de spectateurs. Seulement, au-dessus de la tête du président, il y avait un crucifix, chose qui manquait aux tribunaux du temps de sa condamnation. Quand on l’avait jugé, Dieu était absent.

    Une chaise était derrière lui ; il s’y laissa tomber, terrifié de l’idée qu’on pouvait le voir. Quand il fut assis, il profita d’une pile de cartons qui était sur le bureau des juges pour dérober son visage à toute la salle. Il pouvait maintenant voir sans être vu. Peu à peu il se remit. Il rentra pleinement dans le sentiment du réel ; il arriva à cette phase de calme où l’on peut écouter.

    M. Bamatabois était au nombre des jurés.

    Il chercha Javert, mais il ne le vit pas. Le banc des témoins lui était caché par la table du greffier. Et puis, nous venons de le dire, la salle était à peine éclairée.

    Au moment où il était entré, l’avocat de l’accusé achevait sa plaidoirie. L’attention de tous était excitée au plus haut point ; l’affaire durait depuis trois heures. Depuis trois heures, cette foule regardait plier peu à peu sous le poids d’une vraisemblance terrible un homme, un inconnu, une espèce d’être misérable, profondément stupide ou profondément habile. Cet homme, on le sait déjà, était un vagabond qui avait été trouvé dans un champ, emportant une branche chargée de pommes mûres, cassée à un pommier dans un clos voisin, appelé le clos Pierron. Qui était cet homme ? Une enquête avait eu lieu, des témoins venaient d’être entendus, ils avaient été unanimes, des lumières avaient jailli de tout le débat. L’accusation disait : — Nous ne tenons pas seulement un voleur de fruits, un maraudeur ; nous tenons là, dans notre main, un bandit, un relaps en rupture de ban, un ancien forçat, un scélérat des plus dangereux, un malfaiteur appelé Jean Valjean que la justice recherche depuis longtemps, et qui, il y a huit ans, en sortant du bagne de Toulon, a commis un vol de grand chemin à main armée sur la personne d’un enfant savoyard appelé Petit-Gervais, crime prévu par l’article 383 du code pénal, pour lequel nous nous réservons de le poursuivre ultérieurement, quand l’identité sera judiciairement acquise. Il vient de commettre un nouveau vol. C’est un cas de récidive. Condamnez-le pour le fait nouveau ; il sera jugé plus tard pour le fait ancien. — Devant cette accusation, devant l’unanimité des témoins, l’accusé paraissait surtout étonné. Il faisait des gestes et des signes qui voulaient dire non, ou bien il considérait le plafond. Il parlait avec peine, répondait avec embarras, mais, de la tête aux pieds, toute sa personne niait. Il était comme un idiot en présence de toutes ces intelligences rangées en bataille autour de lui, et comme un étranger au milieu de cette société qui le saisissait. Cependant il y allait pour lui de l’avenir le plus menaçant, la vraisemblance croissait à chaque minute, et toute cette foule regardait avec plus d’anxiété que lui-même cette sentence pleine de calamités qui penchait sur lui de plus en plus. Une éventualité laissait même entrevoir, outre le bagne, la peine de mort possible, si l’identité était reconnue et si l’affaire Petit-Gervais se terminait plus tard par une condamnation. Qu’était-ce que cet homme ? De quelle nature était son apathie ? Était-ce imbécillité ou ruse ? Comprenait-il trop, ou ne comprenait-il pas du tout ? Questions qui divisaient la foule et semblaient partager le jury. Il y avait dans ce procès ce qui effraye et ce qui intrigue ; le drame n’était pas seulement sombre, il était obscur.

    Le défenseur avait assez bien plaidé, dans cette langue de province qui a longtemps constitué l’éloquence du barreau et dont usaient jadis tous les avocats, aussi bien à Paris qu’à Romorantin ou à Montbrison, et qui aujourd’hui, étant devenue classique, n’est plus guère parlée que par les orateurs officiels du parquet, auxquels elle convient par sa sonorité grave et son allure majestueuse ; langue où un mari s’appelle un époux, une femme, une épouse, Paris, le centre des arts et de la civilisation, le roi, le monarque, monseigneur l’évêque, un saint pontife, l’avocat général, l’éloquent interprète de la vindicte, la plaidoirie, les accents qu’on vient d’entendre, le siècle de Louis xiv, le grand siècle, un théâtre, le temple de Melpomène, la famille régnante, l’auguste sang de nos rois, un concert, une solennité musicale, monsieur le général commandant le département, l’illustre guerrier qui, etc., les élèves du séminaire, ces tendres lévites, les erreurs imputées aux journaux, l’imposture qui distille son venin dans les colonnes de ces organes, etc., etc. — L’avocat donc avait commencé par s’expliquer sur le vol de pommes, — chose malaisée en beau style ; mais Bénigne Bossuet lui-même a été obligé de faire allusion à une poule en pleine oraison funèbre, et il s’en est tiré avec pompe. L’avocat avait établi que le vol de pommes n’était pas matériellement prouvé. — Son client, qu’en sa qualité de défenseur, il persistait à appeler Champmathieu, n’avait été vu de personne escaladant le mur ou cassant la branche. — On l’avait arrêté nanti de cette branche (que l’avocat appelait plus volontiers rameau) ; — mais il disait l’avoir trouvée à terre et ramassée. Où était la preuve du contraire ? — Sans doute cette branche avait été cassée et dérobée après escalade, puis jetée là par le maraudeur alarmé ; sans doute il y avait un voleur ; — qu’est-ce qui prouvait que ce voleur était Champmathieu ? Une seule chose. Sa qualité d’ancien forçat. L’avocat ne niait pas que cette qualité ne parût malheureusement bien constatée ; l’accusé avait résidé à Faverolles ; l’accusé y avait été émondeur; le nom de Champmathieu pouvait bien avoir pour origine Jean Mathieu ; tout cela était vrai ; enfin quatre témoins reconnaissaient sans hésiter et positivement Champmathieu pour être le galérien Jean Valjean ; à ces indications, à ces témoignages, l’avocat ne pouvait opposer que la dénégation de son client, dénégation très intéressée ; mais en supposant qu’il fût le forçat Jean Valjean, cela prouvait-il qu’il fût le voleur des pommes ? C’était une présomption tout au plus ; non une preuve. L’accusé, cela était vrai, et le défenseur « dans sa bonne foi » devait en convenir, avait adopté « un mauvais système de défense ». Il s’obstinait à nier tout, le vol et sa qualité de forçat. Un aveu de ce dernier point eût mieux valu, à coup sûr, et lui eût concilié l’indulgence de ses juges ; l’avocat le lui avait conseillé ; mais l’accusé s’y était refusé obstinément, croyant sans doute sauver tout en n’avouant rien. C’était un tort ; mais ne fallait-il pas considérer la brièveté de cette intelligence ? Cet homme était visiblement stupide. Un long malheur au bagne, une longue misère hors du bagne, l’avaient abruti, etc., etc. Il se défendait mal, était-ce une raison pour le condamner ? Quant à l’affaire Petit-Gervais, l’avocat n’avait pas à la discuter, elle n’était point dans la cause. L’avocat concluait en suppliant le jury et la cour, si l’identité de Jean Valjean leur paraissait évidente, de lui appliquer les peines de police qui s’adressent au condamné en rupture de ban, et non le châtiment épouvantable qui frappe le forçat récidiviste.

    L’avocat général répliqua au défenseur. Il fut violent et fleuri, comme sont habituellement les avocats généraux.

    Il félicita le défenseur de sa « loyauté », et profita habilement de cette loyauté. Il atteignit l’accusé par toutes les concessions que l’avocat avait faites, L’avocat semblait accorder que l’accusé était Jean Valjean. Il en prit acte. Cet homme était donc Jean Valjean. Ceci était acquis à l’accusation et ne pouvait plus se contester. Ici, par une habile antonomase, remontant aux sources et aux causes de la criminalité, l’avocat général tonna contre l’immoralité de l’école romantique, alors à son aurore sous le nom d’école satanique que lui avaient décerné les critiques de la Quotidienne et de l’Oriflamme ; il attribua, non sans vraisemblance, à l’influence de cette littérature perverse le délit de Champmathieu, ou pour mieux dire, de Jean Valjean. Ces considérations épuisées, il passa à Jean Valjean lui-même. Qu’était-ce que Jean Valjean ? Description de Jean Valjean. Un monstre vomi, etc. Le modèle de ces sortes de descriptions est dans le récit de Théramène, lequel n’est pas utile à la tragédie, mais rend tous les jours de grands services à l’éloquence judiciaire. L’auditoire et les jurés « frémirent ». La description achevée, l’avocat général reprit, dans un mouvement oratoire fait pour exciter au plus haut point le lendemain matin l’enthousiasme du Journal de la Préfecture : — Et c’est un pareil homme, etc., etc., etc., vagabond, mendiant, sans moyens d’existence, etc., etc., — accoutumé par sa vie passée aux actions coupables et peu corrigé par son séjour au bagne, comme le prouve le crime commis sur Petit-Gervais, etc., etc., — c’est un homme pareil qui, trouvé sur la voie publique en flagrant délit de vol, à quelques pas d’un mur escaladé, tenant encore à la main l’objet volé, nie le flagrant délit, le vol, l’escalade, nie tout, nie jusqu’à son nom, nie jusqu’à son identité ! Outre cent autres preuves sur lesquelles nous ne revenons, pas, quatre témoins le reconnaissent, Javert, l’intègre inspecteur de police Javert, et trois de ses anciens compagnons d’ignominie, les forçats Brevet, Chenildieu et Cochepaille. Qu’oppose-t-il à cette unanimité foudroyante ? Il nie. Quel endurcissement ! Vous ferez justice, messieurs les jurés, etc., etc. — Pendant que l’avocat général parlait, l’accusé écoutait, la bouche ouverte, avec une sorte d’étonnement où il entrait bien quelque admiration. Il était évidemment surpris qu’un homme pût parler comme cela. De temps en temps, aux moments les plus « énergiques » du réquisitoire, dans ces instants où l’éloquence, qui ne peut se contenir, déborde dans un flux d’épithètes flétrissantes et enveloppe l’accusé comme un orage, il remuait lentement la tête de droite à gauche et de gauche à droite, sorte de protestation triste et muette dont il se contentait depuis le commencement des débats. Deux ou trois fois les spectateurs placés le plus près de lui l’entendirent dire à demi-voix : — Voilà ce que c’est, de n’avoir pas demandé à M. Baloup ! — L’avocat général fit remarquer au jury cette attitude hébétée, calculée évidemment, qui dénotait, non l’imbécillité, mais l’adresse, la ruse, l’habitude de tromper la justice, et qui mettait dans tout son jour « la profonde perversité » de cet homme. Il termina en faisant ses réserves pour l’affaire Petit-Gervais, et en réclamant une condamnation sévère.

    C’était, pour l’instant, on s’en souvient, les travaux forcés à perpétuité.

    Le défenseur se leva, commença par complimenter « monsieur l’avocat général » sur son « admirable parole », puis répliqua comme il put, mais il faiblissait ; le terrain évidemment se dérobait sous lui.


     

    X

    LE SYSTÈME DE DÉNÉGATIONS


     

    L’instant de clore les débats était venu. Le président fit lever l’accusé et lui adressa la question d’usage : — Avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?

    L’homme, debout, roulant dans ses mains un affreux bonnet qu’il avait, sembla ne pas entendre.

    Le président répéta la question.

    Cette fois l’homme entendit. Il parut comprendre, il fit le mouvement de quelqu’un qui se réveille, promena ses yeux autour de lui, regarda le public, les gendarmes, son avocat, les jurés, la cour, posa son poing monstrueux sur le rebord de la boiserie placée devant son banc, regarda encore, et tout à coup, fixant son regard sur l’avocat général, il se mit à parler. Ce fut comme une éruption. Il sembla, à la façon dont les paroles s’échappaient de sa bouche, incohérentes, impétueuses, heurtées, pêle-mêle, qu’elles s’y pressaient toutes à la fois pour sortir en même temps. Il dit : — J’ai à dire ça. Que j’ai été charron à Paris, même que c’était chez monsieur Baloup. C’est un état dur. Dans la chose de charron, on travaille toujours en plein air, dans des cours, sous des hangars chez les bons maîtres, jamais dans des ateliers fermés, parce qu’il faut des espaces, voyez-vous. L’hiver, on a si froid qu’on se bat les bras pour se réchauffer ; mais les maîtres ne veulent pas, ils disent que cela perd du temps. Manier du fer quand il y a de la glace entre les pavés, c’est rude. Ça vous use vite un homme. On est vieux tout jeune dans cet état-là. À quarante ans, un homme est fini. Moi, j’en avais cinquante-trois, j’avais bien du mal. Et puis c’est si méchant les ouvriers ! Quand un bonhomme n’est plus jeune, on vous l’appelle pour tout vieux serin, vieille bête ! Je ne gagnais plus que trente sous par jour, on me payait le moins cher qu’on pouvait, les maîtres profitaient de mon âge. Avec ça, j’avais ma fille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté. À nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d’eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l’eau arrive par des robinets. On n’est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince devant soi dans le bassin. Comme c’est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a une buée d’eau chaude qui est terrible et qui vous perd les yeux. Elle revenait à sept heures du soir, et se couchait bien vite ; elle était si fatiguée. Son mari la battait. Elle est morte. Nous n’avons pas été bien heureux. C’était une brave fille qui n’allait pas au bal, qui était bien tranquille. Je me rappelle un mardi gras où elle était couchée à huit heures. Voilà. Je dis vrai. Vous n’avez qu’à demander. Ah bien oui ! demander ! que je suis bête ! Paris, c’est un gouffre. Qui est-ce qui connaît le père Champmathieu ? Pourtant je vous dis monsieur Baloup. Voyez chez monsieur Baloup. Après ça, je ne sais pas ce qu’on me veut.

    L’homme se tut, et resta debout. Il avait dit ces choses d’une voix haute, rapide, rauque, dure et enrouée, avec une sorte de naïveté irritée et sauvage. Une fois il s’était interrompu pour saluer quelqu’un dans la foule. Les espèces d’affirmations qu’il semblait jeter au hasard devant lui, lui venaient comme des hoquets, et il ajoutait à chacune d’elles le geste d’un bûcheron qui fend du bois. Quand il eut fini, l’auditoire éclata de rire. Il regarda le public, et voyant qu’on riait, et ne comprenant pas, il se mit à rire lui-même.

    Cela était sinistre.

    Le président, homme attentif et bienveillant, éleva la voix.

    Il rappela à « messieurs les jurés » que « le sieur Baloup, l’ancien maître charron chez lequel l’accusé disait avoir servi, avait été inutilement cité. Il était en faillite et n’avait pu être retrouvé ». Puis se tournant vers l’accusé, il l’engagea à écouter ce qu’il allait lui dire et ajouta : — Vous êtes dans une situation où il faut réfléchir. Les présomptions les plus graves pèsent sur vous et peuvent entraîner des conséquences capitales. Accusé, dans votre intérêt, je vous interpelle une dernière fois, expliquez-vous clairement sur ces deux faits : — Premièrement, avez-vous, oui ou non, franchi le mur du clos Pierron, cassé la branche et volé les pommes, c’est-à-dire, commis le crime de vol avec escalade ? Deuxièmement, oui ou non, êtes-vous le forçat libéré Jean Valjean ?

    L’accusé secoua la tête d’un air capable, comme un homme qui a bien compris et qui sait ce qu’il va répondre. Il ouvrit la bouche, se tourna vers le président et dit :

    D’abord...

    Puis il regarda son bonnet, il regarda le plafond, et se tut.

    Accusé, reprit l’avocat général d’une voix sévère, faites attention. Vous ne répondez à rien de ce qu’on vous demande. Votre trouble vous condamne. Il est évident que vous ne vous appelez pas Champmathieu, que vous êtes le forçat Jean Valjean caché d’abord sous le nom de Jean Mathieu qui était le nom de sa mère, que vous êtes allé en Auvergne, que vous êtes né à Faverolles où vous avez été émondeur. Il est évident que vous avez volé avec escalade des pommes mûres dans le clos Pierron. Messieurs les jurés apprécieront.

    L’accusé avait fini par se rasseoir ; il se leva brusquement quand l’avocat général eut fini, et s’écria :

    Vous êtes très méchant, vous! Voilà ce que je voulais dire. Je ne trouvais pas d’abord. Je n’ai rien volé. Je suis un homme qui ne mange pas tous les jours. Je venais d’Ailly, je marchais dans le pays après une ondée qui avait fait la campagne toute jaune, même que les mares débordaient et qu’il ne sortait plus des sables que de petits brins d’herbe au bord de la route ; j’ai trouvé une branche cassée par terre où il y avait des pommes, j’ai ramassé la branche sans savoir qu’elle me ferait arriver de la peine. Il y a trois mois que je suis en prison et qu’on me trimballe. Après ça, je ne peux pas dire, on parle contre moi, on me dit : répondez ! Le gendarme, qui est bon enfant, me pousse le coude et me dit tout bas : réponds donc. Je ne sais pas expliquer, moi, je n’ai pas fait les études, je suis un pauvre homme. Voilà ce qu’on a tort de ne pas voir. Je n’ai pas volé, j’ai ramassé par terre des choses qu’il y avait. Vous dites Jean Valjean, Jean Mathieu ! Je ne connais pas ces personnes-là. C’est des villageois. J’ai travaillé chez monsieur Baloup, boulevard de l’Hôpital. Je m’appelle Champmathieu. Vous êtes bien malins de me dire où je suis né. Moi, je l’ignore. Tout le monde n’a pas des maisons pour y venir au monde. Ce serait trop commode. Je crois que mon père et ma mère étaient des gens qui allaient sur les routes. Je ne sais pas d’ailleurs. Quand j’étais enfant, on m’appelait Petit, maintenant on m’appelle Vieux, Voilà mes noms de baptême. Prenez ça comme vous voudrez. J’ai été en Auvergne, j’ai été à Faverolles, pardi ! Eh bien ? est-ce qu’on ne peut pas avoir été en Auvergne et avoir été à Faverolles sans avoir été aux galères ? Je vous dis que je n’ai pas volé, et que je suis le père Champmathieu. J’ai été chez monsieur Baloup, j’ai été domicilié. Vous m’ennuyez avec vos bêtises à la fin ! Pourquoi donc est-ce que le monde est après moi comme des acharnés ?

    L’avocat général était demeuré debout; il s’adressa au président :

    Monsieur le président, en présence des dénégations confuses, mais fort habiles de l’accusé, qui voudrait bien se faire passer pour idiot, mais qui n’y parviendra pas, — nous l’en prévenons, — nous requérons qu’il vous plaise et qu’il plaise à la cour appeler de nouveau dans cette enceinte les condamnés Brevet, Cochepaille et Chenildieu et l’inspecteur de police Javert, et les interpeller une dernière fois sur l’identité de l’accusé avec le forçat Jean Valjean.

    Je fais remarquer à monsieur l’avocat général, dit le président, que l’inspecteur de police Javert, rappelé par ses fonctions au chef-lieu d’un arrondissement voisin, a quitté l’audience et même la ville, aussitôt sa déposition faite. Nous lui en avons accordé l’autorisation, avec l’agrément de monsieur l’avocat général et du défenseur de l’accusé.

    C’est juste, monsieur le président, reprit l’avocat général. En l’absence du sieur Javert, je crois devoir rappeler à messieurs les jurés ce qu’il a dit ici même il y a peu d’heures. Javert est un homme estimé qui honore par sa rigoureuse et stricte probité des fonctions inférieures, mais importantes. Voici en quels termes il a déposé : — « Je n’ai pas même besoin des présomptions morales et des preuves matérielles qui démentent les dénégations de l’accusé. Je le reconnais parfaitement. Cet homme ne s’appelle pas Champmathieu ; c’est un ancien forçat très méchant et très redouté nommé Jean Valjean. On ne l’a libéré à l’expiration de sa peine qu’avec un extrême regret. Il a subi dix-neuf ans de travaux forcés pour vol qualifié. Il avait cinq ou six fois tenté de s’évader. Outre le vol Petit-Gervais et le vol Pierron, je le soupçonne encore d’un vol commis chez sa grandeur le défunt évêque de Digne. Je l’ai souvent vu, à l’époque où j’étais adjudant garde-chiourme au bagne de Toulon. Je répète que je le reconnais parfaitement. »

    Cette déclaration si précise parut produire une vive impression sur le public et le jury. L’avocat général termina en insistant pour qu’à défaut de Javert, les trois témoins Brevet, Chenildieu et Cochepaille fussent entendus de nouveau et interpellés solennellement.

    Le président transmit un ordre à un huissier, et un moment après la porte de la chambre des témoins s’ouvrit. L’huissier, accompagné d’un gendarme prêt à lui prêter main-forte, introduisit le condamné Brevet. L’auditoire était en suspens et toutes les poitrines palpitaient comme si elles n’eussent eu qu’une seule âme.

    L’ancien forçat Brevet portait la veste noire et grise des maisons centrales. Brevet était un personnage d’une soixantaine d’années qui avait une espèce de figure d’homme d’affaires et l’air d’un coquin. Cela va quelquefois ensemble. Il était devenu, dans la prison où de nouveaux méfaits l’avaient ramené, quelque chose comme guichetier. C’était un homme dont les chefs disaient : Il cherche à se rendre utile. Les aumôniers portaient bon témoignage de ses habitudes religieuses. Il ne faut pas oublier que ceci se passait sous la restauration.

    Brevet, dit le président, vous avez subi une condamnation infamante et vous ne pouvez prêter serment.

    Brevet baissa les yeux.

    Cependant, reprit le président, même dans l’homme que la loi a dégradé, il peut rester, quand la pitié divine le permet, un sentiment d’honneur et d’équité. C’est à ce sentiment que je fais appel à cette heure décisive. S’il existe encore en vous, et je l’espère, réfléchissez avant de me répondre, considérez d’une part cet homme qu’un mot de vous peut perdre, d’autre part la justice qu’un mot de vous peut éclairer. L’instant est solennel, et il est toujours temps de vous rétracter, si vous croyez vous être trompé. — Accusé, levez-vous. — Brevet, regardez bien l’accusé, recueillez vos souvenirs, et dites-nous, en votre âme et conscience, si vous persistez à reconnaître cet homme pour votre ancien camarade de bagne Jean Valjean.

    Brevet regarda l’accusé, puis se retourna vers la cour.

    Oui, monsieur le président. C’est moi qui l’ai reconnu le premier et je persiste. Cet homme est Jean Valjean, entré à Toulon en 1796 et sorti en 1815. Je suis sorti l’an d’après. Il a l’air d’une brute maintenant, alors ce serait que l’âge l’a abruti ; au bagne il était sournois. Je le reconnais positivement.

    Allez vous asseoir, dit le président. Accusé, restez debout.

    On introduisit Chenildieu, forçat à vie, comme l’indiquaient sa casaque rouge et son bonnet vert. Il subissait sa peine à Toulon, d’où on l’avait extrait pour cette affaire. C’était un petit homme d’environ cinquante ans, vif, ridé, chétif, jaune, effronté, fiévreux, qui avait dans tous ses membres et dans toute sa personne une sorte de faiblesse maladive et dans le regard une force immense. Ses compagnons du bagne l’avaient surnommé Je-nie-Dieu.

    Le président lui adressa à peu près les mêmes paroles qu’à Brevet. Au moment où il lui rappela que son infamie lui ôtait le droit de prêter serment, Chenildieu leva la tête et regarda la foule en face. Le président l’invita à se recueillir et lui demanda, comme à Brevet, s’il persistait à reconnaître l’accusé.

    Chenildieu éclata de rire.

    Pardine ! si je le reconnais ! nous avons été cinq ans attachés à la même chaîne. Tu boudes donc, mon vieux ?

    Allez vous asseoir, dit le président.

    L’huissier amena Cochepaille. Cet autre condamné à perpétuité, venu du bagne et vêtu de rouge comme Chenildieu, était un paysan de Lourdes et un demi-ours des Pyrénées. Il avait gardé des troupeaux dans la montagne et de pâtre il avait glissé brigand. Cochepaille n’était pas moins sauvage et paraissait plus stupide encore que l’accusé. C’était un de ces malheureux hommes que la nature a ébauchés en bêtes fauves et que la société termine en galériens.

    Le président essaya de le remuer par quelques paroles pathétiques et graves et lui demanda, comme aux deux autres, s’il persistait, sans hésitation et sans trouble, à reconnaître l’homme debout devant lui.

    C’est Jean Valjean, dit Cochepaille. Même qu’on l’appelait Jean-le-Cric, tant il était fort.

    Chacune des affirmations de ces trois hommes, évidemment sincères et de bonne foi, avait soulevé dans l’auditoire un murmure de fâcheux augure pour l’accusé, murmure qui croissait et se prolongeait plus longtemps chaque fois qu’une déclaration nouvelle venait s’ajouter à la précédente. L’accusé, lui, les avait écoutées avec ce visage étonné qui, selon l’accusation, était son principal moyen de défense. À la première, les gendarmes ses voisins l’avaient entendu grommeler entre ses dents : Ah bien ! en voilà un ! Après la seconde il dit un peu plus haut, d’un air presque satisfait : Bon ! À la troisième il s’écria : Fameux !

    Le président l’interpella :

    Accusé, vous avez entendu. Qu’avez-vous à dire ?

    Il répondit : — Je dis — Fameux !

    Une rumeur éclata dans le public et gagna presque le jury. Il était évident que l’homme était perdu.

    Huissiers, dit le président, faites faire silence. Je vais clore les débats.

    En ce moment un mouvement se fit tout à côté du président. On entendit une voix qui criait :

    Brevet, Chenildieu, Cochepaille ! regardez de ce côté-ci. Tous ceux qui entendirent cette voix se sentirent glacés, tant elle était lamentable et terrible. Les yeux se tournèrent vers le point d’où elle venait. Un homme, placé parmi les spectateurs privilégiés qui étaient assis derrière la cour, venait de se lever, avait poussé la porte à hauteur d’appui qui séparait le tribunal du prétoire, et était debout au milieu de la salle. Le président, l’avocat général, M. Bamatabois, vingt personnes, le reconnurent, et s’écrièrent à la fois :

    Monsieur Madeleine !


     

    XI

    CHAMPMATHIEU DE PLUS EN PLUS ÉTONNÉ


     

    C’était lui en effet. La lampe du greffier éclairait son visage. Il tenait son chapeau à la main, il n’y avait aucun désordre dans ses vêtements, sa redingote était boutonnée avec soin. Il était très pâle et il tremblait légèrement. Ses cheveux, gris encore au moment de son arrivée à Arras, étaient maintenant tout à fait blancs. Ils avaient blanchi depuis une heure qu’il était là.

    Toutes les têtes se dressèrent. La sensation fut indescriptible. Il y eut dans l’auditoire un instant d’hésitation, La voix avait été si poignante, l’homme qui était là paraissait si calme, qu’au premier abord on ne comprit pas. On se demanda qui avait crié. On ne pouvait croire que ce fût cet homme tranquille qui eût jeté ce cri effrayant.

    Cette indécision ne dura que quelques secondes. Avant même que le président et l’avocat général eussent pu dire un mot, avant que les gendarmes et les huissiers eussent pu faire un geste, l’homme que tous appelaient encore en ce moment M. Madeleine s’était avancé vers les témoins Cochepaille, Brevet et Chenildieu.

    Vous ne me reconnaissez pas ? dit-il.

    Tous trois demeurèrent interdits et indiquèrent par un signe de tête qu’ils ne le connaissaient point. Cochepaille intimidé fit le salut militaire. M. Madeleine se tourna vers les jurés et vers la cour et dit d’une voix douce :

    Messieurs les jurés, faites relâcher l’accusé. Monsieur le président, faites-moi arrêter. L’homme que vous cherchez, ce n’est pas lui, c’est moi. Je suis Jean Valjean.

    Pas une bouche ne respirait. À la première commotion de l’étonnement avait succédé un silence de sépulcre. On sentait dans la salle cette espèce de terreur religieuse qui saisit la foule lorsque quelque chose de grand s’accomplit.

    Cependant le visage du président s’était empreint de sympathie et de tristesse ; il avait échangé un signe rapide avec l’avocat général et quelques paroles à voix basse avec les conseillers assesseurs. Il s’adressa au public, et demanda avec un accent qui fut compris de tous :

    Y a-t-il un médecin ici ?

    L’avocat général prit la parole :

    Messieurs les jurés, l’incident si étrange et si inattendu qui trouble l’audience ne nous inspire, ainsi qu’à vous, qu’un sentiment que nous n’avons pas besoin d’exprimer. Vous connaissez tous, au moins de réputation, l’honorable M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, S’il y a un médecin dans l’auditoire, nous nous joignons à monsieur le président pour le prier de vouloir bien assister monsieur Madeleine et le reconduire à sa demeure.

    M. Madeleine ne laissa point achever l’avocat général. Il l’interrompit d’un accent plein de mansuétude et d’autorité. Voici les paroles qu’il prononça ; les voici littéralement, telles qu’elles furent écrites immédiatement après l’audience par un des témoins de cette scène, telles qu’elles sont encore dans l’oreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourd’hui.

    Je vous remercie, monsieur l’avocat général, mais je ne suis pas fou. Vous allez voir. Vous étiez sur le point de commettre une grande erreur, lâchez cet homme, j’accomplis un devoir, je suis ce malheureux condamné. Je suis le seul qui voie clair ici, et je vous dis la vérité. Ce que je fais en ce moment, Dieu, qui est là-haut, le regarde, et cela suffit. Vous pouvez me prendre, puisque me voilà. J’avais pourtant fait de mon mieux. Je me suis caché sous un nom ; je suis devenu riche, je suis devenu maire ; j’ai voulu rentrer parmi les honnêtes gens. Il paraît que cela ne se peut pas. Enfin, il y a bien des choses que je ne puis pas dire, je ne vais pas vous raconter ma vie, un jour on saura. J’ai volé monseigneur l’évêque, cela est vrai ; j’ai volé Petit-Gervais, cela est vrai. On a eu raison de vous dire que Jean Valjean était un malheureux très méchant. Toute la faute n’est peut-être pas à lui. Écoutez, messieurs les juges, un homme aussi abaissé que moi n’a pas de remontrance à faire à la providence ni de conseil à donner à la société ; mais, voyez-vous, l’infamie d’où j’avais essayé de sortir est une chose nuisible. Les galères font le galérien. Recueillez cela, si vous voulez. Avant le bagne, j’étais un pauvre paysan très peu intelligent, une espèce d’idiot ; le bagne m’a changé. J’étais stupide, je suis devenu méchant ; j’étais bûche, je suis devenu tison. Plus tard l’indulgence et la bonté m’ont sauvé, comme la sévérité m’avait perdu. Mais, pardon, vous ne pouvez pas comprendre ce que je dis là. Vous trouverez chez moi, dans les cendres de la cheminée, la pièce de quarante sous que j’ai volée il y a sept ans à Petit-Gervais. Je n’ai plus rien à ajouter. Prenez-moi. Mon Dieu ! monsieur l’avocat général remue la tête, vous dites : M. Madeleine est devenu fou, vous ne me croyez pas ! Voilà qui est affligeant. N’allez point condamner cet homme au moins ! Quoi ! ceux-ci ne me reconnaissent pas ! Je voudrais que Javert fût ici. Il me reconnaîtrait, lui !

    Rien ne pourrait rendre ce qu’il y avait de mélancolie bienveillante et sombre dans l’accent qui accompagnait ces paroles.

    Il se tourna vers les trois forçats :

    Eh bien, je vous reconnais, moi ! Brevet ! vous rappelez-vous ?…

    Il s’interrompit, hésita un moment, et dit :

    Te rappelles-tu ces bretelles en tricot à damier que tu avais au bagne ?

    Brevet eut comme une secousse de surprise et le regarda de la tête aux pieds d’un air effrayé. Lui continua.

    Chenildieu, qui te surnommais toi-même Je-nie-Dieu, tu as toute l’épaule droite brûlée profondément, parce que tu t’es couché un jour l’épaule sur un réchaud plein de braise, pour effacer les trois lettres T. F. P., qu’on y voit toujours cependant. Réponds, est-ce vrai ?

    C’est vrai, dit Chenildieu.

    Il s’adressa à Cochepaille :

    Cochepaille, tu as près de la saignée du bras gauche une date gravée en lettres bleues avec de la poudre brûlée. Cette date, c’est celle du débarquement de l’empereur à Cannes, 1er mars 1815. Relève ta manche.

    Cochepaille releva sa manche, tous les regards se penchèrent autour de lui sur son bras nu. Un gendarme approcha une lampe ; la date y était.

    Le malheureux homme se tourna vers l’auditoire et vers les juges avec un sourire dont ceux qui l’ont vu sont encore navrés lorsqu’ils y songent. C’était le sourire du triomphe, c’était aussi le sourire du désespoir.

    Vous voyez bien, dit-il, que je suis Jean Valjean.

    Il n’y avait plus dans cette enceinte ni juges, ni accusateurs, ni gendarmes ; il n’y avait que des yeux fixes et des cœurs émus. Personne ne se rappelait plus le rôle que chacun pouvait avoir à jouer; l’avocat général oubliait qu’il était là pour requérir, le président qu’il était là pour présider, le défenseur qu’il était là pour défendre. Chose frappante, aucune question ne fut faite, aucune autorité n’intervint. Le propre des spectacles sublimes, c’est de prendre toutes les âmes et de faire de tous les témoins des spectateurs. Aucun peut-être ne se rendait compte de ce qu’il éprouvait ; aucun, sans doute, ne se disait qu’il voyait resplendir là une grande lumière ; tous intérieurement se sentaient éblouis.

    Il était évident qu’on avait sous les yeux Jean Valjean. Cela rayonnait. L’apparition de cet homme avait suffi pour remplir de clarté cette aventure si obscure le moment d’auparavant. Sans qu’il fût besoin d’aucune explication désormais, toute cette foule, comme par une sorte de révélation électrique, comprit tout de suite et d’un seul coup d’œil cette simple et magnifique histoire d’un homme qui se livrait pour qu’un autre homme ne fût pas condamné à sa place. Les détails, les hésitations, les petites résistances possibles se perdirent dans ce vaste fait lumineux.

    Impression qui passa vite, mais qui dans l’instant fut irrésistible.

    Je ne veux pas déranger davantage l’audience, reprit Jean Valjean. Je m’en vais, puisqu’on ne m’arrête pas. J’ai plusieurs choses à faire. Monsieur l’avocat général sait qui je suis, il sait où je vais, il me fera arrêter quand il voudra.

    Il se dirigea vers la porte de sortie. Pas une voix ne s’éleva, pas un bras ne s’étendit pour l’empêcher. Tous s’écartèrent. Il avait en ce moment ce je ne sais quoi de divin qui fait que les multitudes reculent et se rangent devant un homme, Il traversa la foule à pas lents. On n’a jamais su qui ouvrit la porte, mais il est certain que la porte se trouva ouverte lorsqu’il y parvint. Arrivé là, il se retourna et dit :

    Monsieur l’avocat général, je reste à votre disposition.

    Puis il s’adressa à l’auditoire :

    Vous tous, tous ceux qui sont ici, vous me trouvez digne de pitié, n’est-ce pas ? Mon Dieu ! quand je pense à ce que j’ai été sur le point de faire, je me trouve digne d’envie. Cependant j’aurais mieux aimé que tout ceci n’arrivât pas.

    Il sortit, et la porte se referma comme elle avait été ouverte, car ceux qui font de certaines choses souveraines sont toujours sûrs d’être servis par quelqu’un dans la foule.

    Moins d’une heure après, le verdict du jury déchargeait de toute accusation le nommé Champmathieu ; et Champmathieu, mis en liberté immédiatement, s’en allait stupéfait, croyant tous les hommes fous et ne comprenant rien à cette vision.


     

    I

    DANS QUEL MIROIR M. MADELEINE REGARDE SES CHEVEUX


     

    Le jour commençait à poindre, Fantine avait eu une nuit de fièvre et d’insomnie, pleine d’ailleurs d’images heureuses ; au matin, elle s’endormit. La sœur Simplice, qui l’avait veillée, profita de ce sommeil pour aller préparer une nouvelle potion de quinquina. La digne sœur était depuis quelques instants dans le laboratoire de l’infirmerie, penchée sur ses drogues et sur ses fioles et regardant de très près à cause de cette brume que le crépuscule répand sur les objets. Tout à coup elle tourna la tête et fit un léger cri. M. Madeleine était devant elle. Il venait d’entrer silencieusement.

    C’est vous, monsieur le maire ! s’écria-t-elle. Il répondit, à voix basse :

    Comment va cette pauvre femme ?

    Pas mal en ce moment. Mais nous avons été bien inquiets, allez !

    Elle lui expliqua ce qui s’était passé, que Fantine était bien mal la veille et que maintenant elle était mieux, parce qu’elle croyait que monsieur le maire était allé chercher son enfant à Montfermeil. La sœur n’osa pas interroger monsieur le maire, mais elle vit bien à son air que ce n’était point de là qu’il venait.

    Tout cela est bien, dit-il, vous avez eu raison de ne pas la détromper.

    Oui, reprit la sœur, mais maintenant, monsieur le maire, qu’elle va vous voir et qu’elle ne verra pas son enfant, que lui dirons-nous ?

    Il resta un moment rêveur.

    Dieu nous inspirera, dit-il.

    On ne pourrait cependant pas mentir, murmura la sœur à demi-voix.

    Le plein jour s’était fait dans la chambre. Il éclairait en face le visage de M. Madeleine. Le hasard fit que la sœur leva les yeux.

    Mon Dieu, monsieur ! s’écria-t-elle, que vous est-il arrivé ? vos cheveux sont tout blancs !

    Blancs ! dit-il.

    La sœur Simplice n’avait point de miroir ; elle fouilla dans une trousse et en tira une petite glace dont se servait le médecin de l’infirmerie pour constater qu’un malade était mort et ne respirait plus. M. Madeleine prit la glace, y considéra ses cheveux, et dit : Tiens !

    Il prononça ce mot avec indifférence et comme s’il pensait à autre chose.

    La sœur se sentit glacée par je ne sais quoi d’inconnu qu’elle entrevoyait dans tout ceci.

    Il demanda :

    Puis-je la voir ?

    Est-ce que monsieur le maire ne lui fera pas revenir son enfant ? dit la sœur, osant à peine hasarder une question.

    Sans doute, mais il faut au moins deux ou trois jours.

    Si elle ne voyait pas monsieur le maire d’ici là, reprit timidement la sœur, elle ne saurait pas que monsieur le maire est de retour, il serait aisé de lui faire prendre patience, et quand l’enfant arriverait elle penserait tout naturellement que monsieur le maire est arrivé avec l’enfant. On n’aurait pas de mensonge à faire.

    M. Madeleine parut réfléchir quelques instants, puis il dit avec sa gravité calme :

    Non, ma sœur, il faut que je la voie. Je suis peut-être pressé.

    La religieuse ne sembla pas remarquer ce mot « peut-être », qui donnait un sens obscur et singulier aux paroles de M. le maire. Elle répondit en baissant les yeux et la voix respectueusement :

    En ce cas, elle repose, mais monsieur le maire peut entrer.

    Il fit quelques observations sur une porte qui fermait mal, et dont le bruit pouvait réveiller la malade, puis il entra dans la chambre de Fantine, s’approcha du lit et entr’ouvrit les rideaux. Elle dormait. Son souffle sortait de sa poitrine avec ce bruit tragique qui est propre à ces maladies, et qui navre les pauvres mères lorsqu’elles veillent la nuit près de leur enfant condamné et endormi. Mais cette respiration pénible troublait à peine une sorte de sérénité ineffable, répandue sur son visage, qui la transfigurait dans son sommeil. Sa pâleur était devenue de la blancheur ; ses joues étaient vermeilles. Ses longs cils blonds, la seule beauté qui lui fût restée de sa virginité et de sa jeunesse, palpitaient tout en demeurant clos et baissés. Toute sa personne tremblait, de je ne sais quel déploiement d’ailes prêtes à s’entr’ouvrir et à l’emporter, qu’on sentait frémir, mais qu’on ne voyait pas. À la voir ainsi, on n’eût jamais pu croire que c’était là une malade presque désespérée. Elle ressemblait plutôt à ce qui va s’envoler qu’à ce qui va mourir.

    La branche, lorsqu’une main s’approche pour détacher la fleur, frissonne, et semble à la fois se dérober et s’offrir. Le corps humain a quelque chose de ce tressaillement, quand arrive l’instant où les doigts mystérieux de la mort vont cueillir l’âme.

    M. Madeleine resta quelque temps immobile près de ce lit, regardant tour à tour la malade et le crucifix, comme il faisait deux mois auparavant, le jour où il était venu pour la première fois la voir dans cet asile. Ils étaient encore là tous les deux dans la même attitude ; elle dormant, lui priant ; seulement maintenant, depuis ces deux mois écoulés, elle avait des cheveux gris et lui des cheveux blancs.

    La sœur n’était pas entrée avec lui. Il se tenait près de ce lit, debout. le doigt sur la bouche, comme s’il y eût eu dans la chambre quelqu’un à faire taire.

    Elle ouvrit les yeux, le vit, et dit paisiblement, avec un sourire :

    Et Cosette ?


     

    II

    FANTINE HEUREUSE


     

    Elle n’eut pas un mouvement de surprise, ni un mouvement de joie ; elle était la joie même. Cette simple question : — Et Cosette ? fut faite avec une foi si profonde, avec tant de certitude, avec une absence si complète d’inquiétude et de doute, qu’il ne trouva pas une parole. Elle continua :

    Je savais que vous étiez là. Je dormais, mais je vous voyais. Il y a longtemps que je vous vois. Je vous ai suivi des yeux toute la nuit. Vous étiez dans une gloire et vous aviez autour de vous toutes sortes de figures célestes.

    Il leva son regard vers le crucifix.

    Mais, reprit-elle, dites-moi donc où est Cosette ? Pourquoi ne l’avoir pas mise sur mon lit pour le moment où je m’éveillerais ?

    Il répondit machinalement quelque chose qu’il n’a jamais pu se rappeler plus tard.

    Heureusement le médecin, averti, était survenu. Il vint en aide à M. Madeleine.

    Mon enfant, dit le médecin, calmez-vous. Votre enfant est là.

    Les yeux de Fantine s’illuminèrent et couvrirent de clarté tout son visage. Elle joignit les mains avec une expression qui contenait tout ce que la prière peut avoir à la fois de plus violent et de plus doux :

    Oh ! s’écria-t-elle, apportez-la-moi !

    Touchante illusion de mère ! Cosette était toujours pour elle le petit enfant qu’on apporte.

    Pas encore, reprit le médecin, pas en ce moment. Vous avez un reste de fièvre. La vue de votre enfant vous agiterait et vous ferait du mal. Il faut d’abord vous guérir.

    Elle l’interrompit impétueusement.

    Mais je suis guérie ! je vous dis que je suis guérie ! Est-il âne, ce médecin ! Ah çà ! je veux voir mon enfant, moi !

    Vous voyez, dit le médecin, comme vous vous emportez. Tant que vous serez ainsi, je m’opposerai à ce que vous ayez votre enfant. Il ne suffit pas de la voir, il faut vivre pour elle. Quand vous serez raisonnable, je vous l’amènerai moi-même.

    La pauvre mère courba la tête.

    Monsieur le médecin, je vous demande pardon, je vous demande vraiment bien pardon. Autrefois je n’aurais pas parlé comme je viens de faire, il m’est arrivé tant de malheurs que quelquefois je ne sais plus ce que je dis. Je comprends, vous craignez l’émotion, j’attendrai tant que vous voudrez, mais je vous jure que cela ne m’aurait pas fait de mal de voir ma fille. Je la vois, je ne la quitte pas des yeux depuis hier au soir. Savez-vous ? on me l’apporterait maintenant que je me mettrais à lui parler doucement. Voilà tout. Est-ce que ce n’est pas bien naturel que j’aie envie de voir mon enfant qu’on a été me chercher exprès à Montfermeil ? Je ne suis pas en colère. Je sais bien que je vais être heureuse. Toute la nuit j’ai vu des choses blanches et des personnes qui me souriaient. Quand monsieur le médecin voudra, il m’apportera ma Cosette. Je n’ai plus de fièvre, puisque je suis guérie ; je sens bien que je n’ai plus rien du tout ; mais je vais faire comme si j’étais malade et ne pas bouger pour faire plaisir aux dames d’ici. Quand on verra que je suis bien tranquille, on dira : il faut lui donner son enfant.

    M. Madeleine s’était assis sur une chaise qui était à côté du lit. Elle se tourna vers lui ; elle faisait visiblement effort pour paraître calme et « bien sage », comme elle disait dans cet affaiblissement de la maladie qui ressemble à l’enfance, afin que, la voyant si paisible, on ne fît pas difficulté de lui amener Cosette. Cependant, tout en se contenant, elle ne pouvait s’empêcher d’adresser à M. Madeleine mille questions.

    Avez-vous fait un bon voyage, monsieur le maire ? Oh ! comme vous êtes bon d’avoir été me la chercher ! Dites-moi seulement comment elle est. A-t-elle bien supporté la route ? Hélas! elle ne me reconnaîtra pas ! Depuis le temps, elle m’a oubliée, pauvre chou ! Les enfants, cela n’a pas de mémoire. C’est comme des oiseaux. Aujourd’hui cela voit une chose et demain une autre, et cela ne pense plus à rien. Avait-elle du linge blanc seulement ? Ces Thénardier la tenaient-ils proprement ? Comment la nourrissait-on ? Oh ! comme j’ai souffert, si vous saviez ! de me faire toutes ces questions-là dans le temps de ma misère ! Maintenant, c’est passé. Je suis joyeuse. Oh ! que je voudrais donc la voir ! Monsieur le maire, l’avez-vous trouvée jolie ? N’est-ce pas qu’elle est belle, ma fille ? Vous devez avoir eu bien froid dans cette diligence ! Est-ce qu’on ne pourrait pas l’amener rien qu’un petit moment ? On la remporterait tout de suite après. Dites ! vous qui êtes le maître, si vous vouliez !

    Il lui prit la main : — Cosette est belle, dit-il, Cosette se porte bien, vous la verrez bientôt, mais apaisez-vous. Vous parlez trop vivement, et puis, vous sortez vos bras du lit, et cela vous fait tousser.

    En effet, des quintes de toux interrompaient Fantine, presque à chaque mot.

    Fantine ne murmura pas, elle craignit d’avoir compromis par quelques plaintes trop passionnées la confiance qu’elle voulait inspirer, et elle se mit à dire des paroles indifférentes.

    C’est assez joli, Monfermeil, n’est-ce pas ? L’été, on y va faire des parties de plaisir. Ces Thénardier font-ils de bonnes affaires ? Il ne passe pas grand monde dans leur pays. C’est une espèce de gargote que cette auberge-là.

    M. Madeleine lui tenait toujours la main, il la considérait avec anxiété ; il était évident qu’il était venu pour lui dire des choses devant lesquelles sa pensée hésitait maintenant. Le médecin, sa visite faite, s’était retiré. La sœur Simplice était restée auprès d’eux.

    Cependant, au milieu de ce silence, Fantine s’écria :

    Je l’entends ! mon Dieu ! je l’entends !

    Elle étendit le bras pour qu’on se tût autour d’elle, retint son souffle, et se mit à écouter avec ravissement.

    Il y avait un enfant qui jouait dans la cour ; l’enfant de la portière ou d’une ouvrière quelconque. C’est là un de ces hasards qu’on retrouve toujours et qui semblent faire partie de la mystérieuse mise en scène des événements lugubres. L’enfant — c’était une petite fille — allait, venait, courait pour se réchauffer, riait et chantait à haute voix. Hélas ! à quoi les jeux des enfants ne se mêlent-ils pas ! C’était cette petite fille que Fantine entendait chanter.

    Oh ! reprit-elle, c’est ma Cosette ! je reconnais sa voix !

    L’enfant s’éloigna comme il était venu, la voix s’éteignit, Fantine écouta encore quelque temps, puis son visage s’assombrit, et M. Madeleine l’entendit qui disait à voix basse : — Comme ce médecin est méchant de ne pas me laisser voir ma fille ! Il a une mauvaise figure, cet homme-là !

    Cependant le fond riant de ses idées revint. Elle continua de se parler à elle-même, la tête sur l’oreiller : — Comme nous allons être heureuses ! Nous aurons un petit jardin, d’abord! monsieur Madeleine me l’a promis. Ma fille jouera dans le jardin. Elle doit savoir ses lettres maintenant. Je la ferai épeler. Elle courra dans l’herbe après les papillons. Je la regarderai. Et puis elle fera sa première communion. Ah çà ! quand fera-t-elle sa première communion ?

    Elle se mit à compter sur ces doigts.

    ... Un, deux, trois, quatre... elle a sept ans. Dans cinq ans. Elle aura un voile blanc, des bas à jour, elle aura l’air d’une petite femme. Ô ma bonne sœur, vous ne savez pas comme je suis bête, voilà que je pense à la première communion de ma fille !

    Et elle se mit à rire.

    Il avait quitté la main de Fantine. Il écoutait ces paroles comme on écoute un vent qui souffle, les yeux à terre, l’esprit plongé dans des réflexions sans fond. Tout à coup elle cessa de parler, cela lui fit lever machinalement la tête, Fantine était devenue effrayante.

    Elle ne parlait plus, elle ne respirait plus ; elle s’était soulevée à demi sur son séant ; son épaule maigre sortait de sa chemise ; son visage, radieux le moment d’auparavant, était blême, et elle paraissait fixer sur quelque chose de formidable, devant elle, à l’autre extrémité de la chambre, son œil agrandi par la terreur.

    Mon Dieu ! s’écria-t-il. Qu’avez-vous, Fantine ?

    Elle ne répondit pas, elle ne quitta point des yeux l’objet quelconque qu’elle semblait voir, elle lui toucha le bras d’une main et de l’autre lui fit signe de regarder derrière lui.

    Il se retourna, et vit Javert.


     

    III

    JAVERT CONTENT


     

    Voici ce qui s’était passé.

    Minuit et demi venait de sonner, quand M. Madeleine était sorti de la salle des assises d’Arras. Il était rentré à son auberge juste à temps pour repartir par la malle-poste où l’on se rappelle qu’il avait retenu sa place. Un peu avant six heures du matin, il était arrivé à Montreuil-sur-Mer, et son premier soin avait été de jeter à la poste sa lettre à M. Laffitte, puis d’entrer à l’infirmerie et de voir Fantine.

    Cependant, à peine avait-il quitté la salle d’audience de la cour d’assises, que l’avocat général, revenu du premier saisissement, avait pris la parole pour déplorer l’acte de folie de l’honorable maire de Montreuil-sur-Mer, déclarer que ses convictions n’étaient en rien modifiées par cet incident bizarre qui s’éclaircirait plus tard, et requérir, en attendant, la condamnation de ce Champmathieu, évidemment le vrai Jean Valjean. La persistance de l’avocat général était visiblement en contradiction avec le sentiment de tous, du public, de la cour et du jury. Le défenseur avait eu peu de peine à réfuter cette harangue et à établir que, par suite des révélations de M. Madeleine, c’est-à-dire du vrai Jean Valjean, la face de l’affaire était bouleversée de fond en comble, et que le jury n’avait plus devant les yeux qu’un innocent. L’avocat avait tiré de là quelques épiphonèmes, malheureusement peu neufs, sur les erreurs judiciaires, etc., etc. ; le président dans son résumé s’était joint au défenseur, et le jury en quelques minutes avait mis hors de cause Champmathieu.

    Cependant il fallait un Jean Valjean à l’avocat général, et, n’ayant plus Champmathieu, il prit Madeleine.

    Immédiatement après la mise en liberté de Champmathieu, l’avocat général s’enferma avec le président. Ils conférèrent « de la nécessité de se saisir de la personne de M. le maire de Montreuil-sur-Mer ». Cette phrase, où il y a beaucoup de de, est de M. l’avocat général. La première émotion passée, le président fit peu d’objections. Il fallait bien que justice eût son cours. Et puis, pour tout dire, quoique le président fût homme bon et assez intelligent, il était en même temps fort royaliste et presque ardent, et il avait été choqué que le maire de Montreuil-sur-Mer, en parlant du débarquement à Cannes, eût dit l’empereur et non Buonaparte.

    L’ordre d’arrestation fut donc expédié. L’avocat général l’envoya à Montreuil-sur-Mer par un exprès, à franc étrier, et en chargea l’inspecteur de police Javert.

    On sait que Javert était revenu à Montreuil-sur-Mer immédiatement après avoir fait sa déposition.

    Javert se levait au moment où l’exprès lui remit l’ordre d’arrestation et le mandat d’amener.

    L’exprès était lui-même un homme de police fort entendu qui, en deux mots, mit Javert au fait de ce qui était arrivé à Arras. L’ordre d’arrestation, signé de l’avocat général, était ainsi conçu : — L’inspecteur Javert appréhendera au corps le sieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, qui, dans l’audience de ce jour, a été reconnu pour être le forçat libéré Jean Valjean.

    Quelqu’un qui n’eût pas connu Javert et qui l’eût vu au moment où il pénétra dans l’antichambre de l’infirmerie n’eût pu rien deviner de ce qui se passait, et lui eût trouvé l’air le plus ordinaire du monde. Il était froid, calme, grave, avait ses cheveux gris parfaitement lissés sur les tempes et venait de monter l’escalier avec sa lenteur habituelle. Quelqu’un qui l’eût connu à fond et qui l’eût examiné attentivement eût frémi. La boucle de son col de cuir, au lieu d’être sur sa nuque, était sur son oreille gauche. Ceci révélait une agitation inouïe.

    Javert était un caractère complet, ne faisant faire de pli ni à son devoir, ni à son uniforme ; méthodique avec les scélérats, rigide avec les boutons de son habit.

    Pour qu’il eût mal mis la boucle de son col, il fallait qu’il y eût en lui une de ces émotions qu’on pourrait appeler des tremblements de terre intérieurs.

    Il était venu simplement, avait requis un caporal et quatre soldats au poste voisin, avait laissé les soldats dans la cour, et s’était fait indiquer la chambre de Fantine par la portière sans défiance, accoutumée qu’elle était à voir des gens armés demander monsieur le maire.

    Arrivé à la chambre de Fantine, Javert tourna la clef, poussa la porte avec une douceur de garde-malade ou de mouchard, et entra.

    À proprement parler, il n’entra pas. Il se tint debout dans la porte entre-bâillée, le chapeau sur la tête, la main gauche dans sa redingote fermée jusqu’au menton. Dans le pli du coude on pouvait voir le pommeau de plomb de son énorme canne, laquelle disparaissait derrière lui.

    Il resta ainsi près d’une minute sans qu’on s’aperçût de sa présence. Tout à coup Fantine leva les yeux, le vit, et fit retourner M. Madeleine.

    À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie.

    Ce fut le visage d’un démon qui vient de retrouver son damné.

    La certitude de tenir enfin Jean Valjean fît apparaître sur sa physionomie tout ce qu’il avait dans l’âme. Le fond remué monta à la surface. L’humiliation d’avoir un peu perdu la piste et de s’être mépris quelques minutes sur ce Champmathieu, s’effaçait sous l’orgueil d’avoir si bien deviné d’abord et d’avoir eu si longtemps un instinct juste. Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite.

    Javert en ce moment était au ciel. Sans qu’il s’en rendît nettement compte, mais pourtant avec une intuition confuse de sa nécessité et de son succès, il personnifiait, lui Javert, la justice, la lumière et la vérité dans leur fonction céleste d’écrasement du mal. Il avait derrière lui et autour de lui, à une profondeur infinie, l’autorité, la raison, la chose jugée, la conscience légale, la vindicte publique, toutes les étoiles ; il protégeait l’ordre, il faisait sortir de la loi la foudre, il vengeait la société, il prêtait main-forte à l’absolu ; il se dressait dans une gloire ; il y avait dans sa victoire un reste de défi et de combat ; debout, altier, éclatant, il étalait en plein azur la bestialité surhumaine d’un archange féroce ; l’ombre redoutable de l’action qu’il accomplissait faisait visible à son poing crispé le vague flamboiement de l’épée sociale ; heureux et indigné, il tenait sous son talon le crime, le vice, la rébellion, la perdition, l’enfer, il rayonnait, il exterminait, il souriait, et il y avait une incontestable grandeur dans ce saint Michel monstrueux.

    Javert, effroyable, n’avait rien d’ignoble. La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, l’idée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans l’horreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, l’erreur. L’impitoyable joie honnête d’un fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable. Sans qu’il s’en doutât, Javert, dans son bonheur formidable, était à plaindre comme tout ignorant qui triomphe. Rien n’était poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce qu’on pourrait appeler tout le mauvais du bon.


     

    IV

    L’AUTORITÉ REPREND SES DROITS


     

    La Fantine n’avait point vu Javert depuis le jour où M. le maire l’avait arrachée à cet homme. Son cerveau malade ne se rendit compte de rien, seulement elle ne douta pas qu’il ne revînt la chercher. Elle ne put supporter cette figure affreuse, elle se sentit expirer, elle cacha son visage de ses deux mains et cria avec angoisse :

    Monsieur Madeleine, sauvez-moi !

    Jean Valjean — nous ne le nommerons plus désormais autrement — s’était levé. Il dit à Fantine de sa voix la plus douce et la plus calme :

    Soyez tranquille, Ce n’est pas pour vous qu’il vient.

    Puis il s’adressa à Javert et lui dit :

    Je sais ce que vous voulez.

    Javert répondit :

    Allons, vite !

    Il y eut dans l’inflexion qui accompagna ces deux mots je ne sais quoi de fauve et de frénétique. Javert ne dit pas : Allons, vite ! il dit : Allonouaite ! Aucune orthographe ne pourrait rendre l’accent dont cela fut prononcé ; ce n’était plus une parole humaine, c’était un rugissement.

    Il ne fit point comme d’habitude; il n’entra point en matière ; il n’exhiba point de mandat d’amener. Pour lui, Jean Valjean était une sorte de combattant mystérieux et insaisissable, un lutteur ténébreux qu’il étreignait depuis cinq ans sans pouvoir le renverser. Cette arrestation n’était pas un commencement, mais une fin. Il se borna à dire : Allons, vite !

    En parlant ainsi, il ne fit point un pas ; il lança sur Jean Valjean ce regard qu’il jetait comme un crampon, et avec lequel il avait coutume de tirer violemment les misérables a lui.

    C’était ce regard que la Fantine avait senti pénétrer jusque dans la moelle de ses os, deux mois auparavant.

    Au cri de Javert, Fantine avait rouvert les yeux. Mais M. le maire était là. Que pouvait-elle craindre ?

    Javert avança au milieu de la chambre et cria :

    Ah çà ! viendras-tu ?

    La malheureuse regarda autour d’elle. Il n’y avait personne que la religieuse et monsieur le maire. À qui pouvait s’adresser ce tutoiement abject ? À elle seulement. Elle frissonna.

    Alors elle vit une chose inouïe, tellement inouïe que jamais rien de pareil ne lui était apparu dans les plus noirs délires de la fièvre.

    Elle vit le mouchard Javert saisir au collet monsieur le maire ; elle vit monsieur le maire courber la tête. Il lui sembla que le monde s’évanouissait.

    Javert, en effet, avait pris Jean Valjean au collet.

    Monsieur le maire ! cria Fantine.

    Javert éclata de rire, de cet affreux rire qui lui déchaussait toutes les dents.

    Il n’y a plus de monsieur le maire ici !

    Jean Valjean n’essaya pas de déranger la main qui tenait le col de sa redingote. Il dit :

    Javert...

    Javert l’interrompit : — Appelle-moi monsieur l’inspecteur.

    Monsieur, reprit Jean Valjean, je voudrais vous dire un mot en particulier.

    Tout haut ! parle tout haut ! répondit Javert ; on me parle tout haut à moi !

    Jean Valjean continua en baissant la voix :

    C’est une prière que j’ai à vous faire...

    Je te dis de parler tout haut.

    Mais cela ne doit être entendu que de vous seul...

    Qu’est-ce que cela me fait ? je n’écoute pas !

    Jean Valjean se tourna vers lui et lui dit rapidement et très bas :

    Accordez-moi trois jours ! trois jours pour aller chercher l’enfant de cette malheureuse femme. Je payerai ce qu’il faudra. Vous m’accompagnerez si vous voulez.

    Tu veux rire ! cria Javert. Ah çà ! je ne te croyais pas bête ! Tu me demandes trois jours pour t’en aller ! Tu dis que c’est pour aller chercher l’enfant de cette fille ! Ah ! ah ! c’est bon ! voilà qui est bon !

    Fantine eut un tremblement.

    Mon enfant ! s’écria-t-elle, aller chercher mon enfant ! Elle n’est donc pas ici ! Ma sœur, répondez-moi ; où est Cosette ? Je veux mon enfant ! Monsieur Madeleine ! monsieur le maire !

    Javert frappa du pied.

    Voilà l’autre, à présent ! Te tairas-tu, drôlesse ! Gredin de pays où les galériens sont magistrats et où les filles publiques sont soignées comme des comtesses ! Ah mais ! tout ça va changer ; il était temps !

    Il regarda fixement Fantine et ajouta en reprenant à poignée la cravate, la chemise et le collet de Jean Valjean :

    Je te dis qu’il n’y a point de monsieur Madeleine et qu’il n’y a point de monsieur le maire. Il y a un voleur, il y a un brigand, il y a un forçat appelé Jean Valjean ! c’est lui que je tiens ! voilà ce qu’il y a !

    Fantine se dressa en sursaut, appuyée sur ses bras roides et sur ses deux mains, elle regarda Jean Valjean, elle regarda Javert, elle regarda la religieuse, elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour d’elle comme quelqu’un qui se noie, puis elle s’affaissa subitement sur l’oreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.

    Elle était morte.

    Jean Valjean posa sa main sur la main de Javert qui le tenait, et l’ouvrit comme il eût ouvert la main d’un enfant, puis il dit à Javert :

    Vous avez tué cette femme.

    Finirons-nous ! cria Javert furieux. Je ne suis pas ici pour entendre des raisons. Économisons tout ça. La garde est en bas. Marchons tout de suite, ou les poucettes !

    Il y avait dans un coin de la chambre un vieux lit en fer en assez mauvais état qui servait de lit de camp aux sœurs quand elles veillaient, Jean Valjean alla à ce lit, disloqua en un clin d’œil le chevet déjà fort délabré, chose facile à des muscles comme les siens, saisit à poigne-main la maîtresse-tringle, et considéra Javert. Javert recula vers la porte.

    Jean Valjean, sa barre de fer au poing, marcha lentement vers le lit de Fantine. Quand il y fut parvenu, il se retourna, et dit à Javert d’une voix qu’on entendait à peine :

    Je ne vous conseille pas de me déranger en ce moment.

    Ce qui est certain, c’est que Javert tremblait.

    Il eut l’idée d’aller appeler la garde, mais Jean Valjean pouvait profiter de cette minute pour s’évader. Il resta donc, saisit sa canne par le petit bout, et s’adossa au chambranle de la porte sans quitter du regard Jean Valjean.

    Jean Valjean posa son coude sur la pomme du chevet du lit et son front sur sa main, et se mit à contempler Fantine immobile et étendue. Il demeura ainsi, absorbé, muet, et ne songeant évidemment plus à aucune chose de cette vie. Il n’y avait plus rien sur son visage et dans son attitude qu’une inexprimable pitié. Après quelques instants de cette rêverie, il se pencha vers Fantine et lui parla à voix basse.

    Que lui dit-il ? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé, à cette femme qui était morte ? Qu’était-ce que ces paroles ? Personne sur la terre ne les a entendues. La morte les entendit-elle ? Il y a des illusions touchantes qui sont peut-être des réalités sublimes. Ce qui est hors de doute, c’est que la sœur Simplice, unique témoin de la chose qui se passait, a souvent raconté qu’au moment où Jean Valjean parla à l’oreille de Fantine, elle vit distinctement poindre un ineffable sourire sur ces lèvres pâles et dans ces prunelles vagues, pleines de l’étonnement du tombeau.

    Jean Valjean prit dans ses deux mains la tête de Fantine et l’arrangea sur l’oreiller comme une mère eût fait pour son enfant, il lui rattacha le cordon de sa chemise et rentra ses cheveux sous son bonnet. Cela fait, il lui ferma les yeux.

    La face de Fantine en cet instant semblait étrangement éclairée.

    La mort, c’est l’entrée dans la grande lueur. La main de Fantine pendait hors du lit. Jean Valjean s’agenouilla devant cette main, la souleva doucement et la baisa.

    Puis il se redressa, et, se tournant vers Javert :

    Maintenant, dit-il, je suis à vous.


     

    V

    TOMBEAU CONVENABLE


     

    Javert déposa Jean Valjean à la prison de la ville.

    L’arrestation de M. Madeleine produisit à Montreuil-sur-Mer une sensation, ou pour mieux dire une commotion extraordinaire. Nous sommes triste de ne pouvoir dissimuler que sur ce seul mot : c’était un galérien, tout le monde à peu près l’abandonna. En moins de deux heures tout le bien qu’il avait fait fut oublié, et ce ne fut plus qu’un « galérien ». Il est juste de dire qu’on ne connaissait pas encore les détails de l’événement d’Arras. Toute la journée on entendait dans toutes les parties de la ville des conversations comme celle-ci :

    Vous ne savez pas ? c’était un forçat libéré ! — Qui ça ? — Le maire. — Bah ! M. Madeleine ? — Oui. — Vraiment ? — Il ne s’appelait pas Madeleine, il a un affreux nom, Béjean, Bojean, Boujean. — Ah, mon Dieu ! — Il est arrêté. — Arrêté ! — En prison à la prison de la ville, en attendant qu’on le transfère. — Qu’on le transfère ! On va le transférer ! Où va-t-on le transférer ? — Il va passer aux assises pour un vol de grand chemin qu’il a fait autrefois. — Eh bien ! je m’en doutais. Cet homme était trop bon, trop parfait, trop confit. Il refusait la croix, il donnait des sous à tous les petits drôles qu’il rencontrait. J’ai toujours pensé qu’il y avait là-dessous quelque mauvaise histoire.

    Les « salons » surtout abondèrent dans ce sens.

    Une vieille dame, abonnée au Drapeau blanc, fit cette réflexion dont il est presque impossible de sonder la profondeur :

    Je n’en suis pas fâchée. Cela apprendra aux buonapartistes !

    C’est ainsi que ce fantôme qui s’était appelé M. Madeleine se dissipa à Montreuil-sur-Mer. Trois ou quatre personnes seulement dans toute la ville restèrent fidèles à cette mémoire. La vieille portière qui l’avait servi fut du nombre.

    Le soir de ce même jour, cette digne vieille était assise dans sa loge, encore tout effarée et réfléchissant tristement. La fabrique avait été fermée toute la journée, la porte cochère était verrouillée, la rue était déserte. Il n’y avait dans la maison que les deux religieuses, sœur Perpétue et sœur Simplice, qui veillaient près du corps de Fantine.

    Vers l’heure où M. Madeleine avait coutume de rentrer, la brave portière se leva machinalement, prit la clef de la chambre de M. Madeleine dans un tiroir et le bougeoir dont il se servait tous les soirs pour monter chez lui, puis elle accrocha la clef au clou où il la prenait d’habitude, et plaça le bougeoir à côté, comme si elle l’attendait. Ensuite elle se rassit sur sa chaise et se remit à songer. La pauvre bonne vieille avait fait tout cela sans en avoir conscience.

    Ce ne fut qu’au bout de plus de deux heures qu’elle sortit de sa rêverie et s’écria : Tiens ! mon bon Dieu Jésus ! moi qui ai mis sa clef au clou !

    En ce moment la vitre de la loge s’ouvrit, une main passa par l’ouverture, saisit la clef et le bougeoir et alluma la bougie à la chandelle qui brûlait.

    La portière leva les yeux et resta béante, avec un cri dans le gosier qu’elle retint.

    Elle connaissait cette main, ce bras, cette manche de redingote.

    C’était M. Madeleine.

    Elle fut quelques secondes avant de pouvoir parler, saisie, comme elle le disait elle-même plus tard en racontant son aventure.

    Mon Dieu ! monsieur le maire, s’écria-t-elle enfin, je vous croyais…

    Elle s’arrêta, la fin de sa phrase eût manqué de respect au commencement. Jean Valjean était toujours pour elle monsieur le maire.

    Il acheva sa pensée.

    En prison, dit-il. J’y étais. J’ai brisé un barreau d’une fenêtre, je me suis laissé tomber du haut d’un toit, et me voici. Je monte à ma chambre, allez me chercher la sœur Simplice. Elle est sans doute près de cette pauvre femme.

    La vieille obéit en toute hâte.

    Il ne lui fit aucune recommandation ; il était bien sûr qu’elle le garderait mieux qu’il ne se garderait lui-même.

    On n’a jamais su comment il avait réussi à pénétrer dans la cour sans faire ouvrir la porte cochère. Il avait, et portait toujours sur lui, un passe-partout qui ouvrait une petite porte latérale ; mais on avait dû le fouiller et lui prendre son passe-partout. Ce point n’a pas été éclairci.

    Il monta l’escalier qui conduisait à sa chambre. Arrivé en haut, il laissa son bougeoir sur les dernières marches de l’escalier, ouvrit sa porte avec peu de bruit, et alla fermer à tâtons sa fenêtre et son volet, puis il revint prendre sa bougie et rentra dans sa chambre.

    La précaution était utile ; on se souvient que sa fenêtre pouvait être aperçue de la rue.

    Il jeta un coup d’œil autour de lui, sur sa table, sur sa chaise, sur son lit qui n’avait pas été défait depuis trois jours. Il ne restait aucune trace du désordre de l’avant-dernière nuit, La portière avait « fait la chambre ». Seulement elle avait ramassé dans les cendres et posé proprement sur la table les deux bouts du bâton ferré et la pièce de quarante sous noircie par le feu.

    Il prit une feuille de papier sur laquelle il écrivit : Voici les deux bouts de mon bâton ferré et la pièce de quarante sous volée à Petit-Gervais dont j’ai parlé à la cour d’assises, et il posa sur cette feuille la pièce d’argent et les deux morceaux de fer, de façon que ce fût la première chose qu’on aperçût en entrant dans la chambre. Il tira d’une armoire une vieille chemise à lui qu’il déchira. Cela fit quelques morceaux de toile dans lesquels il emballa les deux flambeaux d’argent. Du reste il n’avait ni hâte ni agitation, et, tout en emballant les chandeliers de l’évêque, il mordait dans un morceau de pain noir. Il est probable que c’était le pain de la prison qu’il avait emporté en s’évadant.

    Ceci a été constaté par les miettes de pain qui furent trouvées sur le carreau de la chambre, lorsque la justice plus tard fit une perquisition.

    On frappa deux petits coups à la porte.

    Entrez, dit-il. C’était la sœur Simplice.

    Elle était pâle, elle avait les yeux rouges, la chandelle qu’elle tenait vacillait dans sa main. Les violences de la destinée ont cela de particulier que, si perfectionnés ou si refroidis que nous soyons, elles nous tirent du fond des entrailles la nature humaine et la forcent de reparaître au dehors. Dans les émotions de cette journée, la religieuse était redevenue femme. Elle avait pleuré, et elle tremblait.

    Jean Valjean venait d’écrire quelques lignes sur un papier qu’il tendit à la religieuse en disant : — Ma sœur, vous remettrez ceci à monsieur le curé.

    Le papier était déplié. Elle y jeta les yeux.

    Vous pouvez lire, dit-il.

    Elle lut : — « Je prie monsieur le curé de veiller sur

    Javert aperçut la sœur et s’arrêta interdit.

    On se rappelle que le fond même de Javert, son élément, son milieu respirable, c’était la vénération de toute autorité. Il était tout d’une pièce et n’admettait ni objection, ni restriction. Pour lui, bien entendu, l’autorité ecclésiastique était la première de toutes ; il était religieux, superficiel et correct sur ce point comme sur tous. À ses yeux un prêtre était un esprit qui ne se trompe pas, une religieuse était une créature qui ne pèche pas. C’étaient des âmes murées à ce monde avec une seule porte qui ne s’ouvrait jamais que pour laisser sortir la vérité.

    En apercevant la sœur, son premier mouvement fut de se retirer.

    Cependant il y avait aussi un autre devoir qui le tenait, et qui le poussait impérieusement en sens inverse. Son second mouvement fut de rester et de hasarder au moins une question.

    C’était cette sœur Simplice qui n’avait menti de sa vie. Javert le savait, et la vénérait particulièrement à cause de cela.

    Ma sœur, dit-il, êtes-vous seule dans cette chambre ?

    Il y eut un moment affreux pendant lequel la pauvre portière se sentit défaillir.

    La sœur leva les yeux et répondit :

    Oui.

    Ainsi, reprit Javert, excusez-moi si j’insiste, c’est mon devoir, vous n’avez pas vu ce soir une personne, un homme ? Il s’est évadé, nous le cherchons, — ce nommé Jean Valjean, vous ne l’avez pas vu ?

    La sœur répondit : — Non.

    Elle mentit deux fois de suite, coup sur coup, sans hésiter, rapidement, comme on se dévoue.

    Pardon, dit Javert ; et il se retira en saluant profondément.

    Ô sainte fille ! vous n’êtes plus de ce monde depuis beaucoup d’années ; vous avez rejoint dans la lumière vos sœurs les vierges et vos frères les anges ; que ce mensonge vous soit compté dans le paradis !

    L’affirmation de la sœur fut pour Javert quelque chose de si décisif qu’il ne remarqua même pas la singularité de cette bougie qu’on venait de souffler et qui fumait sur la table.

    Une heure après, un homme, marchant à travers les arbres et les brumes, s’éloignait rapidement de Montreuil-sur-Mer dans la direction de Paris. Cet homme était Jean Valjean. Il a été établi, par le témoignage de deux ou trois rouliers qui l’avaient rencontré, qu’il portait un paquet et qu’il était vêtu d’une blouse. Où avait-il pris cette blouse ? On ne l’a jamais su. Cependant un vieux ouvrier était mort quelques jours auparavant à l’infirmerie de la fabrique, ne laissant que sa blouse. C’était peut-être celle-là.

    Un dernier mot sur Fantine.

    Nous avons tous une mère, la terre. On rendit Fantine à cette mère.

    Le curé crut bien faire, et fit bien peut-être, en réservant, sur ce que Jean Valjean avait laissé, le plus d’argent possible aux pauvres. Après tout, de quoi s’agissait-il ? d’un forçat et d’une fille publique. C’est pourquoi il simplifia l’enterrement de Fantine, et le réduisit à ce strict nécessaire qu’on appelle la fosse commune.

    Fantine fut donc enterrée dans le coin gratis du cimetière qui est à tous et à personne, et où l’on perd les pauvres. Heureusement Dieu sait où retrouver l’âme. On coucha Fantine dans les ténèbres parmi les premiers os venus ; elle subit la promiscuité des cendres. Elle fut jetée à la fosse publique. Sa tombe ressembla à son lit.


     

    I


     

    CE QU’ON RENCONTRE EN VENANT
    DE NIVELLES


     

    L’an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux rangées d’arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des collines qui viennent l’une après l’autre, soulèvent la route et la laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l’ouest, le clocher d’ardoise de Braine-l’Alleud qui a la forme d’un vase renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une hauteur, et, à l’angle d’un chemin de traverse, à côté d’une espèce de potence vermoulue portant l’inscription : Ancienne barrière n° 4, un cabaret ayant sur sa façade cet écriteau : Au quatre vents. Échabeau, café de particulier.

    Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au fond d’un petit vallon où il y a de l’eau qui passe sous une arche pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d’arbres, clair-semé mais très vert, qui emplit le vallon d’un côté de la chaussée, s’éparpille de l’autre dans les prairies et s’en va avec grâce et comme en désordre vers Braine-l’Alleud.

    Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près d’une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une échelle le long d’un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune, probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au vent. À l’angle de l’auberge, à côté d’une mare où naviguait une flottille de canards, un sentier mal pavé s’enfonçait dans les broussailles. Ce passant y entra.

    Au bout d’une centaine de pas, après avoir longé un mur du quinzième siècle surmonté d’un pignon aigu à briques contrariées, il se trouva en présence d’une grande porte de pierre cintrée, avec imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de deux médaillons plans. Une façade sévère dominait cette porte ; un mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et la flanquait d’un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour clôture deux battants décrépits ornés d’un vieux marteau rouillé.

    Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait éperdument dans un grand arbre.

    Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation circulaire ressemblant à l’alvéole d’une sphère. En ce moment les battants s’écartèrent et une paysanne sortit.

    Elle vit le passant et aperçut ce qu’il regardait.

    C’est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle ajouta :

    Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d’un clou, c’est le trou d’un gros biscaïen. Le biscaïen n’a pas traversé le bois.

    Comment s’appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.

    Hougomont, dit la paysanne.

    Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s’en alla regarder au-dessus des haies. Il aperçut à l’horizon à travers les arbres une espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin, ressemblait à un lion.

    Il était dans le champ de bataille de Waterloo.


     

    II


     

    HOUGOMONT


     

    Hougomont, ce fut là un lieu funèbre, le commencement de l’obstacle, la première résistance que rencontra à Waterloo ce grand bûcheron de l’Europe qu’on appelait Napoléon ; le premier nœud sous le coup de hache.

    C’était un château, ce n’est plus qu’une ferme. Hougomont, pour l’antiquaire, c’est Hugomons. Ce manoir fut bâti par Hugo, sire de Somerel, le même qui dota la sixième chapellenie de l’abbaye de Villiers.

    Le passant poussa la porte, coudoya sous un porche une vieille calèche, et entra dans la cour.

    La première chose qui le frappa dans ce préau, ce fut une porte du seizième siècle qui y simule une arcade, tout étant tombé autour d’elle. L’aspect monumental naît souvent de la ruine. Auprès de l’arcade s’ouvre dans un mur une autre porte avec claveaux du temps de Henri IV, laissant voir les arbres d’un verger. À côté de cette porte un trou à fumier, des pioches et des pelles, quelques charrettes, un vieux puits avec sa dalle et son tourniquet de fer, un poulain qui saute, un dindon qui fait la roue, une chapelle que surmonte un petit clocher, un poirier en fleur en espalier sur le mur de la chapelle, voilà cette cour dont la conquête fut un rêve de Napoléon. Ce coin de terre, s’il eût pu le prendre, lui eût peut-être donné le monde. Des poules y éparpillent du bec la poussière. On entend un grondement, c’est un gros chien qui montre les dents et qui remplace les Anglais.

    Les Anglais là ont été admirables. Les quatre compagnies des gardes de Cooke y ont tenu tête pendant sept heures à l’acharnement d’une armée.

    Hougomont, vu sur la carte, en plan géométral, bâtiments et enclos compris, présente une espèce de rectangle irrégulier dont un angle aurait été entaillé. C’est à cet angle qu’est la porte méridionale gardée par ce mur qui la fusille à bout portant. Hougomont a deux portes, la porte méridionale, celle du château, et la porte septentrionale, celle de la ferme. Napoléon envoya contre Hougomont son frère Jérôme ; les divisions Guilleminot, Foy et Bachelu s’y heurtèrent, presque tout le corps de Reille y fut employé et y échoua, les boulets de Kellermann s’épuisèrent sur cet héroïque pan de mur. Ce ne fut pas trop de la brigade Bauduin pour forcer Hougomont au nord, et la brigade Soye ne put que l’entamer au sud, sans le prendre.

    Les bâtiments de la ferme bordent la cour au sud. Un morceau de la porte nord, brisée par les Français, pend accroché au mur. Ce sont quatre planches clouées sur deux traverses, et où l’on distingue les balafres de l’attaque.

    La porte septentrionale, enfoncée par les français, et à laquelle on a mis une pièce pour remplacer le panneau suspendu à la muraille, s’entrebâille au fond du préau ; elle est coupée carrément dans un mur, de pierre en bas, de brique en haut, qui ferme la cour au nord. C’est une simple porte charretière comme il y en a dans toutes les métairies, deux larges battants faits de planches rustiques ; au delà, des prairies. La dispute de cette entrée a été furieuse. On a longtemps vu sur le montant de la porte toutes sortes d’empreintes de mains sanglantes. C’est là que Bauduin fut tué.

    L’orage du combat est encore dans cette cour ; l’horreur y est visible ; le bouleversement de la mêlée s’y est pétrifié ; cela vit, cela meurt ; c’était hier. Les murs agonisent, les pierres tombent, les brèches crient ; les trous sont des plaies ; les arbres penchés et frissonnants semblent faire effort pour s’enfuir.

    Cette cour, en 1815, était plus bâtie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Des constructions qu’on a depuis jetées bas y faisaient des redans, des angles et des coudes d’équerre.

    Les anglais s’y étaient barricadés ; les français y pénétrèrent, mais ne purent s’y maintenir. À côté de la chapelle, une aile du château, le seul débris qui reste du manoir d’Hougomont, se dresse écroulée, on pourrait dire éventrée. Le château servit de donjon, la chapelle servit de blockhaus. On s’y extermina. Les français, arquebusés de toutes parts, de derrière les murailles, du haut des greniers, du fond des caves, par toutes les croisées, par tous les soupiraux, par toutes les fentes des pierres, apportèrent des fascines et mirent le feu aux murs et aux hommes ; la mitraille eut pour réplique l’incendie.

    On entrevoit dans l’aile ruinée, à travers des fenêtres garnies de barreaux de fer, les chambres démantelées d’un corps de logis en brique ; les gardes anglaises étaient embusquées dans ces chambres ; la spirale de l’escalier, crevassé du rez-de-chaussée jusqu’au toit, apparaît comme l’intérieur d’un coquillage brisé. L’escalier a deux étages ; les anglais, assiégés dans l’escalier, et massés sur les marches supérieures, avaient coupé les marches inférieures. Ce sont de larges dalles de pierre bleue qui font un monceau dans les orties. Une dizaine de marches tiennent encore au mur ; sur la première est entaillée l’image d’un trident. Ces degrés inaccessibles sont solides dans leurs alvéoles. Tout le reste ressemble à une mâchoire édentée. Deux vieux arbres sont là ; l’un est mort, l’autre est blessé au pied, et reverdit en avril. Depuis 1815, il s’est mis à pousser à travers l’escalier.

    On s’est massacré dans la chapelle. Le dedans, redevenu calme, est étrange. On n’y a plus dit la messe depuis le carnage. Pourtant l’autel y est resté, un autel de bois grossier adossé à un fond de pierre brute. Quatre murs lavés au lait de chaux, une porte vis-à-vis l’autel, deux petites fenêtres cintrées, sur la porte un grand crucifix de bois, au-dessus du crucifix un soupirail carré bouché d’une botte de foin, dans un coin à terre un vieux châssis vitré tout cassé, telle est cette chapelle. Près de l’autel est clouée une statue en bois de sainte Anne, du quinzième siècle ; la tête de l’enfant Jésus a été emportée par un biscaïen. Les français, maîtres un moment de la chapelle, puis délogés, l’ont incendiée. Les flammes ont rempli cette masure ; elle a été fournaise ; la porte a brûlé, le plancher a brûlé, le christ, en bois, n’a pas brûlé. Le feu lui a rongé les pieds dont on ne voit plus que les moignons noircis, puis s’est arrêté. Miracle, au dire des gens du pays. L’enfant Jésus, décapité, n’a pas été aussi heureux que le christ.

    Les murs sont couverts d’inscriptions. Près des pieds du Christ on lit ce nom : Henquinez. Puis ces autres : Conde de Rio Maïor. Marques y Marquesa de Almagro (Habana). Il y a des noms français avec des points d’exclamation, signes de colère. On a reblanchi le mur en 1849. Les nations s’y insultaient.

    C’est à la porte de cette chapelle qu’a été ramassé un cadavre qui tenait une hache à la main. Ce cadavre était le sous-lieutenant Legros.

    On sort de la chapelle, et à gauche on voit un puits. Il y en a deux dans cette cour. On demande : pourquoi n’y a-t-il pas de seau et de poulie à celui-ci ? C’est qu’on n’y puise plus d’eau. Pourquoi n’y puise-t-on plus d’eau ? Parce qu’il est plein de squelettes.

    Le dernier qui ait tiré de l’eau de ce puits se nommait Guillaume Van Kylsom. C’était un paysan qui habitait Hougomont et y était jardinier. Le 18 juin 1815, sa famille prit la fuite et s’alla cacher dans les bois.

    La forêt autour de l’abbaye de Villiers abrita pendant plusieurs jours et plusieurs nuits toutes ces malheureuses populations dispersées. Aujourd’hui encore de certains vestiges reconnaissables, tels que de vieux troncs d’arbres brûlés, marquent la place de ces pauvres bivouacs tremblants au fond des halliers.

    Guillaume Van Kylsom demeura à Hougomont « pour garder le château » et se blottit dans une cave. Les anglais l’y découvrirent. On l’arracha de sa cachette, et, à coups de plat de sabre, les combattants se firent servir par cet homme effrayé. Ils avaient soif ; ce Guillaume leur portait à boire. C’est à ce puits qu’il puisait l’eau. Beaucoup burent là leur dernière gorgée. Ce puits, où burent tant de morts, devait mourir lui aussi.

    Après l’action, on eut une hâte : enterrer les cadavres. La mort a une façon à elle de harceler la victoire, et elle fait suivre la gloire par la peste. Le typhus est une annexe du triomphe. Ce puits était profond, on en fit un sépulcre. On y jeta trois cents morts. Peut-être avec trop d’empressement. Tous étaient-ils morts ? la légende dit non. Il parait que, la nuit qui suivit l’ensevelissement, on entendit sortir du puits des voix faibles qui appelaient.

    Ce puits est isolé au milieu de la cour. Trois murs mi-partis pierre et brique, repliés comme les feuilles d’un paravent et simulant une tourelle carrée, l’entourent de trois côtés. Le quatrième côté est ouvert. C’est par là qu’on puisait l’eau. Le mur du fond a une façon d’œil-de-bœuf informe, peut-être un trou d’obus. Cette tourelle avait un plafond dont il ne reste que les poutres. La ferrure de soutènement du mur de droite dessine une croix. On se penche, et l’œil se perd dans un profond cylindre de brique qu’emplit un entassement de ténèbres. Tout autour du puits, le bas des murs disparaît dans les orties.

    Ce puits n’a point pour devanture la large dalle bleue qui sert de tablier à tous les puits de Belgique. La dalle bleue y est remplacée par une traverse à laquelle s’appuient cinq ou six difformes tronçons de bois, noueux et ankylosés, qui ressemblent à de grands ossements. Il n’a plus ni seau, ni chaîne, ni poulie ; mais il a encore la cuvette de pierre qui servait de déversoir. L’eau des pluies s’y amasse, et de temps en temps un oiseau des forêts voisines vient y boire et s’envole.

    Une maison dans cette ruine, la maison de la ferme, est encore habitée. La porte de cette maison donne sur la cour. À côté d’une jolie plaque de serrure gothique il y a sur cette porte une poignée de fer à trèfles, posée de biais. Au moment où le lieutenant hanovrien Wilda saisissait cette poignée pour se réfugier dans la ferme, un sapeur français lui abattit la main d’un coup de hache.

    La famille qui occupe la maison a pour grand-père l’ancien jardinier Van Kylsom, mort depuis longtemps. Une femme en cheveux gris nous dit : ― J’étais là. J’avais trois ans. Ma sœur, plus grande, avait peur et pleurait. On nous a emportées dans les bois. J’étais dans les bras de ma mère. On se collait l’oreille à terre pour écouter. Moi, j’imitais le canon et je faisais boum, boum.

    Une porte de la cour, à gauche, nous l’avons dit, donne dans le verger.

    Le verger est terrible.

    Il est en trois parties, on pourrait presque dire en trois actes. La première partie est un jardin, la deuxième est le verger, la troisième est un bois. Ces trois parties ont une enceinte commune, du côté de l’entrée les bâtiments du château et de la ferme, à gauche une haie, à droite un mur, au fond un mur. Le mur de droite est en brique, le mur du fond est en pierre. On entre dans le jardin d’abord. Il est en contre-bas, planté de groseilliers, encombré de végétations sauvages, fermé d’un terrassement monumental en pierre de taille avec balustres à double renflement. C’était un jardin seigneurial dans ce premier style français qui a précédé Lenôtre ; ruine et ronce aujourd’hui. Les pilastres sont surmontés de globes qui semblent des boulets de pierre. On compte encore quarante-trois balustres sur leurs dés ; les autres sont couchés dans l’herbe. Presque tous ont des éraflures de mousqueterie. Un balustre brisé est posé sur l’étrave comme une jambe cassée.

    C’est dans ce jardin, plus bas que le verger, que six voltigeurs du 1er léger, ayant pénétré là et n’en pouvant plus sortir, pris et traqués comme des ours dans leur fosse, acceptèrent le combat avec deux compagnies hanovriennes, dont une était armée de carabines. Les hanovriens bordaient ces balustres et tiraient d’en haut. Ces voltigeurs, ripostant d’en bas, six contre deux cents, intrépides, n’ayant pour abri que les groseilliers, mirent un quart d’heure à mourir.

    On monte quelques marches, et du jardin on passe dans le verger proprement dit. Là, dans ces quelques toises carrées, quinze cents hommes tombèrent en moins d’une heure. Le mur semble prêt à recommencer le combat. Les trente-huit meurtrières percées par les anglais à des hauteurs irrégulières, y sont encore. Devant la seizième sont couchées deux tombes anglaises en granit. Il n’y a de meurtrières qu’au mur sud, l’attaque principale venait de là. Ce mur est caché au dehors par une grande haie vive ; les français arrivèrent, croyant n’avoir affaire qu’à la haie, la franchirent, et trouvèrent le mur, obstacle et embuscade, les gardes anglaises derrière, les trente-huit meurtrières faisant feu à la fois, un orage de mitraille et de balles ; et la brigade Soye s’y brisa. Waterloo commença ainsi.

    Le verger pourtant fut pris. On n’avait pas d’échelles, les français grimpèrent avec les ongles. On se battit corps à corps sous les arbres. Toute cette herbe a été mouillée de sang. Un bataillon de Nassau, sept cents hommes, fut foudroyé là. Au dehors le mur, contre lequel furent braquées les deux batteries de Kellermann, est rongé par la mitraille.

    Ce verger est sensible comme un autre au mois de mai. Il a ses boutons d’or et ses pâquerettes, l’herbe y est haute, des chevaux de charrue y paissent, des cordes de crin où sèche du linge traversent les intervalles des arbres et font baisser la tête aux passants, on marche dans cette friche et le pied enfonce dans les trous de taupes. Au milieu de l’herbe on remarque un tronc déraciné, gisant, verdissant. Le major Blackmann s’y est adossé pour expirer. Sous un grand arbre voisin est tombé le général allemand Duplat, d’une famille française réfugiée à la révocation de l’édit de Nantes. Tout à côté se penche un vieux pommier malade pansé avec un bandage de paille et de terre glaise. Presque tous les pommiers tombent de vieillesse. Il n’y en a pas un qui n’ait sa balle ou son biscaïen. Les squelettes d’arbres morts abondent dans ce verger. Les corbeaux volent dans les branches, au fond il y a un bois plein de violettes.

    Bauduin tué, Foy blessé, l’incendie, le massacre, le carnage, un ruisseau fait de sang anglais, de sang allemand et de sang français, furieusement mêlés, un puits comblé de cadavres, le régiment de Nassau et le régiment de Brunswick détruits, Duplat tué, Blackmann tué, les gardes anglaises mutilées, vingt bataillons français, sur les quarante du corps de Reille, décimés, trois mille hommes, dans cette seule masure de Hougomont, sabrés, écharpés, égorgés, fusillés, brûlés ; et tout cela pour qu’aujourd’hui un paysan dise à un voyageur : Monsieur, donnez-moi trois francs ; si vous aimez, je vous expliquerai la chose de Waterloo !


     

    III


     

    LE 18 JUIN 1815


     

    Retournons en arrière, c’est un des droits du narrateur, et replaçons-nous en l’année 1815, et même un peu avant l’époque où commence l’action racontée dans la première partie de ce livre.

    S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde.

    La bataille de Waterloo, et ceci a donné à Blücher le temps d’arriver, n’a pu commencer qu’à onze heures et demie. Pourquoi ? Parce que la terre était mouillée. Il a fallu attendre un peu de raffermissement pour que l’artillerie pût manœuvrer.

    Napoléon était officier d’artillerie, et il s’en ressentait. Le fond de ce prodigieux capitaine, c’était l’homme qui, dans le rapport au Directoire sur Aboukir, disait : Tel de nos boulets a tué six hommes. Tous ses plans de bataille sont faits pour le projectile. Faire converger l’artillerie sur un point donné, c’était là sa clef de victoire. Il traitait la stratégie du général ennemi comme une citadelle, et il la battait en brèche. Il accablait le point faible de mitraille ; il nouait et dénouait les batailles avec le canon. Il y avait du tir dans son génie. Enfoncer les carrés, pulvériser les régiments, rompre les lignes, broyer et disperser les masses, tout pour lui était là, frapper, frapper, frapper sans cesse, et il confiait cette besogne au boulet. Méthode redoutable, et qui, jointe au génie, a fait invincible pendant quinze ans ce sombre athlète du pugilat de la guerre.

    Le 18 juin 1815, il comptait d’autant plus sur l’artillerie qu’il avait pour lui le nombre. Wellington n’avait que cent cinquante-neuf bouches à feu ; Napoléon en avait deux cent quarante.

    Supposez la terre sèche, l’artillerie pouvant rouler, l’action commençait à six heures du matin. La bataille était gagnée et finie à deux heures, trois heures avant la péripétie prussienne.

    Quelle quantité de faute y a-t-il de la part de Napoléon dans la perte de cette bataille ? le naufrage est-il imputable au pilote ?

    Le déclin physique évident de Napoléon se compliquait-il à cette époque d’une certaine diminution intérieure ? les vingt ans de guerre avaient-ils usé la lame comme le fourreau, l’âme comme le corps ? le vétéran se faisait-il fâcheusement sentir dans le capitaine ? en un mot, ce génie, comme beaucoup d’historiens considérables l’ont cru, s’éclipsait-il ? entrait-il en frénésie pour se déguiser à lui-même son affaiblissement ? commençait-il à osciller sous l’égarement d’un souffle d’aventure ? devenait-il, chose grave dans un général, inconscient du péril ? dans cette classe de grands hommes matériels qu’on peut appeler les géants de l’action, y a-t-il un âge pour la myopie du génie ? La vieillesse n’a pas de prises sur les génies de l’idéal ; pour les Dantes et les Michel-Anges, vieillir, c’est croître ; pour les Annibals et les Bonapartes, est-ce décroître ? Napoléon avait-il perdu le sens direct de la victoire ? en était-il à ne plus reconnaître l’écueil, à ne plus deviner le piége, à ne plus discerner le bord croulant des abîmes ? manquait-il du flair des catastrophes ? lui qui jadis savait toutes les routes du triomphe et qui, du haut de son char d’éclairs, les indiquait d’un doigt souverain, avait-il maintenant cet ahurissement sinistre de mener aux précipices son tumultueux attelage de légions ? était-il pris, à quarante-six ans, d’une folie suprême ? ce cocher titanique du destin n’était-il plus qu’un immense casse-cou ?

    Nous ne le pensons point.

    Son plan de bataille était, de l’aveu de tous, un chef-d’œuvre. Aller droit au centre de la ligne alliée, faire un trou dans l’ennemi, le couper en deux, pousser la moitié britannique sur Hal et la moitié prussienne sur Tongres, faire de Wellington et de Blücher deux tronçons, enlever Mont-Saint-Jean, saisir Bruxelles, jeter l’allemand dans le Rhin et l’anglais dans la mer. Tout cela, pour Napoléon, était dans cette bataille. Ensuite on verrait.

    Il va sans dire que nous ne prétendons pas faire ici l’histoire de Waterloo ; une des scènes génératrices du drame que nous racontons se rattache à cette bataille, mais cette histoire n’est pas notre sujet ; cette histoire d’ailleurs est faite, et faite magistralement, à un point de vue par Napoléon, à l’autre point de vue par toute une pléiade d’historiens [1]. Quant à nous, nous laissons les historiens aux prises ; nous ne sommes qu’un témoin à distance, un passant dans la plaine, un chercheur penché sur cette terre pétrie de chair humaine, prenant peut-être des apparences pour des réalités ; nous n’avons pas le droit de tenir tête, au nom de la science, à un ensemble de faits où il y a sans doute du mirage, nous n’avons ni la pratique militaire ni la compétence stratégique qui autorisent un système ; selon nous, un enchaînement de hasards domine à Waterloo les deux capitaines ; et quand il s’agit du destin, ce mystérieux accusé, nous jugeons comme le peuple, ce juge naïf.


     

    IV


     

    A


     

    Ceux qui veulent se figurer nettement la bataille de Waterloo n’ont qu’à coucher sur le sol par la pensée un A majuscule. Le jambage gauche de l’A est la route de Nivelles, le jambage droit est la route de Genappe, la corde de l’A est le chemin creux d’Ohain à Braine-l’Alleud. Le sommet de l’A est Mont-Saint-Jean, là est Wellington ; la pointe gauche inférieure est Hougomont, là est Reille avec Jérôme Bonaparte ; la pointe droite inférieure est la Belle-Alliance, là est Napoléon. Un peu au-dessous du point où la corde de l’A rencontre et coupe le jambage droit est la Haie-Sainte. Au milieu de cette corde est le point précis où s’est dit le mot final de la bataille. C’est là qu’on a placé le lion, symbole involontaire du suprême héroïsme de la garde impériale.

    Le triangle compris au sommet de l’A, entre les deux jambages et la corde, est le plateau de Mont-Saint-Jean. La dispute de ce plateau fut toute la bataille.

    Les ailes des deux armées s’étendent à droite et à gauche des deux routes de Genappe et de Nivelles ; d’Erlon faisant face à Picton, Reille faisant face à Hill.

    Derrière la pointe de l’A, derrière le plateau de Mont-Saint-Jean, est la forêt de Soignes.

    Quant à la plaine en elle-même, qu’on se représente un vaste terrain ondulant ; chaque pli domine le pli suivant, et toutes les ondulations montent vers Mont-Saint-Jean, et y aboutissent à la forêt.

    Deux troupes ennemies sur un champ de bataille sont deux lutteurs. C’est un bras-le-corps. L’une cherche à faire glisser l’autre. On se cramponne à tout ; un buisson est un point d’appui ; un angle de mur est un épaulement ; faute d’une bicoque où s’adosser, un régiment lâche pied ; un ravalement de la plaine, un mouvement de terrain, un sentier transversal à propos, un bois, un ravin, peuvent arrêter le talon de ce colosse qu’on appelle une armée et l’empêcher de reculer. Qui sort du champ est perdu. De là, pour le chef responsable, la nécessité d’examiner la moindre touffe d’arbres et d’approfondir le moindre relief.

    Les deux généraux avaient attentivement étudié la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd’hui plaine de Waterloo. Dès l’année précédente, Wellington, avec une sagacité prévoyante, l’avait examinée comme un en-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon côté, Napoléon le mauvais. L’armée anglaise était en haut, l’armée française en bas.

    Esquisser ici l’aspect de Napoléon à cheval, sa lunette à la main, sur la hauteur de Rossomme, à l’aube du 18 juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu’on le montre, tout le monde l’a vu. Ce profil calme sous le petit chapeau de l’école de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote cachant les épaulettes, l’angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse de velours pourpre ayant aux coins des N couronnées et des aigles, les bottes à l’écuyère sur des bas de soie, les éperons d’argent, l’épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, acclamée des uns, sévèrement regardée par les autres.

    Cette figure a été longtemps toute dans la lumière ; cela tenait à un certain obscurcissement légendaire que la plupart des héros dégagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vérité ; mais aujourd’hui l’histoire et le jour se font.

    Cette clarté, l’histoire, est impitoyable ; elle a cela d’étrange et de divin que, toute lumière qu’elle est et précisément parce qu’elle est lumière, elle met souvent de l’ombre là où l’on voyait des rayons ; du même homme elle fait deux fantômes différents, et l’un attaque l’autre, et en fait justice, et les ténèbres du despote luttent avec l’éblouissement du capitaine. De là une mesure plus vraie dans l’appréciation définitive des peuples. Babylone violée diminue Alexandre ; Rome enchaînée diminue César ; Jérusalem tuée diminue Titus. La tyrannie suit le tyran. C’est un malheur pour un homme de laisser derrière lui de la nuit qui a sa forme.


     

    V


     

    LE « QUID OBSCURUM » DES BATAILLES


     

    Tout le monde connaît la première phase de cette bataille ; début trouble, incertain, hésitant, menaçant pour les deux armées, mais pour les anglais plus encore que pour les français.

    Il avait plu toute la nuit ; la terre était défoncée par l’averse ; l’eau s’était çà et là amassée dans les creux de la plaine, comme dans des cuvettes ; sur de certains points les équipages du train en avaient jusqu’à l’essieu ; les sous-ventrières des attelages dégouttaient de boue liquide ; si les blés et les seigles couchés par cette cohue de charrois en masse n’eussent comblé les ornières et fait litière sous les roues, tout mouvement, particulièrement dans les vallons du côté de Papelotte, eût été impossible.

    L’affaire commença tard ; Napoléon, nous l’avons expliqué, avait l’habitude de tenir toute l’artillerie dans sa main comme un pistolet, visant tantôt tel point, tantôt tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre que les batteries attelées pussent rouler et galoper librement ; il fallait pour cela que le soleil parût et séchât le sol. Mais le soleil ne parut pas. Ce n’était plus le rendez-vous d’Austerlitz. Quand le premier coup de canon fut tiré, le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu’il était onze heures trente-cinq minutes.

    L’action s’engagea avec furie, plus de furie peut-être que l’empereur n’eût voulu, par l’aile gauche française sur Hougomont. En même temps Napoléon attaqua le centre en précipitant la brigade Quiot sur la Haie-Sainte, et Ney poussa l’aile droite française contre l’aile gauche anglaise qui s’appuyait sur Papelotte.

    L’attaque sur Hougomont avait quelque simulation ; attirer là Wellington, le faire pencher à gauche, tel était le plan. Ce plan eût réussi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la division Perponcher n’eussent solidement gardé la position, et Wellington, au lieu de s’y masser, put se borner à y envoyer, pour tout renfort, quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.

    L’attaque de l’aile droite française sur Papelotte était à fond ; culbuter la gauche anglaise, couper la route de Bruxelles, barrer le passage aux prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington sur Hougomont, de là sur Braine-l’Alleud, de là sur Hal, rien de plus net. À part quelques incidents, cette attaque réussit. Papelotte fut pris ; la Haie-Sainte fut enlevée.

    Détail à noter. Il y avait dans l’infanterie anglaise, particulièrement dans la brigade de Kempt, force recrues. Ces jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants ; leur inexpérience se tira intrépidement d’affaire ; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs ; le soldat en tirailleur, un peu livré à lui-même, devient pour ainsi dire son propre général ; ces recrues montrèrent quelque chose de l’invention et de la furie françaises. Cette infanterie novice eut de la verve. Ceci déplut à Wellington.

    Après la prise de la Haie-Sainte, la bataille vacilla.

    Il y a dans cette journée, de midi à quatre heures, un intervalle obscur ; le milieu de cette bataille est presque indistinct et participe du sombre de la mêlée. Le crépuscule s’y fait. On aperçoit de vastes fluctuations dans cette brume, un mirage vertigineux, l’attirail de guerre d’alors presque inconnu aujourd’hui, les colbacks à flamme, les sabretaches flottantes, les buffleteries croisées, les gibernes à grenade, les dolmans des hussards, les bottes rouges à mille plis, les lourds shakos enguirlandés de torsades, l’infanterie presque noire de Brunswick mêlée à l’infanterie écarlate d’Angleterre, les soldats anglais ayant aux entournures pour épaulettes de gros bourrelets blancs circulaires, les chevau-légers hanovriens avec leur casque de cuir oblong à bandes de cuivre et à crinières de crins rouges, les écossais aux genoux nus et aux plaids quadrillés, les grandes guêtres blanches de nos grenadiers, des tableaux, non des lignes stratégiques, ce qu’il faut à Salvator Rosa, non ce qu’il faut à Gribeauval.

    Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une bataille. Quid obscurum, quid divinum. Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle. Quelle que soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a d’incalculables reflux ; dans l’action, les deux plans des deux chefs entrent l’un dans l’autre et se déforment l’un par l’autre. Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l’eau qu’on y jette. On est obligé de reverser là plus de soldats qu’on ne voudrait. Dépenses qui sont l’imprévu. La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres ; où était l’artillerie, accourt la cavalerie ; les bataillons sont des fumées. Il y avait là quelque chose, cherchez, c’est disparu ; les éclaircies se déplacent ; les plis sombres avancent et reculent ; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques. Qu’est-ce qu’une mêlée ? une oscillation. L’immobilité d’un plan mathématique exprime une minute et non une journée. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres qui aient du chaos dans le pinceau ; Rembrandt vaut mieux que Vandermeulen. Vandermeulen, exact à midi, ment à trois heures. La géométrie trompe ; l’ouragan seul est vrai. C’est ce qui donne à Folard le droit de contredire Polybe. Ajoutons qu’il y a toujours un certain instant où la bataille dégénère en combat, se particularise, et s’éparpille en d’innombrables faits de détail qui, pour emprunter l’expression de Napoléon lui-même, « appartiennent plutôt à la biographie des régiments qu’à l’histoire de l’armée ». L’historien, en ce cas, a le droit évident de résumé. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n’est donné à aucun narrateur, si consciencieux qu’il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible qu’on appelle une bataille.

    Ceci, qui est vrai de tous les grands chocs armés, est particulièrement applicable à Waterloo.

    Toutefois, dans l’après-midi, à un certain moment, la bataille se précisa.


     


     

    VI


     

    QUATRE HEURES DE L’APRÈS-MIDI


     

    Vers quatre heures, la situation de l’armée anglaise était grave. Le prince d’Orange commandait le centre, Hill l’aile droite, Picton l’aile gauche. Le prince d’Orange, éperdu et intrépide, criait aux hollando-belges : Nassau ! Brunswick ! jamais en arrière ! Hill, affaibli, venait s’adosser à Wellington, Picton était mort. Dans la même minute où les anglais avaient enlevé aux français le drapeau du 105e de ligne, les français avaient tué aux anglais le général Picton d’une balle à travers la tête. La bataille, pour Wellington, avait deux points d’appui, Hougomont et la Hale-Sainte ; Hougomont tenait encore, mais brûlait ; la Haie-Sainte était prise. Du bataillon allemand qui la défendait, quarante-deux hommes seulement survivaient ; tous les officiers, moins cinq, étaient morts ou pris. Trois mille combattants s’étaient massacrés dans cette grange. Un sergent des gardes anglaises, le premier boxeur de l’Angleterre, réputé par ses compagnons invulnérable, y avait été tué par un petit tambour français. Baring était délogé. Alten était sabré. Plusieurs drapeaux étaient perdus, dont un de la division Alten, et un du bataillon de Lunebourg porté par un prince de la famille de Deux-Ponts. Les Écossais gris n’existaient plus ; les gros dragons de Ponsonby étaient hachés. Cette vaillante cavalerie avait plié sous les lanciers de Bro et sous les cuirassiers de Travers ; de douze cents chevaux il en restait six cents ; des trois lieutenants-colonels, deux étaient à terre, Hamilton blessé, Mater tué. Ponsonby était tombé, troué de sept coups de lance. Gordon était mort, Marsh était mort. Deux divisions, la cinquième et la sixième, étaient détruites.

    Hougomont entamé, la Haie-Sainte prise, il n’y avait plus qu’un nœud, le centre. Ce nœud-là tenait toujours. Wellington le renforça. Il y appela Hill qui était à Merbe-Braine, il y appela Chassé qui était à Braine-l’Alleud.

    Le centre de l’armée anglaise, un peu concave, très dense et très compact, était fortement situé. Il occupait le plateau de Mont-Saint-Jean, ayant derrière lui le village et devant lui la pente, assez âpre alors. Il s’adossait à cette forte maison de pierre, qui était à cette époque un bien domanial de Nivelles et qui marque l’intersection des routes, masse du seizième siècle si robuste que les boulets y ricochaient sans l’entamer. Tout autour du plateau, les anglais avaient taillé çà et là les haies, fait des embrasures dans les aubépines, mis une gueule de canon entre deux branches, crénelé les buissons. Leur artillerie était en embuscade sous les broussailles. Ce travail punique, incontestablement autorisé par la guerre qui admet le piége, était si bien fait que Haxo, envoyé par l’empereur à neuf heures du matin pour reconnaître les batteries ennemies, n’en avait rien vu, et était revenu dire à Napoléon qu’il n’y avait pas d’obstacle, hors les deux barricades barrant les routes de Nivelles et de Genappe. C’était le moment où la moisson est haute ; sur la lisière du plateau, un bataillon de la brigade de Kempt, le 95e, armé de carabines, était couché dans les grands blés.

    Ainsi assuré et contre-buté, le centre de l’armée anglo-hollandaise était en bonne posture.

    Le péril de cette position était la forêt de Soignes, alors contiguë au champ de bataille et coupée par les étangs de Grœnendael et de Boitsfort. Une armée n’eût pu y reculer sans se dissoudre; les régiments s’y fussent tout de suite désagrégés. L’artillerie s’y fût perdue dans les marais. La retraite, selon l’opinion de plusieurs hommes du métier, contestée par d’autres, il est vrai, eût été là un sauve-qui-peut.

    Wellington ajouta à ce centre une brigade de Chassé, ôtée à l’aile droite, et une brigade de Wincke, ôtée à l’aile gauche, plus la division Clinton. À ses anglais, aux régiments de Halkett, à la brigade de Mitchell, aux gardes de Maitland, il donna comme épaulements et contre-forts l’infanterie de Brunswick, le contingent de Nassau, les hanovriens de Kielmansegge et les allemands d’Ompteda. Cela lui mit sous la main vingt-six bataillons. L’aile droite, comme dit Charras, fut rabattue derrière le centre. Une batterie énorme était masquée par des sacs à terre à l’endroit où est aujourd’hui ce qu’on appelle « le musée de Waterloo ». Wellington avait en outre dans un pli de terrain les dragons-gardes de Somerset, quatorze cents chevaux. C’était l’autre moitié de cette cavalerie anglaise, si justement célèbre. Ponsomby détruit, restait Somerset.

    La batterie, qui, achevée, eût été presque une redoute, était disposée derrière un mur de jardin très bas, revêtu à la hâte d’une chemise de sacs de sable et d’un large talus de terre. Cet ouvrage n’était pas fini ; on n’avait pas eu le temps de le palissader.

    Wellington, inquiet, mais impassible, était à cheval, et y demeura toute la journée dans la même attitude, un peu en avant du vieux moulin de Mont-Saint-Jean, qui existe encore, sous un orme qu’un anglais, depuis, vandale enthousiaste, a acheté deux cents francs, scié et emporté. Wellington fut là froidement héroïque. Les boulets pleuvaient. L’aide de camp Gordon venait de tomber à côté de lui. Lord Hill, lui montrant un obus qui éclatait, lui dit : — Milord, quelles sont vos instructions, et quels ordres nous laissez-vous, si vous vous faites tuer ? — De faire comme moi, répondit Wellington. À Clinton, il dit laconiquement : — Tenir ici jusqu’au dernier homme. — La journée, visiblement, tournait mal. Wellington criait à ses anciens compagnons de Talavera, de Vitoria et de Salamanque : — Boys (garçons) ! est-ce qu’on peut songer à lâcher pied ? pensez à la vieille Angleterre !

    Vers quatre heures, la ligne anglaise s’ébranla en arrière. Tout à coup on ne vit plus sur la crête du plateau que l’artillerie et les tirailleurs, le reste disparut ; les régiments, chassés par les obus et les boulets français, se replièrent dans le fond que coupe encore aujourd’hui le sentier de service de la ferme de Mont-Saint-Jean, un mouvement rétrograde se fit, le front de bataille anglais se déroba, Wellington recula. — Commencement de retraite ! cria Napoléon.


     

    VII


     

    NAPOLÉON DE BELLE HUMEUR


    L’empereur, quoique malade et gêné à cheval par une souffrance locale, n’avait jamais été de si bonne humeur que ce jour-là. Depuis le matin, son impénétrabilité souriait. Le 18 juin 1815, cette âme profonde, masquée de marbre, rayonnait aveuglément. L’homme qui avait été sombre à Austerlitz fut gai à Waterloo. Les plus grands prédestinés font de ces contre-sens. Nos joies sont de l’ombre. Le suprême sourire est à Dieu.

    Ridet Caesar, Pompeius flebit, disaient les légionnaires de la légion Fulminatrix. Pompée cette fois ne devait pas pleurer, mais il est certain que César riait.

    Dès la veille, la nuit, à une heure, explorant à cheval, sous l’orage et sous la pluie, avec Bertrand, les collines qui avoisinent Rossomme, satisfait de voir la longue ligne des feux anglais illuminant tout l’horizon de Frischemont à Braine-l’Alleud, il lui avait semblé que le destin assigné par lui à jour fixe sur le champ de Waterloo, était exact ; il avait arrêté son cheval, et était demeuré quelque temps immobile, regardant les éclairs, écoutant le tonnerre, et on avait entendu ce fataliste jeter dans l’ombre cette parole mystérieuse : « Nous sommes d’accord. » Napoléon se trompait. Ils n’étaient plus d’accord.

    Il n’avait pas pris une minute de sommeil, tous les instants de cette nuit-là avaient été marqués pour lui par une joie. Il avait parcouru toute la ligne des grand’gardes, en s’arrêtant çà et là pour parler aux vedettes. À deux heures et demie, près du bois d’Hougomont, il avait entendu le pas d’une colonne en marche ; il avait cru un moment à la reculade de Wellington. Il avait dit : C’est l’arrière-garde anglaise qui s’ébranle pour décamper. Je ferai prisonniers les six mille anglais qui viennent d’arriver à Ostende. Il causait avec expansion ; il avait retrouvé cette verve du débarquement du 1er mars, quand il montrait au grand-maréchal le paysan enthousiaste du golfe Juan, en s’écriant : — Eh bien, Bertrand, voilà déjà du renfort ! La nuit du 17 au 18 juin, il raillait Wellington. — Ce petit anglais a besoin d’une leçon, disait Napoléon. La pluie redoublait ; il tonnait pendant que l’empereur parlait.

    À trois heures et demie du matin, il avait perdu une illusion ; des officiers envoyés en reconnaissance lui avaient annoncé que l’ennemi ne faisait aucun mouvement. Rien ne bougeait ; pas un feu de bivouac n’était éteint. L’armée anglaise dormait. Le silence était profond sur la terre ; il n’y avait de bruit que dans le ciel. À quatre heures, un paysan lui avait été amené par les coureurs ; ce paysan avait servi de guide à une brigade de cavalerie anglaise, probablement la brigade Vivian, qui allait prendre position au village d’Ohain, à l’extrême gauche. À cinq heures, deux déserteurs belges lui avaient rapporté qu’ils venaient de quitter leur régiment, et que l’armée anglaise attendait la bataille. ― Tant mieux ! s’était écrié Napoléon. J’aime encore mieux les culbuter que les refouler.

    Le matin, sur la berge qui fait l’angle du chemin de Plancenoit, il avait mis pied à terre dans la boue, s’était fait apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s’était assis, avec une botte de paille pour tapis, et avait déployé sur la table la carte du champ de bataille, en disant : Joli échiquier !

    Par suite des pluies de la nuit, les convois de vivres, empêtrés dans des routes défoncées, n’avaient pu arriver le matin, le soldat n’avait pas dormi, était mouillé, et était à jeun ; cela n’avait pas empêché Napoléon de crier allègrement à Ney : Nous avons quatrevingt-dix chances sur cent. À huit heures, on avait apporté le déjeuner de l’empereur. Il y avait invité plusieurs généraux. Tout en déjeunant, on avait raconté que Wellington était l’avant-veille au bal à Bruxelles, chez la duchesse de Richmond, et Soult, rude homme de guerre avec une figure d’archevêque, avait dit : Le bal, c’est aujourd’hui. L’empereur avait plaisanté Ney qui disait : Wellington ne sera pas assez simple pour attendre votre majesté. C’était là d’ailleurs sa manière. Il badinait volontiers, dit Fleury de Chaboulon. Le fond de son caractère était une humeur enjouée, dit Gourgaud. Il abondait en plaisanteries, plutôt bizarres que spirituelles, dit Benjamin Constant. Ces gaîtés de géants valent la peine qu’on y insiste. C’est lui qui avait appelé ses grenadiers « les grognards » ; il leur pinçait l’oreille, il leur tirait la moustache. L’empereur ne faisait que nous faire des niches ; ceci est un mot de l’un d’eux. Pendant le mystérieux trajet de l’île d’Elbe en France, le 27 février, en pleine mer, le brick de guerre français le Zéphir ayant rencontré le brick l’Inconstant où Napoléon était caché et ayant demandé à l’Inconstant des nouvelles de Napoléon, l’empereur, qui avait encore en ce moment-là à son chapeau la cocarde blanche et amarante semée d’abeilles, adoptée par lui à l’île d’Elbe, avait pris en riant le porte-voix et avait répondu lui-même : L’empereur se porte bien. Qui rit de la sorte est en familiarité avec les événements. Napoléon avait eu plusieurs accès de rire pendant le déjeuner de Waterloo. Après le déjeuner il s’était recueilli un quart d’heure, puis deux généraux s’étaient assis sur la botte de paille, une plume à la main, une feuille de papier sur le genou, et l’empereur leur avait dicté l’ordre de bataille.

    À neuf heures, à l’instant où l’armée française, échelonnée et mise en mouvement sur cinq colonnes, s’était déployée, les divisions sur deux lignes, l’artillerie entre les brigades, musique en tête, battant aux champs, avec les roulements des tambours et les sonneries des trompettes, puissante, vaste, joyeuse, mer de casques, de sabres et de bayonnettes sur l’horizon, l’empereur, ému, s’était écrié à deux reprises : « Magnifique ! magnifique ! »

    De neuf heures à dix heures et demie, toute l’armée, ce qui semble incroyable, avait pris position et s’était rangée sur six lignes, formant pour répéter l’expression de l’empereur « la figure de six V ». Quelques instants après la formation du front de bataille, au milieu de ce profond silence de commencement d’orage qui précède les mêlées, voyant défiler les trois batteries de douze, détachées sur son ordre des trois corps de d’Erlon, de Reille et de Lobau, et destinées à commencer l’action en battant Mont-Saint-Jean où est l’intersection des routes de Nivelles et de Genappe, l’empereur avait frappé sur l’épaule de Haxo en lui disant : Voilà vingt-quatre belles filles, général.

    Sûr de l’issue, il avait encouragé d’un sourire, à son passage devant lui, la compagnie de sapeurs du premier corps, désignée par lui pour se barricader dans Mont-Saint-Jean, sitôt le village enlevé. Toute cette sérénité n’avait été traversée que par un mot de pitié hautaine ; en voyant à sa gauche, à un endroit où il y a aujourd’hui une grande tombe, se masser avec leurs chevaux superbes ces admirables Écossais gris, il avait dit : C’est dommage.

    Puis il était monté à cheval, s’était porté en avant de Rossomme, et avait choisi pour observatoire une étroite croupe de gazon à droite de la route de Genappe à Bruxelles, qui fut sa seconde station pendant la bataille. La troisième station, celle de sept heures du soir, entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte, est redoutable ; c’est un tertre assez élevé qui existe encore et derrière lequel la garde était massée dans une déclivité de la plaine. Autour de ce tertre, les boulets ricochaient sur le pavé de la chaussée jusqu’à Napoléon. Comme à Brienne, il avait sur sa tête le sifflement des balles et des biscaïens. On a ramassé, presque à l’endroit où étaient les pieds de son cheval, des boulets vermoulus, de vieilles lames de sabre et des projectiles informes, mangés de rouille. Scabra rubigine. Il y a quelques années, on y a déterré un obus de soixante, encore chargé, dont la fusée s’était brisée au ras de la bombe. C’est à cette dernière station que l’empereur disait à son guide Lacoste, un paysan hostile, effaré, attaché à la selle d’un hussard, se retournant à chaque paquet de mitraille, et tâchant de se cacher derrière lui : — Imbécile ! c’est honteux, tu vas te faire tuer dans le dos. Celui qui écrit ces lignes a trouvé lui-même dans le talus friable de ce tertre, en creusant le sable, les restes du col d’une bombe désagrégés par l’oxyde de quarante-six années, et de vieux tronçons de fer qui cassaient comme des bâtons de sureau entre ses doigts.

    Les ondulations des plaines diversement inclinées où eut lieu la rencontre de Napoléon et de Wellington ne sont plus, personne ne l’ignore, ce qu’elles étaient le 18 juin 1815. En prenant à ce champ funèbre de quoi lui faire un monument, on lui a ôté son relief réel, et l’histoire déconcertée ne s’y reconnaît plus. Pour le glorifier, on l’a défiguré. Wellington, deux ans après, revoyant Waterloo, s’est écrié : On m’a changé mon champ de bataille. Là où est aujourd’hui la grosse pyramide de terre surmontée du lion, il y avait une crête qui, vers la route de Nivelles, s’abaissait en rampe praticable, mais qui, du côté de la chaussée de Genappe, était presque un escarpement. L’élévation de cet escarpement peut encore être mesurée aujourd’hui par la hauteur des deux tertres des deux grandes sépultures qui encaissent la route de Genappe à Bruxelles ; l’une, le tombeau anglais, à gauche ; l’autre, le tombeau allemand, à droite. Il n’y a point de tombeau français. Pour la France, toute cette plaine est sépulcre. Grâce aux mille et mille charretées de terre employées à la butte de cent cinquante pieds de haut et d’un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd’hui accessible en pente douce ; le jour de la bataille, surtout du côté de la Haie-Sainte, il était d’un abord âpre et abrupt. Le versant là était si incliné que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d’eux la ferme située au fond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore raviné cette roideur, la fange compliquait la montée, et non seulement on gravissait, mais on s’embourbait. Le long de la crête du plateau courait une sorte de fossé impossible à deviner pour un observateur lointain.

    Qu’était-ce que ce fossé ? Disons-le. Braine-l’Alleud est un village de Belgique, Ohain en est un autre. Ces villages, cachés tous les deux dans des courbes de terrain, sont joints par un chemin d’une lieue et demie environ qui traverse une plaine à niveau ondulant, et souvent entre et s’enfonce dans des collines comme un sillon, ce qui fait que sur divers points cette route est un ravin. En 1815, comme aujourd’hui, cette route coupait la crête du plateau de Mont-Saint-Jean entre les deux chaussées de Genappe et de Nivelles ; seulement, elle est aujourd’hui de plain-pied avec la plaine ; elle était alors chemin creux. On lui a pris ses deux talus pour la butte-monument. Cette route était et est encore une tranchée dans la plus grande partie de son parcours ; tranchée creuse quelquefois d’une douzaine de pieds et dont les talus trop escarpés s’écroulaient çà et là, surtout en hiver, sous les averses. Des accidents y arrivaient. La route était si étroite à l’entrée de Braine-l’Alleud qu’un passant y avait été broyé par un chariot, comme le constate une croix de pierre debout près du cimetière qui donne le nom du mort, Monsieur Bernard Debrye, marchand à Bruxelles, et la date de l’accident, février 1637*. Elle était si profonde sur le plateau du Mont-Saint-Jean, qu’un paysan, Mathieu Nicaise, y avait été écrasé en 1783 par un éboulement du talus, comme le constatait une autre croix de pierre dont le faîte a disparu dans les défrichements, mais dont le piédestal renversé est encore visible aujourd’hui sur la pente du gazon à gauche de la chaussée entre la Haie-Sainte et la ferme du Mont-Saint-Jean.

    * Voici l’inscription :

    DOM
    CY A ÉTÉ ÉCRASÉ
    PAR MALHEUR
    SOUS UN CHARIOT
    MONSIEUR BERNARD
    DE BRYE MARCHAND
    A BRUXELLE LE (illisible)
    FEBVRIER 1637


     

    Un jour de bataille, ce chemin creux dont rien n’avertissait, bordant la crête de Mont-Saint-Jean, fossé au sommet de l’escarpement, ornière cachée dans les terres, était invisible, c’est-à-dire terrible.


     

    VIII


     

    L’EMPEREUR FAIT UNE QUESTION
    AU GUIDE LACOSTE


     

    Donc, le matin de Waterloo, Napoléon était content.

    Il avait raison ; le plan de bataille, conçu par lui, nous l’avons constaté, était en effet admirable.

    Une fois la bataille engagée, ses péripéties très diverses, la résistance d’Hougomont, la ténacité de la Haie-Sainte, Bauduin tué, Foy mis hors de combat, la muraille inattendue où s’était brisée la brigade Soye, l’étourderie fatale de Guillemot n’ayant ni pétards ni sacs à poudre, l’embourbement des batteries, les quinze pièces sans escorte culbutées par Uxbridge dans un chemin creux, le peu d’effet des bombes tombant dans les lignes anglaises, s’y enfouissant dans le sol détrempé par les pluies et ne réussissant qu’à y faire des volcans de boue, de sorte que la mitraille se changeait en éclaboussure, l’inutilité de la démonstration de Piré sur Braine-l’Alleud, toute cette cavalerie, quinze escadrons, à peu près annulée, l’aile droite anglaise mal inquiétée, l’aile gauche mal entamée, l’étrange malentendu de Ney, massant au lieu de les échelonner, les quatre divisions du premier corps, des épaisseurs de vingt-sept rangs et des fronts de deux cents hommes livrés de la sorte à la mitraille, l’effrayante trouée des boulets dans ces masses, les colonnes d’attaque désunies, la batterie d’écharpe brusquement démasquée sur leur flanc, Bourgeois, Donzelot et Durutte compromis, Quiot repoussé, le lieutenant Vieux, cet hercule sorti de l’école polytechnique, blessé au moment où il enfonçait à coups de hache la porte de la Haie-Sainte sous le feu plongeant de la barricade anglaise barrant le coude de la route de Genappe à Bruxelles, la division Marcognet, prise entre l’infanterie et la cavalerie, fusillée à bout portant dans les blés par Best et Pack, sabrée par Ponsomby, sa batterie de sept pièces enclouée, le prince de Saxe-Weimar tenant et gardant, malgré le comte d’Erlon, Frischemont et Smohain, le drapeau du 105e pris, le drapeau du 45e pris, ce hussard noir prussien arrêté par les coureurs de la colonne volante de trois cents chasseurs battant l’estrade entre Wavre et Plancenoit, les choses inquiétantes que ce prisonnier avait dites, le retard de Grouchy, les quinze cents hommes tués en moins d’une heure dans le verger d’Hougomont, les dix-huit cents hommes couchés en moins de temps encore autour de la Haie-Sainte, tous ces incidents orageux, passant comme les nuées de la bataille devant Napoléon, avaient à peine troublé son regard et n’avaient point assombri cette face impériale de la certitude. Napoléon était habitué à regarder la guerre fixement ; il ne faisait jamais chiffre à chiffre l’addition poignante du détail ; les chiffres lui importaient peu, pourvu qu’ils donnassent ce total : victoire ; que les commencements s’égarassent, il ne s’en alarmait point, lui qui se croyait maître et possesseur de la fin ; il savait attendre, se supposant hors de question, et il traitait le destin d’égal à égal. Il paraissait dire au sort : tu n’oserais pas.

    Mi-parti lumière et ombre, Napoléon se sentait protégé dans le bien et toléré dans le mal. Il avait ou croyait avoir pour lui, une connivence, on pourrait presque dire une complicité des événements, équivalente à l’antique invulnérabilité.

    Pourtant, quand on a derrière soi la Bérésina, Leipsick et Fontainebleau, il semble qu’on pourrait se défier de Waterloo. Un mystérieux froncement de sourcil devient visible au fond du ciel.

    Au moment où Wellington rétrograda, Napoléon tressaillit. Il vit subitement le plateau de Mont-Saint-Jean se dégarnir et le front de l’armée anglaise disparaître. Elle se ralliait, mais se dérobait. L’empereur se souleva à demi sur ses étriers. L’éclair de la victoire passa dans ses yeux.

    Wellington acculé à la forêt de Soignes et détruit, c’était le terrassement définitif de l’Angleterre par la France ; c’était Crécy, Poitiers, Malplaquet et Ramillies vengés. L’homme de Marengo raturait Azincourt.

    L’empereur alors, méditant la péripétie terrible, promena une dernière fois sa lunette sur tous les points du champ de bataille. Sa garde, l’arme au pied derrière lui, l’observait d’en bas avec une sorte de religion. Il songeait ; il examinait les versants, notait les pentes, scrutait le bouquet d’arbres, le carré de seigles, le sentier ; il semblait compter chaque buisson. Il regarda avec quelque fixité les barricades anglaises des deux chaussées, deux larges abattis d’arbres, celle de la chaussée de Genappe au-dessus de la Haie-Sainte, armée de deux canons, les seuls de toute l’artillerie anglaise qui vissent le fond du champ de bataille, et celle de la chaussée de Nivelles où étincelaient les bayonnettes hollandaises de la brigade Chassé. Il remarqua près de cette barricade la vieille chapelle de Saint-Nicolas peinte en blanc qui est à l’angle de la traverse vers Braine-l’Alleud. Il se pencha et parla à demi-voix au guide Lacoste. Le guide fit un signe de tête négatif, probablement perfide.

    L’empereur se redressa et se recueillit.

    Wellington avait reculé. Il ne restait plus qu’à achever ce recul par un écrasement.

    Napoléon, se retournant brusquement, expédia une estafette à franc étrier à Paris pour y annoncer que la bataille était gagnée.

    Napoléon était un de ces génies d’où sort le tonnerre.

    Il venait de trouver son coup de foudre.

    Il donna l’ordre aux cuirassiers de Milhaud d’enlever le plateau de Mont-Saint-Jean.


     

    IX


     

    L’INATTENDU


     

    Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d’un quart de lieue. C’étaient des hommes géants sur des chevaux colosses. Ils étaient vingt-six escadrons ; et ils avaient derrière eux, pour les appuyer, la division de Lefebvre-Desnouettes, les cent six gendarmes d’élite, les chasseurs de la garde, onze cent quatrevingt-dix-sept hommes, et les lanciers de la garde, huit cent quatrevingts lances. Ils portaient le casque sans crins et la cuirasse de fer battu, avec les pistolets d’arçon dans les fontes et le long sabre-épée. Le matin toute l’armée les avait admirés, quand, à neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantant Veillons au salut de l’empire, ils étaient venus, colonne épaisse, une de leurs batteries à leur flanc, l’autre à leur centre, se déployer sur deux rangs entre la chaussée de Genappe et Frischemont, et prendre leur place de bataille dans cette puissante deuxième ligne, si savamment composée par Napoléon, laquelle, ayant à son extrémité de gauche les cuirassiers de Kellerman et à son extrémité de droite les cuirassiers de Milhaud, avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.

    L’aide de camp Bernard leur porta l’ordre de l’empereur. Ney tira son épée et prit la tête. Les escadrons énormes s’ébranlèrent.

    Alors on vit un spectacle formidable.

    Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonne par division, descendit d’un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l’autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables ; dans les intervalles de la mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.

    Rien de semblable ne s’était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie ; Murat y manquait, mais Ney s’y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l’hydre.

    Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.

    Bizarre coïncidence numérique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrière la crête du plateau, à l’ombre de la batterie masquée, l’infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l’épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d’hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre.

    Tout à coup, chose tragique, à la gauche des anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crête, effrénés, tout à leur furie et à leur course d’extermination sur les carrés et les canons, les cuirassiers venaient d’apercevoir entre eux et les anglais un fossé, une fosse. C’était le chemin creux d’Ohain.

    L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus ; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n’était plus qu’un projectile, la force acquise pour écraser les anglais écrasa les français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé, cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu’une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d’hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme.

    Ceci commença la perte de la bataille.

    Une tradition locale, qui exagère évidemment, dit que deux mille chevaux et quinze cents hommes furent ensevelis dans le chemin creux d’Ohain. Ce chiffre vraisemblablement comprend tous les autres cadavres qu’on jeta dans ce ravin le lendemain du combat.

    Notons en passant que c’était cette brigade Dubois, si funestement éprouvée, qui, une heure auparavant, chargeant à part, avait enlevé le drapeau du bataillon de Lunebourg.

    Napoléon, avant d’ordonner cette charge des cuirassiers de Milhaud, avait scruté le terrain, mais n’avait pu voir ce chemin creux qui ne faisait pas même une ride à la surface du plateau. Averti pourtant et mis en éveil par la petite chapelle blanche qui en marque l’angle sur la chaussée de Nivelles, il avait fait, probablement sur l’éventualité d’un obstacle, une question au guide Lacoste. Le guide avait répondu non. On pourrait presque dire que de ce signe de tête d’un paysan est sortie la catastrophe de Napoléon.

    D’autres fatalités encore devaient surgir.

    Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille ? nous répondons non. Pourquoi ? À cause de Wellington ? à cause de Blücher ? Non. À cause de Dieu.

    Bonaparte vainqueur à Waterloo, ceci n’était plus dans la loi du dix-neuvième siècle. Une autre série de faits se préparait, où Napoléon n’avait plus de place. La mauvaise volonté des événements s’était annoncée de longue date.

    Il était temps que cet homme vaste tombât.

    L’excessive pesanteur de cet homme dans la destinée humaine troublait l’équilibre. Cet individu comptait à lui seul plus que le groupe universel. Ces pléthores de toute la vitalité humaine concentrée dans une seule tête, le monde montant au cerveau d’un homme, cela serait mortel à la civilisation si cela durait. Le moment était venu pour l’incorruptible équité suprême d’aviser. Probablement les principes et les éléments, d’où dépendent les gravitations régulières dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, se plaignaient. Le sang qui fume, le trop-plein des cimetières, les mères en larmes, ce sont des plaidoyers redoutables. Il y a, quand la terre souffre d’une surcharge, de mystérieux gémissements de l’ombre, que l’abîme entend.

    Napoléon avait été dénoncé dans l’infini, et sa chute était décidée.

    Il gênait Dieu.

    Waterloo n’est point une bataille ; c’est le changement de front de l’univers.


     

    X


     

    LE PLATEAU DE MONT-SAINT-JEAN


     

    En même temps que le ravin, la batterie s’était démasquée.

    Soixante canons et les treize carrés foudroyèrent les cuirassiers à bout portant. L’intrépide général Delord fit le salut militaire à la batterie anglaise.

    Toute l’artillerie volante anglaise était rentrée au galop dans les carrés. Les cuirassiers n’eurent pas même un temps d’arrêt. Le désastre du chemin creux les avait décimés, mais non découragés. C’étaient de ces hommes qui, diminués de nombre, grandissent de cœur.

    La colonne Wathier seule avait souffert du désastre ; la colonne Delord, que Ney avait fait obliquer à gauche, comme s’il pressentait l’embûche, était arrivée entière.

    Les cuirassiers se ruèrent sur les carrés anglais.

    Ventre à terre, brides lâchées, sabre aux dents, pistolets au poing, telle fut l’attaque.

    Il y a des moments dans les batailles où l’âme durcit l’homme jusqu’à changer le soldat en statue, et où toute cette chair se fait granit. Les bataillons anglais, éperdument assaillis, ne bougèrent pas.

    Alors ce fut effrayant.

    Toutes les faces des carrés anglais furent attaquées à la fois. Un tournoiement frénétique les enveloppa. Cette froide infanterie demeura impassible. Le premier rang, genou en terre, recevait les cuirassiers sur les bayonnettes, le second rang les fusillait ; derrière le second rang les canonniers chargeaient les pièces, le front du carré s’ouvrait, laissait passer une éruption de mitraille et se refermait. Les cuirassiers répondaient par l’écrasement. Leurs grands chevaux se cabraient, enjambaient les rangs, sautaient par-dessus les bayonnettes et tombaient, gigantesques, au milieu de ces quatre murs vivants. Les boulets faisaient des trouées dans les cuirassiers, les cuirassiers faisaient des brèches dans les carrés. Des files d’hommes disparaissaient broyées sous les chevaux. Les bayonnettes s’enfonçaient dans les ventres de ces centaures. De là une difformité de blessures qu’on n’a pas vue peut-être ailleurs. Les carrés, rongés par cette cavalerie forcenée, se rétrécissaient sans broncher. Inépuisables en mitraille, ils faisaient explosion au milieu des assaillants. La figure de ce combat était monstrueuse. Ces carrés n’étaient plus des bataillons, c’étaient des cratères ; ces cuirassiers n’étaient plus une cavalerie, c’était une tempête. Chaque carré était un volcan attaqué par un nuage ; la lave combattait la foudre.

    Le carré extrême de droite, le plus exposé de tous, étant en l’air, fut presque anéanti dès les premiers chocs. Il était formé du 75e régiment de highlanders. Le joueur de cornemuse au centre, pendant qu’on s’exterminait autour de lui, baissant dans une inattention profonde son œil mélancolique plein du reflet des forêts et des lacs, assis sur un tambour, son pibroch sous le bras, jouait les airs de la montagne. Ces Écossais mouraient en pensant au Ben Lothian, comme les Grecs en se souvenant d’Argos. Le sabre d’un cuirassier, abattant le pibroch et le bras qui le portait, fit cesser le chant en tuant le chanteur.

    Les cuirassiers, relativement peu nombreux, amoindris par la catastrophe du ravin, avaient là contre eux presque toute l’armée anglaise, mais ils se multipliaient, chaque homme valant dix. Cependant quelques bataillons hanovriens plièrent. Wellington le vit, et songea à sa cavalerie. Si Napoléon, en ce moment-là même, eût songé à son infanterie, il eût gagné la bataille. Cet oubli fut sa grande faute fatale.

    Tout à coup les cuirassiers, assaillants, se sentirent assaillis. La cavalerie anglaise était sur leur dos. Devant eux les carrés, derrière eux Somerset ; Somerset, c’étaient les quatorze cents dragons-gardes. Somerset avait à sa droite Dornberg avec les chevau-légers allemands, et à sa gauche Trip avec les carabiniers belges ; les cuirassiers, attaqués en flanc et en tête, en avant et en arrière, par l’infanterie et par la cavalerie, durent faire face de tous les côtés. Que leur importait ? ils étaient tourbillon. La bravoure devint inexprimable.

    En outre, ils avaient derrière eux la batterie toujours tonnante. Il fallait cela pour que ces hommes fussent blessés dans le dos. Une de leurs cuirasses, trouée à l’omoplate gauche d’un biscayen, est dans la collection dite musée de Waterloo.

    Pour de tels français, il ne fallait pas moins que de tels anglais.

    Ce ne fut plus une mêlée, ce fut une ombre, une furie, un vertigineux emportement d’âmes et de courages, un ouragan d’épées éclairs. En un instant les quatorze cents dragons-gardes ne furent plus que huit cents ; Fuller, leur lieutenant-colonel, tomba mort. Ney accourut avec les lanciers et les chasseurs de Lefebvre-Desnouettes. Le plateau de Mont-Saint-Jean fut pris, repris, pris encore. Les cuirassiers quittaient la cavalerie pour retourner à l’infanterie, ou, pour mieux dire, toute cette cohue formidable se colletait sans que l’un lâchât l’autre. Les carrés tenaient toujours. Il y eut douze assauts. Ney eut quatre chevaux tués sous lui. La moitié des cuirassiers resta sur le plateau. Cette lutte dura deux heures.

    L’armée anglaise en fut profondément ébranlée. Nul doute que, s’ils n’eussent été affaiblis dans leur premier choc par le désastre du chemin creux, les cuirassiers n’eussent culbuté le centre et décidé la victoire. Cette cavalerie extraordinaire pétrifia Clinton qui avait vu Talavera et Badajoz. Wellington, aux trois quarts vaincu, admirait héroïquement. Il disait à demi-voix : Sublime [2] !

    Les cuirassiers anéantirent sept carrés sur treize, prirent ou enclouèrent soixante pièces de canon, et enlevèrent aux régiments anglais six drapeaux, que trois cuirassiers et trois chasseurs de la garde allèrent porter à l’empereur devant la ferme de la Belle-Alliance.

    La situation de Wellington avait empiré. Cette étrange bataille était comme un duel entre deux blessés acharnés qui, chacun de leur côté, tout en combattant et en se résistant toujours, perdent tout leur sang. Lequel des deux tombera le premier ?

    La lutte du plateau continuait.

    Jusqu’où sont allés les cuirassiers ? personne ne saurait le dire. Ce qui est certain, c’est que, le lendemain de la bataille, un cuirassier et son cheval furent trouvés morts dans la charpente de la bascule du pesage des voitures à Mont-Saint-Jean, au point même où s’entrecoupent et se rencontrent les quatre routes de Nivelles, de Genappe, de La Hulpe et de Bruxelles. Ce cavalier avait percé les lignes anglaises. Un des hommes qui ont relevé ce cadavre vit encore à Mont-Saint-Jean. Il se nomme Dehaze. Il avait alors dix-huit ans.

    Wellington se sentait pencher. La crise était proche.

    Les cuirassiers n’avaient point réussi, en ce sens que le centre n’était pas enfoncé. Tout le monde ayant le plateau, personne ne l’avait, et en somme il restait pour la plus grande part aux anglais. Wellington avait le village et la plaine culminante ; Ney n’avait que la crête et la pente. Des deux côtés on semblait enraciné dans ce sol funèbre.

    Mais l’affaiblissement des anglais paraissait irrémédiable. L’hémorrhagie de cette armée était horrible. Kempt, à l’aile gauche, réclamait du renfort. — Il n’y en a pas, répondait Wellington, qu’il se fasse tuer ! — Presque à la même minute, rapprochement singulier qui peint l’épuisement des deux armées, Ney demandait de l’infanterie à Napoléon, et Napoléon s’écriait : De l’infanterie ! où veut-il que j’en prenne ? Veut-il que j’en fasse ?

    Pourtant l’armée anglaise était la plus malade. Les poussées furieuses de ces grands escadrons à cuirasses de fer et à poitrines d’acier avaient broyé l’infanterie. Quelques hommes autour d’un drapeau marquaient la place d’un régiment, tel bataillon n’était plus commandé que par un capitaine ou par un lieutenant ; la division Alten, déjà si maltraitée à la Haie-Sainte, était presque détruite ; les intrépides Belges de la brigade Van Kluze jonchaient les seigles le long de la route de Nivelles ; il ne restait presque rien de ces grenadiers hollandais qui, en 1811, mêlés en Espagne à nos rangs, combattaient Wellington, et qui, en 1815, ralliés aux anglais, combattaient Napoléon. La perte en officiers était considérable. Lord Uxbridge, qui le lendemain fit enterrer sa jambe, avait le genou fracassé. Si, du côté des français, dans cette lutte des cuirassiers, Delord, Lhéritier, Colbert, Dnop, Travers et Blancard étaient hors de combat, du côté des anglais, Alten était blessé, Barne était blessé, Delancey était tué, Van Meeren était tué, Ompteda était tué, tout l’état-major de Wellington était décimé, et l’Angleterre avait le pire partage dans ce sanglant équilibre. Le 2e régiment des gardes à pied avait perdu cinq lieutenants-colonels, quatre capitaines et trois enseignes ; le premier bataillon du 30e d’infanterie avait perdu vingt-quatre officiers et cent douze soldats ; le 79e montagnards avait vingt-quatre officiers blessés, dix-huit officiers morts, quatre cent cinquante soldats tués. Les hussards hanovriens de Cumberland, un régiment tout entier, ayant à sa tête son colonel Hacke, qui devait plus tard être jugé et cassé, avaient tourné bride devant la mêlée et étaient en fuite dans la forêt de Soignes, semant la déroute jusqu’à Bruxelles. Les charrois, les prolonges, les bagages, les fourgons pleins de blessés, voyant les français gagner du terrain et s’approcher de la forêt, s’y précipitaient ; les Hollandais, sabrés par la cavalerie française, criaient : Alarme ! De Vert-Coucou jusqu’à Groenendael, sur une longueur de près de deux lieues dans la direction de Bruxelles, il y avait, au dire des témoins qui existent encore, un encombrement de fuyards. Cette panique fut telle qu’elle gagna le prince de Condé à Malines et Louis XVIII à Gand. À l’exception de la faible réserve échelonnée derrière l’ambulance établie dans la ferme de Mont-Saint-Jean et des brigades Vivian et Vandeleur qui flanquaient l’aile gauche, Wellington n’avait plus de cavalerie. Nombre de batteries gisaient démontées. Ces faits sont avoués par Siborne ; et Pringle, exagérant le désastre, va jusqu’à dire que l’armée anglo-hollandaise était réduite à trente-quatre mille hommes. Le duc-de-fer demeurait calme, mais ses lèvres avaient blêmi. Le commissaire autrichien Vincent, le commissaire espagnol Alava, présents à la bataille dans l’état-major anglais, croyaient le duc perdu. À cinq heures, Wellington tira sa montre, et on l’entendit murmurer ce mot sombre : Blücher, ou la nuit !

    Ce fut vers ce moment-là qu’une ligne lointaine de bayonnettes étincela sur les hauteurs du côté de Frischemont.

    Ici est la péripétie de ce drame géant.


     

    XI


     

    MAUVAIS GUIDE À NAPOLÉON, BON GUIDE
    À BULOW


     

    On connaît la poignante méprise de Napoléon : Grouchy espéré, Blücher survenant ; la mort au lieu de la vie.

    La destinée a de ces tournants ; on s’attendait au trône du monde ; on aperçoit Sainte-Hélène.

    Si le petit pâtre, qui servait de guide à Bülow, lieutenant de Blücher, lui eût conseillé de déboucher de la forêt au-dessus de Frischemont plutôt qu’au dessous de Plancenoit, la forme du dix-neuvième siècle eût peut-être été différente. Napoléon eût gagné la bataille de Waterloo. Par tout autre chemin qu’au-dessous de Plancenoit, l’armée prussienne aboutissait à un ravin infranchissable à l’artillerie, et Bülow n’arrivait pas.

    Or, une heure de retard, c’est le général prussien Muffling qui le déclare, et Blücher n’aurait plus trouvé Wellington debout ; « la bataille était perdue ».

    Il était temps, on le voit, que Bülow arrivât. Il avait du reste été fort retardé. Il avait bivouaqué à Dion-le-Mont et était parti dès l’aube. Mais les chemins étaient impraticables et ses divisions s’étaient embourbées. Les ornières venaient au moyeu des canons. En outre, il avait fallu passer la Dyle sur l’étroit pont de Wavre ; la rue menant au pont avait été incendiée par les français ; les caissons et les fourgons de l’artillerie, ne pouvant passer entre deux rangs de maisons en feu, avaient dû attendre que l’incendie fût éteint. Il était midi que l’avant-garde de Bülow n’avait pu encore atteindre Chapelle-Saint-Lambert.

    L’action, commencée deux heures plus tôt, eût été finie à quatre heures, et Blücher serait tombé sur la bataille gagnée par Napoléon. Tels sont ces immenses hasards, proportionnés à un infini qui nous échappe.

    Dès midi, l’empereur, le premier, avec sa longue-vue, avait aperçu à l’extrême horizon quelque chose qui avait fixé son attention. Il avait dit : — Je vois là-bas un nuage qui me paraît être des troupes. Puis il avait demandé au duc de Dalmatie : — Soult, que voyez-vous vers Chapelle-Saint-Lambert ? — Le maréchal braquant sa lunette avait répondu : — Quatre ou cinq mille hommes, sire. Évidemment Grouchy. — Cependant cela restait immobile dans la brume. Toutes les lunettes de l’état-major avaient étudié « le nuage » signalé par l’empereur. Quelques-uns avaient dit : Ce sont des colonnes qui font halte. La plupart avaient dit : Ce sont des arbres. La vérité est que le nuage ne remuait pas. L’empereur avait détaché en reconnaissance vers ce point obscur la division de cavalerie légère de Domon.

    Bülow en effet n’avait pas bougé. Son avant-garde était très faible, et ne pouvait rien. Il devait attendre le gros du corps d’armée, et il avait l’ordre de se concentrer avant d’entrer en ligne ; mais à cinq heures, voyant le péril de Wellington, Blücher ordonna à Bülow d’attaquer et dit ce mot remarquable : « Il faut donner de l’air à l’armée anglaise. »

    Peu après, les divisions Losthin, Hiller, Hacke et Ryssel se déployaient devant le corps de Lobau, la cavalerie du prince Guillaume de Prusse débouchait du bois de Paris, Plancenoit était en flammes, et les boulets prussiens commençaient à pleuvoir jusque dans les rangs de la garde en réserve derrière Napoléon.


     

    XII


     

    LA GARDE


     

    On sait le reste : l’irruption d’une troisième armée, la bataille disloquée, quatrevingt-six bouches à feu tonnant tout à coup, Pirch Ier survenant avec Bülow, la cavalerie de Zieten menée par Blücher en personne, les français refoulés, Marcognet balayé du plateau d’Ohain, Durutte délogé de Papelotte, Donzelot et Quiot reculant, Lobau pris en écharpe, une nouvelle bataille se précipitant ; à la nuit tombante sur nos régiments démantelés, toute la ligne anglaise reprenant l’offensive et poussée en avant, la gigantesque trouée faite dans l’armée française, la mitraille anglaise et la mitraille prussienne s’entr’aidant, l’extermination, le désastre de front, le désastre en flanc, la garde entrant en ligne sous cet épouvantable écroulement.

    Comme elle sentait qu’elle allait mourir, elle cria : Vive l’empereur ! L’histoire n’a rien de plus émouvant que cette agonie éclatant en acclamations.

    Le ciel avait été couvert toute la journée. Tout à coup, en ce moment-là même, il était huit heures du soir, les nuages de l’horizon s’écartèrent et laissèrent passer, à travers les ormes de la route de Nivelles, la grande rougeur sinistre du soleil qui se couchait. On l’avait vu se lever à Austerlitz.

    Chaque bataillon de la garde, pour ce dénouement, était commandé par un général. Friant, Michel, Roguet, Harlet, Mallet, Poret de Morvan, étaient là. Quand les hauts bonnets des grenadiers de la garde avec la large plaque à l’aigle apparurent, symétriques, alignés, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mêlée, l’ennemi sentit le respect de la France ; on crut voir vingt victoires entrer sur le champ de bataille, ailes déployées, et ceux qui étaient vainqueurs, s’estimant vaincus, reculèrent ; mais Wellington cria : Debout, gardes, et visez juste ! le régiment rouge des gardes anglaises, couché derrière les haies, se leva, une nuée de mitraille cribla le drapeau tricolore frissonnant autour de nos aigles, tous se ruèrent, et le suprême carnage commença. La garde impériale sentit dans l’ombre l’armée lâchant pied autour d’elle, et le vaste ébranlement de la déroute, elle entendit le sauve-qui-peut ! qui avait remplacé le vive l’empereur ! et, avec la fuite derrière elle, elle continua d’avancer, de plus en plus foudroyée et mourant davantage à chaque pas qu’elle faisait. Il n’y eut point d’hésitants ni de timides. Le soldat dans cette troupe était aussi héros que le général. Pas un homme ne manqua au suicide.

    Ney, éperdu, grand de toute la hauteur de la mort acceptée, s’offrait à tous les coups dans cette tourmente. Il eut là son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, l’écume aux lèvres, l’uniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi coupée par le coup de sabre d’un horse-guard, sa plaque de grand-aigle bosselée par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une épée cassée à la main, il disait : Venez voir comment meurt un maréchal de France sur le champ de bataille ! Mais en vain ; il ne mourut pas. Il était hagard et indigné. Il jetait à Drouet d’Erlon cette question : Est-ce que tu ne te fais pas tuer, toi ? Il criait au milieu de toute cette artillerie écrasant une poignée d’hommes : — Il n’y a donc rien pour moi ! Oh ! je voudrais que tous ces boulets anglais m’entrassent dans le ventre ! Tu étais réservé à des balles françaises, infortuné !


     

    XIII


     

    LA CATASTROPHE


     

    La déroute derrière la garde fut lugubre.

    L’armée plia brusquement de tous les côtés à la fois, de Hougomont, de la Haie-Sainte, de Papelotte, de Plancenoit. Le cri trahison ! fut suivi du cri sauve-qui-peut ! Une armée qui se débande, c’est un dégel. Tout fléchit, se fêle, craque, flotte, roule, tombe, se heurte, se hâte, se précipite. Désagrégation inouïe. Ney emprunte un cheval, saute dessus, et, sans chapeau, sans cravate, sans épée, se met en travers de la chaussée de Bruxelles, arrêtant à la fois les anglais et les français. Il tâche de retenir l’armée, il la rappelle, il l’insulte, il se cramponne à la déroute. Il est débordé. Les soldats le fuient, en criant : Vive le maréchal Ney ! Deux régiments de Durutte vont et viennent effarés et comme ballottés entre le sabre des uhlans et la fusillade des brigades de Kempt, de Best, de Pack et de Rylandt ; la pire des mêlées, c’est la déroute, les amis s’entretuent pour fuir ; les escadrons et les bataillons se brisent et se dispersent les uns contre les autres, énorme écume de la bataille. Lobau à une extrémité comme Reille à l’autre sont roulés dans le flot. En vain Napoléon fait des murailles avec ce qui lui reste de la garde ; en vain il dépense à un dernier effort ses escadrons de service. Quiot recule devant Vivian, Kellermann devant Vandeleur, Lobau devant Bülow, Morand devant Pirch, Domon et Subervic devant le prince Guillaume de Prusse. Guyot, qui a mené à la charge les escadrons de l’empereur, tombe sous les pieds des dragons anglais. Napoléon court au galop le long des fuyards, les harangue, presse, menace, supplie. Toutes ces bouches qui criaient le matin : vive l’empereur ! restent béantes ; c’est à peine si on le connaît. La cavalerie prussienne, fraîche venue, s’élance, vole, sabre, taille, hache, tue, extermine. Les attelages se ruent, les canons se sauvent ; les soldats du train détellent les caissons et en prennent les chevaux pour s’échapper ; des fourgons culbutés les quatre roues en l’air entravent la route et sont des occasions de massacre. On s’écrase, on se foule, on marche sur les morts et sur les vivants. Les bras sont éperdus. Une multitude vertigineuse emplit les routes, les sentiers, les ponts, les plaines, les collines, les vallées, les bois, encombrés par cette évasion de quarante mille hommes. Cris, désespoirs, sacs et fusils jetés dans les seigles, passages frayés à coups d’épée, plus de camarades, plus d’officiers, plus de généraux, une inexprimable épouvante. Zieten sabrant la France à son aise. Les lions devenus chevreuils. Telle fut cette fuite.

    À Genappe, on essaya de se retourner, de faire front, d’enrayer. Lobau rallia trois cents hommes. On barricada l’entrée du village ; mais à la première volée de la mitraille prussienne, tout se remit à fuir, et Lobau fut pris. On voit encore aujourd’hui cette volée de mitraille empreinte sur le vieux pignon d’une masure en brique à droite de la route, quelques minutes avant d’entrer à Genappe. Les prussiens s’élancèrent dans Genappe, furieux sans doute d’être si peu vainqueurs. La poursuite fut monstrueuse. Blücher ordonna l’extermination. Roguet avait donné ce lugubre exemple de menacer de mort tout grenadier français qui lui amènerait un prisonnier prussien. Blücher dépassa Roguet. Le général de la jeune garde, Duhesme, acculé sur la porte d’une auberge de Genappe, rendit son épée à un hussard de la mort qui prit l’épée et tua le prisonnier. La victoire s’acheva par l’assassinat des vaincus. Punissons, puisque nous sommes l’histoire : le vieux Blücher se déshonora. Cette férocité mit le comble au désastre. La déroute désespérée traversa Genappe, traversa les Quatre-Bras, traversa Gosselies, traversa Frasnes, traversa Charleroi, traversa Thuin, et ne s’arrêta qu’à la frontière. Hélas ! et qui donc fuyait de la sorte ? la grande armée.

    Ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais étonné l’histoire, est-ce que cela est sans cause ? Non. L’ombre d’une droite énorme se projette sur Waterloo. C’est la journée du destin. La force au-dessus de l’homme a donné ce jour-là. De là le pli épouvanté des têtes ; de là toutes ces grandes âmes rendant leur épée. Ceux qui avaient vaincu l’Europe sont tombés terrassés, n’ayant plus rien à dire ni à faire, sentant dans l’ombre une présence terrible. Hoc erat in fatis. Ce jour-là, la perspective du genre humain a changé. Waterloo, c’est le gond du dix-neuvième siècle. La disparition du grand homme était nécessaire à l’avènement du grand siècle. Quelqu’un à qui on ne réplique pas s’en est chargé. La panique des héros s’explique. Dans la bataille de Waterloo, il y a plus du nuage, il y a du météore. Dieu a passé.

    À la nuit tombante, dans un champ près de Genappe, Bernard et Bertrand saisirent par un pan de sa redingote et arrêtèrent un homme hagard, pensif, sinistre, qui, entraîné jusque-là par le courant de la déroute, venait de mettre pied à terre, avait passé sous son bras la bride de son cheval, et, l’œil égaré, s’en retournait seul vers Waterloo. C’était Napoléon essayant encore d’aller en avant, immense somnambule de ce rêve écroulé.


     

    XIV


     

    LE DERNIER CARRÉ


     

    Quelques carrés de la garde, immobiles dans le ruissellement de la déroute comme des rochers dans de l’eau qui coule, tinrent jusqu’à la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inébranlables, s’en laissèrent envelopper. Chaque régiment, isolé des autres et n’ayant plus de lien avec l’armée rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernière action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean. Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux.

    Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de l’artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densité de projectiles, ce carré luttait. Il était commandé par un officier obscur nommé Cambronne. À chaque décharge, le carré diminuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade, rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, s’arrêtant par moment, essoufflés, écoutaient dans les ténèbres ce sombre tonnerre décroissant.

    Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !


     

    XV


     

    CAMBRONNE


     

    Le lecteur français voulant être respecté, le plus beau mot peut-être qu’un français ait jamais dit ne peut lui être répété. Défense de déposer du sublime dans l’histoire.

    À nos risques et périls, nous enfreignons cette défense.

    Donc, parmi tous ces géants, il y eut un titan, Cambronne.

    Dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu.

    L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n’est pas Napoléon en déroute, ce n’est pas Wellington pliant à quatre heures, désespéré à cinq, ce n’est pas Blücher qui ne s’est point battu ; l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne.

    Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre.

    Faire cette réponse à la catastrophe, dire cela au destin, donner cette base au lion futur, jeter cette réplique à la pluie de la nuit, au mur traître de Hougomont, au chemin creux d’Ohain, au retard de Grouchy, à l’arrivée de Blücher, être l’ironie dans le sépulcre, faire en sorte de rester debout après qu’on sera tombé, noyer dans deux syllabes la coalition européenne, offrir aux rois ces latrines déjà connues des césars, faire du dernier des mots le premier en y mêlant l’éclair de la France, clore insolemment Waterloo par le mardi gras, compléter Léonidas par Rabelais, résumer cette victoire dans une parole suprême impossible à prononcer, perdre le terrain et garder l’histoire, après ce carnage avoir pour soi les rieurs, c’est immense.

    C’est l’insulte à la foudre. Cela atteint la grandeur eschylienne.

    Le mot de Cambronne fait l’effet d’une fracture. Qu’est la fracture d’une poitrine par le dédain ; c’est le trop plein de l’agonie qui fait explosion. Qui a vaincu ? Est-ce Wellington ? Non. Sans Blücher il était perdu. Est-ce Blücher ? Non. Si Wellington n’eût pas commencé, Blücher n’aurait pu finir. Ce Cambronne, ce passant de la dernière heure, ce soldat ignoré, cet infiniment petit de la guerre, sent qu’il y a là un mensonge, un mensonge dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment où il en éclate de rage, on lui offre cette dérision : la vie ! Comment ne pas bondir ? Ils sont là, tous les rois de l’Europe, les généraux heureux, les Jupiters tonnants, ils ont cent mille soldats victorieux, et derrière les cent mille, un million, leurs canons, mèche allumée, sont béants, ils ont sous leurs talons la garde impériale et la grande armée, ils viennent d’écraser Napoléon, et il ne reste plus que Cambronne ; il n’y a plus pour protester que ce ver de terre. Il protestera. Alors il cherche un mot comme on cherche une épée. Il lui vient de l’écume, et cette écume, c’est le mot. Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément. Nous le répétons. Dire cela, faire cela, trouver cela, c’est être le vainqueur.

    L’esprit des grands jours entra dans cet homme inconnu à cette minute fatale. Cambronne trouve le mot de Waterloo comme Rouget de l’Isle trouve la Marseillaise, par visitation du souffle d’en haut. Un effluve de l’ouragan divin se détache et vient passer à travers ces hommes, et ils tressaillent, et l’un chante le chant suprême et l’autre pousse le cri terrible. Cette parole du dédain titanique, Cambronne ne la jette pas seulement à l’Europe au nom de l’empire, ce serait peu ; il la jette au passé au nom de la révolution. On l’entend, et l’on reconnaît dans Cambronne la vieille âme des géants. Il semble que c’est Danton qui parle ou Kléber qui rugit.

    Au mot de Cambronne, la voix anglaise répondit : feu ! les batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches d’airain sortit un dernier vomissement de mitraille épouvantable ; une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula, et, quand la fumée se dissipa, il n’y avait plus rien. Ce reste formidable était anéanti, la garde était morte. Les quatre murs de la redoute vivante gisaient, à peine distinguait-on çà et là un tressaillement parmi les cadavres ; et c’est ainsi que les légions françaises, plus grandes que les légions romaines, expirèrent à Mont-Saint-Jean sur la terre mouillée de pluie et de sang, dans les blés sombres, à l’endroit où passe maintenant à quatre heures du matin, en sifflant et en fouettant gaîment son cheval, Joseph, qui fait le service de la malle-poste de Nivelles.


     

    XVI


     

    QUOT LIBRAS IN DUCE ?


     

    La bataille de Waterloo est une énigme. Elle est aussi obscure pour ceux qui l’ont gagnée que pour celui qui l’ont perdue. Pour Napoléon, c’est une panique [3]. Blücher n’y voit que du feu ; Wellington n’y comprend rien. Voyez les rapports. Les bulletins sont confus, les commentaires sont embrouillés. Ceux-ci balbutient, ceux-là bégayent. Jomini partage la bataille de Waterloo en quatre moments ; Muffling la coupe en trois péripéties ; Charras, quoique sur quelques points nous ayons une autre appréciation que lui, a seul saisi de son fier coup d’œil les linéaments caractéristiques de cette catastrophe du génie humain aux prises avec le hasard divin. Tous les autres historiens ont un certain éblouissement, et dans cet éblouissement ils tâtonnent. Journée fulgurante, en effet, écroulement de la monarchie militaire qui, à la grande stupeur des rois, a entraîné tous les royaumes, chute de la force, déroute de la guerre.

    Dans cet événement, empreint de nécessité surhumaine, la part des hommes n’est rien.

    Retirer Waterloo à Wellington et à Blücher, est-ce ôter quelque chose à l’Angleterre et à l’Allemagne ? Non. Ni cette illustre Angleterre ni cette auguste Allemagne ne sont en question dans le problème de Waterloo. Grâce au ciel, les peuples sont grands en dehors des lugubres aventures de l’épée. Ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni la France, ne tiennent dans un fourreau. Dans cette époque où Waterloo n’est qu’un cliquetis de sabres, au-dessus de Blücher l’Allemagne a Gœthe et au-dessus de Wellington l’Angleterre a Byron. Un vaste lever d’idées est propre à notre siècle, et dans cette aurore l’Angleterre et l’Allemagne ont une lueur magnifique. Elles sont majestueuses par ce qu’elles pensent. L’élévation du niveau qu’elles apportent à la civilisation leur est intrinsèque ; il vient d’elles-mêmes, et non d’un accident. Ce qu’elles ont d’agrandissement au dix-neuvième siècle n’a point Waterloo pour source. Il n’y a que les peuples barbares qui aient des crues subites après une victoire. C’est la vanité passagère des torrents enflés d’un orage. Les peuples civilisés, surtout au temps où nous sommes, ne se haussent ni ne s’abaissent par la bonne ou mauvaise fortune d’un capitaine. Leur poids spécifique dans le genre humain résulte de quelque chose de plus qu’un combat. Leur honneur, Dieu merci, leur dignité, leur lumière, leur génie, ne sont pas des numéros que les héros et les conquérants, ces joueurs, peuvent mettre à la loterie des batailles. Souvent bataille perdue, progrès conquis. Moins de gloire, plus de liberté. Le tambour se tait, la raison prend la parole. C’est le jeu à qui perd gagne. Parlons donc de Waterloo froidement des deux côtés. Rendons au hasard ce qui est au hasard et à Dieu ce qui est à Dieu. Qu’est-ce que Waterloo ? Une victoire ? Non. Un quine.

    Quine gagné par l’Europe, payé par la France.

    Ce n’était pas beaucoup la peine de mettre là un lion.

    Waterloo, du reste, est la plus étrange rencontre qui soit dans l’histoire. Napoléon et Wellington. Ce ne sont pas des ennemis, ce sont des contraires. Jamais Dieu, qui se plaît aux antithèses, n’a fait un plus saisissant contraste et une confrontation plus extraordinaire. D’un côté la précision, la prévision, la géométrie, la prudence, la retraite assurée, les réserves ménagées, un sang-froid opiniâtre, une méthode imperturbable, la stratégie qui profite du terrain, la tactique qui équilibre les bataillons, le carnage tiré au cordeau, la guerre réglée montre en main, rien laissé volontairement au hasard, le vieux courage classique, la correction absolue ; de l’autre l’intuition, la divination, l’étrangeté militaire, l’instinct surhumain, le coup d’œil flamboyant, on ne sait quoi qui regarde comme l’aigle et qui frappe comme la foudre, un art prodigieux dans une impétuosité dédaigneuse, tous les mystères d’une âme profonde, l’association avec le destin, le fleuve, la plaine, la forêt, la colline, sommés et en quelque sorte forcés d’obéir, le despote allant jusqu’à tyranniser le champ de bataille, la foi à l’étoile mêlée à la science stratégique, la grandissant, mais la troublant. Wellington était le Barême de la guerre, Napoléon en était le Michel-Ange, et cette fois le génie fut vaincu par le calcul.

    Des deux côtés on attendait quelqu’un. Ce fut le calculateur exact qui réussit. Napoléon attendait Grouchy ; il ne vint pas. Wellington attendait Blücher ; il vint.

    Wellington, c’est la guerre classique qui prend sa revanche. Bonaparte, à son aurore, l’avait rencontrée en Italie, et superbement battue. La vieille chouette avait fui devant le jeune vautour. L’ancienne tactique avait été non seulement foudroyée, mais scandalisée. Qu’était-ce que ce Corse de vingt-six ans, que signifiait cet ignorant splendide qui, ayant tout contre lui, rien pour lui, sans vivres, sans munitions, sans canons, sans souliers, presque sans armée, avec une poignée d’hommes contre des masses, se ruait sur l’Europe coalisée, et gagnait absurdement des victoires dans l’impossible ? D’où sortait ce forcené foudroyant qui, presque sans reprendre haleine, et avec le même jeu de combattants dans la main, pulvérisait l’une après l’autre les cinq armées de l’empereur d’Allemagne, culbutant Beaulieu sur Alvinzi, Wurmser sur Beaulieu, Mélas sur Wurmser, Mack sur Mélas ? Qu’était-ce que ce nouveau venu de la guerre ayant l’effronterie d’un astre ? L’école académique militaire l’excommuniait en lâchant pied. De là une implacable rancune du vieux césarisme contre le nouveau, du sabre correct contre l’épée flamboyante, et de l’échiquier contre le génie. Le 18 juin 1815, cette rancune eut le dernier mot, et au-dessous de Lodi, de Montebello, de Montenotte, de Mantoue, de Marengo, d’Arcole, elle écrivit : Waterloo. Triomphe des médiocres, doux aux majorités. Le destin consentit à cette ironie. À son déclin, Napoléon retrouva devant lui Wurmser jeune.

    Pour avoir Wurmser en effet, il suffît de blanchir les cheveux de Wellington.

    Waterloo est une bataille du premier ordre gagnée par un capitaine du second.

    Ce qu’il faut admirer dans la bataille de Waterloo, c’est l’Angleterre, c’est la fermeté anglaise, c’est la résolution anglaise, c’est le sang anglais ; ce que l’Angleterre a eu là de superbe, ne lui en déplaise, c’est elle-même. Ce n’est pas son capitaine, c’est son armée.

    Wellington, bizarrement ingrat, déclare dans une lettre à lord Bathurst que son armée, l’armée qui a combattu le 18 juin 1815, était une « détestable armée ». Qu’en pense cette sombre mêlée d’ossements enfouis sous les sillons de Waterloo ?

    L’Angleterre a été trop modeste vis-à-vis de Wellington. Faire Wellington si grand, c’est faire l’Angleterre petite. Wellington n’est qu’un héros comme un autre. Ces Écossais gris, ces horse-guards, ces régiments de Maitland et de Mitchell, cette infanterie de Pack et de Kempt, cette cavalerie de Ponsomby et de Somerset, ces highlanders jouant du pibroch sous la mitraille, ces bataillons de Rylandt, ces recrues toutes fraîches qui savaient à peine manier le mousquet tenant tête aux vieilles bandes d’Essling et de Rivoli, voilà ce qui est grand. Wellington a été tenace, ce fut là son mérite, et nous ne le lui marchandons pas, mais le moindre de ses fantassins et de ses cavaliers a été tout aussi solide que lui. L’iron-soldier vaut l’iron-duke. Quant à nous, toute notre glorification va au soldat anglais. Si trophée il y a, c’est à l’Angleterre que le trophée est dû. La colonne de Waterloo serait plus juste si, au lieu de la figure d’un homme, elle élevait dans la nue la statue d’un peuple.

    Mais cette grande Angleterre s’irritera de ce que nous disons ici. Elle a encore, après son 1688 et notre 1789, l’illusion féodale. Elle croit à l’hérédité et à la hiérarchie. Ce peuple, qu’aucun ne dépasse en puissance et en gloire, s’estime comme nation, non comme peuple. En tant que peuple, il se subordonne volontiers et prend un lord pour une tête. Workman, il se laisse dédaigner ; soldat, il se laisse bâtonner. On se souvient qu’à la bataille d’Inkermann un sergent qui, à ce qu’il paraît, avait sauvé l’armée, ne put être mentionné par lord Raglan, la hiérarchie militaire anglaise ne permettant de citer dans un rapport aucun héros au-dessous du grade d’officier.

    Ce que nous admirons par-dessus tout, dans une rencontre du genre de celle de Waterloo, c’est la prodigieuse habileté du hasard. Pluie nocturne, mur de Hugomont, chemin creux d’Ohain, Grouchy sourd au canon, guide de Napoléon qui le trompe, guide de Bülow qui l’éclaire ; tout ce cataclysme est merveilleusement conduit.

    Au total, disons-le, il y eut à Waterloo plus de massacre que de bataille.

    Waterloo est de toutes les batailles rangées celle qui a le plus petit front sur un tel nombre de combattants. Napoléon, trois quarts de lieue, Wellington, une demi-lieue ; soixante-douze mille combattants de chaque côté. De cette épaisseur vint le carnage.

    On a fait ce calcul et établi cette proportion : Perte d’hommes : ― À Austerlitz, français, quatorze pour cent ; russes, trente pour cent ; autrichiens, quarante-quatre pour cent. À Wagram, français, treize pour cent ; autrichiens, quatorze. À la Moskowa, français, trente-sept pour cent ; russes, quarante-quatre. À Bautzen, français, treize pour cent ; russes et prussiens, quatorze. À Waterloo, français, cinquante-six pour cent ; alliés, trente et un. Total pour Waterloo, quarante et un pour cent. Cent quarante-quatre mille combattants ; soixante mille morts.

    Le champ de Waterloo aujourd’hui a le calme qui appartient à la terre, support impassible de l’homme, et il ressemble à toutes les plaines.

    La nuit pourtant une espèce de brume visionnaire s’en dégage, et si quelque voyageur s’y promène, s’il regarde, s’il écoute, s’il rêve comme Virgile devant les funestes plaines de Philippes, l’hallucination de la catastrophe le saisit. L’effrayant 18 juin revit ; la fausse colline monument s’efface, ce lion quelconque se dissipe, le champ de bataille reprend sa réalité ; des lignes d’infanterie ondulent dans la plaine, des galops furieux traversent l’horizon ; le songeur effaré voit l’éclair des sabres, l’étincelle des bayonnettes, le flamboiement des bombes, l’entrecroisement monstrueux des tonnerres ; il entend, comme un râle au fond d’une tombe, la clameur vague de la bataille fantôme ; ces ombres, ce sont les grenadiers ; ces lueurs, ce sont les cuirassiers ; ce squelette, c’est Napoléon ; ce squelette, c’est Wellington ; tout cela n’est plus et se heurte et combat encore ; et les ravins s’empourprent, et les arbres frissonnent, et il y a de la furie jusque dans les nuées, et, dans les ténèbres, toutes ces hauteurs farouches, Mont-Saint-Jean, Hougomont, Frischemont, Papelotte, Plancenoit, apparaissent confusément couronnées de tourbillons de spectres s’exterminant.


     

    XVII


     

    FAUT-IL TROUVER BON WATERLOO ?


     

    Il existe une école libérale très respectable qui ne hait point Waterloo. Nous n’en sommes pas. Pour nous, Waterloo n’est que la date stupéfaite de la liberté. Qu’un tel aigle sorte d’un tel œuf, c’est à coup sûr l’inattendu.

    Waterloo, si l’on se place au point de vue culminant de la question, est intentionnellement une victoire contre-révolutionnaire. C’est l’Europe contre la France, c’est Pétersbourg, Berlin et Vienne contre Paris, c’est le statu quo contre l’initiative, c’est le 14 juillet 1789 attaqué à travers le 20 mars 1815, c’est le branle-bas des monarchies contre l’indomptable émeute française. Éteindre enfin ce vaste peuple en éruption depuis vingt-six ans, tel était le rêve. Solidarité des Brunswick, des Nassau, des Romanoff, des Hohenzollern, des Habsburg, avec les Bourbons. Waterloo porte en croupe le droit divin. Il est vrai que, l’empire ayant été despotique, la royauté, par la réaction naturelle des choses, devait forcément être libérale, et qu’un ordre constitutionnel à contre-cœur est sorti de Waterloo, au grand regret des vainqueurs. C’est que la révolution ne peut être vraiment vaincue, et qu’étant providentielle et absolument fatale, elle reparaît toujours, avant Waterloo, dans Bonaparte jetant bas les vieux trônes, après Waterloo, dans Louis XVIII octroyant et subissant la Charte. Bonaparte met un postillon sur le trône de Naples et un sergent sur le trône de Suède, employant l’inégalité à démontrer l’égalité ; Louis XVIII à Saint-Ouen contresigne la déclaration des droits de l’homme. Voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que la révolution, appelez-la Progrès ; et voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que le progrès, appelez-le Demain. Demain fait irrésistiblement son œuvre, et il la fait dès aujourd’hui. Il arrive toujours à son but, étrangement. Il emploie Wellington à faire de Foy, qui n’était qu’un soldat, un orateur. Foy tombe à Hougomont et se relève à la tribune. Ainsi procède le progrès. Pas de mauvais outil pour cet ouvrier-là. Il ajuste à son travail divin, sans se déconcerter, l’homme qui a enjambé les Alpes, et le bon vieux malade chancelant du père Élysée. Il se sert du podagre comme du conquérant ; du conquérant au dehors, du podagre au dedans. Waterloo, en coupant court à la démolition des trônes européens par l’épée, n’a eu d’autre effet que de faire continuer le travail révolutionnaire d’un autre côté. Les sabreurs ont fini, c’est le tour des penseurs. Le siècle que Waterloo voulait arrêter a marché dessus et a poursuivi sa route. Cette victoire sinistre a été vaincue par la liberté.

    En somme, et incontestablement, ce qui triomphait à Waterloo, ce qui souriait derrière Wellington, ce qui lui apportait tous les bâtons de maréchal de l’Europe, y compris, dit-on, le bâton de maréchal de France, ce qui roulait joyeusement les brouettées de terre pleine d’ossements pour élever la butte du lion, ce qui a triomphalement écrit sur ce piédestal cette date : 18 juin 1815, ce qui encourageait Blücher sabrant la déroute, ce qui du haut du plateau de Mont-Saint-Jean se penchait sur la France comme sur une proie, c’était la contre-révolution. C’est la contre-révolution qui murmurait ce mot infâme : démembrement. Arrivée à Paris, elle a vu le cratère de près, elle a senti que cette cendre lui brûlait les pieds, et elle s’est ravisée. Elle est revenue au bégaiement d’une charte.

    Ne voyons dans Waterloo que ce qui est dans Waterloo. De liberté intentionnelle, point. La contre-révolution était involontairement libérale, de même que, par un phénomène correspondant, Napoléon était involontairement révolutionnaire. Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné.


     

    XVIII


     

    RECRUDESCENCE DU DROIT DIVIN


     

    Fin de la dictature. Tout un système d’Europe croula.

    L’empire s’affaissa dans une ombre qui ressembla à celle du monde romain expirant. On revit de l’abîme comme au temps des barbares. Seulement la barbarie de 1815, qu’il faut nommer, de son petit nom, la contre-révolution, avait peu d’haleine, s’essouffla vite, et resta court. L’empire, avouons-le, fut pleuré, et pleuré par des yeux héroïques. Si la gloire est dans le glaive fait sceptre, l’empire avait été la gloire même. Il avait répandu sur la terre toute la lumière que la tyrannie peut donner ; lumière sombre. Disons plus : lumière obscure. Comparée au vrai jour, c’est de la nuit. Cette disparition de la nuit fit l’effet d’une éclipse.

    Louis XVIII rentra dans Paris. Les danses en rond du 8 juillet effacèrent les enthousiasmes du 20 mars. Le corse devint l’antithèse du béarnais. Le drapeau du dôme des Tuileries fut blanc. L’exil trôna. La table de sapin de Hartwell prit place devant le fauteuil fleurdelysé de Louis XIV. On parla de Bouvines et de Fontenoy comme d’hier, Austerlitz ayant vieilli. L’autel et le trône fraternisèrent majestueusement. Une des formes les plus incontestées du salut de la société au dix-neuvième siècle s’établit sur la France et sur le continent. L’Europe prit la cocarde blanche. Trestaillon fut célèbre. La devise non pluribus impar reparut dans des rayons de pierre figurant un soleil sur la façade de la caserne du quai d’Orsay. Où il y avait eu une garde impériale, il y eut une maison rouge. L’arc du Carrousel, tout chargé de victoires mal portées, dépaysé dans ces nouveautés, un peu honteux peut-être de Marengo et d’Arcole, se tira d’affaire avec la statue du duc d’Angoulême. Le cimetière de la Madeleine, redoutable fosse commune de 93, se couvrit de marbre et de jaspe, les os de Louis XVI et de Marie-Antoinette étant dans cette poussière. Dans le fossé de Vincennes, un cippe sépulcral sortit de terre, rappelant que le duc d’Enghien était mort dans le mois même où Napoléon avait été couronné. Le pape Pie VII, qui avait fait ce sacre très près de cette mort, bénit tranquillement la chute comme il avait béni l’élévation. Il y eut à Schœnbrunn une petite ombre âgée de quatre ans qu’il fut séditieux d’appeler le roi de Rome. Et ces choses se sont faites, et ces rois ont repris leurs trônes, et le maître de l’Europe a été mis dans une cage, et l’ancien régime est devenu le nouveau, et toute l’ombre et toute la lumière de la terre ont changé de place, parce que, dans l’après-midi d’un jour d’été, un pâtre a dit à un prussien dans un bois : passez par ici et non par là !

    Ce 1815 fut une sorte d’avril lugubre. Les vieilles réalités malsaines et vénéneuses se couvrirent d’apparences neuves. Le mensonge épousa 1789, le droit divin se masqua d’une charte, les fictions se firent constitutionnelles, les préjugés, les superstitions et les arrière-pensées, avec l’article 14 au cœur, se vernirent de libéralisme. Changement de peau des serpents.

    L’homme avait été à la fois agrandi et amoindri par Napoléon. L’idéal, sous ce règne de la matière splendide, avait reçu le nom étrange d’idéologie. Grave imprudence d’un grand homme, tourner en dérision l’avenir. Les peuples cependant, cette chair à canon si amoureuse du canonnier, le cherchaient des yeux. Où est-il ? Que fait-il ? Napoléon est mort, disait un passant à un invalide de Marengo et de Waterloo. — Lui mort ! s’écria ce soldat, vous le connaissez bien ! Les imaginations déifiaient cet homme terrassé. Le fond de l’Europe, après Waterloo, fut ténébreux. Quelque chose d’énorme resta longtemps vide par l’évanouissement de Napoléon.

    Les rois se mirent dans ce vide. La vieille Europe en profita pour se reformer. Il y eut une Sainte-Alliance. Belle-Alliance, avait dit d’avance le champ fatal de Waterloo.

    En présence et en face de cette antique Europe refaite, les linéaments d’une France nouvelle s’ébauchèrent. L’avenir, raillé par l’empereur, fit son entrée. Il avait sur le front cette étoile, Liberté. Les yeux ardents des jeunes générations se tournèrent vers lui. Chose singulière, on s’éprit en même temps de cet avenir, Liberté, et de ce passé, Napoléon. La défaite avait grandi le vaincu. Bonaparte tombé semblait plus haut que Napoléon debout. Ceux qui avaient triomphé eurent peur. L’Angleterre le fit garder par Hudson Lowe et la France le fit guetter par Montchenu. Ses bras croisés devinrent l’inquiétude des trônes. Alexandre le nommait : mon insomnie. Cet effroi venait de la quantité de révolution qu’il avait en lui. C’est ce qui explique et excuse le libéralisme bonapartiste. Ce fantôme donnait le tremblement au vieux monde. Les rois régnèrent mal à leur aise, avec le rocher de Sainte-Hélène à l’horizon.

    Pendant que Napoléon agonisait à Longwood, les soixante mille hommes tombés dans le champ de Waterloo pourrirent tranquillement, et quelque chose de leur paix se répandit dans le monde. Le congrès de Vienne en fit les traités de 1815, et l’Europe nomma cela la restauration.

    Voilà ce que c’est que Waterloo.

    Mais qu’importe à l’infini ? Toute cette tempête, tout ce nuage, cette guerre, puis cette paix, toute cette ombre, ne troubla pas un moment la lueur de l’œil immense devant lequel un puceron sautant d’un brin d’herbe à l’autre égale l’aigle volant de clocher en clocher aux tours de Notre-Dame.


     

    XIX


     

    LE CHAMP DE BATAILLE LA NUIT


     

    Revenons, c’est une nécessité de ce livre, sur ce fatal champ de bataille.

    Le 18 juin 1815, c’était pleine lune. Cette clarté favorisa la poursuite féroce de Blücher, dénonça les traces des fuyards, livra cette masse désastreuse à la cavalerie prussienne acharnée, et aida au massacre. Il y a parfois dans les catastrophes de ces tragiques complaisances de la nuit.

    Après le dernier coup de canon tiré, la plaine de Mont-Saint-Jean resta déserte.

    Les anglais occupèrent le campement des français ; c’est la constatation habituelle de la victoire ; coucher dans le lit du vaincu. Ils établirent leur bivouac au delà de Rossomme. Les prussiens, lâchés sur la déroute, poussèrent en avant, Wellington alla au village de Waterloo rédiger son rapport à lord Bathurst.

    Si jamais le sic vos non vobis a été applicable, c’est à coup sûr à ce village de Waterloo. Waterloo n’a rien fait, et est resté à une demi-lieue de l’action. Mont-Saint-Jean a été canonné, Hougomont a été brûlé, Plancenoit a été brûlé, la Haie-Sainte a été prise d’assaut, la Belle-Alliance a vu l’embrasement des deux vainqueurs ; on sait à peine ces noms, et Waterloo qui n’a point travaillé dans la bataille en a tout l’honneur.

    Nous ne sommes pas de ceux qui flattent la guerre ; quand l’occasion s’en présente, nous lui disons ses vérités. La guerre a d’affreuses beautés que nous n’avons point cachées ; elle a aussi, convenons-en, quelques laideurs. Une des plus surprenantes, c’est le prompt dépouillement des morts après la victoire. L’aube qui suit une bataille se lève toujours sur des cadavres nus.

    Qui fait cela ? Qui souille ainsi le triomphe ? Quelle est cette hideuse main furtive qui se glisse dans la poche de la victoire ? Quels sont ces filous faisant leur coup derrière la gloire ? Quelques philosophes, Voltaire entre autres, affirment que ce sont précisément ceux-là qui ont fait la gloire. Ce sont les mêmes, disent-ils, il n’y a pas de rechange, ceux qui sont debout pillent ceux qui sont à terre. Le héros du jour est le vampire de la nuit. On a bien le droit, après tout, de détrousser un peu un cadavre dont on est l’auteur. Quant à nous, nous ne le croyons pas. Cueillir des lauriers et voler les souliers d’un mort, cela nous semble impossible à la même main.

    Ce qui est certain, c’est que, d’ordinaire, après les vainqueurs viennent les voleurs. Mais mettons le soldat, surtout le soldat contemporain, hors de cause.

    Toute armée a une queue, et c’est là ce qu’il faut accuser. Des êtres chauves-souris, mi-partis brigands et valets, toutes les espèces de vespertilio qu’engendre ce crépuscule qu’on appelle la guerre, des porteurs d’uniformes qui ne combattent pas, de faux malades, des éclopés redoutables, des cantiniers interlopes trottant quelquefois avec leurs femmes, sur de petites charrettes et volant ce qu’ils revendent, des mendiants s’offrant pour guides aux officiers, des goujats, des maraudeurs, les armées en marche autrefois, — nous ne parlons pas du temps présent, — traînaient tout cela, si bien que, dans la langue spéciale, cela s’appelait « les traînards ». Aucune armée ni aucune nation n’étaient responsables de ces êtres ; ils parlaient italien et suivaient les allemands ; ils parlaient français et suivaient les anglais. C’est par un de ces misérables, traînard espagnol qui parlait français, que le marquis de Fervacques, trompé par son baragouin picard, et le prenant pour un des nôtres, fut tué en traître et volé sur le champ de bataille même, dans la nuit qui suivit la victoire de Cerisoles. De la maraude naissait le maraud. La détestable maxime : vivre sur l’ennemi, produisait cette lèpre, qu’une forte discipline pouvait seule guérir. Il y a des renommées qui trompent ; on ne sait pas toujours pourquoi de certains généraux, grands d’ailleurs, ont été si populaires. Turenne était adoré de ses soldats parce qu’il tolérait le pillage ; le mal permis fait partie de la bonté ; Turenne était si bon qu’il a laissé mettre à feu et à sang le Palatinat. On voyait à la suite des armées moins ou plus de maraudeurs selon que le chef était plus ou moins sévère. Hoche et Marceau n’avaient point de traînards ; Wellington, nous lui rendons volontiers cette justice, en avait peu.

    Pourtant, dans la nuit du 18 au 19 juin, on dépouilla les morts. Wellington fut rigide ; ordre de passer par les armes quiconque serait pris en flagrant délit ; mais la rapine est tenace. Les maraudeurs volaient dans un coin du champ de bataille pendant qu’on les fusillait dans l’autre.

    La lune était sinistre sur cette plaine.

    Vers minuit, un homme rôdait, ou plutôt rampait, du côté du chemin creux d’Ohain. C’était, selon toute apparence, un de ceux que nous venons de caractériser, ni anglais, ni français, ni paysan, ni soldat, moins homme que goule, attiré par le flair des morts, ayant pour victoire le vol, venant dévaliser Waterloo. Il était vêtu d’une blouse qui était un peu une capote, il était inquiet et audacieux, il allait devant lui et regardait derrière lui. Qu’était-ce que cet homme ? La nuit probablement en savait plus sur son compte que le jour. Il n’avait point de sac, mais évidemment de larges poches sous sa capote. De temps en temps, il s’arrêtait, examinait la plaine autour de lui comme pour voir s’il n’était pas observé, se penchait brusquement, dérangeait à terre quelque chose de silencieux et d’immobile, puis se redressait et s’esquivait. Son glissement, ses attitudes, son geste rapide et mystérieux le faisaient ressembler à ces larves crépusculaires qui hantent les ruines et que les anciennes légendes normandes appellent les Alleurs.

    De certains échassiers nocturnes font de ces silhouettes dans les marécages.

    Un regard qui eût sondé attentivement toute cette brume eût pu remarquer, à quelque distance, arrêté et comme caché derrière la masure qui borde sur la chaussée de Nivelles l’angle de la route de Mont-Saint-Jean à Braine-l’Alleud, une façon de petit fourgon de vivandier à coiffe d’osier goudronnée, attelé d’une haridelle affamée broutant l’ortie à travers son mors, et dans ce fourgon une espèce de femme assise sur des coffres et des paquets. Peut-être y avait-il un lien entre ce fourgon et ce rôdeur.

    L’obscurité était sereine. Pas un nuage au zénith. Qu’importe que la terre soit rouge, la lune reste blanche. Ce sont là les indifférences du ciel. Dans les prairies, des branches d’arbre cassées par la mitraille mais non tombées et retenues par l’écorce se balançaient doucement au vent de la nuit. Une haleine, presque une respiration, remuait les broussailles. Il y avait dans l’herbe des frissons qui ressemblaient à des départs d’âmes.

    On entendait vaguement au loin aller et venir les patrouilles et les rondes-major du campement anglais.

    Hougomont et la Haie-Sainte continuaient de brûler, faisant, l’un à l’ouest, l’autre à l’est, deux grosses flammes auxquelles venait se rattacher, comme un collier de rubis dénoué ayant à ses extrémités deux escarboucles, le cordon de feux du bivouac anglais étalé en demi-cercle immense sur les collines de l’horizon.

    Nous avons dit la catastrophe du chemin d’Ohain. Ce qu’avait été cette mort pour tant de braves, le cœur s’épouvante d’y songer.

    Si quelque chose est effroyable, s’il existe une réalité qui dépasse le rêve, c’est ceci : vivre, voir le soleil, être en pleine possession de la force virile, avoir la santé et la joie, rire vaillamment, courir vers une gloire qu’on a devant soi, éblouissante, se sentir dans la poitrine un poumon qui respire, un cœur qui bat, une volonté qui raisonne, parler, penser, espérer, aimer, avoir une mère, avoir une femme, avoir des enfants, avoir la lumière, et tout à coup, le temps d’un cri, en moins d’une minute, s’effondrer dans un abîme, tomber, rouler, écraser, être écrasé, voir des épis de blé, des fleurs, des feuilles, des branches, ne pouvoir se retenir à rien, sentir son sabre inutile, des hommes sous soi, des chevaux sur soi, se débattre en vain, les os brisés par quelque ruade dans les ténèbres, sentir un talon qui vous fait jaillir les yeux, mordre avec rage des fers de chevaux, étouffer, hurler, se tordre, être là-dessous, et se dire : tout à l’heure j’étais un vivant !

    Là où avait râlé ce lamentable désastre, tout faisait silence maintenant. L’encaissement du chemin creux était comble de chevaux et de cavaliers inextricablement amoncelés. Enchevêtrement terrible. Il n’y avait plus de talus, les cadavres nivelaient la route avec la plaine et venaient au ras du bord comme un boisseau d’orge bien mesuré. Un tas de morts dans la partie haute, une rivière de sang dans la partie basse ; telle était cette route, le soir du 18 juin 1815. Le sang coulait jusque sur la chaussée de Nivelles et s’y extravasait en une large mare devant l’abattis d’arbres qui barrait la chaussée, à un endroit qu’on montre encore. C’est, on s’en souvient, au point opposé, vers la chaussée de Genappe, qu’avait eu lieu l’effondrement des cuirassiers. L’épaisseur des cadavres se proportionnait à la profondeur du chemin creux. Vers le milieu, à l’endroit où il devenait plan, là où avait passé la division Delord, la couche des morts s’amincissait.

    Le rôdeur nocturne que nous venons de faire entrevoir au lecteur allait de ce côté, il furetait cette immense tombe. Il regardait. Il passait on ne sait quelle hideuse revue des morts. Il marchait les pieds dans le sang.

    Tout à coup il s’arrêta.

    À quelques pas devant lui, dans le chemin creux, au point où finissait le monceau des morts, de dessous cet amas d’hommes et de chevaux, sortait une main ouverte, éclairée par la lune.

    Cette main avait au doigt quelque chose qui brillait, et qui était un anneau d’or.

    L’homme se courba, demeura un moment accroupi, et quand il se releva, il n’y avait plus d’anneau à cette main.

    Il ne se releva pas précisément ; il resta dans une attitude fausse et effarouchée, tournant le dos au tas de morts, scrutant l’horizon, à genoux, tout l’avant du corps portant sur les deux index appuyés à terre, la tête guettant par-dessus le bord du chemin creux. Les quatre pattes du chacal conviennent à de certaines actions.

    Puis, prenant son parti, il se dressa.

    En ce moment il eut un soubresaut. Il sentit que par derrière on le tenait.

    Il se retourna ; c’était la main ouverte qui s’était refermée et qui avait saisi le pan de sa capote.

    Un honnête homme eût eu peur. Celui-ci se mit à rire.

    Tiens, dit-il, ce n’est que le mort. J’aime mieux un revenant qu’un gendarme.

    Cependant la main défaillit et le lâcha. L’effort s’épuise vite dans la tombe.

    Ah çà ! reprit le rôdeur, est-il vivant ce mort ? Voyons donc.

    Il se pencha de nouveau, fouilla le tas, écarta ce qui faisait obstacle, saisit la main, empoigna le bras, dégagea la tête, tira le corps, et quelques instants après il traînait dans l’ombre du chemin creux un homme inanimé, au moins évanoui. C’était un cuirassier, un officier, un officier même d’un certain rang ; une grosse épaulette d’or sortait de dessous la cuirasse ; cet officier n’avait plus de casque. Un furieux coup de sabre balafrait son visage où l’on ne voyait que du sang. Du reste, il ne semblait pas qu’il eût de membre cassé, et par quelque hasard heureux, si ce mot est possible ici, les morts s’étaient arc-boutés au-dessus de lui de façon à le garantir de l’écrasement. Ses yeux étaient fermés.

    Il avait sur sa cuirasse la croix d’argent de la Légion d’honneur.

    Le rôdeur arracha cette croix qui disparut dans un des gouffres qu’il avait sous sa capote.

    Après quoi, il tâta le gousset de l’officier, y sentit une montre et la prit. Puis il fouilla le gilet, y trouva une bourse et l’empocha.

    Comme il en était à cette phase des secours qu’il portait à ce mourant, l’officier ouvrit les yeux.

    Merci, dit-il faiblement.

    La brusquerie des mouvements de l’homme qui le maniait, la fraîcheur de la nuit, l’air respiré librement, l’avaient tiré de sa léthargie.

    Le rôdeur ne répondit point. Il leva la tête. On entendait un bruit de pas dans la plaine ; probablement quelque patrouille qui approchait.

    L’officier murmura, car il y avait encore de l’agonie dans sa voix :

    Qui a gagné la bataille ?

    Les anglais, répondit le rôdeur.

    L’officier reprit :

    Cherchez dans mes poches. Vous y trouverez une bourse et une montre. Prenez-les.

    C’était déjà fait.

    Le rôdeur exécuta le semblant demandé, et dit :

    Il n’y a rien.

    On m’a volé, reprit l’officier, j’en suis fâché. C’eût été pour vous.

    Les pas de la patrouille devenaient de plus en plus distincts.

    Voici qu’on vient, dit le rôdeur, faisant le mouvement d’un homme qui s’en va.

    L’officier, soulevant péniblement le bras, le retint : — Vous m’avez sauvé la vie. Qui êtes-vous ?

    Le rôdeur répondit vite et bas :

    J’étais comme vous de l’armée française. Il faut que je vous quitte. Si l’on me prenait, on me fusillerait. Je vous ai sauvé la vie. Tirez-vous d’affaire maintenant.

    Quel est votre grade ?

    Sergent.

    Comment vous appelez-vous ?

    Thénardier.

    Je n’oublierai pas ce nom, dit l’officier. Et vous, retenez le mien. Je me nomme Pontmercy.


    I


     

    LE NUMÉRO 24601 DEVIENT LE NUMÉRO 9430

    Jean Valjean avait été repris.

    On nous saura gré de passer rapidement sur des détails douloureux. Nous nous bornons à transcrire deux entrefilets publiés par les journaux du temps, quelques mois après les événements surprenants accomplis à Montreuil-sur-Mer.

    Ces articles sont un peu sommaires. On se souvient qu’il n’existait pas encore à cette époque de Gazette des Tribunaux.

    Nous empruntons le premier au Drapeau blanc. Il est daté du 25 juillet 1823 :


     

    « — Un arrondissement du Pas-de-Calais vient d’être le théâtre d’un événement peu ordinaire. Un homme étranger au département et nommé M. Madeleine avait relevé depuis quelques années, grâce à des procédés nouveaux, une ancienne industrie locale, la fabrication des jais et des verroteries noires. Il y avait fait sa fortune, et, disons-le, celle de l’arrondissement. En reconnaissance de ses services, on l’avait nommé maire. La police a découvert que ce M. Madeleine n’était autre qu’un ancien forçat en rupture de ban, condamné en 1796 pour vol, et nommé Jean Valjean. Jean Valjean a été réintégré au bagne. Il paraît qu’avant son arrestation il avait réussi à retirer de chez M. Laffitte une somme de plus d’un demi-million qu’il y avait placée, et qu’il avait, du reste, très légitimement, dit-on, gagnée dans son commerce. On n’a pu savoir où Jean Valjean avait caché cette somme depuis sa rentrée au bagne de Toulon. »


     

    Le deuxième article, un peu plus détaillé, est extrait du Journal de Paris, même date.


     

    « — Un ancien forçat libéré, nommé Jean Valjean, vient de comparaître devant la cour d’assises du Var dans des circonstances faites pour appeler l’attention. Ce scélérat était parvenu à tromper la vigilance de la police ; il avait changé de nom et avait réussi à se faire nommer maire d’une de nos petites villes du Nord. Il avait établi dans cette ville un commerce assez considérable. Il a été enfin démasqué et arrêté, grâce au zèle infatigable du ministère public. Il avait pour concubine une fille publique qui est morte de saisissement au moment de son arrestation. Ce misérable, qui est doué d’une force herculéenne, avait trouvé moyen de s’évader ; mais, trois ou quatre jours après son évasion, la police mit de nouveau la main sur lui, à Paris même, au moment où il montait dans une de ces petites voitures qui font le trajet de la capitale au village de Montfermeil (Seine-et-Oise). On dit qu’il avait profité de l’intervalle de ces trois ou quatre jours de liberté pour retirer une somme considérable placée par lui chez un de nos principaux banquiers. On évalue cette somme à six ou sept cent mille francs. À en croire l’acte d’accusation, il l’aurait enfouie en un lieu connu de lui seul et l’on n’a pas pu la saisir. Quoi qu’il en soit, le nommé Jean Valjean vient d’être traduit aux assises du département du Var comme accusé d’un vol de grand chemin commis à main armée, il y a huit ans environ, sur la personne d’un de ces honnêtes enfants qui, comme l’a dit le patriarche de Ferney en vers immortels :

  • «… De Savoie arrivent tous les ans
    « Et dont la main légèrement essuie
    « Ces longs canaux engorgés par la suie.
  • Il le faut, disait un guerrier.
  • Je les donnerai, dit la mère, j’ai quatre-vingts francs. Il me restera de quoi aller au pays. En allant à pied. Je gagnerai de l’argent là-bas, et dès que j’en aurai un peu, je reviendrai chercher l’amour.

    La voix d’homme reprit :

    La petite a un trousseau ?

    C’est mon mari, dit la Thénardier.

    Sans doute elle a un trousseau, le pauvre trésor. J’ai bien vu que c’était votre mari. Et un beau trousseau encore ! un trousseau insensé. Tout par douzaines ; et des robes de soie comme une dame. Il est là dans mon sac de nuit.

    Il faudra le donner, repartit la voix d’homme.

    Je crois bien que je le donnerai ! dit la mère. Ce serait cela qui serait drôle si je laissais ma fille toute nue !

    La face du maître apparut.

    C’est bon, dit-il.

    Le marché fut conclu. La mère passa la nuit à l’auberge, donna son argent et laissa son enfant, renoua son sac de nuit dégonflé du trousseau et léger désormais, et partit le lendemain matin, comptant revenir bientôt. On arrange tranquillement ces départs-là, mais ce sont des désespoirs.

    Une voisine des Thénardier rencontra cette mère comme elle s’en allait, et s’en revint en disant :

    Je viens de voir une femme qui pleure dans la rue, que c’est un déchirement.

    Quand la mère de Cosette fut partie, l’homme dit à la femme :

    Cela va me payer mon effet de cent dix francs qui échoit demain. Il me manquait cinquante francs. Sais-tu que j’aurais eu l’huissier et un protêt ? Tu as fait là une bonne souricière avec tes petites.

    Sans m’en douter, dit la femme.


     

    II

    PREMIÈRE ESQUISSE
    DE DEUX FIGURES LOUCHES


     

    La souris prise était bien chétive ; mais le chat se réjouit même d’une souris maigre.

    Qu’était-ce que les Thénardier ?

    Disons-en un mot dès à présent. Nous compléterons le croquis plus tard.

    Ces êtres appartenaient à cette classe bâtarde composée de gens grossiers parvenus et de gens intelligents déchus,qui est entre la classe dite moyenne et la classe dite inférieure, et qui combine quelques-uns des défauts de la seconde avec presque tous les vices de la première, sans avoir le généreux élan de l’ouvrier ni l’ordre honnête du bourgeois.

    C’étaient de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d’une brute et dans l’homme l’étoffe d’un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l’espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu’elles n’y avancent, employant l’expérience à augmenter leur difformité, empirant sans cesse, et s’imprégnant de plus en plus d’une noirceur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.

    Le Thénardier particulièrement était gênant pour le physionomiste. On n’a qu’à regarder certains hommes pour s’en défier, on les sent ténébreux à leurs deux extrémités. Ils sont inquiets derrière eux et menaçants devant eux. Il y a en eux de l’inconnu. On ne peut pas plus répondre de ce qu’ils ont fait que de ce qu’ils feront. L’ombre qu’ils ont dans le regard les dénonce. Rien qu’en les entendant dire un mot ou qu’en les voyant faire un geste on entrevoit de sombres secrets dans leur passé et de sombres mystères dans leur avenir.

    Ce Thénardier, s’il fallait l’en croire, avait été soldat ; sergent, disait-il ; il avait fait probablement la campagne de 1815, et s’était même comporté assez bravement, à ce qu’il paraît. Nous verrons plus tard ce qu’il en était. L’enseigne de son cabaret était une allusion à l’un de ses faits d’armes. Il l’avait peinte lui-même, car il savait faire un peu de tout ; mal.

    C’était l’époque où l’antique roman classique, qui, après avoir été Clélie, n’était plus que Lodoïska, toujours noble, mais de plus en plus vulgaire, tombé de mademoiselle de Scudéri à madame Bournon-Malarme, et de madame de Lafayette à madame Barthélémy-Hadot, incendiait l’âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue. Madame Thénardier était juste assez intelligente pour lire ces espèces de livres. Elle s’en nourrissait. Elle y noyait ce qu’elle avait de cervelle ; cela lui avait donné, tant qu’elle avait été très jeune, et même un peu plus tard, une sorte d’attitude pensive près de son mari, coquin d’une certaine profondeur, ruffian lettré à la grammaire près, grossier et fin en même temps, mais, en fait de sentimentalisme, lisant Pigault-Lebrun, et pour « tout ce qui touche le sexe », comme il disait dans son jargon, butor correct et sans mélange. Sa femme avait quelque douze ou quinze ans de moins que lui. Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la Mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu’une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aînée se nomma Éponine. Quant à la cadette, la pauvre petite faillit se nommer Gulnare ; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil, de ne s’appeler qu’Azelma.

    Au reste, pour le dire en passant, tout n’est pas ridicule et superficiel dans cette curieuse époque à laquelle nous faisons ici allusion, et qu’on pourrait appeler l’anarchie des noms de baptême. À côté de l’élément romanesque, que nous venons d’indiquer, il y a le symptôme social. Il n’est pas rare aujourd’hui que le garçon bouvier se nomme Arthur, Alfred ou Alphonse, et que le vicomte — s’il y a encore des vicomtes — se nomme Thomas, Pierre ou Jacques. Ce déplacement qui met le nom « élégant » sur le plébéien et le nom campagnard sur l’aristocrate n’est autre chose qu’un remous d’égalité. L’irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde : la révolution française.


     

    III

    L’ALOUETTE.


     

    Il ne suffit pas d’être méchant pour prospérer. La gargote allait mal.

    Grâce aux cinquante-sept francs de la voyageuse, Thénardier avait pu éviter un protêt et faire honneur à sa signature. Le mois suivant ils eurent encore besoin d’argent ; la femme porta à Paris et engagea au mont-de-piété le trousseau de Cosette pour une somme de soixante francs. Dès que cette somme fut dépensée, les Thénardier s’accoutumèrent à ne plus voir dans la petite fille qu’un enfant qu’ils avaient chez eux par charité, et la traitèrent en conséquence. Comme elle n’avait plus de trousseau, on l’habilla des vieilles jupes et des vieilles chemises des petites Thénardier, c’est-à-dire de haillons. On la nourrit des restes de tout le monde, un peu mieux que le chien et un peu plus mal que le chat. Le chat et le chien étaient du reste ses commensaux habituels ; Cosette mangeait avec eux sous la table dans une écuelle de bois pareille à la leur.

    La mère, qui s’était fixée, comme on le verra plus tard, à Montreuil-sur-mer, écrivait, ou, pour mieux dire, faisait écrire tous les mois afin d’avoir des nouvelles de son enfant. Les Thénardier répondaient invariablement : Cosette est à merveille.

    Les six premiers mois révolus, la mère envoya sept francs pour le septième mois, et continua assez exactement ses envois de mois en mois. L’année n’était pas finie que le Thénardier dit : – Une belle grâce qu’elle nous fait là ! que veut-elle que nous fassions avec ses sept francs ? Et il écrivit pour exiger douze francs. La mère, à laquelle ils persuadaient que son enfant était heureuse « et venait bien », se soumit et envoya les douze francs.

    Certaines natures ne peuvent aimer d’un côté sans haïr de l’autre. La mère Thénardier aimait passionnément ses deux filles à elle, ce qui fit qu’elle détesta l’étrangère. Il est triste de songer que l’amour d’une mère peut avoir de vilains aspects. Si peu de place que Cosette tînt chez elle, il lui semblait que cela était pris aux siens, et que cette petite diminuait l’air que ses filles respiraient. Cette femme, comme beaucoup de femmes de sa sorte, avait une somme de caresses et une somme de coups et d’injures à dépenser chaque jour. Si elle n’avait pas eu Cosette, il est certain que ses filles, tout idolâtrées qu’elles étaient, auraient tout reçu ; mais l’étrangère leur rendit le service de détourner les coups sur elle. Ses filles n’eurent que les caresses. Cosette ne faisait pas un mouvement qui ne fît pleuvoir sur sa tête une grêle de châtiments violents et immérités. Doux être faible qui ne devait rien comprendre à ce monde ni à Dieu, sans cesse punie, grondée, rudoyée, battue et voyant à côté d’elle deux petites créatures comme elle, qui vivaient dans un rayon d’aurore !

    La Thénardier étant méchante pour Cosette, Éponine et Azelma furent méchantes. Les enfants, à cet âge, ne sont que des exemplaires de la mère. Le format est plus petit, voilà tout.

    Une année s’écoula, puis une autre.

    On disait dans le village :

    Ces Thénardier sont de braves gens. Ils ne sont pas riches, et ils élèvent un pauvre enfant qu’on leur a abandonné chez eux !

    On croyait Cosette oubliée par sa mère.

    Cependant le Thénardier, ayant appris par on ne sait quelles voies obscures que l’enfant était probablement bâtard et que la mère ne pouvait l’avouer, exigea quinze francs par mois, disant que « la créature » grandissait et mangeait, et menaçant de la renvoyer. « Qu’elle ne m’embête pas ! » s’écriait-il, « je lui bombarde son mioche tout au beau milieu de ses cachoteries. Il me faut de l’augmentation. » La mère paya les quinze francs.

    D’année en année, l’enfant grandit, et sa misère aussi.

    Tant que Cosette fut toute petite, elle fut le souffre-douleur des deux autres enfants ; dès qu’elle se mit à se développer un peu, c’est-à-dire avant même qu’elle eût cinq ans, elle devint la servante de la maison.

    Cinq ans, dira-t-on, c’est invraisemblable. Hélas, c’est vrai. La souffrance sociale commence à tout âge. N’avons-nous pas vu, récemment, le procès d’un nommé Dumolard, orphelin devenu bandit, qui, dès l’âge de cinq ans, disent les documents officiels, étant seul au monde « travaillait pour vivre, et volait ».

    On fit faire à Cosette les commissions, balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter même des fardeaux. Les Thénardier se crurent d’autant plus autorisés à agir ainsi que la mère qui était toujours à Montreuil-sur-mer commença à mal payer. Quelques mois restèrent en souffrance.

    Si cette mère fût revenue à Montfermeil au bout de ces trois années, elle n’eût point reconnu son enfant. Cosette, si jolie et si fraîche à son arrivée dans cette maison, était maintenant maigre et blême. Elle avait je ne sais quelle allure inquiète. Sournoise ! disaient les Thénardier.

    L’injustice l’avait faite hargneuse et la misère l’avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils étaient, il semblait qu’on y vît une plus grande quantité de tristesse.

    C’était une chose navrante de voir, l’hiver, ce pauvre enfant, qui n’avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toile trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux.

    Dans le pays on l’appelait l’Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s’était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu’un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l’aube.

    Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais.


     


     

    I

    HISTOIRE D’UN PROGRÈS DANS LES VERROTERIES NOIRES


     

    Cette mère cependant qui, au dire des gens de Montfermeil, semblait avoir abandonné son enfant, que devenait-elle ? où était-elle ? que faisait-elle ?

    Après avoir laissé sa petite Cosette aux Thénardier, elle avait continué son chemin et était arrivée à Montreuil-sur-Mer. C’était, on se le rappelle, en 1818.

    Fantine avait quitté sa province depuis une dizaine d’années. Montreuil-sur-Mer avait changé d’aspect. Tandis que Fantine descendait lentement de misère en misère, sa ville natale avait prospéré.

    Depuis deux ans environ, il s’y était accompli un de ces faits industriels qui sont les grands événements des petits pays.

    Ce détail importe, et nous croyons utile de le développer ; nous dirions presque, de le souligner.

    De temps immémorial, Montreuil-sur-Mer avait pour industrie spéciale l’imitation des jais anglais et des verroteries noires d’Allemagne. Cette industrie avait toujours végété, à cause de la cherté des matières premières qui réagissait sur la main-d’œuvre. Au moment où Fantine revint à Montreuil-sur-Mer, une transformation inouïe s’était opérée dans cette production des « articles noirs ». Vers la fin de 1815, un homme, un inconnu, était venu s’établir dans la ville et avait eu l’idée de substituer, dans cette fabrication, la gomme laque à la résine et, pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée. Ce tout petit changement avait été une révolution.

    Ce tout petit changement en effet avait prodigieusement réduit le prix de la matière première, ce qui avait permis, premièrement d’élever le prix de la main-d’œuvre, bienfait pour le pays, deuxièmement d’améliorer la fabrication, avantage pour le consommateur, troisièmement de vendre à meilleur marché tout en triplant le bénéfice, profit pour le manufacturier.

    Ainsi pour une idée trois résultats.

    En moins de trois ans, l’auteur de ce procédé était devenu riche, ce qui est bien, et avait tout fait riche autour de lui, ce qui est mieux. Il était étranger au département ! De son origine, on ne savait rien ; de ses commencements, peu de chose.

    On contait qu’il était venu dans la ville avec fort peu d’argent, quelques centaines de francs tout au plus.

    C’est de ce mince capital, mis au service d’une idée ingénieuse, fécondé par l’ordre et par la pensée, qu’il avait tiré sa fortune et la fortune de tout ce pays.

    À son arrivée à Montreuil-sur-Mer, il n’avait que les vêtements, la tournure et le langage d’un ouvrier.

    Il paraît que, le jour même où il faisait obscurément son entrée dans la petite ville de Montreuil-sur-Mer, à la tombée d’un soir de décembre, le sac au dos et le bâton d’épine à la main, un gros incendie venait d’éclater à la maison commune. Cet homme s’était jeté dans le feu, et avait sauvé, au péril de sa vie, deux enfants qui se trouvaient être ceux du capitaine de gendarmerie ; ce qui fait qu’on n’avait pas songé à lui demander son passe-port. Depuis lors, on avait su son nom. Il s’appelait le père Madeleine.


     

    II

    MADELEINE


     

    C’était un homme d’environ cinquante ans, qui avait l’air préoccupé et qui était bon. Voilà tout ce qu’on en pouvait dire.

    Grâce aux progrès rapides de cette industrie qu’il avait si admirablement remaniée, Montreuil-sur-Mer, pour ce commerce, faisait presque concurrence à Londres et à Berlin, Les bénéfices du père Madeleine étaient tels que, dès la deuxième année, il avait pu bâtir une grande fabrique dans laquelle il y avait deux vastes ateliers, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Quiconque avait faim pouvait s’y présenter, et était sûr de trouver là de l’emploi et du pain. Le père Madeleine demandait aux hommes de la bonne volonté, aux femmes des mœurs pures, à tous de la probité. Il avait divisé les ateliers, afin de séparer les sexes et que les filles et les femmes pussent rester sages. Sur ce point, il était inflexible. C’était le seul où il fût en quelque sorte intolérant. Il était d’autant plus fondé à cette sévérité que, Montreuil-sur-Mer étant une ville de garnison, les occasions de corruption abondaient. Du reste sa venue avait été un bienfait, et sa présence était une providence. Avant l’arrivée du père Madeleine, tout languissait dans le pays ; maintenant tout y vivait de la vie saine du travail. Une forte circulation échauffait tout et pénétrait partout. Le chômage et la misère étaient inconnus. Il n’y avait pas de poche si obscure où il n’y eût un peu d’argent, pas de logis si pauvre où il n’y eût un peu de joie.

    Le père Madeleine employait tout le monde. Il n’exigeait qu’une chose : soyez honnête homme ! soyez honnête fille !

    Comme nous l’avons dit, au milieu de cette activité dont il était la cause et le pivot, le père Madeleine faisait sa fortune, mais, chose assez singulière dans un simple homme de commerce, il ne paraissait point que ce fût là son principal souci. Il semblait qu’il songeât beaucoup aux autres et peu à lui. En 1820, on lui connaissait une somme de six cent mille francs, il avait dépensé plus d’un million pour la ville et pour les pauvres.

    L’hôpital était mal doté ; il y avait fondé deux lits. Montreuil-sur-Mer est divisé en ville haute et ville basse. La ville basse qu’il habitait n’avait qu’une école, méchante masure qui tombait en ruine ; il en avait construit deux, une pour les filles, l’autre pour les garçons. Il allouait de ses deniers aux deux instituteurs une indemnité double de leur maigre traitement officiel, et un jour, à quelqu’un qui s’en étonnait, il dit : « Les deux premiers fonctionnaires de l’état, c’est la nourrice et le maître d’école. » Il avait créé à ses frais une salle d’asile, chose alors presque inconnue en France, et une caisse de secours pour les ouvriers vieux et infirmes. Sa manufacture étant un centre, un nouveau quartier où il y avait bon nombre de familles indigentes avait rapidement surgi autour de lui ; il y avait établi une pharmacie gratuite.

    Dans les premiers temps, quand on le vit commencer, les bonnes âmes dirent : C’est un gaillard qui veut s’enrichir. Quand on le vit enrichir le pays avant de s’enrichir lui-même, les mêmes bonnes âmes dirent : C’est un ambitieux. Cela semblait d’autant plus probable que cet homme était religieux, et même pratiquait dans une certaine mesure, chose fort bien vue à cette époque. Il allait régulièrement entendre une basse messe tous les dimanches. Le député local, qui flairait partout des concurrences, ne tarda pas à s’inquiéter de cette religion. Ce député, qui avait été membre du corps législatif de l’empire, partageait les idées religieuses d’un père de l’oratoire connu sous le nom de Fouché, duc d’Otrante, dont il avait été la créature et l’ami. À huis clos il riait de Dieu doucement. Mais quand il vit le riche manufacturier Madeleine aller à la basse messe de sept heures, il entrevit un candidat possible, et résolut de lé dépasser ; il prit un confesseur jésuite et alla à la grand’messe et à vêpres. L’ambition en ce temps-là était, dans l’acception directe du mot, une course au clocher. Les pauvres profitèrent de cette terreur comme le bon Dieu, car l’honorable député fonda aussi deux lits à l’hôpital ; ce qui fit douze.

    Cependant en 1819 le bruit se répandit un matin dans la ville que, sur la présentation de M. le préfet et en considération des services rendus au pays, le père Madeleine allait être nommé par le roi maire de Montreuil-sur-Mer. Ceux qui avaient déclaré ce nouveau venu « un ambitieux » saisirent avec transport cette occasion que tous les hommes souhaitent de s’écrier : Là ! qu’est-ce que nous avions dit ? Tout Montreuil-sur-Mer fut en rumeur. Le bruit était fondé. Quelques jours après, la nomination parut dans le Moniteur. Le lendemain, le père Madeleine refusa.

    Dans cette même année 1819, les produits du nouveau procédé inventé par Madeleine figurèrent à l’exposition de l’industrie ; sur le rapport du jury, le roi nomma l’inventeur chevalier de la légion d’honneur. Nouvelle rumeur dans la petite ville. Eh bien ! c’est la croix qu’il voulait ! Le père Madeleine refusa la croix.

    Décidément cet homme était une énigme. Les bonnes âmes se tirèrent d’affaire en disant : Après tout, c’est une espèce d’aventurier.

    On l’a vu, le pays lui devait beaucoup, les pauvres lui devaient tout ; il était si utile qu’il avait bien fallu qu’on finît par l’aimer ; ses ouvriers en particulier l’adoraient, et il portait cette adoration avec une sorte de gravité mélancolique. Quand il fut constaté riche, « les personnes de la société » le saluèrent, et on l’appela dans la ville monsieur Madeleine ; ses ouvriers et les enfants continuèrent de l’appeler le père Madeleine, et c’était la chose qui le faisait le mieux sourire. À mesure qu’il montait, les invitations pleuvaient sur lui. « La société » le réclamait. Les petits salons guindés de Montreuil-sur-Mer qui, bien entendu, se fussent dans les premiers temps fermés à l’artisan, s’ouvrirent à deux battants au millionnaire. On lui fit mille avances. Il refusa.

    Cette fois encore les bonnes âmes ne furent point empêchées. — C’est un homme ignorant et de basse éducation. On ne sait d’où cela sort. Il ne saurait pas se tenir dans le monde. Il n’est pas du tout prouvé qu’il sache lire.

    Quand on l’avait vu gagner de l’argent, on avait dit : c’est un marchand. Quand on l’avait vu semer son argent, on avait dit : c’est un ambitieux. Quand on l’avait vu repousser les honneurs on avait dit : c’est un aventurier. Quand on le vit repousser le monde, on dit : c’est une brute.

    En 1820, cinq ans après son arrivée à Montreuil-sur-Mer, les services qu’il avait rendus au pays étaient si éclatants, le vœu de la contrée fut tellement unanime, que le roi le nomma de nouveau maire de la ville. Il refusa encore, mais le préfet résista à son refus, tous les notables vinrent le prier, le peuple en pleine rue le suppliait, l’insistance fut si vive qu’il finit par accepter. On remarqua que ce qui parut surtout le déterminer, ce fut l’apostrophe presque irritée d’une vieille femme du peuple qui lui cria du seuil de sa porte avec humeur : Un bon maire, c’est utile. Est-ce qu’on recule devant du bien qu’on peut faire ?

    Ce fut là la troisième phase de son ascension. Le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine, monsieur Madeleine devint monsieur le maire.


     

    III

    SOMMES DÉPOSÉES CHEZ LAFFITTE


     

    Du reste, il était demeuré aussi simple que le premier jour. Il avait les cheveux gris, l’œil sérieux, le teint hâlé d’un ouvrier, le visage pensif d’un philosophe. Il portait habituellement un chapeau à bords larges et une longue redingote de gros drap, boutonnée jusqu’au menton. Il remplissait ses fonctions de maire, mais hors de là il vivait solitaire. Il parlait à peu de monde, Il se dérobait aux politesses, saluait de côté, s’esquivait vite, souriait pour se dispenser de causer, donnait pour se dispenser de sourire. Les femmes disaient de lui : Quel bon ours ! Son plaisir était de se promener dans les champs.

    Il prenait ses repas toujours seul, avec un livre ouvert devant lui où il lisait. Il avait une petite bibliothèque bien faite. Il aimait les livres ; les livres sont des amis froids et sûrs. À mesure que le loisir lui venait avec la fortune, il semblait qu’il en profitât pour cultiver son esprit. Depuis qu’il était à Montreuil-sur-Mer, on remarquait que d’année en année son langage devenait plus poli, plus choisi et plus doux.

    Il emportait volontiers un fusil dans ses promenades, mais il s’en servait rarement. Quand cela lui arrivait par aventure, il avait un tir infaillible qui effrayait. Jamais il ne tuait un animal inoffensif. Jamais il ne tirait un petit oiseau.

    Quoiqu’il ne fût plus jeune, on contait qu’il était d’une force prodigieuse. Il offrait un coup de main à qui en avait besoin, relevait un cheval, poussait à une roue embourbée, arrêtait par les cornes un taureau échappé. Il avait toujours ses poches pleines de monnaie en sortant et vides en rentrant. Quand il passait dans un village, les marmots déguenillés couraient joyeusement après lui et l’entouraient comme une nuée de moucherons.

    On croyait deviner qu’il avait dû vivre jadis de la vie des champs, car il avait toutes sortes de secrets utiles qu’il enseignait aux paysans. Il leur apprenait à détruire la teigne des blés en aspergeant le grenier et en inondant les fentes du plancher d’une dissolution de sel commun, et à chasser les charançons en suspendant partout, aux murs et aux toits, dans les herbages et dans les maisons, de l’orviot en fleur. Il avait des « recettes » pour extirper d’un champ la luzette, la nielle, la vesce, la gaverolle, la queue-de-renard, toutes les herbes parasites qui mangent le blé. Il défendait une lapinière contre les rats, rien qu’avec l’odeur d’un petit cochon de Barbarie qu’il y mettait.

    Un jour il voyait des gens du pays très occupés à arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes déracinées èt déjà desséchées, et dit : — C’est mort. Cela serait pourtant bon si l’on savait s’en servir. Quant l’ortie est jeune, la feuille est un légume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile d’ortie vaut la toile de chanvre. Hachée, l’ortie est bonne pour la volaille ; broyée, elle est bonne pour lès bêtes à cornes, La graine de l’ortie mêlée au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la racine mêlée au sel produit une belle couleur jaune. C’est du reste un excellent foin qu’on peut faucher deux fois. Et que faut-il à l’ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe à mesure qu’elle mûrit, et est difficile à récolter. Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent à l’ortie ! — Il ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.

    Les enfants l’aimaient encore parce qu’il savait faire de charmants petits ouvrages avec de la paille et des noix de coco.

    Quand il voyait la porte d’une église tendue de noir, il entrait ; il recherchait un enterrement comme d’autres recherchent un baptême. Le veuvage et le malheur d’autrui l’attiraient à cause de sa grande douceur ; il se mêlait aux amis en deuil, aux familles vêtues de noir, aux prêtres gémissant autour d’un cercueil. Il semblait donner volontiers pour texte à ses pensées ces psalmodies funèbres pleines de la vision d’un autre monde. L’œil au ciel, il écoutait, avec une sorte d’aspiration vers tous les mystères de l’infini, ces voix tristes qui chantent sur le bord de l’abîme obscur de la mort.

    Il faisait une foule de bonnes actions en se cachant comme on se cache pour les mauvaises. Il pénétrait à la dérobée, le soir, dans les maisons ; il montait furtivement des escaliers. Un pauvre diable, en rentrant dans son galetas, trouvait que sa porte avait été ouverte, quelquefois même forcée, dans son absence. Le pauvre homme se récriait : quelque malfaiteur est venu ! Il entrait, et la première chose qu’il voyait, c’était une pièce d’or oubliée sur un meuble. « Le malfaiteur » qui était venu, c’était le père Madeleine.

    Il était affable et triste. Le peuple disait : Voilà un homme riche qui n’a pas l’air fier. Voilà un homme heureux qui n’a pas l’air content.

    Quelques-uns prétendaient que c’était un personnage mystérieux et affirmaient qu’on n’entrait jamais dans sa chambre, laquelle était une vraie cellule d’anachorète meublée de sabliers ailés et enjolivée de tibias en croix et de têtes de mort. Cela se disait beaucoup, si bien que quelques jeunes femmes élégantes et malignes de Montreuil-sur-Mer vinrent chez lui un jour, et lui demandèrent : — Monsieur le maire, montrez-nous donc votre chambre. On dît que c’est une grotte. — Il sourit, et les introduisit sur-le-champ dans cette « grotte ». Elles furent bien punies de leur curiosité. C’était une chambre garnie tout bonnement de meubles d’acajou assez laids comme tous les meubles de ce genre et tapissée de papier à douze sous. Elles n’y purent rien remarquer que deux flambeaux de forme vieillie qui étaient sur la cheminée et qui avaient l’air d’être en argent, « car ils étaient contrôlés ». Observation pleine de l’esprit des petites villes.

    On n’en continua pas moins de dire que personne ne pénétrait dans cette chambre et que c’était une caverne d’ermite, un rêvoir, un trou, un tombeau.

    On se chuchotait aussi qu’il avait des sommes « immenses » déposées chez Laffitte, avec cette particularité qu’elles étaient toujours à sa disposition immédiate, de telle sorte, ajoutait-on, que M. Madeleine pourrait arriver un matin chez Laffitte, signer un reçu et emporter ses deux ou trois millions en dix minutes. Dans la réalité ces « deux ou trois millions » se réduisaient, nous l’avons dit, à six cent trente ou quarante mille francs.


     

    IV

    M. MADELEINE EN DEUIL


     

    Au commencement de 1821, les journaux annoncèrent la mort de M. Myriel, évêque de Digne, « surnommé monseigneur Bienvenu », et trépassé en odeur de sainteté à l’âge de quatre-vingt-deux ans,

    L’évêque de Digne, pour ajouter ici un détail que les journaux omirent, était, quand il mourut, depuis plusieurs années aveugle, et content d’être aveugle, sa sœur étant près de lui.

    Disons-le en passant, être aveugle et être aimé, c’est en effet, sur cette terre où rien n’est complet, une des formes les plus étrangement exquises du bonheur. Avoir continuellement à ses côtés une femme, une fille, une sœur, un être charmant, qui est là parce que vous avez besoin d’elle et parce qu’elle ne peut se passer de vous, se savoir indispensable à qui nous est nécessaire, pouvoir incessamment mesurer son affection à la quantité de présence qu’elle nous donne, et se dire : puisqu’elle me consacre tout son temps, c’est que j’ai tout son cœur ; voir la pensée à défaut de la figure, constater la fidélité d’un être dans l’éclipse du monde ; percevoir le frôlement d’une robe comme un bruit d’ailes, l’entendre aller et venir, sortir, rentrer, parler, chanter, et songer qu’on est le centre de ces pas, de cette parole, de ce chant ; manifester à chaque minute sa propre attraction, se sentir d’autant plus puissant qu’on est plus infirme, devenir dans l’obscurité, et par l’obscurité, l’astre autour duquel gravite cet ange, peu de félicités égalent celle-là. Le suprême bonheur de la vie, c’est la conviction qu’on est aimé ; aimé pour soi-même, disons mieux, aimé malgré soi-même ; cette conviction, l’aveugle l’a. Dans celle détresse, être servi, c’est être caressé. Lui manque-t-il quelque chose ? Non. Ce n’est point perdre la lumière qu’avoir l’amour, Et quel amour ! un amour entièrement fait de vertu. Il n’y a point de cécité où il y a certitude. L’âme à tâtons cherche l’âme, et la trouve. Et cette âme trouvée et prouvée est une femme. Une main vous soutient, c’est la sienne ; une bouche effleure votre front, c’est sa bouche ; vous entendez une respiration tout près de vous, c’est elle. Tout avoir d’elle, depuis son culte jusqu’à sa pitié, n’être jamais quitté, avoir cette douce faiblesse qui vous secourt, s’appuyer sur ce roseau inébranlable, toucher de ses mains la providence et pouvoir la prendre dans ses bras ; Dieu palpable, quel ravissement ! Le cœur, cette céleste fleur obscure, entre dans un épanouissement mystérieux. On ne donnerait pas cette ombre pour toute la clarté. L’âme ange est là, sans cesse là ; si elle s’éloigne, c’est pour revenir ; elle s’efface comme le rêve et reparaît comme la réalité. On sent de la chaleur qui approche, la voilà. On déborde de sérénité, de gaîté et d’extase ; on est un rayonnement dans la nuit. Et mille petits soins. Des riens qui sont énormes dans ce vide. Les plus ineffables accents de la voix féminine employés à vous bercer, et suppléant pour vous à l’univers évanoui. On est caressé avec de l’âme. On ne voit rien, mais on se sent adoré. C’est un paradis de ténèbres.

    C’est de ce paradis que monseigneur Bienvenu était passé à l’autre.

    L’annonce de sa mort fut reproduite par le journal local de Montreuil-sur-Mer. M. Madeleine parut le lendemain tout en noir avec un crêpe à son chapeau.

    On remarqua dans la ville ce deuil, et l’on jasa. Cela parut une lueur sur l’origine de M, Madeleine. On en conclut qu’il avait quelque alliance avec le vénérable évêque. Il drape pour l’évêque de Digne, dirent les salons ; cela rehaussa fort M. Madeleine, et lui donna subitement et d’emblée une certaine considération dans le monde noble de Montreuil-sur-Mer. Le microscopique faubourg Saint-Germain de l’endroit songea à faire cesser la quarantaine de M. Madeleine, parent probable d’un évêque. M. Madeleine, s’aperçut de l’avancement qu’il obtenait à plus de révérences des vieilles femmes et à plus de sourires des jeunes. Un soir, une doyenne de ce petit grand monde-là, curieuse par droit d’ancienneté, se hasarda à lui demander : — Monsieur le maire est sans doute cousin du feu évêque de Digne ?

    Il dit : — Non, madame.

    Mais, reprit la douairière, vous en portez le deuil ? Il répondit : — C’est que dans ma jeunesse j’ai été laquais dans sa famille.

    Une remarque qu’on faisait encore, c’est que, chaque fois qu’il passait dans la ville un jeune savoyard courant le pays et cherchant des cheminées à ramoner, M. le maire le faisait appeler, lui demandait son nom, et lui donnait de l’argent. Les petits savoyards se le disaient et il en passait beaucoup.


     

    V

    VAGUES ÉCLAIRS À L’HORIZON


     

    Peu à peu, et avec le temps, toutes les oppositions étaient tombées. Il y avait eu d’abord contre M. Madeleine, sorte de loi que subissent toujours ceux qui s’élèvent, des noirceurs et des calomnies, puis ce ne fut plus que des méchancetés, puis ce ne fut plus que des malices, puis cela s’évanouit tout à fait ; le respect devint complet, unanime, cordial, et il arriva un moment, vers 1821, où ce mot ; monsieur le maire, fut prononcé à Montreuil-sur-Mer presque du même accent que ce mot : monseigneur l’évêque, était prononcé à Digne en 1815. On venait de dix lieues à la ronde consulter M, Madeleine. Il terminait les différends, il empêchait les procès, il réconciliait les ennemis. Chacun le prenait pour juge de son bon droit. Il semblait qu’il eût pour âme le livre de la loi naturelle. Ce fut comme une contagion de vénération qui, en six ou sept ans et de proche en proche, gagna tout le pays.

    Un seul homme, dans la ville et dans l’arrondissement, se déroba absolument à cette contagion, et, quoi que fît le père Madeleine, y demeura rebelle, comme si une sorte d’instinct, incorruptible et imperturbable, l’éveillait et l’inquiétait. Il semblerait en effet qu’il existe dans certains hommes un véritable instinct bestial, pur et intègre comme tout instinct, qui crée les antipathies et les sympathies, qui sépare fatalement une nature d’une autre nature, qui n’hésite pas, qui ne se trouble, ne se tait et ne se dément jamais, clair dans son obscurité, infaillible, impérieux, réfractaire à tous les conseils de l’intelligence et à tous les dissolvants de la raison, et qui, de quelque façon que les destinées soient faites, avertit secrètement l’homme-chien de la présence de l’homme-chat, et l’homme-renard de la présence de l’homme-lion.

    Souvent, quand M. Madeleine passait dans une rue, calme, affectueux, entouré des bénédictions de tous, il arrivait qu’un homme de haute taille, vêtu d’une redingote gris de fer, armé d’une grosse canne et coiffé d’un chapeau rabattu, se retournait brusquement derrière lui, et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, croisant les bras, secouant lentement la tête, et haussant sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure jusqu’à son nez, sorte de grimace significative qui pourrait se traduire par : — Mais qu’est-ce que c’est que cet homme-là? — Pour sûr je l’ai vu quelque part. — En tout cas, je ne suis toujours pas sa dupe.

    Ce personnage, grave d’une gravité presque menaçante, était de ceux qui, même rapidement entrevus, préoccupent l’observateur. Il se nommait Javert, et il était de la police.

    Il remplissait à Montreuil-sur-Mer les fonctions pénibles, mais utiles, d’inspecteur. Il n’avait pas vu les commencements de Madeleine. Javert devait le poste qu’il occupait à la protection de M. Chabouillet, le secrétaire du ministre d’état comte Anglès, alors préfet de police à Paris. Quand Javert était arrivé à Montreuil-sur-Mer, la fortune du grand manufacturier était déjà faite, et le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine.

    Certains officiers de police ont une physionomie à part et qui se complique d’un air de bassesse mêlé à un air d’autorité. Javert avait cette physionomie, moins la bassesse.

    Dans notre conviction, si les âmes étaient visibles aux yeux, on verrait distinctement cette chose étrange que chacun des individus de l’espèce humaine correspond à quelqu’une des espèces de la création animale ; et l’on pourrait reconnaître aisément cette vérité à peine entrevue par le penseur, que, depuis l’huître jusqu’à l’aigle, depuis le porc jusqu’au tigre, tous les animaux sont dans l’homme et que chacun d’eux est dans un homme. Quelquefois même plusieurs d’entre eux à la fois.

    Les animaux ne sont pas autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices, errantes devant nos yeux, les fantômes visibles de nos âmes. Dieu nous les montre pour nous faire réfléchir. Seulement, comme les animaux ne sont que des ombres, Dieu ne les a point faits éducables dans le sens complet du mot ; à quoi bon ? Au contraire, nos âmes étant des réalités et ayant une fin qui leur est propre, Dieu leur a donné l’intelligence, c’est-à-dire l’éducation possible. L’éducation sociale bien faite peut toujours tirer d’une âme, quelle qu’elle soit, l’utilité qu’elle contient.

    Ceci soit dit, bien entendu, au point de vue restreint de la vie terrestre apparente, et sans préjuger la question profonde de la personnalité antérieure ou ultérieure des êtres qui ne sont pas l’homme. Le moi visible n’autorise en aucune façon le penseur à nier le moi latent. Cette réserve faite, passons.

    Maintenant, si l’on admet un moment avec nous que dans tout homme il y a une des espèces animales de la création, il nous sera facile de dire ce que c’était que l’officier de paix Javert.

    Les paysans asturiens sont convaincus que dans toute portée de louve il y a un chien, lequel est tué par la mère, sans quoi en grandissant il dévorerait les autres petits.

    Donnez une face humaine à ce chien fils d’une louve, et ce sera Javert.

    Javert était né dans une prison d’une tireuse de cartes dont le mari était aux galères. En grandissant, il pensa qu’il était en dehors de la société et désespéra d’y rentrer jamais, Il remarqua que la société maintient irrémissiblement en dehors d’elle deux classes d’hommes, ceux qui l’attaquent et ceux qui la gardent ; il n’avait le choix qu’entre ces deux classes ; en même temps il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d’une inexprimable haine pour cette race de bohèmes dont il était. Il entra dans la police. Il y réussit. À quarante ans il était inspecteur.

    Il avait dans sa jeunesse été employé dans les chiourmes du midi.

    Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur ce mot face humaine que nous appliquions tout à l’heure à Javert.

    La face humaine de Javert consistait en un nez camard, avec deux profondes narines vers lesquelles montaient sur ses deux joues d’énormes favoris. On se sentait mal à l’aise la première fois qu’on voyait ces deux forêts et ces deux cavernes. Quand Javert riait, ce qui était rare et terrible, ses lèvres minces s’écartaient, et laissaient voir, non seulement ses dents, mais ses gencives, et il se faisait autour de son nez un plissement épaté et sauvage comme sur un mufle de bête fauve. Javert sérieux était un dogue ; lorsqu’il riait, c’était un tigre. Du reste, peu de crâne, beaucoup de mâchoire, les cheveux cachant le front et tombant sur les sourcils, entre les deux yeux un froncement central permanent comme une étoile de colère, le regard obscur, la bouche pincée et redoutable, l’air du commandement féroce.

    Cet homme était composé de deux sentiments très simples et relativement très bons, mais qu’il faisait presque mauvais à force de les exagérer, le respect de l’autorité, la haine de la rébellion; et à ses yeux le vol, le meurtre, tous les crimes, n’étaient que des formes de la rébellion. Il enveloppait dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans l’état, depuis le premier ministre jusqu’au garde champêtre. Il couvrait de mépris, d’aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n’admettait pas d’exceptions. D’une part il disait : — Le fonctionnaire ne peut se tromper ; le magistrat n’a jamais tort. — D’autre part il disait : — Ceux-ci sont irrémédiablement perdus. Rien de bon n’en peut sortir. — Il partageait pleinement l’opinion de ces esprits extrêmes qui attribuent à la loi humaine je ne sais quel pouvoir de faire ou, si l’on veut, de constater des démons, et qui mettent un Styx au bas de la société. Il était stoïque, sérieux, austère ; rêveur triste; humble et hautain comme les fanatiques. Son regard était une vrille, cela était froid et cela perçait. Toute sa vie tenait dans ces deux mots : veiller et surveiller. Il avait introduit la ligne droite dans ce qu’il y a de plus tortueux au monde ; il avait la conscience de son utilité, la religion de ses fonctions, et il était espion comme on est prêtre. Malheur à qui tombait sous sa main ! Il eût arrêté son père s’évadant du bagne et dénoncé sa mère en rupture de ban. Et il l’eût fait avec cette sorte de satisfaction intérieure que donne la vertu. Avec cela une vie de privations, l’isolement, l’abnégation, la chasteté, jamais une distraction. C’était le devoir implacable, la police comprise comme les Spartiates comprenaient Sparte, un guet impitoyable, une honnêteté farouche, un mouchard marmoréen, Brutus dans Vidocq.

    Toute la personne de Javert exprimait l’homme qui épie et qui se dérobe. L’école mystique de Joseph de Maistre, laquelle à cette époque assaisonnait de haute cosmogonie ce qu’on appelait les journaux ultras, n’eût pas manqué de dire que Javert était un symbole. On ne voyait pas son front qui disparaissait sous son chapeau, on ne voyait pas ses yeux qui se perdaient sous ses sourcils, on ne voyait pas son menton qui plongeait dans sa cravate, on ne voyait pas ses mains qui rentraient dans ses manches, on ne voyait pas sa canne qu’il portait sous sa redingote. Mais l’occasion venue, on voyait tout à coup sortir de toute cette ombre, comme d’une embuscade, un front anguleux et étroit, un regard funeste, un menton menaçant, des mains énormes, et un gourdin monstrueux.

    À ses moments de loisirs, qui étaient peu fréquents, tout en haïssant les livres, il lisait ; ce qui fait qu’il n’était pas complètement illettré. Cela se reconnaissait à quelque emphase dans sa parole.

    Il n’avait aucun vice, nous l’avons dit. Quand il était content de lui, il s’accordait une prise de tabac. Il tenait à l’humanité par là.

    On comprendra sans peine que Javert était l’effroi de toute cette classe que la statistique annuelle du ministère de la justice désigne sous la rubrique : Gens sans aveu. Le nom de Javert prononcé les mettait en déroute ; la face de Javert apparaissant les pétrifiait.

    Tel était cet homme formidable.

    Javert était comme un œil toujours fixé sur M. Madeleine. Œil plein de soupçon et de conjectures. M. Madeleine avait fini par s’en apercevoir, mais il sembla que cela fût insignifiant pour lui. Il ne fit pas même une question à Javert, il ne le cherchait ni ne l’évitait, il portait sans paraître y faire attention, ce regard gênant et presque pesant. Il traitait Javert comme tout le monde, avec aisance et bonté.

    À quelques paroles échappées à Javert, on devinait qu’il avait recherché secrètement, avec cette curiosité qui tient à la race et où il entre autant d’instinct que de volonté, toutes les traces antérieures que le père Madeleine avait pu laisser ailleurs. Il paraissait savoir, et il disait parfois à mots couverts, que quelqu’un avait pris certaines informations dans certains pays sur une certaine famille disparue. Une fois il lui arriva de dire, se parlant à lui-même : — Je crois que je le tiens ! — Puis il resta trois jours pensif sans prononcer une parole. Il paraît que le fil qu’il croyait tenir s’était rompu.

    Du reste, et ceci est le correctif nécessaire à ce que le sens de certains mots pourrait présenter de trop absolu, il ne peut y avoir rien de vraiment infaillible dans une créature humaine, et le propre de l’instinct est précisément de pouvoir être troublé, dépisté et dérouté, Sans quoi il serait supérieur à l’intelligence, et la bête se trouverait avoir une meilleure lumière que l’homme.

    Javert était évidemment quelque peu déconcerté par le complet naturel et la tranquillité de M. Madeleine.

    Un jour pourtant son étrange manière d’être parut faire impression sur M. Madeleine. Voici à quelle occasion.


     

    VI

    LE PÈRE FAUCHELEVENT


     

    M. Madeleine passait un matin dans une ruelle non pavée de Montreuil-sur-Mer. Il entendit du bruit et vit un groupe à quelque distance. Il y alla. Un vieux homme, nommé le père Fauchelevent, venait de tomber sous sa charrette dont le cheval s’était abattu.

    Ce Fauchelevent était un des rares ennemis qu’eût encore M. Madeleine à cette époque. Lorsque Madeleine était arrivé dans le pays, Fauchelevent, ancien tabellion et paysan presque lettré, avait un commerce qui commençait à aller mal. Fauchelevent avait vu ce simple ouvrier qui s’enrichissait, tandis que lui, maître, se ruinait. Cela l’avait rempli de jalousie, et il avait fait ce qu’il avait pu en toute occasion pour nuire à Madeleine, Puis la faillite était venue, et, vieux, n’ayant plus à lui qu’une charrette et un cheval, sans famille et sans enfants du reste, pour vivre il s’était fait charretier.

    Le cheval avait les deux cuisses cassées et ne pouvait se relever. Le vieillard était engagé entre les roues. La chute avait été tellement malheureuse que toute la voiture pesait sur sa poitrine. La charrette était assez lourdement chargée. Le père Fauchelevent poussait des râles lamentables. On avait essayé de le tirer, mais en vain. Un effort désordonné, une aide maladroite, une secousse à faux pouvaient l’achever. Il était impossible de le dégager autrement qu’en soulevant la voiture par dessous. Javert, qui était survenu au moment de l’accident, avait envoyé chercher un cric.

    M. Madeleine arriva. On s’écarta avec respect.

    À l’aide! criait le vieux Fauchelevent. Qui est ce qui est un bon enfant pour sauver le vieux ?

    M. Madeleine se tourna vers les assistants :

    A-t-on un cric ?

    On en est allé quérir un, répondit un paysan.

    Dans combien de temps l’aura-t-on ?

    On est allé au plus près, au lieu Flachot, où il y a un maréchal ; mais c’est égal, il faudra bien un bon quart d’heure.

    Un quart d’heure ! s’écria Madeleine.

    Il avait plu la veille, le sol était détrempé, la charrette s’enfonçait dans la terre à chaque instant et comprimait de plus en plus la poitrine du vieux charretier. Il était évident qu’avant cinq minutes il aurait les côtes brisées.

    Il est impossible d’attendre un quart d’heure, dit Madeleine aux paysans qui regardaient.

    Il faut bien !

    Mais il ne sera plus temps ! Vous ne voyez donc pas que la charrette s’enfonce ?

    Dame !

    Écoutez, reprit Madeleine, il y a encore assez de place sous la voiture pour qu’un homme s’y glisse et la soulève avec son dos. Rien qu’une demi-minute, et l’on tirera le pauvre homme. Y a-t-il quelqu’un qui ait des reins et du cœur ? Cinq louis d’or à gagner !

    Personne ne bougea dans le groupe.

    Dix louis, dit Madeleine.

    Les assistants baissaient les yeux. Un d’eux murmura : — Il faudrait être diablement fort. Et puis, on risque de se faire écraser !

    Allons ! recommença Madeleine, vingt louis !

    Même silence.

    Ce n’est pas la bonne volonté qui leur manque, dit une voix.

    M. Madeleine se retourna, et reconnut Javert. Il ne l’avait pas aperçu en arrivant.

    Javert continua :

    C’est la force. Il faudrait être un terrible homme pour faire la chose de lever une voiture comme cela sur son dos.

    Puis regardant fixement M. Madeleine, il poursuivit en appuyant sur chacun des mots qu’il prononçait :

    Monsieur Madeleine, je n’ai jamais connu qu’un seul homme capable de faire ce que vous demandez là.

    Madeleine tressaillit.

    Javert ajouta avec un air d’indifférence, mais sans quitter des yeux Madeleine :

    C’était un forçat.

    Ah ! dit Madeleine.

    Du bagne de Toulon.

    Madeleine devint pâle.

    Cependant la charrette continuait à s’enfoncer lentement. Le père Fauchelevent râlait et hurlait :

    J’étouffe ! Ça me brise les côtes ! Un cric ! quelque chose ! Ah !

    Madeleine regarda autour de lui :

    Il n’y a donc personne qui veuille gagner vingt louis et sauver la vie à ce pauvre vieux ?

    Aucun des assistants ne remua. Javert reprit :

    Je n’ai jamais connu qu’un homme qui pût remplacer un cric, c’était ce forçat.

    Ah ! voilà que ça m’écrase ! cria le vieillard.

    Madeleine leva la tête, rencontra l’œil de faucon de Javert toujours attaché sur lui, regarda les paysans immobiles, et sourit tristement. Puis, sans dire une parole, il tomba à genoux, et avant même que la foule eût eu le temps de jeter un cri, il était sous la voiture.

    Il y eut un affreux moment d’attente et de silence.

    On vit Madeleine presque à plat ventre sous ce poids effrayant essayer deux fois en vain de rapprocher ses coudes de ses genoux. On lui cria : — Père Madeleine ! retirez-vous de là ! — Le vieux Fauchelevent lui-même lui dit : — Monsieur Madeleine ! allez-vous-en ! C’est qu’il faut que je meure, voyez-vous ! Laissez-moi ! Vous allez vous faire écraser aussi ! — Madeleine ne répondit pas.

    Les assistants haletaient. Les roues avaient continué de s’enfoncer, et il était déjà devenu presque impossible que Madeleine sortît de dessous la voiture.

    Tout à coup on vit l’énorme masse s’ébranler, la charrette se soulevait lentement, les roues sortaient à demi de l’ornière. On entendit une voix étouffée qui criait : Dépêchez-vous ! aidez ! C’était Madeleine qui venait de faire un dernier effort.

    Ils se précipitèrent. Le dévouement d’un seul avait donné de la force et du courage à tous. La charrette fut enlevée par vingt bras. Le vieux Fauchelevent était sauvé.

    Madeleine se releva. Il était blême, quoique ruisselant de sueur. Ses habits étaient déchirés et couverts de boue. Tous pleuraient. Le vieillard lui baisait les genoux et l’appelait le bon Dieu. Lui, il avait sur le visage je ne sais quelle expression de souffrance heureuse et céleste, et il fixait son œil tranquille sur Javert qui le regardait toujours.


     

    VII

    FAUCHELEVENT DEVIENT JARDINIER À PARIS


     

    Fauchelevent s’était démis la rotule dans sa chute. Le père Madeleine le fit transporter dans une infirmerie qu’il avait établie pour ses ouvriers dans le bâtiment même de sa fabrique et qui était desservie par deux sœurs de charité. Le lendemain matin, le vieillard trouva un billet de mille francs sur la table de nuit, avec ce mot de la main du père Madeleine : Je vous achète votre charrette et votre cheval. La charrette était brisée et le cheval était mort. Fauchelevent guérit, mais son genou resta ankylosé. M. Madeleine, par les recommandations des sœurs et de son curé, fit placer le bonhomme comme jardinier dans un couvent de femmes du quartier Saint-Antoine à Paris.

    Quelque temps après, M. Madeleine fut nommé maire, La première fois que Javert vit M. Madeleine revêtu de l’écharpe qui lui donnait toute autorité sur la ville, il éprouva cette sorte de frémissement qu’éprouverait un dogue qui flairerait un loup sous les habits de son maître. À partir de ce moment, il l’évita le plus qu’il put. Quand les besoins du service l’exigeaient impérieusement et qu’il ne pouvait faire autrement que de se trouver avec M. le maire, il lui parlait avec un respect profond.

    Cette prospérité créée à Montreuil-sur-Mer par le père Madeleine avait, outre les signes visibles que nous avons indiqués, un autre symptôme qui, pour n’être pas visible, n’était pas moins significatif. Ceci ne trompe jamais. Quand la population souffre, quand le travail manque, quand le commerce est nul, le contribuable résiste à l’impôt par pénurie, épuise et dépasse les délais, et l’état dépense beaucoup d’argent en frais de contrainte et de rentrée. Quand le travail abonde, quand le pays est heureux et riche, l’impôt se paye aisément et coûte peu à l’état. On peut dire que la misère et la richesse publiques ont un thermomètre infaillible, les frais de perception de l’impôt. En sept ans, les frais de perception de l’impôt s’étaient réduits des trois quarts dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, ce qui faisait fréquemment citer cet arrondissement entre tous par M. de Villèle, alors ministre des finances.

    Telle était la situation du pays, lorsque Fantine y revint. Personne ne se souvenait plus d’elle. Heureusement la porte de la fabrique de M. Madeleine était comme un visage ami. Elle s’y présenta, et fut admise dans l’atelier des femmes. Le métier était tout nouveau pour Fantine, elle n’y pouvait être bien adroite, elle ne tirait donc de sa journée de travail que peu de chose, mais enfin cela suffisait, le problème était résolu, elle gagnait sa vie.


     

    VIII

    MADAME VICTURNIEN DÉPENSE TRENTE-CINQ FRANCS POUR LA MORALE


     

    Quand Fantine vit qu’elle vivait, elle eut un moment de joie. Vivre honnêtement de son travail, quelle grâce du ciel ! Le goût du travail lui revint vraiment. Elle acheta un miroir, se réjouit d’y regarder sa jeunesse, ses beaux cheveux et ses belles dents, oublia beaucoup de choses, ne songea plus qu’à sa Cosette et à l’avenir possible, et fut presque heureuse. Elle loua une petite chambre et la meubla à crédit sur son travail futur ; reste de ses habitudes de désordre.

    Ne pouvant pas dire qu’elle était mariée, elle s’était bien gardée, comme nous l’avons déjà fait entrevoir, de parler de sa petite fille.

    En ces commencements, on l’a vu, elle payait exactement les Thénardier. Comme elle ne savait que signer, elle était obligée de leur écrire par un écrivain public.

    Elle écrivait souvent. Cela fut remarqué. On commença à dire tout bas dans l’atelier des femmes que Fantine « écrivait des lettres » et qu’ « elle avait des allures ».

    Il n’y à rien de tel pour épier les actions des gens que ceux qu’elles ne regardent pas. — Pourquoi ce monsieur ne vient-il jamais qu’à la brune ? pourquoi monsieur un tel n’accroche-t-il jamais sa clef au clou le jeudi ? pourquoi prend-il toujours les petites rues ? pourquoi madame descend-elle toujours de son fiacre avant d’arriver à la maison ? pourquoi envoie-t-elle acheter un cahier de papier à lettres, quand elle en a « plein sa papeterie » ? etc., etc. — Il existe des êtres qui, pour connaître le mot de ces énigmes, lesquelles leur sont du reste parfaitement indifférentes, dépensent plus d’argent, prodiguent plus de temps, se donnent plus de peine qu’il n’en faudrait pour dix bonnes actions ; et cela gratuitement, pour le plaisir, sans être payés de la curiosité autrement que par la curiosité. Ils suivront celui-ci ou celle-là des jours entiers, feront faction des heures à des coins de rue, sous des portes d’allées, la nuit, par le froid et par la pluie, corrompront des commissionnaires, griseront des cochers de fiacre et des laquais, achèteront une femme de chambre, feront acquisition d’un portier. Pourquoi ? pour rien. Pur acharnement de voir, de savoir et de pénétrer. Pure démangeaison de dire. Et souvent ces secrets connus, ces mystères publiés, ces énigmes éclairées du grand jour, entraînent des catastrophes, des duels, des faillites, des familles ruinées, des existences brisées, à la grande joie de ceux qui ont « tout découvert » sans intérêt et par pur instinct. Chose triste.

    Certaines personnes sont méchantes uniquement par besoin de parler. Leur conversation, causerie dans le salon, bavardage dans l’antichambre, est comme ces cheminées qui usent vite le bois ; il leur faut beaucoup de combustible ; et le combustible, c’est le prochain.

    On observa donc Fantine,

    Avec cela, plus d’une était jalouse de ses cheveux blonds et de ses dents blanches.

    On constata que dans l’atelier, au milieu des autres, elle se détournait souvent pour essuyer une larme. C’étaient les moments où elle songeait à son enfant, peut-être aussi à l’homme qu’elle avait aimé.

    C’est un douloureux labeur que la rupture des sombres attaches du passé.

    On constata qu’elle écrivait, au moins deux fois par mois, toujours à la même adresse, et qu’elle affranchissait la lettre. On parvint à se procurer l’adresse : Monsieur, Monsieur Thénardier, aubergiste, à Montfermeil. On fit jaser au cabaret l’écrivain public, vieux bonhomme qui ne pouvait pas emplir son estomac de vin rouge sans vider sa poche aux secrets. Bref, on sut que Fantine avait un enfant. « Ce devait être une espèce de fille. » Il se trouva une commère qui fit le voyage de Montfermeil, parla aux Thénardier, et dit à son retour : Pour mes trente-cinq francs, j’en ai eu le cœur net. J’ai vu l’enfant !

    La commère qui fit cela était une gorgone appelée madame Victurnien, gardienne et portière de la vertu de tout le monde. Madame Victurnien avait cinquante-six ans, et doublait le masque de la laideur du masque de la vieillesse. Voix chevrotante, esprit capricant. Cette vieille femme avait été jeune, chose étonnante. Dans sa jeunesse, en plein 93, elle avait épousé un moine échappé du cloître en bonnet rouge et passé des bernardins aux jacobins. Elle était sêche, rêche, revêche, pointue, épineuse, presque venimeuse ; tout en se souvenant de son moine dont elle était veuve, et qui l’avait fort domptée et pliée. C’était une ortie où l’on voyait le froissement du froc. À la restauration, elle s’était faite bigote, et si énergiquement que les prêtres lui avaient pardonné son moine. Elle avait un petit bien qu’elle léguait bruyamment à une communauté religieuse. Elle était fort bien vue à l’évêché d’Arras. Cette madame Victurnien donc alla à Montfermeil et revint en disant : J’ai vu l’enfant.

    Tout cela prit du temps. Fantine était depuis plus d’un an à la fabrique, lorsqu’un matin la surveillante de l’atelier lui remit, de la part de M. le maire, cinquante francs, en lui disant qu’elle ne faisait plus partie de l’atelier et en l’engageant, de la part de M. le maire, à quitter le pays.

    C’était précisément dans ce même mois que les Thénardier, après avoir demandé douze francs au lieu de six, venaient d’exiger quinze francs au lieu de douze.

    Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s’en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette. Elle balbutia quelques mots suppliants. La surveillante lui signifia qu’elle eût à sortir sur-le-champ de l’atelier. Fantine n’était du reste qu’une ouvrière médiocre. Accablée de honte plus encore que de désespoir, elle quitta l’atelier et rentra dans sa chambre. Sa faute était donc maintenant connue de tous !

    Elle ne se sentit plus la force de dire un mot. On lui conseilla de voir M. le maire ; elle n’osa pas. M. le maire lui donnait cinquante francs, parce qu’il était bon, et la chassait, parce qu’il était juste. Elle plia sous cet arrêt.


     

    IX

    SUCCÈS DE MADAME VICTURNIEN


     

    La veuve du moine fut donc bonne à quelque chose.

    Du reste ; M. Madeleine n’avait rien su de tout cela. Ce sont là de ces combinaisons d’événements dont la vie est pleine. M. Madeleine avait pour habitude de n’entrer presque jamais dans l’atelier des femmes. Il avait mis à la tête de cet atelier une vieille fille que le curé lui avait donnée, et il avait toute confiance dans cette surveillante, personne vraiment respectable, ferme, équitable, intègre, remplie de la charité qui consiste à donner, mais n’ayant pas au même degré la charité qui consiste à comprendre et à pardonner. M. Madeleine se remettait de tout sur elle. Les meilleurs hommes sont souvent forcés de déléguer leur autorité. C’est dans cette pleine puissance et avec la conviction qu’elle faisait bien, que la surveillante avait instruit le procès, jugé, condamné et exécuté Fantine.

    Quant aux cinquante francs, elle les avait donnés sur une somme que M. Madeleine lui confiait pour aumônes et secours aux ouvrières et dont elle ne rendait pas compte.

    Fantine s’offrit comme servante dans le pays ; elle alla d’une maison à l’autre. Personne ne voulut d’elle. Elle n’avait pu quitter la ville. Le marchand fripier auquel elle devait ses meubles, quels meubles ! lui avait dit : Si vous vous en allez, je vous fais arrêter comme voleuse. Le propriétaire auquel elle devait son loyer, lui avait dit : Vous êtes jeune et jolie, vous pouvez payer. Elle partagea les cinquante francs entre le propriétaire et le fripier, rendit au marchand les trois quarts de son mobilier, ne garda que le nécessaire, et se trouva sans travail, sans état, n’ayant plus que son lit, et devant encore environ cent francs.

    Elle se mit à coudre de grosses chemises pour les soldats de la garnison, et gagnait douze sous par jour. Sa fille lui en coûtait dix. C’est en ce moment qu’elle commença à mal payer les Thénardier.

    Cependant une vieille femme qui lui allumait sa chandelle quand elle rentrait le soir, lui enseigna l’art de vivre dans la misère. Derrière vivre de peu, il y a vivre de rien. Ce sont deux chambres ; la première est obscure, la seconde est noire.

    Fantine apprit comment on se passe tout à fait de feu en hiver, comment on renonce à un oiseau qui vous mange un liard de millet tous les deux jours, comment on fait de son jupon sa couverture et de sa couverture son jupon, comment on ménage sa chandelle en prenant son repas à la lumière de la fenêtre d’en face. On ne sait pas tout ce que certains êtres faibles, qui ont vieilli dans le dénûment et l’honnêteté, savent tirer d’un sou. Cela finit par être un talent. Fantine acquit ce sublime talent et reprit un peu de courage.

    À celle époque, elle disait à une voisine : — Bah ! je me dis : en ne dormant que cinq heures et en travaillant tout le reste à mes coutures, je parviendrai bien toujours à gagner à peu près du pain. Et puis, quand on est triste, on mange moins. Eh bien ! des souffrances, des inquiétudes, un, peu de pain d’un côté, des chagrins de l’autre, tout cela me nourrira.

    Dans cette détresse, avoir sa petite fille eût été un étrange bonheur. Elle songea à la faire venir. Mais quoi ! lui faire partager son dénûment ! Et puis, elle devait aux Thénardier ! comment s’acquitter ? Et le voyage ! comment le payer ?

    La vieille qui lui avait donné ce qu’on pourrait appeler des leçons de vie indigente, était une sainte fille nommée Marguerite, dévote de la bonne dévotion, pauvre, et charitable pour les pauvres et même pour les riches, sachant tout juste assez écrire pour signer Margeritte, et croyant en Dieu, ce qui est la science.

    Il y a beaucoup de ces vertus-là en bas ; un jour elles seront en haut. Cette vie a un lendemain.

    Dans les premiers temps, Fantine avait été si honteuse qu’elle n’avait pas osé sortir.

    Quand elle était dans la rue, elle devinait qu’on se retournait derrière elle et qu’on la montrait du doigt ; tout le monde la regardait et personne ne la saluait ; le mépris âcre et froid des passants lui pénétrait dans la chair et dans l’âme comme une bise.

    Dans les petites villes, il semble qu’une malheureuse soit nue sous le sarcasme et la curiosité de tous. À Paris, du moins, personne ne vous connaît, et cette obscurité est un vêtement. Oh ! comme elle eût souhaité venir à Paris ! Impossible.

    Il fallut bien s’accoutumer à la déconsidération, comme elle s’était accoutumée à l’indigence. Peu à peu elle en prit son parti. Après deux ou trois mois elle secoua la honte et se mit à sortir comme si de rien n’était. — Cela m’est bien égal, dit-elle. Elle alla et vint, la tête haute, avec un sourire amer, et sentit qu’elle devenait effrontée.

    Madame Victurnien quelquefois la voyait passer de sa fenêtre, remarquait la détresse de « cette créature », grâce à elle « remise à sa place », et se félicitait. Les méchants ont un bonheur noir.

    L’excès du travail fatiguait Fantine, et là petite toux sèche qu’elle avait augmenta. Elle disait quelquefois à sa voisine : — Tâtez donc comme mes mains sont chaudes.

    Cependant le matin, quand elle peignait avec un vieux peigne cassé ses beaux cheveux qui ruisselaient comme de la soie floche, elle avait une minute de coquetterie heureuse.


     

    X

    SUITE DU SUCCÈS


     

    Elle avait été congédiée vers la fin de l’hiver ; l’été se passa, mais l’hiver revint. Jours courts, moins de travail. L’hiver, point de chaleur, point de lumière, point de midi, le soir touche au matin, brouillard, crépuscule, la fenêtre est grise, on n’y voit pas clair. Le ciel est un soupirail. Toute la journée est une cave. Le soleil a l’air d’un pauvre. L’affreuse saison ! L’hiver change en pierre l’eau du ciel et le cœur de l’homme. Ses créanciers la harcelaient.

    Fantine gagnait trop peu. Ses dettes avaient grossi. Les Thénardier, mal payés, lui écrivaient à chaque instant des lettres dont le contenu la désolait et dont le port la ruinait. Un jour ils lui écrivirent que sa petite Cosette était toute nue par le froid qu’il faisait, qu’elle avait besoin d’une jupe de laine, et qu’il fallait au moins que la mère envoyât dix francs pour cela. Elle reçut la lettre et la froissa dans ses mains tout le jour. Le soir elle entra chez un barbier qui habitait le coin de la rue, et défit son peigne. Ses admirables cheveux blonds lui tombèrent jusqu’aux reins.

    Les beaux cheveux ! s’écria le barbier.

    Combien m’en donneriez-vous ? dit-elle.

    Dix francs.

    Coupez-les.

    Elle acheta une jupe de tricot et l’envoya aux Thénardier.

    Cette jupe fit les Thénardier furieux. C’était de l’argent qu’ils voulaient. Ils donnèrent la jupe à Éponine. La pauvre Alouette continua de frissonner.

    Fantine pensa : — Mon enfant n’a plus froid. Je l’ai habillée de mes cheveux. — Elle mettait de petits bonnets ronds qui cachaient sa tête tondue et avec lesquels elle était encore jolie.

    Un travail ténébreux se faisait dans le cœur de Fantine. Quand elle vit qu’elle ne pouvait plus se coiffer, elle commença à tout prendre en haine autour d’elle. Elle avait longtemps partagé la vénération de tous pour le père Madeleine ; cependant, à force de se répéter que c’était lui qui l’avait chassée, et qu’il était la cause de son malheur, elle en vint à le haïr lui aussi, lui surtout. Quand elle passait devant la fabrique aux heures où les ouvriers sont sur la porte, elle affectait de rire et de chanter.

    Une vieille ouvrière qui la vit une fois chanter et rire de cette façon dit : — Voilà une fille qui finira mal.

    Elle prit un amant, le premier venu, un homme qu’elle n’aimait pas, par bravade, avec la rage dans le cœur. C’était un misérable, une espèce de musicien mendiant, un oisif gueux, qui la battait, et qui la quitta comme elle l’avait pris, avec dégoût.

    Elle adorait son enfant.

    Plus elle descendait, plus tout devenait sombre autour d’elle, plus ce petit ange rayonnait dans le fond de son âme. Elle disait : Quand je serai riche, j’aurai ma Cosette avec moi ; et elle riait. La toux ne la quittait pas, et elle avait des sueurs dans le dos.

    Un jour elle reçut des Thénardier une lettre ainsi conçue : « Cosette est malade d’une maladie qui est dans le pays. Une fièvre miliaire, qu’ils appellent. Il faut des drogues chères. Cela nous ruine et nous ne pouvons plus payer. Si vous ne nous envoyez pas quarante francs avant huit jours, la petite est morte. »

    Elle se mit à rire aux éclats, et elle dit à sa vieille voisine : — Ah ! ils sont bons ! quarante francs ! que ça ! ça fait deux napoléons ! Où veulent-ils que je les prenne ? Sont-ils bêtes ces paysans !

    Cependant elle alla dans l’escalier près d’une lucarne et relut cette lettre. Puis elle descendit l’escalier et sortit en courant et en sautant, riant toujours.

    Quelqu’un qui la rencontra lui dit — Qu’est-ce que vous avez donc à être si gaie ?

    Elle répondit : — C’est une bonne bêtise que viennent de m’écrire des gens de la campagne. Ils me demandent quarante francs. Paysans, va !

    Comme elle passait sur la place, elle vit beaucoup de monde qui entourait une voiture de forme bizarre, sur l’impériale de laquelle pérorait tout debout un homme vêtu de rouge. C’était un bateleur dentiste en tournée, qui offrait au public des râteliers complets, des opiats, des poudres et des élixirs.

    Fantine se mêla au groupe et se mit à rire comme les autres de cette harangue où il y avait de l’argot pour la canaille et du jargon pour les gens comme il faut. L’arracheur de dents vit cette belle fille qui riait, et s’écria tout à coup : — Vous avez de jolies dents, la fille qui riez là. Si vous voulez me vendre vos deux palettes, je vous donne de chaque un napoléon d’or.

    Qu’est-ce que c’est que ça, mes palettes ? demanda Fantine.

    Les palettes, reprit le professeur dentiste, c’est les dents de devant, les deux d’en haut.

    Quelle horreur ! s’écria Fantine,

    Deux napoléons ! grommela une vieille édentée qui était là. Qu’en voilà une qui est heureuse !

    Fantine s’enfuit et se boucha les oreilles pour ne pas entendre la voix enrouée de l’homme qui lui criait : — Ré fléchissez, la belle ! deux napoléons, ça peut servir. Si le cœur vous en dit, venez ce soir à l’auberge du Tillac d’argent, vous m’y trouverez.

    Fantine rentra, elle était furieuse et conta la chose à sa bonne voisine Marguerite : — Comprenez-vous ? ne voilà-t-il pas un abominable homme ? comment laisse-t-on des gens comme cela aller dans le pays ! M’arracher mes deux dents de devant ! mais je serais horrible ! Les cheveux repoussent, mais les dents ! Ah ! le monstre d’homme ! j’aimerais mieux me jeter d’un cinquième la tête la première sur le pavé ! Il m’a dit qu’il serait ce soir au Tillac d’argent.

    Et qu’est-ce qu’il offrait ? demanda Marguerite.

    Deux napoléons.

    Cela fait quarante francs.

    Oui, dit Fantine, cela fait quarante francs.

    Elle resta pensive, et se mit à son ouvrage. Au bout d’un quart d’heure, elle quitta sa couture et alla relire la lettre des Thénardier sur l’escalier.

    En rentrant, elle dit à Marguerite qui travaillait près d’elle :

    Qu’est-ce que c’est donc cela une fièvre miliaire ? Savez-vous ?

    Oui, répondit la vieille fille, c’est une maladie.

    Ça a donc besoin de beaucoup de drogues ?

    Oh ! des drogues terribles.

    Où ça vous prend-il ?

    C’est une maladie qu’on a comme ça.

    Cela attaque donc les enfants ?

    Surtout les enfants.

    Est-ce qu’on en meurt ?

    Très bien, dit Marguerite.

    Fantine sortit et alla encore une fois relire la lettre sur l’escalier.

    Le soir elle descendit et on là vit qui se dirigeait du côté de la rue de Paris où sont les auberges.

    Le lendemain matin, comme Marguerite entrait dans la chambre de Fantine avant le jour, car elles travaillaient toujours ensemble et de cette façon n’allumaient qu’une chandelle pour deux, elle trouva Fantine assise sur son fil, pâle, glacée. Elle ne s’était pas couchée. Son bonnet était tombé sur ses genoux. La chandelle avait brûlé toute la nuit et était presque entièrement consumée.

    Marguerite s’arrêta sur le seuil, pétrifiée de cet énorme désordre, et s’écria :

    Seigneur ! la chandelle qui est toute brûlée ! il s’est passé des événements !

    Puis elle regarda Fantine qui tournait vers elle sa tête sans cheveux.

    Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans,

    Jésus ! fit Marguerite, qu’est-ce que vous avez, Fantine ?

    Je n’ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente.

    En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons qui brillaient sur la table.

    Ah, Jésus Dieu ! dit Marguerite. Mais c’est une fortune ! Où avez-vous eu ces louis d’or ?

    Je les ai eus, répondit Fantine.

    En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C’était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.

    Les deux dents étaient arrachées.

    Elle envoya les quarante francs à Montfermeil.

    Du reste c’était une ruse des Thénardier pour avoir de l’argent. Cosette n’était pas malade.

    Fantine jeta son miroir par la fenêtre. Depuis longtemps elle avait quitté sa cellule du second pour une mansarde fermée d’un loquet sous le toit ; un de ces galetas dont le plafond fait angle avec le plancher et vous heurte à chaque instant la tête. Le pauvre ne peut aller au fond de sa chambre comme au fond de sa destinée qu’en se courbant de plus en plus. Elle n’avait plus de lit, il lui restait une loque qu’elle appelait sa couverture, un matelas à terre et une chaise dépaillée. Un petit rosier qu’elle avait s’était desséché dans un coin, oublié. Dans l’autre coin, il y avait un pot à beurre à mettre l’eau, qui gelait l’hiver, et où les différents niveaux de l’eau restaient longtemps marqués par des cercles de glace. Elle avait perdu la honte, elle perdit la coquetterie. Dernier signe. Elle sortait avec des bonnets sales. Soit faute de temps, soit indifférence, elle ne raccommodait plus son linge. À mesure que les talons s’usaient, elle tirait ses bas dans ses souliers. Cela se voyait à de certains plis perpendiculaires. Elle rapiéçait son corset, vieux et usé, avec des morceaux de calicot qui se déchiraient au moindre mouvement. Les gens auxquels elle devait lui fai saient « des scènes », et ne lui laissaient aucun repos. Elle les trouvait dans la rue, elle les retrouvait dans son escalier. Elle passait des nuits à pleurer et à songer. Elle avait les yeux très brillants, et elle sentait une douleur fixe dans l’épaule, vers le haut de l’omoplate gauche. Elle toussait beaucoup. Elle haïssait profondément le père Madeleine, et ne se plaignait pas. Elle cousait dix-sept heures par jour ; mais un entrepreneur du travail des prisons qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu, coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite ; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait. — Cent francs, songea Fantine. Mais où y a-t-il un état à gagner cent sous par jour ?

    Allons! dit-elle, vendons le reste.

    L’infortunée se fit fille publique.


     

    XI

    CHRISTUS NOS LIBERAVIT


     

    Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? C’est la société achetant une esclave.

    À qui ? À la misère.

    À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte.

    La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore. On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.

    Il pèse sur la femme, c’est-à-dire sur la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité. Ceci n’est pas une des moindres hontes de l’homme.

    Au point de ce douloureux drame où nous sommes arrivés, il ne reste plus rien à Fantine de ce qu’elle a été autrefois. Elle est devenue marbre en devenant boue. Qui la touche a froid. Elle passe, elle vous subit, et elle vous ignore ; elle est la figure déshonorée et sévère. La vie et l’ordre social lui ont dit leur dernier mot. Il lui est arrivé tout ce qui lui arrivera. Elle a tout ressenti, tout supporté, tout éprouvé, tout souffert, tout perdu, tout pleuré. Elle est résignée de cette résignation qui ressemble à l’indifférence comme la mort ressemble au sommeil. Elle n’évite plus rien. Elle ne craint plus rien. Tombe sur elle toute la nuée et passe sur elle tout l’océan ! que lui importe ! c’est une éponge imbibée.

    Elle le croit du moins, mais c’est une erreur de s’imaginer qu’on épuise le sort et qu’on touche le fond de quoi que ce soit.

    Hélas ! qu’est-ce que toutes ces destinées ainsi poussées pêle-mêle ? où vont-elles ? pourquoi sont-elles ainsi ?

    Celui qui sait cela voit toute l’ombre.

    Il est seul. Il s’appelle Dieu.


     

    XII

    LE DÉSŒUVREMENT DE M. BAMATABOIS


     

    Il y a dans toutes les petites villes, et il y avait à Montreuil-sur-Mer en particulier, une classe de jeunes gens qui grignotent quinze cents livres de rente en province du même air dont leurs pareils dévorent à Paris deux cent mille francs par an. Ce sont des êtres de la grande espèce neutre ; hongres, parasites, nuls, qui ont un peu de terre, un peu de sottise et un peu d’esprit, qui seraient des rustres dans un salon et se croient des gentilshommes au cabaret, qui disent : mes prés, mes bois, mes paysans, sifflent les actrices du théâtre pour prouver que ce sont des gens de goût, querellent les officiers de la garnison pour montrer qu’ils sont gens de guerre, chassent, fument, bâillent, boivent, sentent le tabac, jouent au billard, regardent les voyageurs descendre de diligence, vivent au café, dînent à l’auberge, ont un chien qui mange les os sous la table et une maîtresse qui pose les plats dessus, tiennent à un sou, exagèrent les modes, admirent la tragédie, méprisent les femmes, usent leurs vieilles bottes, copient Londres à travers Paris et Paris à travers Pont-à-Mousson, vieillissent hébétés, ne travaillent pas, ne servent à rien, et ne nuisent pas à grand’chose.

    M. Félix Tholomyès, resté dans sa province et n’ayant jamais vu Paris, serait un de ces hommes-là.

    S’ils étaient plus riches, on dirait : ce sont des élégants ; s’ils étaient plus pauvres, on dirait : ce sont des fainéants. Ce sont tout simplement des désœuvrés. Parmi ces désœuvrés, il y a des ennuyeux, des ennuyés, des rêvasseurs et quelques drôles.

    Dans ce temps-là, un élégant se composait d’un grand col, d’une grande cravate, d’une montre à breloques, de trois gilets superposés de couleur différentes, le bleu et le rouge en dedans, d’un habit couleur olive à taille courte, à queue de morue, à double rangée de boutons d’argent serrés les uns contre les autres et montant jusque sur l’épaule, et d’un pantalon olive plus clair, orné sur les deux coulures d’un nombre de côtes indéterminé, mais toujours impair, variant de une à onze, limite qui n’était jamais franchie. Ajoutez à cela des souliers-bottes avec de petits fers au talon, un chapeau à haute forme et à bords étroits, des cheveux en touffe, une énorme canne, et une conversation rehaussée des calembours de Potier. Sur le tout des éperons et des moustaches. À cette époque, des moustaches voulaient dire bourgeois et des éperons voulaient dire piéton.

    L’élégant de province portait les éperons plus longs et les moustaches plus farouches.

    C’était le temps de la lutte des républiques de l’Amérique méridionale contre le roi d’Espagne, de Bolivar contre Mo rillo. Les chapeaux à petits bords étaient royalistes et se nommaient des morillos ; les libéraux portaient des chapeaux à larges bords qui s’appelaient des bolivars.

    Huit ou dix mois donc après ce qui a été raconté dans les pages précédentes, vers les premiers jours de janvier 1823, un soir qu’il avait neigé, un de ces élégants, un de ces désœuvrés, un « bien pensant », car il avait un morillo, de plus chaudement enveloppé d’un de ces grands manteaux qui complétaient dans les temps froids le costume à la mode, se divertissait à harceler une créature qui rôdait en robe de bal et toute décolletée avec des fleurs sur la tête devant la vitre du café des officiers. Cet élégant fumait, car c’était décidément la mode.

    Chaque fois que celle femme passait devant lui, il lui jetait, avec une bouffée de la fumée de son cigare, quelque apostrophe qu’il croyait spirituelle et gaie, comme : — Que tu es laide ! — Veux-tu te cacher ! — Tu n’as pas de dents ! etc., etc. — Ce monsieur s’appelait monsieur Bamatabois. La femme, triste spectre paré qui allait et venait sur la neige, ne lui répondait pas, ne le regardait même pas, et n’en accomplissait pas moins en silence et avec une régularité sombre sa promenade qui la ramenait de cinq minutes en cinq minutes sous le sarcasme, comme le soldat condamné qui revient sous les verges. Ce peu d’effet piqua sans doute l’oisif qui, profitant d’un moment où elle se retournait, s’avança derrière elle à pas de loup et en étouffant son rire, se baissa, prit sur le pavé une poignée de neige et la lui plongea brusquement dans le dos entre ses deux épaules nues. La fille poussa un rugissement, se tourna, bondit comme une panthère, et se rua sur l’homme, lui enfonçant ses ongles dans le visage, avec les plus effroyables paroles qui puissent tomber du corps de garde dans le ruisseau. Ces injures, vomies d’une voix enrouée par l’eau-de-vie, sortaient hideusement d’une bouche à laquelle manquaient en effet les deux dents de devant. C’était la Fantine.

    Au bruit que cela fit, les officiers sortirent en foule du café, les passants s’amassèrent, et il se forma un grand cercle riant, huant et applaudissant, autour de ce tourbillon composé de deux êtres où l’on avait peine à reconnaître un homme et une femme, l’homme se débattant, son chapeau à terre, la femme frappant des pieds et des poings, décoiffée, hurlant, sans dents et sans cheveux, livide de colère, horrible.

    Tout à coup un homme de haute taille sortit vivement de la foule, saisit la femme à son corsage de satin couvert de boue, et lui dit : — Suis moi !

    La femme leva la tête; sa voix furieuse s’éteignit subitement, Ses yeux étaient vitreux, de livide elle était devenue pâle, et elle tremblait d’un tremblement de terreur. Elle avait reconnu Javert.

    L’élégant avait profité de l’incident pour s’esquiver.


     

    XIII

    SOLUTION DE QUELQUES QUESTIONS DE POLICE MUNICIPALE


     

    Javert écarta les assistants, rompit le cercle et se mit à marcher à grands pas vers le bureau de police qui est à l’extrémité de la place, traînant après lui la misérable. Elle se laissait faire machinalement. Ni lui, ni elle ne disaient un mot. La nuée des spectateurs, au paroxysme de la joie, suivait avec des quolibets. La suprême misère, occasion d’obscénités.

    Arrivé au bureau de police qui était une salle basse chauffée par un poêle et gardée par un poste, avec une porte vitrée et grillée sur la rue, Javert ouvrit la porte, entra avec la Fantine, et referma la porte derrière lui, au grand désappointement des curieux qui se haussèrent sur la pointe du pied et allongèrent le cou devant la vitre trouble du corps de garde, cherchant à voir. La curiosité est une gourmandise. Voir, c’est dévorer.

    En entrant, la Fantine alla tomber dans un coin, immobile et muette, accroupie comme une chienne qui a peur.

    Le sergent du poste apporta une chandelle allumée sur une table. Javert s’assit, tira de sa poche une feuille de papier timbré et se mit à écrire.

    Ces classes de femmes sont entièrement remises par nos lois à la discrétion de la police. Elle en fait ce qu’elle veut, les punit comme bon lui semble, et confisque à son gré ces deux tristes choses qu’elles appellent leur industrie et leur liberté. Javert était impassible ; son visage sérieux ne trahissait aucune émotion. Pourtant il était gravement et profondément préoccupé. C’était un de ces moments où il exerçait sans contrôle, mais avec tous les scrupules d’une conscience sévère, son redoutable pouvoir discrétionnaire. En cet instant, il le sentait, son escabeau d’agent de police était un tribunal. Il jugeait. Il jugeait et il condamnait. Il appelait tout ce qu’il pouvait avoir d’idées dans l’esprit autour de la grande chose qu’il faisait. Plus il examinait le fait de cette fille, plus il se sentait révolté. Il était évident qu’il venait de voir commettre un crime. Il venait de voir, là dans la rue, la société, représentée par un propriétaire- électeur, insultée et attaquée par une créature en dehors de tout. Une prostituée avait attenté à un bourgeois. Il avait vu cela, lui Javert. Il écrivait en silence.

    Quand il eut fini, il signa, plia le papier et dit au sergent du poste, en le lui remettant : — Prenez trois hommes, et menez celle fille au bloc. — Puis se tournant vers la Fantine : — Tu en as pour six mois.

    La malheureuse tressaillit.

    Six mois ! six mois de prison ! cria-t-elle. Six mois à gagner sept sous par jour ! Mais que deviendra Cosette ? ma ma fille ! ma fille ! Mais je dois encore plus de cent francs aux Thénardier, monsieur l’inspecteur, savez-vous cela ?

    Elle se traîna sur la dalle mouillée par les bottes boueuses de tous ces hommes, sans se lever, joignant les mains, faisant de grands pas avec ses genoux.

    Monsieur Javert, dit-elle, je vous demande grâce. Je vous assure que je n’ai pas eu tort. Si vous aviez vu le commencement, vous auriez vu ! je vous jure le bon Dieu que je n’ai pas eu tort. C’est ce monsieur le bourgeois que je ne connais pas qui m’a mis de la neige dans le dos. Est-ce qu’on a le droit de nous mettre de la neige dans le dos quand nous passons comme cela tranquillement sans faire de mal à personne ? Cela m’a saisie. Je suis un peu malade, voyez-vous ! Et puis il y avait déjà un peu de temps qu’il me disait des raisons. Tu es laide ! tu n’as pas de dents ! Je ne faisais rien, moi ; je disais : c’est un monsieur qui s’amuse. J’étais honnête avec lui, je ne lui parlais pas. C’est à cet instant-là qu’il m’a mis de la neige. Monsieur Javert, mon bon monsieur l’inspecteur ! est-ce qu’il n’y a personne là qui ait vu, pour vous dire que c’est bien vrai ! J’ai peut-être eu tort de me fâcher. Vous savez, dans le premier moment, on n’est pas maître. On a des vivacités. Et puis, quelque chose de si froid qu’on vous met dans le dos à l’heure que vous ne vous y attendez pas. J’ai eu tort d’abîmer le chapeau de ce monsieur. Pourquoi s’est-il en allé ? je lui demanderais pardon. Oh ! mon Dieu, cela me serait bien égal de lui demander pardon. Faites-moi grâce pour aujourd’hui cette fois, monsieur Javert. Tenez, vous ne savez pas ça, dans les prisons on ne gagne que sept sous, ce n’est pas la faute du gouvernement, mais on gagne sept sous, et figurez-vous que j’ai cent francs à payer, ou autrement on me renverra ma petite. Ô mon Dieu ! je ne peux pas l’avoir avec moi. C’est si vilain ce que je fais ! Ô ma Cosette, ô mon petit ange de la bonne sainte vierge, qu’est-ce qu’elle deviendra, pauvre loup ! Je vais vous dire, c’est les Thénardier, des aubergistes, des paysans, ça n’a pas de raisonnement. Il leur faut de l’argent. Ne me mettez pas en prison ! Voyez-vous, c’est une petite qu’on mettrait à même sur la grande route, va comme tu pourras, en plein cœur d’hiver, il faut avoir pitié de cette chose-là, mon bon monsieur Javert. Si c’était plus grand, ça gagnerait sa vie, mais ça ne peut pas, à ces âges-là. Je ne suis pas une mauvaise femme au fond. Ce n’est pas la lâcheté et la gourmandise qui ont fait de moi ça. J’ai bu de l’eau-de-vie, c’est par misère. Je ne l’aime pas, mais cela étourdit. Quand j’étais plus heureuse, on n’aurait eu qu’à regarder dans mes armoires, on aurait bien vu que je n’étais pas une femme coquette qui a du désordre. J’avais du linge, beaucoup de linge. Ayez pitié de moi, monsieur Javert !

    Elle parlait ainsi, brisée en deux, secouée par les sanglots, aveuglée par les larmes, la gorge nue, se tordant les mains, toussant d’une voix sèche et courte, balbutiant tout doucement avec la voix de l’agonie. La grande douleur est un rayon divin et terrible qui transfigure les misérables. À ce moment-là, la Fantine était redevenue belle. À de certains instants, elle s’arrêtait et baisait tendrement le bas de la redingote du mouchard. Elle eût attendri un cœur de granit ; mais on n’attendrit pas un cœur de bois.

    Allons ! dit Javert, je t’ai écoutée. As-tu bien tout dit ? Marche à présent ! Tu as les six mois ; le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien.

    À cette solennelle parole, le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien, elle comprit que l’arrêt était prononcé. Elle s’affaissa sur elle-même en murmurant :

    Grâce !

    Javert tourna le dos.

    Les soldats la saisirent par le bras.

    Depuis quelques minutes, un homme était entré sans qu’on eût pris garde à lui. Il avait refermé la porte, s’y était adossé, et avait entendu les prières désespérées de la Fantine.

    Au moment où les soldats mirent la main sur la malheureuse, qui ne voulait pas se lever, il fit un pas, sortit de l’ombre, et dit :

    Un instant, s’il vous plaît !

    Javert leva les yeux et reconnut M. Madeleine. Il ôta son chapeau, et saluant avec une sorte de gaucherie fâchée :

    Pardon, monsieur le maire...

    Ce mot, monsieur le maire, fit sur Fantine un effet étrange. Elle se dressa debout tout d’une pièce comme un spectre qui sort de terre, repoussa les soldats des deux bras, marcha droit à M. Madeleine avant qu’on eût pu la retenir, et le regardant fixement, l’air égaré, elle cria :

    Ah ! c’est donc toi qui es monsieur le maire !

    Puis elle éclata de rire et lui cracha au visage.

    M. Madeleine s’essuya le visage, et dit :

    Inspecteur Javert, mettez cette femme en liberté.

    Javert se sentit au moment de devenir fou. Il éprouvait en cet instant, coup sur coup, et presque mêlées ensemble, les plus violentes émotions qu’il eût ressenties de sa vie. Voir une fille publique cracher au visage d’un maire, cela était une chose si monstrueuse que, dans ses suppositions les plus effroyables, il eût regardé comme un sacrilège de le croire possible. D’un autre côté, dans le fond de sa pensée, il faisait confusément un rapprochement hideux entre ce qu’était cette femme et ce que pouvait être ce maire, et alors il entrevoyait avec horreur je ne sais quoi de tout simple dans ce prodigieux attentat. Mais quand il vit ce maire, ce magistrat, s’essuyer tranquillement le visage et dire : Mettez cette femme en liberté, il eut comme un éblouissement de stupeur ; la pensée et la parole lui manquèrent également ; la somme de l’étonnement possible était dépassée pour lui. Il resta muet.

    Ce mot n’avait pas porté un coup moins étrange à la Fantine. Elle leva son bras nu et se cramponna à la clef du poêle comme une personne qui chancelle. Cependant elle regardait tout autour d’elle et elle se mit à parler à voix basse, comme si elle se parlait à elle-même.

    En liberté ! qu’on me laisse aller ! que je n’aille pas en prison six mois ! Qui est-ce qui a dit cela ? Il n’est pas possible qu’on ait dit cela. J’ai mal entendu. Ça ne peut pas être ce monstre de maire ! Est-ce que c’est vous, mon bon monsieur Javert, qui avez dit qu’on me mette en liberté ? Oh ! voyez-vous ! je vais vous dire et vous me laisserez aller. Ce monstre de maire, ce vieux gredin de maire, c’est lui qui est cause de tout. Figurez-vous, monsieur Javert, qu’il m’a chassée ! à cause d’un tas de gueuses qui tiennent des propos dans l’atelier. Si ce n’est pas là une horreur ! renvoyer une pauvre fille qui fait honnêtement son ouvrage ! Alors je n’ai plus gagné assez, et tout le malheur est venu. D’abord il y a une amélioration que ces messieurs de la police devraient bien faire, ce serait d’empêcher les entrepreneurs des prisons de faire du tort aux pauvres gens. Je vais vous expliquer cela, voyez-vous. Vous gagnez douze sous dans les chemises, cela tombe à neuf sous, il n’y a plus moyen de vivre. Il faut donc devenir ce qu’on peut. Moi, j’avais ma petite Cosette, j’ai bien été forcée de devenir une mauvaise femme. Vous comprenez à présent que c’est ce gueux de maire qui a fait tout le mal. Après cela j’ai piétiné le chapeau de ce monsieur bourgeois devant le café des officiers. Mais lui, il m’avait perdu toute ma robe avec de la neige. Nous autres, nous n’avons qu’une robe de soie, pour le soir. Voyez-vous, je n’ai jamais fait de mal exprès, vrai, monsieur Javert, et je vois partout des femmes bien plus méchantes que moi qui sont bien plus heureuses. Ô monsieur Javert, c’est vous qui avez dit qu’on me mette dehors, n’est-ce pas ? Prenez des informations, parlez à mon propriétaire, maintenant je paye mon terme, on vous dira bien que je suis honnête. Ah ! mon Dieu, je vous demande pardon, j’ai touché, sans faire attention, à la clef du poêle, et cela fait fumer.

    M. Madeleine l’écoutait avec une attention profonde. Pendant qu’elle parlait, il avait fouillé dans son gilet, en avait tiré sa bourse et l’avait ouverte, Elle était vide. Il l’avait remise dans sa poche. Il dit à la Fantine :

    Combien avez-vous dit que vous deviez ?

    La Fantine, qui ne regardait que Javert, se retourna de son côté :

    Est-ce que je te parle, à toi !

    Puis s’adressant aux soldats :

    Dites donc, vous autres ? avez-vous vu comme je te vous lui ai craché à la figure ? Ah ! vieux scélérat de maire, tu viens ici pour me faire peur, mais je n’ai pas peur de toi. J’ai peur de monsieur Javert. J’ai peur de mon bon monsieur Javert !

    En parlant ainsi elle se retourna vers l’inspecteur :

    Avec ça, voyez-vous, monsieur l’inspecteur, il faut être juste. Je comprends que vous êtes juste, monsieur l’inspecteur. Au fait, c’est tout simple, un homme qui joue à mettre un peu de neige dans le dos d’une femme, ça les faisait rire, les officiers ; il faut bien qu’on se divertisse à quelque chose, nous autres nous sommes là pour qu’on s’amuse, quoi ! Et puis, vous, vous venez, vous êtes bien forcé de mettre l’ordre, vous emmenez la femme qui a tort, mais en y réfléchissant, comme vous êtes bon, vous dites qu’on me mette en liberté, c’est pour la petite, parce que six mois en prison, cela m’empêcherait de nourrir mon enfant. Seulement n’y reviens plus, coquine ! Oh ! je n’y reviendrai plus, monsieur Javert ! on me fera tout ce qu’on voudra maintenant, je ne bougerai plus. Seulement, aujourd’hui, voyez-vous, j’ai crié parce que cela m’a fait mal, je ne m’attendais pas du tout à cette neige de ce monsieur ; et puis, je vous ai dit, je ne me porte pas très bien, je tousse, j’ai là dans l’estomac comme une boule qui me brûle, que le médecin me dit : soignez-vous. Tenez, tâtez, donnez votre main, n’ayez pas peur, c’est ici.

    Elle ne pleurait plus, sa voix était caressante, elle appuyait sur sa gorge blanche et délicate la grosse main rude de Javert et elle le regardait en souriant.

    Tout à coup elle rajusta vivement le désordre de ses vêtements, fit retomber les plis de sa robe qui en se traînant s’était relevée presque à la hauteur du genou, et marcha vers la porte en disant à demi-voix aux soldats avec un signe de tête amical :

    Les enfants, monsieur l’inspecteur a dit qu’on me lâche, je m’en vas.

    Elle mit la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue.

    Javert jusqu’à cet instant était resté debout, immobile, l’œil fixé à terre, posé de travers au milieu de cette scène comme une statue dérangée qui attend qu’on la mette quelque part.

    Le bruit que fit le loquet le réveilla. Il releva la tête avec une expression d’autorité souveraine, expression d’autant plus effrayante que le pouvoir se trouve placé plus bas, féroce chez la bête fauve, atroce chez l’homme de rien.

    Sergent ! cria-t-il, vous ne voyez pas que cette drôlesse s’en va ! Qui est-ce qui vous a dit de la laisser aller ?

    Moi, dit Madeleine.

    La Fantine à la voix de Javert avait tremblé et lâché le loquet comme un voleur pris lâche l’objet volé. À la voix de Madeleine, elle se retourna, et à partir de ce moment, sans qu’elle prononçât un mot, sans qu’elle osât même laisser sortir son souffle librement, son regard alla tour à tour de Madeleine à Javert et de Javert à Madeleine, selon que c’était l’un ou l’autre qui parlait.

    Il était évident qu’il fallait que Javert eût été comme on dit « jeté hors des gonds » pour qu’il se fût permis d’apostropher le sergent comme il l’avait fait, après l’invitation du maire de mettre Fantine en liberté. En était-il venu à oublier la présence de monsieur le maire ? Avait-il fini par se déclarer à lui-même qu’il était impossible qu’une « autorité » eût donné un pareil ordre, et que bien certainement monsieur le maire avait dû dire sans le vouloir une chose pour une autre ? Ou bien, devant les énormités dont il était témoin depuis deux heures, se disait-il qu’il fallait revenir aux suprêmes résolutions, qu’il était nécessaire que le petit se fît grand, que le mouchard se transformât en magistrat, que l’homme de police devînt homme de justice, et qu’en cette extrémité prodigieuse l’ordre, la loi, la morale, le gouvernement, la société tout entière, se personnifiaient en lui Javert ?

    Quoi qu’il en soit, quand M. Madeleine eut dit ce moi qu’on vient d’entendre, on vit l’inspecteur de police Javert se tourner vers monsieur le maire, pâle, froid, les lèvres bleues, le regard désespéré, tout le corps agité d’un tremblement imperceptible, et, chose inouïe, lui dire, l’œil baissé, mais la voix ferme :

    Monsieur le maire, cela ne se peut pas.

    Comment ? dit M. Madeleine.

    Cette malheureuse a insulté un bourgeois.

    Inspecteur Javert, repartit M. Madeleine avec un accent conciliant et calme, écoutez. Vous êtes un honnête homme, et je ne fais nulle difficulté de m’expliquer avec vous. Voici le vrai. Je passais sur la place comme vous emmeniez cette femme, il y avait encore des groupes, je me suis informé, j’ai tout su, c’est le bourgeois qui a eu tort et qui, en bonne police, eût dû être arrêté.

    Javert reprit :

    Cette misérable vient d’insulter monsieur le maire.

    Ceci me regarde, dit M. Madeleine. Mon injure est à moi peut-être. J’en puis faire ce que je veux.

    Je demande pardon à monsieur le maire. Son injure n’est pas à lui, elle est à la justice.

    Inspecteur Javert, répliqua M. Madeleine, la première justice, c’est la conscience. J’ai entendu cette femme. Je sais ce que je fais.

    Et moi, monsieur le maire, je ne sais pas ce que je vois.

    Alors contentez-vous d’obéir.

    J’obéis à mon devoir. Mon devoir veut que cette femme fasse six mois de prison.

    M. Madeleine répondit avec douceur :

    Écoutez bien ceci. Elle n’en fera pas un jour.

    À cette parole décisive, Javert osa regarder le maire fixement, et lui dit, mais avec un son de voix toujours profondément respectueux :

    Je suis au désespoir de résister à monsieur le maire, c’est la première fois de ma vie, mais il daignera me permettre de lui faire observer que je suis dans la limite de mes attributions. Je reste, puisque monsieur le maire le veut, dans le fait du bourgeois. J’étais là. C’est cette fille qui s’est jetée sur monsieur Bamatabois, qui est électeur et propriétaire de cette belle maison à balcon qui fait le coin de l’esplanade, à trois étages et toute en pierre de taille. Enfin, il y a des choses dans ce monde ! Quoi qu’il en soit, monsieur le maire, cela, c’est un fait de police de la rue qui me regarde, et je retiens la femme Fantine.

    Alors M. Madeleine croisa les bras et dit avec une voix sévère que personne dans la ville n’avait encore entendue :

    Le fait dont vous parlez est un fait de police municipale. Aux termes des articles neuf, onze, quinze et soixante-six du code d’instruction criminelle, j’en suis juge. J’ordonne que cette femme soit mise en liberté.

    Javert voulut tenter un dernier effort.

    Mais, monsieur le maire...

    Je vous rappelle, à vous, l’article quatrevingt-un de la loi du 13 décembre 1799 sur la détention arbitraire.

    Monsieur le maire, permettez...

    Plus un mot.

    Pourtant...

    Sortez, dit M. Madeleine.

    Javert reçut le coup, debout, de face, et en pleine poitrine comme un soldat russe. Il salua jusqu’à terre monsieur le maire, et sortit.

    Fantine se rangea de la porte et le regarda avec stupeur passer devant elle.

    Cependant elle aussi était en proie à un bouleversement étrange. Elle venait de se voir en quelque sorte disputée par deux puissances opposées. Elle avait vu lutter devant ses yeux deux hommes tenant dans leurs mains sa liberté, sa vie, son âme, son enfant ; l’un de ces hommes l’attirait du côté de l’ombre, l’autre la ramenait vers la lumière. Dans cette lutte, entrevue à travers les grossissements de l’épouvante, ces deux hommes lui étaient apparus comme deux géants ; l’un parlait comme son démon, l’autre parlait comme son bon ange. L’ange avait vaincu le démon, et, chose qui la faisait frissonner de la tête aux pieds, cet ange, ce libérateur, c’était précisément l’homme qu’elle abhorrait, ce maire qu’elle avait si longtemps considéré comme l’auteur de tous ses maux, ce Madeleine ! et, au moment même où elle venait de l’insulter dune façon hideuse, il la sauvait ! S’était-elle donc trompée ? Devait-elle donc changer toute son âme ?... Elle ne savait, elle tremblait. Elle écoutait éperdue, elle regardait effarée, et à chaque parole que disait M. Madeleine, elle sentait fondre et s’écrouler en elle les affreuses ténèbres de la haine et naître dans son cœur je ne sais quoi de réchauffant et d’ineffable qui était de la joie, de la confiance et de l’amour.

    Quand Javert fut sorti, M. Madeleine se tourna vers elle, et il lui dit avec une voix lente, ayant peine à parler comme un homme sérieux qui ne veut pas pleurer :

    Je vous ai entendue. Je ne savais rien de ce que vous avez dit. Je crois que c’est vrai, et je sens que c’est vrai. J’ignorais même que vous eussiez quitté mes ateliers. Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressée à moi ? Mais voici : je payerai vos dettes, je ferai revenir votre enfant, ou vous irez la rejoindre. Vous vivrez ici, à Paris, où vous voudrez. Je me charge de votre enfant et de vous. Vous ne travaillerez plus, si vous voulez. Je vous donnerai tout l’argent qu’il vous faudra. Vous redeviendrez honnête en redevenant heureuse. Et même, écoutez, je vous le déclare dès à présent, si tout est comme vous le dites, et je n’en doute pas, vous n’avez jamais cessé d’être vertueuse et sainte devant Dieu. Oh ! pauvre femme !

    C’en était plus que la pauvre Fantine n’en pouvait supporter. Avoir Cosette ! sortir de cette vie infâme ! vivre libre, riche, heureuse, honnête, avec Cosette ! voir brusquement s’épanouir au milieu de sa misère toutes ces réalités du paradis ! Elle regarda comme hébétée cet homme qui lui parlait, et ne put que jeter deux ou trois sanglots : oh ! oh ! oh ! Ses jarrets plièrent, elle se mit à genoux devant M. Madeleine, et, avant qu’il eût pu l’en empêcher, il sentit qu’elle lui prenait la main et que ses lèvres s’y posaient.

    Puis elle s’évanouit.


     


    I

    COMMENCEMENT DU REPOS


     

    M. Madeleine fit transporter la Fantine à cette infirmerie qu’il avait dans sa propre maison. Il la confia aux sœurs qui la mirent au lit. Une fièvre ardente était survenue. Elle passa une partie de la nuit à délirer et à parler haut. Cependant elle finit par s’endormir.

    Le lendemain vers midi Fantine se réveilla, elle entendit une respiration tout près de son lit, elle écarta son rideau et vit M. Madeleine debout qui regardait quelque chose au- Il soupira profondément. Elle cependant lui souriait avec ce sublime sourire auquel il manquait deux dents.

    Javert dans cette même nuit avait écrit une lettre. Il remit lui-même cette lettre le lendemain matin au bureau de poste de Montreuil-sur-mer. Elle était pour Paris, et la suscription portait : À monsieur Chabouillet, secrétaire de monsieur le préfet de police. Comme l’affaire du corps de garde s’était ébruitée, la directrice du bureau de poste et quelques autres personnes qui virent la lettre avant le départ et qui reconnurent l’écriture de Javert sur l’adresse, pensèrent que c’était sa démission qu’il envoyait.

    M. Madeleine se hâta d’écrire aux Thénardier. Fantine leur devait cent vingt francs. Il leur envoya trois cents francs en leur disant de se payer sur cette somme, et d’amener tout de suite l’enfant à Montreuil-sur-mer où sa mère malade la réclamait.

    Ceci éblouit le Thénardier.

    Diable ! dit-il à sa femme, ne lâchons pas l’enfant. Voilà que cette mauviette va devenir une vache à lait. Je devine. Quelque jocrisse se sera amouraché de la mère.

    Il riposta par un mémoire de cinq cents et quelques francs fort bien fait. Dans ce mémoire figuraient pour plus de trois cents francs deux notes incontestables, l’une d’un médecin, l’autre d’un apothicaire, lesquels avaient soigné et médicamenté dans deux longues maladies Éponine et Azelma. Cosette, nous l’avons dit, n’avait pas été malade. Ce fut l’affaire d’une toute petite substitution de noms. Thénardier mit au bas du mémoire : Reçu à compte trois cents francs.

    M. Madeleine envoya tout de suite trois cents autres francs et écrivit : Dépêchez-vous d’amener Cosette.

    Cristi ! dit le Thénardier, ne lâchons pas l’enfant.

    Cependant Fantine ne se rétablissait point. Elle était toujours à l’infirmerie.

    Les sœurs n’avaient d’abord reçu et soigné « cette fille » qu’avec répugnance. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes est un des plus profonds instincts de la dignité féminine ; les sœurs l’avaient éprouvé, avec le redoublement qu’ajoute la religion. Mais, en peu de jours, Fantine les avait désarmées. Elle avait toutes sortes de paroles humbles et douces, et la mère qui était en elle attendrissait. Un jour les sœurs l’entendirent qui disait à travers la fièvre : — J’ai été une pécheresse, mais quand j’aurai mon enfant près de moi, cela voudra dire que Dieu m’a pardonné. Pendant que j’étais dans le mal, je n’aurais pas voulu avoir ma Cosette avec moi, je n’aurais pas pu supporter ses yeux étonnés et tristes. C’était pour elle pourtant que je faisais le mal, et c’est ce qui fait que Dieu me pardonne. Je sentirai la bénédiction du bon Dieu quand Cosette sera ici. Je la regarderai, cela me fera du bien de voir cette innocente. Elle ne sait rien du tout. C’est un ange, voyez-vous, mes sœurs. À cet âge-là, les ailes, ça n’est pas encore tombé.

    M. Madeleine l’allait voir deux fois par jour, et chaque fois elle lui demandait :

    Verrai-je bientôt ma Cosette ?

    Il lui répondait :

    Peut-être demain matin. D’un moment à l’autre elle arrivera, je l’attends.

    Et le visage pâle de la mère rayonnait.

    Oh ! disait-elle, comme je vais être heureuse !

    Nous venons de dire qu’elle ne se rétablissait pas. Au contraire, son état semblait s’aggraver de semaine en semaine. Cette poignée de neige appliquée à nu sur la peau entre les deux omoplates avait déterminé une suppression subite de transpiration à la suite de laquelle la maladie qu’elle couvait depuis plusieurs années finit par se déclarer violemment. On commençait alors à suivre pour l’étude et le traitement des maladies de poitrine les belles indications de Laënnec. Le médecin ausculta Fantine et hocha la tête.

    M. Madeleine dit au médecin :

    Eh bien ?

    N’a-t-elle pas un enfant qu’elle désire voir ? dit le médecin.

    Oui.

    Eh bien, hâtez-vous de le faire venir.

    M. Madeleine eut un tressaillement.

    Fantine lui demanda :

    Qu’a dit le médecin ?

    M. Madeleine s’efforça de sourire.

    Il a dit de faire venir bien vite votre enfant. Que cela vous rendra la santé.

    Oh ! reprit-elle, il a raison ! Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ces Thénardier à me garder ma Cosette ! Oh ! elle va venir. Voici enfin que je vois le bonheur tout près de moi !

    Le Thénardier cependant ne « lâchait pas l’enfant » et donnait cent mauvaises raisons. Cosette était un peu souffrante pour se mettre en route l’hiver. Et puis il y avait un reste de petites dettes criardes dans le pays dont il rassemblait les factures, etc., etc.

    J’enverrai quelqu’un chercher Cosette, dit le père Madeleine. S’il le faut, j’irai moi-même.

    Il écrivit sous la dictée de Fantine cette lettre qu’il lui fit signer :

    « Monsieur Thénardier,

    « Vous remettrez Cosette à la personne.

    « On vous payera toutes les petites choses.

    « J’ai l’honneur de vous saluer avec considération.

    « Fantine. »

    Sur ces entrefaites, il survint un grave incident. Nous avons beau tailler de notre mieux le bloc mystérieux dont notre vie est faite, la veine noire de la destinée y reparaît toujours.


     

    II

    COMMENT JEAN PEUT DEVENIR CHAMP


     

    Un matin, M. Madeleine était dans son cabinet, occupé à régler d’avance quelques affaires pressantes de la mairie pour le cas où il se déciderait à ce voyage de Montfermeil, lorsqu’on vint lui dire que l’inspecteur de police Javert demandait à lui parler. En entendant prononcer ce nom, M. Madeleine ne put se défendre d’une impression désagréable. Depuis l’aventure du bureau de police, Javert l’avait plus que jamais évité, et M. Madeleine ne l’avait point revu.

    Faites entrer, dit-il.

    Javert entra.

    M. Madeleine était resté assis près de la cheminée, une plume à la main, l’œil sur un dossier qu’il feuilletait et qu’il annotait, et qui contenait des procès-verbaux de contraventions à la police de la voirie. Il ne se dérangea point pour Javert. Il ne pouvait s’empêcher de songer à la pauvre Fantine, et il lui convenait d’être glacial.

    Javert salua respectueusement M. le maire qui lui tournait le dos. M. le maire ne le regarda pas et continua d’annoter son dossier.

    Javert fit deux ou trois pas dans le cabinet, et s’arrêta sans rompre le silence. Un physionomiste qui eût été familier avec la nature de Javert, qui eût étudié depuis longtemps ce sauvage au service de la civilisation, ce composé bizarre du Romain, du Spartiate, du moine et du caporal, cet espion incapable d’un mensonge, ce mouchard vierge, un physionomiste qui eût su sa secrète et ancienne aversion pour M. Madeleine, son conflit avec le maire au sujet de la Fantine, et qui eût considéré Javert en ce moment, se fût dit : que s’est-il passé ? Il était évident, pour qui eût connu cette conscience droite, claire, sincère, probe, austère et féroce, que Javert sortait de quelque grand événement intérieur. Javert n’avait rien dans l’âme qu’il ne l’eût aussi sur le visage. Il était, comme les gens violents, sujet aux revirements brusques. Jamais sa physionomie n’avait été plus étrange et plus inattendue. En entrant, il s’était incliné devant M. Madeleine avec un regard où il n’y avait ni rancune, ni colère, ni défiance, il s’était arrêté à quelques pas derrière le fauteuil du maire ; et maintenant il se tenait là, debout, dans une attitude presque disciplinaire, avec la rudesse naïve et froide d’un homme qui n’a jamais été doux et qui a toujours été patient ; il attendait, sans dire un mot, sans faire un mouvement, dans une humilité vraie et dans une résignation tranquille, qu’il plût à monsieur le maire de se retourner ; calme, sérieux, le chapeau à la main, les yeux baissés, avec une expression qui tenait le milieu entre le soldat devant son officier et le coupable devant son juge. Tous les sentiments comme tous les souvenirs qu’on eût pu lui supposer avaient disparu. Il n’y avait plus rien sur ce visage impénétrable et simple comme le granit, qu’une morne tristesse. Toute sa personne respirait l’abaissement et la fermeté, et je ne sais quel accablement courageux.

    Enfin M. le maire posa sa plume et se tourna à demi.

    Eh bien ! qu’est-ce ? qu’y a-t-il, Javert ?

    Javert demeura un instant silencieux comme s’il se recueillait, puis éleva la voix avec une sorte de solennité triste qui n’excluait pourtant pas la simplicité :

    Il y a, monsieur le maire, qu’un acte coupable a été commis.

    Quel acte ?

    Un agent inférieur de l’autorité a manqué de respect à un magistrat de la façon la plus grave. Je viens, comme c’est mon devoir, porter le fait à votre connaissance.

    Quel est cet agent ? demanda M. Madeleine.

    Moi, dit Javert.

    Vous ?

    Moi.

    Et quel est le magistrat qui aurait à se plaindre de l’agent ?

    Vous, monsieur le maire.

    M. Madeleine se dressa sur son fauteuil. Javert poursuivit, l’air sévère et les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, je viens vous prier de vouloir bien provoquer près de l’autorité ma destitution.

    M. Madeleine stupéfait ouvrit la bouche. Javert l’interrompit.

    Vous direz, j’aurais pu donner ma démission, mais cela ne suffit pas. Donner sa démission, c’est honorable. J’ai failli, je dois être puni. Il faut que je sois chassé.

    Et après une pause, il ajouta :

    Monsieur le maire, vous avez été sévère pour moi l’autre jour injustement. Soyez-le aujourd’hui justement.

    Ah çà ! pourquoi ? s’écria M. Madeleine. Quel est ce galimatias ? qu’est-ce que cela veut dire ? où y a-t-il un acte coupable commis contre moi par vous ? qu’est-ce que vous m’avez fait ? quels torts avez-vous envers moi ? Vous vous accusez, vous voulez être remplacé…

    Chassé, dit Javert.

    Chassé, soit. C’est fort bien. Je ne comprends pas.

    Vous allez comprendre, monsieur le maire.

    Javert soupira du fond de sa poitrine et reprit toujours froidement et tristement :

    Monsieur le maire, il y a six semaines, à la suite de cette scène pour cette fille, j’étais furieux, je vous ai dénoncé.

    Dénoncé !

    À la préfecture de police de Paris.

    M. Madeleine, qui ne riait pas beaucoup plus souvent que Javert, se mit à rire.

    Comme maire ayant empiété sur la police ?

    Comme ancien forçat.

    Le maire devint livide.

    Javert, qui n’avait pas levé les yeux, continua :

    Je le croyais. Depuis longtemps j’avais des idées.

    Une ressemblance, des renseignements que vous avez fait prendre à Faverolles, votre force des reins, l’aventure du vieux Fauchelevent, votre adresse au tir, votre jambe qui traîne un peu, est-ce que je sais, moi ? des bêtises ! mais enfin je vous prenais pour un nommé Jean Valjean.

    Un nommé ?… Comment dites-vous ce nom-là ?

    Jean Valjean. C’est un forçat que j’avais vu il y a vingt ans quand j’étais adjudant-garde-chiourme à Toulon. En sortant du bagne, ce Jean Valjean avait, à ce qu’il paraît, volé chez un évêque, puis il avait commis un autre vol à main armée, dans un chemin public, sur un petit savoyard. Depuis huit ans il s’était dérobé, on ne sait comment, et on le cherchait. Moi je m’étais figuré… Enfin, j’ai fait cette chose ! La colère m’a décidé, je vous ai dénoncé à la préfecture.

    M. Madeleine, qui avait ressaisi le dossier depuis quelques instants, reprit avec un accent de parfaite indifférence :

    Et que vous a-t-on répondu ?

    Que j’étais fou.

    Eh bien ?

    Eh bien, on avait raison. donc pas le sinvre, dit Brevet. Tu es Jean Valjean ! Tu as été au bagne de Toulon. Il y a vingt ans. Nous y étions ensemble. — Le Champmathieu nie. Parbleu ! vous comprenez. On approfondit. On me fouille cette aventure-là. Voici ce qu’on trouve : ce Champmathieu, il y a une trentaine d’années, a été ouvrier émondeur d’arbres dans plusieurs pays, notamment à Faverolles. Là on perd sa trace. Longtemps après, on le revoit en Auvergne, puis à Paris, où il dit avoir été charron et avoir eu une fille blanchisseuse, mais cela n’est pas prouvé ; enfin dans ce pays-ci. Or, avant d’aller au bagne pour vol qualifié, qu’était Jean Valjean ? émondeur. Où ? à Faverolles. Autre fait. Ce Valjean s’appelait de son nom de baptême Jean et sa mère se nommait de son nom de famille Mathieu. Quoi de plus naturel que de penser qu’en sortant du bagne il aura pris le nom de sa mère pour se cacher et se sera fait appeler Jean Mathieu ? Il va en Auvergne. De Jean la prononciation du pays fait Chan, on l’appelle Chan Mathieu. Notre homme se laisse faire et le voilà transformé en Champmathieu. Vous me suivez, n’est-ce pas ? On s’informe à Faverolles. La famille de Jean Valjean n’y est plus. On ne sait plus où elle est. Vous savez, dans ces classes-là, il y a souvent de ces évanouissements d’une famille. On cherche, on ne trouve plus rien. Ces gens-là, quand ce n’est pas de la boue, c’est de la poussière. Et puis, comme le commencement de ces histoires date de trente ans, il n’y a plus personne à Faverolles qui ait connu Jean Valjean. On s’informe à Toulon. Avec Brevet, il n’y a plus que deux forçats qui aient vu Jean Valjean. Ce sont les condamnés à vie Cochepaille et Chenildieu. On les extrait du bagne et on les fait venir. On les confronte au prétendu Champmathieu. Ils n’hésitent pas. Pour eux comme pour Brevet, c’est Jean Valjean. Même âge, il a cinquante-quatre ans, même taille, même air, même homme enfin, c’est lui. C’est en ce moment-là même que j’envoyais ma dénonciation à la préfecture de Paris. On me répond que je perds l’esprit et que Jean Valjean est à Arras au pouvoir de la justice. Vous concevez si cela m’étonne, moi qui croyais tenir ici ce même Jean Valjean ! J’écris à monsieur le juge d’instruction. Il me fait venir, on m’amène le Champmathieu…

    Eh bien ? interrompit M. Madeleine.

    Javert répondit avec son visage incorruptible et triste :

    Monsieur le maire, la vérité est la vérité. J’en suis fâché, mais c’est cet homme-là qui est Jean Valjean. Moi aussi je l’ai reconnu.

    M. Madeleine reprit d’une voix très basse :

    Vous êtes sûr ?

    Javert se mit à rire de ce rire douloureux qui échappe à une conviction profonde :

    Oh, sûr !

    Il demeura un moment pensif, prenant machinalement des pincées de poudre de bois dans la sébille à sécher l’encre qui était sur la table, et il ajouta :

    Et même, maintenant que je vois le vrai Jean Valjean, je ne comprends pas comment j’ai pu croire autre chose. Je vous demande pardon, monsieur le maire.

    En adressant cette parole suppliante et grave à celui qui, six semaines auparavant, l’avait humilié en plein corps de garde et lui avait dit : sortez ! Javert, cet homme hautain, était à son insu plein de simplicité et de dignité. M. Madeleine ne répondit à sa prière que par cette question brusque :

    Et que dit cet homme ?

    Ah, dame ! monsieur le maire, l’affaire est mauvaise. Si c’est Jean Valjean, il y a récidive. Enjamber un mur, casser une branche, chiper des pommes, pour un enfant, c’est une polissonnerie ; pour un homme, c’est un délit ; pour un forçat, c’est un crime. Escalade et vol, tout y est. Ce n’est plus la police correctionnelle, c’est la cour d’assises. Ce n’est plus quelques jours de prison, ce sont les galères à perpétuité. Et puis, il y a l’affaire du petit savoyard que j’espère bien qui reviendra. Diable ! il y a de quoi se débattre, n’est-ce pas ? Oui, pour un autre que Jean Valjean. Mais Jean Valjean est un sournois. C’est encore là que je le reconnais. Un autre sentirait que cela chauffe ; il se démènerait, il crierait, la bouilloire chante devant le feu, il ne voudrait pas être Jean Valjean, et caetera. Lui, il n’a pas l’air de comprendre, il dit : Je suis Champmathieu, je ne sors pas de là ! Il a l’air étonné, il fait la brute, c’est bien mieux. Oh ! le drôle est habile. Mais c’est égal, les preuves sont là. Il est reconnu par quatre personnes, le vieux coquin sera condamné. C’est porté aux assises, à Arras. Je vais y aller pour témoigner. Je suis cité.

    M. Madeleine s’était remis à son bureau, avait ressaisi son dossier, et le feuilletait tranquillement, lisant et écrivant tour à tour comme un homme affairé. Il se tourna vers Javert :

    Assez, Javert. Au fait, tous ces détails m’intéressent fort peu. Nous perdons notre temps, et nous avons des affaires pressées. Javert, vous allez vous rendre sur-le-champ chez la bonne femme Buseaupied qui vend des herbes là-bas au coin de la rue Saint-Saulve. Vous lui direz de déposer sa plainte contre le charretier Pierre Chesnelong. Cet homme est un brutal qui a failli écraser cette femme et son enfant. Il faut qu’il soit puni. Vous irez ensuite chez M. Charcellay, rue Montre-de-Champigny. Il se plaint qu’il y a une gouttière de la maison voisine qui verse l’eau de la pluie chez lui, et qui affouille les fondations de sa maison. Après vous constaterez des contraventions de police qu’on me signale rue Guibourg chez la veuve Doris, et rue du Garraud-Blanc chez madame Renée Le Bossé, et vous dresserez procès-verbal. Mais je vous donne là beaucoup de besogne. N’allez-vous pas être absent ? ne m’avez-vous pas dit que vous alliez à Arras pour cette affaire dans huit ou dix jours ?…

    Plus tôt que cela, monsieur le maire.

    Quel jour donc ?

    Mais je croyais avoir dit à monsieur le maire que cela se jugeait demain et que je partais par la diligence cette nuit.

    M. Madeleine fit un mouvement imperceptible.

    Et combien de temps durera l’affaire ?

    Un jour tout au plus. L’arrêt sera prononcé au plus tard demain dans la nuit. Mais je n’attendrai pas l’arrêt, qui ne peut manquer. Sitôt ma déposition faite, je reviendrai ici.

    C’est bon, dit M. Madeleine.

    Et il congédia Javert d’un signe de main.

    Javert ne s’en alla pas.

    Pardon, monsieur le maire, dit-il.

    Qu’est-ce encore ? demanda M. Madeleine.

    Monsieur le maire, il me reste une chose à vous rappeler.

    Laquelle ?

    C’est que je dois être destitué.

    M. Madeleine se leva.

    Javert, vous êtes un homme d’honneur, et je vous estime. Vous vous exagérez votre faute. Ceci d’ailleurs est encore une offense qui me concerne. Javert, vous êtes digne de monter et non de descendre. J’entends que vous gardiez votre place.

    Javert regarda M. Madeleine avec sa prunelle candide au fond de laquelle il semblait qu’on vit cette conscience peu éclairée, mais rigide et chaste, et il dit d’une voix tranquille :

    Monsieur le maire, je ne puis vous accorder cela.

    Je vous répète, répliqua M. Madeleine, que la chose me regarde.

    Mais Javert, attentif à sa seule pensée, continua :

    Quant à exagérer, je n’exagère point. Voici comment je raisonne. Je vous ai soupçonné injustement. Cela, ce n’est rien. C’est notre droit à nous autres de soupçonner, quoiqu’il y ait pourtant abus à soupçonner au-dessus de soi. Mais, sans preuves, dans un accès de colère, dans le but de me venger, je vous ai dénoncé comme forçat, vous, un homme respectable, un maire, un magistrat ! ceci est grave. Très grave. J’ai offensé l’autorité dans votre personne, moi, agent de l’autorité ! Si l’un de mes subordonnés avait fait ce que j’ai fait, je l’aurais déclaré indigne du service, et chassé. Eh bien ? — Tenez, monsieur le maire, encore un mot. J’ai souvent été sévère dans ma vie. Pour les autres. C’était juste. Je faisais bien. Maintenant, si je n’étais pas sévère pour moi, tout ce que j’ai fait de juste deviendrait injuste. Est-ce que je dois m’épargner plus que les autres ? Non. Quoi ! je n’aurais été bon qu’à châtier autrui, et pas moi ! mais je serais un misérable ! mais ceux qui disent : ce gueux de Javert ! auraient raison ! Monsieur le maire, je ne souhaite pas que vous me traitiez avec bonté, votre bonté m’a fait faire assez de mauvais sang quand elle était pour les autres. Je n’en veux pas pour moi. La bonté qui consiste à donner raison à la fille publique contre le bourgeois, à l’agent de police contre le maire, à celui qui est en bas contre celui qui est en haut, c’est ce que j’appelle de la mauvaise bonté. C’est avec cette bonté-là que la société se désorganise. Mon Dieu ! c’est bien facile d’être bon, le malaisé c’est d’être juste. Allez ! si vous aviez été ce que je croyais, je n’aurais pas été bon pour vous, moi ! vous auriez vu ! Monsieur le maire, je dois me traiter comme je traiterais tout autre. Quand je réprimais des malfaiteurs, quand je sévissais sur des gredins, je me suis souvent dit à moi-même : toi, si tu bronches, si jamais je te prends en faute, sois tranquille ! — J’ai bronché, je me prends en faute, tant pis ! Allons, renvoyé, cassé, chassé ! c’est bon. J’ai des bras, je travaillerai à la terre, cela m’est égal. Monsieur le maire, le bien du service veut un exemple. Je demande simplement la destitution de l’inspecteur Javert.

    Tout cela était prononcé d’un accent humble, fier, désespéré et convaincu qui donnait je ne sais quelle grandeur bizarre à cet étrange honnête homme.

    Nous verrons, fit M. Madeleine.

    Et il lui tendit la main.

    Javert recula, et dit d’un ton farouche :

    Pardon, monsieur le maire, mais cela ne doit pas être. Un maire ne donne pas la main à un mouchard.

    Il ajouta entre ses dents :

    Mouchard, oui ; du moment où j’ai mésusé de la police, je ne suis plus qu’un mouchard.

    Puis il salua profondément, et se dirigea vers la porte.

    Là il se retourna, et, les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, dit-il, je continuerai le service jusqu’à ce que je sois remplacé.

    Il sortit. M. Madeleine resta rêveur, écoutant ce pas ferme et assuré qui s’éloignait sur le pavé du corridor.

    I

    LA SŒUR SIMPLICE


     

    Les incidents qu’on va lire n’ont pas tous été connus à Montreuil-sur-mer, mais le peu qui en a percé a laissé dans cette ville un tel souvenir, que ce serait une grave lacune dans ce livre si nous ne les racontions dans leurs moindres détails.

    Dans ces détails, le lecteur rencontrera deux ou trois circonstances invraisemblables que nous maintenons par respect pour la vérité.

    Dans l’après-midi qui suivit la visite de Javert, M. Madeleine alla voir la Fantine comme d’habitude.

    Avant de pénétrer près de Fantine, il fit demander la sœur Simplice.

    Les deux religieuses qui faisaient le service de l’infirmerie, dames lazaristes comme toutes les sœurs de charité, s’appelaient sœur Perpétue et sœur Simplice.

    La sœur Perpétue était la première villageoise venue, grossièrement sœur de charité, entrée chez Dieu comme on entre en place. Elle était religieuse comme on est cuisinière. Ce type n’est point très rare. Les ordres monastiques acceptent volontiers cette lourde poterie paysanne, aisément façonnée en capucin ou en ursuline. Ces rusticités s’utilisent pour les grosses besognes de la dévotion. La transition d’un bouvier à un carme n’a rien de heurté ; l’un devient l’autre sans grand travail ; le fond commun d’ignorance du village et du cloître est une préparation toute faite, et met tout de suite le campagnard de plain-pied avec le moine. Un peu d’ampleur au sarrau, et voilà un froc. La sœur Perpétue était une forte religieuse, de Marines, près Pontoise, patoisant, psalmodiant, bougonnant, sucrant la tisane selon le bigotisme ou l’hypocrisie du grabataire, brusquant les malades, bourrue avec les mourants, leur jetant presque Dieu au visage, lapidant l’agonie avec des prières en colère, hardie, honnête et rougeaude.

    La sœur Simplice était blanche d’une blancheur de cire. Près de sœur Perpétue, c’était le cierge à côté de la chandelle. Vincent de Paul a divinement fixé la figure de la sœur de charité dans ces admirables paroles où il mêle tant de liberté à tant de servitude : « Elles n’auront pour monastère que la maison des malades, pour cellule qu’une chambre de louage, pour chapelle que l’église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l’obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, pour voile que la modestie. » Cet idéal était vivant dans la sœur Simplice. Personne n’eût pu dire l’âge de la sœur Simplice ; elle n’avait jamais été jeune et semblait ne devoir jamais être vieille. C’était une personne — nous n’osons dire une femme — calme, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n’avait jamais menti. Elle était si douce qu’elle paraissait fragile ; plus solide d’ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux avec de charmants doigts fins et purs. Il y avait, pour ainsi dire, du silence dans sa parole ; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son de voix qui eût tout à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon. Cette délicatesse s’accommodait de la robe de bure, trouvant à ce rude contact un rappel continuel du ciel et de Dieu. Insistons sur un détail. N’avoir jamais menti, n’avoir jamais dit, pour un intérêt quelconque, même indifféremment, une chose qui ne fût la vérité, la sainte vérité, c’était le trait distinctif de la sœur Simplice ; c’était l’accent de sa vertu. Elle était presque célèbre dans la congrégation pour cette véracité imperturbable. L’abbé Sicard parle de la sœur Simplice dans une lettre au sourd-muet Massieu. Si sincères, si loyaux et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre candeur au moins la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge, mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal. Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ; mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait. Et comme elle pensait, elle pratiquait. Il en résultait cette blancheur dont nous avons parlé, blancheur qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. Son sourire était blanc, son regard était blanc. Il n’y avait pas une toile d’araignée, pas un grain de poussière à la vitre de cette conscience. En entrant dans l’obédience de saint Vincent de Paul, elle avait pris le nom de Simplice par choix spécial. Simplice de Sicile, on le sait, est cette sainte qui aima mieux se laisser arracher les deux seins que de répondre, étant née à Syracuse, qu’elle était née à Ségeste, mensonge qui la sauvait. Cette patronne convenait à cette âme.

    La sœur Simplice, en entrant dans l’ordre, avait deux défauts dont elle s’était peu à peu corrigée ; elle avait eu le goût des friandises et elle avait aimé à recevoir des lettres. Elle ne lisait jamais qu’un livre de prières en gros caractères et en latin. Elle ne comprenait pas le latin, mais elle comprenait le livre.

    La pieuse fille avait pris en affection Fantine, y sentant probablement de la vertu latente, et s’était dévouée à la soigner presque exclusivement.

    M. Madeleine emmena à part la sœur Simplice et lui recommanda Fantine avec un accent singulier dont la sœur se souvint plus tard.

    En quittant la sœur, il s’approcha de Fantine.

    Fantine attendait chaque jour l’apparition de M. Madeleine comme on attend un rayon de chaleur et de joie. Elle disait aux sœurs : — Je ne vis que lorsque monsieur le maire est là.

    Elle avait ce jour-là beaucoup de fièvre. Dès qu’elle vit M. Madeleine, elle lui demanda :

    Et Cosette ?

    Il répondit en souriant :

    Bientôt.

    M. Madeleine fut avec Fantine comme à l’ordinaire. Seulement il resta une heure au lieu d’une demi-heure, au grand contentement de Fantine. Il fît mille instances à tout le monde pour que rien ne manquât à la malade. On remarqua qu’il y eut un moment où son visage devint très sombre. Mais cela s’expliqua quand on sut que le médecin s’était penché à son oreille et lui avait dit : — Elle baisse beaucoup.

    Puis il rentra à la mairie, et le garçon de bureau le vit examiner avec attention une carte routière de France qui était suspendue dans son cabinet. Il écrivit quelques chiffres au crayon sur un papier.


     

    II

    PERSPICACITÉ DE MAÎTRE SCAUFFLAIRE


     

    De la mairie il se rendit au bout de la ville chez un flamand, maître Scaufflaer, francisé Scaufflaire, qui louait des chevaux et des « cabriolets à volonté ».

    Pour aller chez ce Scaufflaire, le plus court était de prendre une rue peu fréquentée où était le presbytère de la paroisse que M. Madeleine habitait. Le curé était, disait-on, un homme digne et respectable, et de bon conseil. À l’instant où M. Madeleine arriva devant le presbytère, il n’y avait dans la rue qu’un passant, et ce passant remarqua ceci : M. le maire, après avoir dépassé la maison curiale, s’arrêta, demeura immobile, puis revint sur ses pas et rebroussa chemin jusqu’à la porte du presbytère, qui était une porte bâtarde avec marteau de fer. Il mit vivement la main au marteau, et le souleva ; puis il s’arrêta de nouveau, et resta court, et comme pensif, et, après quelques secondes, au lieu de laisser bruyamment retomber le marteau, il le reposa doucement et reprit son chemin avec une sorte de hâte qu’il n’avait pas auparavant.

    M. Madeleine trouva maître Scaufflaire chez lui occupé à repiquer un harnais.

    Maître Scaufflaire, demanda-t-il, avez-vous un bon cheval ?

    Monsieur le maire, dit le flamand, tous mes chevaux sont bons. Qu’entendez-vous par un bon cheval ?

    J’entends un cheval qui puisse faire vingt lieues en un jour.

    Diable ! fit le flamand, vingt lieues !

    Oui.

    Attelé à un cabriolet ?

    Oui.

    Et combien de temps se reposera-t-il après la course ?

    Il faut qu’il puisse au besoin repartir le lendemain.

    Pour refaire le même trajet ?

    Oui.

    Diable ! diable ! et c’est vingt lieues ?

    M. Madeleine tira de sa poche le papier où il avait crayonné des chiffres. Il les montra au flamand. c’étaient les chiffres 5, 6, 8 1/2.

    Vous voyez, dit-il. Total, dix-neuf et demi, autant dire vingt lieues.

    Monsieur le maire, reprit le flamand, j’ai votre affaire. Mon petit cheval blanc. Vous avez dû le voir passer quelquefois. C’est une petite bête du bas Boulonnais. C’est plein de feu. On a voulu d’abord en faire un cheval de selle. Bah ! il ruait, il flanquait tout le monde par terre. On le croyait vicieux, on ne savait qu’en faire. Je l’ai acheté. Je l’ai mis au cabriolet. Monsieur, c’est cela qu’il voulait ; il est doux comme une fille, il va le vent. Ah ! par exemple, il ne faudrait pas lui monter sur le dos. Ce n’est pas son idée d’être cheval de selle. Chacun a son ambition. Tirer, oui ; porter, non ; il faut croire qu’il s’est dit ça.

    Et il fera la course ?

    Vos vingt lieues. Toujours au grand trot, et en moins de huit heures. Mais voici à quelles conditions.

    Dites.

    Premièrement, vous le ferez souffler une heure à moitié chemin ; il mangera, et on sera là pendant qu’il mangera pour empêcher le garçon de l’auberge de lui voler son avoine ; car j’ai remarqué que dans les auberges l’avoine est plus souvent bue par les garçons d’écurie que mangée par les chevaux.

    On sera là.

    Deuxièmement… Est-ce pour monsieur le maire le cabriolet ?

    Oui.

    Monsieur le maire sait conduire ?

    Oui.

    Eh bien, monsieur le maire voyagera seul et sans bagage afin de ne point charger le cheval.

    Convenu.

    Mais monsieur le maire, n’ayant personne avec lui, sera obligé de prendre la peine de surveiller lui-même l’avoine.

    C’est dit.

    Il me faudra trente francs par jour. Les jours de repos payés. Pas un liard de moins, et la nourriture de la bête à la charge de monsieur le maire.

    M. Madeleine tira trois napoléons de sa bourse et les mit sur la table.

    Voilà deux jours d’avance.

    Quatrièmement, pour une course pareille sur cabriolet serait trop lourd et fatiguerait le cheval. Il faudrait que monsieur le maire consentît à voyager dans un petit tilbury que j’ai.

    J’y consens.

    C’est léger, mais c’est découvert.

    Cela m’est égal.

    Monsieur le maire a-t-il réfléchi que nous sommes en hiver ?…

    M. Madeleine ne répondit pas. Le flamand reprit :

    Qu’il fait très froid ?

    M. Madeleine garda le silence. Maître Scaufflaire continua :

    Qu’il peut pleuvoir ?

    M. Madeleine leva la tête et dit :

    Le tilbury et le cheval seront devant ma porte demain à quatre heures et demie du matin.

    C’est entendu, monsieur le maire, répondit Scaufflaire, puis, grattant avec l’ongle de son pouce une tache qui était dans le bois de la table, il reprit de cet air insouciant que les flamands savent si bien mêler à leur finesse :

    Mais voilà que j’y songe à présent ! monsieur le maire ne me dit pas où il va. Où est-ce que va monsieur le maire ?

    Il ne songeait pas à autre chose depuis le commencement de la conversation, mais il ne savait pourquoi il n’avait pas osé faire cette question.

    Votre cheval a-t-il de bonnes jambes de devant ? dit M. Madeleine.

    Oui, monsieur le maire. Vous le soutiendrez un peu dans les descentes. Y a-t-il beaucoup de descentes d’ici où vous allez ?

    N’oubliez pas d’être à ma porte à quatre heures et demie du matin, très précises, répondit M. Madeleine ; et il sortit.

    Le flamand resta « tout bête », comme il disait lui-même quelque temps après.

    M. le maire était sorti depuis deux ou trois minutes, lorsque la porte se rouvrit, c’était M. le maire.

    Il avait toujours le même air impassible et préoccupé.

    Monsieur Scaufflaire, dit-il, à quelle somme estimez-vous le cheval et le tilbury que vous me louerez, l’un portant l’autre ?

    L’un traînant l’autre, monsieur le maire, dit le flamand avec un gros rire.

    Soit. Eh bien ?

    Est-ce que monsieur le maire veut me les acheter ?

    Non ; mais à tout événement, je veux vous les garantir. À mon retour vous me rendrez la somme. À combien estimez-vous cabriolet et cheval ?

    À cinq cents francs, monsieur le maire.

    Les voici.

    M. Madeleine posa un billet de banque sur la table, puis sortit et cette fois ne rentra plus.

    Maître Scaufflaire regretta affreusement de n’avoir point dit mille francs. Du reste le cheval et le tilbury, en bloc, valaient cent écus.

    Le flamand appela sa femme, et lui conta la chose. Où diable monsieur le maire peut-il aller ? Ils tinrent conseil. — Il va à Paris, dit la femme. — Je ne crois pas, dit le mari. M. Madeleine avait oublié sur la cheminée le papier où il avait tracé des chiffres. Le flamand le reprit et l’étudia. — Cinq, six, huit et demi ? cela doit marquer des relais de poste. Il se tourna vers sa femme. — J’ai trouvé. — Comment ? — Il y a cinq lieues d’ici à Hesdin, six de Hesdin à Saint-Pol, huit et demie de Saint-Pol à Arras. Il va à Arras.

    Cependant M. Madeleine était rentré chez lui.

    Pour revenir de chez maître Scaufflaire, il avait pris le plus long, comme si la porte du presbytère avait été pour lui une tentation, et qu’il eût voulu l’éviter. Il était monté dans sa chambre et s’y était enfermé, ce qui n’avait rien que de simple, car il se couchait volontiers de bonne heure. Pourtant la concierge de la fabrique, qui était en même temps l’unique servante de M. Madeleine, observa que sa lumière s’éteignit à huit heures et demie, et elle le dit au caissier qui rentrait, en ajoutant :

    Est-ce que monsieur le maire est malade ? je lui ai trouvé l’air un peu singulier.

    Ce caissier habitait une chambre située précisément au-dessous de la chambre de M. Madeleine. Il ne prit point garde aux paroles de la portière, se coucha et s’endormit. Vers minuit, il se réveilla brusquement ; il avait entendu à travers son sommeil un bruit au-dessus de sa tête. Il écouta. C’était un pas qui allait et venait, comme si l’on marchait dans la chambre en haut. Il écouta plus attentivement, et reconnut le pas de M. Madeleine. Cela lui parut étrange ; habituellement aucun bruit ne se faisait dans la chambre de M. Madeleine avant l’heure de son lever. Un moment après le caissier entendit quelque chose qui ressemblait à une armoire qu’on ouvre et qu’on referme. Puis on dérangea un meuble, il y eut un silence, et le pas recommença. Le caissier se dressa sur son séant, s’éveilla tout à fait, regarda, et à travers les vitres de sa croisée aperçut sur le mur d’en face la réverbération rougeâtre d’une fenêtre éclairée. À la direction des rayons, ce ne pouvait être que la fenêtre de la chambre de M. Madeleine. La réverbération tremblait comme si elle venait plutôt d’un feu allumé que d’une lumière. L’ombre des châssis vitrés ne s’y dessinait pas, ce qui indiquait que la fenêtre était toute grande ouverte. Par le froid qu’il faisait, cette fenêtre ouverte était surprenante. Le caissier se rendormit. Une heure ou deux heures après, il se réveilla encore. Le même pas, lent et régulier, allait et venait toujours au-dessus de sa tête.

    La réverbération se dessinait toujours sur le mur, mais elle était maintenant pâle et paisible comme le reflet d’une lampe ou d’une bougie. La fenêtre était toujours ouverte.

    Voici ce qui se passait dans la chambre de M. Madeleine.


     

    III

    UNE TEMPÊTE SOUS UN CRÂNE


     

    Le lecteur a sans doute deviné que M. Madeleine n’est autre que Jean Valjean.

    Nous avons déjà regardé dans les profondeurs de cette conscience ; le moment est venu d’y regarder encore. Nous ne le faisons pas sans émotion et sans tremblement. Il n’existe rien de plus terrifiant que cette sorte de contemplation. L’œil de l’esprit ne peut trouver nulle part plus d’éblouissements ni plus de ténèbres que dans l’homme ; il ne peut se fixer sur aucune chose qui soit plus redoutable, plus compliquée, plus mystérieuse et plus infinie. Il y a un spectacle plus grand que la mer, c’est le ciel ; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme.

    Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. La conscience, c’est le chaos des chimères, des convoitises et des tentatives, la fournaise des rêves, l’antre des idées dont on a honte ; c’est le pandémonium des sophismes, c’est le champ de bataille des passions. À de certaines heures, pénétrez à travers la face livide d’un être humain qui réfléchit, et regardez derrière, regardez dans cette âme, regardez dans cette obscurité. Il y a là, sous le silence extérieur, des combats de géants comme dans Homère, des mêlées de dragons et d’hydres et des nuées de fantômes comme dans Milton, des spirales visionnaires comme chez Dante. Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie !

    Alighieri rencontra un jour une sinistre porte devant laquelle il hésita. En voici une aussi devant nous, au seuil de laquelle nous hésitons. Entrons pourtant.

    Nous n’avons que peu de chose à ajouter à ce que le lecteur connaît déjà de ce qui était arrivé à Jean Valjean depuis l’aventure de Petit-Gervais. À partir de ce moment, on l’a vu, il fut un autre homme. Ce que l’évêque avait voulu faire de lui, il l’exécuta. Ce fut plus qu’une transformation, ce fut une transfiguration.

    Il réussit à disparaître, vendit l’argenterie de l’évêque, ne gardant que les flambeaux, comme souvenir, se glissa de ville en ville, traversa la France, vint à Montreuil-sur-mer, eut l’idée que nous avons dite, accomplit ce que nous avons raconté, parvint à se faire insaisissable et inaccessible, et désormais, établi à Montreuil-sur-mer, heureux de sentir sa conscience attristée par son passé et la première moitié de son existence démentie par la dernière, il vécut paisible, rassuré et espérant, n’ayant plus que deux pensées : cacher son nom et sanctifier sa vie ; échapper aux hommes, et revenir à Dieu.

    Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu’elles n’en formaient qu’une seule ; elles étaient toutes deux également absorbantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions. D’ordinaire elles étaient d’accord pour régler la conduite de sa vie ; elles le tournaient vers l’ombre ; elles le faisaient bienveillant et simple ; elles lui conseillaient les mêmes choses. Quelquefois cependant il y avait conflit entre elles. Dans ce cas-là, on s’en souvient, l’homme que tout le pays de Montreuil-sur-mer appelait M. Madeleine ne balançait pas à sacrifier la première à la seconde, sa sécurité à sa vertu. Ainsi, en dépit de toute réserve et de toute prudence, il avait gardé les chandeliers de l’évêque, porté son deuil, appelé et interrogé tous les petits savoyards qui passaient, pris des renseignements sur les familles de Faverolles, et sauvé la vie au vieux Fauchelevent, malgré les inquiétantes insinuations de Javert. Il semblait, nous l’avons déjà remarqué, qu’il pensât, à l’exemple de tous ceux qui ont été sages, saints et justes, que son premier devoir n’était pas envers lui.

    Toutefois, il faut le dire, jamais rien de pareil ne s’était encore présenté. Jamais les deux idées qui gouvernaient le malheureux homme dont nous racontons les souffrances n’avaient engagé une lutte si sérieuse. Il le comprit confusément, mais profondément, dès les premières paroles que prononça Javert, en entrant dans son cabinet. Au moment où fut si étrangement articulé ce nom qu’il avait enseveli sous tant d’épaisseurs, il fut saisi de stupeur et comme enivré par la sinistre bizarrerie de sa destinée, et, à travers cette stupeur, il eut ce tressaillement qui précède les grandes secousses ; il se courba comme un chêne à l’approche d’un orage, comme un soldat à l’approche d’un assaut. Il sentit venir sur sa tête des ombres pleines de foudres et d’éclairs. Tout en écoutant parler Javert, il eut une première pensée d’aller, de courir, de se dénoncer, de tirer ce Champmathieu de prison et de s’y mettre ; cela fut douloureux et poignant comme une incision dans la chair vive, puis cela passa, et il se dit : — Voyons ! voyons ! — Il réprima ce premier mouvement généreux et recula devant l’héroïsme.

    Sans doute, il serait beau qu’après les saintes paroles de l’évêque, après tant d’années de repentir et d’abnégation, au milieu d’une pénitence admirablement commencée, cet homme, même en présence d’une si terrible conjoncture, n’eût pas bronché un instant et eût continué de marcher du même pas vers ce précipice ouvert au fond duquel était le ciel ; cela serait beau, mais cela ne fut pas ainsi. Il faut bien que nous rendions compte des choses qui s’accomplissaient dans cette âme, et nous ne pouvons dire que ce qui y était. Ce qui l’emporta tout d’abord, ce fut l’instinct de la conservation ; il rallia en hâte ses idées, étouffa ses émotions, considéra la présence de Javert, ce grand péril, ajourna toute résolution avec la fermeté de l’épouvante, s’étourdit sur ce qu’il y avait à faire, et reprit son calme comme un lutteur ramasse son bouclier.

    Le reste de la journée il fut dans cet état, un tourbillon au dedans, une tranquillité profonde au dehors ; il ne prit que ce qu’on pourrait appeler « les mesures conservatoires ». Tout était encore confus et se heurtait dans son cerveau ; le trouble y était tel qu’il ne voyait distinctement la forme d’aucune idée ; et lui-même n’aurait pu rien dire de lui-même, si ce n’est qu’il venait de recevoir un grand coup. Il se rendit comme d’habitude près du lit de douleur de Fantine et prolongea sa visite, par un instinct de bonté, se disant qu’il fallait agir ainsi et la bien recommander aux sœurs pour le cas où il arriverait qu’il eût à s’absenter. Il sentit vaguement qu’il faudrait peut-être aller à Arras, et, sans être le moins du monde décidé à ce voyage, il se dit qu’à l’abri de tout soupçon comme il l’était, il n’y avait point d’inconvénient à être témoin de ce qui se passerait, et il retint le tilbury de Scaufflaire, afin d’être préparé à tout événement.

    Il dîna avec assez d’appétit.

    Rentré dans sa chambre il se recueillit.

    Il examina la situation et la trouva inouïe ; tellement inouïe qu’au milieu de sa rêverie, par je ne sais quelle impulsion d’anxiété presque inexplicable, il se leva de sa chaise et ferma sa porte au verrou. Il craignait qu’il n’entrât encore quelque chose. Il se barricadait contre le possible.

    Un moment après il souffla sa lumière. Elle le gênait.

    Il lui semblait qu’on pouvait le voir.

    Qui, on ?

    Hélas ! ce qu’il voulait mettre à la porte était entré ; ce qu’il voulait aveugler, le regardait. Sa conscience.

    Sa conscience, c’est-à-dire Dieu.

    Pourtant, dans le premier moment, il se fit illusion ; il eut un sentiment de sûreté et de solitude ; le verrou tiré, il se crut imprenable ; la chandelle éteinte, il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même ; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres.

    Où en suis-je ? — Est-ce que je ne rêve pas ? — Que m’a-t-on dit ? — Est-il bien vrai que j’aie vu ce Javert et qu’il m’ait parlé ainsi ? — Que peut être ce Champmathieu ? — Il me ressemble donc ? — Est-ce possible ? — Quand je pense qu’hier j’étais si tranquille et si loin de me douter de rien ! — Qu’est-ce que je faisais donc hier à pareille heure ? — Qu’y a-t-il dans cet incident ? — Comment se dénouera-t-il ? — Que faire ?

    Voilà dans quelle tourmente il était. Son cerveau avait perdu la force de retenir ses idées, elles passaient comme des ondes, et il prenait son front dans ses deux mains pour les arrêter.

    De ce tumulte qui bouleversait sa volonté et sa raison, et dont il cherchait à tirer une évidence et une résolution, rien ne se dégageait que l’angoisse.

    Sa tête était brûlante. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande. Il n’y avait pas d’étoiles au ciel. Il revint s’asseoir près de la table.

    La première heure s’écoula ainsi.

    Peu à peu cependant des linéaments vagues commencèrent à se former et à se fixer dans sa méditation, et il put entrevoir avec la précision de la réalité, non l’ensemble de la situation, mais quelques détails.

    Il commença par reconnaître que, si extraordinaire et si critique que fût cette situation, il en était tout à fait le maître.

    Sa stupeur ne fit que s’en accroître.

    Indépendamment du but sévère et religieux que se proposaient ses actions, tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour n’était autre chose qu’un trou qu’il creusait pour y enfouir son nom. Ce qu’il avait toujours le plus redouté, dans ses heures de repli sur lui-même, dans ses nuits d’insomnie, c’était d’entendre jamais prononcer ce nom ; il se disait que ce serait là pour lui la fin de tout ; que le jour où ce nom reparaîtrait, il ferait évanouir autour de lui sa vie nouvelle, et, qui sait même peut-être ? au dedans de lui sa nouvelle âme. Il frémissait de la seule pensée que c’était possible. Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moments-là qu’une heure viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hideux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup de la nuit et se dresserait devant lui, où cette lumière formidable faite pour dissiper le mystère dont il s’enveloppait resplendirait subitement sur sa tête, et que ce nom ne le menacerait pas, que cette lumière ne produirait qu’une obscurité plus épaisse, que ce voile déchiré accroîtrait le mystère ; que ce tremblement de terre consoliderait son édifice, que ce prodigieux incident n’aurait d’autre résultat, si bon lui semblait, à lui, que de rendre son existence à la fois plus claire et plus impénétrable, et que, de sa confrontation avec le fantôme de Jean Valjean, le bon et digne bourgeois « monsieur Madeleine » sortirait plus honoré, plus paisible et plus respecté que jamais ; — si quelqu’un lui eût dit cela, il eût hoché la tête et regardé ces paroles comme insensées. Eh bien ! tout cela venait précisément d’arriver, tout cet entassement de l’impossible était un fait, et Dieu avait permis que ces choses folles devinssent des choses réelles !

    Sa rêverie continuait de s’éclaircir. Il se rendait de plus en plus compte de sa position.

    Il lui semblait qu’il venait de s’éveiller de je ne sais quel sommeil, et qu’il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant, reculant en vain, sur le bord extrême d’un abîme. Il entrevoyait distinctement dans l’ombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelqu’un y tombât, lui ou l’autre.

    Il n’avait qu’à laisser faire.

    La clarté devint complète, et il s’avoua ceci : — Que sa place était vide aux galères, qu’il avait beau faire, qu’elle l’y attendait toujours, que le vol de Petit-Gervais l’y ramenait, que cette place vide l’attendrait et l’attirerait jusqu’à ce qu’il y fût, que cela était inévitable et fatal. — Et puis il se dit : — Qu’en ce moment il avait un remplaçant, qu’il paraissait qu’un nommé Champmathieu avait cette mauvaise chance, et que, quant à lui, présent désormais au bagne dans la personne de ce Champmathieu, présent dans la société sous le nom de M. Madeleine, il n’avait plus rien à redouter, pourvu qu’il n’empêchât pas les hommes de sceller sur la tête de ce Champmathieu cette pierre de l’infamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais.

    Tout cela était si violent et si étrange qu’il se fit soudain en lui cette espèce de mouvement indescriptible qu’aucun homme n’éprouve plus de deux ou trois fois dans sa vie, sorte de convulsion de la conscience qui remue tout ce que le cœur a de douteux, qui se compose d’ironie, de joie et de désespoir, et qu’on pourrait appeler un éclat de rire intérieur.

    Il ralluma brusquement sa bougie.

    Eh bien quoi ! se dit-il, de quoi est-ce que j’ai peur ? qu’est-ce que j’ai à songer comme cela ? Me voilà sauvé. Tout est fini. Je n’avais plus qu’une porte entr’ouverte par laquelle mon passé pouvait faire irruption dans ma vie ; cette porte, la voilà murée ! à jamais ! Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m’avoir deviné, qui m’avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean ! Qui sait même, il est probable qu’il voudra quitter la ville ! Et tout cela s’est fait sans moi ! Et je n’y suis pour rien ! Ah çà, mais ! qu’est-ce qu’il y a de malheureux dans ceci ? Des gens qui me verraient, parole d’honneur ! croiraient qu’il m’est arrivé une catastrophe ! Après tout, s’il y a du mal pour quelqu’un, ce n’est aucunement de ma faute. C’est la providence qui a tout fait. C’est qu’elle veut cela apparemment ! Ai-je le droit de déranger ce qu’elle arrange ? Qu’est-ce que je demande à présent ? De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas. Comment ! je ne suis pas content ! Mais qu’est-ce qu’il me faut donc ? Le but auquel j’aspire depuis tant d’années, le songe de mes nuits, l’objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l’atteins ! C’est Dieu qui le veut. Je n’ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j’ai commencé, pour que je fasse le bien, pour que je sois un jour un grand et encourageant exemple, pour qu’il soit dit qu’il y a eu enfin un peu de bonheur attaché à cette pénitence que j’ai subie et à cette vertu où je suis revenu ! Vraiment je ne comprends pas pourquoi j’ai eu peur tantôt d’entrer chez ce brave curé et de tout lui raconter comme à un confesseur, et de lui demander conseil, c’est évidemment là ce qu’il m’aurait dit. C’est décidé, laissons aller les choses ! laissons faire le bon Dieu !

    Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme. Il se leva de sa chaise, et se mit à marcher dans la chambre. — Allons, dit-il, n’y pensons plus. Voilà une résolution prise ! — Mais il ne sentit aucune joie.

    Au contraire.

    On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée ; pour le coupable, cela s’appelle le remords. Dieu soulève l’âme comme l’océan.

    Au bout de peu d’instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c’était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu’il eût voulu taire, écoutant ce qu’il n’eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense ! comme elle disait il y a deux mille ans à un autre condamné : marche !

    Avant d’aller plus loin et pour être pleinement compris, insistons sur une observation nécessaire.

    Il est certain qu’on se parle à soi-même, il n’est pas un être pensant qui ne l’ait éprouvé. On peut dire même que le verbe n’est jamais un plus magnifique mystère que lorsqu’il va, dans l’intérieur d’un homme, de la pensée à la conscience et qu’il retourne de la conscience à la pensée. C’est dans ce sens seulement qu’il faut entendre les mots souvent employés dans ce chapitre, il dit, il s’écria. On se dit, on se parle, on s’écrie en soi-même, sans que le silence extérieur soit rompu. Il y a un grand tumulte ; tout parle en nous, excepté la bouche. Les réalités de l’âme, pour n’être point visibles et palpables, n’en sont pas moins des réalités.

    Il se demanda donc où il en était. Il s’interrogea sur cette « résolution prise ». Il se confessa à lui-même que tout ce qu’il venait d’arranger dans son esprit était monstrueux, que « laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu », c’était tout simplement horrible. Laisser s’accomplir cette méprise de la destinée et des hommes, ne pas l’empêcher, s’y prêter par son silence, ne rien faire enfin, c’était faire tout ! c’était le dernier degré de l’indignité hypocrite ! c’était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

    Pour la première fois depuis huit années, le malheureux homme venait de sentir la saveur amère d’une mauvaise pensée et d’une mauvaise action.

    Il la recracha avec dégoût.

    Il continua de se questionner. Il se demanda sévèrement ce qu’il avait entendu par ceci : « Mon but est atteint ! » Il se déclara que sa vie avait un but en effet. Mais quel but ? Cacher son nom ? tromper la police ? Était-ce pour une chose si petite qu’il avait fait tout ce qu’il avait fait ? Est-ce qu’il n’avait pas un autre but, qui était le grand, qui était le vrai ? Sauver, non sa personne, mais son âme. Redevenir honnête et bon. Être un juste ! Est-ce que ce n’était pas là surtout, là uniquement, ce qu’il avait toujours voulu, ce que l’évêque lui avait ordonné ? — Fermer la porte à son passé ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu’on appelle le bagne ! Au contraire, se livrer, sauver cet homme frappé d’une si lugubre erreur, reprendre son nom, redevenir par devoir le forçat Jean Valjean, c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ! Y retomber en apparence, c’était en sortir en réalité ! Il fallait faire cela ! il n’avait rien fait s’il ne faisait pas cela ! toute sa vie était inutile, toute sa pénitence était perdue, et il n’y avait plus qu’à dire : à quoi bon ? Il sentait que l’évêque était là, que l’évêque était d’autant plus présent qu’il était mort, que l’évêque le regardait fixement, que désormais le maire Madeleine avec toutes ses vertus lui serait abominable, et que le galérien Jean Valjean serait admirable et pur devant lui. Que les hommes voyaient son masque, mais que l’évêque voyait sa face. Que les hommes voyaient sa vie, mais que l’évêque voyait sa conscience. Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! c’était là le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir ; mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n’entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s’il rentrait dans l’infamie aux yeux des hommes !

    Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! faisons notre devoir ! sauvons cet homme !

    Il prononça ces paroles à haute voix, sans s’apercevoir qu’il parlait tout haut.

    Il prit ses livres, les vérifia et les mit en ordre. Il jeta au feu une liasse de créances qu’il avait sur de petits commerçants gênés. Il écrivit une lettre qu’il cacheta et sur l’enveloppe de laquelle on aurait pu lire, s’il y avait eu quelqu’un dans sa chambre en cet instant : À Monsieur Laffitte, banquier, rue d’Artois, à Paris.

    Il tira d’un secrétaire un portefeuille qui contenait quelques billets de banque et le passeport dont il s’était servi cette même année pour aller aux élections.

    Qui l’eût vu pendant qu’il accomplissait ces divers actes auxquels se mêlait une méditation si grave, ne se fût pas douté de ce qui se passait en lui. Seulement par moments ses lèvres remuaient ; dans d’autres instants il relevait la tête et fixait son regard sur un point quelconque de la muraille, comme s’il y avait précisément là quelque chose qu’il voulait éclaircir ou interroger.

    La lettre à M. Laffitte terminée, il la mit dans sa poche ainsi que le portefeuille, et recommença à marcher.

    Sa rêverie n’avait point dévié. Il continuait de voir clairement son devoir écrit en lettres lumineuses qui flamboyaient devant ses yeux et se déplaçaient avec son regard : — Va ! nomme-toi ! dénonce-toi !

    Il voyait de même, et comme si elles se fussent mues devant lui avec des formes sensibles, les deux idées qui avaient été jusque-là la double règle de sa vie : cacher son nom, sanctifier son âme. Pour la première fois, elles lui apparaissaient absolument distinctes, et il voyait la différence qui les séparait. Il reconnaissait que l’une de ces idées était nécessairement bonne, tandis que l’autre pouvait devenir mauvaise ; que celle-là était le dévouement et que celle-ci était la personnalité ; que l’une disait : le prochain, et que l’autre disait : moi ; que l’une venait de la lumière et que l’autre venait de la nuit.

    Elles se combattaient, il les voyait se combattre. À mesure qu’il songeait, elles avaient grandi devant l’œil de son esprit ; elles avaient maintenant des statures colossales ; et il lui semblait qu’il voyait lutter au dedans de lui-même, dans cet infini dont nous parlions tout à l’heure, au milieu des obscurités et des lueurs, une déesse et une géante.

    Il était plein d’épouvante, mais il lui semblait que la bonne pensée l’emportait.

    Il sentait qu’il touchait à l’autre moment décisif de sa conscience et de sa destinée ; que l’évêque avait marqué la première phase de sa vie nouvelle, et que ce Champmathieu en marquait la seconde. Après la grande crise, la grande épreuve.

    Cependant la fièvre, un instant apaisée, lui revenait peu à peu. Mille pensées le traversaient, mais elles continuaient de le fortifier dans sa résolution.

    Un moment il s’était dit : — qu’il prenait peut-être la chose trop vivement, qu’après tout ce Champmathieu n’était pas intéressant, qu’en somme il avait volé.

    Il se répondit : — Si cet homme a en effet volé quelques pommes, c’est un mois de prison. Il y a loin de là aux galères. Et qui sait même ? a-t-il volé ? est-ce prouvé ? Le nom de Jean Valjean l’accable et semble dispenser de preuves. Les procureurs du roi n’agissent-ils pas habituellement ainsi ? On le croit voleur parce qu’on le sait forçat.

    Dans un autre instant, cette idée lui vint que, lorsqu’il se serait dénoncé, peut-être on considérerait l’héroïsme de son action, et sa vie honnête depuis sept ans, et ce qu’il avait fait pour le pays, et qu’on lui ferait grâce.

    Mais cette supposition s’évanouit bien vite, et il sourit amèrement en songeant que le vol des quarante sous à Petit-Gervais le faisait récidiviste, que cette affaire reparaîtrait certainement et, aux termes précis de la loi, le ferait passible des travaux forcés à perpétuité.

    Il se détourna de toute illusion, se détacha de plus en plus de la terre et chercha la consolation et la force ailleurs. Il se dit qu’il fallait faire son devoir ; que peut-être même ne serait-il pas plus malheureux après avoir fait son devoir qu’après l’avoir éludé ; que s’il laissait faire, s’il restait à Montreuil-sur-Mer, sa considération, sa bonne renommée, ses bonnes œuvres, la déférence, la vénération, sa charité, sa richesse, sa popularité, sa vertu, seraient assaisonnées d’un crime ; et quel goût auraient toutes ces choses saintes liées à cette chose hideuse ! tandis que, s’il accomplissait son sacrifice, au bagne, au poteau, au carcan, au bonnet vert, au travail sans relâche, à la honte sans pitié, il se mêlerait une idée céleste !

    Enfin il se dit qu’il y avait nécessité, que sa destinée était ainsi faite, qu’il n’était pas maître de déranger les arrangements d’en haut, que dans tous les cas il fallait choisir : ou la vertu au dehors et l’abomination au dedans, ou la sainteté au dedans et l’infamie au dehors.

    À remuer tant d’idées lugubres, son courage ne défaillait pas, mais son cerveau se fatiguait. Il commençait à penser malgré lui à d’autres choses, à des choses indifférentes.

    Ses artères battaient violemment dans ses tempes. Il allait et venait toujours. Minuit sonna d’abord à la paroisse, puis à la maison de ville. Il compta les douze coups aux deux horloges, et il compara le son des deux cloches. Il se rappela à cette occasion que quelques jours auparavant il avait vu chez un marchand de ferrailles une vieille cloche à vendre sur laquelle ce nom était écrit : Antoine Albin de Romainville.

    Il avait froid. Il alluma un peu de feu. Il ne songea pas à fermer la fenêtre.

    Cependant il était retombé dans sa stupeur. Il lui fallait faire un assez grand effort pour se rappeler à quoi il songeait avant que minuit sonnât. Il y parvint enfin.

    Ah ! oui, se dit-il, j’avais pris la résolution de me dénoncer.

    Et puis tout à coup il pensa à la Fantine.

    Tiens ! dit-il, et cette pauvre femme !

    Ici une crise nouvelle se déclara.

    Fantine, apparaissant brusquement dans sa rêverie, y fut comme un rayon d’une lumière inattendue. Il lui sembla que tout changeait d’aspect autour de lui, il s’écria :

    Ah çà, mais ! jusqu’ici je n’ai considéré que moi ! je n’ai eu égard qu’à ma convenance ! Il me convient de me taire ou de me dénoncer, — cacher ma personne ou sauver mon âme, — être un magistrat méprisable et respecté ou un galérien infâme et vénérable, c’est moi, c’est toujours moi, ce n’est que moi ! Mais, mon Dieu, c’est de l’égoïsme tout cela ! Ce sont des formes diverses de l’égoïsme, mais c’est de l’égoïsme ! Si je songeais un peu aux autres ? La première sainteté est de penser à autrui. Voyons, examinons. Moi excepté, moi effacé, moi oublié, qu’arrivera-t-il de tout ceci ? — Si je me dénonce ? on me prend, on lâche ce Champmathieu, on me remet aux galères, c’est bien, et puis ? Que se passe-t-il ici ? Ah ! ici, il y a un pays, une ville, des fabriques, une industrie, des ouvriers, des hommes, des femmes, des vieux grands-pères, des enfants, des pauvres gens ! J’ai créé tout cela, je fais vivre tout cela ; partout où il y a une cheminée qui fume, c’est moi qui ai mis le tison dans le feu et la viande dans la marmite ; j’ai fait l’aisance, la circulation, le crédit ; avant moi il n’y avait rien ; j’ai relevé, vivifié, animé, fécondé, stimulé, enrichi tout le pays ; moi de moins, c’est l’âme de moins. Je m’ôte, tout meurt. — Et cette femme qui a tant souffert, qui a tant de mérites dans sa chute, dont j’ai causé sans le vouloir tout le malheur ! Et cet enfant que je voulais aller chercher, que j’ai promis à la mère ! Est-ce que je ne dois pas aussi quelque chose à cette femme, en réparation du mal que je lui ai fait ? Si je disparais, qu’arrive-t-il ? La mère meurt. L’enfant devient ce qu’il peut. Voilà ce qui se passe, si je me dénonce.

    Si je ne me dénonce pas !... Voyons, si je ne me dénonce pas ?

    Après s’être fait cette question, il s’arrêta ; il eut comme un moment d’hésitation et de tremblement ; mais ce moment dura peu, et il se répondit avec calme :

    Eh bien, cet homme va aux galères, c’est vrai, mais, que diable ! il a volé ! J’ai beau me dire qu’il n’a pas volé, il a volé ! Moi, je reste ici, je continue. Dans dix ans j’aurai gagné dix millions, je les répands dans le pays, je n’ai rien à moi, qu’est-ce que cela me fait ? Ce n’est pas pour moi ce que je fais ! La prospérité de tous va croissant, les industries s’éveillent et s’excitent, les manufactures et les usines se multiplient, les familles, cent familles, mille familles ! sont heureuses ; la contrée se peuple ; il naît des villages où il n’y a que des fermes, il naît des fermes où il n’y a rien ; la misère disparaît, et avec la misère disparaissent la débauche, la prostitution, le vol, le meurtre, tous les vices, tous les crimes ! Et cette pauvre mère élève son enfant ! et voilà tout un pays riche et honnête ! Ah çà, j’étais fou, j’étais absurde, qu’est-ce que je parlais donc de me dénoncer ? Il faut faire attention, vraiment, et ne rien précipiter. Quoi ! parce qu’il m’aura plu de faire le grand et le généreux, — c’est du mélodrame, après tout ! — parce que je n’aurai songé qu’à moi, qu’à moi seul, quoi ! pour sauver d’une punition peut-être un peu exagérée, mais juste au fond, on ne sait qui, un voleur, un drôle évidemment, il faudra que tout un pays périsse ! il faudra qu’une pauvre femme crève à l’hôpital ! qu’une pauvre petite fille crève sur le pavé ! comme des chiens ! Ah ! mais c’est abominable ! Sans même que la mère ait revu son enfant ! sans que l’enfant ait presque connu sa mère ! Et tout ça pour ce vieux gredin de voleur de pommes qui, à coup sûr, a mérité les galères pour autre chose, si ce n’est pour cela ! Beaux scrupules qui sauvent un coupable et qui sacrifient des innocents, qui sauvent un vieux vagabond, lequel n’a plus que quelques années à vivre au bout du compte et ne sera guère plus malheureux au bagne que dans sa masure, et qui sacrifient toute une population, mères, femmes, enfants ! Cette pauvre petite Cosette qui n’a que moi au monde et qui est sans doute en ce moment toute bleue de froid dans le bouge de ces Thénardier ! Voilà encore des canailles, ceux-là ! Et je manquerais à mes devoirs envers tous ces pauvres êtres ! Et je m’en irais me dénoncer ! Et je ferais cette inepte sottise ! Mettons tout au pis. Supposons qu’il y ait une mauvaise action pour moi dans ceci et que ma conscience me la reproche un jour, accepter, pour le bien d’autrui, ces reproches qui ne chargent que moi, cette mauvaise action qui ne compromet que mon âme, c’est là qu’est le dévouement, c’est là qu’est la vertu.

    Il se leva, il se remit à marcher. Cette fois il lui semblait qu’il était content.

    On ne trouve les diamants que dans les ténèbres de la terre ; on ne trouve les vérités que dans les profondeurs de la pensée. Il lui semblait qu’après être descendu dans ces profondeurs, après avoir longtemps tâtonné au plus noir de ces ténèbres, il venait enfin de trouver un de ces diamants, une de ces vérités, et qu’il la tenait dans sa main ; et il s’éblouissait à la regarder.

    Oui, pensa-t-il, c’est cela. Je suis dans le vrai. J’ai la solution. Il faut finir par s’en tenir à quelque chose. Mon parti est pris. Laissons faire ! Ne vacillons plus, ne reculons plus. Ceci est dans l’intérêt de tous, non dans le mien. Je suis Madeleine, je reste Madeleine. Malheur à celui qui est Jean Valjean ! Ce n’est plus moi. Je ne connais pas cet homme, je ne sais plus ce que c’est, s’il se trouve que quelqu’un est Jean Valjean à cette heure, qu’il s’arrange ! cela ne me regarde pas. C’est un nom de fatalité qui flotte dans la nuit, s’il s’arrête et s’abat sur une tête, tant pis pour elle !

    Il se regarda dans le petit miroir qui était sur sa cheminée, et dit :

    Tiens ! cela m’a soulagé de prendre une résolution ! Je suis tout autre à présent.

    Il marcha encore quelques pas, puis il s’arrêta court :

    Allons ! dit-il, il ne faut hésiter devant aucune des conséquences de la résolution prise. Il y a encore des fils qui m’attachent à ce Jean Valjean. Il faut les briser ! Il y a ici, dans cette chambre même, des objets qui m’accuseraient, des choses muettes qui seraient des témoins, c’est dit, il faut que tout cela disparaisse.

    Il fouilla dans sa poche, en tira sa bourse, l’ouvrit, et y prit une petite clef.

    Il introduisit cette clef dans une serrure dont on voyait à peine le trou, perdu qu’il était dans les nuances les plus sombres du dessin qui couvrait le papier collé sur le mur. Une cachette s’ouvrit, une espèce de fausse armoire ménagée entre l’angle de la muraille et le manteau de la cheminée. Il n’y avait dans cette cachette que quelques guenilles, un sarrau de toile bleue, un vieux pantalon, un vieux havresac, et un gros bâton d’épine ferré aux deux bouts. Ceux qui avaient vu Jean Valjean à l’époque où il traversait Digne, en octobre 1815, eussent aisément reconnu toutes les pièces de ce misérable accoutrement.

    Il les avait conservées comme il avait conservé les chandeliers d’argent, pour se rappeler toujours son point de départ. Seulement il cachait ceci qui venait du bagne, et il laissait voir les flambeaux qui venaient de l’évêque.

    Il jeta un regard furtif vers la porte, comme s’il eût craint qu’elle ne s’ouvrît malgré le verrou qui la fermait ; puis d’un mouvement vif et brusque et d’une seule brassée, sans même donner un coup d’œil à ces choses qu’il avait si religieusement et si périlleusement gardées pendant tant d’années, il prit tout, haillons, bâton, havresac, et jeta tout au feu.

    Il referma la fausse armoire, et, redoublant de précautions, désormais inutiles puisqu’elle était vide, en cacha la porte derrière un gros meuble qu’il y poussa.

    Au bout de quelques secondes, la chambre et le mur d’en face furent éclairés d’une grande réverbération rouge et tremblante. Tout brûlait. Le bâton d’épine pétillait et jetait des étincelles jusqu’au milieu de la chambre.

    Le havresac, en se consumant avec d’affreux chiffons qu’il contenait, avait mis à nu quelque chose qui brillait dans la cendre. En se penchant, on eût aisément reconnu une pièce d’argent. Sans doute la pièce de quarante sous volée au petit savoyard.

    Lui ne regardait pas le feu et marchait, allant et venant toujours du même pas.

    Tout à coup ses yeux tombèrent sur les deux flambeaux d’argent que la réverbération faisait reluire vaguement sur la cheminée.

    Tiens ! pensa-t-il, tout Jean Valjean est encore là-dedans. Il faut aussi détruire cela.

    Il prit les deux flambeaux.

    Il y avait assez de feu pour qu’on pût les déformer promptement et en faire une sorte de lingot méconnaissable.

    Il se pencha sur le foyer et s’y chauffa un instant. Il eut un vrai bien-être. — La bonne chaleur ! dit-il.

    Il remua le brasier avec un des deux chandeliers.

    Une minute de plus, et ils étaient dans le feu.

    En ce moment il lui sembla qu’il entendait une voix qui criait au dedans de lui :

    Jean Valjean ! Jean Valjean !

    Ses cheveux se dressèrent, il devint comme un homme qui écoute une chose terrible.

    Oui ! c’est cela, achève ! disait la voix. Complète ce que tu fais ! détruis ces flambeaux ! anéantis ce souvenir ! oublie l’évêque ! oublie tout ! perds ce Champmathieu ! va, c’est bien. Applaudis-toi ! Ainsi, c’est convenu, c’est résolu, c’est dit, voilà un homme, voilà un vieillard qui ne sait ce qu’on lui veut, qui n’a rien fait peut-être, un innocent, dont ton nom fait tout le malheur, sur qui ton nom pèse comme un crime, qui va être pris pour toi, qui va être condamné, qui va finir ses jours dans l’abjection et dans l’horreur ! c’est bien. Sois honnête homme, toi. Reste monsieur le maire, reste honorable et honoré, enrichis la ville, nourris des indigents, élève des orphelins, vis heureux, vertueux et admiré, et pendant ce temps-là, pendant que tu seras ici dans la joie et dans la lumière, il y aura quelqu’un qui aura ta casaque rouge, qui portera ton nom dans l’ignominie et qui traînera ta chaîne au bagne ! Oui, c’est bien arrangé ainsi ! Ah ! misérable !

    La sueur lui coulait du front. Il attachait sur les flambeaux un œil hagard. Cependant ce qui parlait en lui n’avait pas fini. La voix continuait :

    Jean Valjean ! il y aura autour de toi beaucoup de voix qui feront un grand bruit, qui parleront bien haut, et qui te béniront, et une seule que personne n’entendra et qui te maudira dans les ténèbres. Eh bien ! écoute, infâme ! toutes ces bénédictions retomberont avant d’arriver au ciel, et il n’y aura que la malédiction qui montera jusqu’à Dieu !

    Cette voix, d’abord toute faible et qui s’était élevée du plus obscur de sa conscience, était devenue par degrés éclatante et formidable, et il l’entendait maintenant à son oreille. Il lui semblait qu’elle était sortie de lui-même et qu’elle parlait à présent en dehors de lui. Il crut entendre les dernières paroles si distinctement qu’il regarda dans la chambre avec une sorte de terreur.

    Y a-t-il quelqu’un ici ? demanda-t-il à haute voix, et tout égaré.

    Puis il reprit avec un rire qui ressemblait au rire d’un idiot :

    Que je suis bête ! il ne peut y avoir personne.

    Il y avait quelqu’un ; mais celui qui y était n’était pas de ceux que l’œil humain peut voir.

    Il posa les flambeaux sur la cheminée.

    Alors il reprit cette marche monotone et lugubre qui troublait dans ses rêves et réveillait en sursaut l’homme endormi au-dessous de lui.

    Cette marche le soulageait et l’enivrait en même temps. Il semble que parfois dans les occasions suprêmes on se remue pour demander conseil à tout ce qu’on peut rencontrer en se déplaçant. Au bout de quelques instants il ne savait plus où il en était.

    Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. — Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir !

    Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans ces livres, il n’écrirait plus sur cette petite table de bois blanc ! Sa vieille portière, la seule servante qu’il eût, ne lui monterait plus son café le matin. Grand Dieu ! au lieu de cela, la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaîne au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp, toutes ces horreurs connues ! À son âge, après avoir été ce qu’il était ! Si encore il était jeune ! Mais, vieux, être tutoyé par le premier venu, être fouillé par le garde-chiourme, recevoir le coup de bâton de l’argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier qui visite la manille ! subir la curiosité des étrangers auxquels on dirait : Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-mer ! Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l’escalier-échelle du bagne flottant ! Oh ! quelle misère ! La destinée peut-elle donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cœur humain !

    Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : — rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer, et y devenir ange !

    Que faire, grand Dieu ! que faire ?

    La tourmente dont il était sorti avec tant de peine se déchaîna de nouveau en lui. Ses idées recommencèrent à se mêler. Elles prirent ce je ne sais quoi de stupéfié et de machinal qui est propre au désespoir. Le nom de Romainville lui revenait sans cesse à l’esprit avec deux vers d’une chanson qu’il avait entendue autrefois. Il songeait que Romainville est un petit bois près Paris où les jeunes gens amoureux vont cueillir des lilas au mois d’avril.

    Il chancelait au dehors comme au dedans. Il marchait comme un petit enfant qu’on laisse aller seul.

    À de certains moments, luttant contre sa lassitude, il faisait effort pour ressaisir son intelligence. Il tâchait de se poser une dernière fois, et définitivement, le problème sur lequel il était en quelque sorte tombé d’épuisement. Faut-il se dénoncer ! Faut-il se taire ? — Il ne réussissait à rien voir de distinct. Les vagues aspects de tous les raisonnements ébauchés par sa rêverie tremblaient et se dissipaient l’un après l’autre en fumée. Seulement il sentait que, à quelque parti qu’il s’arrêtât, nécessairement, et sans qu’il fût possible d’y échapper, quelque chose de lui allait mourir ; qu’il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; qu’il accomplissait une agonie, l’agonie de son bonheur ou l’agonie de sa vertu.

    Hélas ! toutes ses irrésolutions l’avaient repris. Il n’était pas plus avancé qu’au commencement.

    Ainsi se débattait sous l’angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l’être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l’humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l’infini, longtemps écarté de la main l’effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d’ombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines d’étoiles.


     

    IV

    FORMES QUE PREND LA SOUFFRANCE PENDANT LE SOMMEIL


     

    Trois heures du matin venaient de sonner, et il y avait cinq heures qu’il marchait ainsi, presque sans interruption lorsqu’il se laissa tomber sur sa chaise.

    Il s’y endormit et fit un rêve.

    Ce rêve, comme la plupart des rêves, ne se rapportait à la situation que par je ne sais quoi de funeste et de poignant, mais il lui fit impression. Ce cauchemar le frappa tellement que plus tard il l’a écrit. C’est un des papiers écrits de sa main qu’il a laissés. Nous croyons devoir transcrire ici cette chose textuellement.

    Quel que soit ce rêve, l’histoire de cette nuit serait incomplète si nous l’omettions. C’est la sombre aventure d’une âme malade.

    Le voici. Sur l’enveloppe nous trouvons cette ligne écrite : Le rêve que j’ai eu cette nuit-là.

    « J’étais dans une campagne. Une grande campagne triste où il n’y avait pas d’herbe. Il ne me semblait pas qu’il fît jour, ni qu’il fît nuit.

    « Je me promenais avec mon frère, le frère de mes années d’enfance, ce frère auquel je dois dire que je ne pense jamais et dont je ne me souviens presque plus.

    « Nous causions, et nous rencontrions des passants. Nous parlions d’une voisine que nous avions eue autrefois, et qui, depuis qu’elle demeurait sur la rue, travaillait la fenêtre toujours ouverte. Tout en causant, nous avions froid à cause de cette fenêtre ouverte.

    « Il n’y avait pas d’arbres dans la campagne.

    « Nous vîmes un homme qui passa près de nous. C’était un homme tout nu, couleur de cendre, monté sur un cheval couleur de terre. L’homme n’avait pas de cheveux ; on voyait son crâne et des veines sur son crâne. Il tenait à la main une baguette qui était souple comme un sarment de vigne et lourde comme du fer. Ce cavalier passa et ne nous dit rien.

    « Mon frère me dit : Prenons par le chemin creux.

    « Il y avait un chemin creux où l’on ne voyait pas une broussaille ni un brin de mousse. Tout était couleur de terre, même le ciel. Au bout de quelques pas, on ne me répondit plus quand je parlais. Je m’aperçus que mon frère n’était plus avec moi.

    « J’entrai dans un village que je vis. Je songeai que ce devait être là Romainville (pourquoi Romainville ?).[1]

    « La première rue où j’entrai était déserte. J’entrai dans une seconde rue. Derrière l’angle que faisaient les deux rues, il y avait un homme debout contre le mur. Je dis à cet homme : Quel est ce pays ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas. Je vis la porte d’une maison ouverte, j’y entrai.

    « La première chambre était déserte. J’entrai dans la seconde. Derrière la porte de cette chambre, il y avait un homme debout contre le mur. Je demandai à cet homme : — À qui est cette maison ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « La maison avait un jardin. Je sortis de la maison et j’entrai dans le jardin. Le jardin était désert. Derrière le premier arbre, je trouvai un homme qui se tenait debout. Je dis à cet homme : Quel est ce jardin ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « J’errai dans le village, et je m’aperçus que c’était une ville. Toutes les rues étaient désertes, toutes les portes étaient ouvertes. Aucun être vivant ne passait dans les rues, ne marchait dans les chambres ou ne se promenait dans les jardins. Mais il y avait derrière chaque angle de mur, derrière chaque porte, derrière chaque arbre, un homme debout qui se taisait. On n’en voyait jamais qu’un à la fois. Ces hommes me regardaient passer.

    « Je sortis de la ville et je me mis à marcher dans les champs.

    « Au bout de quelque temps, je me retournai, et je vis une grande foule qui venait derrière moi. Je reconnus tous les hommes que j’avais vus dans la ville. Ils avaient des têtes étranges. Ils ne semblaient pas se hâter, et cependant ils marchaient plus vite que moi. Ils ne faisaient aucun bruit en marchant. En un instant, cette foule me rejoignit et m’entoura. Les visages de ces hommes étaient couleur de terre.

    « Alors le premier que j’avais vu et questionné en entrant dans la ville me dit : — Où allez-vous ? Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes mort depuis longtemps ?

    « J’ouvris la bouche pour répondre, et je m’aperçus qu’il n’y avait personne autour de moi. »

    Il se réveilla. Il était glacé. Un vent qui était froid comme le vent du matin faisait tourner dans leurs gonds les châssis de la croisée restée ouverte. Le feu s’était éteint. La bougie touchait à sa fin. Il était encore nuit noire.

    Il se leva, il alla à la fenêtre. Il n’y avait toujours pas d’étoiles au ciel.

    De sa fenêtre on voyait la cour de la maison et la rue. Un bruit sec et dur qui résonna tout à coup sur le sol lui fit baisser les yeux.

    Il vit au-dessous de lui deux étoiles rouges dont les rayons s’allongeaient et se raccourcissaient bizarrement dans l’ombre.

    Comme sa pensée était encore à demi submergée dans la brume des rêves, — Tiens ! songea-t-il, il n’y en a pas dans le ciel. Elles sont sur la terre maintenant.

    Cependant ce trouble se dissipa, un second bruit pareil au premier acheva de le réveiller, il regarda, et il reconnut que ces deux étoiles étaient les lanternes d’une voiture. À la clarté qu’elles jetaient, il put distinguer la forme de cette voiture. C’était un tilbury attelé d’un petit cheval blanc. Le bruit qu’il avait entendu, c’étaient les coups de pied du cheval sur le pavé.

    Qu’est-ce que c’est que cette voiture ? se dit-il. Qui est-ce qui vient donc si matin ?

    En ce moment on frappa un petit coup à la porte de sa chambre.

    Il frissonna de la tête aux pieds, et cria d’une voix terrible :

    Qui est là ?

    Quelqu’un répondit :

    Moi, monsieur le maire.

    Il reconnut la voix de la vieille femme, sa portière.

    Eh bien, reprit-il, qu’est-ce que c’est ?

    Monsieur le maire, il est tout à l’heure cinq heures du matin.

    Qu’est-ce que cela me fait ?

    Monsieur le maire, c’est le cabriolet.

    Quel cabriolet ?

    Le tilbury.

    Quel tilbury ?

    Est-ce que monsieur le maire n’a pas fait demander un tilbury ?

    Non, dit-il.

    Le cocher dit qu’il vient chercher monsieur le maire.

    Quel cocher ?

    Le cocher de M. Scaufflaire.

    M. Scaufflaire ?

    Ce nom le fit tressaillir comme si un éclair lui eût passé devant la face.

    Ah ! oui ! reprit-il, M. Scaufflaire.

    Si la vieille femme l’eût pu voir en ce moment, elle eût été épouvantée.

    Il se fit un assez long silence. Il examinait d’un air stupide la flamme de la bougie et prenait autour de la mèche de la cire brûlante qu’il roulait dans ses doigts. La vieille attendait. Elle se hasarda pourtant à élever encore la voix :

    Monsieur le maire, que faut-il que je réponde ?

    Dites que c’est bien, et que je descends.


     

    V

    BÂTONS DANS LES ROUES


     

    Le service des postes d’Arras à Montreuil-sur-mer se faisait encore à cette époque par de petites malles du temps de l’empire. Ces malles étaient des cabriolets à deux roues, tapissés de cuir fauve au dedans, suspendus sur des ressorts à pompe, et n’ayant que deux places, l’une pour le courrier, l’autre pour le voyageur. Les roues étaient armées de ces longs moyeux offensifs qui tiennent les autres voitures à distance et qu’on voit encore sur les routes d’Allemagne. Le coffre aux dépêches, immense boîte oblongue, était placé derrière le cabriolet et faisait corps avec lui. Ce coffre était peint en noir et le cabriolet en jaune.

    Ces voitures, auxquelles rien ne ressemble aujourd’hui, avaient je ne sais quoi de difforme et de bossu, et, quand on les voyait passer de loin et ramper dans quelque route à l’horizon, elles ressemblaient à ces insectes qu’on appelle, je crois, termites, et qui, avec un petit corsage, traînent un gros arrière-train. Elles allaient, du reste, fort vite. La malle partie d’Arras toutes les nuits à une heure, après le passage du courrier de Paris, arrivait à Montreuil-sur-mer un peu avant cinq heures du matin.

    Cette nuit-là, la malle qui descendait à Montreuil-sur-mer par la route de Hesdin accrocha, au tournant d’une rue, au moment où elle entrait dans la ville, un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, qui venait en sens inverse et dans lequel il n’y avait qu’une personne, un homme enveloppé d’un manteau. La roue du tilbury reçut un choc assez rude. Le courrier cria à cet homme d’arrêter, mais le voyageur n’écouta pas, et continua sa route au grand trot.

    Voilà un homme diablement pressé ! dit le courrier.

    L’homme qui se hâtait ainsi, c’est celui que nous venons de voir se débattre dans des convulsions dignes à coup sûr de pitié.

    Où allait-il ? Il n’eût pu le dire. Pourquoi se hâtait-il ? Il ne savait. Il allait au hasard devant lui. Où ? À Arras sans doute ; mais il allait peut-être ailleurs aussi. Par moments il le sentait, et il tressaillait. Il s’enfonçait dans cette nuit comme dans un gouffre. Quelque chose le poussait, quelque chose l’attirait. Ce qui se passait en lui, personne ne pourrait le dire, tous le comprendront. Quel homme n’est entré, au moins une fois en sa vie, dans cette obscure caverne de l’inconnu ?

    Du reste il n’avait rien résolu, rien décidé, rien arrêté, rien fait. Aucun des actes de sa conscience n’avait été définitif. Il était plus que jamais comme au premier moment.

    Pourquoi allait-il à Arras ?

    Il se répétait ce qu’il s’était déjà dit en retenant le cabriolet de Scaufflaire, — que, quel que dût être le résultat, il n’y avait aucun inconvénient à voir de ses yeux, à juger les choses par lui-même ; — que cela même était prudent, qu’il fallait savoir ce qui se passerait ; — qu’on ne pouvait rien décider sans avoir observé et scruté ; — que de loin on se faisait des montagnes de tout ; qu’au bout du compte, lorsqu’il aurait vu ce Champmathieu, quelque misérable, sa conscience serait probablement fort soulagée de le laisser aller au bagne à sa place ; — qu’à la vérité il y aurait là Javert, et ce Brevet, ce Chenildieu, ce Cochepaille, anciens forçats qui l’avaient connu ; mais qu’à coup sûr ils ne le reconnaîtraient pas ; — bah ! quelle idée ! — que Javert en était à cent lieues ; — que toutes les conjectures et toutes les suppositions étaient fixées sur ce Champmathieu, et que rien n’est entêté comme les suppositions et les conjectures ; — qu’il n’y avait donc aucun danger.

    Que sans doute c’était un moment noir, mais qu’il en sortirait ; — qu’après tout il tenait sa destinée, si mauvaise qu’elle voulût être, dans sa main ; — qu’il en était le maître. Il se cramponnait à cette pensée.

    Au fond, pour tout dire, il eût mieux aimé ne point aller à Arras.

    Cependant il y allait.

    Tout en songeant, il fouettait le cheval, lequel trottait de ce bon trot réglé et sûr qui fait deux lieues et demie à l’heure.

    À mesure que le cabriolet avançait, il sentait quelque chose en lui qui reculait.

    Au point du jour il était en rase campagne ; la ville de Montreuil-sur-mer était assez loin derrière lui. Il regarda l’horizon blanchir ; il regarda, sans les voir, passer devant ses yeux toutes les froides figures d’une aube d’hiver. Le matin a ses spectres comme le soir. Il ne les voyait pas, mais, à son insu, et par une sorte de pénétration presque physique, ces noires silhouettes d’arbres et de collines ajoutaient à l’état violent de son âme je ne sais quoi de morne et de sinistre.

    Chaque fois qu’il passait devant une de ces maisons isolées qui côtoient parfois les routes, il se disait : il y a pourtant là-dedans des gens qui dorment !

    Le trot du cheval, les grelots du harnais, les roues sur le pavé, faisaient un bruit doux et monotone. Ces choses-là sont charmantes quand on est joyeux et lugubres quand on est triste.

    Il était grand jour lorsqu’il arriva à Hesdin. Il s’arrêta devant une auberge pour laisser souffler le cheval et lui faire donner l’avoine.

    Ce cheval était, comme l’avait dit Scaufflaire, de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre et pas assez d’encolure, mais qui a le poitrail ouvert, la croupe large, la jambe sèche et fine et le pied solide ; race laide, mais robuste et saine. L’excellente bête avait fait cinq lieues en deux heures et n’avait pas une goutte de sueur sur la croupe.

    Il n’était pas descendu du tilbury. Le garçon d’écurie qui apportait l’avoine se baissa tout à coup et examina la roue de gauche.

    Allez-vous loin comme cela ? dit cet homme.

    Il répondit, presque sans sortir de sa rêverie :

    Pourquoi ?

    Venez-vous de loin ? reprit le garçon.

    De cinq lieues d’ici.

    Ah !

    Pourquoi dites-vous : ah ?

    Le garçon se pencha de nouveau, resta un moment silencieux, l’œil fixé sur la roue, puis se redressa en disant :

    C’est que voilà une roue qui vient de faire cinq lieues, c’est possible, mais qui à coup sûr ne fera pas maintenant un quart de lieue.

    Il sauta à bas du tilbury.

    Que dites-vous là, mon ami ?

    Je dis que c’est un miracle que vous ayez fait cinq lieues sans rouler, vous et votre cheval, dans quelque fossé de la grande route. Regardez plutôt.

    La roue en effet était gravement endommagée. Le choc de la malle-poste avait fendu deux rayons et labouré le moyeu dont l’écrou ne tenait plus.

    Mon ami, dit-il au garçon d’écurie, il y a un charron ici ?

    Sans doute, monsieur.

    Rendez-moi le service de l’aller chercher.

    Il est là, à deux pas. Hé ! maître Bourgaillard !

    Maître Bourgaillard, le charron, était sur le seuil de sa porte. Il vint examiner la roue et fit la grimace d’un chirurgien qui considère une jambe cassée.

    Pouvez-vous raccommoder cette roue sur-le-champ ?

    Oui, monsieur.

    Quand pourrai-je repartir ?

    Demain.

    Demain !

    Il y a une grande journée d’ouvrage. Est-ce que monsieur est pressé ?

    Très pressé. Il faut que je reparte dans une heure au plus tard.

    Impossible, monsieur.

    Je payerai tout ce qu’on voudra.

    Impossible.

    Eh bien ! dans deux heures.

    Impossible pour aujourd’hui. Il faut refaire deux rais et un moyeu. Monsieur ne pourra repartir avant demain.

    L’affaire que j’ai ne peut attendre à demain. Si, au lieu de raccommoder cette roue, on la remplaçait ?

    Comment cela ?

    Vous êtes charron ?

    Sans doute, monsieur.

    Est-ce que vous n’auriez pas une roue à me vendre ? Je pourrais repartir tout de suite.

    Une roue de rechange ?

    Oui.

    Je n’ai pas une roue toute faite pour votre cabriolet. Deux roues font la paire. Deux roues ne vont pas ensemble au hasard.

    En ce cas, vendez-moi une paire de roues.

    Monsieur, toutes les roues ne vont pas à tous les essieux.

    Essayez toujours.

    C’est inutile, monsieur. Je n’ai à vendre que des roues de charrette. Nous sommes un petit pays ici.

    Auriez-vous un cabriolet à me louer ?

    Le maître charron, du premier coup d’œil, avait reconnu que le tilbury était une voiture de louage. Il haussa les épaules.

    Vous les arrangez bien, les cabriolets qu’on vous loue ! j’en aurais un que je ne vous le louerais pas.

    Eh bien, à me vendre ?

    Je n’en ai pas.

    Quoi ! pas une carriole ? Je ne suis pas difficile, comme vous voyez.

    Nous sommes un petit pays. J’ai bien là sous la remise, ajouta le charron, une vieille calèche qui est à un bourgeois de la ville qui me l’a donnée en garde et qui s’en sert tous les trente-six du mois. Je vous la louerais bien, qu’est-ce que cela me fait ? mais il ne faudrait pas que le bourgeois la vît passer ; et puis, c’est une calèche, il faudrait deux chevaux.

    Je prendrai deux chevaux de poste.

    Où va monsieur ?

    À Arras.

    Et monsieur veut arriver aujourd’hui ?

    Mais oui.

    En prenant des chevaux de poste ?

    Pourquoi pas ?

    Est-il égal à monsieur d’arriver cette nuit à quatre heures du matin ?

    Non certes.

    C’est que, voyez-vous bien, il y a une chose à dire, en prenant des chevaux de poste… — Monsieur a son passeport ?

    Oui.

    Eh bien, en prenant des chevaux de poste, monsieur n’arrivera pas à Arras avant demain. Nous sommes un chemin de traverse. Les relais sont mal servis, les chevaux sont aux champs. C’est la saison des grandes charrues qui commence, il faut de forts attelages, et l’on prend les chevaux partout, à la poste comme ailleurs. Monsieur attendra au moins trois ou quatre heures à chaque relais. Et puis on va au pas. Il y a beaucoup de côtes à monter.

    Allons, j’irai à cheval. Dételez le cabriolet. On me vendra bien une selle dans le pays.

    Sans doute. Mais ce cheval-ci endure-t-il la selle ?

    C’est vrai, vous m’y faites penser. Il ne l’endure pas.

    Alors…

    Mais je trouverai bien dans le village un cheval à louer ?

    Un cheval pour aller à Arras d’une traite !

    Oui.

    Il faudrait un cheval comme on n’en a pas dans nos endroits. Il faudrait l’acheter d’abord, car on ne vous connaît pas. Mais ni à vendre, ni à louer, ni pour cinq cents francs, ni pour mille, vous ne le trouveriez pas !

    Comment faire ?

    Le mieux, là, en honnête homme, c’est que je raccommode la roue et que vous remettiez votre voyage à demain.

    Demain il sera trop tard.

    Dame !

    N’y a-t-il pas la malle-poste qui va à Arras ? Quand passe-t-elle ?

    La nuit prochaine. Les deux malles font le service la nuit, celle qui monte comme celle qui descend.

    Comment ! il vous faut une journée pour raccommoder cette roue ?

    Une journée, et une bonne !

    En mettant deux ouvriers ?

    En en mettant dix !

    Si on liait les rayons avec des cordes ?

    Les rayons, oui ; le moyeu, non. Et puis la jante aussi est en mauvais état.

    Y a-t-il un loueur de voitures dans la ville ?

    Non.

    Y a-t-il un autre charron ?

    Le garçon d’écurie et le maître charron répondirent en même temps en hochant la tête.

    Non.

    Il sentit une immense joie.

    Il était évident que la providence s’en mêlait. C’était elle qui avait brisé la roue du tilbury et qui l’arrêtait en route. Il ne s’était pas rendu à cette espèce de première sommation ; il venait de faire tous les efforts possibles pour continuer son voyage ; il avait loyalement et scrupuleusement épuisé tous les moyens ; il n’avait reculé ni devant la saison, ni devant la fatigue, ni devant la dépense ; il n’avait rien à se reprocher. S’il n’allait pas plus loin, cela ne le regardait plus. Ce n’était plus sa faute, c’était, non le fait de sa conscience, mais le fait de la providence.

    Il respira. Il respira librement et à pleine poitrine pour la première fois depuis la visite de Javert. Il lui semblait que le poignet de fer qui lui serrait le cœur depuis vingt heures, venait de le lâcher.

    Il lui paraissait que maintenant Dieu était pour lui, et se déclarait.

    Il se dit qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait, et qu’à présent il n’avait qu’à revenir sur ses pas, tranquillement.

    Si sa conversation avec le charron eût eu lieu dans une chambre de l’auberge, elle n’eût point eu de témoins, personne ne l’eût entendue, les choses en fussent restées là, et il est probable que nous n’aurions eu à raconter aucun des événements qu’on va lire ; mais cette conversation s’était faite dans la rue. Tout colloque dans la rue produit inévitablement un cercle. Il y a toujours des gens qui ne demandent qu’à être spectateurs. Pendant qu’il questionnait le charron, quelques allants et venants s’étaient arrêtés autour d’eux. Après avoir écouté pendant quelques minutes, un jeune garçon, auquel personne n’avait pris garde, s’était détaché du groupe en courant.

    Au moment où le voyageur, après la délibération intérieure que nous venons d’indiquer, prenait la résolution de rebrousser chemin, cet enfant revenait. Il était accompagné d’une vieille femme.

    Monsieur, dit la femme, mon garçon me dit que vous avez envie de louer un cabriolet.

    Cette simple parole, prononcée par une vieille femme que conduisait un enfant, lui fit ruisseler la sueur dans les reins. Il crut voir la main qui l’avait lâché reparaître dans l’ombre derrière lui, toute prête à le reprendre.

    Il répondit :

    Oui, bonne femme, je cherche un cabriolet à louer.

    Et il se hâta d’ajouter :

    Mais il n’y en a pas dans le pays.

    Si fait, dit la vieille.

    Où ça donc ? reprit le charron.

    Chez moi, répliqua la vieille.

    Il tressaillit. La main fatale l’avait ressaisi.

    La vieille avait en effet sous un hangar une façon de carriole en osier. Le charron et le garçon d’auberge, désolés que le voyageur leur échappât, intervinrent.

    C’était une affreuse guimbarde, — cela était posé à cru sur l’essieu, — il est vrai que les banquettes étaient suspendues à l’intérieur avec des lanières de cuir, — il pleuvait dedans, — les roues étaient rouillées et rongées d’humidité, — cela n’irait pas beaucoup plus loin que le tilbury, — une vraie patache ! — Ce monsieur aurait bien tort de s’y embarquer, — etc., etc.

    Tout cela était vrai, mais cette guimbarde, cette patache, cette chose, quelle qu’elle fût, roulait sur ses deux roues et pouvait aller à Arras.

    Il paya ce qu’on voulut, laissa le tilbury à réparer chez le charron pour l’y retrouver à son retour, fit atteler le cheval blanc à la carriole, y monta, et reprit la route qu’il suivait depuis le matin.

    Au moment où la carriole s’ébranla, il s’avoua qu’il avait eu l’instant d’auparavant une certaine joie de songer qu’il n’irait point où il allait. Il examina cette joie avec une sorte de colère et la trouva absurde. Pourquoi de la joie à revenir en arrière ? Après tout, il faisait ce voyage librement. Personne ne l’y forçait.

    Et, certainement, rien n’arriverait que ce qu’il voudrait bien.

    Comme il sortait de Hesdin, il entendit une voix qui lui criait : arrêtez ! arrêtez ! Il arrêta la carriole d’un mouvement vif dans lequel il y avait encore je ne sais quoi de fébrile et de convulsif qui ressemblait à de l’espérance.

    C’était le petit garçon de la vieille.

    Monsieur, dit-il, c’est moi qui vous ai procuré la carriole.

    Eh bien ?

    Vous ne m’avez rien donné.

    Lui qui donnait à tous et si facilement, il trouva cette prétention exorbitante et presque odieuse.

    Ah ! c’est toi, drôle ? dit-il, tu n’auras rien !

    Il fouetta le cheval et repartit au grand trot.

    Il avait perdu beaucoup de temps à Hesdin, il eût voulu le rattraper. Le petit cheval était courageux et tirait comme deux ; mais on était au mois de février, il avait plu, les routes étaient mauvaises. Et puis, ce n’était plus le tilbury. La carriole était dure et très lourde. Avec cela force montées.

    Il mit près de quatre heures pour aller de Hesdin à Saint-Pol. Quatre heures pour cinq lieues.

    À Saint-Pol il détela à la première auberge venue, et fit mener le cheval à l’écurie. Comme il l’avait promis à Scaufflaire, il se tint près du râtelier pendant que le cheval mangeait. Il songeait à des choses tristes et confuses.

    La femme de l’aubergiste entre dans l’écurie.

    Est-ce que monsieur ne veut pas déjeuner ?

    Tiens, c’est vrai, dit-il, j’ai même bon appétit.

    Il suivit cette femme qui avait une figure fraîche et réjouie. Elle le conduisit dans une salle basse où il y avait des tables ayant pour nappes des toiles cirées.

    Dépêchez-vous, reprit-il, il faut que je reparte. Je suis pressé.

    Une grosse servante flamande mit son couvert en toute hâte. Il regardait cette fille avec un sentiment de bien-être.

    C’est là ce que j’avais, pensa-t-il. Je n’avais pas déjeuné.

    On le servit. Il se jeta sur le pain, mordit une bouchée, puis le reposa lentement sur la table et n’y toucha plus.

    Un roulier mangeait à une autre table. Il dit à cet homme :

    Pourquoi leur pain est-il donc si amer ?

    Le roulier était allemand et n’entendit pas.

    Il retourna dans l’écurie près du cheval.

    Une heure après, il avait quitté Saint-Pol et se dirigeait vers Tinques qui n’est qu’à cinq lieues d’Arras.

    Que faisait-il pendant ce trajet ? À quoi pensait-il ? Comme le matin, il regardait passer les arbres, les toits de chaume, les champs cultivés, et les évanouissements du paysage qui se disloque à chaque coude du chemin. C’est là une contemplation qui suffit quelquefois à l’âme et qui la dispense presque de penser. Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond ! Voyager, c’est naître et mourir à chaque instant. Peut-être, dans la région la plus vague de son esprit, faisait-il des rapprochements entre ces horizons changeants et l’existence humaine. Toutes les choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent : après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres.

    Le crépuscule tombait au moment où des enfants qui sortaient de l’école regardèrent ce voyageur entrer dans Tinques. Il est vrai qu’on était encore aux jours courts de l’année. Il ne s’arrêta pas à Tinques. Comme il débouchait du village, un cantonnier qui empierrait la route dressa la tête et dit :

    Voilà un cheval bien fatigué.

    La pauvre bête en effet n’allait plus qu’au pas.

    Est-ce que vous allez à Arras ? ajouta le cantonnier.

    Oui.

    Si vous allez de ce train, vous n’y arriverez pas de bonne heure.

    Il arrêta le cheval et demanda au cantonnier :

    Combien y a-t-il encore d’ici à Arras ?

    Près de sept grandes lieues.

    Comment cela ? le livre de poste ne marque que cinq lieues et un quart.

    Ah ! reprit le cantonnier, vous ne savez donc pas que la route est en réparation ? Vous allez la trouver coupée à un quart d’heure d’ici. Pas moyen d’aller plus loin.

    Vraiment ?

    Vous prendrez à gauche, le chemin qui va à Carency, vous passerez la rivière ; et, quand vous serez à Camblin, vous tournerez à droite ; c’est la route de Mont-Saint-Éloy qui va à Arras.

    Mais voilà la nuit, je me perdrai.

    Vous n’êtes pas du pays ?

    Non.

    Avec ça, c’est tout chemins de traverse. Tenez, Monsieur, reprit le cantonnier, voulez-vous que je vous donne un conseil ? Votre cheval est las, rentrez dans Tinques. Il y a une bonne auberge. Couchez-y. Vous irez demain à Arras.

    Il faut que j’y sois ce soir.

    C’est différent. Alors allez tout de même à cette auberge et prenez-y un cheval de renfort. Le garçon du cheval vous guidera dans la traverse.

    Il suivit le conseil du cantonnier, rebroussa chemin, et une demi-heure après il repassait au même endroit, mais au grand trot, avec un bon cheval de renfort. Un garçon d’écurie qui s’intitulait postillon était assis sur le brancard de la carriole.

    Cependant il sentait qu’il perdait du temps.

    Il faisait tout à fait nuit.

    Ils s’engagèrent dans la traverse. La route devint affreuse. La carriole tombait d’une ornière dans l’autre. Il dit au postillon :

    Toujours au trot, et double pourboire.

    Dans un cahot le palonnier cassa.

    Monsieur, dit le postillon, voilà le palonnier cassé, je ne sais plus comment atteler mon cheval, cette route-ci est bien mauvaise la nuit ; si vous vouliez revenir coucher à Tinques, nous pourrions être demain matin de bonne heure à Arras.

    Il répondit : — As-tu un bout de corde et un couteau ?

    Oui, monsieur.

    Il coupa une branche d’arbre et en fit un palonnier.

    Ce fut encore une perte de vingt minutes ; mais ils repartirent au galop.

    La plaine était ténébreuse. Des brouillards bas, courts et noirs rampaient sur les collines et s’en arrachaient comme des fumées. Il y avait des lueurs blanchâtres dans les nuages. Un grand vent qui venait de la mer faisait dans tous les coins de l’horizon le bruit de quelqu’un qui remue des meubles. Tout ce qu’on entrevoyait avait des attitudes de terreur. Que de choses frissonnent sous ces vastes souffles de la nuit !

    Le froid le pénétrait. Il n’avait pas mangé depuis la veille. Il se rappelait vaguement son autre course nocturne dans la grande plaine aux environs de Digne. Il y avait huit ans ; et cela lui semblait hier.

    Une heure sonna à quelque clocher lointain. Il demanda au garçon :

    Quelle est cette heure ?

    Sept heures, monsieur. Nous serons à Arras à huit. Nous n’avons plus que trois lieues.

    En ce moment il fit pour la première fois cette réflexion — en trouvant étrange qu’elle ne lui fût pas venue plus tôt : — que c’était peut-être inutile, toute la peine qu’il prenait ; qu’il ne savait seulement pas l’heure du procès ; qu’il aurait dû au moins s’en informer ; qu’il était extravagant d’aller ainsi devant soi sans savoir si cela servirait à quelque chose. — Puis il ébaucha quelques calculs dans son esprit : — qu’ordinairement les séances des cours d’assises commençaient à neuf heures du matin ; — que cela ne devait pas être long, cette affaire-là ; — que le vol de pommes, ce serait très court ; — qu’il n’y aurait plus ensuite qu’une question d’identité ; — quatre ou cinq dépositions, peu de chose à dire pour les avocats ; — qu’il allait arriver lorsque tout serait fini !

    Le postillon fouettait les chevaux. Ils avaient passé la rivière et laissé derrière eux Mont-Saint-Éloy.

    La nuit devenait de plus en plus profonde.


     

    VI

    LA SŒUR SIMPLICE MISE À L’ÉPREUVE


     

    Cependant, en ce moment-là même, Fantine était dans la joie.

    Elle avait passé une très mauvaise nuit. Toux affreuse, redoublement de fièvre ; elle avait eu des songes. Le matin, à la visite du médecin, elle délirait. Il avait eu l’air alarmé et avait recommandé qu’on le prévînt dès que M. Madeleine viendrait.

    Toute la matinée elle fut morne, parla peu, et fit des plis à ses draps en murmurant à voix basse des calculs qui avaient l’air d’être des calculs de distances. Ses yeux étaient caves et fixes. Ils paraissaient presque éteints, et puis, par moments, ils se rallumaient et resplendissaient comme des étoiles. Il semble qu’aux approches d’une certaine heure sombre, la clarté du ciel emplisse ceux que quitte la clarté de la terre.

    Chaque fois que la sœur Simplice lui demandait comment elle se trouvait, elle répondait invariablement : — Bien. Je voudrais voir monsieur Madeleine.

    Quelques mois auparavant, à ce moment où Fantine venait de perdre sa dernière pudeur, sa dernière honte et sa dernière joie, elle était l’ombre d’elle-même ; maintenant elle en était le spectre. Le mal physique avait complété l’œuvre du mal moral. Cette créature de vingt-cinq ans avait le front ridé, les joues flasques, les narines pincées, les dents déchaussées, le teint plombé, le cou osseux, les clavicules saillantes, les membres chétifs, la peau terreuse, et ses cheveux blonds poussaient mêlés de cheveux gris. Hélas ! comme la maladie improvise la vieillesse !

    À midi, le médecin revint, il fit quelques prescriptions, s’informa si M. le maire avait paru à l’infirmerie, et branla la tête.

    M. Madeleine venait d’habitude à trois heures voir la malade. Comme l’exactitude était de la bonté, il était exact.

    Vers deux heures et demie, Fantine commença à s’agiter. Dans l’espace de vingt minutes, elle demanda plus de dix fois à la religieuse : — Ma sœur, quelle heure est-il ?

    Trois heures sonnèrent. Au troisième coup, Fantine se dressa sur son séant, elle qui d’ordinaire pouvait à peine remuer dans son lit ; elle joignit dans une sorte d’étreinte convulsive ses deux mains décharnées et jaunes, et la religieuse entendit sortir de sa poitrine un de ces soupirs profonds qui semblent soulever un accablement. Puis Fantine se tourna et regarda la porte.

    Personne n’entra ; la porte ne s’ouvrit point.

    Elle resta ainsi un quart d’heure, l’œil attaché sur la porte, immobile et comme retenant son haleine. La sœur n’osait lui parler. L’église sonna trois heures un quart. Fantine se laissa retomber sur l’oreiller.

    Elle ne dit rien et se remit à faire des plis à son drap.

    La demi-heure passa, puis l’heure. Personne ne vint. Chaque fois que l’horloge sonnait, Fantine se dressait et regardait du côté de la porte, puis elle retombait.

    On voyait clairement sa pensée, mais elle ne prononçait aucun nom, elle ne se plaignait pas, elle n’accusait pas. Seulement elle toussait d’une façon lugubre. On eût dit que quelque chose d’obscur s’abaissait sur elle. Elle était livide et avait les lèvres bleues. Elle souriait par moments.

    Cinq heures sonnèrent. Alors la sœur l’entendit qui disait très bas et doucement : — Mais puisque je m’en vais demain, il a tort de ne pas venir aujourd’hui !

    La sœur Simplice elle-même était surprise du retard de M. Madeleine.

    Cependant Fantine regardait le ciel de son lit. Elle avait l’air de chercher à se rappeler quelque chose. Tout à coup elle se mit à chanter d’une voix faible comme un souffle. La religieuse écouta. Voici ce que Fantine chantait :

     


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    La vierge Marie auprès de mon poêle
    Est venue hier en manteau brodé,
    Et m’a dit : — Voici, caché sous mon voile,
    Le petit qu’un jour tu m’as demandé. —
    Courez à la ville, ayez de la toile,
    Achetez du fil, achetez un dé.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.


    Bonne sainte Vierge, auprès de mon poêle
    J’ai mis un berceau de rubans orné.
    Dieu me donnerait sa plus belle étoile,
    J’aime mieux l’enfant que tu m’as donné.
    — Madame, que faire avec cette toile ?
    — Faites un trousseau pour mon nouveau-né.


    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    — Lavez cette toile. — Où ? — Dans la rivière.
    Faites-en, sans rien gâter ni salir,
    Une belle jupe avec sa brassière
    Que je veux broder et de fleurs emplir.
    — L’enfant n’est plus là, madame, qu’en faire ?
    — Faites-en un drap pour m’ensevelir.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.

     

    Cette chanson était une vieille romance de berceuse avec laquelle autrefois elle endormait sa petite Cosette, et qui ne s’était pas offerte à son esprit depuis cinq ans qu’elle n’avait plus son enfant. Elle chantait cela d’une voix si triste et sur un air si doux que c’était à faire pleurer, même une religieuse. La sœur, habituée aux choses austères, sentit une larme lui venir.

    L’horloge sonna six heures. Fantine ne parut pas entendre. Elle semblait ne plus faire attention à aucune chose autour d’elle.

    La sœur Simplice envoya une fille de service s’informer près de la portière de la fabrique si M. le maire était rentré et s’il ne monterait pas bientôt à l’infirmerie. La fille revint au bout de quelques minutes.

    Fantine était toujours immobile et paraissait attentive à des idées qu’elle avait.

    La servante raconta très bas à la sœur Simplice que M. le maire était parti le matin même avant six heures dans un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, par le froid qu’il faisait, qu’il était parti seul, pas même de cocher, qu’on ne savait pas le chemin qu’il avait pris, que des personnes disaient l’avoir vu tourner par la route d’Arras, que d’autres assuraient l’avoir rencontré sur la route de Paris. Qu’en s’en allant il avait été comme à l’ordinaire très doux, et qu’il avait seulement dit à la portière qu’on ne l’attendît pas cette nuit.

    Pendant que les deux femmes, le dos tourné au lit de la Fantine, chuchotaient, la sœur questionnant, la servante conjecturant, la Fantine, avec cette vivacité fébrile de certaines maladies organiques qui mêle les mouvements libres de la santé à l’effrayante maigreur de la mort, s’était mise à genoux sur son lit, ses deux poings crispés appuyés sur le traversin, et, la tête passée par l’intervalle des rideaux, elle écoutait. Tout à coup elle cria :

    Vous parlez là de monsieur Madeleine ! pourquoi parlez-vous tout bas ? Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi ne vient-il pas ?

    Sa voix était si brusque et si rauque que les deux femmes crurent entendre une voix d’homme ; elles se retournèrent effrayées.

    Répondez donc ! cria Fantine.

    La servante balbutia :

    La portière m’a dit qu’il ne pourrait pas venir aujourd’hui.

    Mon enfant, dit la sœur, tenez-vous tranquille, recouchez-vous.

    Fantine, sans changer d’attitude, reprit d’une voix haute et avec un accent tout à la fois impérieux et déchirant :

    Il ne pourra venir... Pourquoi cela ? Vous savez la raison. Vous la chuchotiez là entre vous. Je veux le savoir.

    La servante se hâta de dire à l’oreille de la religieuse :

    Répondez qu’il est occupé au conseil municipal.

    La sœur Simplice rougit légèrement ; c’était un mensonge que la servante lui proposait. D’un autre côté il lui semblait bien que dire la vérité à la malade ce serait sans doute lui porter un coup terrible et que cela était grave dans l’état où était Fantine. Cette rougeur dura peu. La sœur leva sur Fantine son œil calme et triste, et dit :

    Monsieur le maire est parti.

    Fantine se redressa et s’assit sur ses talons. Ses yeux étincelèrent. Une joie inouïe rayonna sur cette physionomie douloureuse.

    Parti ! s’écria-t-elle. Il est allé chercher Cosette !

    Puis elle tendit ses deux mains vers le ciel et tout son visage devint ineffable. Ses lèvres remuaient ; elle priait à voix basse.

    Quand sa prière fut finie : — Ma sœur, dit-elle, je veux bien me recoucher, je vais faire tout ce qu’on voudra ; tout à l’heure j’ai été méchante, je vous demande pardon d’avoir parlé si haut, c’est très mal de parler haut, je le sais bien, ma bonne sœur ; mais voyez-vous, je suis très contente. Le bon Dieu est bon, monsieur Madeleine est bon, figurez-vous qu’il est allé chercher ma petite Cosette à Montfermeil.

    Elle se recoucha, aida la religieuse à arranger l’oreiller et baisa une petite croix d’argent qu’elle avait au cou et que la sœur Simplice lui avait donnée.

    Mon enfant, dit la sœur, tâchez de reposer maintenant, et ne parlez plus.

    Fantine prit dans ses mains moites la main de la sœur, qui souffrait de lui sentir cette sueur.

    Il est parti ce matin pour aller à Paris. Au fait il n’a pas même besoin de passer par Paris. Montfermeil, c’est un peu à gauche en venant. Vous rappelez-vous comme il me disait hier quand je lui parlais de Cosette : bientôt, bientôt ! C’est une surprise qu’il veut me faire. Vous savez ? il m’avait fait signer une lettre pour la reprendre aux Thénardier. Ils n’auront rien à dire, pas vrai ? Ils rendront Cosette. Puisqu’ils sont payés. Les autorités ne souffriraient pas qu’on garde un enfant quand on est payé. Ma sœur, ne me faites pas signe qu’il ne faut pas que je parle. Je suis extrêmement heureuse, je vais très bien, je n’ai plus de mal du tout, je vais revoir Cosette, j’ai même très faim. Il y a près de cinq ans que je ne l’ai vue. Vous ne vous figurez pas, vous, comme cela vous tient, les enfants ! Et puis elle sera si gentille, vous verrez ! Si vous saviez, elle a de si jolis petits doigts roses ! D’abord elle aura de très belles mains. À un an, elle avait des mains ridicules. Ainsi ! — Elle doit être grande à présent. Cela vous a sept ans. C’est une demoiselle. Je l’appelle Cosette, mais elle s’appelle Euphrasie. Tenez, ce matin, je regardais de la poussière qui était sur la cheminée et j’avais bien l’idée comme cela que je reverrais bientôt Cosette. Mon Dieu ! comme on a tort d’être des années sans voir ses enfants ! on devrait bien réfléchir que la vie n’est pas éternelle ! Oh ! comme il est bon d’être parti, monsieur le maire ! C’est vrai ça qu’il fait bien froid ? avait-il son manteau au moins ? Il sera ici demain, n’est-ce pas ? Ce sera demain fête. Demain matin, ma sœur, vous me ferez penser à mettre mon petit bonnet qui a de la dentelle. Montfermeil, c’est un pays. J’ai fait cette route-là, à pied, dans le temps. Il y a eu bien loin pour moi. Mais les diligences vont très vite ! Il sera ici demain avec Cosette. Combien y a-t-il d’ici Montfermeil ?

    La sœur, qui n’avait aucune idée des distances, répondit :

    Oh ! je crois bien qu’il pourra être ici demain.

    Demain ! demain ! dit Fantine, je verrai Cosette demain ! Voyez-vous, bonne sœur du bon Dieu, je ne suis plus malade. Je suis folle. Je danserais, si on voulait.

    Quelqu’un qui l’eût vue un quart d’heure auparavant n’y eût rien compris. Elle était maintenant toute rose, elle parlait d’une voix vive et naturelle, toute sa figure n’était qu’un sourire. Par moments elle riait en se parlant tout bas. Joie de mère, c’est presque joie d’enfant.

    Eh bien, reprit la religieuse, vous voilà heureuse, obéissez-moi, ne parlez plus.

    Fantine posa sa tête sur l’oreiller et dit à demi-voix : — Oui, recouche-toi, sois sage puisque tu vas avoir ton enfant. Elle a raison, sœur Simplice. Tous ceux qui sont ici ont raison.

    Et puis, sans bouger, sans remuer la tête, elle se mit à regarder partout avec ses yeux tout grands ouverts et un air joyeux, et elle ne dit plus rien.

    La sœur referma ses rideaux, espérant qu’elle s’assoupirait.

    Entre sept et huit heures le médecin vint. N’entendant aucun bruit, il crut que Fantine dormait, entra doucement et s’approcha du lit sur la pointe du pied. Il entr’ouvrit les rideaux, et à la lueur de la veilleuse il vit les grands yeux calmes de Fantine qui le regardaient.

    Elle lui dit : — Monsieur, n’est-ce pas, on me laissera la coucher à côté de moi dans un petit lit ?

    Le médecin crut qu’elle délirait. Elle ajouta :

    Regardez plutôt, il y a juste de la place.

    Le médecin prit à part la sœur Simplice qui lui expliqua la chose, que M. Madeleine était absent pour un jour ou deux, et que, dans le doute, on n’avait pas cru devoir détromper la malade qui croyait monsieur le maire parti pour Montfermeil ; qu’il était possible en somme qu’elle eût deviné juste. Le médecin approuva.

    Il se rapprocha du lit de Fantine, qui reprit :

    C’est que, voyez-vous, le matin, quand elle s’éveillera, je lui dirai bonjour à ce pauvre chat, et la nuit, moi qui ne dors pas, je l’entendrai dormir. Sa petite respiration si douce, cela me fera du bien.

    Donnez-moi votre main, dit le médecin.

    Elle tendit son bras, et s’écria en riant :

    Ah ! tiens ! au fait, c’est vrai, vous ne savez pas ! c’est que je suis guérie. Cosette arrive demain.

    Le médecin fut surpris. Elle était mieux. L’oppression était moindre. Le pouls avait repris de la force. Une sorte de vie survenue tout à coup ranimait ce pauvre être épuisé.

    Monsieur le docteur, reprit-elle, la sœur vous a-t-elle dit que monsieur le maire était allé chercher le chiffon ?

    Le médecin recommanda le silence et qu’on évitât toute émotion pénible. Il prescrivit une infusion de quinquina pur, et, pour le cas où la fièvre reprendrait dans la nuit, une potion calmante. En s’en allant, il dit à la sœur : — Cela va mieux. Si le bonheur voulait qu’en effet monsieur le maire arrivât demain avec l’enfant, qui sait ? il y a des crises si étonnantes, on a vu de grandes joies arrêter court des maladies ; je sais bien que celle-ci est une maladie organique, et bien avancée, mais c’est un tel mystère que tout cela ! Nous la sauverions peut-être.


     

    VII

    LE VOYAGEUR ARRIVÉ PREND SES PRÉCAUTIONS POUR REPARTIR


     

    Il était près de huit heures du soir quand la carriole que nous avons laissée en route entra sous la porte cochère de l’hôtel de la Poste à Arras. L’homme que nous avons suivi jusqu’à ce moment en descendit, répondit d’un air distrait aux empressements des gens de l’auberge, renvoya le cheval de renfort, et conduisit lui-même le petit cheval blanc à l’écurie ; puis il poussa la porte d’une salle de billard qui était au rez-de-chaussée, s’y assit, et s’accouda sur une table. Il avait mis quatorze heures à ce trajet qu’il comptait faire en six. Il se rendait la justice que ce n’était pas sa faute ; mais au fond il n’en était pas fâché.

    La maîtresse de l’hôtel entra.

    Monsieur couche-t-il ? monsieur soupe-t-il ?

    Il fit un signe de tête négatif.

    Le garçon d’écurie dit que le cheval de monsieur est bien fatigué !

    Ici il rompit le silence.

    Est-ce que le cheval ne pourra pas repartir demain matin ?

    Oh ! monsieur ! il lui faut au moins deux jours de repos.

    Il demanda :

    N’est-ce pas ici le bureau de poste ?

    Oui, monsieur.

    L’hôtesse le mena à ce bureau ; il montra son passeport et s’informa s’il y avait moyen de revenir cette nuit même à Montreuil-sur-mer par la malle ; la place à côté du courrier était justement vacante ; il la retint et la paya. — Monsieur, dit le buraliste, ne manquez pas d’être ici pour partir à une heure précise du matin.

    Cela fait, il sortit de l’hôtel et se mit à marcher dans la ville.

    Il ne connaissait pas Arras, les rues étaient obscures, et il allait au hasard. Cependant il semblait s’obstiner à ne pas demander son chemin aux passants. Il traversa la petite rivière Crinchon et se trouva dans un dédale de ruelles étroites où il se perdit. Un bourgeois cheminait avec un falot. Après quelque hésitation, il prit le parti de s’adresser à ce bourgeois, non sans avoir d’abord regardé devant et derrière lui, comme s’il craignait que quelqu’un n’entendît la question qu’il allait faire.

    Monsieur, dit-il, le palais de justice, s’il vous plaît ?

    Vous n’êtes pas de la ville, monsieur ? répondit le bourgeois qui était un assez vieux homme, eh bien, suivez-moi. Je vais précisément du côté du palais de justice, c’est-à-dire du côté de l’hôtel de la préfecture. Car on répare en ce moment le palais, et provisoirement les tribunaux ont leurs audiences à la préfecture.

    Est-ce là, demanda-t-il, qu’on tient les assises ?

    Sans doute, monsieur. Voyez-vous, ce qui est la préfecture aujourd’hui était l’évêché avant la révolution. Monsieur de Conzié, qui était évêque en quatre-vingt-deux, y a fait bâtir une grande salle. C’est dans cette grande salle qu’on juge.

    Chemin faisant, le bourgeois lui dit :

    Si c’est un procès que monsieur veut voir, il est un peu tard. Ordinairement les séances finissent à six heures.

    Cependant, comme ils arrivaient sur la grande place, le bourgeois lui montra quatre longues fenêtres éclairées sur la façade d’un vaste bâtiment ténébreux.

    Ma foi, monsieur, vous arrivez à temps, vous avez du bonheur. Voyez-vous ces quatre fenêtres ? c’est la cour d’assises. Il y a de la lumière. Donc ce n’est pas fini. L’affaire aura traîné en longueur et on fait une audience du soir. Vous vous intéressez à cette affaire ? Est-ce que c’est un procès criminel ? Est-ce que vous êtes témoin ?

    Il répondit :

    Je ne viens pour aucune affaire, j’ai seulement à parler à un avocat.

    C’est différent, dit le bourgeois. Tenez, monsieur, voici la porte. Où est le factionnaire. Vous n’aurez qu’à monter le grand escalier.

    Il se conforma aux indications du bourgeois, et, quelques minutes après, il était dans une salle où il y avait beaucoup de monde et où des groupes mêlés d’avocats en robe chuchotaient çà et là.

    C’est toujours une chose qui serre le cœur de voir ces attroupements d’hommes vêtus de noir qui murmurent entre eux à voix basse sur le seuil des chambres de justice. Il est rare que la charité et la pitié sortent de toutes ces paroles. Ce qui en sort le plus souvent, ce sont des condamnations faites d’avance. Tous ces groupes semblent à l’observateur qui passe et qui rêve autant de ruches sombres où des esprits bourdonnants construisent en commun toutes sortes d’édifices ténébreux.

    Cette salle, spacieuse et éclairée d’une seule lampe, était une ancienne salle de l’évêché et servait de salle des pas perdus. Une porte à deux battants, fermée en ce moment, la séparait de la grande chambre où siégeait la cour d’assises.

    L’obscurité était telle qu’il ne craignit pas de s’adresser au premier avocat qu’il rencontra.

    Monsieur, dit-il, où en est-on ?

    C’est fini, dit l’avocat.

    Fini !

    Ce mot fut répété d’un tel accent que l’avocat se retourna.

    Pardon, monsieur, vous êtes peut-être un parent ?

    Non, Je ne connais personne ici. Et y a-t-il eu condamnation ?

    Sans doute. Cela n’était guère possible autrement.

    Aux travaux forcés ?...

    À perpétuité.

    Il reprit d’une voix tellement faible qu’on l’entendait à peine :

    L’identité a donc été constatée ?

    Quelle identité ? répondit l’avocat. Il n’y avait pas d’identité à constater. L’affaire était simple. Cette femme avait tué son enfant, l’infanticide a été prouvé, le jury a écarté la préméditation, on l’a condamnée à vie.

    C’est donc une femme ? dit-il.

    Mais sûrement. La fille Limosin. De quoi me parlez-vous donc ?

    De rien. Mais puisque c’est fini, comment se fait-il que la salle soit encore éclairée ?

    C’est pour l’autre affaire qu’on a commencée il y a à peu près deux heures.

    Quelle autre affaire ?

    Oh ! celle-là est claire aussi. C’est une espèce de gueux, un récidiviste, un galérien, qui a volé. Je ne sais plus trop son nom. En voilà un qui vous a une mine de bandit. Rien que pour avoir cette figure-là, je l’enverrais aux galères.

    Monsieur, demanda-t-il, y a-t-il moyen de pénétrer dans la salle ?

    Je ne crois vraiment pas. Il y a beaucoup de foule. Cependant l’audience est suspendue. Il y a des gens qui sont sortis, et, à la reprise de l’audience, vous pourrez essayer.

    Par où entre-t-on ?

    Par cette grande porte.

    L’avocat le quitta. En quelques instants, il avait éprouvé, presque en même temps, presque mêlées, toutes les émotions possibles. Les paroles de cet indifférent lui avaient tour à tour traversé le cœur comme des aiguilles de glace et comme des lames de feu. Quand il vit que rien n’était terminé, il respira ; mais il n’eût pu dire si ce qu’il ressentait était du contentement ou de la douleur.

    Il s’approcha de plusieurs groupes et il écouta ce qu’on disait. Le rôle de la session étant très chargé, le président avait indiqué pour ce même jour deux affaires simples et courtes. On avait commencé par l’infanticide, et maintenant on en était au forçat, au récidiviste, au « cheval de retour ». Cet homme avait volé des pommes, mais cela ne paraissait pas bien prouvé ; ce qui était prouvé, c’est qu’il avait été déjà aux galères à Toulon. C’est ce qui faisait son affaire mauvaise. Du reste, l’interrogatoire de l’homme était terminé et les dépositions des témoins ; mais il y avait encore les plaidoiries de l’avocat et le réquisitoire du ministère public ; cela ne devait guère finir avant minuit. L’homme serait probablement condamné ; l’avocat général était très bon, — et ne manquait pas ses accusés ; — c’était un garçon d’esprit qui faisait des vers.

    Un huissier se tenait debout près de la porte qui communiquait avec la salle des assises. Il demanda à cet huissier :

    Monsieur, la porte va-t-elle bientôt s’ouvrir ?

    Elle ne s’ouvrira pas, dit l’huissier.

    Comment ! on ne l’ouvrira pas à la reprise de l’audience ? est-ce que l’audience n’est pas suspendue ?

    L’audience vient d’être reprise, répondit l’huissier, mais la porte ne se rouvrira pas.

    Pourquoi ?

    Parce que la salle est pleine.

    Quoi ! il n’y a plus une place ?

    Plus une seule. La porte est fermée. Personne ne peut plus entrer.

    L’huissier ajouta après un silence : — Il y a bien encore deux ou trois places derrière monsieur le président, mais monsieur le président n’y admet que les fonctionnaires publics.

    Cela dit, l’huissier lui tourna le dos.

    Il se retira la tête baissée, traversa l’antichambre et redescendit l’escalier lentement, comme hésitant à chaque marche. Il est probable qu’il tenait conseil avec lui-même. Le violent combat qui se livrait en lui depuis la veille n’était pas fini ; et, à chaque instant, il en traversait quelque nouvelle péripétie. Arrivé sur le palier de l’escalier, il s’adossa à la rampe et croisa les bras. Tout à coup il ouvrit sa redingote, prit son portefeuille, en tira un crayon, déchira une feuille, et écrivit rapidement sur cette feuille à la lueur du réverbère cette ligne : — M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer. Puis il remonta l’escalier à grands pas, fendit la foule, marcha droit à l’huissier, lui remit le papier, et lui dit avec autorité : — Portez ceci à monsieur le président.

    L’huissier prit le papier, y jeta un coup d’œil et obéit.


     

    VIII

    ENTRÉE DE FAVEUR


     

    Sans qu’il s’en doutât, le maire de Montreuil-sur-Mer avait une sorte de célébrité. Depuis sept ans que sa réputation de vertu remplissait tout le bas Boulonnais, elle avait fini par franchir les limites d’un petit pays et s’était répandue dans les deux ou trois départements voisins. Outre le service considérable qu’il avait rendu au chef-lieu en y restaurant l’industrie des verroteries noires, il n’était pas une des cent quarante et une communes de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer qui ne lui dût quelque bienfait. Il avait su même au besoin aider et féconder les industries des autres arrondissements. C’est ainsi qu’il avait dans l’occasion soutenu de son crédit et de ses fonds la fabrique de tulle de Boulogne, la filature de lin à la mécanique de Frévent et la manufacture hydraulique de toiles de Boubers-sur-Canche. Partout on prononçait avec vénération le nom de M. Madeleine. Arras et Douai enviaient son maire à l’heureuse petite ville de Montreuil-sur-Mer.

    Le conseiller à la cour royale de Douai, qui présidait cette session des assises à Arras, connaissait comme tout le monde ce nom si profondément et si universellement honoré. Quand l’huissier, ouvrant discrètement la porte qui communiquait de la chambre du conseil à l’audience, se pencha derrière le fauteuil du président et lui remit le papier où était écrite la ligne qu’on vient de lire, en ajoutant : Ce monsieur désire assister à l’audience, le président fit un vif mouvement de déférence, saisit une plume, écrivit quelques mots au bas du papier, et le rendit à l’huissier en lui disant :

    Faites entrer.

    L’homme malheureux dont nous racontons l’histoire était resté près de la porte de la salle à la même place et dans la même attitude où l’huissier l’avait quitté. Il entendit, à travers sa rêverie, quelqu’un qui lui disait : Monsieur veut-il bien me faire l’honneur de me suivre ? C’était ce même huissier qui lui avait tourné le dos l’instant d’auparavant et qui maintenant le saluait jusqu’à terre. L’huissier en même temps lui remit le papier. Il le déplia, et, comme il se rencontrait qu’il était près de la lampe, il put lire :

    « Le président de la cour d’assises présente son respect à M. Madeleine. »

    Il froissa le papier entre ses mains, comme si ces quelques mots eussent eu pour lui un arrière-goût étrange et amer.

    Il suivit l’huissier.

    Quelques minutes après, il se trouvait seul dans une espèce de cabinet lambrissé, d’un aspect sévère, éclairé par deux bougies posées sur un tapis vert. Il avait encore dans l’oreille les dernières paroles de l’huissier qui venait de le quitter : « Monsieur, vous voici dans la chambre du conseil ; vous n’avez qu’à tourner le bouton de cuivre de cette porte, et vous vous trouverez dans l’audience derrière le fauteuil de monsieur le président. » — Ces paroles se mêlaient dans sa pensée à un souvenir vague de corridors étroits et d’escaliers noirs qu’il venait de parcourir.

    L’huissier l’avait laissé seul. Le moment suprême était arrivé. Il cherchait à se recueillir sans pouvoir y parvenir. C’est surtout aux heures où l’on aurait le plus besoin de les rattacher aux réalités poignantes de la vie que tous les fils de la pensée se rompent dans le cerveau. Il était dans l’endroit même où les juges délibèrent et condamnent. Il regardait avec une tranquillité stupide cette chambre paisible et redoutable où tant d’existences avaient été brisées, où son nom allait retentir tout à l’heure, et que sa destinée traversait en ce moment. Il regardait la muraille, puis il se regardait lui-même, s’étonnant que ce fût cette chambre et que ce fût lui.

    Il n’avait pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, il était brisé par les cahots de la carriole, mais il ne le sentait pas ; il lui semblait qu’il ne sentait rien.

    Il s’approcha d’un cadre noir qui était accroché au mur et qui contenait sous verre une vieille lettre autographe de Jean-Nicolas Pache, maire de Paris et ministre, datée sans doute par erreur du 9 juin an II, et dans laquelle Pache envoyait à la commune la liste des ministres et des députés tenus en arrestation chez eux. Un témoin qui l’eût pu voir et qui l’eût observé en cet instant eût sans doute imaginé que cette lettre lui paraissait bien curieuse, car il n’en détachait pas ses yeux, et il la lut deux ou trois fois. Il la lisait sans y faire attention et à son insu. Il pensait à Fantine et à Cosette.

    Tout en rêvant, il se retourna, et ses yeux rencontrèrent le bouton de cuivre de la porte qui le séparait de la salle des assises. Il avait presque oublié cette porte. Son regard, d’abord calme, s’y arrêta, resta attaché à ce bouton de cuivre, puis devint effaré et fixe, et s’empreignit peu à peu d’épouvante. Des gouttes de sueur lui sortaient d’entre les cheveux et ruisselaient sur ses tempes.

    À un certain moment, il fit avec une sorte d’autorité mêlée de rébellion ce geste indescriptible qui veut dire et qui dit si bien : Pardieu ! qui est-ce qui m’y force ? Puis il se tourna vivement, vit devant lui la porte par laquelle il était entré, y alla, l’ouvrit, et sortit. Il n’était plus dans cette chambre, il était dehors, dans un corridor, un corridor long, étroit, coupé de degrés et de guichets, faisant toutes sortes d’angles, éclairé çà et là de réverbères pareils à des veilleuses de malades, le corridor par où il était venu. Il respira, il écouta, aucun bruit derrière lui, aucun bruit devant lui ; il se mit à fuir comme si on le poursuivait.

    Quand il eut doublé plusieurs des coudes de ce couloir, il écouta encore. C’était toujours le même silence et la même ombre autour de lui. Il était essoufflé, il chancelait, il s’appuya au mur. La pierre était froide, sa sueur était glacée sur son front, il se redressa en frissonnant.

    Alors, là, seul, debout dans cette obscurité, tremblant de froid et d’autre chose peut-être, il songea. Il avait songé toute la nuit, il avait songé toute la journée ; il n’entendait plus en lui qu’une voix qui disait : hélas !

    Un quart d’heure s’écoula ainsi. Enfin, il pencha la tête, soupira avec angoisse, laissa pendre ses bras, et revint sur ses pas. Il marchait lentement et comme accablé. Il semblait que quelqu’un l’eût atteint dans sa fuite et le ramenât.

    Il rentra dans la chambre du conseil. La première chose qu’il aperçut, ce fut la gâchette de la porte. Cette gâchette, ronde et en cuivre poli, resplendissait pour lui comme une effroyable étoile. Il la regardait comme une brebis regarderait l’œil d’un tigre.

    Ses yeux ne pouvaient s’en détacher.

    De temps en temps il faisait un pas et se rapprochait de la porte.

    S’il eût écouté, il eût entendu, comme une sorte de murmure confus, le bruit de la salle voisine ; mais il n’écoutait pas, il n’entendait pas.

    Tout à coup, sans qu’il sût lui-même comment, il se trouva près de la porte. Il saisit convulsivement le bouton ; la porte s’ouvrit.

    Il était dans la salle d’audience.


     

    IX

    UN LIEU OÙ DES CONVICTIONS SONT EN TRAIN DE SE FORMER


     

    Il fit un pas, referma machinalement la porte derrière lui, et resta debout, considérant ce qu’il voyait.

    C’était une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de rumeur, tantôt pleine de silence, où tout l’appareil d’un procès criminel se développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule.

    À un bout de la salle, celui où il se trouvait, des juges à l’air distrait, en robe usée, se rongeant les ongles ou fermant les paupières ; à l’autre bout, une foule en haillons ; des avocats dans toutes sortes d’attitudes ; des soldats au visage honnête et dur ; de vieilles boiseries tachées, un plafond sale, des tables couvertes d’une serge plutôt jaune que verte, des portes noircies par les mains ; à des clous plantés dans le lambris, des quinquets d’estaminet donnant plus de fumée que de clarté ; sur les tables, des chandelles dans des chandeliers de cuivre ; l’obscurité, la laideur, la tristesse ; et de tout cela se dégageait une impression austère et auguste, car on y sentait cette grande chose humaine qu’on appelle la loi et cette grande chose divine qu’on appelle la justice.

    Personne dans cette foule ne fit attention à lui. Tous les regards convergeaient vers un point unique, un banc de bois adossé à une petite porte, le long de la muraille, à gauche du président. Sur ce banc, que plusieurs chandelles éclairaient, il y avait un homme entre deux gendarmes.

    Cet homme, c’était l’homme.

    Il ne le chercha pas, il le vit. Ses yeux allèrent là naturellement, comme s’ils avaient su d’avance où était cette figure.

    Il crut se voir lui-même, vieilli ; non pas sans doute absolument semblable de visage, mais tout pareil d’attitude et d’aspect ; avec ces cheveux hérissés, avec cette prunelle fauve et inquiète, avec cette blouse, tel qu’il était le jour où il entrait à Digne, plein de haine et cachant dans son âme ce hideux trésor de pensées affreuses qu’il avait mis dix-neuf ans à ramasser sur le pavé du bagne.

    Il se dit avec un frémissement : — Mon Dieu ! est-ce que je redeviendrai ainsi ?

    Cet être paraissait au moins soixante ans. Il avait je ne sais quoi de rude, de stupide et d’effarouché.

    Au bruit de la porte, on s’était rangé pour lui faire place, le président avait tourné la tête, et comprenant que le personnage qui venait d’entrer était M. le maire de Montreuil-sur-Mer, il l’avait salué. L’avocat général, qui avait vu M. Madeleine à Montreuil-sur-Mer où des opérations de son ministère l’avaient plus d’une fois appelé, le reconnut, et salua également. Lui s’en aperçut à peine. Il était en proie à une sorte d’hallucination ; il regardait.

    Des juges, un greffier, des gendarmes, une foule de têtes cruellement curieuses, il avait déjà vu cela une fois, autrefois, il y avait vingt-sept ans. Ces choses funestes, il les retrouvait ; elles étaient là, elles remuaient, elles existaient. Ce n’était plus un effort de sa mémoire, un mirage de sa pensée, c’étaient de vrais gendarmes et de vrais juges, une vraie foule et de vrais hommes en chair et en os. C’en était fait, il voyait reparaître et revivre autour de lui, avec tout ce que la réalité a de formidable, les aspects monstrueux de son passé.

    Tout cela était béant devant lui.

    Il en eut horreur, il ferma les yeux, et s’écria au plus profond de son âme : jamais !

    Et par un jeu tragique de la destinée qui faisait trembler toutes ses idées et le rendait presque fou, c’était un autre lui-même qui était là ! Cet homme qu’on jugeait, tous l’appelaient Jean Valjean !

    Il avait sous les yeux, vision inouïe, une sorte de représentation du moment le plus horrible de sa vie, jouée par son fantôme.

    Tout y était, c’était le même appareil, la même heure de nuit, presque les mêmes faces de juges, de soldats et de spectateurs. Seulement, au-dessus de la tête du président, il y avait un crucifix, chose qui manquait aux tribunaux du temps de sa condamnation. Quand on l’avait jugé, Dieu était absent.

    Une chaise était derrière lui ; il s’y laissa tomber, terrifié de l’idée qu’on pouvait le voir. Quand il fut assis, il profita d’une pile de cartons qui était sur le bureau des juges pour dérober son visage à toute la salle. Il pouvait maintenant voir sans être vu. Peu à peu il se remit. Il rentra pleinement dans le sentiment du réel ; il arriva à cette phase de calme où l’on peut écouter.

    M. Bamatabois était au nombre des jurés.

    Il chercha Javert, mais il ne le vit pas. Le banc des témoins lui était caché par la table du greffier. Et puis, nous venons de le dire, la salle était à peine éclairée.

    Au moment où il était entré, l’avocat de l’accusé achevait sa plaidoirie. L’attention de tous était excitée au plus haut point ; l’affaire durait depuis trois heures. Depuis trois heures, cette foule regardait plier peu à peu sous le poids d’une vraisemblance terrible un homme, un inconnu, une espèce d’être misérable, profondément stupide ou profondément habile. Cet homme, on le sait déjà, était un vagabond qui avait été trouvé dans un champ, emportant une branche chargée de pommes mûres, cassée à un pommier dans un clos voisin, appelé le clos Pierron. Qui était cet homme ? Une enquête avait eu lieu, des témoins venaient d’être entendus, ils avaient été unanimes, des lumières avaient jailli de tout le débat. L’accusation disait : — Nous ne tenons pas seulement un voleur de fruits, un maraudeur ; nous tenons là, dans notre main, un bandit, un relaps en rupture de ban, un ancien forçat, un scélérat des plus dangereux, un malfaiteur appelé Jean Valjean que la justice recherche depuis longtemps, et qui, il y a huit ans, en sortant du bagne de Toulon, a commis un vol de grand chemin à main armée sur la personne d’un enfant savoyard appelé Petit-Gervais, crime prévu par l’article 383 du code pénal, pour lequel nous nous réservons de le poursuivre ultérieurement, quand l’identité sera judiciairement acquise. Il vient de commettre un nouveau vol. C’est un cas de récidive. Condamnez-le pour le fait nouveau ; il sera jugé plus tard pour le fait ancien. — Devant cette accusation, devant l’unanimité des témoins, l’accusé paraissait surtout étonné. Il faisait des gestes et des signes qui voulaient dire non, ou bien il considérait le plafond. Il parlait avec peine, répondait avec embarras, mais, de la tête aux pieds, toute sa personne niait. Il était comme un idiot en présence de toutes ces intelligences rangées en bataille autour de lui, et comme un étranger au milieu de cette société qui le saisissait. Cependant il y allait pour lui de l’avenir le plus menaçant, la vraisemblance croissait à chaque minute, et toute cette foule regardait avec plus d’anxiété que lui-même cette sentence pleine de calamités qui penchait sur lui de plus en plus. Une éventualité laissait même entrevoir, outre le bagne, la peine de mort possible, si l’identité était reconnue et si l’affaire Petit-Gervais se terminait plus tard par une condamnation. Qu’était-ce que cet homme ? De quelle nature était son apathie ? Était-ce imbécillité ou ruse ? Comprenait-il trop, ou ne comprenait-il pas du tout ? Questions qui divisaient la foule et semblaient partager le jury. Il y avait dans ce procès ce qui effraye et ce qui intrigue ; le drame n’était pas seulement sombre, il était obscur.

    Le défenseur avait assez bien plaidé, dans cette langue de province qui a longtemps constitué l’éloquence du barreau et dont usaient jadis tous les avocats, aussi bien à Paris qu’à Romorantin ou à Montbrison, et qui aujourd’hui, étant devenue classique, n’est plus guère parlée que par les orateurs officiels du parquet, auxquels elle convient par sa sonorité grave et son allure majestueuse ; langue où un mari s’appelle un époux, une femme, une épouse, Paris, le centre des arts et de la civilisation, le roi, le monarque, monseigneur l’évêque, un saint pontife, l’avocat général, l’éloquent interprète de la vindicte, la plaidoirie, les accents qu’on vient d’entendre, le siècle de Louis xiv, le grand siècle, un théâtre, le temple de Melpomène, la famille régnante, l’auguste sang de nos rois, un concert, une solennité musicale, monsieur le général commandant le département, l’illustre guerrier qui, etc., les élèves du séminaire, ces tendres lévites, les erreurs imputées aux journaux, l’imposture qui distille son venin dans les colonnes de ces organes, etc., etc. — L’avocat donc avait commencé par s’expliquer sur le vol de pommes, — chose malaisée en beau style ; mais Bénigne Bossuet lui-même a été obligé de faire allusion à une poule en pleine oraison funèbre, et il s’en est tiré avec pompe. L’avocat avait établi que le vol de pommes n’était pas matériellement prouvé. — Son client, qu’en sa qualité de défenseur, il persistait à appeler Champmathieu, n’avait été vu de personne escaladant le mur ou cassant la branche. — On l’avait arrêté nanti de cette branche (que l’avocat appelait plus volontiers rameau) ; — mais il disait l’avoir trouvée à terre et ramassée. Où était la preuve du contraire ? — Sans doute cette branche avait été cassée et dérobée après escalade, puis jetée là par le maraudeur alarmé ; sans doute il y avait un voleur ; — qu’est-ce qui prouvait que ce voleur était Champmathieu ? Une seule chose. Sa qualité d’ancien forçat. L’avocat ne niait pas que cette qualité ne parût malheureusement bien constatée ; l’accusé avait résidé à Faverolles ; l’accusé y avait été émondeur; le nom de Champmathieu pouvait bien avoir pour origine Jean Mathieu ; tout cela était vrai ; enfin quatre témoins reconnaissaient sans hésiter et positivement Champmathieu pour être le galérien Jean Valjean ; à ces indications, à ces témoignages, l’avocat ne pouvait opposer que la dénégation de son client, dénégation très intéressée ; mais en supposant qu’il fût le forçat Jean Valjean, cela prouvait-il qu’il fût le voleur des pommes ? C’était une présomption tout au plus ; non une preuve. L’accusé, cela était vrai, et le défenseur « dans sa bonne foi » devait en convenir, avait adopté « un mauvais système de défense ». Il s’obstinait à nier tout, le vol et sa qualité de forçat. Un aveu de ce dernier point eût mieux valu, à coup sûr, et lui eût concilié l’indulgence de ses juges ; l’avocat le lui avait conseillé ; mais l’accusé s’y était refusé obstinément, croyant sans doute sauver tout en n’avouant rien. C’était un tort ; mais ne fallait-il pas considérer la brièveté de cette intelligence ? Cet homme était visiblement stupide. Un long malheur au bagne, une longue misère hors du bagne, l’avaient abruti, etc., etc. Il se défendait mal, était-ce une raison pour le condamner ? Quant à l’affaire Petit-Gervais, l’avocat n’avait pas à la discuter, elle n’était point dans la cause. L’avocat concluait en suppliant le jury et la cour, si l’identité de Jean Valjean leur paraissait évidente, de lui appliquer les peines de police qui s’adressent au condamné en rupture de ban, et non le châtiment épouvantable qui frappe le forçat récidiviste.

    L’avocat général répliqua au défenseur. Il fut violent et fleuri, comme sont habituellement les avocats généraux.

    Il félicita le défenseur de sa « loyauté », et profita habilement de cette loyauté. Il atteignit l’accusé par toutes les concessions que l’avocat avait faites, L’avocat semblait accorder que l’accusé était Jean Valjean. Il en prit acte. Cet homme était donc Jean Valjean. Ceci était acquis à l’accusation et ne pouvait plus se contester. Ici, par une habile antonomase, remontant aux sources et aux causes de la criminalité, l’avocat général tonna contre l’immoralité de l’école romantique, alors à son aurore sous le nom d’école satanique que lui avaient décerné les critiques de la Quotidienne et de l’Oriflamme ; il attribua, non sans vraisemblance, à l’influence de cette littérature perverse le délit de Champmathieu, ou pour mieux dire, de Jean Valjean. Ces considérations épuisées, il passa à Jean Valjean lui-même. Qu’était-ce que Jean Valjean ? Description de Jean Valjean. Un monstre vomi, etc. Le modèle de ces sortes de descriptions est dans le récit de Théramène, lequel n’est pas utile à la tragédie, mais rend tous les jours de grands services à l’éloquence judiciaire. L’auditoire et les jurés « frémirent ». La description achevée, l’avocat général reprit, dans un mouvement oratoire fait pour exciter au plus haut point le lendemain matin l’enthousiasme du Journal de la Préfecture : — Et c’est un pareil homme, etc., etc., etc., vagabond, mendiant, sans moyens d’existence, etc., etc., — accoutumé par sa vie passée aux actions coupables et peu corrigé par son séjour au bagne, comme le prouve le crime commis sur Petit-Gervais, etc., etc., — c’est un homme pareil qui, trouvé sur la voie publique en flagrant délit de vol, à quelques pas d’un mur escaladé, tenant encore à la main l’objet volé, nie le flagrant délit, le vol, l’escalade, nie tout, nie jusqu’à son nom, nie jusqu’à son identité ! Outre cent autres preuves sur lesquelles nous ne revenons, pas, quatre témoins le reconnaissent, Javert, l’intègre inspecteur de police Javert, et trois de ses anciens compagnons d’ignominie, les forçats Brevet, Chenildieu et Cochepaille. Qu’oppose-t-il à cette unanimité foudroyante ? Il nie. Quel endurcissement ! Vous ferez justice, messieurs les jurés, etc., etc. — Pendant que l’avocat général parlait, l’accusé écoutait, la bouche ouverte, avec une sorte d’étonnement où il entrait bien quelque admiration. Il était évidemment surpris qu’un homme pût parler comme cela. De temps en temps, aux moments les plus « énergiques » du réquisitoire, dans ces instants où l’éloquence, qui ne peut se contenir, déborde dans un flux d’épithètes flétrissantes et enveloppe l’accusé comme un orage, il remuait lentement la tête de droite à gauche et de gauche à droite, sorte de protestation triste et muette dont il se contentait depuis le commencement des débats. Deux ou trois fois les spectateurs placés le plus près de lui l’entendirent dire à demi-voix : — Voilà ce que c’est, de n’avoir pas demandé à M. Baloup ! — L’avocat général fit remarquer au jury cette attitude hébétée, calculée évidemment, qui dénotait, non l’imbécillité, mais l’adresse, la ruse, l’habitude de tromper la justice, et qui mettait dans tout son jour « la profonde perversité » de cet homme. Il termina en faisant ses réserves pour l’affaire Petit-Gervais, et en réclamant une condamnation sévère.

    C’était, pour l’instant, on s’en souvient, les travaux forcés à perpétuité.

    Le défenseur se leva, commença par complimenter « monsieur l’avocat général » sur son « admirable parole », puis répliqua comme il put, mais il faiblissait ; le terrain évidemment se dérobait sous lui.


     

    X

    LE SYSTÈME DE DÉNÉGATIONS


     

    L’instant de clore les débats était venu. Le président fit lever l’accusé et lui adressa la question d’usage : — Avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?

    L’homme, debout, roulant dans ses mains un affreux bonnet qu’il avait, sembla ne pas entendre.

    Le président répéta la question.

    Cette fois l’homme entendit. Il parut comprendre, il fit le mouvement de quelqu’un qui se réveille, promena ses yeux autour de lui, regarda le public, les gendarmes, son avocat, les jurés, la cour, posa son poing monstrueux sur le rebord de la boiserie placée devant son banc, regarda encore, et tout à coup, fixant son regard sur l’avocat général, il se mit à parler. Ce fut comme une éruption. Il sembla, à la façon dont les paroles s’échappaient de sa bouche, incohérentes, impétueuses, heurtées, pêle-mêle, qu’elles s’y pressaient toutes à la fois pour sortir en même temps. Il dit : — J’ai à dire ça. Que j’ai été charron à Paris, même que c’était chez monsieur Baloup. C’est un état dur. Dans la chose de charron, on travaille toujours en plein air, dans des cours, sous des hangars chez les bons maîtres, jamais dans des ateliers fermés, parce qu’il faut des espaces, voyez-vous. L’hiver, on a si froid qu’on se bat les bras pour se réchauffer ; mais les maîtres ne veulent pas, ils disent que cela perd du temps. Manier du fer quand il y a de la glace entre les pavés, c’est rude. Ça vous use vite un homme. On est vieux tout jeune dans cet état-là. À quarante ans, un homme est fini. Moi, j’en avais cinquante-trois, j’avais bien du mal. Et puis c’est si méchant les ouvriers ! Quand un bonhomme n’est plus jeune, on vous l’appelle pour tout vieux serin, vieille bête ! Je ne gagnais plus que trente sous par jour, on me payait le moins cher qu’on pouvait, les maîtres profitaient de mon âge. Avec ça, j’avais ma fille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté. À nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d’eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l’eau arrive par des robinets. On n’est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince devant soi dans le bassin. Comme c’est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a une buée d’eau chaude qui est terrible et qui vous perd les yeux. Elle revenait à sept heures du soir, et se couchait bien vite ; elle était si fatiguée. Son mari la battait. Elle est morte. Nous n’avons pas été bien heureux. C’était une brave fille qui n’allait pas au bal, qui était bien tranquille. Je me rappelle un mardi gras où elle était couchée à huit heures. Voilà. Je dis vrai. Vous n’avez qu’à demander. Ah bien oui ! demander ! que je suis bête ! Paris, c’est un gouffre. Qui est-ce qui connaît le père Champmathieu ? Pourtant je vous dis monsieur Baloup. Voyez chez monsieur Baloup. Après ça, je ne sais pas ce qu’on me veut.

    L’homme se tut, et resta debout. Il avait dit ces choses d’une voix haute, rapide, rauque, dure et enrouée, avec une sorte de naïveté irritée et sauvage. Une fois il s’était interrompu pour saluer quelqu’un dans la foule. Les espèces d’affirmations qu’il semblait jeter au hasard devant lui, lui venaient comme des hoquets, et il ajoutait à chacune d’elles le geste d’un bûcheron qui fend du bois. Quand il eut fini, l’auditoire éclata de rire. Il regarda le public, et voyant qu’on riait, et ne comprenant pas, il se mit à rire lui-même.

    Cela était sinistre.

    Le président, homme attentif et bienveillant, éleva la voix.

    Il rappela à « messieurs les jurés » que « le sieur Baloup, l’ancien maître charron chez lequel l’accusé disait avoir servi, avait été inutilement cité. Il était en faillite et n’avait pu être retrouvé ». Puis se tournant vers l’accusé, il l’engagea à écouter ce qu’il allait lui dire et ajouta : — Vous êtes dans une situation où il faut réfléchir. Les présomptions les plus graves pèsent sur vous et peuvent entraîner des conséquences capitales. Accusé, dans votre intérêt, je vous interpelle une dernière fois, expliquez-vous clairement sur ces deux faits : — Premièrement, avez-vous, oui ou non, franchi le mur du clos Pierron, cassé la branche et volé les pommes, c’est-à-dire, commis le crime de vol avec escalade ? Deuxièmement, oui ou non, êtes-vous le forçat libéré Jean Valjean ?

    L’accusé secoua la tête d’un air capable, comme un homme qui a bien compris et qui sait ce qu’il va répondre. Il ouvrit la bouche, se tourna vers le président et dit :

    D’abord...

    Puis il regarda son bonnet, il regarda le plafond, et se tut.

    Accusé, reprit l’avocat général d’une voix sévère, faites attention. Vous ne répondez à rien de ce qu’on vous demande. Votre trouble vous condamne. Il est évident que vous ne vous appelez pas Champmathieu, que vous êtes le forçat Jean Valjean caché d’abord sous le nom de Jean Mathieu qui était le nom de sa mère, que vous êtes allé en Auvergne, que vous êtes né à Faverolles où vous avez été émondeur. Il est évident que vous avez volé avec escalade des pommes mûres dans le clos Pierron. Messieurs les jurés apprécieront.

    L’accusé avait fini par se rasseoir ; il se leva brusquement quand l’avocat général eut fini, et s’écria :

    Vous êtes très méchant, vous! Voilà ce que je voulais dire. Je ne trouvais pas d’abord. Je n’ai rien volé. Je suis un homme qui ne mange pas tous les jours. Je venais d’Ailly, je marchais dans le pays après une ondée qui avait fait la campagne toute jaune, même que les mares débordaient et qu’il ne sortait plus des sables que de petits brins d’herbe au bord de la route ; j’ai trouvé une branche cassée par terre où il y avait des pommes, j’ai ramassé la branche sans savoir qu’elle me ferait arriver de la peine. Il y a trois mois que je suis en prison et qu’on me trimballe. Après ça, je ne peux pas dire, on parle contre moi, on me dit : répondez ! Le gendarme, qui est bon enfant, me pousse le coude et me dit tout bas : réponds donc. Je ne sais pas expliquer, moi, je n’ai pas fait les études, je suis un pauvre homme. Voilà ce qu’on a tort de ne pas voir. Je n’ai pas volé, j’ai ramassé par terre des choses qu’il y avait. Vous dites Jean Valjean, Jean Mathieu ! Je ne connais pas ces personnes-là. C’est des villageois. J’ai travaillé chez monsieur Baloup, boulevard de l’Hôpital. Je m’appelle Champmathieu. Vous êtes bien malins de me dire où je suis né. Moi, je l’ignore. Tout le monde n’a pas des maisons pour y venir au monde. Ce serait trop commode. Je crois que mon père et ma mère étaient des gens qui allaient sur les routes. Je ne sais pas d’ailleurs. Quand j’étais enfant, on m’appelait Petit, maintenant on m’appelle Vieux, Voilà mes noms de baptême. Prenez ça comme vous voudrez. J’ai été en Auvergne, j’ai été à Faverolles, pardi ! Eh bien ? est-ce qu’on ne peut pas avoir été en Auvergne et avoir été à Faverolles sans avoir été aux galères ? Je vous dis que je n’ai pas volé, et que je suis le père Champmathieu. J’ai été chez monsieur Baloup, j’ai été domicilié. Vous m’ennuyez avec vos bêtises à la fin ! Pourquoi donc est-ce que le monde est après moi comme des acharnés ?

    L’avocat général était demeuré debout; il s’adressa au président :

    Monsieur le président, en présence des dénégations confuses, mais fort habiles de l’accusé, qui voudrait bien se faire passer pour idiot, mais qui n’y parviendra pas, — nous l’en prévenons, — nous requérons qu’il vous plaise et qu’il plaise à la cour appeler de nouveau dans cette enceinte les condamnés Brevet, Cochepaille et Chenildieu et l’inspecteur de police Javert, et les interpeller une dernière fois sur l’identité de l’accusé avec le forçat Jean Valjean.

    Je fais remarquer à monsieur l’avocat général, dit le président, que l’inspecteur de police Javert, rappelé par ses fonctions au chef-lieu d’un arrondissement voisin, a quitté l’audience et même la ville, aussitôt sa déposition faite. Nous lui en avons accordé l’autorisation, avec l’agrément de monsieur l’avocat général et du défenseur de l’accusé.

    C’est juste, monsieur le président, reprit l’avocat général. En l’absence du sieur Javert, je crois devoir rappeler à messieurs les jurés ce qu’il a dit ici même il y a peu d’heures. Javert est un homme estimé qui honore par sa rigoureuse et stricte probité des fonctions inférieures, mais importantes. Voici en quels termes il a déposé : — « Je n’ai pas même besoin des présomptions morales et des preuves matérielles qui démentent les dénégations de l’accusé. Je le reconnais parfaitement. Cet homme ne s’appelle pas Champmathieu ; c’est un ancien forçat très méchant et très redouté nommé Jean Valjean. On ne l’a libéré à l’expiration de sa peine qu’avec un extrême regret. Il a subi dix-neuf ans de travaux forcés pour vol qualifié. Il avait cinq ou six fois tenté de s’évader. Outre le vol Petit-Gervais et le vol Pierron, je le soupçonne encore d’un vol commis chez sa grandeur le défunt évêque de Digne. Je l’ai souvent vu, à l’époque où j’étais adjudant garde-chiourme au bagne de Toulon. Je répète que je le reconnais parfaitement. »

    Cette déclaration si précise parut produire une vive impression sur le public et le jury. L’avocat général termina en insistant pour qu’à défaut de Javert, les trois témoins Brevet, Chenildieu et Cochepaille fussent entendus de nouveau et interpellés solennellement.

    Le président transmit un ordre à un huissier, et un moment après la porte de la chambre des témoins s’ouvrit. L’huissier, accompagné d’un gendarme prêt à lui prêter main-forte, introduisit le condamné Brevet. L’auditoire était en suspens et toutes les poitrines palpitaient comme si elles n’eussent eu qu’une seule âme.

    L’ancien forçat Brevet portait la veste noire et grise des maisons centrales. Brevet était un personnage d’une soixantaine d’années qui avait une espèce de figure d’homme d’affaires et l’air d’un coquin. Cela va quelquefois ensemble. Il était devenu, dans la prison où de nouveaux méfaits l’avaient ramené, quelque chose comme guichetier. C’était un homme dont les chefs disaient : Il cherche à se rendre utile. Les aumôniers portaient bon témoignage de ses habitudes religieuses. Il ne faut pas oublier que ceci se passait sous la restauration.

    Brevet, dit le président, vous avez subi une condamnation infamante et vous ne pouvez prêter serment.

    Brevet baissa les yeux.

    Cependant, reprit le président, même dans l’homme que la loi a dégradé, il peut rester, quand la pitié divine le permet, un sentiment d’honneur et d’équité. C’est à ce sentiment que je fais appel à cette heure décisive. S’il existe encore en vous, et je l’espère, réfléchissez avant de me répondre, considérez d’une part cet homme qu’un mot de vous peut perdre, d’autre part la justice qu’un mot de vous peut éclairer. L’instant est solennel, et il est toujours temps de vous rétracter, si vous croyez vous être trompé. — Accusé, levez-vous. — Brevet, regardez bien l’accusé, recueillez vos souvenirs, et dites-nous, en votre âme et conscience, si vous persistez à reconnaître cet homme pour votre ancien camarade de bagne Jean Valjean.

    Brevet regarda l’accusé, puis se retourna vers la cour.

    Oui, monsieur le président. C’est moi qui l’ai reconnu le premier et je persiste. Cet homme est Jean Valjean, entré à Toulon en 1796 et sorti en 1815. Je suis sorti l’an d’après. Il a l’air d’une brute maintenant, alors ce serait que l’âge l’a abruti ; au bagne il était sournois. Je le reconnais positivement.

    Allez vous asseoir, dit le président. Accusé, restez debout.

    On introduisit Chenildieu, forçat à vie, comme l’indiquaient sa casaque rouge et son bonnet vert. Il subissait sa peine à Toulon, d’où on l’avait extrait pour cette affaire. C’était un petit homme d’environ cinquante ans, vif, ridé, chétif, jaune, effronté, fiévreux, qui avait dans tous ses membres et dans toute sa personne une sorte de faiblesse maladive et dans le regard une force immense. Ses compagnons du bagne l’avaient surnommé Je-nie-Dieu.

    Le président lui adressa à peu près les mêmes paroles qu’à Brevet. Au moment où il lui rappela que son infamie lui ôtait le droit de prêter serment, Chenildieu leva la tête et regarda la foule en face. Le président l’invita à se recueillir et lui demanda, comme à Brevet, s’il persistait à reconnaître l’accusé.

    Chenildieu éclata de rire.

    Pardine ! si je le reconnais ! nous avons été cinq ans attachés à la même chaîne. Tu boudes donc, mon vieux ?

    Allez vous asseoir, dit le président.

    L’huissier amena Cochepaille. Cet autre condamné à perpétuité, venu du bagne et vêtu de rouge comme Chenildieu, était un paysan de Lourdes et un demi-ours des Pyrénées. Il avait gardé des troupeaux dans la montagne et de pâtre il avait glissé brigand. Cochepaille n’était pas moins sauvage et paraissait plus stupide encore que l’accusé. C’était un de ces malheureux hommes que la nature a ébauchés en bêtes fauves et que la société termine en galériens.

    Le président essaya de le remuer par quelques paroles pathétiques et graves et lui demanda, comme aux deux autres, s’il persistait, sans hésitation et sans trouble, à reconnaître l’homme debout devant lui.

    C’est Jean Valjean, dit Cochepaille. Même qu’on l’appelait Jean-le-Cric, tant il était fort.

    Chacune des affirmations de ces trois hommes, évidemment sincères et de bonne foi, avait soulevé dans l’auditoire un murmure de fâcheux augure pour l’accusé, murmure qui croissait et se prolongeait plus longtemps chaque fois qu’une déclaration nouvelle venait s’ajouter à la précédente. L’accusé, lui, les avait écoutées avec ce visage étonné qui, selon l’accusation, était son principal moyen de défense. À la première, les gendarmes ses voisins l’avaient entendu grommeler entre ses dents : Ah bien ! en voilà un ! Après la seconde il dit un peu plus haut, d’un air presque satisfait : Bon ! À la troisième il s’écria : Fameux !

    Le président l’interpella :

    Accusé, vous avez entendu. Qu’avez-vous à dire ?

    Il répondit : — Je dis — Fameux !

    Une rumeur éclata dans le public et gagna presque le jury. Il était évident que l’homme était perdu.

    Huissiers, dit le président, faites faire silence. Je vais clore les débats.

    En ce moment un mouvement se fit tout à côté du président. On entendit une voix qui criait :

    Brevet, Chenildieu, Cochepaille ! regardez de ce côté-ci. Tous ceux qui entendirent cette voix se sentirent glacés, tant elle était lamentable et terrible. Les yeux se tournèrent vers le point d’où elle venait. Un homme, placé parmi les spectateurs privilégiés qui étaient assis derrière la cour, venait de se lever, avait poussé la porte à hauteur d’appui qui séparait le tribunal du prétoire, et était debout au milieu de la salle. Le président, l’avocat général, M. Bamatabois, vingt personnes, le reconnurent, et s’écrièrent à la fois :

    Monsieur Madeleine !


     

    XI

    CHAMPMATHIEU DE PLUS EN PLUS ÉTONNÉ


     

    C’était lui en effet. La lampe du greffier éclairait son visage. Il tenait son chapeau à la main, il n’y avait aucun désordre dans ses vêtements, sa redingote était boutonnée avec soin. Il était très pâle et il tremblait légèrement. Ses cheveux, gris encore au moment de son arrivée à Arras, étaient maintenant tout à fait blancs. Ils avaient blanchi depuis une heure qu’il était là.

    Toutes les têtes se dressèrent. La sensation fut indescriptible. Il y eut dans l’auditoire un instant d’hésitation, La voix avait été si poignante, l’homme qui était là paraissait si calme, qu’au premier abord on ne comprit pas. On se demanda qui avait crié. On ne pouvait croire que ce fût cet homme tranquille qui eût jeté ce cri effrayant.

    Cette indécision ne dura que quelques secondes. Avant même que le président et l’avocat général eussent pu dire un mot, avant que les gendarmes et les huissiers eussent pu faire un geste, l’homme que tous appelaient encore en ce moment M. Madeleine s’était avancé vers les témoins Cochepaille, Brevet et Chenildieu.

    Vous ne me reconnaissez pas ? dit-il.

    Tous trois demeurèrent interdits et indiquèrent par un signe de tête qu’ils ne le connaissaient point. Cochepaille intimidé fit le salut militaire. M. Madeleine se tourna vers les jurés et vers la cour et dit d’une voix douce :

    Messieurs les jurés, faites relâcher l’accusé. Monsieur le président, faites-moi arrêter. L’homme que vous cherchez, ce n’est pas lui, c’est moi. Je suis Jean Valjean.

    Pas une bouche ne respirait. À la première commotion de l’étonnement avait succédé un silence de sépulcre. On sentait dans la salle cette espèce de terreur religieuse qui saisit la foule lorsque quelque chose de grand s’accomplit.

    Cependant le visage du président s’était empreint de sympathie et de tristesse ; il avait échangé un signe rapide avec l’avocat général et quelques paroles à voix basse avec les conseillers assesseurs. Il s’adressa au public, et demanda avec un accent qui fut compris de tous :

    Y a-t-il un médecin ici ?

    L’avocat général prit la parole :

    Messieurs les jurés, l’incident si étrange et si inattendu qui trouble l’audience ne nous inspire, ainsi qu’à vous, qu’un sentiment que nous n’avons pas besoin d’exprimer. Vous connaissez tous, au moins de réputation, l’honorable M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, S’il y a un médecin dans l’auditoire, nous nous joignons à monsieur le président pour le prier de vouloir bien assister monsieur Madeleine et le reconduire à sa demeure.

    M. Madeleine ne laissa point achever l’avocat général. Il l’interrompit d’un accent plein de mansuétude et d’autorité. Voici les paroles qu’il prononça ; les voici littéralement, telles qu’elles furent écrites immédiatement après l’audience par un des témoins de cette scène, telles qu’elles sont encore dans l’oreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourd’hui.

    Je vous remercie, monsieur l’avocat général, mais je ne suis pas fou. Vous allez voir. Vous étiez sur le point de commettre une grande erreur, lâchez cet homme, j’accomplis un devoir, je suis ce malheureux condamné. Je suis le seul qui voie clair ici, et je vous dis la vérité. Ce que je fais en ce moment, Dieu, qui est là-haut, le regarde, et cela suffit. Vous pouvez me prendre, puisque me voilà. J’avais pourtant fait de mon mieux. Je me suis caché sous un nom ; je suis devenu riche, je suis devenu maire ; j’ai voulu rentrer parmi les honnêtes gens. Il paraît que cela ne se peut pas. Enfin, il y a bien des choses que je ne puis pas dire, je ne vais pas vous raconter ma vie, un jour on saura. J’ai volé monseigneur l’évêque, cela est vrai ; j’ai volé Petit-Gervais, cela est vrai. On a eu raison de vous dire que Jean Valjean était un malheureux très méchant. Toute la faute n’est peut-être pas à lui. Écoutez, messieurs les juges, un homme aussi abaissé que moi n’a pas de remontrance à faire à la providence ni de conseil à donner à la société ; mais, voyez-vous, l’infamie d’où j’avais essayé de sortir est une chose nuisible. Les galères font le galérien. Recueillez cela, si vous voulez. Avant le bagne, j’étais un pauvre paysan très peu intelligent, une espèce d’idiot ; le bagne m’a changé. J’étais stupide, je suis devenu méchant ; j’étais bûche, je suis devenu tison. Plus tard l’indulgence et la bonté m’ont sauvé, comme la sévérité m’avait perdu. Mais, pardon, vous ne pouvez pas comprendre ce que je dis là. Vous trouverez chez moi, dans les cendres de la cheminée, la pièce de quarante sous que j’ai volée il y a sept ans à Petit-Gervais. Je n’ai plus rien à ajouter. Prenez-moi. Mon Dieu ! monsieur l’avocat général remue la tête, vous dites : M. Madeleine est devenu fou, vous ne me croyez pas ! Voilà qui est affligeant. N’allez point condamner cet homme au moins ! Quoi ! ceux-ci ne me reconnaissent pas ! Je voudrais que Javert fût ici. Il me reconnaîtrait, lui !

    Rien ne pourrait rendre ce qu’il y avait de mélancolie bienveillante et sombre dans l’accent qui accompagnait ces paroles.

    Il se tourna vers les trois forçats :

    Eh bien, je vous reconnais, moi ! Brevet ! vous rappelez-vous ?…

    Il s’interrompit, hésita un moment, et dit :

    Te rappelles-tu ces bretelles en tricot à damier que tu avais au bagne ?

    Brevet eut comme une secousse de surprise et le regarda de la tête aux pieds d’un air effrayé. Lui continua.

    Chenildieu, qui te surnommais toi-même Je-nie-Dieu, tu as toute l’épaule droite brûlée profondément, parce que tu t’es couché un jour l’épaule sur un réchaud plein de braise, pour effacer les trois lettres T. F. P., qu’on y voit toujours cependant. Réponds, est-ce vrai ?

    C’est vrai, dit Chenildieu.

    Il s’adressa à Cochepaille :

    Cochepaille, tu as près de la saignée du bras gauche une date gravée en lettres bleues avec de la poudre brûlée. Cette date, c’est celle du débarquement de l’empereur à Cannes, 1er mars 1815. Relève ta manche.

    Cochepaille releva sa manche, tous les regards se penchèrent autour de lui sur son bras nu. Un gendarme approcha une lampe ; la date y était.

    Le malheureux homme se tourna vers l’auditoire et vers les juges avec un sourire dont ceux qui l’ont vu sont encore navrés lorsqu’ils y songent. C’était le sourire du triomphe, c’était aussi le sourire du désespoir.

    Vous voyez bien, dit-il, que je suis Jean Valjean.

    Il n’y avait plus dans cette enceinte ni juges, ni accusateurs, ni gendarmes ; il n’y avait que des yeux fixes et des cœurs émus. Personne ne se rappelait plus le rôle que chacun pouvait avoir à jouer; l’avocat général oubliait qu’il était là pour requérir, le président qu’il était là pour présider, le défenseur qu’il était là pour défendre. Chose frappante, aucune question ne fut faite, aucune autorité n’intervint. Le propre des spectacles sublimes, c’est de prendre toutes les âmes et de faire de tous les témoins des spectateurs. Aucun peut-être ne se rendait compte de ce qu’il éprouvait ; aucun, sans doute, ne se disait qu’il voyait resplendir là une grande lumière ; tous intérieurement se sentaient éblouis.

    Il était évident qu’on avait sous les yeux Jean Valjean. Cela rayonnait. L’apparition de cet homme avait suffi pour remplir de clarté cette aventure si obscure le moment d’auparavant. Sans qu’il fût besoin d’aucune explication désormais, toute cette foule, comme par une sorte de révélation électrique, comprit tout de suite et d’un seul coup d’œil cette simple et magnifique histoire d’un homme qui se livrait pour qu’un autre homme ne fût pas condamné à sa place. Les détails, les hésitations, les petites résistances possibles se perdirent dans ce vaste fait lumineux.

    Impression qui passa vite, mais qui dans l’instant fut irrésistible.

    Je ne veux pas déranger davantage l’audience, reprit Jean Valjean. Je m’en vais, puisqu’on ne m’arrête pas. J’ai plusieurs choses à faire. Monsieur l’avocat général sait qui je suis, il sait où je vais, il me fera arrêter quand il voudra.

    Il se dirigea vers la porte de sortie. Pas une voix ne s’éleva, pas un bras ne s’étendit pour l’empêcher. Tous s’écartèrent. Il avait en ce moment ce je ne sais quoi de divin qui fait que les multitudes reculent et se rangent devant un homme, Il traversa la foule à pas lents. On n’a jamais su qui ouvrit la porte, mais il est certain que la porte se trouva ouverte lorsqu’il y parvint. Arrivé là, il se retourna et dit :

    Monsieur l’avocat général, je reste à votre disposition.

    Puis il s’adressa à l’auditoire :

    Vous tous, tous ceux qui sont ici, vous me trouvez digne de pitié, n’est-ce pas ? Mon Dieu ! quand je pense à ce que j’ai été sur le point de faire, je me trouve digne d’envie. Cependant j’aurais mieux aimé que tout ceci n’arrivât pas.

    Il sortit, et la porte se referma comme elle avait été ouverte, car ceux qui font de certaines choses souveraines sont toujours sûrs d’être servis par quelqu’un dans la foule.

    Moins d’une heure après, le verdict du jury déchargeait de toute accusation le nommé Champmathieu ; et Champmathieu, mis en liberté immédiatement, s’en allait stupéfait, croyant tous les hommes fous et ne comprenant rien à cette vision.


     

    I

    DANS QUEL MIROIR M. MADELEINE REGARDE SES CHEVEUX


     

    Le jour commençait à poindre, Fantine avait eu une nuit de fièvre et d’insomnie, pleine d’ailleurs d’images heureuses ; au matin, elle s’endormit. La sœur Simplice, qui l’avait veillée, profita de ce sommeil pour aller préparer une nouvelle potion de quinquina. La digne sœur était depuis quelques instants dans le laboratoire de l’infirmerie, penchée sur ses drogues et sur ses fioles et regardant de très près à cause de cette brume que le crépuscule répand sur les objets. Tout à coup elle tourna la tête et fit un léger cri. M. Madeleine était devant elle. Il venait d’entrer silencieusement.

    C’est vous, monsieur le maire ! s’écria-t-elle. Il répondit, à voix basse :

    Comment va cette pauvre femme ?

    Pas mal en ce moment. Mais nous avons été bien inquiets, allez !

    Elle lui expliqua ce qui s’était passé, que Fantine était bien mal la veille et que maintenant elle était mieux, parce qu’elle croyait que monsieur le maire était allé chercher son enfant à Montfermeil. La sœur n’osa pas interroger monsieur le maire, mais elle vit bien à son air que ce n’était point de là qu’il venait.

    Tout cela est bien, dit-il, vous avez eu raison de ne pas la détromper.

    Oui, reprit la sœur, mais maintenant, monsieur le maire, qu’elle va vous voir et qu’elle ne verra pas son enfant, que lui dirons-nous ?

    Il resta un moment rêveur.

    Dieu nous inspirera, dit-il.

    On ne pourrait cependant pas mentir, murmura la sœur à demi-voix.

    Le plein jour s’était fait dans la chambre. Il éclairait en face le visage de M. Madeleine. Le hasard fit que la sœur leva les yeux.

    Mon Dieu, monsieur ! s’écria-t-elle, que vous est-il arrivé ? vos cheveux sont tout blancs !

    Blancs ! dit-il.

    La sœur Simplice n’avait point de miroir ; elle fouilla dans une trousse et en tira une petite glace dont se servait le médecin de l’infirmerie pour constater qu’un malade était mort et ne respirait plus. M. Madeleine prit la glace, y considéra ses cheveux, et dit : Tiens !

    Il prononça ce mot avec indifférence et comme s’il pensait à autre chose.

    La sœur se sentit glacée par je ne sais quoi d’inconnu qu’elle entrevoyait dans tout ceci.

    Il demanda :

    Puis-je la voir ?

    Est-ce que monsieur le maire ne lui fera pas revenir son enfant ? dit la sœur, osant à peine hasarder une question.

    Sans doute, mais il faut au moins deux ou trois jours.

    Si elle ne voyait pas monsieur le maire d’ici là, reprit timidement la sœur, elle ne saurait pas que monsieur le maire est de retour, il serait aisé de lui faire prendre patience, et quand l’enfant arriverait elle penserait tout naturellement que monsieur le maire est arrivé avec l’enfant. On n’aurait pas de mensonge à faire.

    M. Madeleine parut réfléchir quelques instants, puis il dit avec sa gravité calme :

    Non, ma sœur, il faut que je la voie. Je suis peut-être pressé.

    La religieuse ne sembla pas remarquer ce mot « peut-être », qui donnait un sens obscur et singulier aux paroles de M. le maire. Elle répondit en baissant les yeux et la voix respectueusement :

    En ce cas, elle repose, mais monsieur le maire peut entrer.

    Il fit quelques observations sur une porte qui fermait mal, et dont le bruit pouvait réveiller la malade, puis il entra dans la chambre de Fantine, s’approcha du lit et entr’ouvrit les rideaux. Elle dormait. Son souffle sortait de sa poitrine avec ce bruit tragique qui est propre à ces maladies, et qui navre les pauvres mères lorsqu’elles veillent la nuit près de leur enfant condamné et endormi. Mais cette respiration pénible troublait à peine une sorte de sérénité ineffable, répandue sur son visage, qui la transfigurait dans son sommeil. Sa pâleur était devenue de la blancheur ; ses joues étaient vermeilles. Ses longs cils blonds, la seule beauté qui lui fût restée de sa virginité et de sa jeunesse, palpitaient tout en demeurant clos et baissés. Toute sa personne tremblait, de je ne sais quel déploiement d’ailes prêtes à s’entr’ouvrir et à l’emporter, qu’on sentait frémir, mais qu’on ne voyait pas. À la voir ainsi, on n’eût jamais pu croire que c’était là une malade presque désespérée. Elle ressemblait plutôt à ce qui va s’envoler qu’à ce qui va mourir.

    La branche, lorsqu’une main s’approche pour détacher la fleur, frissonne, et semble à la fois se dérober et s’offrir. Le corps humain a quelque chose de ce tressaillement, quand arrive l’instant où les doigts mystérieux de la mort vont cueillir l’âme.

    M. Madeleine resta quelque temps immobile près de ce lit, regardant tour à tour la malade et le crucifix, comme il faisait deux mois auparavant, le jour où il était venu pour la première fois la voir dans cet asile. Ils étaient encore là tous les deux dans la même attitude ; elle dormant, lui priant ; seulement maintenant, depuis ces deux mois écoulés, elle avait des cheveux gris et lui des cheveux blancs.

    La sœur n’était pas entrée avec lui. Il se tenait près de ce lit, debout. le doigt sur la bouche, comme s’il y eût eu dans la chambre quelqu’un à faire taire.

    Elle ouvrit les yeux, le vit, et dit paisiblement, avec un sourire :

    Et Cosette ?


     

    II

    FANTINE HEUREUSE


     

    Elle n’eut pas un mouvement de surprise, ni un mouvement de joie ; elle était la joie même. Cette simple question : — Et Cosette ? fut faite avec une foi si profonde, avec tant de certitude, avec une absence si complète d’inquiétude et de doute, qu’il ne trouva pas une parole. Elle continua :

    Je savais que vous étiez là. Je dormais, mais je vous voyais. Il y a longtemps que je vous vois. Je vous ai suivi des yeux toute la nuit. Vous étiez dans une gloire et vous aviez autour de vous toutes sortes de figures célestes.

    Il leva son regard vers le crucifix.

    Mais, reprit-elle, dites-moi donc où est Cosette ? Pourquoi ne l’avoir pas mise sur mon lit pour le moment où je m’éveillerais ?

    Il répondit machinalement quelque chose qu’il n’a jamais pu se rappeler plus tard.

    Heureusement le médecin, averti, était survenu. Il vint en aide à M. Madeleine.

    Mon enfant, dit le médecin, calmez-vous. Votre enfant est là.

    Les yeux de Fantine s’illuminèrent et couvrirent de clarté tout son visage. Elle joignit les mains avec une expression qui contenait tout ce que la prière peut avoir à la fois de plus violent et de plus doux :

    Oh ! s’écria-t-elle, apportez-la-moi !

    Touchante illusion de mère ! Cosette était toujours pour elle le petit enfant qu’on apporte.

    Pas encore, reprit le médecin, pas en ce moment. Vous avez un reste de fièvre. La vue de votre enfant vous agiterait et vous ferait du mal. Il faut d’abord vous guérir.

    Elle l’interrompit impétueusement.

    Mais je suis guérie ! je vous dis que je suis guérie ! Est-il âne, ce médecin ! Ah çà ! je veux voir mon enfant, moi !

    Vous voyez, dit le médecin, comme vous vous emportez. Tant que vous serez ainsi, je m’opposerai à ce que vous ayez votre enfant. Il ne suffit pas de la voir, il faut vivre pour elle. Quand vous serez raisonnable, je vous l’amènerai moi-même.

    La pauvre mère courba la tête.

    Monsieur le médecin, je vous demande pardon, je vous demande vraiment bien pardon. Autrefois je n’aurais pas parlé comme je viens de faire, il m’est arrivé tant de malheurs que quelquefois je ne sais plus ce que je dis. Je comprends, vous craignez l’émotion, j’attendrai tant que vous voudrez, mais je vous jure que cela ne m’aurait pas fait de mal de voir ma fille. Je la vois, je ne la quitte pas des yeux depuis hier au soir. Savez-vous ? on me l’apporterait maintenant que je me mettrais à lui parler doucement. Voilà tout. Est-ce que ce n’est pas bien naturel que j’aie envie de voir mon enfant qu’on a été me chercher exprès à Montfermeil ? Je ne suis pas en colère. Je sais bien que je vais être heureuse. Toute la nuit j’ai vu des choses blanches et des personnes qui me souriaient. Quand monsieur le médecin voudra, il m’apportera ma Cosette. Je n’ai plus de fièvre, puisque je suis guérie ; je sens bien que je n’ai plus rien du tout ; mais je vais faire comme si j’étais malade et ne pas bouger pour faire plaisir aux dames d’ici. Quand on verra que je suis bien tranquille, on dira : il faut lui donner son enfant.

    M. Madeleine s’était assis sur une chaise qui était à côté du lit. Elle se tourna vers lui ; elle faisait visiblement effort pour paraître calme et « bien sage », comme elle disait dans cet affaiblissement de la maladie qui ressemble à l’enfance, afin que, la voyant si paisible, on ne fît pas difficulté de lui amener Cosette. Cependant, tout en se contenant, elle ne pouvait s’empêcher d’adresser à M. Madeleine mille questions.

    Avez-vous fait un bon voyage, monsieur le maire ? Oh ! comme vous êtes bon d’avoir été me la chercher ! Dites-moi seulement comment elle est. A-t-elle bien supporté la route ? Hélas! elle ne me reconnaîtra pas ! Depuis le temps, elle m’a oubliée, pauvre chou ! Les enfants, cela n’a pas de mémoire. C’est comme des oiseaux. Aujourd’hui cela voit une chose et demain une autre, et cela ne pense plus à rien. Avait-elle du linge blanc seulement ? Ces Thénardier la tenaient-ils proprement ? Comment la nourrissait-on ? Oh ! comme j’ai souffert, si vous saviez ! de me faire toutes ces questions-là dans le temps de ma misère ! Maintenant, c’est passé. Je suis joyeuse. Oh ! que je voudrais donc la voir ! Monsieur le maire, l’avez-vous trouvée jolie ? N’est-ce pas qu’elle est belle, ma fille ? Vous devez avoir eu bien froid dans cette diligence ! Est-ce qu’on ne pourrait pas l’amener rien qu’un petit moment ? On la remporterait tout de suite après. Dites ! vous qui êtes le maître, si vous vouliez !

    Il lui prit la main : — Cosette est belle, dit-il, Cosette se porte bien, vous la verrez bientôt, mais apaisez-vous. Vous parlez trop vivement, et puis, vous sortez vos bras du lit, et cela vous fait tousser.

    En effet, des quintes de toux interrompaient Fantine, presque à chaque mot.

    Fantine ne murmura pas, elle craignit d’avoir compromis par quelques plaintes trop passionnées la confiance qu’elle voulait inspirer, et elle se mit à dire des paroles indifférentes.

    C’est assez joli, Monfermeil, n’est-ce pas ? L’été, on y va faire des parties de plaisir. Ces Thénardier font-ils de bonnes affaires ? Il ne passe pas grand monde dans leur pays. C’est une espèce de gargote que cette auberge-là.

    M. Madeleine lui tenait toujours la main, il la considérait avec anxiété ; il était évident qu’il était venu pour lui dire des choses devant lesquelles sa pensée hésitait maintenant. Le médecin, sa visite faite, s’était retiré. La sœur Simplice était restée auprès d’eux.

    Cependant, au milieu de ce silence, Fantine s’écria :

    Je l’entends ! mon Dieu ! je l’entends !

    Elle étendit le bras pour qu’on se tût autour d’elle, retint son souffle, et se mit à écouter avec ravissement.

    Il y avait un enfant qui jouait dans la cour ; l’enfant de la portière ou d’une ouvrière quelconque. C’est là un de ces hasards qu’on retrouve toujours et qui semblent faire partie de la mystérieuse mise en scène des événements lugubres. L’enfant — c’était une petite fille — allait, venait, courait pour se réchauffer, riait et chantait à haute voix. Hélas ! à quoi les jeux des enfants ne se mêlent-ils pas ! C’était cette petite fille que Fantine entendait chanter.

    Oh ! reprit-elle, c’est ma Cosette ! je reconnais sa voix !

    L’enfant s’éloigna comme il était venu, la voix s’éteignit, Fantine écouta encore quelque temps, puis son visage s’assombrit, et M. Madeleine l’entendit qui disait à voix basse : — Comme ce médecin est méchant de ne pas me laisser voir ma fille ! Il a une mauvaise figure, cet homme-là !

    Cependant le fond riant de ses idées revint. Elle continua de se parler à elle-même, la tête sur l’oreiller : — Comme nous allons être heureuses ! Nous aurons un petit jardin, d’abord! monsieur Madeleine me l’a promis. Ma fille jouera dans le jardin. Elle doit savoir ses lettres maintenant. Je la ferai épeler. Elle courra dans l’herbe après les papillons. Je la regarderai. Et puis elle fera sa première communion. Ah çà ! quand fera-t-elle sa première communion ?

    Elle se mit à compter sur ces doigts.

    ... Un, deux, trois, quatre... elle a sept ans. Dans cinq ans. Elle aura un voile blanc, des bas à jour, elle aura l’air d’une petite femme. Ô ma bonne sœur, vous ne savez pas comme je suis bête, voilà que je pense à la première communion de ma fille !

    Et elle se mit à rire.

    Il avait quitté la main de Fantine. Il écoutait ces paroles comme on écoute un vent qui souffle, les yeux à terre, l’esprit plongé dans des réflexions sans fond. Tout à coup elle cessa de parler, cela lui fit lever machinalement la tête, Fantine était devenue effrayante.

    Elle ne parlait plus, elle ne respirait plus ; elle s’était soulevée à demi sur son séant ; son épaule maigre sortait de sa chemise ; son visage, radieux le moment d’auparavant, était blême, et elle paraissait fixer sur quelque chose de formidable, devant elle, à l’autre extrémité de la chambre, son œil agrandi par la terreur.

    Mon Dieu ! s’écria-t-il. Qu’avez-vous, Fantine ?

    Elle ne répondit pas, elle ne quitta point des yeux l’objet quelconque qu’elle semblait voir, elle lui toucha le bras d’une main et de l’autre lui fit signe de regarder derrière lui.

    Il se retourna, et vit Javert.


     

    III

    JAVERT CONTENT


     

    Voici ce qui s’était passé.

    Minuit et demi venait de sonner, quand M. Madeleine était sorti de la salle des assises d’Arras. Il était rentré à son auberge juste à temps pour repartir par la malle-poste où l’on se rappelle qu’il avait retenu sa place. Un peu avant six heures du matin, il était arrivé à Montreuil-sur-Mer, et son premier soin avait été de jeter à la poste sa lettre à M. Laffitte, puis d’entrer à l’infirmerie et de voir Fantine.

    Cependant, à peine avait-il quitté la salle d’audience de la cour d’assises, que l’avocat général, revenu du premier saisissement, avait pris la parole pour déplorer l’acte de folie de l’honorable maire de Montreuil-sur-Mer, déclarer que ses convictions n’étaient en rien modifiées par cet incident bizarre qui s’éclaircirait plus tard, et requérir, en attendant, la condamnation de ce Champmathieu, évidemment le vrai Jean Valjean. La persistance de l’avocat général était visiblement en contradiction avec le sentiment de tous, du public, de la cour et du jury. Le défenseur avait eu peu de peine à réfuter cette harangue et à établir que, par suite des révélations de M. Madeleine, c’est-à-dire du vrai Jean Valjean, la face de l’affaire était bouleversée de fond en comble, et que le jury n’avait plus devant les yeux qu’un innocent. L’avocat avait tiré de là quelques épiphonèmes, malheureusement peu neufs, sur les erreurs judiciaires, etc., etc. ; le président dans son résumé s’était joint au défenseur, et le jury en quelques minutes avait mis hors de cause Champmathieu.

    Cependant il fallait un Jean Valjean à l’avocat général, et, n’ayant plus Champmathieu, il prit Madeleine.

    Immédiatement après la mise en liberté de Champmathieu, l’avocat général s’enferma avec le président. Ils conférèrent « de la nécessité de se saisir de la personne de M. le maire de Montreuil-sur-Mer ». Cette phrase, où il y a beaucoup de de, est de M. l’avocat général. La première émotion passée, le président fit peu d’objections. Il fallait bien que justice eût son cours. Et puis, pour tout dire, quoique le président fût homme bon et assez intelligent, il était en même temps fort royaliste et presque ardent, et il avait été choqué que le maire de Montreuil-sur-Mer, en parlant du débarquement à Cannes, eût dit l’empereur et non Buonaparte.

    L’ordre d’arrestation fut donc expédié. L’avocat général l’envoya à Montreuil-sur-Mer par un exprès, à franc étrier, et en chargea l’inspecteur de police Javert.

    On sait que Javert était revenu à Montreuil-sur-Mer immédiatement après avoir fait sa déposition.

    Javert se levait au moment où l’exprès lui remit l’ordre d’arrestation et le mandat d’amener.

    L’exprès était lui-même un homme de police fort entendu qui, en deux mots, mit Javert au fait de ce qui était arrivé à Arras. L’ordre d’arrestation, signé de l’avocat général, était ainsi conçu : — L’inspecteur Javert appréhendera au corps le sieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, qui, dans l’audience de ce jour, a été reconnu pour être le forçat libéré Jean Valjean.

    Quelqu’un qui n’eût pas connu Javert et qui l’eût vu au moment où il pénétra dans l’antichambre de l’infirmerie n’eût pu rien deviner de ce qui se passait, et lui eût trouvé l’air le plus ordinaire du monde. Il était froid, calme, grave, avait ses cheveux gris parfaitement lissés sur les tempes et venait de monter l’escalier avec sa lenteur habituelle. Quelqu’un qui l’eût connu à fond et qui l’eût examiné attentivement eût frémi. La boucle de son col de cuir, au lieu d’être sur sa nuque, était sur son oreille gauche. Ceci révélait une agitation inouïe.

    Javert était un caractère complet, ne faisant faire de pli ni à son devoir, ni à son uniforme ; méthodique avec les scélérats, rigide avec les boutons de son habit.

    Pour qu’il eût mal mis la boucle de son col, il fallait qu’il y eût en lui une de ces émotions qu’on pourrait appeler des tremblements de terre intérieurs.

    Il était venu simplement, avait requis un caporal et quatre soldats au poste voisin, avait laissé les soldats dans la cour, et s’était fait indiquer la chambre de Fantine par la portière sans défiance, accoutumée qu’elle était à voir des gens armés demander monsieur le maire.

    Arrivé à la chambre de Fantine, Javert tourna la clef, poussa la porte avec une douceur de garde-malade ou de mouchard, et entra.

    À proprement parler, il n’entra pas. Il se tint debout dans la porte entre-bâillée, le chapeau sur la tête, la main gauche dans sa redingote fermée jusqu’au menton. Dans le pli du coude on pouvait voir le pommeau de plomb de son énorme canne, laquelle disparaissait derrière lui.

    Il resta ainsi près d’une minute sans qu’on s’aperçût de sa présence. Tout à coup Fantine leva les yeux, le vit, et fit retourner M. Madeleine.

    À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie.

    Ce fut le visage d’un démon qui vient de retrouver son damné.

    La certitude de tenir enfin Jean Valjean fît apparaître sur sa physionomie tout ce qu’il avait dans l’âme. Le fond remué monta à la surface. L’humiliation d’avoir un peu perdu la piste et de s’être mépris quelques minutes sur ce Champmathieu, s’effaçait sous l’orgueil d’avoir si bien deviné d’abord et d’avoir eu si longtemps un instinct juste. Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite.

    Javert en ce moment était au ciel. Sans qu’il s’en rendît nettement compte, mais pourtant avec une intuition confuse de sa nécessité et de son succès, il personnifiait, lui Javert, la justice, la lumière et la vérité dans leur fonction céleste d’écrasement du mal. Il avait derrière lui et autour de lui, à une profondeur infinie, l’autorité, la raison, la chose jugée, la conscience légale, la vindicte publique, toutes les étoiles ; il protégeait l’ordre, il faisait sortir de la loi la foudre, il vengeait la société, il prêtait main-forte à l’absolu ; il se dressait dans une gloire ; il y avait dans sa victoire un reste de défi et de combat ; debout, altier, éclatant, il étalait en plein azur la bestialité surhumaine d’un archange féroce ; l’ombre redoutable de l’action qu’il accomplissait faisait visible à son poing crispé le vague flamboiement de l’épée sociale ; heureux et indigné, il tenait sous son talon le crime, le vice, la rébellion, la perdition, l’enfer, il rayonnait, il exterminait, il souriait, et il y avait une incontestable grandeur dans ce saint Michel monstrueux.

    Javert, effroyable, n’avait rien d’ignoble. La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, l’idée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans l’horreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, l’erreur. L’impitoyable joie honnête d’un fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable. Sans qu’il s’en doutât, Javert, dans son bonheur formidable, était à plaindre comme tout ignorant qui triomphe. Rien n’était poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce qu’on pourrait appeler tout le mauvais du bon.


     

    IV

    L’AUTORITÉ REPREND SES DROITS


     

    La Fantine n’avait point vu Javert depuis le jour où M. le maire l’avait arrachée à cet homme. Son cerveau malade ne se rendit compte de rien, seulement elle ne douta pas qu’il ne revînt la chercher. Elle ne put supporter cette figure affreuse, elle se sentit expirer, elle cacha son visage de ses deux mains et cria avec angoisse :

    Monsieur Madeleine, sauvez-moi !

    Jean Valjean — nous ne le nommerons plus désormais autrement — s’était levé. Il dit à Fantine de sa voix la plus douce et la plus calme :

    Soyez tranquille, Ce n’est pas pour vous qu’il vient.

    Puis il s’adressa à Javert et lui dit :

    Je sais ce que vous voulez.

    Javert répondit :

    Allons, vite !

    Il y eut dans l’inflexion qui accompagna ces deux mots je ne sais quoi de fauve et de frénétique. Javert ne dit pas : Allons, vite ! il dit : Allonouaite ! Aucune orthographe ne pourrait rendre l’accent dont cela fut prononcé ; ce n’était plus une parole humaine, c’était un rugissement.

    Il ne fit point comme d’habitude; il n’entra point en matière ; il n’exhiba point de mandat d’amener. Pour lui, Jean Valjean était une sorte de combattant mystérieux et insaisissable, un lutteur ténébreux qu’il étreignait depuis cinq ans sans pouvoir le renverser. Cette arrestation n’était pas un commencement, mais une fin. Il se borna à dire : Allons, vite !

    En parlant ainsi, il ne fit point un pas ; il lança sur Jean Valjean ce regard qu’il jetait comme un crampon, et avec lequel il avait coutume de tirer violemment les misérables a lui.

    C’était ce regard que la Fantine avait senti pénétrer jusque dans la moelle de ses os, deux mois auparavant.

    Au cri de Javert, Fantine avait rouvert les yeux. Mais M. le maire était là. Que pouvait-elle craindre ?

    Javert avança au milieu de la chambre et cria :

    Ah çà ! viendras-tu ?

    La malheureuse regarda autour d’elle. Il n’y avait personne que la religieuse et monsieur le maire. À qui pouvait s’adresser ce tutoiement abject ? À elle seulement. Elle frissonna.

    Alors elle vit une chose inouïe, tellement inouïe que jamais rien de pareil ne lui était apparu dans les plus noirs délires de la fièvre.

    Elle vit le mouchard Javert saisir au collet monsieur le maire ; elle vit monsieur le maire courber la tête. Il lui sembla que le monde s’évanouissait.

    Javert, en effet, avait pris Jean Valjean au collet.

    Monsieur le maire ! cria Fantine.

    Javert éclata de rire, de cet affreux rire qui lui déchaussait toutes les dents.

    Il n’y a plus de monsieur le maire ici !

    Jean Valjean n’essaya pas de déranger la main qui tenait le col de sa redingote. Il dit :

    Javert...

    Javert l’interrompit : — Appelle-moi monsieur l’inspecteur.

    Monsieur, reprit Jean Valjean, je voudrais vous dire un mot en particulier.

    Tout haut ! parle tout haut ! répondit Javert ; on me parle tout haut à moi !

    Jean Valjean continua en baissant la voix :

    C’est une prière que j’ai à vous faire...

    Je te dis de parler tout haut.

    Mais cela ne doit être entendu que de vous seul...

    Qu’est-ce que cela me fait ? je n’écoute pas !

    Jean Valjean se tourna vers lui et lui dit rapidement et très bas :

    Accordez-moi trois jours ! trois jours pour aller chercher l’enfant de cette malheureuse femme. Je payerai ce qu’il faudra. Vous m’accompagnerez si vous voulez.

    Tu veux rire ! cria Javert. Ah çà ! je ne te croyais pas bête ! Tu me demandes trois jours pour t’en aller ! Tu dis que c’est pour aller chercher l’enfant de cette fille ! Ah ! ah ! c’est bon ! voilà qui est bon !

    Fantine eut un tremblement.

    Mon enfant ! s’écria-t-elle, aller chercher mon enfant ! Elle n’est donc pas ici ! Ma sœur, répondez-moi ; où est Cosette ? Je veux mon enfant ! Monsieur Madeleine ! monsieur le maire !

    Javert frappa du pied.

    Voilà l’autre, à présent ! Te tairas-tu, drôlesse ! Gredin de pays où les galériens sont magistrats et où les filles publiques sont soignées comme des comtesses ! Ah mais ! tout ça va changer ; il était temps !

    Il regarda fixement Fantine et ajouta en reprenant à poignée la cravate, la chemise et le collet de Jean Valjean :

    Je te dis qu’il n’y a point de monsieur Madeleine et qu’il n’y a point de monsieur le maire. Il y a un voleur, il y a un brigand, il y a un forçat appelé Jean Valjean ! c’est lui que je tiens ! voilà ce qu’il y a !

    Fantine se dressa en sursaut, appuyée sur ses bras roides et sur ses deux mains, elle regarda Jean Valjean, elle regarda Javert, elle regarda la religieuse, elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour d’elle comme quelqu’un qui se noie, puis elle s’affaissa subitement sur l’oreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.

    Elle était morte.

    Jean Valjean posa sa main sur la main de Javert qui le tenait, et l’ouvrit comme il eût ouvert la main d’un enfant, puis il dit à Javert :

    Vous avez tué cette femme.

    Finirons-nous ! cria Javert furieux. Je ne suis pas ici pour entendre des raisons. Économisons tout ça. La garde est en bas. Marchons tout de suite, ou les poucettes !

    Il y avait dans un coin de la chambre un vieux lit en fer en assez mauvais état qui servait de lit de camp aux sœurs quand elles veillaient, Jean Valjean alla à ce lit, disloqua en un clin d’œil le chevet déjà fort délabré, chose facile à des muscles comme les siens, saisit à poigne-main la maîtresse-tringle, et considéra Javert. Javert recula vers la porte.

    Jean Valjean, sa barre de fer au poing, marcha lentement vers le lit de Fantine. Quand il y fut parvenu, il se retourna, et dit à Javert d’une voix qu’on entendait à peine :

    Je ne vous conseille pas de me déranger en ce moment.

    Ce qui est certain, c’est que Javert tremblait.

    Il eut l’idée d’aller appeler la garde, mais Jean Valjean pouvait profiter de cette minute pour s’évader. Il resta donc, saisit sa canne par le petit bout, et s’adossa au chambranle de la porte sans quitter du regard Jean Valjean.

    Jean Valjean posa son coude sur la pomme du chevet du lit et son front sur sa main, et se mit à contempler Fantine immobile et étendue. Il demeura ainsi, absorbé, muet, et ne songeant évidemment plus à aucune chose de cette vie. Il n’y avait plus rien sur son visage et dans son attitude qu’une inexprimable pitié. Après quelques instants de cette rêverie, il se pencha vers Fantine et lui parla à voix basse.

    Que lui dit-il ? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé, à cette femme qui était morte ? Qu’était-ce que ces paroles ? Personne sur la terre ne les a entendues. La morte les entendit-elle ? Il y a des illusions touchantes qui sont peut-être des réalités sublimes. Ce qui est hors de doute, c’est que la sœur Simplice, unique témoin de la chose qui se passait, a souvent raconté qu’au moment où Jean Valjean parla à l’oreille de Fantine, elle vit distinctement poindre un ineffable sourire sur ces lèvres pâles et dans ces prunelles vagues, pleines de l’étonnement du tombeau.

    Jean Valjean prit dans ses deux mains la tête de Fantine et l’arrangea sur l’oreiller comme une mère eût fait pour son enfant, il lui rattacha le cordon de sa chemise et rentra ses cheveux sous son bonnet. Cela fait, il lui ferma les yeux.

    La face de Fantine en cet instant semblait étrangement éclairée.

    La mort, c’est l’entrée dans la grande lueur. La main de Fantine pendait hors du lit. Jean Valjean s’agenouilla devant cette main, la souleva doucement et la baisa.

    Puis il se redressa, et, se tournant vers Javert :

    Maintenant, dit-il, je suis à vous.


     

    V

    TOMBEAU CONVENABLE


     

    Javert déposa Jean Valjean à la prison de la ville.

    L’arrestation de M. Madeleine produisit à Montreuil-sur-Mer une sensation, ou pour mieux dire une commotion extraordinaire. Nous sommes triste de ne pouvoir dissimuler que sur ce seul mot : c’était un galérien, tout le monde à peu près l’abandonna. En moins de deux heures tout le bien qu’il avait fait fut oublié, et ce ne fut plus qu’un « galérien ». Il est juste de dire qu’on ne connaissait pas encore les détails de l’événement d’Arras. Toute la journée on entendait dans toutes les parties de la ville des conversations comme celle-ci :

    Vous ne savez pas ? c’était un forçat libéré ! — Qui ça ? — Le maire. — Bah ! M. Madeleine ? — Oui. — Vraiment ? — Il ne s’appelait pas Madeleine, il a un affreux nom, Béjean, Bojean, Boujean. — Ah, mon Dieu ! — Il est arrêté. — Arrêté ! — En prison à la prison de la ville, en attendant qu’on le transfère. — Qu’on le transfère ! On va le transférer ! Où va-t-on le transférer ? — Il va passer aux assises pour un vol de grand chemin qu’il a fait autrefois. — Eh bien ! je m’en doutais. Cet homme était trop bon, trop parfait, trop confit. Il refusait la croix, il donnait des sous à tous les petits drôles qu’il rencontrait. J’ai toujours pensé qu’il y avait là-dessous quelque mauvaise histoire.

    Les « salons » surtout abondèrent dans ce sens.

    Une vieille dame, abonnée au Drapeau blanc, fit cette réflexion dont il est presque impossible de sonder la profondeur :

    Je n’en suis pas fâchée. Cela apprendra aux buonapartistes !

    C’est ainsi que ce fantôme qui s’était appelé M. Madeleine se dissipa à Montreuil-sur-Mer. Trois ou quatre personnes seulement dans toute la ville restèrent fidèles à cette mémoire. La vieille portière qui l’avait servi fut du nombre.

    Le soir de ce même jour, cette digne vieille était assise dans sa loge, encore tout effarée et réfléchissant tristement. La fabrique avait été fermée toute la journée, la porte cochère était verrouillée, la rue était déserte. Il n’y avait dans la maison que les deux religieuses, sœur Perpétue et sœur Simplice, qui veillaient près du corps de Fantine.

    Vers l’heure où M. Madeleine avait coutume de rentrer, la brave portière se leva machinalement, prit la clef de la chambre de M. Madeleine dans un tiroir et le bougeoir dont il se servait tous les soirs pour monter chez lui, puis elle accrocha la clef au clou où il la prenait d’habitude, et plaça le bougeoir à côté, comme si elle l’attendait. Ensuite elle se rassit sur sa chaise et se remit à songer. La pauvre bonne vieille avait fait tout cela sans en avoir conscience.

    Ce ne fut qu’au bout de plus de deux heures qu’elle sortit de sa rêverie et s’écria : Tiens ! mon bon Dieu Jésus ! moi qui ai mis sa clef au clou !

    En ce moment la vitre de la loge s’ouvrit, une main passa par l’ouverture, saisit la clef et le bougeoir et alluma la bougie à la chandelle qui brûlait.

    La portière leva les yeux et resta béante, avec un cri dans le gosier qu’elle retint.

    Elle connaissait cette main, ce bras, cette manche de redingote.

    C’était M. Madeleine.

    Elle fut quelques secondes avant de pouvoir parler, saisie, comme elle le disait elle-même plus tard en racontant son aventure.

    Mon Dieu ! monsieur le maire, s’écria-t-elle enfin, je vous croyais…

    Elle s’arrêta, la fin de sa phrase eût manqué de respect au commencement. Jean Valjean était toujours pour elle monsieur le maire.

    Il acheva sa pensée.

    En prison, dit-il. J’y étais. J’ai brisé un barreau d’une fenêtre, je me suis laissé tomber du haut d’un toit, et me voici. Je monte à ma chambre, allez me chercher la sœur Simplice. Elle est sans doute près de cette pauvre femme.

    La vieille obéit en toute hâte.

    Il ne lui fit aucune recommandation ; il était bien sûr qu’elle le garderait mieux qu’il ne se garderait lui-même.

    On n’a jamais su comment il avait réussi à pénétrer dans la cour sans faire ouvrir la porte cochère. Il avait, et portait toujours sur lui, un passe-partout qui ouvrait une petite porte latérale ; mais on avait dû le fouiller et lui prendre son passe-partout. Ce point n’a pas été éclairci.

    Il monta l’escalier qui conduisait à sa chambre. Arrivé en haut, il laissa son bougeoir sur les dernières marches de l’escalier, ouvrit sa porte avec peu de bruit, et alla fermer à tâtons sa fenêtre et son volet, puis il revint prendre sa bougie et rentra dans sa chambre.

    La précaution était utile ; on se souvient que sa fenêtre pouvait être aperçue de la rue.

    Il jeta un coup d’œil autour de lui, sur sa table, sur sa chaise, sur son lit qui n’avait pas été défait depuis trois jours. Il ne restait aucune trace du désordre de l’avant-dernière nuit, La portière avait « fait la chambre ». Seulement elle avait ramassé dans les cendres et posé proprement sur la table les deux bouts du bâton ferré et la pièce de quarante sous noircie par le feu.

    Il prit une feuille de papier sur laquelle il écrivit : Voici les deux bouts de mon bâton ferré et la pièce de quarante sous volée à Petit-Gervais dont j’ai parlé à la cour d’assises, et il posa sur cette feuille la pièce d’argent et les deux morceaux de fer, de façon que ce fût la première chose qu’on aperçût en entrant dans la chambre. Il tira d’une armoire une vieille chemise à lui qu’il déchira. Cela fit quelques morceaux de toile dans lesquels il emballa les deux flambeaux d’argent. Du reste il n’avait ni hâte ni agitation, et, tout en emballant les chandeliers de l’évêque, il mordait dans un morceau de pain noir. Il est probable que c’était le pain de la prison qu’il avait emporté en s’évadant.

    Ceci a été constaté par les miettes de pain qui furent trouvées sur le carreau de la chambre, lorsque la justice plus tard fit une perquisition.

    On frappa deux petits coups à la porte.

    Entrez, dit-il. C’était la sœur Simplice.

    Elle était pâle, elle avait les yeux rouges, la chandelle qu’elle tenait vacillait dans sa main. Les violences de la destinée ont cela de particulier que, si perfectionnés ou si refroidis que nous soyons, elles nous tirent du fond des entrailles la nature humaine et la forcent de reparaître au dehors. Dans les émotions de cette journée, la religieuse était redevenue femme. Elle avait pleuré, et elle tremblait.

    Jean Valjean venait d’écrire quelques lignes sur un papier qu’il tendit à la religieuse en disant : — Ma sœur, vous remettrez ceci à monsieur le curé.

    Le papier était déplié. Elle y jeta les yeux.

    Vous pouvez lire, dit-il.

    Elle lut : — « Je prie monsieur le curé de veiller sur

    Javert aperçut la sœur et s’arrêta interdit.

    On se rappelle que le fond même de Javert, son élément, son milieu respirable, c’était la vénération de toute autorité. Il était tout d’une pièce et n’admettait ni objection, ni restriction. Pour lui, bien entendu, l’autorité ecclésiastique était la première de toutes ; il était religieux, superficiel et correct sur ce point comme sur tous. À ses yeux un prêtre était un esprit qui ne se trompe pas, une religieuse était une créature qui ne pèche pas. C’étaient des âmes murées à ce monde avec une seule porte qui ne s’ouvrait jamais que pour laisser sortir la vérité.

    En apercevant la sœur, son premier mouvement fut de se retirer.

    Cependant il y avait aussi un autre devoir qui le tenait, et qui le poussait impérieusement en sens inverse. Son second mouvement fut de rester et de hasarder au moins une question.

    C’était cette sœur Simplice qui n’avait menti de sa vie. Javert le savait, et la vénérait particulièrement à cause de cela.

    Ma sœur, dit-il, êtes-vous seule dans cette chambre ?

    Il y eut un moment affreux pendant lequel la pauvre portière se sentit défaillir.

    La sœur leva les yeux et répondit :

    Oui.

    Ainsi, reprit Javert, excusez-moi si j’insiste, c’est mon devoir, vous n’avez pas vu ce soir une personne, un homme ? Il s’est évadé, nous le cherchons, — ce nommé Jean Valjean, vous ne l’avez pas vu ?

    La sœur répondit : — Non.

    Elle mentit deux fois de suite, coup sur coup, sans hésiter, rapidement, comme on se dévoue.

    Pardon, dit Javert ; et il se retira en saluant profondément.

    Ô sainte fille ! vous n’êtes plus de ce monde depuis beaucoup d’années ; vous avez rejoint dans la lumière vos sœurs les vierges et vos frères les anges ; que ce mensonge vous soit compté dans le paradis !

    L’affirmation de la sœur fut pour Javert quelque chose de si décisif qu’il ne remarqua même pas la singularité de cette bougie qu’on venait de souffler et qui fumait sur la table.

    Une heure après, un homme, marchant à travers les arbres et les brumes, s’éloignait rapidement de Montreuil-sur-Mer dans la direction de Paris. Cet homme était Jean Valjean. Il a été établi, par le témoignage de deux ou trois rouliers qui l’avaient rencontré, qu’il portait un paquet et qu’il était vêtu d’une blouse. Où avait-il pris cette blouse ? On ne l’a jamais su. Cependant un vieux ouvrier était mort quelques jours auparavant à l’infirmerie de la fabrique, ne laissant que sa blouse. C’était peut-être celle-là.

    Un dernier mot sur Fantine.

    Nous avons tous une mère, la terre. On rendit Fantine à cette mère.

    Le curé crut bien faire, et fit bien peut-être, en réservant, sur ce que Jean Valjean avait laissé, le plus d’argent possible aux pauvres. Après tout, de quoi s’agissait-il ? d’un forçat et d’une fille publique. C’est pourquoi il simplifia l’enterrement de Fantine, et le réduisit à ce strict nécessaire qu’on appelle la fosse commune.

    Fantine fut donc enterrée dans le coin gratis du cimetière qui est à tous et à personne, et où l’on perd les pauvres. Heureusement Dieu sait où retrouver l’âme. On coucha Fantine dans les ténèbres parmi les premiers os venus ; elle subit la promiscuité des cendres. Elle fut jetée à la fosse publique. Sa tombe ressembla à son lit.


     

    I


     

    CE QU’ON RENCONTRE EN VENANT
    DE NIVELLES


     

    L’an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux rangées d’arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des collines qui viennent l’une après l’autre, soulèvent la route et la laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l’ouest, le clocher d’ardoise de Braine-l’Alleud qui a la forme d’un vase renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une hauteur, et, à l’angle d’un chemin de traverse, à côté d’une espèce de potence vermoulue portant l’inscription : Ancienne barrière n° 4, un cabaret ayant sur sa façade cet écriteau : Au quatre vents. Échabeau, café de particulier.

    Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au fond d’un petit vallon où il y a de l’eau qui passe sous une arche pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d’arbres, clair-semé mais très vert, qui emplit le vallon d’un côté de la chaussée, s’éparpille de l’autre dans les prairies et s’en va avec grâce et comme en désordre vers Braine-l’Alleud.

    Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près d’une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une échelle le long d’un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune, probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au vent. À l’angle de l’auberge, à côté d’une mare où naviguait une flottille de canards, un sentier mal pavé s’enfonçait dans les broussailles. Ce passant y entra.

    Au bout d’une centaine de pas, après avoir longé un mur du quinzième siècle surmonté d’un pignon aigu à briques contrariées, il se trouva en présence d’une grande porte de pierre cintrée, avec imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de deux médaillons plans. Une façade sévère dominait cette porte ; un mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et la flanquait d’un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour clôture deux battants décrépits ornés d’un vieux marteau rouillé.

    Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait éperdument dans un grand arbre.

    Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation circulaire ressemblant à l’alvéole d’une sphère. En ce moment les battants s’écartèrent et une paysanne sortit.

    Elle vit le passant et aperçut ce qu’il regardait.

    C’est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle ajouta :

    Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d’un clou, c’est le trou d’un gros biscaïen. Le biscaïen n’a pas traversé le bois.

    Comment s’appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.

    Hougomont, dit la paysanne.

    Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s’en alla regarder au-dessus des haies. Il aperçut à l’horizon à travers les arbres une espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin, ressemblait à un lion.

    Il était dans le champ de bataille de Waterloo.


     

    II


     

    HOUGOMONT


     

    Hougomont, ce fut là un lieu funèbre, le commencement de l’obstacle, la première résistance que rencontra à Waterloo ce grand bûcheron de l’Europe qu’on appelait Napoléon ; le premier nœud sous le coup de hache.

    C’était un château, ce n’est plus qu’une ferme. Hougomont, pour l’antiquaire, c’est Hugomons. Ce manoir fut bâti par Hugo, sire de Somerel, le même qui dota la sixième chapellenie de l’abbaye de Villiers.

    Le passant poussa la porte, coudoya sous un porche une vieille calèche, et entra dans la cour.

    La première chose qui le frappa dans ce préau, ce fut une porte du seizième siècle qui y simule une arcade, tout étant tombé autour d’elle. L’aspect monumental naît souvent de la ruine. Auprès de l’arcade s’ouvre dans un mur une autre porte avec claveaux du temps de Henri IV, laissant voir les arbres d’un verger. À côté de cette porte un trou à fumier, des pioches et des pelles, quelques charrettes, un vieux puits avec sa dalle et son tourniquet de fer, un poulain qui saute, un dindon qui fait la roue, une chapelle que surmonte un petit clocher, un poirier en fleur en espalier sur le mur de la chapelle, voilà cette cour dont la conquête fut un rêve de Napoléon. Ce coin de terre, s’il eût pu le prendre, lui eût peut-être donné le monde. Des poules y éparpillent du bec la poussière. On entend un grondement, c’est un gros chien qui montre les dents et qui remplace les Anglais.

    Les Anglais là ont été admirables. Les quatre compagnies des gardes de Cooke y ont tenu tête pendant sept heures à l’acharnement d’une armée.

    Hougomont, vu sur la carte, en plan géométral, bâtiments et enclos compris, présente une espèce de rectangle irrégulier dont un angle aurait été entaillé. C’est à cet angle qu’est la porte méridionale gardée par ce mur qui la fusille à bout portant. Hougomont a deux portes, la porte méridionale, celle du château, et la porte septentrionale, celle de la ferme. Napoléon envoya contre Hougomont son frère Jérôme ; les divisions Guilleminot, Foy et Bachelu s’y heurtèrent, presque tout le corps de Reille y fut employé et y échoua, les boulets de Kellermann s’épuisèrent sur cet héroïque pan de mur. Ce ne fut pas trop de la brigade Bauduin pour forcer Hougomont au nord, et la brigade Soye ne put que l’entamer au sud, sans le prendre.

    Les bâtiments de la ferme bordent la cour au sud. Un morceau de la porte nord, brisée par les Français, pend accroché au mur. Ce sont quatre planches clouées sur deux traverses, et où l’on distingue les balafres de l’attaque.

    La porte septentrionale, enfoncée par les français, et à laquelle on a mis une pièce pour remplacer le panneau suspendu à la muraille, s’entrebâille au fond du préau ; elle est coupée carrément dans un mur, de pierre en bas, de brique en haut, qui ferme la cour au nord. C’est une simple porte charretière comme il y en a dans toutes les métairies, deux larges battants faits de planches rustiques ; au delà, des prairies. La dispute de cette entrée a été furieuse. On a longtemps vu sur le montant de la porte toutes sortes d’empreintes de mains sanglantes. C’est là que Bauduin fut tué.

    L’orage du combat est encore dans cette cour ; l’horreur y est visible ; le bouleversement de la mêlée s’y est pétrifié ; cela vit, cela meurt ; c’était hier. Les murs agonisent, les pierres tombent, les brèches crient ; les trous sont des plaies ; les arbres penchés et frissonnants semblent faire effort pour s’enfuir.

    Cette cour, en 1815, était plus bâtie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Des constructions qu’on a depuis jetées bas y faisaient des redans, des angles et des coudes d’équerre.

    Les anglais s’y étaient barricadés ; les français y pénétrèrent, mais ne purent s’y maintenir. À côté de la chapelle, une aile du château, le seul débris qui reste du manoir d’Hougomont, se dresse écroulée, on pourrait dire éventrée. Le château servit de donjon, la chapelle servit de blockhaus. On s’y extermina. Les français, arquebusés de toutes parts, de derrière les murailles, du haut des greniers, du fond des caves, par toutes les croisées, par tous les soupiraux, par toutes les fentes des pierres, apportèrent des fascines et mirent le feu aux murs et aux hommes ; la mitraille eut pour réplique l’incendie.

    On entrevoit dans l’aile ruinée, à travers des fenêtres garnies de barreaux de fer, les chambres démantelées d’un corps de logis en brique ; les gardes anglaises étaient embusquées dans ces chambres ; la spirale de l’escalier, crevassé du rez-de-chaussée jusqu’au toit, apparaît comme l’intérieur d’un coquillage brisé. L’escalier a deux étages ; les anglais, assiégés dans l’escalier, et massés sur les marches supérieures, avaient coupé les marches inférieures. Ce sont de larges dalles de pierre bleue qui font un monceau dans les orties. Une dizaine de marches tiennent encore au mur ; sur la première est entaillée l’image d’un trident. Ces degrés inaccessibles sont solides dans leurs alvéoles. Tout le reste ressemble à une mâchoire édentée. Deux vieux arbres sont là ; l’un est mort, l’autre est blessé au pied, et reverdit en avril. Depuis 1815, il s’est mis à pousser à travers l’escalier.

    On s’est massacré dans la chapelle. Le dedans, redevenu calme, est étrange. On n’y a plus dit la messe depuis le carnage. Pourtant l’autel y est resté, un autel de bois grossier adossé à un fond de pierre brute. Quatre murs lavés au lait de chaux, une porte vis-à-vis l’autel, deux petites fenêtres cintrées, sur la porte un grand crucifix de bois, au-dessus du crucifix un soupirail carré bouché d’une botte de foin, dans un coin à terre un vieux châssis vitré tout cassé, telle est cette chapelle. Près de l’autel est clouée une statue en bois de sainte Anne, du quinzième siècle ; la tête de l’enfant Jésus a été emportée par un biscaïen. Les français, maîtres un moment de la chapelle, puis délogés, l’ont incendiée. Les flammes ont rempli cette masure ; elle a été fournaise ; la porte a brûlé, le plancher a brûlé, le christ, en bois, n’a pas brûlé. Le feu lui a rongé les pieds dont on ne voit plus que les moignons noircis, puis s’est arrêté. Miracle, au dire des gens du pays. L’enfant Jésus, décapité, n’a pas été aussi heureux que le christ.

    Les murs sont couverts d’inscriptions. Près des pieds du Christ on lit ce nom : Henquinez. Puis ces autres : Conde de Rio Maïor. Marques y Marquesa de Almagro (Habana). Il y a des noms français avec des points d’exclamation, signes de colère. On a reblanchi le mur en 1849. Les nations s’y insultaient.

    C’est à la porte de cette chapelle qu’a été ramassé un cadavre qui tenait une hache à la main. Ce cadavre était le sous-lieutenant Legros.

    On sort de la chapelle, et à gauche on voit un puits. Il y en a deux dans cette cour. On demande : pourquoi n’y a-t-il pas de seau et de poulie à celui-ci ? C’est qu’on n’y puise plus d’eau. Pourquoi n’y puise-t-on plus d’eau ? Parce qu’il est plein de squelettes.

    Le dernier qui ait tiré de l’eau de ce puits se nommait Guillaume Van Kylsom. C’était un paysan qui habitait Hougomont et y était jardinier. Le 18 juin 1815, sa famille prit la fuite et s’alla cacher dans les bois.

    La forêt autour de l’abbaye de Villiers abrita pendant plusieurs jours et plusieurs nuits toutes ces malheureuses populations dispersées. Aujourd’hui encore de certains vestiges reconnaissables, tels que de vieux troncs d’arbres brûlés, marquent la place de ces pauvres bivouacs tremblants au fond des halliers.

    Guillaume Van Kylsom demeura à Hougomont « pour garder le château » et se blottit dans une cave. Les anglais l’y découvrirent. On l’arracha de sa cachette, et, à coups de plat de sabre, les combattants se firent servir par cet homme effrayé. Ils avaient soif ; ce Guillaume leur portait à boire. C’est à ce puits qu’il puisait l’eau. Beaucoup burent là leur dernière gorgée. Ce puits, où burent tant de morts, devait mourir lui aussi.

    Après l’action, on eut une hâte : enterrer les cadavres. La mort a une façon à elle de harceler la victoire, et elle fait suivre la gloire par la peste. Le typhus est une annexe du triomphe. Ce puits était profond, on en fit un sépulcre. On y jeta trois cents morts. Peut-être avec trop d’empressement. Tous étaient-ils morts ? la légende dit non. Il parait que, la nuit qui suivit l’ensevelissement, on entendit sortir du puits des voix faibles qui appelaient.

    Ce puits est isolé au milieu de la cour. Trois murs mi-partis pierre et brique, repliés comme les feuilles d’un paravent et simulant une tourelle carrée, l’entourent de trois côtés. Le quatrième côté est ouvert. C’est par là qu’on puisait l’eau. Le mur du fond a une façon d’œil-de-bœuf informe, peut-être un trou d’obus. Cette tourelle avait un plafond dont il ne reste que les poutres. La ferrure de soutènement du mur de droite dessine une croix. On se penche, et l’œil se perd dans un profond cylindre de brique qu’emplit un entassement de ténèbres. Tout autour du puits, le bas des murs disparaît dans les orties.

    Ce puits n’a point pour devanture la large dalle bleue qui sert de tablier à tous les puits de Belgique. La dalle bleue y est remplacée par une traverse à laquelle s’appuient cinq ou six difformes tronçons de bois, noueux et ankylosés, qui ressemblent à de grands ossements. Il n’a plus ni seau, ni chaîne, ni poulie ; mais il a encore la cuvette de pierre qui servait de déversoir. L’eau des pluies s’y amasse, et de temps en temps un oiseau des forêts voisines vient y boire et s’envole.

    Une maison dans cette ruine, la maison de la ferme, est encore habitée. La porte de cette maison donne sur la cour. À côté d’une jolie plaque de serrure gothique il y a sur cette porte une poignée de fer à trèfles, posée de biais. Au moment où le lieutenant hanovrien Wilda saisissait cette poignée pour se réfugier dans la ferme, un sapeur français lui abattit la main d’un coup de hache.

    La famille qui occupe la maison a pour grand-père l’ancien jardinier Van Kylsom, mort depuis longtemps. Une femme en cheveux gris nous dit : ― J’étais là. J’avais trois ans. Ma sœur, plus grande, avait peur et pleurait. On nous a emportées dans les bois. J’étais dans les bras de ma mère. On se collait l’oreille à terre pour écouter. Moi, j’imitais le canon et je faisais boum, boum.

    Une porte de la cour, à gauche, nous l’avons dit, donne dans le verger.

    Le verger est terrible.

    Il est en trois parties, on pourrait presque dire en trois actes. La première partie est un jardin, la deuxième est le verger, la troisième est un bois. Ces trois parties ont une enceinte commune, du côté de l’entrée les bâtiments du château et de la ferme, à gauche une haie, à droite un mur, au fond un mur. Le mur de droite est en brique, le mur du fond est en pierre. On entre dans le jardin d’abord. Il est en contre-bas, planté de groseilliers, encombré de végétations sauvages, fermé d’un terrassement monumental en pierre de taille avec balustres à double renflement. C’était un jardin seigneurial dans ce premier style français qui a précédé Lenôtre ; ruine et ronce aujourd’hui. Les pilastres sont surmontés de globes qui semblent des boulets de pierre. On compte encore quarante-trois balustres sur leurs dés ; les autres sont couchés dans l’herbe. Presque tous ont des éraflures de mousqueterie. Un balustre brisé est posé sur l’étrave comme une jambe cassée.

    C’est dans ce jardin, plus bas que le verger, que six voltigeurs du 1er léger, ayant pénétré là et n’en pouvant plus sortir, pris et traqués comme des ours dans leur fosse, acceptèrent le combat avec deux compagnies hanovriennes, dont une était armée de carabines. Les hanovriens bordaient ces balustres et tiraient d’en haut. Ces voltigeurs, ripostant d’en bas, six contre deux cents, intrépides, n’ayant pour abri que les groseilliers, mirent un quart d’heure à mourir.

    On monte quelques marches, et du jardin on passe dans le verger proprement dit. Là, dans ces quelques toises carrées, quinze cents hommes tombèrent en moins d’une heure. Le mur semble prêt à recommencer le combat. Les trente-huit meurtrières percées par les anglais à des hauteurs irrégulières, y sont encore. Devant la seizième sont couchées deux tombes anglaises en granit. Il n’y a de meurtrières qu’au mur sud, l’attaque principale venait de là. Ce mur est caché au dehors par une grande haie vive ; les français arrivèrent, croyant n’avoir affaire qu’à la haie, la franchirent, et trouvèrent le mur, obstacle et embuscade, les gardes anglaises derrière, les trente-huit meurtrières faisant feu à la fois, un orage de mitraille et de balles ; et la brigade Soye s’y brisa. Waterloo commença ainsi.

    Le verger pourtant fut pris. On n’avait pas d’échelles, les français grimpèrent avec les ongles. On se battit corps à corps sous les arbres. Toute cette herbe a été mouillée de sang. Un bataillon de Nassau, sept cents hommes, fut foudroyé là. Au dehors le mur, contre lequel furent braquées les deux batteries de Kellermann, est rongé par la mitraille.

    Ce verger est sensible comme un autre au mois de mai. Il a ses boutons d’or et ses pâquerettes, l’herbe y est haute, des chevaux de charrue y paissent, des cordes de crin où sèche du linge traversent les intervalles des arbres et font baisser la tête aux passants, on marche dans cette friche et le pied enfonce dans les trous de taupes. Au milieu de l’herbe on remarque un tronc déraciné, gisant, verdissant. Le major Blackmann s’y est adossé pour expirer. Sous un grand arbre voisin est tombé le général allemand Duplat, d’une famille française réfugiée à la révocation de l’édit de Nantes. Tout à côté se penche un vieux pommier malade pansé avec un bandage de paille et de terre glaise. Presque tous les pommiers tombent de vieillesse. Il n’y en a pas un qui n’ait sa balle ou son biscaïen. Les squelettes d’arbres morts abondent dans ce verger. Les corbeaux volent dans les branches, au fond il y a un bois plein de violettes.

    Bauduin tué, Foy blessé, l’incendie, le massacre, le carnage, un ruisseau fait de sang anglais, de sang allemand et de sang français, furieusement mêlés, un puits comblé de cadavres, le régiment de Nassau et le régiment de Brunswick détruits, Duplat tué, Blackmann tué, les gardes anglaises mutilées, vingt bataillons français, sur les quarante du corps de Reille, décimés, trois mille hommes, dans cette seule masure de Hougomont, sabrés, écharpés, égorgés, fusillés, brûlés ; et tout cela pour qu’aujourd’hui un paysan dise à un voyageur : Monsieur, donnez-moi trois francs ; si vous aimez, je vous expliquerai la chose de Waterloo !


     

    III


     

    LE 18 JUIN 1815


     

    Retournons en arrière, c’est un des droits du narrateur, et replaçons-nous en l’année 1815, et même un peu avant l’époque où commence l’action racontée dans la première partie de ce livre.

    S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde.

    La bataille de Waterloo, et ceci a donné à Blücher le temps d’arriver, n’a pu commencer qu’à onze heures et demie. Pourquoi ? Parce que la terre était mouillée. Il a fallu attendre un peu de raffermissement pour que l’artillerie pût manœuvrer.

    Napoléon était officier d’artillerie, et il s’en ressentait. Le fond de ce prodigieux capitaine, c’était l’homme qui, dans le rapport au Directoire sur Aboukir, disait : Tel de nos boulets a tué six hommes. Tous ses plans de bataille sont faits pour le projectile. Faire converger l’artillerie sur un point donné, c’était là sa clef de victoire. Il traitait la stratégie du général ennemi comme une citadelle, et il la battait en brèche. Il accablait le point faible de mitraille ; il nouait et dénouait les batailles avec le canon. Il y avait du tir dans son génie. Enfoncer les carrés, pulvériser les régiments, rompre les lignes, broyer et disperser les masses, tout pour lui était là, frapper, frapper, frapper sans cesse, et il confiait cette besogne au boulet. Méthode redoutable, et qui, jointe au génie, a fait invincible pendant quinze ans ce sombre athlète du pugilat de la guerre.

    Le 18 juin 1815, il comptait d’autant plus sur l’artillerie qu’il avait pour lui le nombre. Wellington n’avait que cent cinquante-neuf bouches à feu ; Napoléon en avait deux cent quarante.

    Supposez la terre sèche, l’artillerie pouvant rouler, l’action commençait à six heures du matin. La bataille était gagnée et finie à deux heures, trois heures avant la péripétie prussienne.

    Quelle quantité de faute y a-t-il de la part de Napoléon dans la perte de cette bataille ? le naufrage est-il imputable au pilote ?

    Le déclin physique évident de Napoléon se compliquait-il à cette époque d’une certaine diminution intérieure ? les vingt ans de guerre avaient-ils usé la lame comme le fourreau, l’âme comme le corps ? le vétéran se faisait-il fâcheusement sentir dans le capitaine ? en un mot, ce génie, comme beaucoup d’historiens considérables l’ont cru, s’éclipsait-il ? entrait-il en frénésie pour se déguiser à lui-même son affaiblissement ? commençait-il à osciller sous l’égarement d’un souffle d’aventure ? devenait-il, chose grave dans un général, inconscient du péril ? dans cette classe de grands hommes matériels qu’on peut appeler les géants de l’action, y a-t-il un âge pour la myopie du génie ? La vieillesse n’a pas de prises sur les génies de l’idéal ; pour les Dantes et les Michel-Anges, vieillir, c’est croître ; pour les Annibals et les Bonapartes, est-ce décroître ? Napoléon avait-il perdu le sens direct de la victoire ? en était-il à ne plus reconnaître l’écueil, à ne plus deviner le piége, à ne plus discerner le bord croulant des abîmes ? manquait-il du flair des catastrophes ? lui qui jadis savait toutes les routes du triomphe et qui, du haut de son char d’éclairs, les indiquait d’un doigt souverain, avait-il maintenant cet ahurissement sinistre de mener aux précipices son tumultueux attelage de légions ? était-il pris, à quarante-six ans, d’une folie suprême ? ce cocher titanique du destin n’était-il plus qu’un immense casse-cou ?

    Nous ne le pensons point.

    Son plan de bataille était, de l’aveu de tous, un chef-d’œuvre. Aller droit au centre de la ligne alliée, faire un trou dans l’ennemi, le couper en deux, pousser la moitié britannique sur Hal et la moitié prussienne sur Tongres, faire de Wellington et de Blücher deux tronçons, enlever Mont-Saint-Jean, saisir Bruxelles, jeter l’allemand dans le Rhin et l’anglais dans la mer. Tout cela, pour Napoléon, était dans cette bataille. Ensuite on verrait.

    Il va sans dire que nous ne prétendons pas faire ici l’histoire de Waterloo ; une des scènes génératrices du drame que nous racontons se rattache à cette bataille, mais cette histoire n’est pas notre sujet ; cette histoire d’ailleurs est faite, et faite magistralement, à un point de vue par Napoléon, à l’autre point de vue par toute une pléiade d’historiens [1]. Quant à nous, nous laissons les historiens aux prises ; nous ne sommes qu’un témoin à distance, un passant dans la plaine, un chercheur penché sur cette terre pétrie de chair humaine, prenant peut-être des apparences pour des réalités ; nous n’avons pas le droit de tenir tête, au nom de la science, à un ensemble de faits où il y a sans doute du mirage, nous n’avons ni la pratique militaire ni la compétence stratégique qui autorisent un système ; selon nous, un enchaînement de hasards domine à Waterloo les deux capitaines ; et quand il s’agit du destin, ce mystérieux accusé, nous jugeons comme le peuple, ce juge naïf.


     

    IV


     

    A


     

    Ceux qui veulent se figurer nettement la bataille de Waterloo n’ont qu’à coucher sur le sol par la pensée un A majuscule. Le jambage gauche de l’A est la route de Nivelles, le jambage droit est la route de Genappe, la corde de l’A est le chemin creux d’Ohain à Braine-l’Alleud. Le sommet de l’A est Mont-Saint-Jean, là est Wellington ; la pointe gauche inférieure est Hougomont, là est Reille avec Jérôme Bonaparte ; la pointe droite inférieure est la Belle-Alliance, là est Napoléon. Un peu au-dessous du point où la corde de l’A rencontre et coupe le jambage droit est la Haie-Sainte. Au milieu de cette corde est le point précis où s’est dit le mot final de la bataille. C’est là qu’on a placé le lion, symbole involontaire du suprême héroïsme de la garde impériale.

    Le triangle compris au sommet de l’A, entre les deux jambages et la corde, est le plateau de Mont-Saint-Jean. La dispute de ce plateau fut toute la bataille.

    Les ailes des deux armées s’étendent à droite et à gauche des deux routes de Genappe et de Nivelles ; d’Erlon faisant face à Picton, Reille faisant face à Hill.

    Derrière la pointe de l’A, derrière le plateau de Mont-Saint-Jean, est la forêt de Soignes.

    Quant à la plaine en elle-même, qu’on se représente un vaste terrain ondulant ; chaque pli domine le pli suivant, et toutes les ondulations montent vers Mont-Saint-Jean, et y aboutissent à la forêt.

    Deux troupes ennemies sur un champ de bataille sont deux lutteurs. C’est un bras-le-corps. L’une cherche à faire glisser l’autre. On se cramponne à tout ; un buisson est un point d’appui ; un angle de mur est un épaulement ; faute d’une bicoque où s’adosser, un régiment lâche pied ; un ravalement de la plaine, un mouvement de terrain, un sentier transversal à propos, un bois, un ravin, peuvent arrêter le talon de ce colosse qu’on appelle une armée et l’empêcher de reculer. Qui sort du champ est perdu. De là, pour le chef responsable, la nécessité d’examiner la moindre touffe d’arbres et d’approfondir le moindre relief.

    Les deux généraux avaient attentivement étudié la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd’hui plaine de Waterloo. Dès l’année précédente, Wellington, avec une sagacité prévoyante, l’avait examinée comme un en-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon côté, Napoléon le mauvais. L’armée anglaise était en haut, l’armée française en bas.

    Esquisser ici l’aspect de Napoléon à cheval, sa lunette à la main, sur la hauteur de Rossomme, à l’aube du 18 juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu’on le montre, tout le monde l’a vu. Ce profil calme sous le petit chapeau de l’école de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote cachant les épaulettes, l’angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse de velours pourpre ayant aux coins des N couronnées et des aigles, les bottes à l’écuyère sur des bas de soie, les éperons d’argent, l’épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, acclamée des uns, sévèrement regardée par les autres.

    Cette figure a été longtemps toute dans la lumière ; cela tenait à un certain obscurcissement légendaire que la plupart des héros dégagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vérité ; mais aujourd’hui l’histoire et le jour se font.

    Cette clarté, l’histoire, est impitoyable ; elle a cela d’étrange et de divin que, toute lumière qu’elle est et précisément parce qu’elle est lumière, elle met souvent de l’ombre là où l’on voyait des rayons ; du même homme elle fait deux fantômes différents, et l’un attaque l’autre, et en fait justice, et les ténèbres du despote luttent avec l’éblouissement du capitaine. De là une mesure plus vraie dans l’appréciation définitive des peuples. Babylone violée diminue Alexandre ; Rome enchaînée diminue César ; Jérusalem tuée diminue Titus. La tyrannie suit le tyran. C’est un malheur pour un homme de laisser derrière lui de la nuit qui a sa forme.


     

    V


     

    LE « QUID OBSCURUM » DES BATAILLES


     

    Tout le monde connaît la première phase de cette bataille ; début trouble, incertain, hésitant, menaçant pour les deux armées, mais pour les anglais plus encore que pour les français.

    Il avait plu toute la nuit ; la terre était défoncée par l’averse ; l’eau s’était çà et là amassée dans les creux de la plaine, comme dans des cuvettes ; sur de certains points les équipages du train en avaient jusqu’à l’essieu ; les sous-ventrières des attelages dégouttaient de boue liquide ; si les blés et les seigles couchés par cette cohue de charrois en masse n’eussent comblé les ornières et fait litière sous les roues, tout mouvement, particulièrement dans les vallons du côté de Papelotte, eût été impossible.

    L’affaire commença tard ; Napoléon, nous l’avons expliqué, avait l’habitude de tenir toute l’artillerie dans sa main comme un pistolet, visant tantôt tel point, tantôt tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre que les batteries attelées pussent rouler et galoper librement ; il fallait pour cela que le soleil parût et séchât le sol. Mais le soleil ne parut pas. Ce n’était plus le rendez-vous d’Austerlitz. Quand le premier coup de canon fut tiré, le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu’il était onze heures trente-cinq minutes.

    L’action s’engagea avec furie, plus de furie peut-être que l’empereur n’eût voulu, par l’aile gauche française sur Hougomont. En même temps Napoléon attaqua le centre en précipitant la brigade Quiot sur la Haie-Sainte, et Ney poussa l’aile droite française contre l’aile gauche anglaise qui s’appuyait sur Papelotte.

    L’attaque sur Hougomont avait quelque simulation ; attirer là Wellington, le faire pencher à gauche, tel était le plan. Ce plan eût réussi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la division Perponcher n’eussent solidement gardé la position, et Wellington, au lieu de s’y masser, put se borner à y envoyer, pour tout renfort, quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.

    L’attaque de l’aile droite française sur Papelotte était à fond ; culbuter la gauche anglaise, couper la route de Bruxelles, barrer le passage aux prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington sur Hougomont, de là sur Braine-l’Alleud, de là sur Hal, rien de plus net. À part quelques incidents, cette attaque réussit. Papelotte fut pris ; la Haie-Sainte fut enlevée.

    Détail à noter. Il y avait dans l’infanterie anglaise, particulièrement dans la brigade de Kempt, force recrues. Ces jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants ; leur inexpérience se tira intrépidement d’affaire ; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs ; le soldat en tirailleur, un peu livré à lui-même, devient pour ainsi dire son propre général ; ces recrues montrèrent quelque chose de l’invention et de la furie françaises. Cette infanterie novice eut de la verve. Ceci déplut à Wellington.

    Après la prise de la Haie-Sainte, la bataille vacilla.

    Il y a dans cette journée, de midi à quatre heures, un intervalle obscur ; le milieu de cette bataille est presque indistinct et participe du sombre de la mêlée. Le crépuscule s’y fait. On aperçoit de vastes fluctuations dans cette brume, un mirage vertigineux, l’attirail de guerre d’alors presque inconnu aujourd’hui, les colbacks à flamme, les sabretaches flottantes, les buffleteries croisées, les gibernes à grenade, les dolmans des hussards, les bottes rouges à mille plis, les lourds shakos enguirlandés de torsades, l’infanterie presque noire de Brunswick mêlée à l’infanterie écarlate d’Angleterre, les soldats anglais ayant aux entournures pour épaulettes de gros bourrelets blancs circulaires, les chevau-légers hanovriens avec leur casque de cuir oblong à bandes de cuivre et à crinières de crins rouges, les écossais aux genoux nus et aux plaids quadrillés, les grandes guêtres blanches de nos grenadiers, des tableaux, non des lignes stratégiques, ce qu’il faut à Salvator Rosa, non ce qu’il faut à Gribeauval.

    Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une bataille. Quid obscurum, quid divinum. Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle. Quelle que soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a d’incalculables reflux ; dans l’action, les deux plans des deux chefs entrent l’un dans l’autre et se déforment l’un par l’autre. Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l’eau qu’on y jette. On est obligé de reverser là plus de soldats qu’on ne voudrait. Dépenses qui sont l’imprévu. La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres ; où était l’artillerie, accourt la cavalerie ; les bataillons sont des fumées. Il y avait là quelque chose, cherchez, c’est disparu ; les éclaircies se déplacent ; les plis sombres avancent et reculent ; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques. Qu’est-ce qu’une mêlée ? une oscillation. L’immobilité d’un plan mathématique exprime une minute et non une journée. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres qui aient du chaos dans le pinceau ; Rembrandt vaut mieux que Vandermeulen. Vandermeulen, exact à midi, ment à trois heures. La géométrie trompe ; l’ouragan seul est vrai. C’est ce qui donne à Folard le droit de contredire Polybe. Ajoutons qu’il y a toujours un certain instant où la bataille dégénère en combat, se particularise, et s’éparpille en d’innombrables faits de détail qui, pour emprunter l’expression de Napoléon lui-même, « appartiennent plutôt à la biographie des régiments qu’à l’histoire de l’armée ». L’historien, en ce cas, a le droit évident de résumé. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n’est donné à aucun narrateur, si consciencieux qu’il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible qu’on appelle une bataille.

    Ceci, qui est vrai de tous les grands chocs armés, est particulièrement applicable à Waterloo.

    Toutefois, dans l’après-midi, à un certain moment, la bataille se précisa.


     


     

    VI


     

    QUATRE HEURES DE L’APRÈS-MIDI


     

    Vers quatre heures, la situation de l’armée anglaise était grave. Le prince d’Orange commandait le centre, Hill l’aile droite, Picton l’aile gauche. Le prince d’Orange, éperdu et intrépide, criait aux hollando-belges : Nassau ! Brunswick ! jamais en arrière ! Hill, affaibli, venait s’adosser à Wellington, Picton était mort. Dans la même minute où les anglais avaient enlevé aux français le drapeau du 105e de ligne, les français avaient tué aux anglais le général Picton d’une balle à travers la tête. La bataille, pour Wellington, avait deux points d’appui, Hougomont et la Hale-Sainte ; Hougomont tenait encore, mais brûlait ; la Haie-Sainte était prise. Du bataillon allemand qui la défendait, quarante-deux hommes seulement survivaient ; tous les officiers, moins cinq, étaient morts ou pris. Trois mille combattants s’étaient massacrés dans cette grange. Un sergent des gardes anglaises, le premier boxeur de l’Angleterre, réputé par ses compagnons invulnérable, y avait été tué par un petit tambour français. Baring était délogé. Alten était sabré. Plusieurs drapeaux étaient perdus, dont un de la division Alten, et un du bataillon de Lunebourg porté par un prince de la famille de Deux-Ponts. Les Écossais gris n’existaient plus ; les gros dragons de Ponsonby étaient hachés. Cette vaillante cavalerie avait plié sous les lanciers de Bro et sous les cuirassiers de Travers ; de douze cents chevaux il en restait six cents ; des trois lieutenants-colonels, deux étaient à terre, Hamilton blessé, Mater tué. Ponsonby était tombé, troué de sept coups de lance. Gordon était mort, Marsh était mort. Deux divisions, la cinquième et la sixième, étaient détruites.

    Hougomont entamé, la Haie-Sainte prise, il n’y avait plus qu’un nœud, le centre. Ce nœud-là tenait toujours. Wellington le renforça. Il y appela Hill qui était à Merbe-Braine, il y appela Chassé qui était à Braine-l’Alleud.

    Le centre de l’armée anglaise, un peu concave, très dense et très compact, était fortement situé. Il occupait le plateau de Mont-Saint-Jean, ayant derrière lui le village et devant lui la pente, assez âpre alors. Il s’adossait à cette forte maison de pierre, qui était à cette époque un bien domanial de Nivelles et qui marque l’intersection des routes, masse du seizième siècle si robuste que les boulets y ricochaient sans l’entamer. Tout autour du plateau, les anglais avaient taillé çà et là les haies, fait des embrasures dans les aubépines, mis une gueule de canon entre deux branches, crénelé les buissons. Leur artillerie était en embuscade sous les broussailles. Ce travail punique, incontestablement autorisé par la guerre qui admet le piége, était si bien fait que Haxo, envoyé par l’empereur à neuf heures du matin pour reconnaître les batteries ennemies, n’en avait rien vu, et était revenu dire à Napoléon qu’il n’y avait pas d’obstacle, hors les deux barricades barrant les routes de Nivelles et de Genappe. C’était le moment où la moisson est haute ; sur la lisière du plateau, un bataillon de la brigade de Kempt, le 95e, armé de carabines, était couché dans les grands blés.

    Ainsi assuré et contre-buté, le centre de l’armée anglo-hollandaise était en bonne posture.

    Le péril de cette position était la forêt de Soignes, alors contiguë au champ de bataille et coupée par les étangs de Grœnendael et de Boitsfort. Une armée n’eût pu y reculer sans se dissoudre; les régiments s’y fussent tout de suite désagrégés. L’artillerie s’y fût perdue dans les marais. La retraite, selon l’opinion de plusieurs hommes du métier, contestée par d’autres, il est vrai, eût été là un sauve-qui-peut.

    Wellington ajouta à ce centre une brigade de Chassé, ôtée à l’aile droite, et une brigade de Wincke, ôtée à l’aile gauche, plus la division Clinton. À ses anglais, aux régiments de Halkett, à la brigade de Mitchell, aux gardes de Maitland, il donna comme épaulements et contre-forts l’infanterie de Brunswick, le contingent de Nassau, les hanovriens de Kielmansegge et les allemands d’Ompteda. Cela lui mit sous la main vingt-six bataillons. L’aile droite, comme dit Charras, fut rabattue derrière le centre. Une batterie énorme était masquée par des sacs à terre à l’endroit où est aujourd’hui ce qu’on appelle « le musée de Waterloo ». Wellington avait en outre dans un pli de terrain les dragons-gardes de Somerset, quatorze cents chevaux. C’était l’autre moitié de cette cavalerie anglaise, si justement célèbre. Ponsomby détruit, restait Somerset.

    La batterie, qui, achevée, eût été presque une redoute, était disposée derrière un mur de jardin très bas, revêtu à la hâte d’une chemise de sacs de sable et d’un large talus de terre. Cet ouvrage n’était pas fini ; on n’avait pas eu le temps de le palissader.

    Wellington, inquiet, mais impassible, était à cheval, et y demeura toute la journée dans la même attitude, un peu en avant du vieux moulin de Mont-Saint-Jean, qui existe encore, sous un orme qu’un anglais, depuis, vandale enthousiaste, a acheté deux cents francs, scié et emporté. Wellington fut là froidement héroïque. Les boulets pleuvaient. L’aide de camp Gordon venait de tomber à côté de lui. Lord Hill, lui montrant un obus qui éclatait, lui dit : — Milord, quelles sont vos instructions, et quels ordres nous laissez-vous, si vous vous faites tuer ? — De faire comme moi, répondit Wellington. À Clinton, il dit laconiquement : — Tenir ici jusqu’au dernier homme. — La journée, visiblement, tournait mal. Wellington criait à ses anciens compagnons de Talavera, de Vitoria et de Salamanque : — Boys (garçons) ! est-ce qu’on peut songer à lâcher pied ? pensez à la vieille Angleterre !

    Vers quatre heures, la ligne anglaise s’ébranla en arrière. Tout à coup on ne vit plus sur la crête du plateau que l’artillerie et les tirailleurs, le reste disparut ; les régiments, chassés par les obus et les boulets français, se replièrent dans le fond que coupe encore aujourd’hui le sentier de service de la ferme de Mont-Saint-Jean, un mouvement rétrograde se fit, le front de bataille anglais se déroba, Wellington recula. — Commencement de retraite ! cria Napoléon.


     

    VII


     

    NAPOLÉON DE BELLE HUMEUR


    L’empereur, quoique malade et gêné à cheval par une souffrance locale, n’avait jamais été de si bonne humeur que ce jour-là. Depuis le matin, son impénétrabilité souriait. Le 18 juin 1815, cette âme profonde, masquée de marbre, rayonnait aveuglément. L’homme qui avait été sombre à Austerlitz fut gai à Waterloo. Les plus grands prédestinés font de ces contre-sens. Nos joies sont de l’ombre. Le suprême sourire est à Dieu.

    Ridet Caesar, Pompeius flebit, disaient les légionnaires de la légion Fulminatrix. Pompée cette fois ne devait pas pleurer, mais il est certain que César riait.

    Dès la veille, la nuit, à une heure, explorant à cheval, sous l’orage et sous la pluie, avec Bertrand, les collines qui avoisinent Rossomme, satisfait de voir la longue ligne des feux anglais illuminant tout l’horizon de Frischemont à Braine-l’Alleud, il lui avait semblé que le destin assigné par lui à jour fixe sur le champ de Waterloo, était exact ; il avait arrêté son cheval, et était demeuré quelque temps immobile, regardant les éclairs, écoutant le tonnerre, et on avait entendu ce fataliste jeter dans l’ombre cette parole mystérieuse : « Nous sommes d’accord. » Napoléon se trompait. Ils n’étaient plus d’accord.

    Il n’avait pas pris une minute de sommeil, tous les instants de cette nuit-là avaient été marqués pour lui par une joie. Il avait parcouru toute la ligne des grand’gardes, en s’arrêtant çà et là pour parler aux vedettes. À deux heures et demie, près du bois d’Hougomont, il avait entendu le pas d’une colonne en marche ; il avait cru un moment à la reculade de Wellington. Il avait dit : C’est l’arrière-garde anglaise qui s’ébranle pour décamper. Je ferai prisonniers les six mille anglais qui viennent d’arriver à Ostende. Il causait avec expansion ; il avait retrouvé cette verve du débarquement du 1er mars, quand il montrait au grand-maréchal le paysan enthousiaste du golfe Juan, en s’écriant : — Eh bien, Bertrand, voilà déjà du renfort ! La nuit du 17 au 18 juin, il raillait Wellington. — Ce petit anglais a besoin d’une leçon, disait Napoléon. La pluie redoublait ; il tonnait pendant que l’empereur parlait.

    À trois heures et demie du matin, il avait perdu une illusion ; des officiers envoyés en reconnaissance lui avaient annoncé que l’ennemi ne faisait aucun mouvement. Rien ne bougeait ; pas un feu de bivouac n’était éteint. L’armée anglaise dormait. Le silence était profond sur la terre ; il n’y avait de bruit que dans le ciel. À quatre heures, un paysan lui avait été amené par les coureurs ; ce paysan avait servi de guide à une brigade de cavalerie anglaise, probablement la brigade Vivian, qui allait prendre position au village d’Ohain, à l’extrême gauche. À cinq heures, deux déserteurs belges lui avaient rapporté qu’ils venaient de quitter leur régiment, et que l’armée anglaise attendait la bataille. ― Tant mieux ! s’était écrié Napoléon. J’aime encore mieux les culbuter que les refouler.

    Le matin, sur la berge qui fait l’angle du chemin de Plancenoit, il avait mis pied à terre dans la boue, s’était fait apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s’était assis, avec une botte de paille pour tapis, et avait déployé sur la table la carte du champ de bataille, en disant : Joli échiquier !

    Par suite des pluies de la nuit, les convois de vivres, empêtrés dans des routes défoncées, n’avaient pu arriver le matin, le soldat n’avait pas dormi, était mouillé, et était à jeun ; cela n’avait pas empêché Napoléon de crier allègrement à Ney : Nous avons quatrevingt-dix chances sur cent. À huit heures, on avait apporté le déjeuner de l’empereur. Il y avait invité plusieurs généraux. Tout en déjeunant, on avait raconté que Wellington était l’avant-veille au bal à Bruxelles, chez la duchesse de Richmond, et Soult, rude homme de guerre avec une figure d’archevêque, avait dit : Le bal, c’est aujourd’hui. L’empereur avait plaisanté Ney qui disait : Wellington ne sera pas assez simple pour attendre votre majesté. C’était là d’ailleurs sa manière. Il badinait volontiers, dit Fleury de Chaboulon. Le fond de son caractère était une humeur enjouée, dit Gourgaud. Il abondait en plaisanteries, plutôt bizarres que spirituelles, dit Benjamin Constant. Ces gaîtés de géants valent la peine qu’on y insiste. C’est lui qui avait appelé ses grenadiers « les grognards » ; il leur pinçait l’oreille, il leur tirait la moustache. L’empereur ne faisait que nous faire des niches ; ceci est un mot de l’un d’eux. Pendant le mystérieux trajet de l’île d’Elbe en France, le 27 février, en pleine mer, le brick de guerre français le Zéphir ayant rencontré le brick l’Inconstant où Napoléon était caché et ayant demandé à l’Inconstant des nouvelles de Napoléon, l’empereur, qui avait encore en ce moment-là à son chapeau la cocarde blanche et amarante semée d’abeilles, adoptée par lui à l’île d’Elbe, avait pris en riant le porte-voix et avait répondu lui-même : L’empereur se porte bien. Qui rit de la sorte est en familiarité avec les événements. Napoléon avait eu plusieurs accès de rire pendant le déjeuner de Waterloo. Après le déjeuner il s’était recueilli un quart d’heure, puis deux généraux s’étaient assis sur la botte de paille, une plume à la main, une feuille de papier sur le genou, et l’empereur leur avait dicté l’ordre de bataille.

    À neuf heures, à l’instant où l’armée française, échelonnée et mise en mouvement sur cinq colonnes, s’était déployée, les divisions sur deux lignes, l’artillerie entre les brigades, musique en tête, battant aux champs, avec les roulements des tambours et les sonneries des trompettes, puissante, vaste, joyeuse, mer de casques, de sabres et de bayonnettes sur l’horizon, l’empereur, ému, s’était écrié à deux reprises : « Magnifique ! magnifique ! »

    De neuf heures à dix heures et demie, toute l’armée, ce qui semble incroyable, avait pris position et s’était rangée sur six lignes, formant pour répéter l’expression de l’empereur « la figure de six V ». Quelques instants après la formation du front de bataille, au milieu de ce profond silence de commencement d’orage qui précède les mêlées, voyant défiler les trois batteries de douze, détachées sur son ordre des trois corps de d’Erlon, de Reille et de Lobau, et destinées à commencer l’action en battant Mont-Saint-Jean où est l’intersection des routes de Nivelles et de Genappe, l’empereur avait frappé sur l’épaule de Haxo en lui disant : Voilà vingt-quatre belles filles, général.

    Sûr de l’issue, il avait encouragé d’un sourire, à son passage devant lui, la compagnie de sapeurs du premier corps, désignée par lui pour se barricader dans Mont-Saint-Jean, sitôt le village enlevé. Toute cette sérénité n’avait été traversée que par un mot de pitié hautaine ; en voyant à sa gauche, à un endroit où il y a aujourd’hui une grande tombe, se masser avec leurs chevaux superbes ces admirables Écossais gris, il avait dit : C’est dommage.

    Puis il était monté à cheval, s’était porté en avant de Rossomme, et avait choisi pour observatoire une étroite croupe de gazon à droite de la route de Genappe à Bruxelles, qui fut sa seconde station pendant la bataille. La troisième station, celle de sept heures du soir, entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte, est redoutable ; c’est un tertre assez élevé qui existe encore et derrière lequel la garde était massée dans une déclivité de la plaine. Autour de ce tertre, les boulets ricochaient sur le pavé de la chaussée jusqu’à Napoléon. Comme à Brienne, il avait sur sa tête le sifflement des balles et des biscaïens. On a ramassé, presque à l’endroit où étaient les pieds de son cheval, des boulets vermoulus, de vieilles lames de sabre et des projectiles informes, mangés de rouille. Scabra rubigine. Il y a quelques années, on y a déterré un obus de soixante, encore chargé, dont la fusée s’était brisée au ras de la bombe. C’est à cette dernière station que l’empereur disait à son guide Lacoste, un paysan hostile, effaré, attaché à la selle d’un hussard, se retournant à chaque paquet de mitraille, et tâchant de se cacher derrière lui : — Imbécile ! c’est honteux, tu vas te faire tuer dans le dos. Celui qui écrit ces lignes a trouvé lui-même dans le talus friable de ce tertre, en creusant le sable, les restes du col d’une bombe désagrégés par l’oxyde de quarante-six années, et de vieux tronçons de fer qui cassaient comme des bâtons de sureau entre ses doigts.

    Les ondulations des plaines diversement inclinées où eut lieu la rencontre de Napoléon et de Wellington ne sont plus, personne ne l’ignore, ce qu’elles étaient le 18 juin 1815. En prenant à ce champ funèbre de quoi lui faire un monument, on lui a ôté son relief réel, et l’histoire déconcertée ne s’y reconnaît plus. Pour le glorifier, on l’a défiguré. Wellington, deux ans après, revoyant Waterloo, s’est écrié : On m’a changé mon champ de bataille. Là où est aujourd’hui la grosse pyramide de terre surmontée du lion, il y avait une crête qui, vers la route de Nivelles, s’abaissait en rampe praticable, mais qui, du côté de la chaussée de Genappe, était presque un escarpement. L’élévation de cet escarpement peut encore être mesurée aujourd’hui par la hauteur des deux tertres des deux grandes sépultures qui encaissent la route de Genappe à Bruxelles ; l’une, le tombeau anglais, à gauche ; l’autre, le tombeau allemand, à droite. Il n’y a point de tombeau français. Pour la France, toute cette plaine est sépulcre. Grâce aux mille et mille charretées de terre employées à la butte de cent cinquante pieds de haut et d’un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd’hui accessible en pente douce ; le jour de la bataille, surtout du côté de la Haie-Sainte, il était d’un abord âpre et abrupt. Le versant là était si incliné que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d’eux la ferme située au fond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore raviné cette roideur, la fange compliquait la montée, et non seulement on gravissait, mais on s’embourbait. Le long de la crête du plateau courait une sorte de fossé impossible à deviner pour un observateur lointain.

    Qu’était-ce que ce fossé ? Disons-le. Braine-l’Alleud est un village de Belgique, Ohain en est un autre. Ces villages, cachés tous les deux dans des courbes de terrain, sont joints par un chemin d’une lieue et demie environ qui traverse une plaine à niveau ondulant, et souvent entre et s’enfonce dans des collines comme un sillon, ce qui fait que sur divers points cette route est un ravin. En 1815, comme aujourd’hui, cette route coupait la crête du plateau de Mont-Saint-Jean entre les deux chaussées de Genappe et de Nivelles ; seulement, elle est aujourd’hui de plain-pied avec la plaine ; elle était alors chemin creux. On lui a pris ses deux talus pour la butte-monument. Cette route était et est encore une tranchée dans la plus grande partie de son parcours ; tranchée creuse quelquefois d’une douzaine de pieds et dont les talus trop escarpés s’écroulaient çà et là, surtout en hiver, sous les averses. Des accidents y arrivaient. La route était si étroite à l’entrée de Braine-l’Alleud qu’un passant y avait été broyé par un chariot, comme le constate une croix de pierre debout près du cimetière qui donne le nom du mort, Monsieur Bernard Debrye, marchand à Bruxelles, et la date de l’accident, février 1637*. Elle était si profonde sur le plateau du Mont-Saint-Jean, qu’un paysan, Mathieu Nicaise, y avait été écrasé en 1783 par un éboulement du talus, comme le constatait une autre croix de pierre dont le faîte a disparu dans les défrichements, mais dont le piédestal renversé est encore visible aujourd’hui sur la pente du gazon à gauche de la chaussée entre la Haie-Sainte et la ferme du Mont-Saint-Jean.

    * Voici l’inscription :

    DOM
    CY A ÉTÉ ÉCRASÉ
    PAR MALHEUR
    SOUS UN CHARIOT
    MONSIEUR BERNARD
    DE BRYE MARCHAND
    A BRUXELLE LE (illisible)
    FEBVRIER 1637


     

    Un jour de bataille, ce chemin creux dont rien n’avertissait, bordant la crête de Mont-Saint-Jean, fossé au sommet de l’escarpement, ornière cachée dans les terres, était invisible, c’est-à-dire terrible.


     

    VIII


     

    L’EMPEREUR FAIT UNE QUESTION
    AU GUIDE LACOSTE


     

    Donc, le matin de Waterloo, Napoléon était content.

    Il avait raison ; le plan de bataille, conçu par lui, nous l’avons constaté, était en effet admirable.

    Une fois la bataille engagée, ses péripéties très diverses, la résistance d’Hougomont, la ténacité de la Haie-Sainte, Bauduin tué, Foy mis hors de combat, la muraille inattendue où s’était brisée la brigade Soye, l’étourderie fatale de Guillemot n’ayant ni pétards ni sacs à poudre, l’embourbement des batteries, les quinze pièces sans escorte culbutées par Uxbridge dans un chemin creux, le peu d’effet des bombes tombant dans les lignes anglaises, s’y enfouissant dans le sol détrempé par les pluies et ne réussissant qu’à y faire des volcans de boue, de sorte que la mitraille se changeait en éclaboussure, l’inutilité de la démonstration de Piré sur Braine-l’Alleud, toute cette cavalerie, quinze escadrons, à peu près annulée, l’aile droite anglaise mal inquiétée, l’aile gauche mal entamée, l’étrange malentendu de Ney, massant au lieu de les échelonner, les quatre divisions du premier corps, des épaisseurs de vingt-sept rangs et des fronts de deux cents hommes livrés de la sorte à la mitraille, l’effrayante trouée des boulets dans ces masses, les colonnes d’attaque désunies, la batterie d’écharpe brusquement démasquée sur leur flanc, Bourgeois, Donzelot et Durutte compromis, Quiot repoussé, le lieutenant Vieux, cet hercule sorti de l’école polytechnique, blessé au moment où il enfonçait à coups de hache la porte de la Haie-Sainte sous le feu plongeant de la barricade anglaise barrant le coude de la route de Genappe à Bruxelles, la division Marcognet, prise entre l’infanterie et la cavalerie, fusillée à bout portant dans les blés par Best et Pack, sabrée par Ponsomby, sa batterie de sept pièces enclouée, le prince de Saxe-Weimar tenant et gardant, malgré le comte d’Erlon, Frischemont et Smohain, le drapeau du 105e pris, le drapeau du 45e pris, ce hussard noir prussien arrêté par les coureurs de la colonne volante de trois cents chasseurs battant l’estrade entre Wavre et Plancenoit, les choses inquiétantes que ce prisonnier avait dites, le retard de Grouchy, les quinze cents hommes tués en moins d’une heure dans le verger d’Hougomont, les dix-huit cents hommes couchés en moins de temps encore autour de la Haie-Sainte, tous ces incidents orageux, passant comme les nuées de la bataille devant Napoléon, avaient à peine troublé son regard et n’avaient point assombri cette face impériale de la certitude. Napoléon était habitué à regarder la guerre fixement ; il ne faisait jamais chiffre à chiffre l’addition poignante du détail ; les chiffres lui importaient peu, pourvu qu’ils donnassent ce total : victoire ; que les commencements s’égarassent, il ne s’en alarmait point, lui qui se croyait maître et possesseur de la fin ; il savait attendre, se supposant hors de question, et il traitait le destin d’égal à égal. Il paraissait dire au sort : tu n’oserais pas.

    Mi-parti lumière et ombre, Napoléon se sentait protégé dans le bien et toléré dans le mal. Il avait ou croyait avoir pour lui, une connivence, on pourrait presque dire une complicité des événements, équivalente à l’antique invulnérabilité.

    Pourtant, quand on a derrière soi la Bérésina, Leipsick et Fontainebleau, il semble qu’on pourrait se défier de Waterloo. Un mystérieux froncement de sourcil devient visible au fond du ciel.

    Au moment où Wellington rétrograda, Napoléon tressaillit. Il vit subitement le plateau de Mont-Saint-Jean se dégarnir et le front de l’armée anglaise disparaître. Elle se ralliait, mais se dérobait. L’empereur se souleva à demi sur ses étriers. L’éclair de la victoire passa dans ses yeux.

    Wellington acculé à la forêt de Soignes et détruit, c’était le terrassement définitif de l’Angleterre par la France ; c’était Crécy, Poitiers, Malplaquet et Ramillies vengés. L’homme de Marengo raturait Azincourt.

    L’empereur alors, méditant la péripétie terrible, promena une dernière fois sa lunette sur tous les points du champ de bataille. Sa garde, l’arme au pied derrière lui, l’observait d’en bas avec une sorte de religion. Il songeait ; il examinait les versants, notait les pentes, scrutait le bouquet d’arbres, le carré de seigles, le sentier ; il semblait compter chaque buisson. Il regarda avec quelque fixité les barricades anglaises des deux chaussées, deux larges abattis d’arbres, celle de la chaussée de Genappe au-dessus de la Haie-Sainte, armée de deux canons, les seuls de toute l’artillerie anglaise qui vissent le fond du champ de bataille, et celle de la chaussée de Nivelles où étincelaient les bayonnettes hollandaises de la brigade Chassé. Il remarqua près de cette barricade la vieille chapelle de Saint-Nicolas peinte en blanc qui est à l’angle de la traverse vers Braine-l’Alleud. Il se pencha et parla à demi-voix au guide Lacoste. Le guide fit un signe de tête négatif, probablement perfide.

    L’empereur se redressa et se recueillit.

    Wellington avait reculé. Il ne restait plus qu’à achever ce recul par un écrasement.

    Napoléon, se retournant brusquement, expédia une estafette à franc étrier à Paris pour y annoncer que la bataille était gagnée.

    Napoléon était un de ces génies d’où sort le tonnerre.

    Il venait de trouver son coup de foudre.

    Il donna l’ordre aux cuirassiers de Milhaud d’enlever le plateau de Mont-Saint-Jean.


     

    IX


     

    L’INATTENDU


     

    Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d’un quart de lieue. C’étaient des hommes géants sur des chevaux colosses. Ils étaient vingt-six escadrons ; et ils avaient derrière eux, pour les appuyer, la division de Lefebvre-Desnouettes, les cent six gendarmes d’élite, les chasseurs de la garde, onze cent quatrevingt-dix-sept hommes, et les lanciers de la garde, huit cent quatrevingts lances. Ils portaient le casque sans crins et la cuirasse de fer battu, avec les pistolets d’arçon dans les fontes et le long sabre-épée. Le matin toute l’armée les avait admirés, quand, à neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantant Veillons au salut de l’empire, ils étaient venus, colonne épaisse, une de leurs batteries à leur flanc, l’autre à leur centre, se déployer sur deux rangs entre la chaussée de Genappe et Frischemont, et prendre leur place de bataille dans cette puissante deuxième ligne, si savamment composée par Napoléon, laquelle, ayant à son extrémité de gauche les cuirassiers de Kellerman et à son extrémité de droite les cuirassiers de Milhaud, avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.

    L’aide de camp Bernard leur porta l’ordre de l’empereur. Ney tira son épée et prit la tête. Les escadrons énormes s’ébranlèrent.

    Alors on vit un spectacle formidable.

    Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonne par division, descendit d’un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l’autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables ; dans les intervalles de la mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.

    Rien de semblable ne s’était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie ; Murat y manquait, mais Ney s’y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l’hydre.

    Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.

    Bizarre coïncidence numérique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrière la crête du plateau, à l’ombre de la batterie masquée, l’infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l’épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d’hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre.

    Tout à coup, chose tragique, à la gauche des anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crête, effrénés, tout à leur furie et à leur course d’extermination sur les carrés et les canons, les cuirassiers venaient d’apercevoir entre eux et les anglais un fossé, une fosse. C’était le chemin creux d’Ohain.

    L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus ; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n’était plus qu’un projectile, la force acquise pour écraser les anglais écrasa les français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé, cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu’une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d’hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme.

    Ceci commença la perte de la bataille.

    Une tradition locale, qui exagère évidemment, dit que deux mille chevaux et quinze cents hommes furent ensevelis dans le chemin creux d’Ohain. Ce chiffre vraisemblablement comprend tous les autres cadavres qu’on jeta dans ce ravin le lendemain du combat.

    Notons en passant que c’était cette brigade Dubois, si funestement éprouvée, qui, une heure auparavant, chargeant à part, avait enlevé le drapeau du bataillon de Lunebourg.

    Napoléon, avant d’ordonner cette charge des cuirassiers de Milhaud, avait scruté le terrain, mais n’avait pu voir ce chemin creux qui ne faisait pas même une ride à la surface du plateau. Averti pourtant et mis en éveil par la petite chapelle blanche qui en marque l’angle sur la chaussée de Nivelles, il avait fait, probablement sur l’éventualité d’un obstacle, une question au guide Lacoste. Le guide avait répondu non. On pourrait presque dire que de ce signe de tête d’un paysan est sortie la catastrophe de Napoléon.

    D’autres fatalités encore devaient surgir.

    Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille ? nous répondons non. Pourquoi ? À cause de Wellington ? à cause de Blücher ? Non. À cause de Dieu.

    Bonaparte vainqueur à Waterloo, ceci n’était plus dans la loi du dix-neuvième siècle. Une autre série de faits se préparait, où Napoléon n’avait plus de place. La mauvaise volonté des événements s’était annoncée de longue date.

    Il était temps que cet homme vaste tombât.

    L’excessive pesanteur de cet homme dans la destinée humaine troublait l’équilibre. Cet individu comptait à lui seul plus que le groupe universel. Ces pléthores de toute la vitalité humaine concentrée dans une seule tête, le monde montant au cerveau d’un homme, cela serait mortel à la civilisation si cela durait. Le moment était venu pour l’incorruptible équité suprême d’aviser. Probablement les principes et les éléments, d’où dépendent les gravitations régulières dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, se plaignaient. Le sang qui fume, le trop-plein des cimetières, les mères en larmes, ce sont des plaidoyers redoutables. Il y a, quand la terre souffre d’une surcharge, de mystérieux gémissements de l’ombre, que l’abîme entend.

    Napoléon avait été dénoncé dans l’infini, et sa chute était décidée.

    Il gênait Dieu.

    Waterloo n’est point une bataille ; c’est le changement de front de l’univers.


     

    X


     

    LE PLATEAU DE MONT-SAINT-JEAN


     

    En même temps que le ravin, la batterie s’était démasquée.

    Soixante canons et les treize carrés foudroyèrent les cuirassiers à bout portant. L’intrépide général Delord fit le salut militaire à la batterie anglaise.

    Toute l’artillerie volante anglaise était rentrée au galop dans les carrés. Les cuirassiers n’eurent pas même un temps d’arrêt. Le désastre du chemin creux les avait décimés, mais non découragés. C’étaient de ces hommes qui, diminués de nombre, grandissent de cœur.

    La colonne Wathier seule avait souffert du désastre ; la colonne Delord, que Ney avait fait obliquer à gauche, comme s’il pressentait l’embûche, était arrivée entière.

    Les cuirassiers se ruèrent sur les carrés anglais.

    Ventre à terre, brides lâchées, sabre aux dents, pistolets au poing, telle fut l’attaque.

    Il y a des moments dans les batailles où l’âme durcit l’homme jusqu’à changer le soldat en statue, et où toute cette chair se fait granit. Les bataillons anglais, éperdument assaillis, ne bougèrent pas.

    Alors ce fut effrayant.

    Toutes les faces des carrés anglais furent attaquées à la fois. Un tournoiement frénétique les enveloppa. Cette froide infanterie demeura impassible. Le premier rang, genou en terre, recevait les cuirassiers sur les bayonnettes, le second rang les fusillait ; derrière le second rang les canonniers chargeaient les pièces, le front du carré s’ouvrait, laissait passer une éruption de mitraille et se refermait. Les cuirassiers répondaient par l’écrasement. Leurs grands chevaux se cabraient, enjambaient les rangs, sautaient par-dessus les bayonnettes et tombaient, gigantesques, au milieu de ces quatre murs vivants. Les boulets faisaient des trouées dans les cuirassiers, les cuirassiers faisaient des brèches dans les carrés. Des files d’hommes disparaissaient broyées sous les chevaux. Les bayonnettes s’enfonçaient dans les ventres de ces centaures. De là une difformité de blessures qu’on n’a pas vue peut-être ailleurs. Les carrés, rongés par cette cavalerie forcenée, se rétrécissaient sans broncher. Inépuisables en mitraille, ils faisaient explosion au milieu des assaillants. La figure de ce combat était monstrueuse. Ces carrés n’étaient plus des bataillons, c’étaient des cratères ; ces cuirassiers n’étaient plus une cavalerie, c’était une tempête. Chaque carré était un volcan attaqué par un nuage ; la lave combattait la foudre.

    Le carré extrême de droite, le plus exposé de tous, étant en l’air, fut presque anéanti dès les premiers chocs. Il était formé du 75e régiment de highlanders. Le joueur de cornemuse au centre, pendant qu’on s’exterminait autour de lui, baissant dans une inattention profonde son œil mélancolique plein du reflet des forêts et des lacs, assis sur un tambour, son pibroch sous le bras, jouait les airs de la montagne. Ces Écossais mouraient en pensant au Ben Lothian, comme les Grecs en se souvenant d’Argos. Le sabre d’un cuirassier, abattant le pibroch et le bras qui le portait, fit cesser le chant en tuant le chanteur.

    Les cuirassiers, relativement peu nombreux, amoindris par la catastrophe du ravin, avaient là contre eux presque toute l’armée anglaise, mais ils se multipliaient, chaque homme valant dix. Cependant quelques bataillons hanovriens plièrent. Wellington le vit, et songea à sa cavalerie. Si Napoléon, en ce moment-là même, eût songé à son infanterie, il eût gagné la bataille. Cet oubli fut sa grande faute fatale.

    Tout à coup les cuirassiers, assaillants, se sentirent assaillis. La cavalerie anglaise était sur leur dos. Devant eux les carrés, derrière eux Somerset ; Somerset, c’étaient les quatorze cents dragons-gardes. Somerset avait à sa droite Dornberg avec les chevau-légers allemands, et à sa gauche Trip avec les carabiniers belges ; les cuirassiers, attaqués en flanc et en tête, en avant et en arrière, par l’infanterie et par la cavalerie, durent faire face de tous les côtés. Que leur importait ? ils étaient tourbillon. La bravoure devint inexprimable.

    En outre, ils avaient derrière eux la batterie toujours tonnante. Il fallait cela pour que ces hommes fussent blessés dans le dos. Une de leurs cuirasses, trouée à l’omoplate gauche d’un biscayen, est dans la collection dite musée de Waterloo.

    Pour de tels français, il ne fallait pas moins que de tels anglais.

    Ce ne fut plus une mêlée, ce fut une ombre, une furie, un vertigineux emportement d’âmes et de courages, un ouragan d’épées éclairs. En un instant les quatorze cents dragons-gardes ne furent plus que huit cents ; Fuller, leur lieutenant-colonel, tomba mort. Ney accourut avec les lanciers et les chasseurs de Lefebvre-Desnouettes. Le plateau de Mont-Saint-Jean fut pris, repris, pris encore. Les cuirassiers quittaient la cavalerie pour retourner à l’infanterie, ou, pour mieux dire, toute cette cohue formidable se colletait sans que l’un lâchât l’autre. Les carrés tenaient toujours. Il y eut douze assauts. Ney eut quatre chevaux tués sous lui. La moitié des cuirassiers resta sur le plateau. Cette lutte dura deux heures.

    L’armée anglaise en fut profondément ébranlée. Nul doute que, s’ils n’eussent été affaiblis dans leur premier choc par le désastre du chemin creux, les cuirassiers n’eussent culbuté le centre et décidé la victoire. Cette cavalerie extraordinaire pétrifia Clinton qui avait vu Talavera et Badajoz. Wellington, aux trois quarts vaincu, admirait héroïquement. Il disait à demi-voix : Sublime [2] !

    Les cuirassiers anéantirent sept carrés sur treize, prirent ou enclouèrent soixante pièces de canon, et enlevèrent aux régiments anglais six drapeaux, que trois cuirassiers et trois chasseurs de la garde allèrent porter à l’empereur devant la ferme de la Belle-Alliance.

    La situation de Wellington avait empiré. Cette étrange bataille était comme un duel entre deux blessés acharnés qui, chacun de leur côté, tout en combattant et en se résistant toujours, perdent tout leur sang. Lequel des deux tombera le premier ?

    La lutte du plateau continuait.

    Jusqu’où sont allés les cuirassiers ? personne ne saurait le dire. Ce qui est certain, c’est que, le lendemain de la bataille, un cuirassier et son cheval furent trouvés morts dans la charpente de la bascule du pesage des voitures à Mont-Saint-Jean, au point même où s’entrecoupent et se rencontrent les quatre routes de Nivelles, de Genappe, de La Hulpe et de Bruxelles. Ce cavalier avait percé les lignes anglaises. Un des hommes qui ont relevé ce cadavre vit encore à Mont-Saint-Jean. Il se nomme Dehaze. Il avait alors dix-huit ans.

    Wellington se sentait pencher. La crise était proche.

    Les cuirassiers n’avaient point réussi, en ce sens que le centre n’était pas enfoncé. Tout le monde ayant le plateau, personne ne l’avait, et en somme il restait pour la plus grande part aux anglais. Wellington avait le village et la plaine culminante ; Ney n’avait que la crête et la pente. Des deux côtés on semblait enraciné dans ce sol funèbre.

    Mais l’affaiblissement des anglais paraissait irrémédiable. L’hémorrhagie de cette armée était horrible. Kempt, à l’aile gauche, réclamait du renfort. — Il n’y en a pas, répondait Wellington, qu’il se fasse tuer ! — Presque à la même minute, rapprochement singulier qui peint l’épuisement des deux armées, Ney demandait de l’infanterie à Napoléon, et Napoléon s’écriait : De l’infanterie ! où veut-il que j’en prenne ? Veut-il que j’en fasse ?

    Pourtant l’armée anglaise était la plus malade. Les poussées furieuses de ces grands escadrons à cuirasses de fer et à poitrines d’acier avaient broyé l’infanterie. Quelques hommes autour d’un drapeau marquaient la place d’un régiment, tel bataillon n’était plus commandé que par un capitaine ou par un lieutenant ; la division Alten, déjà si maltraitée à la Haie-Sainte, était presque détruite ; les intrépides Belges de la brigade Van Kluze jonchaient les seigles le long de la route de Nivelles ; il ne restait presque rien de ces grenadiers hollandais qui, en 1811, mêlés en Espagne à nos rangs, combattaient Wellington, et qui, en 1815, ralliés aux anglais, combattaient Napoléon. La perte en officiers était considérable. Lord Uxbridge, qui le lendemain fit enterrer sa jambe, avait le genou fracassé. Si, du côté des français, dans cette lutte des cuirassiers, Delord, Lhéritier, Colbert, Dnop, Travers et Blancard étaient hors de combat, du côté des anglais, Alten était blessé, Barne était blessé, Delancey était tué, Van Meeren était tué, Ompteda était tué, tout l’état-major de Wellington était décimé, et l’Angleterre avait le pire partage dans ce sanglant équilibre. Le 2e régiment des gardes à pied avait perdu cinq lieutenants-colonels, quatre capitaines et trois enseignes ; le premier bataillon du 30e d’infanterie avait perdu vingt-quatre officiers et cent douze soldats ; le 79e montagnards avait vingt-quatre officiers blessés, dix-huit officiers morts, quatre cent cinquante soldats tués. Les hussards hanovriens de Cumberland, un régiment tout entier, ayant à sa tête son colonel Hacke, qui devait plus tard être jugé et cassé, avaient tourné bride devant la mêlée et étaient en fuite dans la forêt de Soignes, semant la déroute jusqu’à Bruxelles. Les charrois, les prolonges, les bagages, les fourgons pleins de blessés, voyant les français gagner du terrain et s’approcher de la forêt, s’y précipitaient ; les Hollandais, sabrés par la cavalerie française, criaient : Alarme ! De Vert-Coucou jusqu’à Groenendael, sur une longueur de près de deux lieues dans la direction de Bruxelles, il y avait, au dire des témoins qui existent encore, un encombrement de fuyards. Cette panique fut telle qu’elle gagna le prince de Condé à Malines et Louis XVIII à Gand. À l’exception de la faible réserve échelonnée derrière l’ambulance établie dans la ferme de Mont-Saint-Jean et des brigades Vivian et Vandeleur qui flanquaient l’aile gauche, Wellington n’avait plus de cavalerie. Nombre de batteries gisaient démontées. Ces faits sont avoués par Siborne ; et Pringle, exagérant le désastre, va jusqu’à dire que l’armée anglo-hollandaise était réduite à trente-quatre mille hommes. Le duc-de-fer demeurait calme, mais ses lèvres avaient blêmi. Le commissaire autrichien Vincent, le commissaire espagnol Alava, présents à la bataille dans l’état-major anglais, croyaient le duc perdu. À cinq heures, Wellington tira sa montre, et on l’entendit murmurer ce mot sombre : Blücher, ou la nuit !

    Ce fut vers ce moment-là qu’une ligne lointaine de bayonnettes étincela sur les hauteurs du côté de Frischemont.

    Ici est la péripétie de ce drame géant.


     

    XI


     

    MAUVAIS GUIDE À NAPOLÉON, BON GUIDE
    À BULOW


     

    On connaît la poignante méprise de Napoléon : Grouchy espéré, Blücher survenant ; la mort au lieu de la vie.

    La destinée a de ces tournants ; on s’attendait au trône du monde ; on aperçoit Sainte-Hélène.

    Si le petit pâtre, qui servait de guide à Bülow, lieutenant de Blücher, lui eût conseillé de déboucher de la forêt au-dessus de Frischemont plutôt qu’au dessous de Plancenoit, la forme du dix-neuvième siècle eût peut-être été différente. Napoléon eût gagné la bataille de Waterloo. Par tout autre chemin qu’au-dessous de Plancenoit, l’armée prussienne aboutissait à un ravin infranchissable à l’artillerie, et Bülow n’arrivait pas.

    Or, une heure de retard, c’est le général prussien Muffling qui le déclare, et Blücher n’aurait plus trouvé Wellington debout ; « la bataille était perdue ».

    Il était temps, on le voit, que Bülow arrivât. Il avait du reste été fort retardé. Il avait bivouaqué à Dion-le-Mont et était parti dès l’aube. Mais les chemins étaient impraticables et ses divisions s’étaient embourbées. Les ornières venaient au moyeu des canons. En outre, il avait fallu passer la Dyle sur l’étroit pont de Wavre ; la rue menant au pont avait été incendiée par les français ; les caissons et les fourgons de l’artillerie, ne pouvant passer entre deux rangs de maisons en feu, avaient dû attendre que l’incendie fût éteint. Il était midi que l’avant-garde de Bülow n’avait pu encore atteindre Chapelle-Saint-Lambert.

    L’action, commencée deux heures plus tôt, eût été finie à quatre heures, et Blücher serait tombé sur la bataille gagnée par Napoléon. Tels sont ces immenses hasards, proportionnés à un infini qui nous échappe.

    Dès midi, l’empereur, le premier, avec sa longue-vue, avait aperçu à l’extrême horizon quelque chose qui avait fixé son attention. Il avait dit : — Je vois là-bas un nuage qui me paraît être des troupes. Puis il avait demandé au duc de Dalmatie : — Soult, que voyez-vous vers Chapelle-Saint-Lambert ? — Le maréchal braquant sa lunette avait répondu : — Quatre ou cinq mille hommes, sire. Évidemment Grouchy. — Cependant cela restait immobile dans la brume. Toutes les lunettes de l’état-major avaient étudié « le nuage » signalé par l’empereur. Quelques-uns avaient dit : Ce sont des colonnes qui font halte. La plupart avaient dit : Ce sont des arbres. La vérité est que le nuage ne remuait pas. L’empereur avait détaché en reconnaissance vers ce point obscur la division de cavalerie légère de Domon.

    Bülow en effet n’avait pas bougé. Son avant-garde était très faible, et ne pouvait rien. Il devait attendre le gros du corps d’armée, et il avait l’ordre de se concentrer avant d’entrer en ligne ; mais à cinq heures, voyant le péril de Wellington, Blücher ordonna à Bülow d’attaquer et dit ce mot remarquable : « Il faut donner de l’air à l’armée anglaise. »

    Peu après, les divisions Losthin, Hiller, Hacke et Ryssel se déployaient devant le corps de Lobau, la cavalerie du prince Guillaume de Prusse débouchait du bois de Paris, Plancenoit était en flammes, et les boulets prussiens commençaient à pleuvoir jusque dans les rangs de la garde en réserve derrière Napoléon.


     

    XII


     

    LA GARDE


     

    On sait le reste : l’irruption d’une troisième armée, la bataille disloquée, quatrevingt-six bouches à feu tonnant tout à coup, Pirch Ier survenant avec Bülow, la cavalerie de Zieten menée par Blücher en personne, les français refoulés, Marcognet balayé du plateau d’Ohain, Durutte délogé de Papelotte, Donzelot et Quiot reculant, Lobau pris en écharpe, une nouvelle bataille se précipitant ; à la nuit tombante sur nos régiments démantelés, toute la ligne anglaise reprenant l’offensive et poussée en avant, la gigantesque trouée faite dans l’armée française, la mitraille anglaise et la mitraille prussienne s’entr’aidant, l’extermination, le désastre de front, le désastre en flanc, la garde entrant en ligne sous cet épouvantable écroulement.

    Comme elle sentait qu’elle allait mourir, elle cria : Vive l’empereur ! L’histoire n’a rien de plus émouvant que cette agonie éclatant en acclamations.

    Le ciel avait été couvert toute la journée. Tout à coup, en ce moment-là même, il était huit heures du soir, les nuages de l’horizon s’écartèrent et laissèrent passer, à travers les ormes de la route de Nivelles, la grande rougeur sinistre du soleil qui se couchait. On l’avait vu se lever à Austerlitz.

    Chaque bataillon de la garde, pour ce dénouement, était commandé par un général. Friant, Michel, Roguet, Harlet, Mallet, Poret de Morvan, étaient là. Quand les hauts bonnets des grenadiers de la garde avec la large plaque à l’aigle apparurent, symétriques, alignés, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mêlée, l’ennemi sentit le respect de la France ; on crut voir vingt victoires entrer sur le champ de bataille, ailes déployées, et ceux qui étaient vainqueurs, s’estimant vaincus, reculèrent ; mais Wellington cria : Debout, gardes, et visez juste ! le régiment rouge des gardes anglaises, couché derrière les haies, se leva, une nuée de mitraille cribla le drapeau tricolore frissonnant autour de nos aigles, tous se ruèrent, et le suprême carnage commença. La garde impériale sentit dans l’ombre l’armée lâchant pied autour d’elle, et le vaste ébranlement de la déroute, elle entendit le sauve-qui-peut ! qui avait remplacé le vive l’empereur ! et, avec la fuite derrière elle, elle continua d’avancer, de plus en plus foudroyée et mourant davantage à chaque pas qu’elle faisait. Il n’y eut point d’hésitants ni de timides. Le soldat dans cette troupe était aussi héros que le général. Pas un homme ne manqua au suicide.

    Ney, éperdu, grand de toute la hauteur de la mort acceptée, s’offrait à tous les coups dans cette tourmente. Il eut là son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, l’écume aux lèvres, l’uniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi coupée par le coup de sabre d’un horse-guard, sa plaque de grand-aigle bosselée par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une épée cassée à la main, il disait : Venez voir comment meurt un maréchal de France sur le champ de bataille ! Mais en vain ; il ne mourut pas. Il était hagard et indigné. Il jetait à Drouet d’Erlon cette question : Est-ce que tu ne te fais pas tuer, toi ? Il criait au milieu de toute cette artillerie écrasant une poignée d’hommes : — Il n’y a donc rien pour moi ! Oh ! je voudrais que tous ces boulets anglais m’entrassent dans le ventre ! Tu étais réservé à des balles françaises, infortuné !


     

    XIII


     

    LA CATASTROPHE


     

    La déroute derrière la garde fut lugubre.

    L’armée plia brusquement de tous les côtés à la fois, de Hougomont, de la Haie-Sainte, de Papelotte, de Plancenoit. Le cri trahison ! fut suivi du cri sauve-qui-peut ! Une armée qui se débande, c’est un dégel. Tout fléchit, se fêle, craque, flotte, roule, tombe, se heurte, se hâte, se précipite. Désagrégation inouïe. Ney emprunte un cheval, saute dessus, et, sans chapeau, sans cravate, sans épée, se met en travers de la chaussée de Bruxelles, arrêtant à la fois les anglais et les français. Il tâche de retenir l’armée, il la rappelle, il l’insulte, il se cramponne à la déroute. Il est débordé. Les soldats le fuient, en criant : Vive le maréchal Ney ! Deux régiments de Durutte vont et viennent effarés et comme ballottés entre le sabre des uhlans et la fusillade des brigades de Kempt, de Best, de Pack et de Rylandt ; la pire des mêlées, c’est la déroute, les amis s’entretuent pour fuir ; les escadrons et les bataillons se brisent et se dispersent les uns contre les autres, énorme écume de la bataille. Lobau à une extrémité comme Reille à l’autre sont roulés dans le flot. En vain Napoléon fait des murailles avec ce qui lui reste de la garde ; en vain il dépense à un dernier effort ses escadrons de service. Quiot recule devant Vivian, Kellermann devant Vandeleur, Lobau devant Bülow, Morand devant Pirch, Domon et Subervic devant le prince Guillaume de Prusse. Guyot, qui a mené à la charge les escadrons de l’empereur, tombe sous les pieds des dragons anglais. Napoléon court au galop le long des fuyards, les harangue, presse, menace, supplie. Toutes ces bouches qui criaient le matin : vive l’empereur ! restent béantes ; c’est à peine si on le connaît. La cavalerie prussienne, fraîche venue, s’élance, vole, sabre, taille, hache, tue, extermine. Les attelages se ruent, les canons se sauvent ; les soldats du train détellent les caissons et en prennent les chevaux pour s’échapper ; des fourgons culbutés les quatre roues en l’air entravent la route et sont des occasions de massacre. On s’écrase, on se foule, on marche sur les morts et sur les vivants. Les bras sont éperdus. Une multitude vertigineuse emplit les routes, les sentiers, les ponts, les plaines, les collines, les vallées, les bois, encombrés par cette évasion de quarante mille hommes. Cris, désespoirs, sacs et fusils jetés dans les seigles, passages frayés à coups d’épée, plus de camarades, plus d’officiers, plus de généraux, une inexprimable épouvante. Zieten sabrant la France à son aise. Les lions devenus chevreuils. Telle fut cette fuite.

    À Genappe, on essaya de se retourner, de faire front, d’enrayer. Lobau rallia trois cents hommes. On barricada l’entrée du village ; mais à la première volée de la mitraille prussienne, tout se remit à fuir, et Lobau fut pris. On voit encore aujourd’hui cette volée de mitraille empreinte sur le vieux pignon d’une masure en brique à droite de la route, quelques minutes avant d’entrer à Genappe. Les prussiens s’élancèrent dans Genappe, furieux sans doute d’être si peu vainqueurs. La poursuite fut monstrueuse. Blücher ordonna l’extermination. Roguet avait donné ce lugubre exemple de menacer de mort tout grenadier français qui lui amènerait un prisonnier prussien. Blücher dépassa Roguet. Le général de la jeune garde, Duhesme, acculé sur la porte d’une auberge de Genappe, rendit son épée à un hussard de la mort qui prit l’épée et tua le prisonnier. La victoire s’acheva par l’assassinat des vaincus. Punissons, puisque nous sommes l’histoire : le vieux Blücher se déshonora. Cette férocité mit le comble au désastre. La déroute désespérée traversa Genappe, traversa les Quatre-Bras, traversa Gosselies, traversa Frasnes, traversa Charleroi, traversa Thuin, et ne s’arrêta qu’à la frontière. Hélas ! et qui donc fuyait de la sorte ? la grande armée.

    Ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais étonné l’histoire, est-ce que cela est sans cause ? Non. L’ombre d’une droite énorme se projette sur Waterloo. C’est la journée du destin. La force au-dessus de l’homme a donné ce jour-là. De là le pli épouvanté des têtes ; de là toutes ces grandes âmes rendant leur épée. Ceux qui avaient vaincu l’Europe sont tombés terrassés, n’ayant plus rien à dire ni à faire, sentant dans l’ombre une présence terrible. Hoc erat in fatis. Ce jour-là, la perspective du genre humain a changé. Waterloo, c’est le gond du dix-neuvième siècle. La disparition du grand homme était nécessaire à l’avènement du grand siècle. Quelqu’un à qui on ne réplique pas s’en est chargé. La panique des héros s’explique. Dans la bataille de Waterloo, il y a plus du nuage, il y a du météore. Dieu a passé.

    À la nuit tombante, dans un champ près de Genappe, Bernard et Bertrand saisirent par un pan de sa redingote et arrêtèrent un homme hagard, pensif, sinistre, qui, entraîné jusque-là par le courant de la déroute, venait de mettre pied à terre, avait passé sous son bras la bride de son cheval, et, l’œil égaré, s’en retournait seul vers Waterloo. C’était Napoléon essayant encore d’aller en avant, immense somnambule de ce rêve écroulé.


     

    XIV


     

    LE DERNIER CARRÉ


     

    Quelques carrés de la garde, immobiles dans le ruissellement de la déroute comme des rochers dans de l’eau qui coule, tinrent jusqu’à la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inébranlables, s’en laissèrent envelopper. Chaque régiment, isolé des autres et n’ayant plus de lien avec l’armée rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernière action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean. Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux.

    Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de l’artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densité de projectiles, ce carré luttait. Il était commandé par un officier obscur nommé Cambronne. À chaque décharge, le carré diminuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade, rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, s’arrêtant par moment, essoufflés, écoutaient dans les ténèbres ce sombre tonnerre décroissant.

    Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !


     

    XV


     

    CAMBRONNE


     

    Le lecteur français voulant être respecté, le plus beau mot peut-être qu’un français ait jamais dit ne peut lui être répété. Défense de déposer du sublime dans l’histoire.

    À nos risques et périls, nous enfreignons cette défense.

    Donc, parmi tous ces géants, il y eut un titan, Cambronne.

    Dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu.

    L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n’est pas Napoléon en déroute, ce n’est pas Wellington pliant à quatre heures, désespéré à cinq, ce n’est pas Blücher qui ne s’est point battu ; l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne.

    Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre.

    Faire cette réponse à la catastrophe, dire cela au destin, donner cette base au lion futur, jeter cette réplique à la pluie de la nuit, au mur traître de Hougomont, au chemin creux d’Ohain, au retard de Grouchy, à l’arrivée de Blücher, être l’ironie dans le sépulcre, faire en sorte de rester debout après qu’on sera tombé, noyer dans deux syllabes la coalition européenne, offrir aux rois ces latrines déjà connues des césars, faire du dernier des mots le premier en y mêlant l’éclair de la France, clore insolemment Waterloo par le mardi gras, compléter Léonidas par Rabelais, résumer cette victoire dans une parole suprême impossible à prononcer, perdre le terrain et garder l’histoire, après ce carnage avoir pour soi les rieurs, c’est immense.

    C’est l’insulte à la foudre. Cela atteint la grandeur eschylienne.

    Le mot de Cambronne fait l’effet d’une fracture. Qu’est la fracture d’une poitrine par le dédain ; c’est le trop plein de l’agonie qui fait explosion. Qui a vaincu ? Est-ce Wellington ? Non. Sans Blücher il était perdu. Est-ce Blücher ? Non. Si Wellington n’eût pas commencé, Blücher n’aurait pu finir. Ce Cambronne, ce passant de la dernière heure, ce soldat ignoré, cet infiniment petit de la guerre, sent qu’il y a là un mensonge, un mensonge dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment où il en éclate de rage, on lui offre cette dérision : la vie ! Comment ne pas bondir ? Ils sont là, tous les rois de l’Europe, les généraux heureux, les Jupiters tonnants, ils ont cent mille soldats victorieux, et derrière les cent mille, un million, leurs canons, mèche allumée, sont béants, ils ont sous leurs talons la garde impériale et la grande armée, ils viennent d’écraser Napoléon, et il ne reste plus que Cambronne ; il n’y a plus pour protester que ce ver de terre. Il protestera. Alors il cherche un mot comme on cherche une épée. Il lui vient de l’écume, et cette écume, c’est le mot. Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément. Nous le répétons. Dire cela, faire cela, trouver cela, c’est être le vainqueur.

    L’esprit des grands jours entra dans cet homme inconnu à cette minute fatale. Cambronne trouve le mot de Waterloo comme Rouget de l’Isle trouve la Marseillaise, par visitation du souffle d’en haut. Un effluve de l’ouragan divin se détache et vient passer à travers ces hommes, et ils tressaillent, et l’un chante le chant suprême et l’autre pousse le cri terrible. Cette parole du dédain titanique, Cambronne ne la jette pas seulement à l’Europe au nom de l’empire, ce serait peu ; il la jette au passé au nom de la révolution. On l’entend, et l’on reconnaît dans Cambronne la vieille âme des géants. Il semble que c’est Danton qui parle ou Kléber qui rugit.

    Au mot de Cambronne, la voix anglaise répondit : feu ! les batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches d’airain sortit un dernier vomissement de mitraille épouvantable ; une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula, et, quand la fumée se dissipa, il n’y avait plus rien. Ce reste formidable était anéanti, la garde était morte. Les quatre murs de la redoute vivante gisaient, à peine distinguait-on çà et là un tressaillement parmi les cadavres ; et c’est ainsi que les légions françaises, plus grandes que les légions romaines, expirèrent à Mont-Saint-Jean sur la terre mouillée de pluie et de sang, dans les blés sombres, à l’endroit où passe maintenant à quatre heures du matin, en sifflant et en fouettant gaîment son cheval, Joseph, qui fait le service de la malle-poste de Nivelles.


     

    XVI


     

    QUOT LIBRAS IN DUCE ?


     

    La bataille de Waterloo est une énigme. Elle est aussi obscure pour ceux qui l’ont gagnée que pour celui qui l’ont perdue. Pour Napoléon, c’est une panique [3]. Blücher n’y voit que du feu ; Wellington n’y comprend rien. Voyez les rapports. Les bulletins sont confus, les commentaires sont embrouillés. Ceux-ci balbutient, ceux-là bégayent. Jomini partage la bataille de Waterloo en quatre moments ; Muffling la coupe en trois péripéties ; Charras, quoique sur quelques points nous ayons une autre appréciation que lui, a seul saisi de son fier coup d’œil les linéaments caractéristiques de cette catastrophe du génie humain aux prises avec le hasard divin. Tous les autres historiens ont un certain éblouissement, et dans cet éblouissement ils tâtonnent. Journée fulgurante, en effet, écroulement de la monarchie militaire qui, à la grande stupeur des rois, a entraîné tous les royaumes, chute de la force, déroute de la guerre.

    Dans cet événement, empreint de nécessité surhumaine, la part des hommes n’est rien.

    Retirer Waterloo à Wellington et à Blücher, est-ce ôter quelque chose à l’Angleterre et à l’Allemagne ? Non. Ni cette illustre Angleterre ni cette auguste Allemagne ne sont en question dans le problème de Waterloo. Grâce au ciel, les peuples sont grands en dehors des lugubres aventures de l’épée. Ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni la France, ne tiennent dans un fourreau. Dans cette époque où Waterloo n’est qu’un cliquetis de sabres, au-dessus de Blücher l’Allemagne a Gœthe et au-dessus de Wellington l’Angleterre a Byron. Un vaste lever d’idées est propre à notre siècle, et dans cette aurore l’Angleterre et l’Allemagne ont une lueur magnifique. Elles sont majestueuses par ce qu’elles pensent. L’élévation du niveau qu’elles apportent à la civilisation leur est intrinsèque ; il vient d’elles-mêmes, et non d’un accident. Ce qu’elles ont d’agrandissement au dix-neuvième siècle n’a point Waterloo pour source. Il n’y a que les peuples barbares qui aient des crues subites après une victoire. C’est la vanité passagère des torrents enflés d’un orage. Les peuples civilisés, surtout au temps où nous sommes, ne se haussent ni ne s’abaissent par la bonne ou mauvaise fortune d’un capitaine. Leur poids spécifique dans le genre humain résulte de quelque chose de plus qu’un combat. Leur honneur, Dieu merci, leur dignité, leur lumière, leur génie, ne sont pas des numéros que les héros et les conquérants, ces joueurs, peuvent mettre à la loterie des batailles. Souvent bataille perdue, progrès conquis. Moins de gloire, plus de liberté. Le tambour se tait, la raison prend la parole. C’est le jeu à qui perd gagne. Parlons donc de Waterloo froidement des deux côtés. Rendons au hasard ce qui est au hasard et à Dieu ce qui est à Dieu. Qu’est-ce que Waterloo ? Une victoire ? Non. Un quine.

    Quine gagné par l’Europe, payé par la France.

    Ce n’était pas beaucoup la peine de mettre là un lion.

    Waterloo, du reste, est la plus étrange rencontre qui soit dans l’histoire. Napoléon et Wellington. Ce ne sont pas des ennemis, ce sont des contraires. Jamais Dieu, qui se plaît aux antithèses, n’a fait un plus saisissant contraste et une confrontation plus extraordinaire. D’un côté la précision, la prévision, la géométrie, la prudence, la retraite assurée, les réserves ménagées, un sang-froid opiniâtre, une méthode imperturbable, la stratégie qui profite du terrain, la tactique qui équilibre les bataillons, le carnage tiré au cordeau, la guerre réglée montre en main, rien laissé volontairement au hasard, le vieux courage classique, la correction absolue ; de l’autre l’intuition, la divination, l’étrangeté militaire, l’instinct surhumain, le coup d’œil flamboyant, on ne sait quoi qui regarde comme l’aigle et qui frappe comme la foudre, un art prodigieux dans une impétuosité dédaigneuse, tous les mystères d’une âme profonde, l’association avec le destin, le fleuve, la plaine, la forêt, la colline, sommés et en quelque sorte forcés d’obéir, le despote allant jusqu’à tyranniser le champ de bataille, la foi à l’étoile mêlée à la science stratégique, la grandissant, mais la troublant. Wellington était le Barême de la guerre, Napoléon en était le Michel-Ange, et cette fois le génie fut vaincu par le calcul.

    Des deux côtés on attendait quelqu’un. Ce fut le calculateur exact qui réussit. Napoléon attendait Grouchy ; il ne vint pas. Wellington attendait Blücher ; il vint.

    Wellington, c’est la guerre classique qui prend sa revanche. Bonaparte, à son aurore, l’avait rencontrée en Italie, et superbement battue. La vieille chouette avait fui devant le jeune vautour. L’ancienne tactique avait été non seulement foudroyée, mais scandalisée. Qu’était-ce que ce Corse de vingt-six ans, que signifiait cet ignorant splendide qui, ayant tout contre lui, rien pour lui, sans vivres, sans munitions, sans canons, sans souliers, presque sans armée, avec une poignée d’hommes contre des masses, se ruait sur l’Europe coalisée, et gagnait absurdement des victoires dans l’impossible ? D’où sortait ce forcené foudroyant qui, presque sans reprendre haleine, et avec le même jeu de combattants dans la main, pulvérisait l’une après l’autre les cinq armées de l’empereur d’Allemagne, culbutant Beaulieu sur Alvinzi, Wurmser sur Beaulieu, Mélas sur Wurmser, Mack sur Mélas ? Qu’était-ce que ce nouveau venu de la guerre ayant l’effronterie d’un astre ? L’école académique militaire l’excommuniait en lâchant pied. De là une implacable rancune du vieux césarisme contre le nouveau, du sabre correct contre l’épée flamboyante, et de l’échiquier contre le génie. Le 18 juin 1815, cette rancune eut le dernier mot, et au-dessous de Lodi, de Montebello, de Montenotte, de Mantoue, de Marengo, d’Arcole, elle écrivit : Waterloo. Triomphe des médiocres, doux aux majorités. Le destin consentit à cette ironie. À son déclin, Napoléon retrouva devant lui Wurmser jeune.

    Pour avoir Wurmser en effet, il suffît de blanchir les cheveux de Wellington.

    Waterloo est une bataille du premier ordre gagnée par un capitaine du second.

    Ce qu’il faut admirer dans la bataille de Waterloo, c’est l’Angleterre, c’est la fermeté anglaise, c’est la résolution anglaise, c’est le sang anglais ; ce que l’Angleterre a eu là de superbe, ne lui en déplaise, c’est elle-même. Ce n’est pas son capitaine, c’est son armée.

    Wellington, bizarrement ingrat, déclare dans une lettre à lord Bathurst que son armée, l’armée qui a combattu le 18 juin 1815, était une « détestable armée ». Qu’en pense cette sombre mêlée d’ossements enfouis sous les sillons de Waterloo ?

    L’Angleterre a été trop modeste vis-à-vis de Wellington. Faire Wellington si grand, c’est faire l’Angleterre petite. Wellington n’est qu’un héros comme un autre. Ces Écossais gris, ces horse-guards, ces régiments de Maitland et de Mitchell, cette infanterie de Pack et de Kempt, cette cavalerie de Ponsomby et de Somerset, ces highlanders jouant du pibroch sous la mitraille, ces bataillons de Rylandt, ces recrues toutes fraîches qui savaient à peine manier le mousquet tenant tête aux vieilles bandes d’Essling et de Rivoli, voilà ce qui est grand. Wellington a été tenace, ce fut là son mérite, et nous ne le lui marchandons pas, mais le moindre de ses fantassins et de ses cavaliers a été tout aussi solide que lui. L’iron-soldier vaut l’iron-duke. Quant à nous, toute notre glorification va au soldat anglais. Si trophée il y a, c’est à l’Angleterre que le trophée est dû. La colonne de Waterloo serait plus juste si, au lieu de la figure d’un homme, elle élevait dans la nue la statue d’un peuple.

    Mais cette grande Angleterre s’irritera de ce que nous disons ici. Elle a encore, après son 1688 et notre 1789, l’illusion féodale. Elle croit à l’hérédité et à la hiérarchie. Ce peuple, qu’aucun ne dépasse en puissance et en gloire, s’estime comme nation, non comme peuple. En tant que peuple, il se subordonne volontiers et prend un lord pour une tête. Workman, il se laisse dédaigner ; soldat, il se laisse bâtonner. On se souvient qu’à la bataille d’Inkermann un sergent qui, à ce qu’il paraît, avait sauvé l’armée, ne put être mentionné par lord Raglan, la hiérarchie militaire anglaise ne permettant de citer dans un rapport aucun héros au-dessous du grade d’officier.

    Ce que nous admirons par-dessus tout, dans une rencontre du genre de celle de Waterloo, c’est la prodigieuse habileté du hasard. Pluie nocturne, mur de Hugomont, chemin creux d’Ohain, Grouchy sourd au canon, guide de Napoléon qui le trompe, guide de Bülow qui l’éclaire ; tout ce cataclysme est merveilleusement conduit.

    Au total, disons-le, il y eut à Waterloo plus de massacre que de bataille.

    Waterloo est de toutes les batailles rangées celle qui a le plus petit front sur un tel nombre de combattants. Napoléon, trois quarts de lieue, Wellington, une demi-lieue ; soixante-douze mille combattants de chaque côté. De cette épaisseur vint le carnage.

    On a fait ce calcul et établi cette proportion : Perte d’hommes : ― À Austerlitz, français, quatorze pour cent ; russes, trente pour cent ; autrichiens, quarante-quatre pour cent. À Wagram, français, treize pour cent ; autrichiens, quatorze. À la Moskowa, français, trente-sept pour cent ; russes, quarante-quatre. À Bautzen, français, treize pour cent ; russes et prussiens, quatorze. À Waterloo, français, cinquante-six pour cent ; alliés, trente et un. Total pour Waterloo, quarante et un pour cent. Cent quarante-quatre mille combattants ; soixante mille morts.

    Le champ de Waterloo aujourd’hui a le calme qui appartient à la terre, support impassible de l’homme, et il ressemble à toutes les plaines.

    La nuit pourtant une espèce de brume visionnaire s’en dégage, et si quelque voyageur s’y promène, s’il regarde, s’il écoute, s’il rêve comme Virgile devant les funestes plaines de Philippes, l’hallucination de la catastrophe le saisit. L’effrayant 18 juin revit ; la fausse colline monument s’efface, ce lion quelconque se dissipe, le champ de bataille reprend sa réalité ; des lignes d’infanterie ondulent dans la plaine, des galops furieux traversent l’horizon ; le songeur effaré voit l’éclair des sabres, l’étincelle des bayonnettes, le flamboiement des bombes, l’entrecroisement monstrueux des tonnerres ; il entend, comme un râle au fond d’une tombe, la clameur vague de la bataille fantôme ; ces ombres, ce sont les grenadiers ; ces lueurs, ce sont les cuirassiers ; ce squelette, c’est Napoléon ; ce squelette, c’est Wellington ; tout cela n’est plus et se heurte et combat encore ; et les ravins s’empourprent, et les arbres frissonnent, et il y a de la furie jusque dans les nuées, et, dans les ténèbres, toutes ces hauteurs farouches, Mont-Saint-Jean, Hougomont, Frischemont, Papelotte, Plancenoit, apparaissent confusément couronnées de tourbillons de spectres s’exterminant.


     

    XVII


     

    FAUT-IL TROUVER BON WATERLOO ?


     

    Il existe une école libérale très respectable qui ne hait point Waterloo. Nous n’en sommes pas. Pour nous, Waterloo n’est que la date stupéfaite de la liberté. Qu’un tel aigle sorte d’un tel œuf, c’est à coup sûr l’inattendu.

    Waterloo, si l’on se place au point de vue culminant de la question, est intentionnellement une victoire contre-révolutionnaire. C’est l’Europe contre la France, c’est Pétersbourg, Berlin et Vienne contre Paris, c’est le statu quo contre l’initiative, c’est le 14 juillet 1789 attaqué à travers le 20 mars 1815, c’est le branle-bas des monarchies contre l’indomptable émeute française. Éteindre enfin ce vaste peuple en éruption depuis vingt-six ans, tel était le rêve. Solidarité des Brunswick, des Nassau, des Romanoff, des Hohenzollern, des Habsburg, avec les Bourbons. Waterloo porte en croupe le droit divin. Il est vrai que, l’empire ayant été despotique, la royauté, par la réaction naturelle des choses, devait forcément être libérale, et qu’un ordre constitutionnel à contre-cœur est sorti de Waterloo, au grand regret des vainqueurs. C’est que la révolution ne peut être vraiment vaincue, et qu’étant providentielle et absolument fatale, elle reparaît toujours, avant Waterloo, dans Bonaparte jetant bas les vieux trônes, après Waterloo, dans Louis XVIII octroyant et subissant la Charte. Bonaparte met un postillon sur le trône de Naples et un sergent sur le trône de Suède, employant l’inégalité à démontrer l’égalité ; Louis XVIII à Saint-Ouen contresigne la déclaration des droits de l’homme. Voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que la révolution, appelez-la Progrès ; et voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que le progrès, appelez-le Demain. Demain fait irrésistiblement son œuvre, et il la fait dès aujourd’hui. Il arrive toujours à son but, étrangement. Il emploie Wellington à faire de Foy, qui n’était qu’un soldat, un orateur. Foy tombe à Hougomont et se relève à la tribune. Ainsi procède le progrès. Pas de mauvais outil pour cet ouvrier-là. Il ajuste à son travail divin, sans se déconcerter, l’homme qui a enjambé les Alpes, et le bon vieux malade chancelant du père Élysée. Il se sert du podagre comme du conquérant ; du conquérant au dehors, du podagre au dedans. Waterloo, en coupant court à la démolition des trônes européens par l’épée, n’a eu d’autre effet que de faire continuer le travail révolutionnaire d’un autre côté. Les sabreurs ont fini, c’est le tour des penseurs. Le siècle que Waterloo voulait arrêter a marché dessus et a poursuivi sa route. Cette victoire sinistre a été vaincue par la liberté.

    En somme, et incontestablement, ce qui triomphait à Waterloo, ce qui souriait derrière Wellington, ce qui lui apportait tous les bâtons de maréchal de l’Europe, y compris, dit-on, le bâton de maréchal de France, ce qui roulait joyeusement les brouettées de terre pleine d’ossements pour élever la butte du lion, ce qui a triomphalement écrit sur ce piédestal cette date : 18 juin 1815, ce qui encourageait Blücher sabrant la déroute, ce qui du haut du plateau de Mont-Saint-Jean se penchait sur la France comme sur une proie, c’était la contre-révolution. C’est la contre-révolution qui murmurait ce mot infâme : démembrement. Arrivée à Paris, elle a vu le cratère de près, elle a senti que cette cendre lui brûlait les pieds, et elle s’est ravisée. Elle est revenue au bégaiement d’une charte.

    Ne voyons dans Waterloo que ce qui est dans Waterloo. De liberté intentionnelle, point. La contre-révolution était involontairement libérale, de même que, par un phénomène correspondant, Napoléon était involontairement révolutionnaire. Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné.


     

    XVIII


     

    RECRUDESCENCE DU DROIT DIVIN


     

    Fin de la dictature. Tout un système d’Europe croula.

    L’empire s’affaissa dans une ombre qui ressembla à celle du monde romain expirant. On revit de l’abîme comme au temps des barbares. Seulement la barbarie de 1815, qu’il faut nommer, de son petit nom, la contre-révolution, avait peu d’haleine, s’essouffla vite, et resta court. L’empire, avouons-le, fut pleuré, et pleuré par des yeux héroïques. Si la gloire est dans le glaive fait sceptre, l’empire avait été la gloire même. Il avait répandu sur la terre toute la lumière que la tyrannie peut donner ; lumière sombre. Disons plus : lumière obscure. Comparée au vrai jour, c’est de la nuit. Cette disparition de la nuit fit l’effet d’une éclipse.

    Louis XVIII rentra dans Paris. Les danses en rond du 8 juillet effacèrent les enthousiasmes du 20 mars. Le corse devint l’antithèse du béarnais. Le drapeau du dôme des Tuileries fut blanc. L’exil trôna. La table de sapin de Hartwell prit place devant le fauteuil fleurdelysé de Louis XIV. On parla de Bouvines et de Fontenoy comme d’hier, Austerlitz ayant vieilli. L’autel et le trône fraternisèrent majestueusement. Une des formes les plus incontestées du salut de la société au dix-neuvième siècle s’établit sur la France et sur le continent. L’Europe prit la cocarde blanche. Trestaillon fut célèbre. La devise non pluribus impar reparut dans des rayons de pierre figurant un soleil sur la façade de la caserne du quai d’Orsay. Où il y avait eu une garde impériale, il y eut une maison rouge. L’arc du Carrousel, tout chargé de victoires mal portées, dépaysé dans ces nouveautés, un peu honteux peut-être de Marengo et d’Arcole, se tira d’affaire avec la statue du duc d’Angoulême. Le cimetière de la Madeleine, redoutable fosse commune de 93, se couvrit de marbre et de jaspe, les os de Louis XVI et de Marie-Antoinette étant dans cette poussière. Dans le fossé de Vincennes, un cippe sépulcral sortit de terre, rappelant que le duc d’Enghien était mort dans le mois même où Napoléon avait été couronné. Le pape Pie VII, qui avait fait ce sacre très près de cette mort, bénit tranquillement la chute comme il avait béni l’élévation. Il y eut à Schœnbrunn une petite ombre âgée de quatre ans qu’il fut séditieux d’appeler le roi de Rome. Et ces choses se sont faites, et ces rois ont repris leurs trônes, et le maître de l’Europe a été mis dans une cage, et l’ancien régime est devenu le nouveau, et toute l’ombre et toute la lumière de la terre ont changé de place, parce que, dans l’après-midi d’un jour d’été, un pâtre a dit à un prussien dans un bois : passez par ici et non par là !

    Ce 1815 fut une sorte d’avril lugubre. Les vieilles réalités malsaines et vénéneuses se couvrirent d’apparences neuves. Le mensonge épousa 1789, le droit divin se masqua d’une charte, les fictions se firent constitutionnelles, les préjugés, les superstitions et les arrière-pensées, avec l’article 14 au cœur, se vernirent de libéralisme. Changement de peau des serpents.

    L’homme avait été à la fois agrandi et amoindri par Napoléon. L’idéal, sous ce règne de la matière splendide, avait reçu le nom étrange d’idéologie. Grave imprudence d’un grand homme, tourner en dérision l’avenir. Les peuples cependant, cette chair à canon si amoureuse du canonnier, le cherchaient des yeux. Où est-il ? Que fait-il ? Napoléon est mort, disait un passant à un invalide de Marengo et de Waterloo. — Lui mort ! s’écria ce soldat, vous le connaissez bien ! Les imaginations déifiaient cet homme terrassé. Le fond de l’Europe, après Waterloo, fut ténébreux. Quelque chose d’énorme resta longtemps vide par l’évanouissement de Napoléon.

    Les rois se mirent dans ce vide. La vieille Europe en profita pour se reformer. Il y eut une Sainte-Alliance. Belle-Alliance, avait dit d’avance le champ fatal de Waterloo.

    En présence et en face de cette antique Europe refaite, les linéaments d’une France nouvelle s’ébauchèrent. L’avenir, raillé par l’empereur, fit son entrée. Il avait sur le front cette étoile, Liberté. Les yeux ardents des jeunes générations se tournèrent vers lui. Chose singulière, on s’éprit en même temps de cet avenir, Liberté, et de ce passé, Napoléon. La défaite avait grandi le vaincu. Bonaparte tombé semblait plus haut que Napoléon debout. Ceux qui avaient triomphé eurent peur. L’Angleterre le fit garder par Hudson Lowe et la France le fit guetter par Montchenu. Ses bras croisés devinrent l’inquiétude des trônes. Alexandre le nommait : mon insomnie. Cet effroi venait de la quantité de révolution qu’il avait en lui. C’est ce qui explique et excuse le libéralisme bonapartiste. Ce fantôme donnait le tremblement au vieux monde. Les rois régnèrent mal à leur aise, avec le rocher de Sainte-Hélène à l’horizon.

    Pendant que Napoléon agonisait à Longwood, les soixante mille hommes tombés dans le champ de Waterloo pourrirent tranquillement, et quelque chose de leur paix se répandit dans le monde. Le congrès de Vienne en fit les traités de 1815, et l’Europe nomma cela la restauration.

    Voilà ce que c’est que Waterloo.

    Mais qu’importe à l’infini ? Toute cette tempête, tout ce nuage, cette guerre, puis cette paix, toute cette ombre, ne troubla pas un moment la lueur de l’œil immense devant lequel un puceron sautant d’un brin d’herbe à l’autre égale l’aigle volant de clocher en clocher aux tours de Notre-Dame.


     

    XIX


     

    LE CHAMP DE BATAILLE LA NUIT


     

    Revenons, c’est une nécessité de ce livre, sur ce fatal champ de bataille.

    Le 18 juin 1815, c’était pleine lune. Cette clarté favorisa la poursuite féroce de Blücher, dénonça les traces des fuyards, livra cette masse désastreuse à la cavalerie prussienne acharnée, et aida au massacre. Il y a parfois dans les catastrophes de ces tragiques complaisances de la nuit.

    Après le dernier coup de canon tiré, la plaine de Mont-Saint-Jean resta déserte.

    Les anglais occupèrent le campement des français ; c’est la constatation habituelle de la victoire ; coucher dans le lit du vaincu. Ils établirent leur bivouac au delà de Rossomme. Les prussiens, lâchés sur la déroute, poussèrent en avant, Wellington alla au village de Waterloo rédiger son rapport à lord Bathurst.

    Si jamais le sic vos non vobis a été applicable, c’est à coup sûr à ce village de Waterloo. Waterloo n’a rien fait, et est resté à une demi-lieue de l’action. Mont-Saint-Jean a été canonné, Hougomont a été brûlé, Plancenoit a été brûlé, la Haie-Sainte a été prise d’assaut, la Belle-Alliance a vu l’embrasement des deux vainqueurs ; on sait à peine ces noms, et Waterloo qui n’a point travaillé dans la bataille en a tout l’honneur.

    Nous ne sommes pas de ceux qui flattent la guerre ; quand l’occasion s’en présente, nous lui disons ses vérités. La guerre a d’affreuses beautés que nous n’avons point cachées ; elle a aussi, convenons-en, quelques laideurs. Une des plus surprenantes, c’est le prompt dépouillement des morts après la victoire. L’aube qui suit une bataille se lève toujours sur des cadavres nus.

    Qui fait cela ? Qui souille ainsi le triomphe ? Quelle est cette hideuse main furtive qui se glisse dans la poche de la victoire ? Quels sont ces filous faisant leur coup derrière la gloire ? Quelques philosophes, Voltaire entre autres, affirment que ce sont précisément ceux-là qui ont fait la gloire. Ce sont les mêmes, disent-ils, il n’y a pas de rechange, ceux qui sont debout pillent ceux qui sont à terre. Le héros du jour est le vampire de la nuit. On a bien le droit, après tout, de détrousser un peu un cadavre dont on est l’auteur. Quant à nous, nous ne le croyons pas. Cueillir des lauriers et voler les souliers d’un mort, cela nous semble impossible à la même main.

    Ce qui est certain, c’est que, d’ordinaire, après les vainqueurs viennent les voleurs. Mais mettons le soldat, surtout le soldat contemporain, hors de cause.

    Toute armée a une queue, et c’est là ce qu’il faut accuser. Des êtres chauves-souris, mi-partis brigands et valets, toutes les espèces de vespertilio qu’engendre ce crépuscule qu’on appelle la guerre, des porteurs d’uniformes qui ne combattent pas, de faux malades, des éclopés redoutables, des cantiniers interlopes trottant quelquefois avec leurs femmes, sur de petites charrettes et volant ce qu’ils revendent, des mendiants s’offrant pour guides aux officiers, des goujats, des maraudeurs, les armées en marche autrefois, — nous ne parlons pas du temps présent, — traînaient tout cela, si bien que, dans la langue spéciale, cela s’appelait « les traînards ». Aucune armée ni aucune nation n’étaient responsables de ces êtres ; ils parlaient italien et suivaient les allemands ; ils parlaient français et suivaient les anglais. C’est par un de ces misérables, traînard espagnol qui parlait français, que le marquis de Fervacques, trompé par son baragouin picard, et le prenant pour un des nôtres, fut tué en traître et volé sur le champ de bataille même, dans la nuit qui suivit la victoire de Cerisoles. De la maraude naissait le maraud. La détestable maxime : vivre sur l’ennemi, produisait cette lèpre, qu’une forte discipline pouvait seule guérir. Il y a des renommées qui trompent ; on ne sait pas toujours pourquoi de certains généraux, grands d’ailleurs, ont été si populaires. Turenne était adoré de ses soldats parce qu’il tolérait le pillage ; le mal permis fait partie de la bonté ; Turenne était si bon qu’il a laissé mettre à feu et à sang le Palatinat. On voyait à la suite des armées moins ou plus de maraudeurs selon que le chef était plus ou moins sévère. Hoche et Marceau n’avaient point de traînards ; Wellington, nous lui rendons volontiers cette justice, en avait peu.

    Pourtant, dans la nuit du 18 au 19 juin, on dépouilla les morts. Wellington fut rigide ; ordre de passer par les armes quiconque serait pris en flagrant délit ; mais la rapine est tenace. Les maraudeurs volaient dans un coin du champ de bataille pendant qu’on les fusillait dans l’autre.

    La lune était sinistre sur cette plaine.

    Vers minuit, un homme rôdait, ou plutôt rampait, du côté du chemin creux d’Ohain. C’était, selon toute apparence, un de ceux que nous venons de caractériser, ni anglais, ni français, ni paysan, ni soldat, moins homme que goule, attiré par le flair des morts, ayant pour victoire le vol, venant dévaliser Waterloo. Il était vêtu d’une blouse qui était un peu une capote, il était inquiet et audacieux, il allait devant lui et regardait derrière lui. Qu’était-ce que cet homme ? La nuit probablement en savait plus sur son compte que le jour. Il n’avait point de sac, mais évidemment de larges poches sous sa capote. De temps en temps, il s’arrêtait, examinait la plaine autour de lui comme pour voir s’il n’était pas observé, se penchait brusquement, dérangeait à terre quelque chose de silencieux et d’immobile, puis se redressait et s’esquivait. Son glissement, ses attitudes, son geste rapide et mystérieux le faisaient ressembler à ces larves crépusculaires qui hantent les ruines et que les anciennes légendes normandes appellent les Alleurs.

    De certains échassiers nocturnes font de ces silhouettes dans les marécages.

    Un regard qui eût sondé attentivement toute cette brume eût pu remarquer, à quelque distance, arrêté et comme caché derrière la masure qui borde sur la chaussée de Nivelles l’angle de la route de Mont-Saint-Jean à Braine-l’Alleud, une façon de petit fourgon de vivandier à coiffe d’osier goudronnée, attelé d’une haridelle affamée broutant l’ortie à travers son mors, et dans ce fourgon une espèce de femme assise sur des coffres et des paquets. Peut-être y avait-il un lien entre ce fourgon et ce rôdeur.

    L’obscurité était sereine. Pas un nuage au zénith. Qu’importe que la terre soit rouge, la lune reste blanche. Ce sont là les indifférences du ciel. Dans les prairies, des branches d’arbre cassées par la mitraille mais non tombées et retenues par l’écorce se balançaient doucement au vent de la nuit. Une haleine, presque une respiration, remuait les broussailles. Il y avait dans l’herbe des frissons qui ressemblaient à des départs d’âmes.

    On entendait vaguement au loin aller et venir les patrouilles et les rondes-major du campement anglais.

    Hougomont et la Haie-Sainte continuaient de brûler, faisant, l’un à l’ouest, l’autre à l’est, deux grosses flammes auxquelles venait se rattacher, comme un collier de rubis dénoué ayant à ses extrémités deux escarboucles, le cordon de feux du bivouac anglais étalé en demi-cercle immense sur les collines de l’horizon.

    Nous avons dit la catastrophe du chemin d’Ohain. Ce qu’avait été cette mort pour tant de braves, le cœur s’épouvante d’y songer.

    Si quelque chose est effroyable, s’il existe une réalité qui dépasse le rêve, c’est ceci : vivre, voir le soleil, être en pleine possession de la force virile, avoir la santé et la joie, rire vaillamment, courir vers une gloire qu’on a devant soi, éblouissante, se sentir dans la poitrine un poumon qui respire, un cœur qui bat, une volonté qui raisonne, parler, penser, espérer, aimer, avoir une mère, avoir une femme, avoir des enfants, avoir la lumière, et tout à coup, le temps d’un cri, en moins d’une minute, s’effondrer dans un abîme, tomber, rouler, écraser, être écrasé, voir des épis de blé, des fleurs, des feuilles, des branches, ne pouvoir se retenir à rien, sentir son sabre inutile, des hommes sous soi, des chevaux sur soi, se débattre en vain, les os brisés par quelque ruade dans les ténèbres, sentir un talon qui vous fait jaillir les yeux, mordre avec rage des fers de chevaux, étouffer, hurler, se tordre, être là-dessous, et se dire : tout à l’heure j’étais un vivant !

    Là où avait râlé ce lamentable désastre, tout faisait silence maintenant. L’encaissement du chemin creux était comble de chevaux et de cavaliers inextricablement amoncelés. Enchevêtrement terrible. Il n’y avait plus de talus, les cadavres nivelaient la route avec la plaine et venaient au ras du bord comme un boisseau d’orge bien mesuré. Un tas de morts dans la partie haute, une rivière de sang dans la partie basse ; telle était cette route, le soir du 18 juin 1815. Le sang coulait jusque sur la chaussée de Nivelles et s’y extravasait en une large mare devant l’abattis d’arbres qui barrait la chaussée, à un endroit qu’on montre encore. C’est, on s’en souvient, au point opposé, vers la chaussée de Genappe, qu’avait eu lieu l’effondrement des cuirassiers. L’épaisseur des cadavres se proportionnait à la profondeur du chemin creux. Vers le milieu, à l’endroit où il devenait plan, là où avait passé la division Delord, la couche des morts s’amincissait.

    Le rôdeur nocturne que nous venons de faire entrevoir au lecteur allait de ce côté, il furetait cette immense tombe. Il regardait. Il passait on ne sait quelle hideuse revue des morts. Il marchait les pieds dans le sang.

    Tout à coup il s’arrêta.

    À quelques pas devant lui, dans le chemin creux, au point où finissait le monceau des morts, de dessous cet amas d’hommes et de chevaux, sortait une main ouverte, éclairée par la lune.

    Cette main avait au doigt quelque chose qui brillait, et qui était un anneau d’or.

    L’homme se courba, demeura un moment accroupi, et quand il se releva, il n’y avait plus d’anneau à cette main.

    Il ne se releva pas précisément ; il resta dans une attitude fausse et effarouchée, tournant le dos au tas de morts, scrutant l’horizon, à genoux, tout l’avant du corps portant sur les deux index appuyés à terre, la tête guettant par-dessus le bord du chemin creux. Les quatre pattes du chacal conviennent à de certaines actions.

    Puis, prenant son parti, il se dressa.

    En ce moment il eut un soubresaut. Il sentit que par derrière on le tenait.

    Il se retourna ; c’était la main ouverte qui s’était refermée et qui avait saisi le pan de sa capote.

    Un honnête homme eût eu peur. Celui-ci se mit à rire.

    Tiens, dit-il, ce n’est que le mort. J’aime mieux un revenant qu’un gendarme.

    Cependant la main défaillit et le lâcha. L’effort s’épuise vite dans la tombe.

    Ah çà ! reprit le rôdeur, est-il vivant ce mort ? Voyons donc.

    Il se pencha de nouveau, fouilla le tas, écarta ce qui faisait obstacle, saisit la main, empoigna le bras, dégagea la tête, tira le corps, et quelques instants après il traînait dans l’ombre du chemin creux un homme inanimé, au moins évanoui. C’était un cuirassier, un officier, un officier même d’un certain rang ; une grosse épaulette d’or sortait de dessous la cuirasse ; cet officier n’avait plus de casque. Un furieux coup de sabre balafrait son visage où l’on ne voyait que du sang. Du reste, il ne semblait pas qu’il eût de membre cassé, et par quelque hasard heureux, si ce mot est possible ici, les morts s’étaient arc-boutés au-dessus de lui de façon à le garantir de l’écrasement. Ses yeux étaient fermés.

    Il avait sur sa cuirasse la croix d’argent de la Légion d’honneur.

    Le rôdeur arracha cette croix qui disparut dans un des gouffres qu’il avait sous sa capote.

    Après quoi, il tâta le gousset de l’officier, y sentit une montre et la prit. Puis il fouilla le gilet, y trouva une bourse et l’empocha.

    Comme il en était à cette phase des secours qu’il portait à ce mourant, l’officier ouvrit les yeux.

    Merci, dit-il faiblement.

    La brusquerie des mouvements de l’homme qui le maniait, la fraîcheur de la nuit, l’air respiré librement, l’avaient tiré de sa léthargie.

    Le rôdeur ne répondit point. Il leva la tête. On entendait un bruit de pas dans la plaine ; probablement quelque patrouille qui approchait.

    L’officier murmura, car il y avait encore de l’agonie dans sa voix :

    Qui a gagné la bataille ?

    Les anglais, répondit le rôdeur.

    L’officier reprit :

    Cherchez dans mes poches. Vous y trouverez une bourse et une montre. Prenez-les.

    C’était déjà fait.

    Le rôdeur exécuta le semblant demandé, et dit :

    Il n’y a rien.

    On m’a volé, reprit l’officier, j’en suis fâché. C’eût été pour vous.

    Les pas de la patrouille devenaient de plus en plus distincts.

    Voici qu’on vient, dit le rôdeur, faisant le mouvement d’un homme qui s’en va.

    L’officier, soulevant péniblement le bras, le retint : — Vous m’avez sauvé la vie. Qui êtes-vous ?

    Le rôdeur répondit vite et bas :

    J’étais comme vous de l’armée française. Il faut que je vous quitte. Si l’on me prenait, on me fusillerait. Je vous ai sauvé la vie. Tirez-vous d’affaire maintenant.

    Quel est votre grade ?

    Sergent.

    Comment vous appelez-vous ?

    Thénardier.

    Je n’oublierai pas ce nom, dit l’officier. Et vous, retenez le mien. Je me nomme Pontmercy.


    I


     

    LE NUMÉRO 24601 DEVIENT LE NUMÉRO 9430

    Jean Valjean avait été repris.

    On nous saura gré de passer rapidement sur des détails douloureux. Nous nous bornons à transcrire deux entrefilets publiés par les journaux du temps, quelques mois après les événements surprenants accomplis à Montreuil-sur-Mer.

    Ces articles sont un peu sommaires. On se souvient qu’il n’existait pas encore à cette époque de Gazette des Tribunaux.

    Nous empruntons le premier au Drapeau blanc. Il est daté du 25 juillet 1823 :


     

    « — Un arrondissement du Pas-de-Calais vient d’être le théâtre d’un événement peu ordinaire. Un homme étranger au département et nommé M. Madeleine avait relevé depuis quelques années, grâce à des procédés nouveaux, une ancienne industrie locale, la fabrication des jais et des verroteries noires. Il y avait fait sa fortune, et, disons-le, celle de l’arrondissement. En reconnaissance de ses services, on l’avait nommé maire. La police a découvert que ce M. Madeleine n’était autre qu’un ancien forçat en rupture de ban, condamné en 1796 pour vol, et nommé Jean Valjean. Jean Valjean a été réintégré au bagne. Il paraît qu’avant son arrestation il avait réussi à retirer de chez M. Laffitte une somme de plus d’un demi-million qu’il y avait placée, et qu’il avait, du reste, très légitimement, dit-on, gagnée dans son commerce. On n’a pu savoir où Jean Valjean avait caché cette somme depuis sa rentrée au bagne de Toulon. »


     

    Le deuxième article, un peu plus détaillé, est extrait du Journal de Paris, même date.


     

    « — Un ancien forçat libéré, nommé Jean Valjean, vient de comparaître devant la cour d’assises du Var dans des circonstances faites pour appeler l’attention. Ce scélérat était parvenu à tromper la vigilance de la police ; il avait changé de nom et avait réussi à se faire nommer maire d’une de nos petites villes du Nord. Il avait établi dans cette ville un commerce assez considérable. Il a été enfin démasqué et arrêté, grâce au zèle infatigable du ministère public. Il avait pour concubine une fille publique qui est morte de saisissement au moment de son arrestation. Ce misérable, qui est doué d’une force herculéenne, avait trouvé moyen de s’évader ; mais, trois ou quatre jours après son évasion, la police mit de nouveau la main sur lui, à Paris même, au moment où il montait dans une de ces petites voitures qui font le trajet de la capitale au village de Montfermeil (Seine-et-Oise). On dit qu’il avait profité de l’intervalle de ces trois ou quatre jours de liberté pour retirer une somme considérable placée par lui chez un de nos principaux banquiers. On évalue cette somme à six ou sept cent mille francs. À en croire l’acte d’accusation, il l’aurait enfouie en un lieu connu de lui seul et l’on n’a pas pu la saisir. Quoi qu’il en soit, le nommé Jean Valjean vient d’être traduit aux assises du département du Var comme accusé d’un vol de grand chemin commis à main armée, il y a huit ans environ, sur la personne d’un de ces honnêtes enfants qui, comme l’a dit le patriarche de Ferney en vers immortels :

  • «… De Savoie arrivent tous les ans
    « Et dont la main légèrement essuie
    « Ces longs canaux engorgés par la suie.
  • Il le faut, disait un guerrier.
  • Je les donnerai, dit la mère, j’ai quatre-vingts francs. Il me restera de quoi aller au pays. En allant à pied. Je gagnerai de l’argent là-bas, et dès que j’en aurai un peu, je reviendrai chercher l’amour.

    La voix d’homme reprit :

    La petite a un trousseau ?

    C’est mon mari, dit la Thénardier.

    Sans doute elle a un trousseau, le pauvre trésor. J’ai bien vu que c’était votre mari. Et un beau trousseau encore ! un trousseau insensé. Tout par douzaines ; et des robes de soie comme une dame. Il est là dans mon sac de nuit.

    Il faudra le donner, repartit la voix d’homme.

    Je crois bien que je le donnerai ! dit la mère. Ce serait cela qui serait drôle si je laissais ma fille toute nue !

    La face du maître apparut.

    C’est bon, dit-il.

    Le marché fut conclu. La mère passa la nuit à l’auberge, donna son argent et laissa son enfant, renoua son sac de nuit dégonflé du trousseau et léger désormais, et partit le lendemain matin, comptant revenir bientôt. On arrange tranquillement ces départs-là, mais ce sont des désespoirs.

    Une voisine des Thénardier rencontra cette mère comme elle s’en allait, et s’en revint en disant :

    Je viens de voir une femme qui pleure dans la rue, que c’est un déchirement.

    Quand la mère de Cosette fut partie, l’homme dit à la femme :

    Cela va me payer mon effet de cent dix francs qui échoit demain. Il me manquait cinquante francs. Sais-tu que j’aurais eu l’huissier et un protêt ? Tu as fait là une bonne souricière avec tes petites.

    Sans m’en douter, dit la femme.


     

    II

    PREMIÈRE ESQUISSE
    DE DEUX FIGURES LOUCHES


     

    La souris prise était bien chétive ; mais le chat se réjouit même d’une souris maigre.

    Qu’était-ce que les Thénardier ?

    Disons-en un mot dès à présent. Nous compléterons le croquis plus tard.

    Ces êtres appartenaient à cette classe bâtarde composée de gens grossiers parvenus et de gens intelligents déchus,qui est entre la classe dite moyenne et la classe dite inférieure, et qui combine quelques-uns des défauts de la seconde avec presque tous les vices de la première, sans avoir le généreux élan de l’ouvrier ni l’ordre honnête du bourgeois.

    C’étaient de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d’une brute et dans l’homme l’étoffe d’un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l’espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu’elles n’y avancent, employant l’expérience à augmenter leur difformité, empirant sans cesse, et s’imprégnant de plus en plus d’une noirceur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.

    Le Thénardier particulièrement était gênant pour le physionomiste. On n’a qu’à regarder certains hommes pour s’en défier, on les sent ténébreux à leurs deux extrémités. Ils sont inquiets derrière eux et menaçants devant eux. Il y a en eux de l’inconnu. On ne peut pas plus répondre de ce qu’ils ont fait que de ce qu’ils feront. L’ombre qu’ils ont dans le regard les dénonce. Rien qu’en les entendant dire un mot ou qu’en les voyant faire un geste on entrevoit de sombres secrets dans leur passé et de sombres mystères dans leur avenir.

    Ce Thénardier, s’il fallait l’en croire, avait été soldat ; sergent, disait-il ; il avait fait probablement la campagne de 1815, et s’était même comporté assez bravement, à ce qu’il paraît. Nous verrons plus tard ce qu’il en était. L’enseigne de son cabaret était une allusion à l’un de ses faits d’armes. Il l’avait peinte lui-même, car il savait faire un peu de tout ; mal.

    C’était l’époque où l’antique roman classique, qui, après avoir été Clélie, n’était plus que Lodoïska, toujours noble, mais de plus en plus vulgaire, tombé de mademoiselle de Scudéri à madame Bournon-Malarme, et de madame de Lafayette à madame Barthélémy-Hadot, incendiait l’âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue. Madame Thénardier était juste assez intelligente pour lire ces espèces de livres. Elle s’en nourrissait. Elle y noyait ce qu’elle avait de cervelle ; cela lui avait donné, tant qu’elle avait été très jeune, et même un peu plus tard, une sorte d’attitude pensive près de son mari, coquin d’une certaine profondeur, ruffian lettré à la grammaire près, grossier et fin en même temps, mais, en fait de sentimentalisme, lisant Pigault-Lebrun, et pour « tout ce qui touche le sexe », comme il disait dans son jargon, butor correct et sans mélange. Sa femme avait quelque douze ou quinze ans de moins que lui. Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la Mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu’une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aînée se nomma Éponine. Quant à la cadette, la pauvre petite faillit se nommer Gulnare ; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil, de ne s’appeler qu’Azelma.

    Au reste, pour le dire en passant, tout n’est pas ridicule et superficiel dans cette curieuse époque à laquelle nous faisons ici allusion, et qu’on pourrait appeler l’anarchie des noms de baptême. À côté de l’élément romanesque, que nous venons d’indiquer, il y a le symptôme social. Il n’est pas rare aujourd’hui que le garçon bouvier se nomme Arthur, Alfred ou Alphonse, et que le vicomte — s’il y a encore des vicomtes — se nomme Thomas, Pierre ou Jacques. Ce déplacement qui met le nom « élégant » sur le plébéien et le nom campagnard sur l’aristocrate n’est autre chose qu’un remous d’égalité. L’irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. Sous cette discordance apparente, il y a une chose grande et profonde : la révolution française.


     

    III

    L’ALOUETTE.


     

    Il ne suffit pas d’être méchant pour prospérer. La gargote allait mal.

    Grâce aux cinquante-sept francs de la voyageuse, Thénardier avait pu éviter un protêt et faire honneur à sa signature. Le mois suivant ils eurent encore besoin d’argent ; la femme porta à Paris et engagea au mont-de-piété le trousseau de Cosette pour une somme de soixante francs. Dès que cette somme fut dépensée, les Thénardier s’accoutumèrent à ne plus voir dans la petite fille qu’un enfant qu’ils avaient chez eux par charité, et la traitèrent en conséquence. Comme elle n’avait plus de trousseau, on l’habilla des vieilles jupes et des vieilles chemises des petites Thénardier, c’est-à-dire de haillons. On la nourrit des restes de tout le monde, un peu mieux que le chien et un peu plus mal que le chat. Le chat et le chien étaient du reste ses commensaux habituels ; Cosette mangeait avec eux sous la table dans une écuelle de bois pareille à la leur.

    La mère, qui s’était fixée, comme on le verra plus tard, à Montreuil-sur-mer, écrivait, ou, pour mieux dire, faisait écrire tous les mois afin d’avoir des nouvelles de son enfant. Les Thénardier répondaient invariablement : Cosette est à merveille.

    Les six premiers mois révolus, la mère envoya sept francs pour le septième mois, et continua assez exactement ses envois de mois en mois. L’année n’était pas finie que le Thénardier dit : – Une belle grâce qu’elle nous fait là ! que veut-elle que nous fassions avec ses sept francs ? Et il écrivit pour exiger douze francs. La mère, à laquelle ils persuadaient que son enfant était heureuse « et venait bien », se soumit et envoya les douze francs.

    Certaines natures ne peuvent aimer d’un côté sans haïr de l’autre. La mère Thénardier aimait passionnément ses deux filles à elle, ce qui fit qu’elle détesta l’étrangère. Il est triste de songer que l’amour d’une mère peut avoir de vilains aspects. Si peu de place que Cosette tînt chez elle, il lui semblait que cela était pris aux siens, et que cette petite diminuait l’air que ses filles respiraient. Cette femme, comme beaucoup de femmes de sa sorte, avait une somme de caresses et une somme de coups et d’injures à dépenser chaque jour. Si elle n’avait pas eu Cosette, il est certain que ses filles, tout idolâtrées qu’elles étaient, auraient tout reçu ; mais l’étrangère leur rendit le service de détourner les coups sur elle. Ses filles n’eurent que les caresses. Cosette ne faisait pas un mouvement qui ne fît pleuvoir sur sa tête une grêle de châtiments violents et immérités. Doux être faible qui ne devait rien comprendre à ce monde ni à Dieu, sans cesse punie, grondée, rudoyée, battue et voyant à côté d’elle deux petites créatures comme elle, qui vivaient dans un rayon d’aurore !

    La Thénardier étant méchante pour Cosette, Éponine et Azelma furent méchantes. Les enfants, à cet âge, ne sont que des exemplaires de la mère. Le format est plus petit, voilà tout.

    Une année s’écoula, puis une autre.

    On disait dans le village :

    Ces Thénardier sont de braves gens. Ils ne sont pas riches, et ils élèvent un pauvre enfant qu’on leur a abandonné chez eux !

    On croyait Cosette oubliée par sa mère.

    Cependant le Thénardier, ayant appris par on ne sait quelles voies obscures que l’enfant était probablement bâtard et que la mère ne pouvait l’avouer, exigea quinze francs par mois, disant que « la créature » grandissait et mangeait, et menaçant de la renvoyer. « Qu’elle ne m’embête pas ! » s’écriait-il, « je lui bombarde son mioche tout au beau milieu de ses cachoteries. Il me faut de l’augmentation. » La mère paya les quinze francs.

    D’année en année, l’enfant grandit, et sa misère aussi.

    Tant que Cosette fut toute petite, elle fut le souffre-douleur des deux autres enfants ; dès qu’elle se mit à se développer un peu, c’est-à-dire avant même qu’elle eût cinq ans, elle devint la servante de la maison.

    Cinq ans, dira-t-on, c’est invraisemblable. Hélas, c’est vrai. La souffrance sociale commence à tout âge. N’avons-nous pas vu, récemment, le procès d’un nommé Dumolard, orphelin devenu bandit, qui, dès l’âge de cinq ans, disent les documents officiels, étant seul au monde « travaillait pour vivre, et volait ».

    On fit faire à Cosette les commissions, balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter même des fardeaux. Les Thénardier se crurent d’autant plus autorisés à agir ainsi que la mère qui était toujours à Montreuil-sur-mer commença à mal payer. Quelques mois restèrent en souffrance.

    Si cette mère fût revenue à Montfermeil au bout de ces trois années, elle n’eût point reconnu son enfant. Cosette, si jolie et si fraîche à son arrivée dans cette maison, était maintenant maigre et blême. Elle avait je ne sais quelle allure inquiète. Sournoise ! disaient les Thénardier.

    L’injustice l’avait faite hargneuse et la misère l’avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils étaient, il semblait qu’on y vît une plus grande quantité de tristesse.

    C’était une chose navrante de voir, l’hiver, ce pauvre enfant, qui n’avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toile trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux.

    Dans le pays on l’appelait l’Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s’était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu’un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l’aube.

    Seulement la pauvre alouette ne chantait jamais.


     


     

    I

    HISTOIRE D’UN PROGRÈS DANS LES VERROTERIES NOIRES


     

    Cette mère cependant qui, au dire des gens de Montfermeil, semblait avoir abandonné son enfant, que devenait-elle ? où était-elle ? que faisait-elle ?

    Après avoir laissé sa petite Cosette aux Thénardier, elle avait continué son chemin et était arrivée à Montreuil-sur-Mer. C’était, on se le rappelle, en 1818.

    Fantine avait quitté sa province depuis une dizaine d’années. Montreuil-sur-Mer avait changé d’aspect. Tandis que Fantine descendait lentement de misère en misère, sa ville natale avait prospéré.

    Depuis deux ans environ, il s’y était accompli un de ces faits industriels qui sont les grands événements des petits pays.

    Ce détail importe, et nous croyons utile de le développer ; nous dirions presque, de le souligner.

    De temps immémorial, Montreuil-sur-Mer avait pour industrie spéciale l’imitation des jais anglais et des verroteries noires d’Allemagne. Cette industrie avait toujours végété, à cause de la cherté des matières premières qui réagissait sur la main-d’œuvre. Au moment où Fantine revint à Montreuil-sur-Mer, une transformation inouïe s’était opérée dans cette production des « articles noirs ». Vers la fin de 1815, un homme, un inconnu, était venu s’établir dans la ville et avait eu l’idée de substituer, dans cette fabrication, la gomme laque à la résine et, pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée. Ce tout petit changement avait été une révolution.

    Ce tout petit changement en effet avait prodigieusement réduit le prix de la matière première, ce qui avait permis, premièrement d’élever le prix de la main-d’œuvre, bienfait pour le pays, deuxièmement d’améliorer la fabrication, avantage pour le consommateur, troisièmement de vendre à meilleur marché tout en triplant le bénéfice, profit pour le manufacturier.

    Ainsi pour une idée trois résultats.

    En moins de trois ans, l’auteur de ce procédé était devenu riche, ce qui est bien, et avait tout fait riche autour de lui, ce qui est mieux. Il était étranger au département ! De son origine, on ne savait rien ; de ses commencements, peu de chose.

    On contait qu’il était venu dans la ville avec fort peu d’argent, quelques centaines de francs tout au plus.

    C’est de ce mince capital, mis au service d’une idée ingénieuse, fécondé par l’ordre et par la pensée, qu’il avait tiré sa fortune et la fortune de tout ce pays.

    À son arrivée à Montreuil-sur-Mer, il n’avait que les vêtements, la tournure et le langage d’un ouvrier.

    Il paraît que, le jour même où il faisait obscurément son entrée dans la petite ville de Montreuil-sur-Mer, à la tombée d’un soir de décembre, le sac au dos et le bâton d’épine à la main, un gros incendie venait d’éclater à la maison commune. Cet homme s’était jeté dans le feu, et avait sauvé, au péril de sa vie, deux enfants qui se trouvaient être ceux du capitaine de gendarmerie ; ce qui fait qu’on n’avait pas songé à lui demander son passe-port. Depuis lors, on avait su son nom. Il s’appelait le père Madeleine.


     

    II

    MADELEINE


     

    C’était un homme d’environ cinquante ans, qui avait l’air préoccupé et qui était bon. Voilà tout ce qu’on en pouvait dire.

    Grâce aux progrès rapides de cette industrie qu’il avait si admirablement remaniée, Montreuil-sur-Mer, pour ce commerce, faisait presque concurrence à Londres et à Berlin, Les bénéfices du père Madeleine étaient tels que, dès la deuxième année, il avait pu bâtir une grande fabrique dans laquelle il y avait deux vastes ateliers, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Quiconque avait faim pouvait s’y présenter, et était sûr de trouver là de l’emploi et du pain. Le père Madeleine demandait aux hommes de la bonne volonté, aux femmes des mœurs pures, à tous de la probité. Il avait divisé les ateliers, afin de séparer les sexes et que les filles et les femmes pussent rester sages. Sur ce point, il était inflexible. C’était le seul où il fût en quelque sorte intolérant. Il était d’autant plus fondé à cette sévérité que, Montreuil-sur-Mer étant une ville de garnison, les occasions de corruption abondaient. Du reste sa venue avait été un bienfait, et sa présence était une providence. Avant l’arrivée du père Madeleine, tout languissait dans le pays ; maintenant tout y vivait de la vie saine du travail. Une forte circulation échauffait tout et pénétrait partout. Le chômage et la misère étaient inconnus. Il n’y avait pas de poche si obscure où il n’y eût un peu d’argent, pas de logis si pauvre où il n’y eût un peu de joie.

    Le père Madeleine employait tout le monde. Il n’exigeait qu’une chose : soyez honnête homme ! soyez honnête fille !

    Comme nous l’avons dit, au milieu de cette activité dont il était la cause et le pivot, le père Madeleine faisait sa fortune, mais, chose assez singulière dans un simple homme de commerce, il ne paraissait point que ce fût là son principal souci. Il semblait qu’il songeât beaucoup aux autres et peu à lui. En 1820, on lui connaissait une somme de six cent mille francs, il avait dépensé plus d’un million pour la ville et pour les pauvres.

    L’hôpital était mal doté ; il y avait fondé deux lits. Montreuil-sur-Mer est divisé en ville haute et ville basse. La ville basse qu’il habitait n’avait qu’une école, méchante masure qui tombait en ruine ; il en avait construit deux, une pour les filles, l’autre pour les garçons. Il allouait de ses deniers aux deux instituteurs une indemnité double de leur maigre traitement officiel, et un jour, à quelqu’un qui s’en étonnait, il dit : « Les deux premiers fonctionnaires de l’état, c’est la nourrice et le maître d’école. » Il avait créé à ses frais une salle d’asile, chose alors presque inconnue en France, et une caisse de secours pour les ouvriers vieux et infirmes. Sa manufacture étant un centre, un nouveau quartier où il y avait bon nombre de familles indigentes avait rapidement surgi autour de lui ; il y avait établi une pharmacie gratuite.

    Dans les premiers temps, quand on le vit commencer, les bonnes âmes dirent : C’est un gaillard qui veut s’enrichir. Quand on le vit enrichir le pays avant de s’enrichir lui-même, les mêmes bonnes âmes dirent : C’est un ambitieux. Cela semblait d’autant plus probable que cet homme était religieux, et même pratiquait dans une certaine mesure, chose fort bien vue à cette époque. Il allait régulièrement entendre une basse messe tous les dimanches. Le député local, qui flairait partout des concurrences, ne tarda pas à s’inquiéter de cette religion. Ce député, qui avait été membre du corps législatif de l’empire, partageait les idées religieuses d’un père de l’oratoire connu sous le nom de Fouché, duc d’Otrante, dont il avait été la créature et l’ami. À huis clos il riait de Dieu doucement. Mais quand il vit le riche manufacturier Madeleine aller à la basse messe de sept heures, il entrevit un candidat possible, et résolut de lé dépasser ; il prit un confesseur jésuite et alla à la grand’messe et à vêpres. L’ambition en ce temps-là était, dans l’acception directe du mot, une course au clocher. Les pauvres profitèrent de cette terreur comme le bon Dieu, car l’honorable député fonda aussi deux lits à l’hôpital ; ce qui fit douze.

    Cependant en 1819 le bruit se répandit un matin dans la ville que, sur la présentation de M. le préfet et en considération des services rendus au pays, le père Madeleine allait être nommé par le roi maire de Montreuil-sur-Mer. Ceux qui avaient déclaré ce nouveau venu « un ambitieux » saisirent avec transport cette occasion que tous les hommes souhaitent de s’écrier : Là ! qu’est-ce que nous avions dit ? Tout Montreuil-sur-Mer fut en rumeur. Le bruit était fondé. Quelques jours après, la nomination parut dans le Moniteur. Le lendemain, le père Madeleine refusa.

    Dans cette même année 1819, les produits du nouveau procédé inventé par Madeleine figurèrent à l’exposition de l’industrie ; sur le rapport du jury, le roi nomma l’inventeur chevalier de la légion d’honneur. Nouvelle rumeur dans la petite ville. Eh bien ! c’est la croix qu’il voulait ! Le père Madeleine refusa la croix.

    Décidément cet homme était une énigme. Les bonnes âmes se tirèrent d’affaire en disant : Après tout, c’est une espèce d’aventurier.

    On l’a vu, le pays lui devait beaucoup, les pauvres lui devaient tout ; il était si utile qu’il avait bien fallu qu’on finît par l’aimer ; ses ouvriers en particulier l’adoraient, et il portait cette adoration avec une sorte de gravité mélancolique. Quand il fut constaté riche, « les personnes de la société » le saluèrent, et on l’appela dans la ville monsieur Madeleine ; ses ouvriers et les enfants continuèrent de l’appeler le père Madeleine, et c’était la chose qui le faisait le mieux sourire. À mesure qu’il montait, les invitations pleuvaient sur lui. « La société » le réclamait. Les petits salons guindés de Montreuil-sur-Mer qui, bien entendu, se fussent dans les premiers temps fermés à l’artisan, s’ouvrirent à deux battants au millionnaire. On lui fit mille avances. Il refusa.

    Cette fois encore les bonnes âmes ne furent point empêchées. — C’est un homme ignorant et de basse éducation. On ne sait d’où cela sort. Il ne saurait pas se tenir dans le monde. Il n’est pas du tout prouvé qu’il sache lire.

    Quand on l’avait vu gagner de l’argent, on avait dit : c’est un marchand. Quand on l’avait vu semer son argent, on avait dit : c’est un ambitieux. Quand on l’avait vu repousser les honneurs on avait dit : c’est un aventurier. Quand on le vit repousser le monde, on dit : c’est une brute.

    En 1820, cinq ans après son arrivée à Montreuil-sur-Mer, les services qu’il avait rendus au pays étaient si éclatants, le vœu de la contrée fut tellement unanime, que le roi le nomma de nouveau maire de la ville. Il refusa encore, mais le préfet résista à son refus, tous les notables vinrent le prier, le peuple en pleine rue le suppliait, l’insistance fut si vive qu’il finit par accepter. On remarqua que ce qui parut surtout le déterminer, ce fut l’apostrophe presque irritée d’une vieille femme du peuple qui lui cria du seuil de sa porte avec humeur : Un bon maire, c’est utile. Est-ce qu’on recule devant du bien qu’on peut faire ?

    Ce fut là la troisième phase de son ascension. Le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine, monsieur Madeleine devint monsieur le maire.


     

    III

    SOMMES DÉPOSÉES CHEZ LAFFITTE


     

    Du reste, il était demeuré aussi simple que le premier jour. Il avait les cheveux gris, l’œil sérieux, le teint hâlé d’un ouvrier, le visage pensif d’un philosophe. Il portait habituellement un chapeau à bords larges et une longue redingote de gros drap, boutonnée jusqu’au menton. Il remplissait ses fonctions de maire, mais hors de là il vivait solitaire. Il parlait à peu de monde, Il se dérobait aux politesses, saluait de côté, s’esquivait vite, souriait pour se dispenser de causer, donnait pour se dispenser de sourire. Les femmes disaient de lui : Quel bon ours ! Son plaisir était de se promener dans les champs.

    Il prenait ses repas toujours seul, avec un livre ouvert devant lui où il lisait. Il avait une petite bibliothèque bien faite. Il aimait les livres ; les livres sont des amis froids et sûrs. À mesure que le loisir lui venait avec la fortune, il semblait qu’il en profitât pour cultiver son esprit. Depuis qu’il était à Montreuil-sur-Mer, on remarquait que d’année en année son langage devenait plus poli, plus choisi et plus doux.

    Il emportait volontiers un fusil dans ses promenades, mais il s’en servait rarement. Quand cela lui arrivait par aventure, il avait un tir infaillible qui effrayait. Jamais il ne tuait un animal inoffensif. Jamais il ne tirait un petit oiseau.

    Quoiqu’il ne fût plus jeune, on contait qu’il était d’une force prodigieuse. Il offrait un coup de main à qui en avait besoin, relevait un cheval, poussait à une roue embourbée, arrêtait par les cornes un taureau échappé. Il avait toujours ses poches pleines de monnaie en sortant et vides en rentrant. Quand il passait dans un village, les marmots déguenillés couraient joyeusement après lui et l’entouraient comme une nuée de moucherons.

    On croyait deviner qu’il avait dû vivre jadis de la vie des champs, car il avait toutes sortes de secrets utiles qu’il enseignait aux paysans. Il leur apprenait à détruire la teigne des blés en aspergeant le grenier et en inondant les fentes du plancher d’une dissolution de sel commun, et à chasser les charançons en suspendant partout, aux murs et aux toits, dans les herbages et dans les maisons, de l’orviot en fleur. Il avait des « recettes » pour extirper d’un champ la luzette, la nielle, la vesce, la gaverolle, la queue-de-renard, toutes les herbes parasites qui mangent le blé. Il défendait une lapinière contre les rats, rien qu’avec l’odeur d’un petit cochon de Barbarie qu’il y mettait.

    Un jour il voyait des gens du pays très occupés à arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes déracinées èt déjà desséchées, et dit : — C’est mort. Cela serait pourtant bon si l’on savait s’en servir. Quant l’ortie est jeune, la feuille est un légume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile d’ortie vaut la toile de chanvre. Hachée, l’ortie est bonne pour la volaille ; broyée, elle est bonne pour lès bêtes à cornes, La graine de l’ortie mêlée au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la racine mêlée au sel produit une belle couleur jaune. C’est du reste un excellent foin qu’on peut faucher deux fois. Et que faut-il à l’ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe à mesure qu’elle mûrit, et est difficile à récolter. Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent à l’ortie ! — Il ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.

    Les enfants l’aimaient encore parce qu’il savait faire de charmants petits ouvrages avec de la paille et des noix de coco.

    Quand il voyait la porte d’une église tendue de noir, il entrait ; il recherchait un enterrement comme d’autres recherchent un baptême. Le veuvage et le malheur d’autrui l’attiraient à cause de sa grande douceur ; il se mêlait aux amis en deuil, aux familles vêtues de noir, aux prêtres gémissant autour d’un cercueil. Il semblait donner volontiers pour texte à ses pensées ces psalmodies funèbres pleines de la vision d’un autre monde. L’œil au ciel, il écoutait, avec une sorte d’aspiration vers tous les mystères de l’infini, ces voix tristes qui chantent sur le bord de l’abîme obscur de la mort.

    Il faisait une foule de bonnes actions en se cachant comme on se cache pour les mauvaises. Il pénétrait à la dérobée, le soir, dans les maisons ; il montait furtivement des escaliers. Un pauvre diable, en rentrant dans son galetas, trouvait que sa porte avait été ouverte, quelquefois même forcée, dans son absence. Le pauvre homme se récriait : quelque malfaiteur est venu ! Il entrait, et la première chose qu’il voyait, c’était une pièce d’or oubliée sur un meuble. « Le malfaiteur » qui était venu, c’était le père Madeleine.

    Il était affable et triste. Le peuple disait : Voilà un homme riche qui n’a pas l’air fier. Voilà un homme heureux qui n’a pas l’air content.

    Quelques-uns prétendaient que c’était un personnage mystérieux et affirmaient qu’on n’entrait jamais dans sa chambre, laquelle était une vraie cellule d’anachorète meublée de sabliers ailés et enjolivée de tibias en croix et de têtes de mort. Cela se disait beaucoup, si bien que quelques jeunes femmes élégantes et malignes de Montreuil-sur-Mer vinrent chez lui un jour, et lui demandèrent : — Monsieur le maire, montrez-nous donc votre chambre. On dît que c’est une grotte. — Il sourit, et les introduisit sur-le-champ dans cette « grotte ». Elles furent bien punies de leur curiosité. C’était une chambre garnie tout bonnement de meubles d’acajou assez laids comme tous les meubles de ce genre et tapissée de papier à douze sous. Elles n’y purent rien remarquer que deux flambeaux de forme vieillie qui étaient sur la cheminée et qui avaient l’air d’être en argent, « car ils étaient contrôlés ». Observation pleine de l’esprit des petites villes.

    On n’en continua pas moins de dire que personne ne pénétrait dans cette chambre et que c’était une caverne d’ermite, un rêvoir, un trou, un tombeau.

    On se chuchotait aussi qu’il avait des sommes « immenses » déposées chez Laffitte, avec cette particularité qu’elles étaient toujours à sa disposition immédiate, de telle sorte, ajoutait-on, que M. Madeleine pourrait arriver un matin chez Laffitte, signer un reçu et emporter ses deux ou trois millions en dix minutes. Dans la réalité ces « deux ou trois millions » se réduisaient, nous l’avons dit, à six cent trente ou quarante mille francs.


     

    IV

    M. MADELEINE EN DEUIL


     

    Au commencement de 1821, les journaux annoncèrent la mort de M. Myriel, évêque de Digne, « surnommé monseigneur Bienvenu », et trépassé en odeur de sainteté à l’âge de quatre-vingt-deux ans,

    L’évêque de Digne, pour ajouter ici un détail que les journaux omirent, était, quand il mourut, depuis plusieurs années aveugle, et content d’être aveugle, sa sœur étant près de lui.

    Disons-le en passant, être aveugle et être aimé, c’est en effet, sur cette terre où rien n’est complet, une des formes les plus étrangement exquises du bonheur. Avoir continuellement à ses côtés une femme, une fille, une sœur, un être charmant, qui est là parce que vous avez besoin d’elle et parce qu’elle ne peut se passer de vous, se savoir indispensable à qui nous est nécessaire, pouvoir incessamment mesurer son affection à la quantité de présence qu’elle nous donne, et se dire : puisqu’elle me consacre tout son temps, c’est que j’ai tout son cœur ; voir la pensée à défaut de la figure, constater la fidélité d’un être dans l’éclipse du monde ; percevoir le frôlement d’une robe comme un bruit d’ailes, l’entendre aller et venir, sortir, rentrer, parler, chanter, et songer qu’on est le centre de ces pas, de cette parole, de ce chant ; manifester à chaque minute sa propre attraction, se sentir d’autant plus puissant qu’on est plus infirme, devenir dans l’obscurité, et par l’obscurité, l’astre autour duquel gravite cet ange, peu de félicités égalent celle-là. Le suprême bonheur de la vie, c’est la conviction qu’on est aimé ; aimé pour soi-même, disons mieux, aimé malgré soi-même ; cette conviction, l’aveugle l’a. Dans celle détresse, être servi, c’est être caressé. Lui manque-t-il quelque chose ? Non. Ce n’est point perdre la lumière qu’avoir l’amour, Et quel amour ! un amour entièrement fait de vertu. Il n’y a point de cécité où il y a certitude. L’âme à tâtons cherche l’âme, et la trouve. Et cette âme trouvée et prouvée est une femme. Une main vous soutient, c’est la sienne ; une bouche effleure votre front, c’est sa bouche ; vous entendez une respiration tout près de vous, c’est elle. Tout avoir d’elle, depuis son culte jusqu’à sa pitié, n’être jamais quitté, avoir cette douce faiblesse qui vous secourt, s’appuyer sur ce roseau inébranlable, toucher de ses mains la providence et pouvoir la prendre dans ses bras ; Dieu palpable, quel ravissement ! Le cœur, cette céleste fleur obscure, entre dans un épanouissement mystérieux. On ne donnerait pas cette ombre pour toute la clarté. L’âme ange est là, sans cesse là ; si elle s’éloigne, c’est pour revenir ; elle s’efface comme le rêve et reparaît comme la réalité. On sent de la chaleur qui approche, la voilà. On déborde de sérénité, de gaîté et d’extase ; on est un rayonnement dans la nuit. Et mille petits soins. Des riens qui sont énormes dans ce vide. Les plus ineffables accents de la voix féminine employés à vous bercer, et suppléant pour vous à l’univers évanoui. On est caressé avec de l’âme. On ne voit rien, mais on se sent adoré. C’est un paradis de ténèbres.

    C’est de ce paradis que monseigneur Bienvenu était passé à l’autre.

    L’annonce de sa mort fut reproduite par le journal local de Montreuil-sur-Mer. M. Madeleine parut le lendemain tout en noir avec un crêpe à son chapeau.

    On remarqua dans la ville ce deuil, et l’on jasa. Cela parut une lueur sur l’origine de M, Madeleine. On en conclut qu’il avait quelque alliance avec le vénérable évêque. Il drape pour l’évêque de Digne, dirent les salons ; cela rehaussa fort M. Madeleine, et lui donna subitement et d’emblée une certaine considération dans le monde noble de Montreuil-sur-Mer. Le microscopique faubourg Saint-Germain de l’endroit songea à faire cesser la quarantaine de M. Madeleine, parent probable d’un évêque. M. Madeleine, s’aperçut de l’avancement qu’il obtenait à plus de révérences des vieilles femmes et à plus de sourires des jeunes. Un soir, une doyenne de ce petit grand monde-là, curieuse par droit d’ancienneté, se hasarda à lui demander : — Monsieur le maire est sans doute cousin du feu évêque de Digne ?

    Il dit : — Non, madame.

    Mais, reprit la douairière, vous en portez le deuil ? Il répondit : — C’est que dans ma jeunesse j’ai été laquais dans sa famille.

    Une remarque qu’on faisait encore, c’est que, chaque fois qu’il passait dans la ville un jeune savoyard courant le pays et cherchant des cheminées à ramoner, M. le maire le faisait appeler, lui demandait son nom, et lui donnait de l’argent. Les petits savoyards se le disaient et il en passait beaucoup.


     

    V

    VAGUES ÉCLAIRS À L’HORIZON


     

    Peu à peu, et avec le temps, toutes les oppositions étaient tombées. Il y avait eu d’abord contre M. Madeleine, sorte de loi que subissent toujours ceux qui s’élèvent, des noirceurs et des calomnies, puis ce ne fut plus que des méchancetés, puis ce ne fut plus que des malices, puis cela s’évanouit tout à fait ; le respect devint complet, unanime, cordial, et il arriva un moment, vers 1821, où ce mot ; monsieur le maire, fut prononcé à Montreuil-sur-Mer presque du même accent que ce mot : monseigneur l’évêque, était prononcé à Digne en 1815. On venait de dix lieues à la ronde consulter M, Madeleine. Il terminait les différends, il empêchait les procès, il réconciliait les ennemis. Chacun le prenait pour juge de son bon droit. Il semblait qu’il eût pour âme le livre de la loi naturelle. Ce fut comme une contagion de vénération qui, en six ou sept ans et de proche en proche, gagna tout le pays.

    Un seul homme, dans la ville et dans l’arrondissement, se déroba absolument à cette contagion, et, quoi que fît le père Madeleine, y demeura rebelle, comme si une sorte d’instinct, incorruptible et imperturbable, l’éveillait et l’inquiétait. Il semblerait en effet qu’il existe dans certains hommes un véritable instinct bestial, pur et intègre comme tout instinct, qui crée les antipathies et les sympathies, qui sépare fatalement une nature d’une autre nature, qui n’hésite pas, qui ne se trouble, ne se tait et ne se dément jamais, clair dans son obscurité, infaillible, impérieux, réfractaire à tous les conseils de l’intelligence et à tous les dissolvants de la raison, et qui, de quelque façon que les destinées soient faites, avertit secrètement l’homme-chien de la présence de l’homme-chat, et l’homme-renard de la présence de l’homme-lion.

    Souvent, quand M. Madeleine passait dans une rue, calme, affectueux, entouré des bénédictions de tous, il arrivait qu’un homme de haute taille, vêtu d’une redingote gris de fer, armé d’une grosse canne et coiffé d’un chapeau rabattu, se retournait brusquement derrière lui, et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, croisant les bras, secouant lentement la tête, et haussant sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure jusqu’à son nez, sorte de grimace significative qui pourrait se traduire par : — Mais qu’est-ce que c’est que cet homme-là? — Pour sûr je l’ai vu quelque part. — En tout cas, je ne suis toujours pas sa dupe.

    Ce personnage, grave d’une gravité presque menaçante, était de ceux qui, même rapidement entrevus, préoccupent l’observateur. Il se nommait Javert, et il était de la police.

    Il remplissait à Montreuil-sur-Mer les fonctions pénibles, mais utiles, d’inspecteur. Il n’avait pas vu les commencements de Madeleine. Javert devait le poste qu’il occupait à la protection de M. Chabouillet, le secrétaire du ministre d’état comte Anglès, alors préfet de police à Paris. Quand Javert était arrivé à Montreuil-sur-Mer, la fortune du grand manufacturier était déjà faite, et le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine.

    Certains officiers de police ont une physionomie à part et qui se complique d’un air de bassesse mêlé à un air d’autorité. Javert avait cette physionomie, moins la bassesse.

    Dans notre conviction, si les âmes étaient visibles aux yeux, on verrait distinctement cette chose étrange que chacun des individus de l’espèce humaine correspond à quelqu’une des espèces de la création animale ; et l’on pourrait reconnaître aisément cette vérité à peine entrevue par le penseur, que, depuis l’huître jusqu’à l’aigle, depuis le porc jusqu’au tigre, tous les animaux sont dans l’homme et que chacun d’eux est dans un homme. Quelquefois même plusieurs d’entre eux à la fois.

    Les animaux ne sont pas autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices, errantes devant nos yeux, les fantômes visibles de nos âmes. Dieu nous les montre pour nous faire réfléchir. Seulement, comme les animaux ne sont que des ombres, Dieu ne les a point faits éducables dans le sens complet du mot ; à quoi bon ? Au contraire, nos âmes étant des réalités et ayant une fin qui leur est propre, Dieu leur a donné l’intelligence, c’est-à-dire l’éducation possible. L’éducation sociale bien faite peut toujours tirer d’une âme, quelle qu’elle soit, l’utilité qu’elle contient.

    Ceci soit dit, bien entendu, au point de vue restreint de la vie terrestre apparente, et sans préjuger la question profonde de la personnalité antérieure ou ultérieure des êtres qui ne sont pas l’homme. Le moi visible n’autorise en aucune façon le penseur à nier le moi latent. Cette réserve faite, passons.

    Maintenant, si l’on admet un moment avec nous que dans tout homme il y a une des espèces animales de la création, il nous sera facile de dire ce que c’était que l’officier de paix Javert.

    Les paysans asturiens sont convaincus que dans toute portée de louve il y a un chien, lequel est tué par la mère, sans quoi en grandissant il dévorerait les autres petits.

    Donnez une face humaine à ce chien fils d’une louve, et ce sera Javert.

    Javert était né dans une prison d’une tireuse de cartes dont le mari était aux galères. En grandissant, il pensa qu’il était en dehors de la société et désespéra d’y rentrer jamais, Il remarqua que la société maintient irrémissiblement en dehors d’elle deux classes d’hommes, ceux qui l’attaquent et ceux qui la gardent ; il n’avait le choix qu’entre ces deux classes ; en même temps il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d’une inexprimable haine pour cette race de bohèmes dont il était. Il entra dans la police. Il y réussit. À quarante ans il était inspecteur.

    Il avait dans sa jeunesse été employé dans les chiourmes du midi.

    Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur ce mot face humaine que nous appliquions tout à l’heure à Javert.

    La face humaine de Javert consistait en un nez camard, avec deux profondes narines vers lesquelles montaient sur ses deux joues d’énormes favoris. On se sentait mal à l’aise la première fois qu’on voyait ces deux forêts et ces deux cavernes. Quand Javert riait, ce qui était rare et terrible, ses lèvres minces s’écartaient, et laissaient voir, non seulement ses dents, mais ses gencives, et il se faisait autour de son nez un plissement épaté et sauvage comme sur un mufle de bête fauve. Javert sérieux était un dogue ; lorsqu’il riait, c’était un tigre. Du reste, peu de crâne, beaucoup de mâchoire, les cheveux cachant le front et tombant sur les sourcils, entre les deux yeux un froncement central permanent comme une étoile de colère, le regard obscur, la bouche pincée et redoutable, l’air du commandement féroce.

    Cet homme était composé de deux sentiments très simples et relativement très bons, mais qu’il faisait presque mauvais à force de les exagérer, le respect de l’autorité, la haine de la rébellion; et à ses yeux le vol, le meurtre, tous les crimes, n’étaient que des formes de la rébellion. Il enveloppait dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans l’état, depuis le premier ministre jusqu’au garde champêtre. Il couvrait de mépris, d’aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n’admettait pas d’exceptions. D’une part il disait : — Le fonctionnaire ne peut se tromper ; le magistrat n’a jamais tort. — D’autre part il disait : — Ceux-ci sont irrémédiablement perdus. Rien de bon n’en peut sortir. — Il partageait pleinement l’opinion de ces esprits extrêmes qui attribuent à la loi humaine je ne sais quel pouvoir de faire ou, si l’on veut, de constater des démons, et qui mettent un Styx au bas de la société. Il était stoïque, sérieux, austère ; rêveur triste; humble et hautain comme les fanatiques. Son regard était une vrille, cela était froid et cela perçait. Toute sa vie tenait dans ces deux mots : veiller et surveiller. Il avait introduit la ligne droite dans ce qu’il y a de plus tortueux au monde ; il avait la conscience de son utilité, la religion de ses fonctions, et il était espion comme on est prêtre. Malheur à qui tombait sous sa main ! Il eût arrêté son père s’évadant du bagne et dénoncé sa mère en rupture de ban. Et il l’eût fait avec cette sorte de satisfaction intérieure que donne la vertu. Avec cela une vie de privations, l’isolement, l’abnégation, la chasteté, jamais une distraction. C’était le devoir implacable, la police comprise comme les Spartiates comprenaient Sparte, un guet impitoyable, une honnêteté farouche, un mouchard marmoréen, Brutus dans Vidocq.

    Toute la personne de Javert exprimait l’homme qui épie et qui se dérobe. L’école mystique de Joseph de Maistre, laquelle à cette époque assaisonnait de haute cosmogonie ce qu’on appelait les journaux ultras, n’eût pas manqué de dire que Javert était un symbole. On ne voyait pas son front qui disparaissait sous son chapeau, on ne voyait pas ses yeux qui se perdaient sous ses sourcils, on ne voyait pas son menton qui plongeait dans sa cravate, on ne voyait pas ses mains qui rentraient dans ses manches, on ne voyait pas sa canne qu’il portait sous sa redingote. Mais l’occasion venue, on voyait tout à coup sortir de toute cette ombre, comme d’une embuscade, un front anguleux et étroit, un regard funeste, un menton menaçant, des mains énormes, et un gourdin monstrueux.

    À ses moments de loisirs, qui étaient peu fréquents, tout en haïssant les livres, il lisait ; ce qui fait qu’il n’était pas complètement illettré. Cela se reconnaissait à quelque emphase dans sa parole.

    Il n’avait aucun vice, nous l’avons dit. Quand il était content de lui, il s’accordait une prise de tabac. Il tenait à l’humanité par là.

    On comprendra sans peine que Javert était l’effroi de toute cette classe que la statistique annuelle du ministère de la justice désigne sous la rubrique : Gens sans aveu. Le nom de Javert prononcé les mettait en déroute ; la face de Javert apparaissant les pétrifiait.

    Tel était cet homme formidable.

    Javert était comme un œil toujours fixé sur M. Madeleine. Œil plein de soupçon et de conjectures. M. Madeleine avait fini par s’en apercevoir, mais il sembla que cela fût insignifiant pour lui. Il ne fit pas même une question à Javert, il ne le cherchait ni ne l’évitait, il portait sans paraître y faire attention, ce regard gênant et presque pesant. Il traitait Javert comme tout le monde, avec aisance et bonté.

    À quelques paroles échappées à Javert, on devinait qu’il avait recherché secrètement, avec cette curiosité qui tient à la race et où il entre autant d’instinct que de volonté, toutes les traces antérieures que le père Madeleine avait pu laisser ailleurs. Il paraissait savoir, et il disait parfois à mots couverts, que quelqu’un avait pris certaines informations dans certains pays sur une certaine famille disparue. Une fois il lui arriva de dire, se parlant à lui-même : — Je crois que je le tiens ! — Puis il resta trois jours pensif sans prononcer une parole. Il paraît que le fil qu’il croyait tenir s’était rompu.

    Du reste, et ceci est le correctif nécessaire à ce que le sens de certains mots pourrait présenter de trop absolu, il ne peut y avoir rien de vraiment infaillible dans une créature humaine, et le propre de l’instinct est précisément de pouvoir être troublé, dépisté et dérouté, Sans quoi il serait supérieur à l’intelligence, et la bête se trouverait avoir une meilleure lumière que l’homme.

    Javert était évidemment quelque peu déconcerté par le complet naturel et la tranquillité de M. Madeleine.

    Un jour pourtant son étrange manière d’être parut faire impression sur M. Madeleine. Voici à quelle occasion.


     

    VI

    LE PÈRE FAUCHELEVENT


     

    M. Madeleine passait un matin dans une ruelle non pavée de Montreuil-sur-Mer. Il entendit du bruit et vit un groupe à quelque distance. Il y alla. Un vieux homme, nommé le père Fauchelevent, venait de tomber sous sa charrette dont le cheval s’était abattu.

    Ce Fauchelevent était un des rares ennemis qu’eût encore M. Madeleine à cette époque. Lorsque Madeleine était arrivé dans le pays, Fauchelevent, ancien tabellion et paysan presque lettré, avait un commerce qui commençait à aller mal. Fauchelevent avait vu ce simple ouvrier qui s’enrichissait, tandis que lui, maître, se ruinait. Cela l’avait rempli de jalousie, et il avait fait ce qu’il avait pu en toute occasion pour nuire à Madeleine, Puis la faillite était venue, et, vieux, n’ayant plus à lui qu’une charrette et un cheval, sans famille et sans enfants du reste, pour vivre il s’était fait charretier.

    Le cheval avait les deux cuisses cassées et ne pouvait se relever. Le vieillard était engagé entre les roues. La chute avait été tellement malheureuse que toute la voiture pesait sur sa poitrine. La charrette était assez lourdement chargée. Le père Fauchelevent poussait des râles lamentables. On avait essayé de le tirer, mais en vain. Un effort désordonné, une aide maladroite, une secousse à faux pouvaient l’achever. Il était impossible de le dégager autrement qu’en soulevant la voiture par dessous. Javert, qui était survenu au moment de l’accident, avait envoyé chercher un cric.

    M. Madeleine arriva. On s’écarta avec respect.

    À l’aide! criait le vieux Fauchelevent. Qui est ce qui est un bon enfant pour sauver le vieux ?

    M. Madeleine se tourna vers les assistants :

    A-t-on un cric ?

    On en est allé quérir un, répondit un paysan.

    Dans combien de temps l’aura-t-on ?

    On est allé au plus près, au lieu Flachot, où il y a un maréchal ; mais c’est égal, il faudra bien un bon quart d’heure.

    Un quart d’heure ! s’écria Madeleine.

    Il avait plu la veille, le sol était détrempé, la charrette s’enfonçait dans la terre à chaque instant et comprimait de plus en plus la poitrine du vieux charretier. Il était évident qu’avant cinq minutes il aurait les côtes brisées.

    Il est impossible d’attendre un quart d’heure, dit Madeleine aux paysans qui regardaient.

    Il faut bien !

    Mais il ne sera plus temps ! Vous ne voyez donc pas que la charrette s’enfonce ?

    Dame !

    Écoutez, reprit Madeleine, il y a encore assez de place sous la voiture pour qu’un homme s’y glisse et la soulève avec son dos. Rien qu’une demi-minute, et l’on tirera le pauvre homme. Y a-t-il quelqu’un qui ait des reins et du cœur ? Cinq louis d’or à gagner !

    Personne ne bougea dans le groupe.

    Dix louis, dit Madeleine.

    Les assistants baissaient les yeux. Un d’eux murmura : — Il faudrait être diablement fort. Et puis, on risque de se faire écraser !

    Allons ! recommença Madeleine, vingt louis !

    Même silence.

    Ce n’est pas la bonne volonté qui leur manque, dit une voix.

    M. Madeleine se retourna, et reconnut Javert. Il ne l’avait pas aperçu en arrivant.

    Javert continua :

    C’est la force. Il faudrait être un terrible homme pour faire la chose de lever une voiture comme cela sur son dos.

    Puis regardant fixement M. Madeleine, il poursuivit en appuyant sur chacun des mots qu’il prononçait :

    Monsieur Madeleine, je n’ai jamais connu qu’un seul homme capable de faire ce que vous demandez là.

    Madeleine tressaillit.

    Javert ajouta avec un air d’indifférence, mais sans quitter des yeux Madeleine :

    C’était un forçat.

    Ah ! dit Madeleine.

    Du bagne de Toulon.

    Madeleine devint pâle.

    Cependant la charrette continuait à s’enfoncer lentement. Le père Fauchelevent râlait et hurlait :

    J’étouffe ! Ça me brise les côtes ! Un cric ! quelque chose ! Ah !

    Madeleine regarda autour de lui :

    Il n’y a donc personne qui veuille gagner vingt louis et sauver la vie à ce pauvre vieux ?

    Aucun des assistants ne remua. Javert reprit :

    Je n’ai jamais connu qu’un homme qui pût remplacer un cric, c’était ce forçat.

    Ah ! voilà que ça m’écrase ! cria le vieillard.

    Madeleine leva la tête, rencontra l’œil de faucon de Javert toujours attaché sur lui, regarda les paysans immobiles, et sourit tristement. Puis, sans dire une parole, il tomba à genoux, et avant même que la foule eût eu le temps de jeter un cri, il était sous la voiture.

    Il y eut un affreux moment d’attente et de silence.

    On vit Madeleine presque à plat ventre sous ce poids effrayant essayer deux fois en vain de rapprocher ses coudes de ses genoux. On lui cria : — Père Madeleine ! retirez-vous de là ! — Le vieux Fauchelevent lui-même lui dit : — Monsieur Madeleine ! allez-vous-en ! C’est qu’il faut que je meure, voyez-vous ! Laissez-moi ! Vous allez vous faire écraser aussi ! — Madeleine ne répondit pas.

    Les assistants haletaient. Les roues avaient continué de s’enfoncer, et il était déjà devenu presque impossible que Madeleine sortît de dessous la voiture.

    Tout à coup on vit l’énorme masse s’ébranler, la charrette se soulevait lentement, les roues sortaient à demi de l’ornière. On entendit une voix étouffée qui criait : Dépêchez-vous ! aidez ! C’était Madeleine qui venait de faire un dernier effort.

    Ils se précipitèrent. Le dévouement d’un seul avait donné de la force et du courage à tous. La charrette fut enlevée par vingt bras. Le vieux Fauchelevent était sauvé.

    Madeleine se releva. Il était blême, quoique ruisselant de sueur. Ses habits étaient déchirés et couverts de boue. Tous pleuraient. Le vieillard lui baisait les genoux et l’appelait le bon Dieu. Lui, il avait sur le visage je ne sais quelle expression de souffrance heureuse et céleste, et il fixait son œil tranquille sur Javert qui le regardait toujours.


     

    VII

    FAUCHELEVENT DEVIENT JARDINIER À PARIS


     

    Fauchelevent s’était démis la rotule dans sa chute. Le père Madeleine le fit transporter dans une infirmerie qu’il avait établie pour ses ouvriers dans le bâtiment même de sa fabrique et qui était desservie par deux sœurs de charité. Le lendemain matin, le vieillard trouva un billet de mille francs sur la table de nuit, avec ce mot de la main du père Madeleine : Je vous achète votre charrette et votre cheval. La charrette était brisée et le cheval était mort. Fauchelevent guérit, mais son genou resta ankylosé. M. Madeleine, par les recommandations des sœurs et de son curé, fit placer le bonhomme comme jardinier dans un couvent de femmes du quartier Saint-Antoine à Paris.

    Quelque temps après, M. Madeleine fut nommé maire, La première fois que Javert vit M. Madeleine revêtu de l’écharpe qui lui donnait toute autorité sur la ville, il éprouva cette sorte de frémissement qu’éprouverait un dogue qui flairerait un loup sous les habits de son maître. À partir de ce moment, il l’évita le plus qu’il put. Quand les besoins du service l’exigeaient impérieusement et qu’il ne pouvait faire autrement que de se trouver avec M. le maire, il lui parlait avec un respect profond.

    Cette prospérité créée à Montreuil-sur-Mer par le père Madeleine avait, outre les signes visibles que nous avons indiqués, un autre symptôme qui, pour n’être pas visible, n’était pas moins significatif. Ceci ne trompe jamais. Quand la population souffre, quand le travail manque, quand le commerce est nul, le contribuable résiste à l’impôt par pénurie, épuise et dépasse les délais, et l’état dépense beaucoup d’argent en frais de contrainte et de rentrée. Quand le travail abonde, quand le pays est heureux et riche, l’impôt se paye aisément et coûte peu à l’état. On peut dire que la misère et la richesse publiques ont un thermomètre infaillible, les frais de perception de l’impôt. En sept ans, les frais de perception de l’impôt s’étaient réduits des trois quarts dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, ce qui faisait fréquemment citer cet arrondissement entre tous par M. de Villèle, alors ministre des finances.

    Telle était la situation du pays, lorsque Fantine y revint. Personne ne se souvenait plus d’elle. Heureusement la porte de la fabrique de M. Madeleine était comme un visage ami. Elle s’y présenta, et fut admise dans l’atelier des femmes. Le métier était tout nouveau pour Fantine, elle n’y pouvait être bien adroite, elle ne tirait donc de sa journée de travail que peu de chose, mais enfin cela suffisait, le problème était résolu, elle gagnait sa vie.


     

    VIII

    MADAME VICTURNIEN DÉPENSE TRENTE-CINQ FRANCS POUR LA MORALE


     

    Quand Fantine vit qu’elle vivait, elle eut un moment de joie. Vivre honnêtement de son travail, quelle grâce du ciel ! Le goût du travail lui revint vraiment. Elle acheta un miroir, se réjouit d’y regarder sa jeunesse, ses beaux cheveux et ses belles dents, oublia beaucoup de choses, ne songea plus qu’à sa Cosette et à l’avenir possible, et fut presque heureuse. Elle loua une petite chambre et la meubla à crédit sur son travail futur ; reste de ses habitudes de désordre.

    Ne pouvant pas dire qu’elle était mariée, elle s’était bien gardée, comme nous l’avons déjà fait entrevoir, de parler de sa petite fille.

    En ces commencements, on l’a vu, elle payait exactement les Thénardier. Comme elle ne savait que signer, elle était obligée de leur écrire par un écrivain public.

    Elle écrivait souvent. Cela fut remarqué. On commença à dire tout bas dans l’atelier des femmes que Fantine « écrivait des lettres » et qu’ « elle avait des allures ».

    Il n’y à rien de tel pour épier les actions des gens que ceux qu’elles ne regardent pas. — Pourquoi ce monsieur ne vient-il jamais qu’à la brune ? pourquoi monsieur un tel n’accroche-t-il jamais sa clef au clou le jeudi ? pourquoi prend-il toujours les petites rues ? pourquoi madame descend-elle toujours de son fiacre avant d’arriver à la maison ? pourquoi envoie-t-elle acheter un cahier de papier à lettres, quand elle en a « plein sa papeterie » ? etc., etc. — Il existe des êtres qui, pour connaître le mot de ces énigmes, lesquelles leur sont du reste parfaitement indifférentes, dépensent plus d’argent, prodiguent plus de temps, se donnent plus de peine qu’il n’en faudrait pour dix bonnes actions ; et cela gratuitement, pour le plaisir, sans être payés de la curiosité autrement que par la curiosité. Ils suivront celui-ci ou celle-là des jours entiers, feront faction des heures à des coins de rue, sous des portes d’allées, la nuit, par le froid et par la pluie, corrompront des commissionnaires, griseront des cochers de fiacre et des laquais, achèteront une femme de chambre, feront acquisition d’un portier. Pourquoi ? pour rien. Pur acharnement de voir, de savoir et de pénétrer. Pure démangeaison de dire. Et souvent ces secrets connus, ces mystères publiés, ces énigmes éclairées du grand jour, entraînent des catastrophes, des duels, des faillites, des familles ruinées, des existences brisées, à la grande joie de ceux qui ont « tout découvert » sans intérêt et par pur instinct. Chose triste.

    Certaines personnes sont méchantes uniquement par besoin de parler. Leur conversation, causerie dans le salon, bavardage dans l’antichambre, est comme ces cheminées qui usent vite le bois ; il leur faut beaucoup de combustible ; et le combustible, c’est le prochain.

    On observa donc Fantine,

    Avec cela, plus d’une était jalouse de ses cheveux blonds et de ses dents blanches.

    On constata que dans l’atelier, au milieu des autres, elle se détournait souvent pour essuyer une larme. C’étaient les moments où elle songeait à son enfant, peut-être aussi à l’homme qu’elle avait aimé.

    C’est un douloureux labeur que la rupture des sombres attaches du passé.

    On constata qu’elle écrivait, au moins deux fois par mois, toujours à la même adresse, et qu’elle affranchissait la lettre. On parvint à se procurer l’adresse : Monsieur, Monsieur Thénardier, aubergiste, à Montfermeil. On fit jaser au cabaret l’écrivain public, vieux bonhomme qui ne pouvait pas emplir son estomac de vin rouge sans vider sa poche aux secrets. Bref, on sut que Fantine avait un enfant. « Ce devait être une espèce de fille. » Il se trouva une commère qui fit le voyage de Montfermeil, parla aux Thénardier, et dit à son retour : Pour mes trente-cinq francs, j’en ai eu le cœur net. J’ai vu l’enfant !

    La commère qui fit cela était une gorgone appelée madame Victurnien, gardienne et portière de la vertu de tout le monde. Madame Victurnien avait cinquante-six ans, et doublait le masque de la laideur du masque de la vieillesse. Voix chevrotante, esprit capricant. Cette vieille femme avait été jeune, chose étonnante. Dans sa jeunesse, en plein 93, elle avait épousé un moine échappé du cloître en bonnet rouge et passé des bernardins aux jacobins. Elle était sêche, rêche, revêche, pointue, épineuse, presque venimeuse ; tout en se souvenant de son moine dont elle était veuve, et qui l’avait fort domptée et pliée. C’était une ortie où l’on voyait le froissement du froc. À la restauration, elle s’était faite bigote, et si énergiquement que les prêtres lui avaient pardonné son moine. Elle avait un petit bien qu’elle léguait bruyamment à une communauté religieuse. Elle était fort bien vue à l’évêché d’Arras. Cette madame Victurnien donc alla à Montfermeil et revint en disant : J’ai vu l’enfant.

    Tout cela prit du temps. Fantine était depuis plus d’un an à la fabrique, lorsqu’un matin la surveillante de l’atelier lui remit, de la part de M. le maire, cinquante francs, en lui disant qu’elle ne faisait plus partie de l’atelier et en l’engageant, de la part de M. le maire, à quitter le pays.

    C’était précisément dans ce même mois que les Thénardier, après avoir demandé douze francs au lieu de six, venaient d’exiger quinze francs au lieu de douze.

    Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s’en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette. Elle balbutia quelques mots suppliants. La surveillante lui signifia qu’elle eût à sortir sur-le-champ de l’atelier. Fantine n’était du reste qu’une ouvrière médiocre. Accablée de honte plus encore que de désespoir, elle quitta l’atelier et rentra dans sa chambre. Sa faute était donc maintenant connue de tous !

    Elle ne se sentit plus la force de dire un mot. On lui conseilla de voir M. le maire ; elle n’osa pas. M. le maire lui donnait cinquante francs, parce qu’il était bon, et la chassait, parce qu’il était juste. Elle plia sous cet arrêt.


     

    IX

    SUCCÈS DE MADAME VICTURNIEN


     

    La veuve du moine fut donc bonne à quelque chose.

    Du reste ; M. Madeleine n’avait rien su de tout cela. Ce sont là de ces combinaisons d’événements dont la vie est pleine. M. Madeleine avait pour habitude de n’entrer presque jamais dans l’atelier des femmes. Il avait mis à la tête de cet atelier une vieille fille que le curé lui avait donnée, et il avait toute confiance dans cette surveillante, personne vraiment respectable, ferme, équitable, intègre, remplie de la charité qui consiste à donner, mais n’ayant pas au même degré la charité qui consiste à comprendre et à pardonner. M. Madeleine se remettait de tout sur elle. Les meilleurs hommes sont souvent forcés de déléguer leur autorité. C’est dans cette pleine puissance et avec la conviction qu’elle faisait bien, que la surveillante avait instruit le procès, jugé, condamné et exécuté Fantine.

    Quant aux cinquante francs, elle les avait donnés sur une somme que M. Madeleine lui confiait pour aumônes et secours aux ouvrières et dont elle ne rendait pas compte.

    Fantine s’offrit comme servante dans le pays ; elle alla d’une maison à l’autre. Personne ne voulut d’elle. Elle n’avait pu quitter la ville. Le marchand fripier auquel elle devait ses meubles, quels meubles ! lui avait dit : Si vous vous en allez, je vous fais arrêter comme voleuse. Le propriétaire auquel elle devait son loyer, lui avait dit : Vous êtes jeune et jolie, vous pouvez payer. Elle partagea les cinquante francs entre le propriétaire et le fripier, rendit au marchand les trois quarts de son mobilier, ne garda que le nécessaire, et se trouva sans travail, sans état, n’ayant plus que son lit, et devant encore environ cent francs.

    Elle se mit à coudre de grosses chemises pour les soldats de la garnison, et gagnait douze sous par jour. Sa fille lui en coûtait dix. C’est en ce moment qu’elle commença à mal payer les Thénardier.

    Cependant une vieille femme qui lui allumait sa chandelle quand elle rentrait le soir, lui enseigna l’art de vivre dans la misère. Derrière vivre de peu, il y a vivre de rien. Ce sont deux chambres ; la première est obscure, la seconde est noire.

    Fantine apprit comment on se passe tout à fait de feu en hiver, comment on renonce à un oiseau qui vous mange un liard de millet tous les deux jours, comment on fait de son jupon sa couverture et de sa couverture son jupon, comment on ménage sa chandelle en prenant son repas à la lumière de la fenêtre d’en face. On ne sait pas tout ce que certains êtres faibles, qui ont vieilli dans le dénûment et l’honnêteté, savent tirer d’un sou. Cela finit par être un talent. Fantine acquit ce sublime talent et reprit un peu de courage.

    À celle époque, elle disait à une voisine : — Bah ! je me dis : en ne dormant que cinq heures et en travaillant tout le reste à mes coutures, je parviendrai bien toujours à gagner à peu près du pain. Et puis, quand on est triste, on mange moins. Eh bien ! des souffrances, des inquiétudes, un, peu de pain d’un côté, des chagrins de l’autre, tout cela me nourrira.

    Dans cette détresse, avoir sa petite fille eût été un étrange bonheur. Elle songea à la faire venir. Mais quoi ! lui faire partager son dénûment ! Et puis, elle devait aux Thénardier ! comment s’acquitter ? Et le voyage ! comment le payer ?

    La vieille qui lui avait donné ce qu’on pourrait appeler des leçons de vie indigente, était une sainte fille nommée Marguerite, dévote de la bonne dévotion, pauvre, et charitable pour les pauvres et même pour les riches, sachant tout juste assez écrire pour signer Margeritte, et croyant en Dieu, ce qui est la science.

    Il y a beaucoup de ces vertus-là en bas ; un jour elles seront en haut. Cette vie a un lendemain.

    Dans les premiers temps, Fantine avait été si honteuse qu’elle n’avait pas osé sortir.

    Quand elle était dans la rue, elle devinait qu’on se retournait derrière elle et qu’on la montrait du doigt ; tout le monde la regardait et personne ne la saluait ; le mépris âcre et froid des passants lui pénétrait dans la chair et dans l’âme comme une bise.

    Dans les petites villes, il semble qu’une malheureuse soit nue sous le sarcasme et la curiosité de tous. À Paris, du moins, personne ne vous connaît, et cette obscurité est un vêtement. Oh ! comme elle eût souhaité venir à Paris ! Impossible.

    Il fallut bien s’accoutumer à la déconsidération, comme elle s’était accoutumée à l’indigence. Peu à peu elle en prit son parti. Après deux ou trois mois elle secoua la honte et se mit à sortir comme si de rien n’était. — Cela m’est bien égal, dit-elle. Elle alla et vint, la tête haute, avec un sourire amer, et sentit qu’elle devenait effrontée.

    Madame Victurnien quelquefois la voyait passer de sa fenêtre, remarquait la détresse de « cette créature », grâce à elle « remise à sa place », et se félicitait. Les méchants ont un bonheur noir.

    L’excès du travail fatiguait Fantine, et là petite toux sèche qu’elle avait augmenta. Elle disait quelquefois à sa voisine : — Tâtez donc comme mes mains sont chaudes.

    Cependant le matin, quand elle peignait avec un vieux peigne cassé ses beaux cheveux qui ruisselaient comme de la soie floche, elle avait une minute de coquetterie heureuse.


     

    X

    SUITE DU SUCCÈS


     

    Elle avait été congédiée vers la fin de l’hiver ; l’été se passa, mais l’hiver revint. Jours courts, moins de travail. L’hiver, point de chaleur, point de lumière, point de midi, le soir touche au matin, brouillard, crépuscule, la fenêtre est grise, on n’y voit pas clair. Le ciel est un soupirail. Toute la journée est une cave. Le soleil a l’air d’un pauvre. L’affreuse saison ! L’hiver change en pierre l’eau du ciel et le cœur de l’homme. Ses créanciers la harcelaient.

    Fantine gagnait trop peu. Ses dettes avaient grossi. Les Thénardier, mal payés, lui écrivaient à chaque instant des lettres dont le contenu la désolait et dont le port la ruinait. Un jour ils lui écrivirent que sa petite Cosette était toute nue par le froid qu’il faisait, qu’elle avait besoin d’une jupe de laine, et qu’il fallait au moins que la mère envoyât dix francs pour cela. Elle reçut la lettre et la froissa dans ses mains tout le jour. Le soir elle entra chez un barbier qui habitait le coin de la rue, et défit son peigne. Ses admirables cheveux blonds lui tombèrent jusqu’aux reins.

    Les beaux cheveux ! s’écria le barbier.

    Combien m’en donneriez-vous ? dit-elle.

    Dix francs.

    Coupez-les.

    Elle acheta une jupe de tricot et l’envoya aux Thénardier.

    Cette jupe fit les Thénardier furieux. C’était de l’argent qu’ils voulaient. Ils donnèrent la jupe à Éponine. La pauvre Alouette continua de frissonner.

    Fantine pensa : — Mon enfant n’a plus froid. Je l’ai habillée de mes cheveux. — Elle mettait de petits bonnets ronds qui cachaient sa tête tondue et avec lesquels elle était encore jolie.

    Un travail ténébreux se faisait dans le cœur de Fantine. Quand elle vit qu’elle ne pouvait plus se coiffer, elle commença à tout prendre en haine autour d’elle. Elle avait longtemps partagé la vénération de tous pour le père Madeleine ; cependant, à force de se répéter que c’était lui qui l’avait chassée, et qu’il était la cause de son malheur, elle en vint à le haïr lui aussi, lui surtout. Quand elle passait devant la fabrique aux heures où les ouvriers sont sur la porte, elle affectait de rire et de chanter.

    Une vieille ouvrière qui la vit une fois chanter et rire de cette façon dit : — Voilà une fille qui finira mal.

    Elle prit un amant, le premier venu, un homme qu’elle n’aimait pas, par bravade, avec la rage dans le cœur. C’était un misérable, une espèce de musicien mendiant, un oisif gueux, qui la battait, et qui la quitta comme elle l’avait pris, avec dégoût.

    Elle adorait son enfant.

    Plus elle descendait, plus tout devenait sombre autour d’elle, plus ce petit ange rayonnait dans le fond de son âme. Elle disait : Quand je serai riche, j’aurai ma Cosette avec moi ; et elle riait. La toux ne la quittait pas, et elle avait des sueurs dans le dos.

    Un jour elle reçut des Thénardier une lettre ainsi conçue : « Cosette est malade d’une maladie qui est dans le pays. Une fièvre miliaire, qu’ils appellent. Il faut des drogues chères. Cela nous ruine et nous ne pouvons plus payer. Si vous ne nous envoyez pas quarante francs avant huit jours, la petite est morte. »

    Elle se mit à rire aux éclats, et elle dit à sa vieille voisine : — Ah ! ils sont bons ! quarante francs ! que ça ! ça fait deux napoléons ! Où veulent-ils que je les prenne ? Sont-ils bêtes ces paysans !

    Cependant elle alla dans l’escalier près d’une lucarne et relut cette lettre. Puis elle descendit l’escalier et sortit en courant et en sautant, riant toujours.

    Quelqu’un qui la rencontra lui dit — Qu’est-ce que vous avez donc à être si gaie ?

    Elle répondit : — C’est une bonne bêtise que viennent de m’écrire des gens de la campagne. Ils me demandent quarante francs. Paysans, va !

    Comme elle passait sur la place, elle vit beaucoup de monde qui entourait une voiture de forme bizarre, sur l’impériale de laquelle pérorait tout debout un homme vêtu de rouge. C’était un bateleur dentiste en tournée, qui offrait au public des râteliers complets, des opiats, des poudres et des élixirs.

    Fantine se mêla au groupe et se mit à rire comme les autres de cette harangue où il y avait de l’argot pour la canaille et du jargon pour les gens comme il faut. L’arracheur de dents vit cette belle fille qui riait, et s’écria tout à coup : — Vous avez de jolies dents, la fille qui riez là. Si vous voulez me vendre vos deux palettes, je vous donne de chaque un napoléon d’or.

    Qu’est-ce que c’est que ça, mes palettes ? demanda Fantine.

    Les palettes, reprit le professeur dentiste, c’est les dents de devant, les deux d’en haut.

    Quelle horreur ! s’écria Fantine,

    Deux napoléons ! grommela une vieille édentée qui était là. Qu’en voilà une qui est heureuse !

    Fantine s’enfuit et se boucha les oreilles pour ne pas entendre la voix enrouée de l’homme qui lui criait : — Ré fléchissez, la belle ! deux napoléons, ça peut servir. Si le cœur vous en dit, venez ce soir à l’auberge du Tillac d’argent, vous m’y trouverez.

    Fantine rentra, elle était furieuse et conta la chose à sa bonne voisine Marguerite : — Comprenez-vous ? ne voilà-t-il pas un abominable homme ? comment laisse-t-on des gens comme cela aller dans le pays ! M’arracher mes deux dents de devant ! mais je serais horrible ! Les cheveux repoussent, mais les dents ! Ah ! le monstre d’homme ! j’aimerais mieux me jeter d’un cinquième la tête la première sur le pavé ! Il m’a dit qu’il serait ce soir au Tillac d’argent.

    Et qu’est-ce qu’il offrait ? demanda Marguerite.

    Deux napoléons.

    Cela fait quarante francs.

    Oui, dit Fantine, cela fait quarante francs.

    Elle resta pensive, et se mit à son ouvrage. Au bout d’un quart d’heure, elle quitta sa couture et alla relire la lettre des Thénardier sur l’escalier.

    En rentrant, elle dit à Marguerite qui travaillait près d’elle :

    Qu’est-ce que c’est donc cela une fièvre miliaire ? Savez-vous ?

    Oui, répondit la vieille fille, c’est une maladie.

    Ça a donc besoin de beaucoup de drogues ?

    Oh ! des drogues terribles.

    Où ça vous prend-il ?

    C’est une maladie qu’on a comme ça.

    Cela attaque donc les enfants ?

    Surtout les enfants.

    Est-ce qu’on en meurt ?

    Très bien, dit Marguerite.

    Fantine sortit et alla encore une fois relire la lettre sur l’escalier.

    Le soir elle descendit et on là vit qui se dirigeait du côté de la rue de Paris où sont les auberges.

    Le lendemain matin, comme Marguerite entrait dans la chambre de Fantine avant le jour, car elles travaillaient toujours ensemble et de cette façon n’allumaient qu’une chandelle pour deux, elle trouva Fantine assise sur son fil, pâle, glacée. Elle ne s’était pas couchée. Son bonnet était tombé sur ses genoux. La chandelle avait brûlé toute la nuit et était presque entièrement consumée.

    Marguerite s’arrêta sur le seuil, pétrifiée de cet énorme désordre, et s’écria :

    Seigneur ! la chandelle qui est toute brûlée ! il s’est passé des événements !

    Puis elle regarda Fantine qui tournait vers elle sa tête sans cheveux.

    Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans,

    Jésus ! fit Marguerite, qu’est-ce que vous avez, Fantine ?

    Je n’ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente.

    En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons qui brillaient sur la table.

    Ah, Jésus Dieu ! dit Marguerite. Mais c’est une fortune ! Où avez-vous eu ces louis d’or ?

    Je les ai eus, répondit Fantine.

    En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C’était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.

    Les deux dents étaient arrachées.

    Elle envoya les quarante francs à Montfermeil.

    Du reste c’était une ruse des Thénardier pour avoir de l’argent. Cosette n’était pas malade.

    Fantine jeta son miroir par la fenêtre. Depuis longtemps elle avait quitté sa cellule du second pour une mansarde fermée d’un loquet sous le toit ; un de ces galetas dont le plafond fait angle avec le plancher et vous heurte à chaque instant la tête. Le pauvre ne peut aller au fond de sa chambre comme au fond de sa destinée qu’en se courbant de plus en plus. Elle n’avait plus de lit, il lui restait une loque qu’elle appelait sa couverture, un matelas à terre et une chaise dépaillée. Un petit rosier qu’elle avait s’était desséché dans un coin, oublié. Dans l’autre coin, il y avait un pot à beurre à mettre l’eau, qui gelait l’hiver, et où les différents niveaux de l’eau restaient longtemps marqués par des cercles de glace. Elle avait perdu la honte, elle perdit la coquetterie. Dernier signe. Elle sortait avec des bonnets sales. Soit faute de temps, soit indifférence, elle ne raccommodait plus son linge. À mesure que les talons s’usaient, elle tirait ses bas dans ses souliers. Cela se voyait à de certains plis perpendiculaires. Elle rapiéçait son corset, vieux et usé, avec des morceaux de calicot qui se déchiraient au moindre mouvement. Les gens auxquels elle devait lui fai saient « des scènes », et ne lui laissaient aucun repos. Elle les trouvait dans la rue, elle les retrouvait dans son escalier. Elle passait des nuits à pleurer et à songer. Elle avait les yeux très brillants, et elle sentait une douleur fixe dans l’épaule, vers le haut de l’omoplate gauche. Elle toussait beaucoup. Elle haïssait profondément le père Madeleine, et ne se plaignait pas. Elle cousait dix-sept heures par jour ; mais un entrepreneur du travail des prisons qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu, coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite ; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait. — Cent francs, songea Fantine. Mais où y a-t-il un état à gagner cent sous par jour ?

    Allons! dit-elle, vendons le reste.

    L’infortunée se fit fille publique.


     

    XI

    CHRISTUS NOS LIBERAVIT


     

    Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? C’est la société achetant une esclave.

    À qui ? À la misère.

    À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte.

    La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore. On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.

    Il pèse sur la femme, c’est-à-dire sur la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité. Ceci n’est pas une des moindres hontes de l’homme.

    Au point de ce douloureux drame où nous sommes arrivés, il ne reste plus rien à Fantine de ce qu’elle a été autrefois. Elle est devenue marbre en devenant boue. Qui la touche a froid. Elle passe, elle vous subit, et elle vous ignore ; elle est la figure déshonorée et sévère. La vie et l’ordre social lui ont dit leur dernier mot. Il lui est arrivé tout ce qui lui arrivera. Elle a tout ressenti, tout supporté, tout éprouvé, tout souffert, tout perdu, tout pleuré. Elle est résignée de cette résignation qui ressemble à l’indifférence comme la mort ressemble au sommeil. Elle n’évite plus rien. Elle ne craint plus rien. Tombe sur elle toute la nuée et passe sur elle tout l’océan ! que lui importe ! c’est une éponge imbibée.

    Elle le croit du moins, mais c’est une erreur de s’imaginer qu’on épuise le sort et qu’on touche le fond de quoi que ce soit.

    Hélas ! qu’est-ce que toutes ces destinées ainsi poussées pêle-mêle ? où vont-elles ? pourquoi sont-elles ainsi ?

    Celui qui sait cela voit toute l’ombre.

    Il est seul. Il s’appelle Dieu.


     

    XII

    LE DÉSŒUVREMENT DE M. BAMATABOIS


     

    Il y a dans toutes les petites villes, et il y avait à Montreuil-sur-Mer en particulier, une classe de jeunes gens qui grignotent quinze cents livres de rente en province du même air dont leurs pareils dévorent à Paris deux cent mille francs par an. Ce sont des êtres de la grande espèce neutre ; hongres, parasites, nuls, qui ont un peu de terre, un peu de sottise et un peu d’esprit, qui seraient des rustres dans un salon et se croient des gentilshommes au cabaret, qui disent : mes prés, mes bois, mes paysans, sifflent les actrices du théâtre pour prouver que ce sont des gens de goût, querellent les officiers de la garnison pour montrer qu’ils sont gens de guerre, chassent, fument, bâillent, boivent, sentent le tabac, jouent au billard, regardent les voyageurs descendre de diligence, vivent au café, dînent à l’auberge, ont un chien qui mange les os sous la table et une maîtresse qui pose les plats dessus, tiennent à un sou, exagèrent les modes, admirent la tragédie, méprisent les femmes, usent leurs vieilles bottes, copient Londres à travers Paris et Paris à travers Pont-à-Mousson, vieillissent hébétés, ne travaillent pas, ne servent à rien, et ne nuisent pas à grand’chose.

    M. Félix Tholomyès, resté dans sa province et n’ayant jamais vu Paris, serait un de ces hommes-là.

    S’ils étaient plus riches, on dirait : ce sont des élégants ; s’ils étaient plus pauvres, on dirait : ce sont des fainéants. Ce sont tout simplement des désœuvrés. Parmi ces désœuvrés, il y a des ennuyeux, des ennuyés, des rêvasseurs et quelques drôles.

    Dans ce temps-là, un élégant se composait d’un grand col, d’une grande cravate, d’une montre à breloques, de trois gilets superposés de couleur différentes, le bleu et le rouge en dedans, d’un habit couleur olive à taille courte, à queue de morue, à double rangée de boutons d’argent serrés les uns contre les autres et montant jusque sur l’épaule, et d’un pantalon olive plus clair, orné sur les deux coulures d’un nombre de côtes indéterminé, mais toujours impair, variant de une à onze, limite qui n’était jamais franchie. Ajoutez à cela des souliers-bottes avec de petits fers au talon, un chapeau à haute forme et à bords étroits, des cheveux en touffe, une énorme canne, et une conversation rehaussée des calembours de Potier. Sur le tout des éperons et des moustaches. À cette époque, des moustaches voulaient dire bourgeois et des éperons voulaient dire piéton.

    L’élégant de province portait les éperons plus longs et les moustaches plus farouches.

    C’était le temps de la lutte des républiques de l’Amérique méridionale contre le roi d’Espagne, de Bolivar contre Mo rillo. Les chapeaux à petits bords étaient royalistes et se nommaient des morillos ; les libéraux portaient des chapeaux à larges bords qui s’appelaient des bolivars.

    Huit ou dix mois donc après ce qui a été raconté dans les pages précédentes, vers les premiers jours de janvier 1823, un soir qu’il avait neigé, un de ces élégants, un de ces désœuvrés, un « bien pensant », car il avait un morillo, de plus chaudement enveloppé d’un de ces grands manteaux qui complétaient dans les temps froids le costume à la mode, se divertissait à harceler une créature qui rôdait en robe de bal et toute décolletée avec des fleurs sur la tête devant la vitre du café des officiers. Cet élégant fumait, car c’était décidément la mode.

    Chaque fois que celle femme passait devant lui, il lui jetait, avec une bouffée de la fumée de son cigare, quelque apostrophe qu’il croyait spirituelle et gaie, comme : — Que tu es laide ! — Veux-tu te cacher ! — Tu n’as pas de dents ! etc., etc. — Ce monsieur s’appelait monsieur Bamatabois. La femme, triste spectre paré qui allait et venait sur la neige, ne lui répondait pas, ne le regardait même pas, et n’en accomplissait pas moins en silence et avec une régularité sombre sa promenade qui la ramenait de cinq minutes en cinq minutes sous le sarcasme, comme le soldat condamné qui revient sous les verges. Ce peu d’effet piqua sans doute l’oisif qui, profitant d’un moment où elle se retournait, s’avança derrière elle à pas de loup et en étouffant son rire, se baissa, prit sur le pavé une poignée de neige et la lui plongea brusquement dans le dos entre ses deux épaules nues. La fille poussa un rugissement, se tourna, bondit comme une panthère, et se rua sur l’homme, lui enfonçant ses ongles dans le visage, avec les plus effroyables paroles qui puissent tomber du corps de garde dans le ruisseau. Ces injures, vomies d’une voix enrouée par l’eau-de-vie, sortaient hideusement d’une bouche à laquelle manquaient en effet les deux dents de devant. C’était la Fantine.

    Au bruit que cela fit, les officiers sortirent en foule du café, les passants s’amassèrent, et il se forma un grand cercle riant, huant et applaudissant, autour de ce tourbillon composé de deux êtres où l’on avait peine à reconnaître un homme et une femme, l’homme se débattant, son chapeau à terre, la femme frappant des pieds et des poings, décoiffée, hurlant, sans dents et sans cheveux, livide de colère, horrible.

    Tout à coup un homme de haute taille sortit vivement de la foule, saisit la femme à son corsage de satin couvert de boue, et lui dit : — Suis moi !

    La femme leva la tête; sa voix furieuse s’éteignit subitement, Ses yeux étaient vitreux, de livide elle était devenue pâle, et elle tremblait d’un tremblement de terreur. Elle avait reconnu Javert.

    L’élégant avait profité de l’incident pour s’esquiver.


     

    XIII

    SOLUTION DE QUELQUES QUESTIONS DE POLICE MUNICIPALE


     

    Javert écarta les assistants, rompit le cercle et se mit à marcher à grands pas vers le bureau de police qui est à l’extrémité de la place, traînant après lui la misérable. Elle se laissait faire machinalement. Ni lui, ni elle ne disaient un mot. La nuée des spectateurs, au paroxysme de la joie, suivait avec des quolibets. La suprême misère, occasion d’obscénités.

    Arrivé au bureau de police qui était une salle basse chauffée par un poêle et gardée par un poste, avec une porte vitrée et grillée sur la rue, Javert ouvrit la porte, entra avec la Fantine, et referma la porte derrière lui, au grand désappointement des curieux qui se haussèrent sur la pointe du pied et allongèrent le cou devant la vitre trouble du corps de garde, cherchant à voir. La curiosité est une gourmandise. Voir, c’est dévorer.

    En entrant, la Fantine alla tomber dans un coin, immobile et muette, accroupie comme une chienne qui a peur.

    Le sergent du poste apporta une chandelle allumée sur une table. Javert s’assit, tira de sa poche une feuille de papier timbré et se mit à écrire.

    Ces classes de femmes sont entièrement remises par nos lois à la discrétion de la police. Elle en fait ce qu’elle veut, les punit comme bon lui semble, et confisque à son gré ces deux tristes choses qu’elles appellent leur industrie et leur liberté. Javert était impassible ; son visage sérieux ne trahissait aucune émotion. Pourtant il était gravement et profondément préoccupé. C’était un de ces moments où il exerçait sans contrôle, mais avec tous les scrupules d’une conscience sévère, son redoutable pouvoir discrétionnaire. En cet instant, il le sentait, son escabeau d’agent de police était un tribunal. Il jugeait. Il jugeait et il condamnait. Il appelait tout ce qu’il pouvait avoir d’idées dans l’esprit autour de la grande chose qu’il faisait. Plus il examinait le fait de cette fille, plus il se sentait révolté. Il était évident qu’il venait de voir commettre un crime. Il venait de voir, là dans la rue, la société, représentée par un propriétaire- électeur, insultée et attaquée par une créature en dehors de tout. Une prostituée avait attenté à un bourgeois. Il avait vu cela, lui Javert. Il écrivait en silence.

    Quand il eut fini, il signa, plia le papier et dit au sergent du poste, en le lui remettant : — Prenez trois hommes, et menez celle fille au bloc. — Puis se tournant vers la Fantine : — Tu en as pour six mois.

    La malheureuse tressaillit.

    Six mois ! six mois de prison ! cria-t-elle. Six mois à gagner sept sous par jour ! Mais que deviendra Cosette ? ma ma fille ! ma fille ! Mais je dois encore plus de cent francs aux Thénardier, monsieur l’inspecteur, savez-vous cela ?

    Elle se traîna sur la dalle mouillée par les bottes boueuses de tous ces hommes, sans se lever, joignant les mains, faisant de grands pas avec ses genoux.

    Monsieur Javert, dit-elle, je vous demande grâce. Je vous assure que je n’ai pas eu tort. Si vous aviez vu le commencement, vous auriez vu ! je vous jure le bon Dieu que je n’ai pas eu tort. C’est ce monsieur le bourgeois que je ne connais pas qui m’a mis de la neige dans le dos. Est-ce qu’on a le droit de nous mettre de la neige dans le dos quand nous passons comme cela tranquillement sans faire de mal à personne ? Cela m’a saisie. Je suis un peu malade, voyez-vous ! Et puis il y avait déjà un peu de temps qu’il me disait des raisons. Tu es laide ! tu n’as pas de dents ! Je ne faisais rien, moi ; je disais : c’est un monsieur qui s’amuse. J’étais honnête avec lui, je ne lui parlais pas. C’est à cet instant-là qu’il m’a mis de la neige. Monsieur Javert, mon bon monsieur l’inspecteur ! est-ce qu’il n’y a personne là qui ait vu, pour vous dire que c’est bien vrai ! J’ai peut-être eu tort de me fâcher. Vous savez, dans le premier moment, on n’est pas maître. On a des vivacités. Et puis, quelque chose de si froid qu’on vous met dans le dos à l’heure que vous ne vous y attendez pas. J’ai eu tort d’abîmer le chapeau de ce monsieur. Pourquoi s’est-il en allé ? je lui demanderais pardon. Oh ! mon Dieu, cela me serait bien égal de lui demander pardon. Faites-moi grâce pour aujourd’hui cette fois, monsieur Javert. Tenez, vous ne savez pas ça, dans les prisons on ne gagne que sept sous, ce n’est pas la faute du gouvernement, mais on gagne sept sous, et figurez-vous que j’ai cent francs à payer, ou autrement on me renverra ma petite. Ô mon Dieu ! je ne peux pas l’avoir avec moi. C’est si vilain ce que je fais ! Ô ma Cosette, ô mon petit ange de la bonne sainte vierge, qu’est-ce qu’elle deviendra, pauvre loup ! Je vais vous dire, c’est les Thénardier, des aubergistes, des paysans, ça n’a pas de raisonnement. Il leur faut de l’argent. Ne me mettez pas en prison ! Voyez-vous, c’est une petite qu’on mettrait à même sur la grande route, va comme tu pourras, en plein cœur d’hiver, il faut avoir pitié de cette chose-là, mon bon monsieur Javert. Si c’était plus grand, ça gagnerait sa vie, mais ça ne peut pas, à ces âges-là. Je ne suis pas une mauvaise femme au fond. Ce n’est pas la lâcheté et la gourmandise qui ont fait de moi ça. J’ai bu de l’eau-de-vie, c’est par misère. Je ne l’aime pas, mais cela étourdit. Quand j’étais plus heureuse, on n’aurait eu qu’à regarder dans mes armoires, on aurait bien vu que je n’étais pas une femme coquette qui a du désordre. J’avais du linge, beaucoup de linge. Ayez pitié de moi, monsieur Javert !

    Elle parlait ainsi, brisée en deux, secouée par les sanglots, aveuglée par les larmes, la gorge nue, se tordant les mains, toussant d’une voix sèche et courte, balbutiant tout doucement avec la voix de l’agonie. La grande douleur est un rayon divin et terrible qui transfigure les misérables. À ce moment-là, la Fantine était redevenue belle. À de certains instants, elle s’arrêtait et baisait tendrement le bas de la redingote du mouchard. Elle eût attendri un cœur de granit ; mais on n’attendrit pas un cœur de bois.

    Allons ! dit Javert, je t’ai écoutée. As-tu bien tout dit ? Marche à présent ! Tu as les six mois ; le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien.

    À cette solennelle parole, le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien, elle comprit que l’arrêt était prononcé. Elle s’affaissa sur elle-même en murmurant :

    Grâce !

    Javert tourna le dos.

    Les soldats la saisirent par le bras.

    Depuis quelques minutes, un homme était entré sans qu’on eût pris garde à lui. Il avait refermé la porte, s’y était adossé, et avait entendu les prières désespérées de la Fantine.

    Au moment où les soldats mirent la main sur la malheureuse, qui ne voulait pas se lever, il fit un pas, sortit de l’ombre, et dit :

    Un instant, s’il vous plaît !

    Javert leva les yeux et reconnut M. Madeleine. Il ôta son chapeau, et saluant avec une sorte de gaucherie fâchée :

    Pardon, monsieur le maire...

    Ce mot, monsieur le maire, fit sur Fantine un effet étrange. Elle se dressa debout tout d’une pièce comme un spectre qui sort de terre, repoussa les soldats des deux bras, marcha droit à M. Madeleine avant qu’on eût pu la retenir, et le regardant fixement, l’air égaré, elle cria :

    Ah ! c’est donc toi qui es monsieur le maire !

    Puis elle éclata de rire et lui cracha au visage.

    M. Madeleine s’essuya le visage, et dit :

    Inspecteur Javert, mettez cette femme en liberté.

    Javert se sentit au moment de devenir fou. Il éprouvait en cet instant, coup sur coup, et presque mêlées ensemble, les plus violentes émotions qu’il eût ressenties de sa vie. Voir une fille publique cracher au visage d’un maire, cela était une chose si monstrueuse que, dans ses suppositions les plus effroyables, il eût regardé comme un sacrilège de le croire possible. D’un autre côté, dans le fond de sa pensée, il faisait confusément un rapprochement hideux entre ce qu’était cette femme et ce que pouvait être ce maire, et alors il entrevoyait avec horreur je ne sais quoi de tout simple dans ce prodigieux attentat. Mais quand il vit ce maire, ce magistrat, s’essuyer tranquillement le visage et dire : Mettez cette femme en liberté, il eut comme un éblouissement de stupeur ; la pensée et la parole lui manquèrent également ; la somme de l’étonnement possible était dépassée pour lui. Il resta muet.

    Ce mot n’avait pas porté un coup moins étrange à la Fantine. Elle leva son bras nu et se cramponna à la clef du poêle comme une personne qui chancelle. Cependant elle regardait tout autour d’elle et elle se mit à parler à voix basse, comme si elle se parlait à elle-même.

    En liberté ! qu’on me laisse aller ! que je n’aille pas en prison six mois ! Qui est-ce qui a dit cela ? Il n’est pas possible qu’on ait dit cela. J’ai mal entendu. Ça ne peut pas être ce monstre de maire ! Est-ce que c’est vous, mon bon monsieur Javert, qui avez dit qu’on me mette en liberté ? Oh ! voyez-vous ! je vais vous dire et vous me laisserez aller. Ce monstre de maire, ce vieux gredin de maire, c’est lui qui est cause de tout. Figurez-vous, monsieur Javert, qu’il m’a chassée ! à cause d’un tas de gueuses qui tiennent des propos dans l’atelier. Si ce n’est pas là une horreur ! renvoyer une pauvre fille qui fait honnêtement son ouvrage ! Alors je n’ai plus gagné assez, et tout le malheur est venu. D’abord il y a une amélioration que ces messieurs de la police devraient bien faire, ce serait d’empêcher les entrepreneurs des prisons de faire du tort aux pauvres gens. Je vais vous expliquer cela, voyez-vous. Vous gagnez douze sous dans les chemises, cela tombe à neuf sous, il n’y a plus moyen de vivre. Il faut donc devenir ce qu’on peut. Moi, j’avais ma petite Cosette, j’ai bien été forcée de devenir une mauvaise femme. Vous comprenez à présent que c’est ce gueux de maire qui a fait tout le mal. Après cela j’ai piétiné le chapeau de ce monsieur bourgeois devant le café des officiers. Mais lui, il m’avait perdu toute ma robe avec de la neige. Nous autres, nous n’avons qu’une robe de soie, pour le soir. Voyez-vous, je n’ai jamais fait de mal exprès, vrai, monsieur Javert, et je vois partout des femmes bien plus méchantes que moi qui sont bien plus heureuses. Ô monsieur Javert, c’est vous qui avez dit qu’on me mette dehors, n’est-ce pas ? Prenez des informations, parlez à mon propriétaire, maintenant je paye mon terme, on vous dira bien que je suis honnête. Ah ! mon Dieu, je vous demande pardon, j’ai touché, sans faire attention, à la clef du poêle, et cela fait fumer.

    M. Madeleine l’écoutait avec une attention profonde. Pendant qu’elle parlait, il avait fouillé dans son gilet, en avait tiré sa bourse et l’avait ouverte, Elle était vide. Il l’avait remise dans sa poche. Il dit à la Fantine :

    Combien avez-vous dit que vous deviez ?

    La Fantine, qui ne regardait que Javert, se retourna de son côté :

    Est-ce que je te parle, à toi !

    Puis s’adressant aux soldats :

    Dites donc, vous autres ? avez-vous vu comme je te vous lui ai craché à la figure ? Ah ! vieux scélérat de maire, tu viens ici pour me faire peur, mais je n’ai pas peur de toi. J’ai peur de monsieur Javert. J’ai peur de mon bon monsieur Javert !

    En parlant ainsi elle se retourna vers l’inspecteur :

    Avec ça, voyez-vous, monsieur l’inspecteur, il faut être juste. Je comprends que vous êtes juste, monsieur l’inspecteur. Au fait, c’est tout simple, un homme qui joue à mettre un peu de neige dans le dos d’une femme, ça les faisait rire, les officiers ; il faut bien qu’on se divertisse à quelque chose, nous autres nous sommes là pour qu’on s’amuse, quoi ! Et puis, vous, vous venez, vous êtes bien forcé de mettre l’ordre, vous emmenez la femme qui a tort, mais en y réfléchissant, comme vous êtes bon, vous dites qu’on me mette en liberté, c’est pour la petite, parce que six mois en prison, cela m’empêcherait de nourrir mon enfant. Seulement n’y reviens plus, coquine ! Oh ! je n’y reviendrai plus, monsieur Javert ! on me fera tout ce qu’on voudra maintenant, je ne bougerai plus. Seulement, aujourd’hui, voyez-vous, j’ai crié parce que cela m’a fait mal, je ne m’attendais pas du tout à cette neige de ce monsieur ; et puis, je vous ai dit, je ne me porte pas très bien, je tousse, j’ai là dans l’estomac comme une boule qui me brûle, que le médecin me dit : soignez-vous. Tenez, tâtez, donnez votre main, n’ayez pas peur, c’est ici.

    Elle ne pleurait plus, sa voix était caressante, elle appuyait sur sa gorge blanche et délicate la grosse main rude de Javert et elle le regardait en souriant.

    Tout à coup elle rajusta vivement le désordre de ses vêtements, fit retomber les plis de sa robe qui en se traînant s’était relevée presque à la hauteur du genou, et marcha vers la porte en disant à demi-voix aux soldats avec un signe de tête amical :

    Les enfants, monsieur l’inspecteur a dit qu’on me lâche, je m’en vas.

    Elle mit la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue.

    Javert jusqu’à cet instant était resté debout, immobile, l’œil fixé à terre, posé de travers au milieu de cette scène comme une statue dérangée qui attend qu’on la mette quelque part.

    Le bruit que fit le loquet le réveilla. Il releva la tête avec une expression d’autorité souveraine, expression d’autant plus effrayante que le pouvoir se trouve placé plus bas, féroce chez la bête fauve, atroce chez l’homme de rien.

    Sergent ! cria-t-il, vous ne voyez pas que cette drôlesse s’en va ! Qui est-ce qui vous a dit de la laisser aller ?

    Moi, dit Madeleine.

    La Fantine à la voix de Javert avait tremblé et lâché le loquet comme un voleur pris lâche l’objet volé. À la voix de Madeleine, elle se retourna, et à partir de ce moment, sans qu’elle prononçât un mot, sans qu’elle osât même laisser sortir son souffle librement, son regard alla tour à tour de Madeleine à Javert et de Javert à Madeleine, selon que c’était l’un ou l’autre qui parlait.

    Il était évident qu’il fallait que Javert eût été comme on dit « jeté hors des gonds » pour qu’il se fût permis d’apostropher le sergent comme il l’avait fait, après l’invitation du maire de mettre Fantine en liberté. En était-il venu à oublier la présence de monsieur le maire ? Avait-il fini par se déclarer à lui-même qu’il était impossible qu’une « autorité » eût donné un pareil ordre, et que bien certainement monsieur le maire avait dû dire sans le vouloir une chose pour une autre ? Ou bien, devant les énormités dont il était témoin depuis deux heures, se disait-il qu’il fallait revenir aux suprêmes résolutions, qu’il était nécessaire que le petit se fît grand, que le mouchard se transformât en magistrat, que l’homme de police devînt homme de justice, et qu’en cette extrémité prodigieuse l’ordre, la loi, la morale, le gouvernement, la société tout entière, se personnifiaient en lui Javert ?

    Quoi qu’il en soit, quand M. Madeleine eut dit ce moi qu’on vient d’entendre, on vit l’inspecteur de police Javert se tourner vers monsieur le maire, pâle, froid, les lèvres bleues, le regard désespéré, tout le corps agité d’un tremblement imperceptible, et, chose inouïe, lui dire, l’œil baissé, mais la voix ferme :

    Monsieur le maire, cela ne se peut pas.

    Comment ? dit M. Madeleine.

    Cette malheureuse a insulté un bourgeois.

    Inspecteur Javert, repartit M. Madeleine avec un accent conciliant et calme, écoutez. Vous êtes un honnête homme, et je ne fais nulle difficulté de m’expliquer avec vous. Voici le vrai. Je passais sur la place comme vous emmeniez cette femme, il y avait encore des groupes, je me suis informé, j’ai tout su, c’est le bourgeois qui a eu tort et qui, en bonne police, eût dû être arrêté.

    Javert reprit :

    Cette misérable vient d’insulter monsieur le maire.

    Ceci me regarde, dit M. Madeleine. Mon injure est à moi peut-être. J’en puis faire ce que je veux.

    Je demande pardon à monsieur le maire. Son injure n’est pas à lui, elle est à la justice.

    Inspecteur Javert, répliqua M. Madeleine, la première justice, c’est la conscience. J’ai entendu cette femme. Je sais ce que je fais.

    Et moi, monsieur le maire, je ne sais pas ce que je vois.

    Alors contentez-vous d’obéir.

    J’obéis à mon devoir. Mon devoir veut que cette femme fasse six mois de prison.

    M. Madeleine répondit avec douceur :

    Écoutez bien ceci. Elle n’en fera pas un jour.

    À cette parole décisive, Javert osa regarder le maire fixement, et lui dit, mais avec un son de voix toujours profondément respectueux :

    Je suis au désespoir de résister à monsieur le maire, c’est la première fois de ma vie, mais il daignera me permettre de lui faire observer que je suis dans la limite de mes attributions. Je reste, puisque monsieur le maire le veut, dans le fait du bourgeois. J’étais là. C’est cette fille qui s’est jetée sur monsieur Bamatabois, qui est électeur et propriétaire de cette belle maison à balcon qui fait le coin de l’esplanade, à trois étages et toute en pierre de taille. Enfin, il y a des choses dans ce monde ! Quoi qu’il en soit, monsieur le maire, cela, c’est un fait de police de la rue qui me regarde, et je retiens la femme Fantine.

    Alors M. Madeleine croisa les bras et dit avec une voix sévère que personne dans la ville n’avait encore entendue :

    Le fait dont vous parlez est un fait de police municipale. Aux termes des articles neuf, onze, quinze et soixante-six du code d’instruction criminelle, j’en suis juge. J’ordonne que cette femme soit mise en liberté.

    Javert voulut tenter un dernier effort.

    Mais, monsieur le maire...

    Je vous rappelle, à vous, l’article quatrevingt-un de la loi du 13 décembre 1799 sur la détention arbitraire.

    Monsieur le maire, permettez...

    Plus un mot.

    Pourtant...

    Sortez, dit M. Madeleine.

    Javert reçut le coup, debout, de face, et en pleine poitrine comme un soldat russe. Il salua jusqu’à terre monsieur le maire, et sortit.

    Fantine se rangea de la porte et le regarda avec stupeur passer devant elle.

    Cependant elle aussi était en proie à un bouleversement étrange. Elle venait de se voir en quelque sorte disputée par deux puissances opposées. Elle avait vu lutter devant ses yeux deux hommes tenant dans leurs mains sa liberté, sa vie, son âme, son enfant ; l’un de ces hommes l’attirait du côté de l’ombre, l’autre la ramenait vers la lumière. Dans cette lutte, entrevue à travers les grossissements de l’épouvante, ces deux hommes lui étaient apparus comme deux géants ; l’un parlait comme son démon, l’autre parlait comme son bon ange. L’ange avait vaincu le démon, et, chose qui la faisait frissonner de la tête aux pieds, cet ange, ce libérateur, c’était précisément l’homme qu’elle abhorrait, ce maire qu’elle avait si longtemps considéré comme l’auteur de tous ses maux, ce Madeleine ! et, au moment même où elle venait de l’insulter dune façon hideuse, il la sauvait ! S’était-elle donc trompée ? Devait-elle donc changer toute son âme ?... Elle ne savait, elle tremblait. Elle écoutait éperdue, elle regardait effarée, et à chaque parole que disait M. Madeleine, elle sentait fondre et s’écrouler en elle les affreuses ténèbres de la haine et naître dans son cœur je ne sais quoi de réchauffant et d’ineffable qui était de la joie, de la confiance et de l’amour.

    Quand Javert fut sorti, M. Madeleine se tourna vers elle, et il lui dit avec une voix lente, ayant peine à parler comme un homme sérieux qui ne veut pas pleurer :

    Je vous ai entendue. Je ne savais rien de ce que vous avez dit. Je crois que c’est vrai, et je sens que c’est vrai. J’ignorais même que vous eussiez quitté mes ateliers. Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressée à moi ? Mais voici : je payerai vos dettes, je ferai revenir votre enfant, ou vous irez la rejoindre. Vous vivrez ici, à Paris, où vous voudrez. Je me charge de votre enfant et de vous. Vous ne travaillerez plus, si vous voulez. Je vous donnerai tout l’argent qu’il vous faudra. Vous redeviendrez honnête en redevenant heureuse. Et même, écoutez, je vous le déclare dès à présent, si tout est comme vous le dites, et je n’en doute pas, vous n’avez jamais cessé d’être vertueuse et sainte devant Dieu. Oh ! pauvre femme !

    C’en était plus que la pauvre Fantine n’en pouvait supporter. Avoir Cosette ! sortir de cette vie infâme ! vivre libre, riche, heureuse, honnête, avec Cosette ! voir brusquement s’épanouir au milieu de sa misère toutes ces réalités du paradis ! Elle regarda comme hébétée cet homme qui lui parlait, et ne put que jeter deux ou trois sanglots : oh ! oh ! oh ! Ses jarrets plièrent, elle se mit à genoux devant M. Madeleine, et, avant qu’il eût pu l’en empêcher, il sentit qu’elle lui prenait la main et que ses lèvres s’y posaient.

    Puis elle s’évanouit.


     


    I

    COMMENCEMENT DU REPOS


     

    M. Madeleine fit transporter la Fantine à cette infirmerie qu’il avait dans sa propre maison. Il la confia aux sœurs qui la mirent au lit. Une fièvre ardente était survenue. Elle passa une partie de la nuit à délirer et à parler haut. Cependant elle finit par s’endormir.

    Le lendemain vers midi Fantine se réveilla, elle entendit une respiration tout près de son lit, elle écarta son rideau et vit M. Madeleine debout qui regardait quelque chose au- Il soupira profondément. Elle cependant lui souriait avec ce sublime sourire auquel il manquait deux dents.

    Javert dans cette même nuit avait écrit une lettre. Il remit lui-même cette lettre le lendemain matin au bureau de poste de Montreuil-sur-mer. Elle était pour Paris, et la suscription portait : À monsieur Chabouillet, secrétaire de monsieur le préfet de police. Comme l’affaire du corps de garde s’était ébruitée, la directrice du bureau de poste et quelques autres personnes qui virent la lettre avant le départ et qui reconnurent l’écriture de Javert sur l’adresse, pensèrent que c’était sa démission qu’il envoyait.

    M. Madeleine se hâta d’écrire aux Thénardier. Fantine leur devait cent vingt francs. Il leur envoya trois cents francs en leur disant de se payer sur cette somme, et d’amener tout de suite l’enfant à Montreuil-sur-mer où sa mère malade la réclamait.

    Ceci éblouit le Thénardier.

    Diable ! dit-il à sa femme, ne lâchons pas l’enfant. Voilà que cette mauviette va devenir une vache à lait. Je devine. Quelque jocrisse se sera amouraché de la mère.

    Il riposta par un mémoire de cinq cents et quelques francs fort bien fait. Dans ce mémoire figuraient pour plus de trois cents francs deux notes incontestables, l’une d’un médecin, l’autre d’un apothicaire, lesquels avaient soigné et médicamenté dans deux longues maladies Éponine et Azelma. Cosette, nous l’avons dit, n’avait pas été malade. Ce fut l’affaire d’une toute petite substitution de noms. Thénardier mit au bas du mémoire : Reçu à compte trois cents francs.

    M. Madeleine envoya tout de suite trois cents autres francs et écrivit : Dépêchez-vous d’amener Cosette.

    Cristi ! dit le Thénardier, ne lâchons pas l’enfant.

    Cependant Fantine ne se rétablissait point. Elle était toujours à l’infirmerie.

    Les sœurs n’avaient d’abord reçu et soigné « cette fille » qu’avec répugnance. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes est un des plus profonds instincts de la dignité féminine ; les sœurs l’avaient éprouvé, avec le redoublement qu’ajoute la religion. Mais, en peu de jours, Fantine les avait désarmées. Elle avait toutes sortes de paroles humbles et douces, et la mère qui était en elle attendrissait. Un jour les sœurs l’entendirent qui disait à travers la fièvre : — J’ai été une pécheresse, mais quand j’aurai mon enfant près de moi, cela voudra dire que Dieu m’a pardonné. Pendant que j’étais dans le mal, je n’aurais pas voulu avoir ma Cosette avec moi, je n’aurais pas pu supporter ses yeux étonnés et tristes. C’était pour elle pourtant que je faisais le mal, et c’est ce qui fait que Dieu me pardonne. Je sentirai la bénédiction du bon Dieu quand Cosette sera ici. Je la regarderai, cela me fera du bien de voir cette innocente. Elle ne sait rien du tout. C’est un ange, voyez-vous, mes sœurs. À cet âge-là, les ailes, ça n’est pas encore tombé.

    M. Madeleine l’allait voir deux fois par jour, et chaque fois elle lui demandait :

    Verrai-je bientôt ma Cosette ?

    Il lui répondait :

    Peut-être demain matin. D’un moment à l’autre elle arrivera, je l’attends.

    Et le visage pâle de la mère rayonnait.

    Oh ! disait-elle, comme je vais être heureuse !

    Nous venons de dire qu’elle ne se rétablissait pas. Au contraire, son état semblait s’aggraver de semaine en semaine. Cette poignée de neige appliquée à nu sur la peau entre les deux omoplates avait déterminé une suppression subite de transpiration à la suite de laquelle la maladie qu’elle couvait depuis plusieurs années finit par se déclarer violemment. On commençait alors à suivre pour l’étude et le traitement des maladies de poitrine les belles indications de Laënnec. Le médecin ausculta Fantine et hocha la tête.

    M. Madeleine dit au médecin :

    Eh bien ?

    N’a-t-elle pas un enfant qu’elle désire voir ? dit le médecin.

    Oui.

    Eh bien, hâtez-vous de le faire venir.

    M. Madeleine eut un tressaillement.

    Fantine lui demanda :

    Qu’a dit le médecin ?

    M. Madeleine s’efforça de sourire.

    Il a dit de faire venir bien vite votre enfant. Que cela vous rendra la santé.

    Oh ! reprit-elle, il a raison ! Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ces Thénardier à me garder ma Cosette ! Oh ! elle va venir. Voici enfin que je vois le bonheur tout près de moi !

    Le Thénardier cependant ne « lâchait pas l’enfant » et donnait cent mauvaises raisons. Cosette était un peu souffrante pour se mettre en route l’hiver. Et puis il y avait un reste de petites dettes criardes dans le pays dont il rassemblait les factures, etc., etc.

    J’enverrai quelqu’un chercher Cosette, dit le père Madeleine. S’il le faut, j’irai moi-même.

    Il écrivit sous la dictée de Fantine cette lettre qu’il lui fit signer :

    « Monsieur Thénardier,

    « Vous remettrez Cosette à la personne.

    « On vous payera toutes les petites choses.

    « J’ai l’honneur de vous saluer avec considération.

    « Fantine. »

    Sur ces entrefaites, il survint un grave incident. Nous avons beau tailler de notre mieux le bloc mystérieux dont notre vie est faite, la veine noire de la destinée y reparaît toujours.


     

    II

    COMMENT JEAN PEUT DEVENIR CHAMP


     

    Un matin, M. Madeleine était dans son cabinet, occupé à régler d’avance quelques affaires pressantes de la mairie pour le cas où il se déciderait à ce voyage de Montfermeil, lorsqu’on vint lui dire que l’inspecteur de police Javert demandait à lui parler. En entendant prononcer ce nom, M. Madeleine ne put se défendre d’une impression désagréable. Depuis l’aventure du bureau de police, Javert l’avait plus que jamais évité, et M. Madeleine ne l’avait point revu.

    Faites entrer, dit-il.

    Javert entra.

    M. Madeleine était resté assis près de la cheminée, une plume à la main, l’œil sur un dossier qu’il feuilletait et qu’il annotait, et qui contenait des procès-verbaux de contraventions à la police de la voirie. Il ne se dérangea point pour Javert. Il ne pouvait s’empêcher de songer à la pauvre Fantine, et il lui convenait d’être glacial.

    Javert salua respectueusement M. le maire qui lui tournait le dos. M. le maire ne le regarda pas et continua d’annoter son dossier.

    Javert fit deux ou trois pas dans le cabinet, et s’arrêta sans rompre le silence. Un physionomiste qui eût été familier avec la nature de Javert, qui eût étudié depuis longtemps ce sauvage au service de la civilisation, ce composé bizarre du Romain, du Spartiate, du moine et du caporal, cet espion incapable d’un mensonge, ce mouchard vierge, un physionomiste qui eût su sa secrète et ancienne aversion pour M. Madeleine, son conflit avec le maire au sujet de la Fantine, et qui eût considéré Javert en ce moment, se fût dit : que s’est-il passé ? Il était évident, pour qui eût connu cette conscience droite, claire, sincère, probe, austère et féroce, que Javert sortait de quelque grand événement intérieur. Javert n’avait rien dans l’âme qu’il ne l’eût aussi sur le visage. Il était, comme les gens violents, sujet aux revirements brusques. Jamais sa physionomie n’avait été plus étrange et plus inattendue. En entrant, il s’était incliné devant M. Madeleine avec un regard où il n’y avait ni rancune, ni colère, ni défiance, il s’était arrêté à quelques pas derrière le fauteuil du maire ; et maintenant il se tenait là, debout, dans une attitude presque disciplinaire, avec la rudesse naïve et froide d’un homme qui n’a jamais été doux et qui a toujours été patient ; il attendait, sans dire un mot, sans faire un mouvement, dans une humilité vraie et dans une résignation tranquille, qu’il plût à monsieur le maire de se retourner ; calme, sérieux, le chapeau à la main, les yeux baissés, avec une expression qui tenait le milieu entre le soldat devant son officier et le coupable devant son juge. Tous les sentiments comme tous les souvenirs qu’on eût pu lui supposer avaient disparu. Il n’y avait plus rien sur ce visage impénétrable et simple comme le granit, qu’une morne tristesse. Toute sa personne respirait l’abaissement et la fermeté, et je ne sais quel accablement courageux.

    Enfin M. le maire posa sa plume et se tourna à demi.

    Eh bien ! qu’est-ce ? qu’y a-t-il, Javert ?

    Javert demeura un instant silencieux comme s’il se recueillait, puis éleva la voix avec une sorte de solennité triste qui n’excluait pourtant pas la simplicité :

    Il y a, monsieur le maire, qu’un acte coupable a été commis.

    Quel acte ?

    Un agent inférieur de l’autorité a manqué de respect à un magistrat de la façon la plus grave. Je viens, comme c’est mon devoir, porter le fait à votre connaissance.

    Quel est cet agent ? demanda M. Madeleine.

    Moi, dit Javert.

    Vous ?

    Moi.

    Et quel est le magistrat qui aurait à se plaindre de l’agent ?

    Vous, monsieur le maire.

    M. Madeleine se dressa sur son fauteuil. Javert poursuivit, l’air sévère et les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, je viens vous prier de vouloir bien provoquer près de l’autorité ma destitution.

    M. Madeleine stupéfait ouvrit la bouche. Javert l’interrompit.

    Vous direz, j’aurais pu donner ma démission, mais cela ne suffit pas. Donner sa démission, c’est honorable. J’ai failli, je dois être puni. Il faut que je sois chassé.

    Et après une pause, il ajouta :

    Monsieur le maire, vous avez été sévère pour moi l’autre jour injustement. Soyez-le aujourd’hui justement.

    Ah çà ! pourquoi ? s’écria M. Madeleine. Quel est ce galimatias ? qu’est-ce que cela veut dire ? où y a-t-il un acte coupable commis contre moi par vous ? qu’est-ce que vous m’avez fait ? quels torts avez-vous envers moi ? Vous vous accusez, vous voulez être remplacé…

    Chassé, dit Javert.

    Chassé, soit. C’est fort bien. Je ne comprends pas.

    Vous allez comprendre, monsieur le maire.

    Javert soupira du fond de sa poitrine et reprit toujours froidement et tristement :

    Monsieur le maire, il y a six semaines, à la suite de cette scène pour cette fille, j’étais furieux, je vous ai dénoncé.

    Dénoncé !

    À la préfecture de police de Paris.

    M. Madeleine, qui ne riait pas beaucoup plus souvent que Javert, se mit à rire.

    Comme maire ayant empiété sur la police ?

    Comme ancien forçat.

    Le maire devint livide.

    Javert, qui n’avait pas levé les yeux, continua :

    Je le croyais. Depuis longtemps j’avais des idées.

    Une ressemblance, des renseignements que vous avez fait prendre à Faverolles, votre force des reins, l’aventure du vieux Fauchelevent, votre adresse au tir, votre jambe qui traîne un peu, est-ce que je sais, moi ? des bêtises ! mais enfin je vous prenais pour un nommé Jean Valjean.

    Un nommé ?… Comment dites-vous ce nom-là ?

    Jean Valjean. C’est un forçat que j’avais vu il y a vingt ans quand j’étais adjudant-garde-chiourme à Toulon. En sortant du bagne, ce Jean Valjean avait, à ce qu’il paraît, volé chez un évêque, puis il avait commis un autre vol à main armée, dans un chemin public, sur un petit savoyard. Depuis huit ans il s’était dérobé, on ne sait comment, et on le cherchait. Moi je m’étais figuré… Enfin, j’ai fait cette chose ! La colère m’a décidé, je vous ai dénoncé à la préfecture.

    M. Madeleine, qui avait ressaisi le dossier depuis quelques instants, reprit avec un accent de parfaite indifférence :

    Et que vous a-t-on répondu ?

    Que j’étais fou.

    Eh bien ?

    Eh bien, on avait raison. donc pas le sinvre, dit Brevet. Tu es Jean Valjean ! Tu as été au bagne de Toulon. Il y a vingt ans. Nous y étions ensemble. — Le Champmathieu nie. Parbleu ! vous comprenez. On approfondit. On me fouille cette aventure-là. Voici ce qu’on trouve : ce Champmathieu, il y a une trentaine d’années, a été ouvrier émondeur d’arbres dans plusieurs pays, notamment à Faverolles. Là on perd sa trace. Longtemps après, on le revoit en Auvergne, puis à Paris, où il dit avoir été charron et avoir eu une fille blanchisseuse, mais cela n’est pas prouvé ; enfin dans ce pays-ci. Or, avant d’aller au bagne pour vol qualifié, qu’était Jean Valjean ? émondeur. Où ? à Faverolles. Autre fait. Ce Valjean s’appelait de son nom de baptême Jean et sa mère se nommait de son nom de famille Mathieu. Quoi de plus naturel que de penser qu’en sortant du bagne il aura pris le nom de sa mère pour se cacher et se sera fait appeler Jean Mathieu ? Il va en Auvergne. De Jean la prononciation du pays fait Chan, on l’appelle Chan Mathieu. Notre homme se laisse faire et le voilà transformé en Champmathieu. Vous me suivez, n’est-ce pas ? On s’informe à Faverolles. La famille de Jean Valjean n’y est plus. On ne sait plus où elle est. Vous savez, dans ces classes-là, il y a souvent de ces évanouissements d’une famille. On cherche, on ne trouve plus rien. Ces gens-là, quand ce n’est pas de la boue, c’est de la poussière. Et puis, comme le commencement de ces histoires date de trente ans, il n’y a plus personne à Faverolles qui ait connu Jean Valjean. On s’informe à Toulon. Avec Brevet, il n’y a plus que deux forçats qui aient vu Jean Valjean. Ce sont les condamnés à vie Cochepaille et Chenildieu. On les extrait du bagne et on les fait venir. On les confronte au prétendu Champmathieu. Ils n’hésitent pas. Pour eux comme pour Brevet, c’est Jean Valjean. Même âge, il a cinquante-quatre ans, même taille, même air, même homme enfin, c’est lui. C’est en ce moment-là même que j’envoyais ma dénonciation à la préfecture de Paris. On me répond que je perds l’esprit et que Jean Valjean est à Arras au pouvoir de la justice. Vous concevez si cela m’étonne, moi qui croyais tenir ici ce même Jean Valjean ! J’écris à monsieur le juge d’instruction. Il me fait venir, on m’amène le Champmathieu…

    Eh bien ? interrompit M. Madeleine.

    Javert répondit avec son visage incorruptible et triste :

    Monsieur le maire, la vérité est la vérité. J’en suis fâché, mais c’est cet homme-là qui est Jean Valjean. Moi aussi je l’ai reconnu.

    M. Madeleine reprit d’une voix très basse :

    Vous êtes sûr ?

    Javert se mit à rire de ce rire douloureux qui échappe à une conviction profonde :

    Oh, sûr !

    Il demeura un moment pensif, prenant machinalement des pincées de poudre de bois dans la sébille à sécher l’encre qui était sur la table, et il ajouta :

    Et même, maintenant que je vois le vrai Jean Valjean, je ne comprends pas comment j’ai pu croire autre chose. Je vous demande pardon, monsieur le maire.

    En adressant cette parole suppliante et grave à celui qui, six semaines auparavant, l’avait humilié en plein corps de garde et lui avait dit : sortez ! Javert, cet homme hautain, était à son insu plein de simplicité et de dignité. M. Madeleine ne répondit à sa prière que par cette question brusque :

    Et que dit cet homme ?

    Ah, dame ! monsieur le maire, l’affaire est mauvaise. Si c’est Jean Valjean, il y a récidive. Enjamber un mur, casser une branche, chiper des pommes, pour un enfant, c’est une polissonnerie ; pour un homme, c’est un délit ; pour un forçat, c’est un crime. Escalade et vol, tout y est. Ce n’est plus la police correctionnelle, c’est la cour d’assises. Ce n’est plus quelques jours de prison, ce sont les galères à perpétuité. Et puis, il y a l’affaire du petit savoyard que j’espère bien qui reviendra. Diable ! il y a de quoi se débattre, n’est-ce pas ? Oui, pour un autre que Jean Valjean. Mais Jean Valjean est un sournois. C’est encore là que je le reconnais. Un autre sentirait que cela chauffe ; il se démènerait, il crierait, la bouilloire chante devant le feu, il ne voudrait pas être Jean Valjean, et caetera. Lui, il n’a pas l’air de comprendre, il dit : Je suis Champmathieu, je ne sors pas de là ! Il a l’air étonné, il fait la brute, c’est bien mieux. Oh ! le drôle est habile. Mais c’est égal, les preuves sont là. Il est reconnu par quatre personnes, le vieux coquin sera condamné. C’est porté aux assises, à Arras. Je vais y aller pour témoigner. Je suis cité.

    M. Madeleine s’était remis à son bureau, avait ressaisi son dossier, et le feuilletait tranquillement, lisant et écrivant tour à tour comme un homme affairé. Il se tourna vers Javert :

    Assez, Javert. Au fait, tous ces détails m’intéressent fort peu. Nous perdons notre temps, et nous avons des affaires pressées. Javert, vous allez vous rendre sur-le-champ chez la bonne femme Buseaupied qui vend des herbes là-bas au coin de la rue Saint-Saulve. Vous lui direz de déposer sa plainte contre le charretier Pierre Chesnelong. Cet homme est un brutal qui a failli écraser cette femme et son enfant. Il faut qu’il soit puni. Vous irez ensuite chez M. Charcellay, rue Montre-de-Champigny. Il se plaint qu’il y a une gouttière de la maison voisine qui verse l’eau de la pluie chez lui, et qui affouille les fondations de sa maison. Après vous constaterez des contraventions de police qu’on me signale rue Guibourg chez la veuve Doris, et rue du Garraud-Blanc chez madame Renée Le Bossé, et vous dresserez procès-verbal. Mais je vous donne là beaucoup de besogne. N’allez-vous pas être absent ? ne m’avez-vous pas dit que vous alliez à Arras pour cette affaire dans huit ou dix jours ?…

    Plus tôt que cela, monsieur le maire.

    Quel jour donc ?

    Mais je croyais avoir dit à monsieur le maire que cela se jugeait demain et que je partais par la diligence cette nuit.

    M. Madeleine fit un mouvement imperceptible.

    Et combien de temps durera l’affaire ?

    Un jour tout au plus. L’arrêt sera prononcé au plus tard demain dans la nuit. Mais je n’attendrai pas l’arrêt, qui ne peut manquer. Sitôt ma déposition faite, je reviendrai ici.

    C’est bon, dit M. Madeleine.

    Et il congédia Javert d’un signe de main.

    Javert ne s’en alla pas.

    Pardon, monsieur le maire, dit-il.

    Qu’est-ce encore ? demanda M. Madeleine.

    Monsieur le maire, il me reste une chose à vous rappeler.

    Laquelle ?

    C’est que je dois être destitué.

    M. Madeleine se leva.

    Javert, vous êtes un homme d’honneur, et je vous estime. Vous vous exagérez votre faute. Ceci d’ailleurs est encore une offense qui me concerne. Javert, vous êtes digne de monter et non de descendre. J’entends que vous gardiez votre place.

    Javert regarda M. Madeleine avec sa prunelle candide au fond de laquelle il semblait qu’on vit cette conscience peu éclairée, mais rigide et chaste, et il dit d’une voix tranquille :

    Monsieur le maire, je ne puis vous accorder cela.

    Je vous répète, répliqua M. Madeleine, que la chose me regarde.

    Mais Javert, attentif à sa seule pensée, continua :

    Quant à exagérer, je n’exagère point. Voici comment je raisonne. Je vous ai soupçonné injustement. Cela, ce n’est rien. C’est notre droit à nous autres de soupçonner, quoiqu’il y ait pourtant abus à soupçonner au-dessus de soi. Mais, sans preuves, dans un accès de colère, dans le but de me venger, je vous ai dénoncé comme forçat, vous, un homme respectable, un maire, un magistrat ! ceci est grave. Très grave. J’ai offensé l’autorité dans votre personne, moi, agent de l’autorité ! Si l’un de mes subordonnés avait fait ce que j’ai fait, je l’aurais déclaré indigne du service, et chassé. Eh bien ? — Tenez, monsieur le maire, encore un mot. J’ai souvent été sévère dans ma vie. Pour les autres. C’était juste. Je faisais bien. Maintenant, si je n’étais pas sévère pour moi, tout ce que j’ai fait de juste deviendrait injuste. Est-ce que je dois m’épargner plus que les autres ? Non. Quoi ! je n’aurais été bon qu’à châtier autrui, et pas moi ! mais je serais un misérable ! mais ceux qui disent : ce gueux de Javert ! auraient raison ! Monsieur le maire, je ne souhaite pas que vous me traitiez avec bonté, votre bonté m’a fait faire assez de mauvais sang quand elle était pour les autres. Je n’en veux pas pour moi. La bonté qui consiste à donner raison à la fille publique contre le bourgeois, à l’agent de police contre le maire, à celui qui est en bas contre celui qui est en haut, c’est ce que j’appelle de la mauvaise bonté. C’est avec cette bonté-là que la société se désorganise. Mon Dieu ! c’est bien facile d’être bon, le malaisé c’est d’être juste. Allez ! si vous aviez été ce que je croyais, je n’aurais pas été bon pour vous, moi ! vous auriez vu ! Monsieur le maire, je dois me traiter comme je traiterais tout autre. Quand je réprimais des malfaiteurs, quand je sévissais sur des gredins, je me suis souvent dit à moi-même : toi, si tu bronches, si jamais je te prends en faute, sois tranquille ! — J’ai bronché, je me prends en faute, tant pis ! Allons, renvoyé, cassé, chassé ! c’est bon. J’ai des bras, je travaillerai à la terre, cela m’est égal. Monsieur le maire, le bien du service veut un exemple. Je demande simplement la destitution de l’inspecteur Javert.

    Tout cela était prononcé d’un accent humble, fier, désespéré et convaincu qui donnait je ne sais quelle grandeur bizarre à cet étrange honnête homme.

    Nous verrons, fit M. Madeleine.

    Et il lui tendit la main.

    Javert recula, et dit d’un ton farouche :

    Pardon, monsieur le maire, mais cela ne doit pas être. Un maire ne donne pas la main à un mouchard.

    Il ajouta entre ses dents :

    Mouchard, oui ; du moment où j’ai mésusé de la police, je ne suis plus qu’un mouchard.

    Puis il salua profondément, et se dirigea vers la porte.

    Là il se retourna, et, les yeux toujours baissés :

    Monsieur le maire, dit-il, je continuerai le service jusqu’à ce que je sois remplacé.

    Il sortit. M. Madeleine resta rêveur, écoutant ce pas ferme et assuré qui s’éloignait sur le pavé du corridor.

    I

    LA SŒUR SIMPLICE


     

    Les incidents qu’on va lire n’ont pas tous été connus à Montreuil-sur-mer, mais le peu qui en a percé a laissé dans cette ville un tel souvenir, que ce serait une grave lacune dans ce livre si nous ne les racontions dans leurs moindres détails.

    Dans ces détails, le lecteur rencontrera deux ou trois circonstances invraisemblables que nous maintenons par respect pour la vérité.

    Dans l’après-midi qui suivit la visite de Javert, M. Madeleine alla voir la Fantine comme d’habitude.

    Avant de pénétrer près de Fantine, il fit demander la sœur Simplice.

    Les deux religieuses qui faisaient le service de l’infirmerie, dames lazaristes comme toutes les sœurs de charité, s’appelaient sœur Perpétue et sœur Simplice.

    La sœur Perpétue était la première villageoise venue, grossièrement sœur de charité, entrée chez Dieu comme on entre en place. Elle était religieuse comme on est cuisinière. Ce type n’est point très rare. Les ordres monastiques acceptent volontiers cette lourde poterie paysanne, aisément façonnée en capucin ou en ursuline. Ces rusticités s’utilisent pour les grosses besognes de la dévotion. La transition d’un bouvier à un carme n’a rien de heurté ; l’un devient l’autre sans grand travail ; le fond commun d’ignorance du village et du cloître est une préparation toute faite, et met tout de suite le campagnard de plain-pied avec le moine. Un peu d’ampleur au sarrau, et voilà un froc. La sœur Perpétue était une forte religieuse, de Marines, près Pontoise, patoisant, psalmodiant, bougonnant, sucrant la tisane selon le bigotisme ou l’hypocrisie du grabataire, brusquant les malades, bourrue avec les mourants, leur jetant presque Dieu au visage, lapidant l’agonie avec des prières en colère, hardie, honnête et rougeaude.

    La sœur Simplice était blanche d’une blancheur de cire. Près de sœur Perpétue, c’était le cierge à côté de la chandelle. Vincent de Paul a divinement fixé la figure de la sœur de charité dans ces admirables paroles où il mêle tant de liberté à tant de servitude : « Elles n’auront pour monastère que la maison des malades, pour cellule qu’une chambre de louage, pour chapelle que l’église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l’obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, pour voile que la modestie. » Cet idéal était vivant dans la sœur Simplice. Personne n’eût pu dire l’âge de la sœur Simplice ; elle n’avait jamais été jeune et semblait ne devoir jamais être vieille. C’était une personne — nous n’osons dire une femme — calme, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n’avait jamais menti. Elle était si douce qu’elle paraissait fragile ; plus solide d’ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux avec de charmants doigts fins et purs. Il y avait, pour ainsi dire, du silence dans sa parole ; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son de voix qui eût tout à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon. Cette délicatesse s’accommodait de la robe de bure, trouvant à ce rude contact un rappel continuel du ciel et de Dieu. Insistons sur un détail. N’avoir jamais menti, n’avoir jamais dit, pour un intérêt quelconque, même indifféremment, une chose qui ne fût la vérité, la sainte vérité, c’était le trait distinctif de la sœur Simplice ; c’était l’accent de sa vertu. Elle était presque célèbre dans la congrégation pour cette véracité imperturbable. L’abbé Sicard parle de la sœur Simplice dans une lettre au sourd-muet Massieu. Si sincères, si loyaux et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre candeur au moins la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge, mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal. Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ; mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait. Et comme elle pensait, elle pratiquait. Il en résultait cette blancheur dont nous avons parlé, blancheur qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. Son sourire était blanc, son regard était blanc. Il n’y avait pas une toile d’araignée, pas un grain de poussière à la vitre de cette conscience. En entrant dans l’obédience de saint Vincent de Paul, elle avait pris le nom de Simplice par choix spécial. Simplice de Sicile, on le sait, est cette sainte qui aima mieux se laisser arracher les deux seins que de répondre, étant née à Syracuse, qu’elle était née à Ségeste, mensonge qui la sauvait. Cette patronne convenait à cette âme.

    La sœur Simplice, en entrant dans l’ordre, avait deux défauts dont elle s’était peu à peu corrigée ; elle avait eu le goût des friandises et elle avait aimé à recevoir des lettres. Elle ne lisait jamais qu’un livre de prières en gros caractères et en latin. Elle ne comprenait pas le latin, mais elle comprenait le livre.

    La pieuse fille avait pris en affection Fantine, y sentant probablement de la vertu latente, et s’était dévouée à la soigner presque exclusivement.

    M. Madeleine emmena à part la sœur Simplice et lui recommanda Fantine avec un accent singulier dont la sœur se souvint plus tard.

    En quittant la sœur, il s’approcha de Fantine.

    Fantine attendait chaque jour l’apparition de M. Madeleine comme on attend un rayon de chaleur et de joie. Elle disait aux sœurs : — Je ne vis que lorsque monsieur le maire est là.

    Elle avait ce jour-là beaucoup de fièvre. Dès qu’elle vit M. Madeleine, elle lui demanda :

    Et Cosette ?

    Il répondit en souriant :

    Bientôt.

    M. Madeleine fut avec Fantine comme à l’ordinaire. Seulement il resta une heure au lieu d’une demi-heure, au grand contentement de Fantine. Il fît mille instances à tout le monde pour que rien ne manquât à la malade. On remarqua qu’il y eut un moment où son visage devint très sombre. Mais cela s’expliqua quand on sut que le médecin s’était penché à son oreille et lui avait dit : — Elle baisse beaucoup.

    Puis il rentra à la mairie, et le garçon de bureau le vit examiner avec attention une carte routière de France qui était suspendue dans son cabinet. Il écrivit quelques chiffres au crayon sur un papier.


     

    II

    PERSPICACITÉ DE MAÎTRE SCAUFFLAIRE


     

    De la mairie il se rendit au bout de la ville chez un flamand, maître Scaufflaer, francisé Scaufflaire, qui louait des chevaux et des « cabriolets à volonté ».

    Pour aller chez ce Scaufflaire, le plus court était de prendre une rue peu fréquentée où était le presbytère de la paroisse que M. Madeleine habitait. Le curé était, disait-on, un homme digne et respectable, et de bon conseil. À l’instant où M. Madeleine arriva devant le presbytère, il n’y avait dans la rue qu’un passant, et ce passant remarqua ceci : M. le maire, après avoir dépassé la maison curiale, s’arrêta, demeura immobile, puis revint sur ses pas et rebroussa chemin jusqu’à la porte du presbytère, qui était une porte bâtarde avec marteau de fer. Il mit vivement la main au marteau, et le souleva ; puis il s’arrêta de nouveau, et resta court, et comme pensif, et, après quelques secondes, au lieu de laisser bruyamment retomber le marteau, il le reposa doucement et reprit son chemin avec une sorte de hâte qu’il n’avait pas auparavant.

    M. Madeleine trouva maître Scaufflaire chez lui occupé à repiquer un harnais.

    Maître Scaufflaire, demanda-t-il, avez-vous un bon cheval ?

    Monsieur le maire, dit le flamand, tous mes chevaux sont bons. Qu’entendez-vous par un bon cheval ?

    J’entends un cheval qui puisse faire vingt lieues en un jour.

    Diable ! fit le flamand, vingt lieues !

    Oui.

    Attelé à un cabriolet ?

    Oui.

    Et combien de temps se reposera-t-il après la course ?

    Il faut qu’il puisse au besoin repartir le lendemain.

    Pour refaire le même trajet ?

    Oui.

    Diable ! diable ! et c’est vingt lieues ?

    M. Madeleine tira de sa poche le papier où il avait crayonné des chiffres. Il les montra au flamand. c’étaient les chiffres 5, 6, 8 1/2.

    Vous voyez, dit-il. Total, dix-neuf et demi, autant dire vingt lieues.

    Monsieur le maire, reprit le flamand, j’ai votre affaire. Mon petit cheval blanc. Vous avez dû le voir passer quelquefois. C’est une petite bête du bas Boulonnais. C’est plein de feu. On a voulu d’abord en faire un cheval de selle. Bah ! il ruait, il flanquait tout le monde par terre. On le croyait vicieux, on ne savait qu’en faire. Je l’ai acheté. Je l’ai mis au cabriolet. Monsieur, c’est cela qu’il voulait ; il est doux comme une fille, il va le vent. Ah ! par exemple, il ne faudrait pas lui monter sur le dos. Ce n’est pas son idée d’être cheval de selle. Chacun a son ambition. Tirer, oui ; porter, non ; il faut croire qu’il s’est dit ça.

    Et il fera la course ?

    Vos vingt lieues. Toujours au grand trot, et en moins de huit heures. Mais voici à quelles conditions.

    Dites.

    Premièrement, vous le ferez souffler une heure à moitié chemin ; il mangera, et on sera là pendant qu’il mangera pour empêcher le garçon de l’auberge de lui voler son avoine ; car j’ai remarqué que dans les auberges l’avoine est plus souvent bue par les garçons d’écurie que mangée par les chevaux.

    On sera là.

    Deuxièmement… Est-ce pour monsieur le maire le cabriolet ?

    Oui.

    Monsieur le maire sait conduire ?

    Oui.

    Eh bien, monsieur le maire voyagera seul et sans bagage afin de ne point charger le cheval.

    Convenu.

    Mais monsieur le maire, n’ayant personne avec lui, sera obligé de prendre la peine de surveiller lui-même l’avoine.

    C’est dit.

    Il me faudra trente francs par jour. Les jours de repos payés. Pas un liard de moins, et la nourriture de la bête à la charge de monsieur le maire.

    M. Madeleine tira trois napoléons de sa bourse et les mit sur la table.

    Voilà deux jours d’avance.

    Quatrièmement, pour une course pareille sur cabriolet serait trop lourd et fatiguerait le cheval. Il faudrait que monsieur le maire consentît à voyager dans un petit tilbury que j’ai.

    J’y consens.

    C’est léger, mais c’est découvert.

    Cela m’est égal.

    Monsieur le maire a-t-il réfléchi que nous sommes en hiver ?…

    M. Madeleine ne répondit pas. Le flamand reprit :

    Qu’il fait très froid ?

    M. Madeleine garda le silence. Maître Scaufflaire continua :

    Qu’il peut pleuvoir ?

    M. Madeleine leva la tête et dit :

    Le tilbury et le cheval seront devant ma porte demain à quatre heures et demie du matin.

    C’est entendu, monsieur le maire, répondit Scaufflaire, puis, grattant avec l’ongle de son pouce une tache qui était dans le bois de la table, il reprit de cet air insouciant que les flamands savent si bien mêler à leur finesse :

    Mais voilà que j’y songe à présent ! monsieur le maire ne me dit pas où il va. Où est-ce que va monsieur le maire ?

    Il ne songeait pas à autre chose depuis le commencement de la conversation, mais il ne savait pourquoi il n’avait pas osé faire cette question.

    Votre cheval a-t-il de bonnes jambes de devant ? dit M. Madeleine.

    Oui, monsieur le maire. Vous le soutiendrez un peu dans les descentes. Y a-t-il beaucoup de descentes d’ici où vous allez ?

    N’oubliez pas d’être à ma porte à quatre heures et demie du matin, très précises, répondit M. Madeleine ; et il sortit.

    Le flamand resta « tout bête », comme il disait lui-même quelque temps après.

    M. le maire était sorti depuis deux ou trois minutes, lorsque la porte se rouvrit, c’était M. le maire.

    Il avait toujours le même air impassible et préoccupé.

    Monsieur Scaufflaire, dit-il, à quelle somme estimez-vous le cheval et le tilbury que vous me louerez, l’un portant l’autre ?

    L’un traînant l’autre, monsieur le maire, dit le flamand avec un gros rire.

    Soit. Eh bien ?

    Est-ce que monsieur le maire veut me les acheter ?

    Non ; mais à tout événement, je veux vous les garantir. À mon retour vous me rendrez la somme. À combien estimez-vous cabriolet et cheval ?

    À cinq cents francs, monsieur le maire.

    Les voici.

    M. Madeleine posa un billet de banque sur la table, puis sortit et cette fois ne rentra plus.

    Maître Scaufflaire regretta affreusement de n’avoir point dit mille francs. Du reste le cheval et le tilbury, en bloc, valaient cent écus.

    Le flamand appela sa femme, et lui conta la chose. Où diable monsieur le maire peut-il aller ? Ils tinrent conseil. — Il va à Paris, dit la femme. — Je ne crois pas, dit le mari. M. Madeleine avait oublié sur la cheminée le papier où il avait tracé des chiffres. Le flamand le reprit et l’étudia. — Cinq, six, huit et demi ? cela doit marquer des relais de poste. Il se tourna vers sa femme. — J’ai trouvé. — Comment ? — Il y a cinq lieues d’ici à Hesdin, six de Hesdin à Saint-Pol, huit et demie de Saint-Pol à Arras. Il va à Arras.

    Cependant M. Madeleine était rentré chez lui.

    Pour revenir de chez maître Scaufflaire, il avait pris le plus long, comme si la porte du presbytère avait été pour lui une tentation, et qu’il eût voulu l’éviter. Il était monté dans sa chambre et s’y était enfermé, ce qui n’avait rien que de simple, car il se couchait volontiers de bonne heure. Pourtant la concierge de la fabrique, qui était en même temps l’unique servante de M. Madeleine, observa que sa lumière s’éteignit à huit heures et demie, et elle le dit au caissier qui rentrait, en ajoutant :

    Est-ce que monsieur le maire est malade ? je lui ai trouvé l’air un peu singulier.

    Ce caissier habitait une chambre située précisément au-dessous de la chambre de M. Madeleine. Il ne prit point garde aux paroles de la portière, se coucha et s’endormit. Vers minuit, il se réveilla brusquement ; il avait entendu à travers son sommeil un bruit au-dessus de sa tête. Il écouta. C’était un pas qui allait et venait, comme si l’on marchait dans la chambre en haut. Il écouta plus attentivement, et reconnut le pas de M. Madeleine. Cela lui parut étrange ; habituellement aucun bruit ne se faisait dans la chambre de M. Madeleine avant l’heure de son lever. Un moment après le caissier entendit quelque chose qui ressemblait à une armoire qu’on ouvre et qu’on referme. Puis on dérangea un meuble, il y eut un silence, et le pas recommença. Le caissier se dressa sur son séant, s’éveilla tout à fait, regarda, et à travers les vitres de sa croisée aperçut sur le mur d’en face la réverbération rougeâtre d’une fenêtre éclairée. À la direction des rayons, ce ne pouvait être que la fenêtre de la chambre de M. Madeleine. La réverbération tremblait comme si elle venait plutôt d’un feu allumé que d’une lumière. L’ombre des châssis vitrés ne s’y dessinait pas, ce qui indiquait que la fenêtre était toute grande ouverte. Par le froid qu’il faisait, cette fenêtre ouverte était surprenante. Le caissier se rendormit. Une heure ou deux heures après, il se réveilla encore. Le même pas, lent et régulier, allait et venait toujours au-dessus de sa tête.

    La réverbération se dessinait toujours sur le mur, mais elle était maintenant pâle et paisible comme le reflet d’une lampe ou d’une bougie. La fenêtre était toujours ouverte.

    Voici ce qui se passait dans la chambre de M. Madeleine.


     

    III

    UNE TEMPÊTE SOUS UN CRÂNE


     

    Le lecteur a sans doute deviné que M. Madeleine n’est autre que Jean Valjean.

    Nous avons déjà regardé dans les profondeurs de cette conscience ; le moment est venu d’y regarder encore. Nous ne le faisons pas sans émotion et sans tremblement. Il n’existe rien de plus terrifiant que cette sorte de contemplation. L’œil de l’esprit ne peut trouver nulle part plus d’éblouissements ni plus de ténèbres que dans l’homme ; il ne peut se fixer sur aucune chose qui soit plus redoutable, plus compliquée, plus mystérieuse et plus infinie. Il y a un spectacle plus grand que la mer, c’est le ciel ; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme.

    Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. La conscience, c’est le chaos des chimères, des convoitises et des tentatives, la fournaise des rêves, l’antre des idées dont on a honte ; c’est le pandémonium des sophismes, c’est le champ de bataille des passions. À de certaines heures, pénétrez à travers la face livide d’un être humain qui réfléchit, et regardez derrière, regardez dans cette âme, regardez dans cette obscurité. Il y a là, sous le silence extérieur, des combats de géants comme dans Homère, des mêlées de dragons et d’hydres et des nuées de fantômes comme dans Milton, des spirales visionnaires comme chez Dante. Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie !

    Alighieri rencontra un jour une sinistre porte devant laquelle il hésita. En voici une aussi devant nous, au seuil de laquelle nous hésitons. Entrons pourtant.

    Nous n’avons que peu de chose à ajouter à ce que le lecteur connaît déjà de ce qui était arrivé à Jean Valjean depuis l’aventure de Petit-Gervais. À partir de ce moment, on l’a vu, il fut un autre homme. Ce que l’évêque avait voulu faire de lui, il l’exécuta. Ce fut plus qu’une transformation, ce fut une transfiguration.

    Il réussit à disparaître, vendit l’argenterie de l’évêque, ne gardant que les flambeaux, comme souvenir, se glissa de ville en ville, traversa la France, vint à Montreuil-sur-mer, eut l’idée que nous avons dite, accomplit ce que nous avons raconté, parvint à se faire insaisissable et inaccessible, et désormais, établi à Montreuil-sur-mer, heureux de sentir sa conscience attristée par son passé et la première moitié de son existence démentie par la dernière, il vécut paisible, rassuré et espérant, n’ayant plus que deux pensées : cacher son nom et sanctifier sa vie ; échapper aux hommes, et revenir à Dieu.

    Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu’elles n’en formaient qu’une seule ; elles étaient toutes deux également absorbantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions. D’ordinaire elles étaient d’accord pour régler la conduite de sa vie ; elles le tournaient vers l’ombre ; elles le faisaient bienveillant et simple ; elles lui conseillaient les mêmes choses. Quelquefois cependant il y avait conflit entre elles. Dans ce cas-là, on s’en souvient, l’homme que tout le pays de Montreuil-sur-mer appelait M. Madeleine ne balançait pas à sacrifier la première à la seconde, sa sécurité à sa vertu. Ainsi, en dépit de toute réserve et de toute prudence, il avait gardé les chandeliers de l’évêque, porté son deuil, appelé et interrogé tous les petits savoyards qui passaient, pris des renseignements sur les familles de Faverolles, et sauvé la vie au vieux Fauchelevent, malgré les inquiétantes insinuations de Javert. Il semblait, nous l’avons déjà remarqué, qu’il pensât, à l’exemple de tous ceux qui ont été sages, saints et justes, que son premier devoir n’était pas envers lui.

    Toutefois, il faut le dire, jamais rien de pareil ne s’était encore présenté. Jamais les deux idées qui gouvernaient le malheureux homme dont nous racontons les souffrances n’avaient engagé une lutte si sérieuse. Il le comprit confusément, mais profondément, dès les premières paroles que prononça Javert, en entrant dans son cabinet. Au moment où fut si étrangement articulé ce nom qu’il avait enseveli sous tant d’épaisseurs, il fut saisi de stupeur et comme enivré par la sinistre bizarrerie de sa destinée, et, à travers cette stupeur, il eut ce tressaillement qui précède les grandes secousses ; il se courba comme un chêne à l’approche d’un orage, comme un soldat à l’approche d’un assaut. Il sentit venir sur sa tête des ombres pleines de foudres et d’éclairs. Tout en écoutant parler Javert, il eut une première pensée d’aller, de courir, de se dénoncer, de tirer ce Champmathieu de prison et de s’y mettre ; cela fut douloureux et poignant comme une incision dans la chair vive, puis cela passa, et il se dit : — Voyons ! voyons ! — Il réprima ce premier mouvement généreux et recula devant l’héroïsme.

    Sans doute, il serait beau qu’après les saintes paroles de l’évêque, après tant d’années de repentir et d’abnégation, au milieu d’une pénitence admirablement commencée, cet homme, même en présence d’une si terrible conjoncture, n’eût pas bronché un instant et eût continué de marcher du même pas vers ce précipice ouvert au fond duquel était le ciel ; cela serait beau, mais cela ne fut pas ainsi. Il faut bien que nous rendions compte des choses qui s’accomplissaient dans cette âme, et nous ne pouvons dire que ce qui y était. Ce qui l’emporta tout d’abord, ce fut l’instinct de la conservation ; il rallia en hâte ses idées, étouffa ses émotions, considéra la présence de Javert, ce grand péril, ajourna toute résolution avec la fermeté de l’épouvante, s’étourdit sur ce qu’il y avait à faire, et reprit son calme comme un lutteur ramasse son bouclier.

    Le reste de la journée il fut dans cet état, un tourbillon au dedans, une tranquillité profonde au dehors ; il ne prit que ce qu’on pourrait appeler « les mesures conservatoires ». Tout était encore confus et se heurtait dans son cerveau ; le trouble y était tel qu’il ne voyait distinctement la forme d’aucune idée ; et lui-même n’aurait pu rien dire de lui-même, si ce n’est qu’il venait de recevoir un grand coup. Il se rendit comme d’habitude près du lit de douleur de Fantine et prolongea sa visite, par un instinct de bonté, se disant qu’il fallait agir ainsi et la bien recommander aux sœurs pour le cas où il arriverait qu’il eût à s’absenter. Il sentit vaguement qu’il faudrait peut-être aller à Arras, et, sans être le moins du monde décidé à ce voyage, il se dit qu’à l’abri de tout soupçon comme il l’était, il n’y avait point d’inconvénient à être témoin de ce qui se passerait, et il retint le tilbury de Scaufflaire, afin d’être préparé à tout événement.

    Il dîna avec assez d’appétit.

    Rentré dans sa chambre il se recueillit.

    Il examina la situation et la trouva inouïe ; tellement inouïe qu’au milieu de sa rêverie, par je ne sais quelle impulsion d’anxiété presque inexplicable, il se leva de sa chaise et ferma sa porte au verrou. Il craignait qu’il n’entrât encore quelque chose. Il se barricadait contre le possible.

    Un moment après il souffla sa lumière. Elle le gênait.

    Il lui semblait qu’on pouvait le voir.

    Qui, on ?

    Hélas ! ce qu’il voulait mettre à la porte était entré ; ce qu’il voulait aveugler, le regardait. Sa conscience.

    Sa conscience, c’est-à-dire Dieu.

    Pourtant, dans le premier moment, il se fit illusion ; il eut un sentiment de sûreté et de solitude ; le verrou tiré, il se crut imprenable ; la chandelle éteinte, il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même ; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres.

    Où en suis-je ? — Est-ce que je ne rêve pas ? — Que m’a-t-on dit ? — Est-il bien vrai que j’aie vu ce Javert et qu’il m’ait parlé ainsi ? — Que peut être ce Champmathieu ? — Il me ressemble donc ? — Est-ce possible ? — Quand je pense qu’hier j’étais si tranquille et si loin de me douter de rien ! — Qu’est-ce que je faisais donc hier à pareille heure ? — Qu’y a-t-il dans cet incident ? — Comment se dénouera-t-il ? — Que faire ?

    Voilà dans quelle tourmente il était. Son cerveau avait perdu la force de retenir ses idées, elles passaient comme des ondes, et il prenait son front dans ses deux mains pour les arrêter.

    De ce tumulte qui bouleversait sa volonté et sa raison, et dont il cherchait à tirer une évidence et une résolution, rien ne se dégageait que l’angoisse.

    Sa tête était brûlante. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande. Il n’y avait pas d’étoiles au ciel. Il revint s’asseoir près de la table.

    La première heure s’écoula ainsi.

    Peu à peu cependant des linéaments vagues commencèrent à se former et à se fixer dans sa méditation, et il put entrevoir avec la précision de la réalité, non l’ensemble de la situation, mais quelques détails.

    Il commença par reconnaître que, si extraordinaire et si critique que fût cette situation, il en était tout à fait le maître.

    Sa stupeur ne fit que s’en accroître.

    Indépendamment du but sévère et religieux que se proposaient ses actions, tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour n’était autre chose qu’un trou qu’il creusait pour y enfouir son nom. Ce qu’il avait toujours le plus redouté, dans ses heures de repli sur lui-même, dans ses nuits d’insomnie, c’était d’entendre jamais prononcer ce nom ; il se disait que ce serait là pour lui la fin de tout ; que le jour où ce nom reparaîtrait, il ferait évanouir autour de lui sa vie nouvelle, et, qui sait même peut-être ? au dedans de lui sa nouvelle âme. Il frémissait de la seule pensée que c’était possible. Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moments-là qu’une heure viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hideux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup de la nuit et se dresserait devant lui, où cette lumière formidable faite pour dissiper le mystère dont il s’enveloppait resplendirait subitement sur sa tête, et que ce nom ne le menacerait pas, que cette lumière ne produirait qu’une obscurité plus épaisse, que ce voile déchiré accroîtrait le mystère ; que ce tremblement de terre consoliderait son édifice, que ce prodigieux incident n’aurait d’autre résultat, si bon lui semblait, à lui, que de rendre son existence à la fois plus claire et plus impénétrable, et que, de sa confrontation avec le fantôme de Jean Valjean, le bon et digne bourgeois « monsieur Madeleine » sortirait plus honoré, plus paisible et plus respecté que jamais ; — si quelqu’un lui eût dit cela, il eût hoché la tête et regardé ces paroles comme insensées. Eh bien ! tout cela venait précisément d’arriver, tout cet entassement de l’impossible était un fait, et Dieu avait permis que ces choses folles devinssent des choses réelles !

    Sa rêverie continuait de s’éclaircir. Il se rendait de plus en plus compte de sa position.

    Il lui semblait qu’il venait de s’éveiller de je ne sais quel sommeil, et qu’il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant, reculant en vain, sur le bord extrême d’un abîme. Il entrevoyait distinctement dans l’ombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelqu’un y tombât, lui ou l’autre.

    Il n’avait qu’à laisser faire.

    La clarté devint complète, et il s’avoua ceci : — Que sa place était vide aux galères, qu’il avait beau faire, qu’elle l’y attendait toujours, que le vol de Petit-Gervais l’y ramenait, que cette place vide l’attendrait et l’attirerait jusqu’à ce qu’il y fût, que cela était inévitable et fatal. — Et puis il se dit : — Qu’en ce moment il avait un remplaçant, qu’il paraissait qu’un nommé Champmathieu avait cette mauvaise chance, et que, quant à lui, présent désormais au bagne dans la personne de ce Champmathieu, présent dans la société sous le nom de M. Madeleine, il n’avait plus rien à redouter, pourvu qu’il n’empêchât pas les hommes de sceller sur la tête de ce Champmathieu cette pierre de l’infamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais.

    Tout cela était si violent et si étrange qu’il se fit soudain en lui cette espèce de mouvement indescriptible qu’aucun homme n’éprouve plus de deux ou trois fois dans sa vie, sorte de convulsion de la conscience qui remue tout ce que le cœur a de douteux, qui se compose d’ironie, de joie et de désespoir, et qu’on pourrait appeler un éclat de rire intérieur.

    Il ralluma brusquement sa bougie.

    Eh bien quoi ! se dit-il, de quoi est-ce que j’ai peur ? qu’est-ce que j’ai à songer comme cela ? Me voilà sauvé. Tout est fini. Je n’avais plus qu’une porte entr’ouverte par laquelle mon passé pouvait faire irruption dans ma vie ; cette porte, la voilà murée ! à jamais ! Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m’avoir deviné, qui m’avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean ! Qui sait même, il est probable qu’il voudra quitter la ville ! Et tout cela s’est fait sans moi ! Et je n’y suis pour rien ! Ah çà, mais ! qu’est-ce qu’il y a de malheureux dans ceci ? Des gens qui me verraient, parole d’honneur ! croiraient qu’il m’est arrivé une catastrophe ! Après tout, s’il y a du mal pour quelqu’un, ce n’est aucunement de ma faute. C’est la providence qui a tout fait. C’est qu’elle veut cela apparemment ! Ai-je le droit de déranger ce qu’elle arrange ? Qu’est-ce que je demande à présent ? De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas. Comment ! je ne suis pas content ! Mais qu’est-ce qu’il me faut donc ? Le but auquel j’aspire depuis tant d’années, le songe de mes nuits, l’objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l’atteins ! C’est Dieu qui le veut. Je n’ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j’ai commencé, pour que je fasse le bien, pour que je sois un jour un grand et encourageant exemple, pour qu’il soit dit qu’il y a eu enfin un peu de bonheur attaché à cette pénitence que j’ai subie et à cette vertu où je suis revenu ! Vraiment je ne comprends pas pourquoi j’ai eu peur tantôt d’entrer chez ce brave curé et de tout lui raconter comme à un confesseur, et de lui demander conseil, c’est évidemment là ce qu’il m’aurait dit. C’est décidé, laissons aller les choses ! laissons faire le bon Dieu !

    Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme. Il se leva de sa chaise, et se mit à marcher dans la chambre. — Allons, dit-il, n’y pensons plus. Voilà une résolution prise ! — Mais il ne sentit aucune joie.

    Au contraire.

    On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée ; pour le coupable, cela s’appelle le remords. Dieu soulève l’âme comme l’océan.

    Au bout de peu d’instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c’était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu’il eût voulu taire, écoutant ce qu’il n’eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense ! comme elle disait il y a deux mille ans à un autre condamné : marche !

    Avant d’aller plus loin et pour être pleinement compris, insistons sur une observation nécessaire.

    Il est certain qu’on se parle à soi-même, il n’est pas un être pensant qui ne l’ait éprouvé. On peut dire même que le verbe n’est jamais un plus magnifique mystère que lorsqu’il va, dans l’intérieur d’un homme, de la pensée à la conscience et qu’il retourne de la conscience à la pensée. C’est dans ce sens seulement qu’il faut entendre les mots souvent employés dans ce chapitre, il dit, il s’écria. On se dit, on se parle, on s’écrie en soi-même, sans que le silence extérieur soit rompu. Il y a un grand tumulte ; tout parle en nous, excepté la bouche. Les réalités de l’âme, pour n’être point visibles et palpables, n’en sont pas moins des réalités.

    Il se demanda donc où il en était. Il s’interrogea sur cette « résolution prise ». Il se confessa à lui-même que tout ce qu’il venait d’arranger dans son esprit était monstrueux, que « laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu », c’était tout simplement horrible. Laisser s’accomplir cette méprise de la destinée et des hommes, ne pas l’empêcher, s’y prêter par son silence, ne rien faire enfin, c’était faire tout ! c’était le dernier degré de l’indignité hypocrite ! c’était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

    Pour la première fois depuis huit années, le malheureux homme venait de sentir la saveur amère d’une mauvaise pensée et d’une mauvaise action.

    Il la recracha avec dégoût.

    Il continua de se questionner. Il se demanda sévèrement ce qu’il avait entendu par ceci : « Mon but est atteint ! » Il se déclara que sa vie avait un but en effet. Mais quel but ? Cacher son nom ? tromper la police ? Était-ce pour une chose si petite qu’il avait fait tout ce qu’il avait fait ? Est-ce qu’il n’avait pas un autre but, qui était le grand, qui était le vrai ? Sauver, non sa personne, mais son âme. Redevenir honnête et bon. Être un juste ! Est-ce que ce n’était pas là surtout, là uniquement, ce qu’il avait toujours voulu, ce que l’évêque lui avait ordonné ? — Fermer la porte à son passé ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu’on appelle le bagne ! Au contraire, se livrer, sauver cet homme frappé d’une si lugubre erreur, reprendre son nom, redevenir par devoir le forçat Jean Valjean, c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ! Y retomber en apparence, c’était en sortir en réalité ! Il fallait faire cela ! il n’avait rien fait s’il ne faisait pas cela ! toute sa vie était inutile, toute sa pénitence était perdue, et il n’y avait plus qu’à dire : à quoi bon ? Il sentait que l’évêque était là, que l’évêque était d’autant plus présent qu’il était mort, que l’évêque le regardait fixement, que désormais le maire Madeleine avec toutes ses vertus lui serait abominable, et que le galérien Jean Valjean serait admirable et pur devant lui. Que les hommes voyaient son masque, mais que l’évêque voyait sa face. Que les hommes voyaient sa vie, mais que l’évêque voyait sa conscience. Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! c’était là le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir ; mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n’entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s’il rentrait dans l’infamie aux yeux des hommes !

    Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! faisons notre devoir ! sauvons cet homme !

    Il prononça ces paroles à haute voix, sans s’apercevoir qu’il parlait tout haut.

    Il prit ses livres, les vérifia et les mit en ordre. Il jeta au feu une liasse de créances qu’il avait sur de petits commerçants gênés. Il écrivit une lettre qu’il cacheta et sur l’enveloppe de laquelle on aurait pu lire, s’il y avait eu quelqu’un dans sa chambre en cet instant : À Monsieur Laffitte, banquier, rue d’Artois, à Paris.

    Il tira d’un secrétaire un portefeuille qui contenait quelques billets de banque et le passeport dont il s’était servi cette même année pour aller aux élections.

    Qui l’eût vu pendant qu’il accomplissait ces divers actes auxquels se mêlait une méditation si grave, ne se fût pas douté de ce qui se passait en lui. Seulement par moments ses lèvres remuaient ; dans d’autres instants il relevait la tête et fixait son regard sur un point quelconque de la muraille, comme s’il y avait précisément là quelque chose qu’il voulait éclaircir ou interroger.

    La lettre à M. Laffitte terminée, il la mit dans sa poche ainsi que le portefeuille, et recommença à marcher.

    Sa rêverie n’avait point dévié. Il continuait de voir clairement son devoir écrit en lettres lumineuses qui flamboyaient devant ses yeux et se déplaçaient avec son regard : — Va ! nomme-toi ! dénonce-toi !

    Il voyait de même, et comme si elles se fussent mues devant lui avec des formes sensibles, les deux idées qui avaient été jusque-là la double règle de sa vie : cacher son nom, sanctifier son âme. Pour la première fois, elles lui apparaissaient absolument distinctes, et il voyait la différence qui les séparait. Il reconnaissait que l’une de ces idées était nécessairement bonne, tandis que l’autre pouvait devenir mauvaise ; que celle-là était le dévouement et que celle-ci était la personnalité ; que l’une disait : le prochain, et que l’autre disait : moi ; que l’une venait de la lumière et que l’autre venait de la nuit.

    Elles se combattaient, il les voyait se combattre. À mesure qu’il songeait, elles avaient grandi devant l’œil de son esprit ; elles avaient maintenant des statures colossales ; et il lui semblait qu’il voyait lutter au dedans de lui-même, dans cet infini dont nous parlions tout à l’heure, au milieu des obscurités et des lueurs, une déesse et une géante.

    Il était plein d’épouvante, mais il lui semblait que la bonne pensée l’emportait.

    Il sentait qu’il touchait à l’autre moment décisif de sa conscience et de sa destinée ; que l’évêque avait marqué la première phase de sa vie nouvelle, et que ce Champmathieu en marquait la seconde. Après la grande crise, la grande épreuve.

    Cependant la fièvre, un instant apaisée, lui revenait peu à peu. Mille pensées le traversaient, mais elles continuaient de le fortifier dans sa résolution.

    Un moment il s’était dit : — qu’il prenait peut-être la chose trop vivement, qu’après tout ce Champmathieu n’était pas intéressant, qu’en somme il avait volé.

    Il se répondit : — Si cet homme a en effet volé quelques pommes, c’est un mois de prison. Il y a loin de là aux galères. Et qui sait même ? a-t-il volé ? est-ce prouvé ? Le nom de Jean Valjean l’accable et semble dispenser de preuves. Les procureurs du roi n’agissent-ils pas habituellement ainsi ? On le croit voleur parce qu’on le sait forçat.

    Dans un autre instant, cette idée lui vint que, lorsqu’il se serait dénoncé, peut-être on considérerait l’héroïsme de son action, et sa vie honnête depuis sept ans, et ce qu’il avait fait pour le pays, et qu’on lui ferait grâce.

    Mais cette supposition s’évanouit bien vite, et il sourit amèrement en songeant que le vol des quarante sous à Petit-Gervais le faisait récidiviste, que cette affaire reparaîtrait certainement et, aux termes précis de la loi, le ferait passible des travaux forcés à perpétuité.

    Il se détourna de toute illusion, se détacha de plus en plus de la terre et chercha la consolation et la force ailleurs. Il se dit qu’il fallait faire son devoir ; que peut-être même ne serait-il pas plus malheureux après avoir fait son devoir qu’après l’avoir éludé ; que s’il laissait faire, s’il restait à Montreuil-sur-Mer, sa considération, sa bonne renommée, ses bonnes œuvres, la déférence, la vénération, sa charité, sa richesse, sa popularité, sa vertu, seraient assaisonnées d’un crime ; et quel goût auraient toutes ces choses saintes liées à cette chose hideuse ! tandis que, s’il accomplissait son sacrifice, au bagne, au poteau, au carcan, au bonnet vert, au travail sans relâche, à la honte sans pitié, il se mêlerait une idée céleste !

    Enfin il se dit qu’il y avait nécessité, que sa destinée était ainsi faite, qu’il n’était pas maître de déranger les arrangements d’en haut, que dans tous les cas il fallait choisir : ou la vertu au dehors et l’abomination au dedans, ou la sainteté au dedans et l’infamie au dehors.

    À remuer tant d’idées lugubres, son courage ne défaillait pas, mais son cerveau se fatiguait. Il commençait à penser malgré lui à d’autres choses, à des choses indifférentes.

    Ses artères battaient violemment dans ses tempes. Il allait et venait toujours. Minuit sonna d’abord à la paroisse, puis à la maison de ville. Il compta les douze coups aux deux horloges, et il compara le son des deux cloches. Il se rappela à cette occasion que quelques jours auparavant il avait vu chez un marchand de ferrailles une vieille cloche à vendre sur laquelle ce nom était écrit : Antoine Albin de Romainville.

    Il avait froid. Il alluma un peu de feu. Il ne songea pas à fermer la fenêtre.

    Cependant il était retombé dans sa stupeur. Il lui fallait faire un assez grand effort pour se rappeler à quoi il songeait avant que minuit sonnât. Il y parvint enfin.

    Ah ! oui, se dit-il, j’avais pris la résolution de me dénoncer.

    Et puis tout à coup il pensa à la Fantine.

    Tiens ! dit-il, et cette pauvre femme !

    Ici une crise nouvelle se déclara.

    Fantine, apparaissant brusquement dans sa rêverie, y fut comme un rayon d’une lumière inattendue. Il lui sembla que tout changeait d’aspect autour de lui, il s’écria :

    Ah çà, mais ! jusqu’ici je n’ai considéré que moi ! je n’ai eu égard qu’à ma convenance ! Il me convient de me taire ou de me dénoncer, — cacher ma personne ou sauver mon âme, — être un magistrat méprisable et respecté ou un galérien infâme et vénérable, c’est moi, c’est toujours moi, ce n’est que moi ! Mais, mon Dieu, c’est de l’égoïsme tout cela ! Ce sont des formes diverses de l’égoïsme, mais c’est de l’égoïsme ! Si je songeais un peu aux autres ? La première sainteté est de penser à autrui. Voyons, examinons. Moi excepté, moi effacé, moi oublié, qu’arrivera-t-il de tout ceci ? — Si je me dénonce ? on me prend, on lâche ce Champmathieu, on me remet aux galères, c’est bien, et puis ? Que se passe-t-il ici ? Ah ! ici, il y a un pays, une ville, des fabriques, une industrie, des ouvriers, des hommes, des femmes, des vieux grands-pères, des enfants, des pauvres gens ! J’ai créé tout cela, je fais vivre tout cela ; partout où il y a une cheminée qui fume, c’est moi qui ai mis le tison dans le feu et la viande dans la marmite ; j’ai fait l’aisance, la circulation, le crédit ; avant moi il n’y avait rien ; j’ai relevé, vivifié, animé, fécondé, stimulé, enrichi tout le pays ; moi de moins, c’est l’âme de moins. Je m’ôte, tout meurt. — Et cette femme qui a tant souffert, qui a tant de mérites dans sa chute, dont j’ai causé sans le vouloir tout le malheur ! Et cet enfant que je voulais aller chercher, que j’ai promis à la mère ! Est-ce que je ne dois pas aussi quelque chose à cette femme, en réparation du mal que je lui ai fait ? Si je disparais, qu’arrive-t-il ? La mère meurt. L’enfant devient ce qu’il peut. Voilà ce qui se passe, si je me dénonce.

    Si je ne me dénonce pas !... Voyons, si je ne me dénonce pas ?

    Après s’être fait cette question, il s’arrêta ; il eut comme un moment d’hésitation et de tremblement ; mais ce moment dura peu, et il se répondit avec calme :

    Eh bien, cet homme va aux galères, c’est vrai, mais, que diable ! il a volé ! J’ai beau me dire qu’il n’a pas volé, il a volé ! Moi, je reste ici, je continue. Dans dix ans j’aurai gagné dix millions, je les répands dans le pays, je n’ai rien à moi, qu’est-ce que cela me fait ? Ce n’est pas pour moi ce que je fais ! La prospérité de tous va croissant, les industries s’éveillent et s’excitent, les manufactures et les usines se multiplient, les familles, cent familles, mille familles ! sont heureuses ; la contrée se peuple ; il naît des villages où il n’y a que des fermes, il naît des fermes où il n’y a rien ; la misère disparaît, et avec la misère disparaissent la débauche, la prostitution, le vol, le meurtre, tous les vices, tous les crimes ! Et cette pauvre mère élève son enfant ! et voilà tout un pays riche et honnête ! Ah çà, j’étais fou, j’étais absurde, qu’est-ce que je parlais donc de me dénoncer ? Il faut faire attention, vraiment, et ne rien précipiter. Quoi ! parce qu’il m’aura plu de faire le grand et le généreux, — c’est du mélodrame, après tout ! — parce que je n’aurai songé qu’à moi, qu’à moi seul, quoi ! pour sauver d’une punition peut-être un peu exagérée, mais juste au fond, on ne sait qui, un voleur, un drôle évidemment, il faudra que tout un pays périsse ! il faudra qu’une pauvre femme crève à l’hôpital ! qu’une pauvre petite fille crève sur le pavé ! comme des chiens ! Ah ! mais c’est abominable ! Sans même que la mère ait revu son enfant ! sans que l’enfant ait presque connu sa mère ! Et tout ça pour ce vieux gredin de voleur de pommes qui, à coup sûr, a mérité les galères pour autre chose, si ce n’est pour cela ! Beaux scrupules qui sauvent un coupable et qui sacrifient des innocents, qui sauvent un vieux vagabond, lequel n’a plus que quelques années à vivre au bout du compte et ne sera guère plus malheureux au bagne que dans sa masure, et qui sacrifient toute une population, mères, femmes, enfants ! Cette pauvre petite Cosette qui n’a que moi au monde et qui est sans doute en ce moment toute bleue de froid dans le bouge de ces Thénardier ! Voilà encore des canailles, ceux-là ! Et je manquerais à mes devoirs envers tous ces pauvres êtres ! Et je m’en irais me dénoncer ! Et je ferais cette inepte sottise ! Mettons tout au pis. Supposons qu’il y ait une mauvaise action pour moi dans ceci et que ma conscience me la reproche un jour, accepter, pour le bien d’autrui, ces reproches qui ne chargent que moi, cette mauvaise action qui ne compromet que mon âme, c’est là qu’est le dévouement, c’est là qu’est la vertu.

    Il se leva, il se remit à marcher. Cette fois il lui semblait qu’il était content.

    On ne trouve les diamants que dans les ténèbres de la terre ; on ne trouve les vérités que dans les profondeurs de la pensée. Il lui semblait qu’après être descendu dans ces profondeurs, après avoir longtemps tâtonné au plus noir de ces ténèbres, il venait enfin de trouver un de ces diamants, une de ces vérités, et qu’il la tenait dans sa main ; et il s’éblouissait à la regarder.

    Oui, pensa-t-il, c’est cela. Je suis dans le vrai. J’ai la solution. Il faut finir par s’en tenir à quelque chose. Mon parti est pris. Laissons faire ! Ne vacillons plus, ne reculons plus. Ceci est dans l’intérêt de tous, non dans le mien. Je suis Madeleine, je reste Madeleine. Malheur à celui qui est Jean Valjean ! Ce n’est plus moi. Je ne connais pas cet homme, je ne sais plus ce que c’est, s’il se trouve que quelqu’un est Jean Valjean à cette heure, qu’il s’arrange ! cela ne me regarde pas. C’est un nom de fatalité qui flotte dans la nuit, s’il s’arrête et s’abat sur une tête, tant pis pour elle !

    Il se regarda dans le petit miroir qui était sur sa cheminée, et dit :

    Tiens ! cela m’a soulagé de prendre une résolution ! Je suis tout autre à présent.

    Il marcha encore quelques pas, puis il s’arrêta court :

    Allons ! dit-il, il ne faut hésiter devant aucune des conséquences de la résolution prise. Il y a encore des fils qui m’attachent à ce Jean Valjean. Il faut les briser ! Il y a ici, dans cette chambre même, des objets qui m’accuseraient, des choses muettes qui seraient des témoins, c’est dit, il faut que tout cela disparaisse.

    Il fouilla dans sa poche, en tira sa bourse, l’ouvrit, et y prit une petite clef.

    Il introduisit cette clef dans une serrure dont on voyait à peine le trou, perdu qu’il était dans les nuances les plus sombres du dessin qui couvrait le papier collé sur le mur. Une cachette s’ouvrit, une espèce de fausse armoire ménagée entre l’angle de la muraille et le manteau de la cheminée. Il n’y avait dans cette cachette que quelques guenilles, un sarrau de toile bleue, un vieux pantalon, un vieux havresac, et un gros bâton d’épine ferré aux deux bouts. Ceux qui avaient vu Jean Valjean à l’époque où il traversait Digne, en octobre 1815, eussent aisément reconnu toutes les pièces de ce misérable accoutrement.

    Il les avait conservées comme il avait conservé les chandeliers d’argent, pour se rappeler toujours son point de départ. Seulement il cachait ceci qui venait du bagne, et il laissait voir les flambeaux qui venaient de l’évêque.

    Il jeta un regard furtif vers la porte, comme s’il eût craint qu’elle ne s’ouvrît malgré le verrou qui la fermait ; puis d’un mouvement vif et brusque et d’une seule brassée, sans même donner un coup d’œil à ces choses qu’il avait si religieusement et si périlleusement gardées pendant tant d’années, il prit tout, haillons, bâton, havresac, et jeta tout au feu.

    Il referma la fausse armoire, et, redoublant de précautions, désormais inutiles puisqu’elle était vide, en cacha la porte derrière un gros meuble qu’il y poussa.

    Au bout de quelques secondes, la chambre et le mur d’en face furent éclairés d’une grande réverbération rouge et tremblante. Tout brûlait. Le bâton d’épine pétillait et jetait des étincelles jusqu’au milieu de la chambre.

    Le havresac, en se consumant avec d’affreux chiffons qu’il contenait, avait mis à nu quelque chose qui brillait dans la cendre. En se penchant, on eût aisément reconnu une pièce d’argent. Sans doute la pièce de quarante sous volée au petit savoyard.

    Lui ne regardait pas le feu et marchait, allant et venant toujours du même pas.

    Tout à coup ses yeux tombèrent sur les deux flambeaux d’argent que la réverbération faisait reluire vaguement sur la cheminée.

    Tiens ! pensa-t-il, tout Jean Valjean est encore là-dedans. Il faut aussi détruire cela.

    Il prit les deux flambeaux.

    Il y avait assez de feu pour qu’on pût les déformer promptement et en faire une sorte de lingot méconnaissable.

    Il se pencha sur le foyer et s’y chauffa un instant. Il eut un vrai bien-être. — La bonne chaleur ! dit-il.

    Il remua le brasier avec un des deux chandeliers.

    Une minute de plus, et ils étaient dans le feu.

    En ce moment il lui sembla qu’il entendait une voix qui criait au dedans de lui :

    Jean Valjean ! Jean Valjean !

    Ses cheveux se dressèrent, il devint comme un homme qui écoute une chose terrible.

    Oui ! c’est cela, achève ! disait la voix. Complète ce que tu fais ! détruis ces flambeaux ! anéantis ce souvenir ! oublie l’évêque ! oublie tout ! perds ce Champmathieu ! va, c’est bien. Applaudis-toi ! Ainsi, c’est convenu, c’est résolu, c’est dit, voilà un homme, voilà un vieillard qui ne sait ce qu’on lui veut, qui n’a rien fait peut-être, un innocent, dont ton nom fait tout le malheur, sur qui ton nom pèse comme un crime, qui va être pris pour toi, qui va être condamné, qui va finir ses jours dans l’abjection et dans l’horreur ! c’est bien. Sois honnête homme, toi. Reste monsieur le maire, reste honorable et honoré, enrichis la ville, nourris des indigents, élève des orphelins, vis heureux, vertueux et admiré, et pendant ce temps-là, pendant que tu seras ici dans la joie et dans la lumière, il y aura quelqu’un qui aura ta casaque rouge, qui portera ton nom dans l’ignominie et qui traînera ta chaîne au bagne ! Oui, c’est bien arrangé ainsi ! Ah ! misérable !

    La sueur lui coulait du front. Il attachait sur les flambeaux un œil hagard. Cependant ce qui parlait en lui n’avait pas fini. La voix continuait :

    Jean Valjean ! il y aura autour de toi beaucoup de voix qui feront un grand bruit, qui parleront bien haut, et qui te béniront, et une seule que personne n’entendra et qui te maudira dans les ténèbres. Eh bien ! écoute, infâme ! toutes ces bénédictions retomberont avant d’arriver au ciel, et il n’y aura que la malédiction qui montera jusqu’à Dieu !

    Cette voix, d’abord toute faible et qui s’était élevée du plus obscur de sa conscience, était devenue par degrés éclatante et formidable, et il l’entendait maintenant à son oreille. Il lui semblait qu’elle était sortie de lui-même et qu’elle parlait à présent en dehors de lui. Il crut entendre les dernières paroles si distinctement qu’il regarda dans la chambre avec une sorte de terreur.

    Y a-t-il quelqu’un ici ? demanda-t-il à haute voix, et tout égaré.

    Puis il reprit avec un rire qui ressemblait au rire d’un idiot :

    Que je suis bête ! il ne peut y avoir personne.

    Il y avait quelqu’un ; mais celui qui y était n’était pas de ceux que l’œil humain peut voir.

    Il posa les flambeaux sur la cheminée.

    Alors il reprit cette marche monotone et lugubre qui troublait dans ses rêves et réveillait en sursaut l’homme endormi au-dessous de lui.

    Cette marche le soulageait et l’enivrait en même temps. Il semble que parfois dans les occasions suprêmes on se remue pour demander conseil à tout ce qu’on peut rencontrer en se déplaçant. Au bout de quelques instants il ne savait plus où il en était.

    Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. — Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir !

    Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans ces livres, il n’écrirait plus sur cette petite table de bois blanc ! Sa vieille portière, la seule servante qu’il eût, ne lui monterait plus son café le matin. Grand Dieu ! au lieu de cela, la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaîne au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp, toutes ces horreurs connues ! À son âge, après avoir été ce qu’il était ! Si encore il était jeune ! Mais, vieux, être tutoyé par le premier venu, être fouillé par le garde-chiourme, recevoir le coup de bâton de l’argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier qui visite la manille ! subir la curiosité des étrangers auxquels on dirait : Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-mer ! Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l’escalier-échelle du bagne flottant ! Oh ! quelle misère ! La destinée peut-elle donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cœur humain !

    Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : — rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer, et y devenir ange !

    Que faire, grand Dieu ! que faire ?

    La tourmente dont il était sorti avec tant de peine se déchaîna de nouveau en lui. Ses idées recommencèrent à se mêler. Elles prirent ce je ne sais quoi de stupéfié et de machinal qui est propre au désespoir. Le nom de Romainville lui revenait sans cesse à l’esprit avec deux vers d’une chanson qu’il avait entendue autrefois. Il songeait que Romainville est un petit bois près Paris où les jeunes gens amoureux vont cueillir des lilas au mois d’avril.

    Il chancelait au dehors comme au dedans. Il marchait comme un petit enfant qu’on laisse aller seul.

    À de certains moments, luttant contre sa lassitude, il faisait effort pour ressaisir son intelligence. Il tâchait de se poser une dernière fois, et définitivement, le problème sur lequel il était en quelque sorte tombé d’épuisement. Faut-il se dénoncer ! Faut-il se taire ? — Il ne réussissait à rien voir de distinct. Les vagues aspects de tous les raisonnements ébauchés par sa rêverie tremblaient et se dissipaient l’un après l’autre en fumée. Seulement il sentait que, à quelque parti qu’il s’arrêtât, nécessairement, et sans qu’il fût possible d’y échapper, quelque chose de lui allait mourir ; qu’il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; qu’il accomplissait une agonie, l’agonie de son bonheur ou l’agonie de sa vertu.

    Hélas ! toutes ses irrésolutions l’avaient repris. Il n’était pas plus avancé qu’au commencement.

    Ainsi se débattait sous l’angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l’être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l’humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l’infini, longtemps écarté de la main l’effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d’ombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines d’étoiles.


     

    IV

    FORMES QUE PREND LA SOUFFRANCE PENDANT LE SOMMEIL


     

    Trois heures du matin venaient de sonner, et il y avait cinq heures qu’il marchait ainsi, presque sans interruption lorsqu’il se laissa tomber sur sa chaise.

    Il s’y endormit et fit un rêve.

    Ce rêve, comme la plupart des rêves, ne se rapportait à la situation que par je ne sais quoi de funeste et de poignant, mais il lui fit impression. Ce cauchemar le frappa tellement que plus tard il l’a écrit. C’est un des papiers écrits de sa main qu’il a laissés. Nous croyons devoir transcrire ici cette chose textuellement.

    Quel que soit ce rêve, l’histoire de cette nuit serait incomplète si nous l’omettions. C’est la sombre aventure d’une âme malade.

    Le voici. Sur l’enveloppe nous trouvons cette ligne écrite : Le rêve que j’ai eu cette nuit-là.

    « J’étais dans une campagne. Une grande campagne triste où il n’y avait pas d’herbe. Il ne me semblait pas qu’il fît jour, ni qu’il fît nuit.

    « Je me promenais avec mon frère, le frère de mes années d’enfance, ce frère auquel je dois dire que je ne pense jamais et dont je ne me souviens presque plus.

    « Nous causions, et nous rencontrions des passants. Nous parlions d’une voisine que nous avions eue autrefois, et qui, depuis qu’elle demeurait sur la rue, travaillait la fenêtre toujours ouverte. Tout en causant, nous avions froid à cause de cette fenêtre ouverte.

    « Il n’y avait pas d’arbres dans la campagne.

    « Nous vîmes un homme qui passa près de nous. C’était un homme tout nu, couleur de cendre, monté sur un cheval couleur de terre. L’homme n’avait pas de cheveux ; on voyait son crâne et des veines sur son crâne. Il tenait à la main une baguette qui était souple comme un sarment de vigne et lourde comme du fer. Ce cavalier passa et ne nous dit rien.

    « Mon frère me dit : Prenons par le chemin creux.

    « Il y avait un chemin creux où l’on ne voyait pas une broussaille ni un brin de mousse. Tout était couleur de terre, même le ciel. Au bout de quelques pas, on ne me répondit plus quand je parlais. Je m’aperçus que mon frère n’était plus avec moi.

    « J’entrai dans un village que je vis. Je songeai que ce devait être là Romainville (pourquoi Romainville ?).[1]

    « La première rue où j’entrai était déserte. J’entrai dans une seconde rue. Derrière l’angle que faisaient les deux rues, il y avait un homme debout contre le mur. Je dis à cet homme : Quel est ce pays ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas. Je vis la porte d’une maison ouverte, j’y entrai.

    « La première chambre était déserte. J’entrai dans la seconde. Derrière la porte de cette chambre, il y avait un homme debout contre le mur. Je demandai à cet homme : — À qui est cette maison ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « La maison avait un jardin. Je sortis de la maison et j’entrai dans le jardin. Le jardin était désert. Derrière le premier arbre, je trouvai un homme qui se tenait debout. Je dis à cet homme : Quel est ce jardin ? où suis-je ? L’homme ne répondit pas.

    « J’errai dans le village, et je m’aperçus que c’était une ville. Toutes les rues étaient désertes, toutes les portes étaient ouvertes. Aucun être vivant ne passait dans les rues, ne marchait dans les chambres ou ne se promenait dans les jardins. Mais il y avait derrière chaque angle de mur, derrière chaque porte, derrière chaque arbre, un homme debout qui se taisait. On n’en voyait jamais qu’un à la fois. Ces hommes me regardaient passer.

    « Je sortis de la ville et je me mis à marcher dans les champs.

    « Au bout de quelque temps, je me retournai, et je vis une grande foule qui venait derrière moi. Je reconnus tous les hommes que j’avais vus dans la ville. Ils avaient des têtes étranges. Ils ne semblaient pas se hâter, et cependant ils marchaient plus vite que moi. Ils ne faisaient aucun bruit en marchant. En un instant, cette foule me rejoignit et m’entoura. Les visages de ces hommes étaient couleur de terre.

    « Alors le premier que j’avais vu et questionné en entrant dans la ville me dit : — Où allez-vous ? Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes mort depuis longtemps ?

    « J’ouvris la bouche pour répondre, et je m’aperçus qu’il n’y avait personne autour de moi. »

    Il se réveilla. Il était glacé. Un vent qui était froid comme le vent du matin faisait tourner dans leurs gonds les châssis de la croisée restée ouverte. Le feu s’était éteint. La bougie touchait à sa fin. Il était encore nuit noire.

    Il se leva, il alla à la fenêtre. Il n’y avait toujours pas d’étoiles au ciel.

    De sa fenêtre on voyait la cour de la maison et la rue. Un bruit sec et dur qui résonna tout à coup sur le sol lui fit baisser les yeux.

    Il vit au-dessous de lui deux étoiles rouges dont les rayons s’allongeaient et se raccourcissaient bizarrement dans l’ombre.

    Comme sa pensée était encore à demi submergée dans la brume des rêves, — Tiens ! songea-t-il, il n’y en a pas dans le ciel. Elles sont sur la terre maintenant.

    Cependant ce trouble se dissipa, un second bruit pareil au premier acheva de le réveiller, il regarda, et il reconnut que ces deux étoiles étaient les lanternes d’une voiture. À la clarté qu’elles jetaient, il put distinguer la forme de cette voiture. C’était un tilbury attelé d’un petit cheval blanc. Le bruit qu’il avait entendu, c’étaient les coups de pied du cheval sur le pavé.

    Qu’est-ce que c’est que cette voiture ? se dit-il. Qui est-ce qui vient donc si matin ?

    En ce moment on frappa un petit coup à la porte de sa chambre.

    Il frissonna de la tête aux pieds, et cria d’une voix terrible :

    Qui est là ?

    Quelqu’un répondit :

    Moi, monsieur le maire.

    Il reconnut la voix de la vieille femme, sa portière.

    Eh bien, reprit-il, qu’est-ce que c’est ?

    Monsieur le maire, il est tout à l’heure cinq heures du matin.

    Qu’est-ce que cela me fait ?

    Monsieur le maire, c’est le cabriolet.

    Quel cabriolet ?

    Le tilbury.

    Quel tilbury ?

    Est-ce que monsieur le maire n’a pas fait demander un tilbury ?

    Non, dit-il.

    Le cocher dit qu’il vient chercher monsieur le maire.

    Quel cocher ?

    Le cocher de M. Scaufflaire.

    M. Scaufflaire ?

    Ce nom le fit tressaillir comme si un éclair lui eût passé devant la face.

    Ah ! oui ! reprit-il, M. Scaufflaire.

    Si la vieille femme l’eût pu voir en ce moment, elle eût été épouvantée.

    Il se fit un assez long silence. Il examinait d’un air stupide la flamme de la bougie et prenait autour de la mèche de la cire brûlante qu’il roulait dans ses doigts. La vieille attendait. Elle se hasarda pourtant à élever encore la voix :

    Monsieur le maire, que faut-il que je réponde ?

    Dites que c’est bien, et que je descends.


     

    V

    BÂTONS DANS LES ROUES


     

    Le service des postes d’Arras à Montreuil-sur-mer se faisait encore à cette époque par de petites malles du temps de l’empire. Ces malles étaient des cabriolets à deux roues, tapissés de cuir fauve au dedans, suspendus sur des ressorts à pompe, et n’ayant que deux places, l’une pour le courrier, l’autre pour le voyageur. Les roues étaient armées de ces longs moyeux offensifs qui tiennent les autres voitures à distance et qu’on voit encore sur les routes d’Allemagne. Le coffre aux dépêches, immense boîte oblongue, était placé derrière le cabriolet et faisait corps avec lui. Ce coffre était peint en noir et le cabriolet en jaune.

    Ces voitures, auxquelles rien ne ressemble aujourd’hui, avaient je ne sais quoi de difforme et de bossu, et, quand on les voyait passer de loin et ramper dans quelque route à l’horizon, elles ressemblaient à ces insectes qu’on appelle, je crois, termites, et qui, avec un petit corsage, traînent un gros arrière-train. Elles allaient, du reste, fort vite. La malle partie d’Arras toutes les nuits à une heure, après le passage du courrier de Paris, arrivait à Montreuil-sur-mer un peu avant cinq heures du matin.

    Cette nuit-là, la malle qui descendait à Montreuil-sur-mer par la route de Hesdin accrocha, au tournant d’une rue, au moment où elle entrait dans la ville, un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, qui venait en sens inverse et dans lequel il n’y avait qu’une personne, un homme enveloppé d’un manteau. La roue du tilbury reçut un choc assez rude. Le courrier cria à cet homme d’arrêter, mais le voyageur n’écouta pas, et continua sa route au grand trot.

    Voilà un homme diablement pressé ! dit le courrier.

    L’homme qui se hâtait ainsi, c’est celui que nous venons de voir se débattre dans des convulsions dignes à coup sûr de pitié.

    Où allait-il ? Il n’eût pu le dire. Pourquoi se hâtait-il ? Il ne savait. Il allait au hasard devant lui. Où ? À Arras sans doute ; mais il allait peut-être ailleurs aussi. Par moments il le sentait, et il tressaillait. Il s’enfonçait dans cette nuit comme dans un gouffre. Quelque chose le poussait, quelque chose l’attirait. Ce qui se passait en lui, personne ne pourrait le dire, tous le comprendront. Quel homme n’est entré, au moins une fois en sa vie, dans cette obscure caverne de l’inconnu ?

    Du reste il n’avait rien résolu, rien décidé, rien arrêté, rien fait. Aucun des actes de sa conscience n’avait été définitif. Il était plus que jamais comme au premier moment.

    Pourquoi allait-il à Arras ?

    Il se répétait ce qu’il s’était déjà dit en retenant le cabriolet de Scaufflaire, — que, quel que dût être le résultat, il n’y avait aucun inconvénient à voir de ses yeux, à juger les choses par lui-même ; — que cela même était prudent, qu’il fallait savoir ce qui se passerait ; — qu’on ne pouvait rien décider sans avoir observé et scruté ; — que de loin on se faisait des montagnes de tout ; qu’au bout du compte, lorsqu’il aurait vu ce Champmathieu, quelque misérable, sa conscience serait probablement fort soulagée de le laisser aller au bagne à sa place ; — qu’à la vérité il y aurait là Javert, et ce Brevet, ce Chenildieu, ce Cochepaille, anciens forçats qui l’avaient connu ; mais qu’à coup sûr ils ne le reconnaîtraient pas ; — bah ! quelle idée ! — que Javert en était à cent lieues ; — que toutes les conjectures et toutes les suppositions étaient fixées sur ce Champmathieu, et que rien n’est entêté comme les suppositions et les conjectures ; — qu’il n’y avait donc aucun danger.

    Que sans doute c’était un moment noir, mais qu’il en sortirait ; — qu’après tout il tenait sa destinée, si mauvaise qu’elle voulût être, dans sa main ; — qu’il en était le maître. Il se cramponnait à cette pensée.

    Au fond, pour tout dire, il eût mieux aimé ne point aller à Arras.

    Cependant il y allait.

    Tout en songeant, il fouettait le cheval, lequel trottait de ce bon trot réglé et sûr qui fait deux lieues et demie à l’heure.

    À mesure que le cabriolet avançait, il sentait quelque chose en lui qui reculait.

    Au point du jour il était en rase campagne ; la ville de Montreuil-sur-mer était assez loin derrière lui. Il regarda l’horizon blanchir ; il regarda, sans les voir, passer devant ses yeux toutes les froides figures d’une aube d’hiver. Le matin a ses spectres comme le soir. Il ne les voyait pas, mais, à son insu, et par une sorte de pénétration presque physique, ces noires silhouettes d’arbres et de collines ajoutaient à l’état violent de son âme je ne sais quoi de morne et de sinistre.

    Chaque fois qu’il passait devant une de ces maisons isolées qui côtoient parfois les routes, il se disait : il y a pourtant là-dedans des gens qui dorment !

    Le trot du cheval, les grelots du harnais, les roues sur le pavé, faisaient un bruit doux et monotone. Ces choses-là sont charmantes quand on est joyeux et lugubres quand on est triste.

    Il était grand jour lorsqu’il arriva à Hesdin. Il s’arrêta devant une auberge pour laisser souffler le cheval et lui faire donner l’avoine.

    Ce cheval était, comme l’avait dit Scaufflaire, de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre et pas assez d’encolure, mais qui a le poitrail ouvert, la croupe large, la jambe sèche et fine et le pied solide ; race laide, mais robuste et saine. L’excellente bête avait fait cinq lieues en deux heures et n’avait pas une goutte de sueur sur la croupe.

    Il n’était pas descendu du tilbury. Le garçon d’écurie qui apportait l’avoine se baissa tout à coup et examina la roue de gauche.

    Allez-vous loin comme cela ? dit cet homme.

    Il répondit, presque sans sortir de sa rêverie :

    Pourquoi ?

    Venez-vous de loin ? reprit le garçon.

    De cinq lieues d’ici.

    Ah !

    Pourquoi dites-vous : ah ?

    Le garçon se pencha de nouveau, resta un moment silencieux, l’œil fixé sur la roue, puis se redressa en disant :

    C’est que voilà une roue qui vient de faire cinq lieues, c’est possible, mais qui à coup sûr ne fera pas maintenant un quart de lieue.

    Il sauta à bas du tilbury.

    Que dites-vous là, mon ami ?

    Je dis que c’est un miracle que vous ayez fait cinq lieues sans rouler, vous et votre cheval, dans quelque fossé de la grande route. Regardez plutôt.

    La roue en effet était gravement endommagée. Le choc de la malle-poste avait fendu deux rayons et labouré le moyeu dont l’écrou ne tenait plus.

    Mon ami, dit-il au garçon d’écurie, il y a un charron ici ?

    Sans doute, monsieur.

    Rendez-moi le service de l’aller chercher.

    Il est là, à deux pas. Hé ! maître Bourgaillard !

    Maître Bourgaillard, le charron, était sur le seuil de sa porte. Il vint examiner la roue et fit la grimace d’un chirurgien qui considère une jambe cassée.

    Pouvez-vous raccommoder cette roue sur-le-champ ?

    Oui, monsieur.

    Quand pourrai-je repartir ?

    Demain.

    Demain !

    Il y a une grande journée d’ouvrage. Est-ce que monsieur est pressé ?

    Très pressé. Il faut que je reparte dans une heure au plus tard.

    Impossible, monsieur.

    Je payerai tout ce qu’on voudra.

    Impossible.

    Eh bien ! dans deux heures.

    Impossible pour aujourd’hui. Il faut refaire deux rais et un moyeu. Monsieur ne pourra repartir avant demain.

    L’affaire que j’ai ne peut attendre à demain. Si, au lieu de raccommoder cette roue, on la remplaçait ?

    Comment cela ?

    Vous êtes charron ?

    Sans doute, monsieur.

    Est-ce que vous n’auriez pas une roue à me vendre ? Je pourrais repartir tout de suite.

    Une roue de rechange ?

    Oui.

    Je n’ai pas une roue toute faite pour votre cabriolet. Deux roues font la paire. Deux roues ne vont pas ensemble au hasard.

    En ce cas, vendez-moi une paire de roues.

    Monsieur, toutes les roues ne vont pas à tous les essieux.

    Essayez toujours.

    C’est inutile, monsieur. Je n’ai à vendre que des roues de charrette. Nous sommes un petit pays ici.

    Auriez-vous un cabriolet à me louer ?

    Le maître charron, du premier coup d’œil, avait reconnu que le tilbury était une voiture de louage. Il haussa les épaules.

    Vous les arrangez bien, les cabriolets qu’on vous loue ! j’en aurais un que je ne vous le louerais pas.

    Eh bien, à me vendre ?

    Je n’en ai pas.

    Quoi ! pas une carriole ? Je ne suis pas difficile, comme vous voyez.

    Nous sommes un petit pays. J’ai bien là sous la remise, ajouta le charron, une vieille calèche qui est à un bourgeois de la ville qui me l’a donnée en garde et qui s’en sert tous les trente-six du mois. Je vous la louerais bien, qu’est-ce que cela me fait ? mais il ne faudrait pas que le bourgeois la vît passer ; et puis, c’est une calèche, il faudrait deux chevaux.

    Je prendrai deux chevaux de poste.

    Où va monsieur ?

    À Arras.

    Et monsieur veut arriver aujourd’hui ?

    Mais oui.

    En prenant des chevaux de poste ?

    Pourquoi pas ?

    Est-il égal à monsieur d’arriver cette nuit à quatre heures du matin ?

    Non certes.

    C’est que, voyez-vous bien, il y a une chose à dire, en prenant des chevaux de poste… — Monsieur a son passeport ?

    Oui.

    Eh bien, en prenant des chevaux de poste, monsieur n’arrivera pas à Arras avant demain. Nous sommes un chemin de traverse. Les relais sont mal servis, les chevaux sont aux champs. C’est la saison des grandes charrues qui commence, il faut de forts attelages, et l’on prend les chevaux partout, à la poste comme ailleurs. Monsieur attendra au moins trois ou quatre heures à chaque relais. Et puis on va au pas. Il y a beaucoup de côtes à monter.

    Allons, j’irai à cheval. Dételez le cabriolet. On me vendra bien une selle dans le pays.

    Sans doute. Mais ce cheval-ci endure-t-il la selle ?

    C’est vrai, vous m’y faites penser. Il ne l’endure pas.

    Alors…

    Mais je trouverai bien dans le village un cheval à louer ?

    Un cheval pour aller à Arras d’une traite !

    Oui.

    Il faudrait un cheval comme on n’en a pas dans nos endroits. Il faudrait l’acheter d’abord, car on ne vous connaît pas. Mais ni à vendre, ni à louer, ni pour cinq cents francs, ni pour mille, vous ne le trouveriez pas !

    Comment faire ?

    Le mieux, là, en honnête homme, c’est que je raccommode la roue et que vous remettiez votre voyage à demain.

    Demain il sera trop tard.

    Dame !

    N’y a-t-il pas la malle-poste qui va à Arras ? Quand passe-t-elle ?

    La nuit prochaine. Les deux malles font le service la nuit, celle qui monte comme celle qui descend.

    Comment ! il vous faut une journée pour raccommoder cette roue ?

    Une journée, et une bonne !

    En mettant deux ouvriers ?

    En en mettant dix !

    Si on liait les rayons avec des cordes ?

    Les rayons, oui ; le moyeu, non. Et puis la jante aussi est en mauvais état.

    Y a-t-il un loueur de voitures dans la ville ?

    Non.

    Y a-t-il un autre charron ?

    Le garçon d’écurie et le maître charron répondirent en même temps en hochant la tête.

    Non.

    Il sentit une immense joie.

    Il était évident que la providence s’en mêlait. C’était elle qui avait brisé la roue du tilbury et qui l’arrêtait en route. Il ne s’était pas rendu à cette espèce de première sommation ; il venait de faire tous les efforts possibles pour continuer son voyage ; il avait loyalement et scrupuleusement épuisé tous les moyens ; il n’avait reculé ni devant la saison, ni devant la fatigue, ni devant la dépense ; il n’avait rien à se reprocher. S’il n’allait pas plus loin, cela ne le regardait plus. Ce n’était plus sa faute, c’était, non le fait de sa conscience, mais le fait de la providence.

    Il respira. Il respira librement et à pleine poitrine pour la première fois depuis la visite de Javert. Il lui semblait que le poignet de fer qui lui serrait le cœur depuis vingt heures, venait de le lâcher.

    Il lui paraissait que maintenant Dieu était pour lui, et se déclarait.

    Il se dit qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait, et qu’à présent il n’avait qu’à revenir sur ses pas, tranquillement.

    Si sa conversation avec le charron eût eu lieu dans une chambre de l’auberge, elle n’eût point eu de témoins, personne ne l’eût entendue, les choses en fussent restées là, et il est probable que nous n’aurions eu à raconter aucun des événements qu’on va lire ; mais cette conversation s’était faite dans la rue. Tout colloque dans la rue produit inévitablement un cercle. Il y a toujours des gens qui ne demandent qu’à être spectateurs. Pendant qu’il questionnait le charron, quelques allants et venants s’étaient arrêtés autour d’eux. Après avoir écouté pendant quelques minutes, un jeune garçon, auquel personne n’avait pris garde, s’était détaché du groupe en courant.

    Au moment où le voyageur, après la délibération intérieure que nous venons d’indiquer, prenait la résolution de rebrousser chemin, cet enfant revenait. Il était accompagné d’une vieille femme.

    Monsieur, dit la femme, mon garçon me dit que vous avez envie de louer un cabriolet.

    Cette simple parole, prononcée par une vieille femme que conduisait un enfant, lui fit ruisseler la sueur dans les reins. Il crut voir la main qui l’avait lâché reparaître dans l’ombre derrière lui, toute prête à le reprendre.

    Il répondit :

    Oui, bonne femme, je cherche un cabriolet à louer.

    Et il se hâta d’ajouter :

    Mais il n’y en a pas dans le pays.

    Si fait, dit la vieille.

    Où ça donc ? reprit le charron.

    Chez moi, répliqua la vieille.

    Il tressaillit. La main fatale l’avait ressaisi.

    La vieille avait en effet sous un hangar une façon de carriole en osier. Le charron et le garçon d’auberge, désolés que le voyageur leur échappât, intervinrent.

    C’était une affreuse guimbarde, — cela était posé à cru sur l’essieu, — il est vrai que les banquettes étaient suspendues à l’intérieur avec des lanières de cuir, — il pleuvait dedans, — les roues étaient rouillées et rongées d’humidité, — cela n’irait pas beaucoup plus loin que le tilbury, — une vraie patache ! — Ce monsieur aurait bien tort de s’y embarquer, — etc., etc.

    Tout cela était vrai, mais cette guimbarde, cette patache, cette chose, quelle qu’elle fût, roulait sur ses deux roues et pouvait aller à Arras.

    Il paya ce qu’on voulut, laissa le tilbury à réparer chez le charron pour l’y retrouver à son retour, fit atteler le cheval blanc à la carriole, y monta, et reprit la route qu’il suivait depuis le matin.

    Au moment où la carriole s’ébranla, il s’avoua qu’il avait eu l’instant d’auparavant une certaine joie de songer qu’il n’irait point où il allait. Il examina cette joie avec une sorte de colère et la trouva absurde. Pourquoi de la joie à revenir en arrière ? Après tout, il faisait ce voyage librement. Personne ne l’y forçait.

    Et, certainement, rien n’arriverait que ce qu’il voudrait bien.

    Comme il sortait de Hesdin, il entendit une voix qui lui criait : arrêtez ! arrêtez ! Il arrêta la carriole d’un mouvement vif dans lequel il y avait encore je ne sais quoi de fébrile et de convulsif qui ressemblait à de l’espérance.

    C’était le petit garçon de la vieille.

    Monsieur, dit-il, c’est moi qui vous ai procuré la carriole.

    Eh bien ?

    Vous ne m’avez rien donné.

    Lui qui donnait à tous et si facilement, il trouva cette prétention exorbitante et presque odieuse.

    Ah ! c’est toi, drôle ? dit-il, tu n’auras rien !

    Il fouetta le cheval et repartit au grand trot.

    Il avait perdu beaucoup de temps à Hesdin, il eût voulu le rattraper. Le petit cheval était courageux et tirait comme deux ; mais on était au mois de février, il avait plu, les routes étaient mauvaises. Et puis, ce n’était plus le tilbury. La carriole était dure et très lourde. Avec cela force montées.

    Il mit près de quatre heures pour aller de Hesdin à Saint-Pol. Quatre heures pour cinq lieues.

    À Saint-Pol il détela à la première auberge venue, et fit mener le cheval à l’écurie. Comme il l’avait promis à Scaufflaire, il se tint près du râtelier pendant que le cheval mangeait. Il songeait à des choses tristes et confuses.

    La femme de l’aubergiste entre dans l’écurie.

    Est-ce que monsieur ne veut pas déjeuner ?

    Tiens, c’est vrai, dit-il, j’ai même bon appétit.

    Il suivit cette femme qui avait une figure fraîche et réjouie. Elle le conduisit dans une salle basse où il y avait des tables ayant pour nappes des toiles cirées.

    Dépêchez-vous, reprit-il, il faut que je reparte. Je suis pressé.

    Une grosse servante flamande mit son couvert en toute hâte. Il regardait cette fille avec un sentiment de bien-être.

    C’est là ce que j’avais, pensa-t-il. Je n’avais pas déjeuné.

    On le servit. Il se jeta sur le pain, mordit une bouchée, puis le reposa lentement sur la table et n’y toucha plus.

    Un roulier mangeait à une autre table. Il dit à cet homme :

    Pourquoi leur pain est-il donc si amer ?

    Le roulier était allemand et n’entendit pas.

    Il retourna dans l’écurie près du cheval.

    Une heure après, il avait quitté Saint-Pol et se dirigeait vers Tinques qui n’est qu’à cinq lieues d’Arras.

    Que faisait-il pendant ce trajet ? À quoi pensait-il ? Comme le matin, il regardait passer les arbres, les toits de chaume, les champs cultivés, et les évanouissements du paysage qui se disloque à chaque coude du chemin. C’est là une contemplation qui suffit quelquefois à l’âme et qui la dispense presque de penser. Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond ! Voyager, c’est naître et mourir à chaque instant. Peut-être, dans la région la plus vague de son esprit, faisait-il des rapprochements entre ces horizons changeants et l’existence humaine. Toutes les choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent : après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres.

    Le crépuscule tombait au moment où des enfants qui sortaient de l’école regardèrent ce voyageur entrer dans Tinques. Il est vrai qu’on était encore aux jours courts de l’année. Il ne s’arrêta pas à Tinques. Comme il débouchait du village, un cantonnier qui empierrait la route dressa la tête et dit :

    Voilà un cheval bien fatigué.

    La pauvre bête en effet n’allait plus qu’au pas.

    Est-ce que vous allez à Arras ? ajouta le cantonnier.

    Oui.

    Si vous allez de ce train, vous n’y arriverez pas de bonne heure.

    Il arrêta le cheval et demanda au cantonnier :

    Combien y a-t-il encore d’ici à Arras ?

    Près de sept grandes lieues.

    Comment cela ? le livre de poste ne marque que cinq lieues et un quart.

    Ah ! reprit le cantonnier, vous ne savez donc pas que la route est en réparation ? Vous allez la trouver coupée à un quart d’heure d’ici. Pas moyen d’aller plus loin.

    Vraiment ?

    Vous prendrez à gauche, le chemin qui va à Carency, vous passerez la rivière ; et, quand vous serez à Camblin, vous tournerez à droite ; c’est la route de Mont-Saint-Éloy qui va à Arras.

    Mais voilà la nuit, je me perdrai.

    Vous n’êtes pas du pays ?

    Non.

    Avec ça, c’est tout chemins de traverse. Tenez, Monsieur, reprit le cantonnier, voulez-vous que je vous donne un conseil ? Votre cheval est las, rentrez dans Tinques. Il y a une bonne auberge. Couchez-y. Vous irez demain à Arras.

    Il faut que j’y sois ce soir.

    C’est différent. Alors allez tout de même à cette auberge et prenez-y un cheval de renfort. Le garçon du cheval vous guidera dans la traverse.

    Il suivit le conseil du cantonnier, rebroussa chemin, et une demi-heure après il repassait au même endroit, mais au grand trot, avec un bon cheval de renfort. Un garçon d’écurie qui s’intitulait postillon était assis sur le brancard de la carriole.

    Cependant il sentait qu’il perdait du temps.

    Il faisait tout à fait nuit.

    Ils s’engagèrent dans la traverse. La route devint affreuse. La carriole tombait d’une ornière dans l’autre. Il dit au postillon :

    Toujours au trot, et double pourboire.

    Dans un cahot le palonnier cassa.

    Monsieur, dit le postillon, voilà le palonnier cassé, je ne sais plus comment atteler mon cheval, cette route-ci est bien mauvaise la nuit ; si vous vouliez revenir coucher à Tinques, nous pourrions être demain matin de bonne heure à Arras.

    Il répondit : — As-tu un bout de corde et un couteau ?

    Oui, monsieur.

    Il coupa une branche d’arbre et en fit un palonnier.

    Ce fut encore une perte de vingt minutes ; mais ils repartirent au galop.

    La plaine était ténébreuse. Des brouillards bas, courts et noirs rampaient sur les collines et s’en arrachaient comme des fumées. Il y avait des lueurs blanchâtres dans les nuages. Un grand vent qui venait de la mer faisait dans tous les coins de l’horizon le bruit de quelqu’un qui remue des meubles. Tout ce qu’on entrevoyait avait des attitudes de terreur. Que de choses frissonnent sous ces vastes souffles de la nuit !

    Le froid le pénétrait. Il n’avait pas mangé depuis la veille. Il se rappelait vaguement son autre course nocturne dans la grande plaine aux environs de Digne. Il y avait huit ans ; et cela lui semblait hier.

    Une heure sonna à quelque clocher lointain. Il demanda au garçon :

    Quelle est cette heure ?

    Sept heures, monsieur. Nous serons à Arras à huit. Nous n’avons plus que trois lieues.

    En ce moment il fit pour la première fois cette réflexion — en trouvant étrange qu’elle ne lui fût pas venue plus tôt : — que c’était peut-être inutile, toute la peine qu’il prenait ; qu’il ne savait seulement pas l’heure du procès ; qu’il aurait dû au moins s’en informer ; qu’il était extravagant d’aller ainsi devant soi sans savoir si cela servirait à quelque chose. — Puis il ébaucha quelques calculs dans son esprit : — qu’ordinairement les séances des cours d’assises commençaient à neuf heures du matin ; — que cela ne devait pas être long, cette affaire-là ; — que le vol de pommes, ce serait très court ; — qu’il n’y aurait plus ensuite qu’une question d’identité ; — quatre ou cinq dépositions, peu de chose à dire pour les avocats ; — qu’il allait arriver lorsque tout serait fini !

    Le postillon fouettait les chevaux. Ils avaient passé la rivière et laissé derrière eux Mont-Saint-Éloy.

    La nuit devenait de plus en plus profonde.


     

    VI

    LA SŒUR SIMPLICE MISE À L’ÉPREUVE


     

    Cependant, en ce moment-là même, Fantine était dans la joie.

    Elle avait passé une très mauvaise nuit. Toux affreuse, redoublement de fièvre ; elle avait eu des songes. Le matin, à la visite du médecin, elle délirait. Il avait eu l’air alarmé et avait recommandé qu’on le prévînt dès que M. Madeleine viendrait.

    Toute la matinée elle fut morne, parla peu, et fit des plis à ses draps en murmurant à voix basse des calculs qui avaient l’air d’être des calculs de distances. Ses yeux étaient caves et fixes. Ils paraissaient presque éteints, et puis, par moments, ils se rallumaient et resplendissaient comme des étoiles. Il semble qu’aux approches d’une certaine heure sombre, la clarté du ciel emplisse ceux que quitte la clarté de la terre.

    Chaque fois que la sœur Simplice lui demandait comment elle se trouvait, elle répondait invariablement : — Bien. Je voudrais voir monsieur Madeleine.

    Quelques mois auparavant, à ce moment où Fantine venait de perdre sa dernière pudeur, sa dernière honte et sa dernière joie, elle était l’ombre d’elle-même ; maintenant elle en était le spectre. Le mal physique avait complété l’œuvre du mal moral. Cette créature de vingt-cinq ans avait le front ridé, les joues flasques, les narines pincées, les dents déchaussées, le teint plombé, le cou osseux, les clavicules saillantes, les membres chétifs, la peau terreuse, et ses cheveux blonds poussaient mêlés de cheveux gris. Hélas ! comme la maladie improvise la vieillesse !

    À midi, le médecin revint, il fit quelques prescriptions, s’informa si M. le maire avait paru à l’infirmerie, et branla la tête.

    M. Madeleine venait d’habitude à trois heures voir la malade. Comme l’exactitude était de la bonté, il était exact.

    Vers deux heures et demie, Fantine commença à s’agiter. Dans l’espace de vingt minutes, elle demanda plus de dix fois à la religieuse : — Ma sœur, quelle heure est-il ?

    Trois heures sonnèrent. Au troisième coup, Fantine se dressa sur son séant, elle qui d’ordinaire pouvait à peine remuer dans son lit ; elle joignit dans une sorte d’étreinte convulsive ses deux mains décharnées et jaunes, et la religieuse entendit sortir de sa poitrine un de ces soupirs profonds qui semblent soulever un accablement. Puis Fantine se tourna et regarda la porte.

    Personne n’entra ; la porte ne s’ouvrit point.

    Elle resta ainsi un quart d’heure, l’œil attaché sur la porte, immobile et comme retenant son haleine. La sœur n’osait lui parler. L’église sonna trois heures un quart. Fantine se laissa retomber sur l’oreiller.

    Elle ne dit rien et se remit à faire des plis à son drap.

    La demi-heure passa, puis l’heure. Personne ne vint. Chaque fois que l’horloge sonnait, Fantine se dressait et regardait du côté de la porte, puis elle retombait.

    On voyait clairement sa pensée, mais elle ne prononçait aucun nom, elle ne se plaignait pas, elle n’accusait pas. Seulement elle toussait d’une façon lugubre. On eût dit que quelque chose d’obscur s’abaissait sur elle. Elle était livide et avait les lèvres bleues. Elle souriait par moments.

    Cinq heures sonnèrent. Alors la sœur l’entendit qui disait très bas et doucement : — Mais puisque je m’en vais demain, il a tort de ne pas venir aujourd’hui !

    La sœur Simplice elle-même était surprise du retard de M. Madeleine.

    Cependant Fantine regardait le ciel de son lit. Elle avait l’air de chercher à se rappeler quelque chose. Tout à coup elle se mit à chanter d’une voix faible comme un souffle. La religieuse écouta. Voici ce que Fantine chantait :

     


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    La vierge Marie auprès de mon poêle
    Est venue hier en manteau brodé,
    Et m’a dit : — Voici, caché sous mon voile,
    Le petit qu’un jour tu m’as demandé. —
    Courez à la ville, ayez de la toile,
    Achetez du fil, achetez un dé.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.


    Bonne sainte Vierge, auprès de mon poêle
    J’ai mis un berceau de rubans orné.
    Dieu me donnerait sa plus belle étoile,
    J’aime mieux l’enfant que tu m’as donné.
    — Madame, que faire avec cette toile ?
    — Faites un trousseau pour mon nouveau-né.


    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.


    — Lavez cette toile. — Où ? — Dans la rivière.
    Faites-en, sans rien gâter ni salir,
    Une belle jupe avec sa brassière
    Que je veux broder et de fleurs emplir.
    — L’enfant n’est plus là, madame, qu’en faire ?
    — Faites-en un drap pour m’ensevelir.


    Nous achèterons de bien belles choses
    En nous promenant le long des faubourgs.
    Les bleuets sont bleus, les roses sont roses,
    Les bleuets sont bleus, j’aime mes amours.

     

    Cette chanson était une vieille romance de berceuse avec laquelle autrefois elle endormait sa petite Cosette, et qui ne s’était pas offerte à son esprit depuis cinq ans qu’elle n’avait plus son enfant. Elle chantait cela d’une voix si triste et sur un air si doux que c’était à faire pleurer, même une religieuse. La sœur, habituée aux choses austères, sentit une larme lui venir.

    L’horloge sonna six heures. Fantine ne parut pas entendre. Elle semblait ne plus faire attention à aucune chose autour d’elle.

    La sœur Simplice envoya une fille de service s’informer près de la portière de la fabrique si M. le maire était rentré et s’il ne monterait pas bientôt à l’infirmerie. La fille revint au bout de quelques minutes.

    Fantine était toujours immobile et paraissait attentive à des idées qu’elle avait.

    La servante raconta très bas à la sœur Simplice que M. le maire était parti le matin même avant six heures dans un petit tilbury attelé d’un cheval blanc, par le froid qu’il faisait, qu’il était parti seul, pas même de cocher, qu’on ne savait pas le chemin qu’il avait pris, que des personnes disaient l’avoir vu tourner par la route d’Arras, que d’autres assuraient l’avoir rencontré sur la route de Paris. Qu’en s’en allant il avait été comme à l’ordinaire très doux, et qu’il avait seulement dit à la portière qu’on ne l’attendît pas cette nuit.

    Pendant que les deux femmes, le dos tourné au lit de la Fantine, chuchotaient, la sœur questionnant, la servante conjecturant, la Fantine, avec cette vivacité fébrile de certaines maladies organiques qui mêle les mouvements libres de la santé à l’effrayante maigreur de la mort, s’était mise à genoux sur son lit, ses deux poings crispés appuyés sur le traversin, et, la tête passée par l’intervalle des rideaux, elle écoutait. Tout à coup elle cria :

    Vous parlez là de monsieur Madeleine ! pourquoi parlez-vous tout bas ? Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi ne vient-il pas ?

    Sa voix était si brusque et si rauque que les deux femmes crurent entendre une voix d’homme ; elles se retournèrent effrayées.

    Répondez donc ! cria Fantine.

    La servante balbutia :

    La portière m’a dit qu’il ne pourrait pas venir aujourd’hui.

    Mon enfant, dit la sœur, tenez-vous tranquille, recouchez-vous.

    Fantine, sans changer d’attitude, reprit d’une voix haute et avec un accent tout à la fois impérieux et déchirant :

    Il ne pourra venir... Pourquoi cela ? Vous savez la raison. Vous la chuchotiez là entre vous. Je veux le savoir.

    La servante se hâta de dire à l’oreille de la religieuse :

    Répondez qu’il est occupé au conseil municipal.

    La sœur Simplice rougit légèrement ; c’était un mensonge que la servante lui proposait. D’un autre côté il lui semblait bien que dire la vérité à la malade ce serait sans doute lui porter un coup terrible et que cela était grave dans l’état où était Fantine. Cette rougeur dura peu. La sœur leva sur Fantine son œil calme et triste, et dit :

    Monsieur le maire est parti.

    Fantine se redressa et s’assit sur ses talons. Ses yeux étincelèrent. Une joie inouïe rayonna sur cette physionomie douloureuse.

    Parti ! s’écria-t-elle. Il est allé chercher Cosette !

    Puis elle tendit ses deux mains vers le ciel et tout son visage devint ineffable. Ses lèvres remuaient ; elle priait à voix basse.

    Quand sa prière fut finie : — Ma sœur, dit-elle, je veux bien me recoucher, je vais faire tout ce qu’on voudra ; tout à l’heure j’ai été méchante, je vous demande pardon d’avoir parlé si haut, c’est très mal de parler haut, je le sais bien, ma bonne sœur ; mais voyez-vous, je suis très contente. Le bon Dieu est bon, monsieur Madeleine est bon, figurez-vous qu’il est allé chercher ma petite Cosette à Montfermeil.

    Elle se recoucha, aida la religieuse à arranger l’oreiller et baisa une petite croix d’argent qu’elle avait au cou et que la sœur Simplice lui avait donnée.

    Mon enfant, dit la sœur, tâchez de reposer maintenant, et ne parlez plus.

    Fantine prit dans ses mains moites la main de la sœur, qui souffrait de lui sentir cette sueur.

    Il est parti ce matin pour aller à Paris. Au fait il n’a pas même besoin de passer par Paris. Montfermeil, c’est un peu à gauche en venant. Vous rappelez-vous comme il me disait hier quand je lui parlais de Cosette : bientôt, bientôt ! C’est une surprise qu’il veut me faire. Vous savez ? il m’avait fait signer une lettre pour la reprendre aux Thénardier. Ils n’auront rien à dire, pas vrai ? Ils rendront Cosette. Puisqu’ils sont payés. Les autorités ne souffriraient pas qu’on garde un enfant quand on est payé. Ma sœur, ne me faites pas signe qu’il ne faut pas que je parle. Je suis extrêmement heureuse, je vais très bien, je n’ai plus de mal du tout, je vais revoir Cosette, j’ai même très faim. Il y a près de cinq ans que je ne l’ai vue. Vous ne vous figurez pas, vous, comme cela vous tient, les enfants ! Et puis elle sera si gentille, vous verrez ! Si vous saviez, elle a de si jolis petits doigts roses ! D’abord elle aura de très belles mains. À un an, elle avait des mains ridicules. Ainsi ! — Elle doit être grande à présent. Cela vous a sept ans. C’est une demoiselle. Je l’appelle Cosette, mais elle s’appelle Euphrasie. Tenez, ce matin, je regardais de la poussière qui était sur la cheminée et j’avais bien l’idée comme cela que je reverrais bientôt Cosette. Mon Dieu ! comme on a tort d’être des années sans voir ses enfants ! on devrait bien réfléchir que la vie n’est pas éternelle ! Oh ! comme il est bon d’être parti, monsieur le maire ! C’est vrai ça qu’il fait bien froid ? avait-il son manteau au moins ? Il sera ici demain, n’est-ce pas ? Ce sera demain fête. Demain matin, ma sœur, vous me ferez penser à mettre mon petit bonnet qui a de la dentelle. Montfermeil, c’est un pays. J’ai fait cette route-là, à pied, dans le temps. Il y a eu bien loin pour moi. Mais les diligences vont très vite ! Il sera ici demain avec Cosette. Combien y a-t-il d’ici Montfermeil ?

    La sœur, qui n’avait aucune idée des distances, répondit :

    Oh ! je crois bien qu’il pourra être ici demain.

    Demain ! demain ! dit Fantine, je verrai Cosette demain ! Voyez-vous, bonne sœur du bon Dieu, je ne suis plus malade. Je suis folle. Je danserais, si on voulait.

    Quelqu’un qui l’eût vue un quart d’heure auparavant n’y eût rien compris. Elle était maintenant toute rose, elle parlait d’une voix vive et naturelle, toute sa figure n’était qu’un sourire. Par moments elle riait en se parlant tout bas. Joie de mère, c’est presque joie d’enfant.

    Eh bien, reprit la religieuse, vous voilà heureuse, obéissez-moi, ne parlez plus.

    Fantine posa sa tête sur l’oreiller et dit à demi-voix : — Oui, recouche-toi, sois sage puisque tu vas avoir ton enfant. Elle a raison, sœur Simplice. Tous ceux qui sont ici ont raison.

    Et puis, sans bouger, sans remuer la tête, elle se mit à regarder partout avec ses yeux tout grands ouverts et un air joyeux, et elle ne dit plus rien.

    La sœur referma ses rideaux, espérant qu’elle s’assoupirait.

    Entre sept et huit heures le médecin vint. N’entendant aucun bruit, il crut que Fantine dormait, entra doucement et s’approcha du lit sur la pointe du pied. Il entr’ouvrit les rideaux, et à la lueur de la veilleuse il vit les grands yeux calmes de Fantine qui le regardaient.

    Elle lui dit : — Monsieur, n’est-ce pas, on me laissera la coucher à côté de moi dans un petit lit ?

    Le médecin crut qu’elle délirait. Elle ajouta :

    Regardez plutôt, il y a juste de la place.

    Le médecin prit à part la sœur Simplice qui lui expliqua la chose, que M. Madeleine était absent pour un jour ou deux, et que, dans le doute, on n’avait pas cru devoir détromper la malade qui croyait monsieur le maire parti pour Montfermeil ; qu’il était possible en somme qu’elle eût deviné juste. Le médecin approuva.

    Il se rapprocha du lit de Fantine, qui reprit :

    C’est que, voyez-vous, le matin, quand elle s’éveillera, je lui dirai bonjour à ce pauvre chat, et la nuit, moi qui ne dors pas, je l’entendrai dormir. Sa petite respiration si douce, cela me fera du bien.

    Donnez-moi votre main, dit le médecin.

    Elle tendit son bras, et s’écria en riant :

    Ah ! tiens ! au fait, c’est vrai, vous ne savez pas ! c’est que je suis guérie. Cosette arrive demain.

    Le médecin fut surpris. Elle était mieux. L’oppression était moindre. Le pouls avait repris de la force. Une sorte de vie survenue tout à coup ranimait ce pauvre être épuisé.

    Monsieur le docteur, reprit-elle, la sœur vous a-t-elle dit que monsieur le maire était allé chercher le chiffon ?

    Le médecin recommanda le silence et qu’on évitât toute émotion pénible. Il prescrivit une infusion de quinquina pur, et, pour le cas où la fièvre reprendrait dans la nuit, une potion calmante. En s’en allant, il dit à la sœur : — Cela va mieux. Si le bonheur voulait qu’en effet monsieur le maire arrivât demain avec l’enfant, qui sait ? il y a des crises si étonnantes, on a vu de grandes joies arrêter court des maladies ; je sais bien que celle-ci est une maladie organique, et bien avancée, mais c’est un tel mystère que tout cela ! Nous la sauverions peut-être.


     

    VII

    LE VOYAGEUR ARRIVÉ PREND SES PRÉCAUTIONS POUR REPARTIR


     

    Il était près de huit heures du soir quand la carriole que nous avons laissée en route entra sous la porte cochère de l’hôtel de la Poste à Arras. L’homme que nous avons suivi jusqu’à ce moment en descendit, répondit d’un air distrait aux empressements des gens de l’auberge, renvoya le cheval de renfort, et conduisit lui-même le petit cheval blanc à l’écurie ; puis il poussa la porte d’une salle de billard qui était au rez-de-chaussée, s’y assit, et s’accouda sur une table. Il avait mis quatorze heures à ce trajet qu’il comptait faire en six. Il se rendait la justice que ce n’était pas sa faute ; mais au fond il n’en était pas fâché.

    La maîtresse de l’hôtel entra.

    Monsieur couche-t-il ? monsieur soupe-t-il ?

    Il fit un signe de tête négatif.

    Le garçon d’écurie dit que le cheval de monsieur est bien fatigué !

    Ici il rompit le silence.

    Est-ce que le cheval ne pourra pas repartir demain matin ?

    Oh ! monsieur ! il lui faut au moins deux jours de repos.

    Il demanda :

    N’est-ce pas ici le bureau de poste ?

    Oui, monsieur.

    L’hôtesse le mena à ce bureau ; il montra son passeport et s’informa s’il y avait moyen de revenir cette nuit même à Montreuil-sur-mer par la malle ; la place à côté du courrier était justement vacante ; il la retint et la paya. — Monsieur, dit le buraliste, ne manquez pas d’être ici pour partir à une heure précise du matin.

    Cela fait, il sortit de l’hôtel et se mit à marcher dans la ville.

    Il ne connaissait pas Arras, les rues étaient obscures, et il allait au hasard. Cependant il semblait s’obstiner à ne pas demander son chemin aux passants. Il traversa la petite rivière Crinchon et se trouva dans un dédale de ruelles étroites où il se perdit. Un bourgeois cheminait avec un falot. Après quelque hésitation, il prit le parti de s’adresser à ce bourgeois, non sans avoir d’abord regardé devant et derrière lui, comme s’il craignait que quelqu’un n’entendît la question qu’il allait faire.

    Monsieur, dit-il, le palais de justice, s’il vous plaît ?

    Vous n’êtes pas de la ville, monsieur ? répondit le bourgeois qui était un assez vieux homme, eh bien, suivez-moi. Je vais précisément du côté du palais de justice, c’est-à-dire du côté de l’hôtel de la préfecture. Car on répare en ce moment le palais, et provisoirement les tribunaux ont leurs audiences à la préfecture.

    Est-ce là, demanda-t-il, qu’on tient les assises ?

    Sans doute, monsieur. Voyez-vous, ce qui est la préfecture aujourd’hui était l’évêché avant la révolution. Monsieur de Conzié, qui était évêque en quatre-vingt-deux, y a fait bâtir une grande salle. C’est dans cette grande salle qu’on juge.

    Chemin faisant, le bourgeois lui dit :

    Si c’est un procès que monsieur veut voir, il est un peu tard. Ordinairement les séances finissent à six heures.

    Cependant, comme ils arrivaient sur la grande place, le bourgeois lui montra quatre longues fenêtres éclairées sur la façade d’un vaste bâtiment ténébreux.

    Ma foi, monsieur, vous arrivez à temps, vous avez du bonheur. Voyez-vous ces quatre fenêtres ? c’est la cour d’assises. Il y a de la lumière. Donc ce n’est pas fini. L’affaire aura traîné en longueur et on fait une audience du soir. Vous vous intéressez à cette affaire ? Est-ce que c’est un procès criminel ? Est-ce que vous êtes témoin ?

    Il répondit :

    Je ne viens pour aucune affaire, j’ai seulement à parler à un avocat.

    C’est différent, dit le bourgeois. Tenez, monsieur, voici la porte. Où est le factionnaire. Vous n’aurez qu’à monter le grand escalier.

    Il se conforma aux indications du bourgeois, et, quelques minutes après, il était dans une salle où il y avait beaucoup de monde et où des groupes mêlés d’avocats en robe chuchotaient çà et là.

    C’est toujours une chose qui serre le cœur de voir ces attroupements d’hommes vêtus de noir qui murmurent entre eux à voix basse sur le seuil des chambres de justice. Il est rare que la charité et la pitié sortent de toutes ces paroles. Ce qui en sort le plus souvent, ce sont des condamnations faites d’avance. Tous ces groupes semblent à l’observateur qui passe et qui rêve autant de ruches sombres où des esprits bourdonnants construisent en commun toutes sortes d’édifices ténébreux.

    Cette salle, spacieuse et éclairée d’une seule lampe, était une ancienne salle de l’évêché et servait de salle des pas perdus. Une porte à deux battants, fermée en ce moment, la séparait de la grande chambre où siégeait la cour d’assises.

    L’obscurité était telle qu’il ne craignit pas de s’adresser au premier avocat qu’il rencontra.

    Monsieur, dit-il, où en est-on ?

    C’est fini, dit l’avocat.

    Fini !

    Ce mot fut répété d’un tel accent que l’avocat se retourna.

    Pardon, monsieur, vous êtes peut-être un parent ?

    Non, Je ne connais personne ici. Et y a-t-il eu condamnation ?

    Sans doute. Cela n’était guère possible autrement.

    Aux travaux forcés ?...

    À perpétuité.

    Il reprit d’une voix tellement faible qu’on l’entendait à peine :

    L’identité a donc été constatée ?

    Quelle identité ? répondit l’avocat. Il n’y avait pas d’identité à constater. L’affaire était simple. Cette femme avait tué son enfant, l’infanticide a été prouvé, le jury a écarté la préméditation, on l’a condamnée à vie.

    C’est donc une femme ? dit-il.

    Mais sûrement. La fille Limosin. De quoi me parlez-vous donc ?

    De rien. Mais puisque c’est fini, comment se fait-il que la salle soit encore éclairée ?

    C’est pour l’autre affaire qu’on a commencée il y a à peu près deux heures.

    Quelle autre affaire ?

    Oh ! celle-là est claire aussi. C’est une espèce de gueux, un récidiviste, un galérien, qui a volé. Je ne sais plus trop son nom. En voilà un qui vous a une mine de bandit. Rien que pour avoir cette figure-là, je l’enverrais aux galères.

    Monsieur, demanda-t-il, y a-t-il moyen de pénétrer dans la salle ?

    Je ne crois vraiment pas. Il y a beaucoup de foule. Cependant l’audience est suspendue. Il y a des gens qui sont sortis, et, à la reprise de l’audience, vous pourrez essayer.

    Par où entre-t-on ?

    Par cette grande porte.

    L’avocat le quitta. En quelques instants, il avait éprouvé, presque en même temps, presque mêlées, toutes les émotions possibles. Les paroles de cet indifférent lui avaient tour à tour traversé le cœur comme des aiguilles de glace et comme des lames de feu. Quand il vit que rien n’était terminé, il respira ; mais il n’eût pu dire si ce qu’il ressentait était du contentement ou de la douleur.

    Il s’approcha de plusieurs groupes et il écouta ce qu’on disait. Le rôle de la session étant très chargé, le président avait indiqué pour ce même jour deux affaires simples et courtes. On avait commencé par l’infanticide, et maintenant on en était au forçat, au récidiviste, au « cheval de retour ». Cet homme avait volé des pommes, mais cela ne paraissait pas bien prouvé ; ce qui était prouvé, c’est qu’il avait été déjà aux galères à Toulon. C’est ce qui faisait son affaire mauvaise. Du reste, l’interrogatoire de l’homme était terminé et les dépositions des témoins ; mais il y avait encore les plaidoiries de l’avocat et le réquisitoire du ministère public ; cela ne devait guère finir avant minuit. L’homme serait probablement condamné ; l’avocat général était très bon, — et ne manquait pas ses accusés ; — c’était un garçon d’esprit qui faisait des vers.

    Un huissier se tenait debout près de la porte qui communiquait avec la salle des assises. Il demanda à cet huissier :

    Monsieur, la porte va-t-elle bientôt s’ouvrir ?

    Elle ne s’ouvrira pas, dit l’huissier.

    Comment ! on ne l’ouvrira pas à la reprise de l’audience ? est-ce que l’audience n’est pas suspendue ?

    L’audience vient d’être reprise, répondit l’huissier, mais la porte ne se rouvrira pas.

    Pourquoi ?

    Parce que la salle est pleine.

    Quoi ! il n’y a plus une place ?

    Plus une seule. La porte est fermée. Personne ne peut plus entrer.

    L’huissier ajouta après un silence : — Il y a bien encore deux ou trois places derrière monsieur le président, mais monsieur le président n’y admet que les fonctionnaires publics.

    Cela dit, l’huissier lui tourna le dos.

    Il se retira la tête baissée, traversa l’antichambre et redescendit l’escalier lentement, comme hésitant à chaque marche. Il est probable qu’il tenait conseil avec lui-même. Le violent combat qui se livrait en lui depuis la veille n’était pas fini ; et, à chaque instant, il en traversait quelque nouvelle péripétie. Arrivé sur le palier de l’escalier, il s’adossa à la rampe et croisa les bras. Tout à coup il ouvrit sa redingote, prit son portefeuille, en tira un crayon, déchira une feuille, et écrivit rapidement sur cette feuille à la lueur du réverbère cette ligne : — M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer. Puis il remonta l’escalier à grands pas, fendit la foule, marcha droit à l’huissier, lui remit le papier, et lui dit avec autorité : — Portez ceci à monsieur le président.

    L’huissier prit le papier, y jeta un coup d’œil et obéit.


     

    VIII

    ENTRÉE DE FAVEUR


     

    Sans qu’il s’en doutât, le maire de Montreuil-sur-Mer avait une sorte de célébrité. Depuis sept ans que sa réputation de vertu remplissait tout le bas Boulonnais, elle avait fini par franchir les limites d’un petit pays et s’était répandue dans les deux ou trois départements voisins. Outre le service considérable qu’il avait rendu au chef-lieu en y restaurant l’industrie des verroteries noires, il n’était pas une des cent quarante et une communes de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer qui ne lui dût quelque bienfait. Il avait su même au besoin aider et féconder les industries des autres arrondissements. C’est ainsi qu’il avait dans l’occasion soutenu de son crédit et de ses fonds la fabrique de tulle de Boulogne, la filature de lin à la mécanique de Frévent et la manufacture hydraulique de toiles de Boubers-sur-Canche. Partout on prononçait avec vénération le nom de M. Madeleine. Arras et Douai enviaient son maire à l’heureuse petite ville de Montreuil-sur-Mer.

    Le conseiller à la cour royale de Douai, qui présidait cette session des assises à Arras, connaissait comme tout le monde ce nom si profondément et si universellement honoré. Quand l’huissier, ouvrant discrètement la porte qui communiquait de la chambre du conseil à l’audience, se pencha derrière le fauteuil du président et lui remit le papier où était écrite la ligne qu’on vient de lire, en ajoutant : Ce monsieur désire assister à l’audience, le président fit un vif mouvement de déférence, saisit une plume, écrivit quelques mots au bas du papier, et le rendit à l’huissier en lui disant :

    Faites entrer.

    L’homme malheureux dont nous racontons l’histoire était resté près de la porte de la salle à la même place et dans la même attitude où l’huissier l’avait quitté. Il entendit, à travers sa rêverie, quelqu’un qui lui disait : Monsieur veut-il bien me faire l’honneur de me suivre ? C’était ce même huissier qui lui avait tourné le dos l’instant d’auparavant et qui maintenant le saluait jusqu’à terre. L’huissier en même temps lui remit le papier. Il le déplia, et, comme il se rencontrait qu’il était près de la lampe, il put lire :

    « Le président de la cour d’assises présente son respect à M. Madeleine. »

    Il froissa le papier entre ses mains, comme si ces quelques mots eussent eu pour lui un arrière-goût étrange et amer.

    Il suivit l’huissier.

    Quelques minutes après, il se trouvait seul dans une espèce de cabinet lambrissé, d’un aspect sévère, éclairé par deux bougies posées sur un tapis vert. Il avait encore dans l’oreille les dernières paroles de l’huissier qui venait de le quitter : « Monsieur, vous voici dans la chambre du conseil ; vous n’avez qu’à tourner le bouton de cuivre de cette porte, et vous vous trouverez dans l’audience derrière le fauteuil de monsieur le président. » — Ces paroles se mêlaient dans sa pensée à un souvenir vague de corridors étroits et d’escaliers noirs qu’il venait de parcourir.

    L’huissier l’avait laissé seul. Le moment suprême était arrivé. Il cherchait à se recueillir sans pouvoir y parvenir. C’est surtout aux heures où l’on aurait le plus besoin de les rattacher aux réalités poignantes de la vie que tous les fils de la pensée se rompent dans le cerveau. Il était dans l’endroit même où les juges délibèrent et condamnent. Il regardait avec une tranquillité stupide cette chambre paisible et redoutable où tant d’existences avaient été brisées, où son nom allait retentir tout à l’heure, et que sa destinée traversait en ce moment. Il regardait la muraille, puis il se regardait lui-même, s’étonnant que ce fût cette chambre et que ce fût lui.

    Il n’avait pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, il était brisé par les cahots de la carriole, mais il ne le sentait pas ; il lui semblait qu’il ne sentait rien.

    Il s’approcha d’un cadre noir qui était accroché au mur et qui contenait sous verre une vieille lettre autographe de Jean-Nicolas Pache, maire de Paris et ministre, datée sans doute par erreur du 9 juin an II, et dans laquelle Pache envoyait à la commune la liste des ministres et des députés tenus en arrestation chez eux. Un témoin qui l’eût pu voir et qui l’eût observé en cet instant eût sans doute imaginé que cette lettre lui paraissait bien curieuse, car il n’en détachait pas ses yeux, et il la lut deux ou trois fois. Il la lisait sans y faire attention et à son insu. Il pensait à Fantine et à Cosette.

    Tout en rêvant, il se retourna, et ses yeux rencontrèrent le bouton de cuivre de la porte qui le séparait de la salle des assises. Il avait presque oublié cette porte. Son regard, d’abord calme, s’y arrêta, resta attaché à ce bouton de cuivre, puis devint effaré et fixe, et s’empreignit peu à peu d’épouvante. Des gouttes de sueur lui sortaient d’entre les cheveux et ruisselaient sur ses tempes.

    À un certain moment, il fit avec une sorte d’autorité mêlée de rébellion ce geste indescriptible qui veut dire et qui dit si bien : Pardieu ! qui est-ce qui m’y force ? Puis il se tourna vivement, vit devant lui la porte par laquelle il était entré, y alla, l’ouvrit, et sortit. Il n’était plus dans cette chambre, il était dehors, dans un corridor, un corridor long, étroit, coupé de degrés et de guichets, faisant toutes sortes d’angles, éclairé çà et là de réverbères pareils à des veilleuses de malades, le corridor par où il était venu. Il respira, il écouta, aucun bruit derrière lui, aucun bruit devant lui ; il se mit à fuir comme si on le poursuivait.

    Quand il eut doublé plusieurs des coudes de ce couloir, il écouta encore. C’était toujours le même silence et la même ombre autour de lui. Il était essoufflé, il chancelait, il s’appuya au mur. La pierre était froide, sa sueur était glacée sur son front, il se redressa en frissonnant.

    Alors, là, seul, debout dans cette obscurité, tremblant de froid et d’autre chose peut-être, il songea. Il avait songé toute la nuit, il avait songé toute la journée ; il n’entendait plus en lui qu’une voix qui disait : hélas !

    Un quart d’heure s’écoula ainsi. Enfin, il pencha la tête, soupira avec angoisse, laissa pendre ses bras, et revint sur ses pas. Il marchait lentement et comme accablé. Il semblait que quelqu’un l’eût atteint dans sa fuite et le ramenât.

    Il rentra dans la chambre du conseil. La première chose qu’il aperçut, ce fut la gâchette de la porte. Cette gâchette, ronde et en cuivre poli, resplendissait pour lui comme une effroyable étoile. Il la regardait comme une brebis regarderait l’œil d’un tigre.

    Ses yeux ne pouvaient s’en détacher.

    De temps en temps il faisait un pas et se rapprochait de la porte.

    S’il eût écouté, il eût entendu, comme une sorte de murmure confus, le bruit de la salle voisine ; mais il n’écoutait pas, il n’entendait pas.

    Tout à coup, sans qu’il sût lui-même comment, il se trouva près de la porte. Il saisit convulsivement le bouton ; la porte s’ouvrit.

    Il était dans la salle d’audience.


     

    IX

    UN LIEU OÙ DES CONVICTIONS SONT EN TRAIN DE SE FORMER


     

    Il fit un pas, referma machinalement la porte derrière lui, et resta debout, considérant ce qu’il voyait.

    C’était une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de rumeur, tantôt pleine de silence, où tout l’appareil d’un procès criminel se développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule.

    À un bout de la salle, celui où il se trouvait, des juges à l’air distrait, en robe usée, se rongeant les ongles ou fermant les paupières ; à l’autre bout, une foule en haillons ; des avocats dans toutes sortes d’attitudes ; des soldats au visage honnête et dur ; de vieilles boiseries tachées, un plafond sale, des tables couvertes d’une serge plutôt jaune que verte, des portes noircies par les mains ; à des clous plantés dans le lambris, des quinquets d’estaminet donnant plus de fumée que de clarté ; sur les tables, des chandelles dans des chandeliers de cuivre ; l’obscurité, la laideur, la tristesse ; et de tout cela se dégageait une impression austère et auguste, car on y sentait cette grande chose humaine qu’on appelle la loi et cette grande chose divine qu’on appelle la justice.

    Personne dans cette foule ne fit attention à lui. Tous les regards convergeaient vers un point unique, un banc de bois adossé à une petite porte, le long de la muraille, à gauche du président. Sur ce banc, que plusieurs chandelles éclairaient, il y avait un homme entre deux gendarmes.

    Cet homme, c’était l’homme.

    Il ne le chercha pas, il le vit. Ses yeux allèrent là naturellement, comme s’ils avaient su d’avance où était cette figure.

    Il crut se voir lui-même, vieilli ; non pas sans doute absolument semblable de visage, mais tout pareil d’attitude et d’aspect ; avec ces cheveux hérissés, avec cette prunelle fauve et inquiète, avec cette blouse, tel qu’il était le jour où il entrait à Digne, plein de haine et cachant dans son âme ce hideux trésor de pensées affreuses qu’il avait mis dix-neuf ans à ramasser sur le pavé du bagne.

    Il se dit avec un frémissement : — Mon Dieu ! est-ce que je redeviendrai ainsi ?

    Cet être paraissait au moins soixante ans. Il avait je ne sais quoi de rude, de stupide et d’effarouché.

    Au bruit de la porte, on s’était rangé pour lui faire place, le président avait tourné la tête, et comprenant que le personnage qui venait d’entrer était M. le maire de Montreuil-sur-Mer, il l’avait salué. L’avocat général, qui avait vu M. Madeleine à Montreuil-sur-Mer où des opérations de son ministère l’avaient plus d’une fois appelé, le reconnut, et salua également. Lui s’en aperçut à peine. Il était en proie à une sorte d’hallucination ; il regardait.

    Des juges, un greffier, des gendarmes, une foule de têtes cruellement curieuses, il avait déjà vu cela une fois, autrefois, il y avait vingt-sept ans. Ces choses funestes, il les retrouvait ; elles étaient là, elles remuaient, elles existaient. Ce n’était plus un effort de sa mémoire, un mirage de sa pensée, c’étaient de vrais gendarmes et de vrais juges, une vraie foule et de vrais hommes en chair et en os. C’en était fait, il voyait reparaître et revivre autour de lui, avec tout ce que la réalité a de formidable, les aspects monstrueux de son passé.

    Tout cela était béant devant lui.

    Il en eut horreur, il ferma les yeux, et s’écria au plus profond de son âme : jamais !

    Et par un jeu tragique de la destinée qui faisait trembler toutes ses idées et le rendait presque fou, c’était un autre lui-même qui était là ! Cet homme qu’on jugeait, tous l’appelaient Jean Valjean !

    Il avait sous les yeux, vision inouïe, une sorte de représentation du moment le plus horrible de sa vie, jouée par son fantôme.

    Tout y était, c’était le même appareil, la même heure de nuit, presque les mêmes faces de juges, de soldats et de spectateurs. Seulement, au-dessus de la tête du président, il y avait un crucifix, chose qui manquait aux tribunaux du temps de sa condamnation. Quand on l’avait jugé, Dieu était absent.

    Une chaise était derrière lui ; il s’y laissa tomber, terrifié de l’idée qu’on pouvait le voir. Quand il fut assis, il profita d’une pile de cartons qui était sur le bureau des juges pour dérober son visage à toute la salle. Il pouvait maintenant voir sans être vu. Peu à peu il se remit. Il rentra pleinement dans le sentiment du réel ; il arriva à cette phase de calme où l’on peut écouter.

    M. Bamatabois était au nombre des jurés.

    Il chercha Javert, mais il ne le vit pas. Le banc des témoins lui était caché par la table du greffier. Et puis, nous venons de le dire, la salle était à peine éclairée.

    Au moment où il était entré, l’avocat de l’accusé achevait sa plaidoirie. L’attention de tous était excitée au plus haut point ; l’affaire durait depuis trois heures. Depuis trois heures, cette foule regardait plier peu à peu sous le poids d’une vraisemblance terrible un homme, un inconnu, une espèce d’être misérable, profondément stupide ou profondément habile. Cet homme, on le sait déjà, était un vagabond qui avait été trouvé dans un champ, emportant une branche chargée de pommes mûres, cassée à un pommier dans un clos voisin, appelé le clos Pierron. Qui était cet homme ? Une enquête avait eu lieu, des témoins venaient d’être entendus, ils avaient été unanimes, des lumières avaient jailli de tout le débat. L’accusation disait : — Nous ne tenons pas seulement un voleur de fruits, un maraudeur ; nous tenons là, dans notre main, un bandit, un relaps en rupture de ban, un ancien forçat, un scélérat des plus dangereux, un malfaiteur appelé Jean Valjean que la justice recherche depuis longtemps, et qui, il y a huit ans, en sortant du bagne de Toulon, a commis un vol de grand chemin à main armée sur la personne d’un enfant savoyard appelé Petit-Gervais, crime prévu par l’article 383 du code pénal, pour lequel nous nous réservons de le poursuivre ultérieurement, quand l’identité sera judiciairement acquise. Il vient de commettre un nouveau vol. C’est un cas de récidive. Condamnez-le pour le fait nouveau ; il sera jugé plus tard pour le fait ancien. — Devant cette accusation, devant l’unanimité des témoins, l’accusé paraissait surtout étonné. Il faisait des gestes et des signes qui voulaient dire non, ou bien il considérait le plafond. Il parlait avec peine, répondait avec embarras, mais, de la tête aux pieds, toute sa personne niait. Il était comme un idiot en présence de toutes ces intelligences rangées en bataille autour de lui, et comme un étranger au milieu de cette société qui le saisissait. Cependant il y allait pour lui de l’avenir le plus menaçant, la vraisemblance croissait à chaque minute, et toute cette foule regardait avec plus d’anxiété que lui-même cette sentence pleine de calamités qui penchait sur lui de plus en plus. Une éventualité laissait même entrevoir, outre le bagne, la peine de mort possible, si l’identité était reconnue et si l’affaire Petit-Gervais se terminait plus tard par une condamnation. Qu’était-ce que cet homme ? De quelle nature était son apathie ? Était-ce imbécillité ou ruse ? Comprenait-il trop, ou ne comprenait-il pas du tout ? Questions qui divisaient la foule et semblaient partager le jury. Il y avait dans ce procès ce qui effraye et ce qui intrigue ; le drame n’était pas seulement sombre, il était obscur.

    Le défenseur avait assez bien plaidé, dans cette langue de province qui a longtemps constitué l’éloquence du barreau et dont usaient jadis tous les avocats, aussi bien à Paris qu’à Romorantin ou à Montbrison, et qui aujourd’hui, étant devenue classique, n’est plus guère parlée que par les orateurs officiels du parquet, auxquels elle convient par sa sonorité grave et son allure majestueuse ; langue où un mari s’appelle un époux, une femme, une épouse, Paris, le centre des arts et de la civilisation, le roi, le monarque, monseigneur l’évêque, un saint pontife, l’avocat général, l’éloquent interprète de la vindicte, la plaidoirie, les accents qu’on vient d’entendre, le siècle de Louis xiv, le grand siècle, un théâtre, le temple de Melpomène, la famille régnante, l’auguste sang de nos rois, un concert, une solennité musicale, monsieur le général commandant le département, l’illustre guerrier qui, etc., les élèves du séminaire, ces tendres lévites, les erreurs imputées aux journaux, l’imposture qui distille son venin dans les colonnes de ces organes, etc., etc. — L’avocat donc avait commencé par s’expliquer sur le vol de pommes, — chose malaisée en beau style ; mais Bénigne Bossuet lui-même a été obligé de faire allusion à une poule en pleine oraison funèbre, et il s’en est tiré avec pompe. L’avocat avait établi que le vol de pommes n’était pas matériellement prouvé. — Son client, qu’en sa qualité de défenseur, il persistait à appeler Champmathieu, n’avait été vu de personne escaladant le mur ou cassant la branche. — On l’avait arrêté nanti de cette branche (que l’avocat appelait plus volontiers rameau) ; — mais il disait l’avoir trouvée à terre et ramassée. Où était la preuve du contraire ? — Sans doute cette branche avait été cassée et dérobée après escalade, puis jetée là par le maraudeur alarmé ; sans doute il y avait un voleur ; — qu’est-ce qui prouvait que ce voleur était Champmathieu ? Une seule chose. Sa qualité d’ancien forçat. L’avocat ne niait pas que cette qualité ne parût malheureusement bien constatée ; l’accusé avait résidé à Faverolles ; l’accusé y avait été émondeur; le nom de Champmathieu pouvait bien avoir pour origine Jean Mathieu ; tout cela était vrai ; enfin quatre témoins reconnaissaient sans hésiter et positivement Champmathieu pour être le galérien Jean Valjean ; à ces indications, à ces témoignages, l’avocat ne pouvait opposer que la dénégation de son client, dénégation très intéressée ; mais en supposant qu’il fût le forçat Jean Valjean, cela prouvait-il qu’il fût le voleur des pommes ? C’était une présomption tout au plus ; non une preuve. L’accusé, cela était vrai, et le défenseur « dans sa bonne foi » devait en convenir, avait adopté « un mauvais système de défense ». Il s’obstinait à nier tout, le vol et sa qualité de forçat. Un aveu de ce dernier point eût mieux valu, à coup sûr, et lui eût concilié l’indulgence de ses juges ; l’avocat le lui avait conseillé ; mais l’accusé s’y était refusé obstinément, croyant sans doute sauver tout en n’avouant rien. C’était un tort ; mais ne fallait-il pas considérer la brièveté de cette intelligence ? Cet homme était visiblement stupide. Un long malheur au bagne, une longue misère hors du bagne, l’avaient abruti, etc., etc. Il se défendait mal, était-ce une raison pour le condamner ? Quant à l’affaire Petit-Gervais, l’avocat n’avait pas à la discuter, elle n’était point dans la cause. L’avocat concluait en suppliant le jury et la cour, si l’identité de Jean Valjean leur paraissait évidente, de lui appliquer les peines de police qui s’adressent au condamné en rupture de ban, et non le châtiment épouvantable qui frappe le forçat récidiviste.

    L’avocat général répliqua au défenseur. Il fut violent et fleuri, comme sont habituellement les avocats généraux.

    Il félicita le défenseur de sa « loyauté », et profita habilement de cette loyauté. Il atteignit l’accusé par toutes les concessions que l’avocat avait faites, L’avocat semblait accorder que l’accusé était Jean Valjean. Il en prit acte. Cet homme était donc Jean Valjean. Ceci était acquis à l’accusation et ne pouvait plus se contester. Ici, par une habile antonomase, remontant aux sources et aux causes de la criminalité, l’avocat général tonna contre l’immoralité de l’école romantique, alors à son aurore sous le nom d’école satanique que lui avaient décerné les critiques de la Quotidienne et de l’Oriflamme ; il attribua, non sans vraisemblance, à l’influence de cette littérature perverse le délit de Champmathieu, ou pour mieux dire, de Jean Valjean. Ces considérations épuisées, il passa à Jean Valjean lui-même. Qu’était-ce que Jean Valjean ? Description de Jean Valjean. Un monstre vomi, etc. Le modèle de ces sortes de descriptions est dans le récit de Théramène, lequel n’est pas utile à la tragédie, mais rend tous les jours de grands services à l’éloquence judiciaire. L’auditoire et les jurés « frémirent ». La description achevée, l’avocat général reprit, dans un mouvement oratoire fait pour exciter au plus haut point le lendemain matin l’enthousiasme du Journal de la Préfecture : — Et c’est un pareil homme, etc., etc., etc., vagabond, mendiant, sans moyens d’existence, etc., etc., — accoutumé par sa vie passée aux actions coupables et peu corrigé par son séjour au bagne, comme le prouve le crime commis sur Petit-Gervais, etc., etc., — c’est un homme pareil qui, trouvé sur la voie publique en flagrant délit de vol, à quelques pas d’un mur escaladé, tenant encore à la main l’objet volé, nie le flagrant délit, le vol, l’escalade, nie tout, nie jusqu’à son nom, nie jusqu’à son identité ! Outre cent autres preuves sur lesquelles nous ne revenons, pas, quatre témoins le reconnaissent, Javert, l’intègre inspecteur de police Javert, et trois de ses anciens compagnons d’ignominie, les forçats Brevet, Chenildieu et Cochepaille. Qu’oppose-t-il à cette unanimité foudroyante ? Il nie. Quel endurcissement ! Vous ferez justice, messieurs les jurés, etc., etc. — Pendant que l’avocat général parlait, l’accusé écoutait, la bouche ouverte, avec une sorte d’étonnement où il entrait bien quelque admiration. Il était évidemment surpris qu’un homme pût parler comme cela. De temps en temps, aux moments les plus « énergiques » du réquisitoire, dans ces instants où l’éloquence, qui ne peut se contenir, déborde dans un flux d’épithètes flétrissantes et enveloppe l’accusé comme un orage, il remuait lentement la tête de droite à gauche et de gauche à droite, sorte de protestation triste et muette dont il se contentait depuis le commencement des débats. Deux ou trois fois les spectateurs placés le plus près de lui l’entendirent dire à demi-voix : — Voilà ce que c’est, de n’avoir pas demandé à M. Baloup ! — L’avocat général fit remarquer au jury cette attitude hébétée, calculée évidemment, qui dénotait, non l’imbécillité, mais l’adresse, la ruse, l’habitude de tromper la justice, et qui mettait dans tout son jour « la profonde perversité » de cet homme. Il termina en faisant ses réserves pour l’affaire Petit-Gervais, et en réclamant une condamnation sévère.

    C’était, pour l’instant, on s’en souvient, les travaux forcés à perpétuité.

    Le défenseur se leva, commença par complimenter « monsieur l’avocat général » sur son « admirable parole », puis répliqua comme il put, mais il faiblissait ; le terrain évidemment se dérobait sous lui.


     

    X

    LE SYSTÈME DE DÉNÉGATIONS


     

    L’instant de clore les débats était venu. Le président fit lever l’accusé et lui adressa la question d’usage : — Avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?

    L’homme, debout, roulant dans ses mains un affreux bonnet qu’il avait, sembla ne pas entendre.

    Le président répéta la question.

    Cette fois l’homme entendit. Il parut comprendre, il fit le mouvement de quelqu’un qui se réveille, promena ses yeux autour de lui, regarda le public, les gendarmes, son avocat, les jurés, la cour, posa son poing monstrueux sur le rebord de la boiserie placée devant son banc, regarda encore, et tout à coup, fixant son regard sur l’avocat général, il se mit à parler. Ce fut comme une éruption. Il sembla, à la façon dont les paroles s’échappaient de sa bouche, incohérentes, impétueuses, heurtées, pêle-mêle, qu’elles s’y pressaient toutes à la fois pour sortir en même temps. Il dit : — J’ai à dire ça. Que j’ai été charron à Paris, même que c’était chez monsieur Baloup. C’est un état dur. Dans la chose de charron, on travaille toujours en plein air, dans des cours, sous des hangars chez les bons maîtres, jamais dans des ateliers fermés, parce qu’il faut des espaces, voyez-vous. L’hiver, on a si froid qu’on se bat les bras pour se réchauffer ; mais les maîtres ne veulent pas, ils disent que cela perd du temps. Manier du fer quand il y a de la glace entre les pavés, c’est rude. Ça vous use vite un homme. On est vieux tout jeune dans cet état-là. À quarante ans, un homme est fini. Moi, j’en avais cinquante-trois, j’avais bien du mal. Et puis c’est si méchant les ouvriers ! Quand un bonhomme n’est plus jeune, on vous l’appelle pour tout vieux serin, vieille bête ! Je ne gagnais plus que trente sous par jour, on me payait le moins cher qu’on pouvait, les maîtres profitaient de mon âge. Avec ça, j’avais ma fille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté. À nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d’eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l’eau arrive par des robinets. On n’est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince devant soi dans le bassin. Comme c’est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a une buée d’eau chaude qui est terrible et qui vous perd les yeux. Elle revenait à sept heures du soir, et se couchait bien vite ; elle était si fatiguée. Son mari la battait. Elle est morte. Nous n’avons pas été bien heureux. C’était une brave fille qui n’allait pas au bal, qui était bien tranquille. Je me rappelle un mardi gras où elle était couchée à huit heures. Voilà. Je dis vrai. Vous n’avez qu’à demander. Ah bien oui ! demander ! que je suis bête ! Paris, c’est un gouffre. Qui est-ce qui connaît le père Champmathieu ? Pourtant je vous dis monsieur Baloup. Voyez chez monsieur Baloup. Après ça, je ne sais pas ce qu’on me veut.

    L’homme se tut, et resta debout. Il avait dit ces choses d’une voix haute, rapide, rauque, dure et enrouée, avec une sorte de naïveté irritée et sauvage. Une fois il s’était interrompu pour saluer quelqu’un dans la foule. Les espèces d’affirmations qu’il semblait jeter au hasard devant lui, lui venaient comme des hoquets, et il ajoutait à chacune d’elles le geste d’un bûcheron qui fend du bois. Quand il eut fini, l’auditoire éclata de rire. Il regarda le public, et voyant qu’on riait, et ne comprenant pas, il se mit à rire lui-même.

    Cela était sinistre.

    Le président, homme attentif et bienveillant, éleva la voix.

    Il rappela à « messieurs les jurés » que « le sieur Baloup, l’ancien maître charron chez lequel l’accusé disait avoir servi, avait été inutilement cité. Il était en faillite et n’avait pu être retrouvé ». Puis se tournant vers l’accusé, il l’engagea à écouter ce qu’il allait lui dire et ajouta : — Vous êtes dans une situation où il faut réfléchir. Les présomptions les plus graves pèsent sur vous et peuvent entraîner des conséquences capitales. Accusé, dans votre intérêt, je vous interpelle une dernière fois, expliquez-vous clairement sur ces deux faits : — Premièrement, avez-vous, oui ou non, franchi le mur du clos Pierron, cassé la branche et volé les pommes, c’est-à-dire, commis le crime de vol avec escalade ? Deuxièmement, oui ou non, êtes-vous le forçat libéré Jean Valjean ?

    L’accusé secoua la tête d’un air capable, comme un homme qui a bien compris et qui sait ce qu’il va répondre. Il ouvrit la bouche, se tourna vers le président et dit :

    D’abord...

    Puis il regarda son bonnet, il regarda le plafond, et se tut.

    Accusé, reprit l’avocat général d’une voix sévère, faites attention. Vous ne répondez à rien de ce qu’on vous demande. Votre trouble vous condamne. Il est évident que vous ne vous appelez pas Champmathieu, que vous êtes le forçat Jean Valjean caché d’abord sous le nom de Jean Mathieu qui était le nom de sa mère, que vous êtes allé en Auvergne, que vous êtes né à Faverolles où vous avez été émondeur. Il est évident que vous avez volé avec escalade des pommes mûres dans le clos Pierron. Messieurs les jurés apprécieront.

    L’accusé avait fini par se rasseoir ; il se leva brusquement quand l’avocat général eut fini, et s’écria :

    Vous êtes très méchant, vous! Voilà ce que je voulais dire. Je ne trouvais pas d’abord. Je n’ai rien volé. Je suis un homme qui ne mange pas tous les jours. Je venais d’Ailly, je marchais dans le pays après une ondée qui avait fait la campagne toute jaune, même que les mares débordaient et qu’il ne sortait plus des sables que de petits brins d’herbe au bord de la route ; j’ai trouvé une branche cassée par terre où il y avait des pommes, j’ai ramassé la branche sans savoir qu’elle me ferait arriver de la peine. Il y a trois mois que je suis en prison et qu’on me trimballe. Après ça, je ne peux pas dire, on parle contre moi, on me dit : répondez ! Le gendarme, qui est bon enfant, me pousse le coude et me dit tout bas : réponds donc. Je ne sais pas expliquer, moi, je n’ai pas fait les études, je suis un pauvre homme. Voilà ce qu’on a tort de ne pas voir. Je n’ai pas volé, j’ai ramassé par terre des choses qu’il y avait. Vous dites Jean Valjean, Jean Mathieu ! Je ne connais pas ces personnes-là. C’est des villageois. J’ai travaillé chez monsieur Baloup, boulevard de l’Hôpital. Je m’appelle Champmathieu. Vous êtes bien malins de me dire où je suis né. Moi, je l’ignore. Tout le monde n’a pas des maisons pour y venir au monde. Ce serait trop commode. Je crois que mon père et ma mère étaient des gens qui allaient sur les routes. Je ne sais pas d’ailleurs. Quand j’étais enfant, on m’appelait Petit, maintenant on m’appelle Vieux, Voilà mes noms de baptême. Prenez ça comme vous voudrez. J’ai été en Auvergne, j’ai été à Faverolles, pardi ! Eh bien ? est-ce qu’on ne peut pas avoir été en Auvergne et avoir été à Faverolles sans avoir été aux galères ? Je vous dis que je n’ai pas volé, et que je suis le père Champmathieu. J’ai été chez monsieur Baloup, j’ai été domicilié. Vous m’ennuyez avec vos bêtises à la fin ! Pourquoi donc est-ce que le monde est après moi comme des acharnés ?

    L’avocat général était demeuré debout; il s’adressa au président :

    Monsieur le président, en présence des dénégations confuses, mais fort habiles de l’accusé, qui voudrait bien se faire passer pour idiot, mais qui n’y parviendra pas, — nous l’en prévenons, — nous requérons qu’il vous plaise et qu’il plaise à la cour appeler de nouveau dans cette enceinte les condamnés Brevet, Cochepaille et Chenildieu et l’inspecteur de police Javert, et les interpeller une dernière fois sur l’identité de l’accusé avec le forçat Jean Valjean.

    Je fais remarquer à monsieur l’avocat général, dit le président, que l’inspecteur de police Javert, rappelé par ses fonctions au chef-lieu d’un arrondissement voisin, a quitté l’audience et même la ville, aussitôt sa déposition faite. Nous lui en avons accordé l’autorisation, avec l’agrément de monsieur l’avocat général et du défenseur de l’accusé.

    C’est juste, monsieur le président, reprit l’avocat général. En l’absence du sieur Javert, je crois devoir rappeler à messieurs les jurés ce qu’il a dit ici même il y a peu d’heures. Javert est un homme estimé qui honore par sa rigoureuse et stricte probité des fonctions inférieures, mais importantes. Voici en quels termes il a déposé : — « Je n’ai pas même besoin des présomptions morales et des preuves matérielles qui démentent les dénégations de l’accusé. Je le reconnais parfaitement. Cet homme ne s’appelle pas Champmathieu ; c’est un ancien forçat très méchant et très redouté nommé Jean Valjean. On ne l’a libéré à l’expiration de sa peine qu’avec un extrême regret. Il a subi dix-neuf ans de travaux forcés pour vol qualifié. Il avait cinq ou six fois tenté de s’évader. Outre le vol Petit-Gervais et le vol Pierron, je le soupçonne encore d’un vol commis chez sa grandeur le défunt évêque de Digne. Je l’ai souvent vu, à l’époque où j’étais adjudant garde-chiourme au bagne de Toulon. Je répète que je le reconnais parfaitement. »

    Cette déclaration si précise parut produire une vive impression sur le public et le jury. L’avocat général termina en insistant pour qu’à défaut de Javert, les trois témoins Brevet, Chenildieu et Cochepaille fussent entendus de nouveau et interpellés solennellement.

    Le président transmit un ordre à un huissier, et un moment après la porte de la chambre des témoins s’ouvrit. L’huissier, accompagné d’un gendarme prêt à lui prêter main-forte, introduisit le condamné Brevet. L’auditoire était en suspens et toutes les poitrines palpitaient comme si elles n’eussent eu qu’une seule âme.

    L’ancien forçat Brevet portait la veste noire et grise des maisons centrales. Brevet était un personnage d’une soixantaine d’années qui avait une espèce de figure d’homme d’affaires et l’air d’un coquin. Cela va quelquefois ensemble. Il était devenu, dans la prison où de nouveaux méfaits l’avaient ramené, quelque chose comme guichetier. C’était un homme dont les chefs disaient : Il cherche à se rendre utile. Les aumôniers portaient bon témoignage de ses habitudes religieuses. Il ne faut pas oublier que ceci se passait sous la restauration.

    Brevet, dit le président, vous avez subi une condamnation infamante et vous ne pouvez prêter serment.

    Brevet baissa les yeux.

    Cependant, reprit le président, même dans l’homme que la loi a dégradé, il peut rester, quand la pitié divine le permet, un sentiment d’honneur et d’équité. C’est à ce sentiment que je fais appel à cette heure décisive. S’il existe encore en vous, et je l’espère, réfléchissez avant de me répondre, considérez d’une part cet homme qu’un mot de vous peut perdre, d’autre part la justice qu’un mot de vous peut éclairer. L’instant est solennel, et il est toujours temps de vous rétracter, si vous croyez vous être trompé. — Accusé, levez-vous. — Brevet, regardez bien l’accusé, recueillez vos souvenirs, et dites-nous, en votre âme et conscience, si vous persistez à reconnaître cet homme pour votre ancien camarade de bagne Jean Valjean.

    Brevet regarda l’accusé, puis se retourna vers la cour.

    Oui, monsieur le président. C’est moi qui l’ai reconnu le premier et je persiste. Cet homme est Jean Valjean, entré à Toulon en 1796 et sorti en 1815. Je suis sorti l’an d’après. Il a l’air d’une brute maintenant, alors ce serait que l’âge l’a abruti ; au bagne il était sournois. Je le reconnais positivement.

    Allez vous asseoir, dit le président. Accusé, restez debout.

    On introduisit Chenildieu, forçat à vie, comme l’indiquaient sa casaque rouge et son bonnet vert. Il subissait sa peine à Toulon, d’où on l’avait extrait pour cette affaire. C’était un petit homme d’environ cinquante ans, vif, ridé, chétif, jaune, effronté, fiévreux, qui avait dans tous ses membres et dans toute sa personne une sorte de faiblesse maladive et dans le regard une force immense. Ses compagnons du bagne l’avaient surnommé Je-nie-Dieu.

    Le président lui adressa à peu près les mêmes paroles qu’à Brevet. Au moment où il lui rappela que son infamie lui ôtait le droit de prêter serment, Chenildieu leva la tête et regarda la foule en face. Le président l’invita à se recueillir et lui demanda, comme à Brevet, s’il persistait à reconnaître l’accusé.

    Chenildieu éclata de rire.

    Pardine ! si je le reconnais ! nous avons été cinq ans attachés à la même chaîne. Tu boudes donc, mon vieux ?

    Allez vous asseoir, dit le président.

    L’huissier amena Cochepaille. Cet autre condamné à perpétuité, venu du bagne et vêtu de rouge comme Chenildieu, était un paysan de Lourdes et un demi-ours des Pyrénées. Il avait gardé des troupeaux dans la montagne et de pâtre il avait glissé brigand. Cochepaille n’était pas moins sauvage et paraissait plus stupide encore que l’accusé. C’était un de ces malheureux hommes que la nature a ébauchés en bêtes fauves et que la société termine en galériens.

    Le président essaya de le remuer par quelques paroles pathétiques et graves et lui demanda, comme aux deux autres, s’il persistait, sans hésitation et sans trouble, à reconnaître l’homme debout devant lui.

    C’est Jean Valjean, dit Cochepaille. Même qu’on l’appelait Jean-le-Cric, tant il était fort.

    Chacune des affirmations de ces trois hommes, évidemment sincères et de bonne foi, avait soulevé dans l’auditoire un murmure de fâcheux augure pour l’accusé, murmure qui croissait et se prolongeait plus longtemps chaque fois qu’une déclaration nouvelle venait s’ajouter à la précédente. L’accusé, lui, les avait écoutées avec ce visage étonné qui, selon l’accusation, était son principal moyen de défense. À la première, les gendarmes ses voisins l’avaient entendu grommeler entre ses dents : Ah bien ! en voilà un ! Après la seconde il dit un peu plus haut, d’un air presque satisfait : Bon ! À la troisième il s’écria : Fameux !

    Le président l’interpella :

    Accusé, vous avez entendu. Qu’avez-vous à dire ?

    Il répondit : — Je dis — Fameux !

    Une rumeur éclata dans le public et gagna presque le jury. Il était évident que l’homme était perdu.

    Huissiers, dit le président, faites faire silence. Je vais clore les débats.

    En ce moment un mouvement se fit tout à côté du président. On entendit une voix qui criait :

    Brevet, Chenildieu, Cochepaille ! regardez de ce côté-ci. Tous ceux qui entendirent cette voix se sentirent glacés, tant elle était lamentable et terrible. Les yeux se tournèrent vers le point d’où elle venait. Un homme, placé parmi les spectateurs privilégiés qui étaient assis derrière la cour, venait de se lever, avait poussé la porte à hauteur d’appui qui séparait le tribunal du prétoire, et était debout au milieu de la salle. Le président, l’avocat général, M. Bamatabois, vingt personnes, le reconnurent, et s’écrièrent à la fois :

    Monsieur Madeleine !


     

    XI

    CHAMPMATHIEU DE PLUS EN PLUS ÉTONNÉ


     

    C’était lui en effet. La lampe du greffier éclairait son visage. Il tenait son chapeau à la main, il n’y avait aucun désordre dans ses vêtements, sa redingote était boutonnée avec soin. Il était très pâle et il tremblait légèrement. Ses cheveux, gris encore au moment de son arrivée à Arras, étaient maintenant tout à fait blancs. Ils avaient blanchi depuis une heure qu’il était là.

    Toutes les têtes se dressèrent. La sensation fut indescriptible. Il y eut dans l’auditoire un instant d’hésitation, La voix avait été si poignante, l’homme qui était là paraissait si calme, qu’au premier abord on ne comprit pas. On se demanda qui avait crié. On ne pouvait croire que ce fût cet homme tranquille qui eût jeté ce cri effrayant.

    Cette indécision ne dura que quelques secondes. Avant même que le président et l’avocat général eussent pu dire un mot, avant que les gendarmes et les huissiers eussent pu faire un geste, l’homme que tous appelaient encore en ce moment M. Madeleine s’était avancé vers les témoins Cochepaille, Brevet et Chenildieu.

    Vous ne me reconnaissez pas ? dit-il.

    Tous trois demeurèrent interdits et indiquèrent par un signe de tête qu’ils ne le connaissaient point. Cochepaille intimidé fit le salut militaire. M. Madeleine se tourna vers les jurés et vers la cour et dit d’une voix douce :

    Messieurs les jurés, faites relâcher l’accusé. Monsieur le président, faites-moi arrêter. L’homme que vous cherchez, ce n’est pas lui, c’est moi. Je suis Jean Valjean.

    Pas une bouche ne respirait. À la première commotion de l’étonnement avait succédé un silence de sépulcre. On sentait dans la salle cette espèce de terreur religieuse qui saisit la foule lorsque quelque chose de grand s’accomplit.

    Cependant le visage du président s’était empreint de sympathie et de tristesse ; il avait échangé un signe rapide avec l’avocat général et quelques paroles à voix basse avec les conseillers assesseurs. Il s’adressa au public, et demanda avec un accent qui fut compris de tous :

    Y a-t-il un médecin ici ?

    L’avocat général prit la parole :

    Messieurs les jurés, l’incident si étrange et si inattendu qui trouble l’audience ne nous inspire, ainsi qu’à vous, qu’un sentiment que nous n’avons pas besoin d’exprimer. Vous connaissez tous, au moins de réputation, l’honorable M. Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, S’il y a un médecin dans l’auditoire, nous nous joignons à monsieur le président pour le prier de vouloir bien assister monsieur Madeleine et le reconduire à sa demeure.

    M. Madeleine ne laissa point achever l’avocat général. Il l’interrompit d’un accent plein de mansuétude et d’autorité. Voici les paroles qu’il prononça ; les voici littéralement, telles qu’elles furent écrites immédiatement après l’audience par un des témoins de cette scène, telles qu’elles sont encore dans l’oreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourd’hui.

    Je vous remercie, monsieur l’avocat général, mais je ne suis pas fou. Vous allez voir. Vous étiez sur le point de commettre une grande erreur, lâchez cet homme, j’accomplis un devoir, je suis ce malheureux condamné. Je suis le seul qui voie clair ici, et je vous dis la vérité. Ce que je fais en ce moment, Dieu, qui est là-haut, le regarde, et cela suffit. Vous pouvez me prendre, puisque me voilà. J’avais pourtant fait de mon mieux. Je me suis caché sous un nom ; je suis devenu riche, je suis devenu maire ; j’ai voulu rentrer parmi les honnêtes gens. Il paraît que cela ne se peut pas. Enfin, il y a bien des choses que je ne puis pas dire, je ne vais pas vous raconter ma vie, un jour on saura. J’ai volé monseigneur l’évêque, cela est vrai ; j’ai volé Petit-Gervais, cela est vrai. On a eu raison de vous dire que Jean Valjean était un malheureux très méchant. Toute la faute n’est peut-être pas à lui. Écoutez, messieurs les juges, un homme aussi abaissé que moi n’a pas de remontrance à faire à la providence ni de conseil à donner à la société ; mais, voyez-vous, l’infamie d’où j’avais essayé de sortir est une chose nuisible. Les galères font le galérien. Recueillez cela, si vous voulez. Avant le bagne, j’étais un pauvre paysan très peu intelligent, une espèce d’idiot ; le bagne m’a changé. J’étais stupide, je suis devenu méchant ; j’étais bûche, je suis devenu tison. Plus tard l’indulgence et la bonté m’ont sauvé, comme la sévérité m’avait perdu. Mais, pardon, vous ne pouvez pas comprendre ce que je dis là. Vous trouverez chez moi, dans les cendres de la cheminée, la pièce de quarante sous que j’ai volée il y a sept ans à Petit-Gervais. Je n’ai plus rien à ajouter. Prenez-moi. Mon Dieu ! monsieur l’avocat général remue la tête, vous dites : M. Madeleine est devenu fou, vous ne me croyez pas ! Voilà qui est affligeant. N’allez point condamner cet homme au moins ! Quoi ! ceux-ci ne me reconnaissent pas ! Je voudrais que Javert fût ici. Il me reconnaîtrait, lui !

    Rien ne pourrait rendre ce qu’il y avait de mélancolie bienveillante et sombre dans l’accent qui accompagnait ces paroles.

    Il se tourna vers les trois forçats :

    Eh bien, je vous reconnais, moi ! Brevet ! vous rappelez-vous ?…

    Il s’interrompit, hésita un moment, et dit :

    Te rappelles-tu ces bretelles en tricot à damier que tu avais au bagne ?

    Brevet eut comme une secousse de surprise et le regarda de la tête aux pieds d’un air effrayé. Lui continua.

    Chenildieu, qui te surnommais toi-même Je-nie-Dieu, tu as toute l’épaule droite brûlée profondément, parce que tu t’es couché un jour l’épaule sur un réchaud plein de braise, pour effacer les trois lettres T. F. P., qu’on y voit toujours cependant. Réponds, est-ce vrai ?

    C’est vrai, dit Chenildieu.

    Il s’adressa à Cochepaille :

    Cochepaille, tu as près de la saignée du bras gauche une date gravée en lettres bleues avec de la poudre brûlée. Cette date, c’est celle du débarquement de l’empereur à Cannes, 1er mars 1815. Relève ta manche.

    Cochepaille releva sa manche, tous les regards se penchèrent autour de lui sur son bras nu. Un gendarme approcha une lampe ; la date y était.

    Le malheureux homme se tourna vers l’auditoire et vers les juges avec un sourire dont ceux qui l’ont vu sont encore navrés lorsqu’ils y songent. C’était le sourire du triomphe, c’était aussi le sourire du désespoir.

    Vous voyez bien, dit-il, que je suis Jean Valjean.

    Il n’y avait plus dans cette enceinte ni juges, ni accusateurs, ni gendarmes ; il n’y avait que des yeux fixes et des cœurs émus. Personne ne se rappelait plus le rôle que chacun pouvait avoir à jouer; l’avocat général oubliait qu’il était là pour requérir, le président qu’il était là pour présider, le défenseur qu’il était là pour défendre. Chose frappante, aucune question ne fut faite, aucune autorité n’intervint. Le propre des spectacles sublimes, c’est de prendre toutes les âmes et de faire de tous les témoins des spectateurs. Aucun peut-être ne se rendait compte de ce qu’il éprouvait ; aucun, sans doute, ne se disait qu’il voyait resplendir là une grande lumière ; tous intérieurement se sentaient éblouis.

    Il était évident qu’on avait sous les yeux Jean Valjean. Cela rayonnait. L’apparition de cet homme avait suffi pour remplir de clarté cette aventure si obscure le moment d’auparavant. Sans qu’il fût besoin d’aucune explication désormais, toute cette foule, comme par une sorte de révélation électrique, comprit tout de suite et d’un seul coup d’œil cette simple et magnifique histoire d’un homme qui se livrait pour qu’un autre homme ne fût pas condamné à sa place. Les détails, les hésitations, les petites résistances possibles se perdirent dans ce vaste fait lumineux.

    Impression qui passa vite, mais qui dans l’instant fut irrésistible.

    Je ne veux pas déranger davantage l’audience, reprit Jean Valjean. Je m’en vais, puisqu’on ne m’arrête pas. J’ai plusieurs choses à faire. Monsieur l’avocat général sait qui je suis, il sait où je vais, il me fera arrêter quand il voudra.

    Il se dirigea vers la porte de sortie. Pas une voix ne s’éleva, pas un bras ne s’étendit pour l’empêcher. Tous s’écartèrent. Il avait en ce moment ce je ne sais quoi de divin qui fait que les multitudes reculent et se rangent devant un homme, Il traversa la foule à pas lents. On n’a jamais su qui ouvrit la porte, mais il est certain que la porte se trouva ouverte lorsqu’il y parvint. Arrivé là, il se retourna et dit :

    Monsieur l’avocat général, je reste à votre disposition.

    Puis il s’adressa à l’auditoire :

    Vous tous, tous ceux qui sont ici, vous me trouvez digne de pitié, n’est-ce pas ? Mon Dieu ! quand je pense à ce que j’ai été sur le point de faire, je me trouve digne d’envie. Cependant j’aurais mieux aimé que tout ceci n’arrivât pas.

    Il sortit, et la porte se referma comme elle avait été ouverte, car ceux qui font de certaines choses souveraines sont toujours sûrs d’être servis par quelqu’un dans la foule.

    Moins d’une heure après, le verdict du jury déchargeait de toute accusation le nommé Champmathieu ; et Champmathieu, mis en liberté immédiatement, s’en allait stupéfait, croyant tous les hommes fous et ne comprenant rien à cette vision.


     

    I

    DANS QUEL MIROIR M. MADELEINE REGARDE SES CHEVEUX


     

    Le jour commençait à poindre, Fantine avait eu une nuit de fièvre et d’insomnie, pleine d’ailleurs d’images heureuses ; au matin, elle s’endormit. La sœur Simplice, qui l’avait veillée, profita de ce sommeil pour aller préparer une nouvelle potion de quinquina. La digne sœur était depuis quelques instants dans le laboratoire de l’infirmerie, penchée sur ses drogues et sur ses fioles et regardant de très près à cause de cette brume que le crépuscule répand sur les objets. Tout à coup elle tourna la tête et fit un léger cri. M. Madeleine était devant elle. Il venait d’entrer silencieusement.

    C’est vous, monsieur le maire ! s’écria-t-elle. Il répondit, à voix basse :

    Comment va cette pauvre femme ?

    Pas mal en ce moment. Mais nous avons été bien inquiets, allez !

    Elle lui expliqua ce qui s’était passé, que Fantine était bien mal la veille et que maintenant elle était mieux, parce qu’elle croyait que monsieur le maire était allé chercher son enfant à Montfermeil. La sœur n’osa pas interroger monsieur le maire, mais elle vit bien à son air que ce n’était point de là qu’il venait.

    Tout cela est bien, dit-il, vous avez eu raison de ne pas la détromper.

    Oui, reprit la sœur, mais maintenant, monsieur le maire, qu’elle va vous voir et qu’elle ne verra pas son enfant, que lui dirons-nous ?

    Il resta un moment rêveur.

    Dieu nous inspirera, dit-il.

    On ne pourrait cependant pas mentir, murmura la sœur à demi-voix.

    Le plein jour s’était fait dans la chambre. Il éclairait en face le visage de M. Madeleine. Le hasard fit que la sœur leva les yeux.

    Mon Dieu, monsieur ! s’écria-t-elle, que vous est-il arrivé ? vos cheveux sont tout blancs !

    Blancs ! dit-il.

    La sœur Simplice n’avait point de miroir ; elle fouilla dans une trousse et en tira une petite glace dont se servait le médecin de l’infirmerie pour constater qu’un malade était mort et ne respirait plus. M. Madeleine prit la glace, y considéra ses cheveux, et dit : Tiens !

    Il prononça ce mot avec indifférence et comme s’il pensait à autre chose.

    La sœur se sentit glacée par je ne sais quoi d’inconnu qu’elle entrevoyait dans tout ceci.

    Il demanda :

    Puis-je la voir ?

    Est-ce que monsieur le maire ne lui fera pas revenir son enfant ? dit la sœur, osant à peine hasarder une question.

    Sans doute, mais il faut au moins deux ou trois jours.

    Si elle ne voyait pas monsieur le maire d’ici là, reprit timidement la sœur, elle ne saurait pas que monsieur le maire est de retour, il serait aisé de lui faire prendre patience, et quand l’enfant arriverait elle penserait tout naturellement que monsieur le maire est arrivé avec l’enfant. On n’aurait pas de mensonge à faire.

    M. Madeleine parut réfléchir quelques instants, puis il dit avec sa gravité calme :

    Non, ma sœur, il faut que je la voie. Je suis peut-être pressé.

    La religieuse ne sembla pas remarquer ce mot « peut-être », qui donnait un sens obscur et singulier aux paroles de M. le maire. Elle répondit en baissant les yeux et la voix respectueusement :

    En ce cas, elle repose, mais monsieur le maire peut entrer.

    Il fit quelques observations sur une porte qui fermait mal, et dont le bruit pouvait réveiller la malade, puis il entra dans la chambre de Fantine, s’approcha du lit et entr’ouvrit les rideaux. Elle dormait. Son souffle sortait de sa poitrine avec ce bruit tragique qui est propre à ces maladies, et qui navre les pauvres mères lorsqu’elles veillent la nuit près de leur enfant condamné et endormi. Mais cette respiration pénible troublait à peine une sorte de sérénité ineffable, répandue sur son visage, qui la transfigurait dans son sommeil. Sa pâleur était devenue de la blancheur ; ses joues étaient vermeilles. Ses longs cils blonds, la seule beauté qui lui fût restée de sa virginité et de sa jeunesse, palpitaient tout en demeurant clos et baissés. Toute sa personne tremblait, de je ne sais quel déploiement d’ailes prêtes à s’entr’ouvrir et à l’emporter, qu’on sentait frémir, mais qu’on ne voyait pas. À la voir ainsi, on n’eût jamais pu croire que c’était là une malade presque désespérée. Elle ressemblait plutôt à ce qui va s’envoler qu’à ce qui va mourir.

    La branche, lorsqu’une main s’approche pour détacher la fleur, frissonne, et semble à la fois se dérober et s’offrir. Le corps humain a quelque chose de ce tressaillement, quand arrive l’instant où les doigts mystérieux de la mort vont cueillir l’âme.

    M. Madeleine resta quelque temps immobile près de ce lit, regardant tour à tour la malade et le crucifix, comme il faisait deux mois auparavant, le jour où il était venu pour la première fois la voir dans cet asile. Ils étaient encore là tous les deux dans la même attitude ; elle dormant, lui priant ; seulement maintenant, depuis ces deux mois écoulés, elle avait des cheveux gris et lui des cheveux blancs.

    La sœur n’était pas entrée avec lui. Il se tenait près de ce lit, debout. le doigt sur la bouche, comme s’il y eût eu dans la chambre quelqu’un à faire taire.

    Elle ouvrit les yeux, le vit, et dit paisiblement, avec un sourire :

    Et Cosette ?


     

    II

    FANTINE HEUREUSE


     

    Elle n’eut pas un mouvement de surprise, ni un mouvement de joie ; elle était la joie même. Cette simple question : — Et Cosette ? fut faite avec une foi si profonde, avec tant de certitude, avec une absence si complète d’inquiétude et de doute, qu’il ne trouva pas une parole. Elle continua :

    Je savais que vous étiez là. Je dormais, mais je vous voyais. Il y a longtemps que je vous vois. Je vous ai suivi des yeux toute la nuit. Vous étiez dans une gloire et vous aviez autour de vous toutes sortes de figures célestes.

    Il leva son regard vers le crucifix.

    Mais, reprit-elle, dites-moi donc où est Cosette ? Pourquoi ne l’avoir pas mise sur mon lit pour le moment où je m’éveillerais ?

    Il répondit machinalement quelque chose qu’il n’a jamais pu se rappeler plus tard.

    Heureusement le médecin, averti, était survenu. Il vint en aide à M. Madeleine.

    Mon enfant, dit le médecin, calmez-vous. Votre enfant est là.

    Les yeux de Fantine s’illuminèrent et couvrirent de clarté tout son visage. Elle joignit les mains avec une expression qui contenait tout ce que la prière peut avoir à la fois de plus violent et de plus doux :

    Oh ! s’écria-t-elle, apportez-la-moi !

    Touchante illusion de mère ! Cosette était toujours pour elle le petit enfant qu’on apporte.

    Pas encore, reprit le médecin, pas en ce moment. Vous avez un reste de fièvre. La vue de votre enfant vous agiterait et vous ferait du mal. Il faut d’abord vous guérir.

    Elle l’interrompit impétueusement.

    Mais je suis guérie ! je vous dis que je suis guérie ! Est-il âne, ce médecin ! Ah çà ! je veux voir mon enfant, moi !

    Vous voyez, dit le médecin, comme vous vous emportez. Tant que vous serez ainsi, je m’opposerai à ce que vous ayez votre enfant. Il ne suffit pas de la voir, il faut vivre pour elle. Quand vous serez raisonnable, je vous l’amènerai moi-même.

    La pauvre mère courba la tête.

    Monsieur le médecin, je vous demande pardon, je vous demande vraiment bien pardon. Autrefois je n’aurais pas parlé comme je viens de faire, il m’est arrivé tant de malheurs que quelquefois je ne sais plus ce que je dis. Je comprends, vous craignez l’émotion, j’attendrai tant que vous voudrez, mais je vous jure que cela ne m’aurait pas fait de mal de voir ma fille. Je la vois, je ne la quitte pas des yeux depuis hier au soir. Savez-vous ? on me l’apporterait maintenant que je me mettrais à lui parler doucement. Voilà tout. Est-ce que ce n’est pas bien naturel que j’aie envie de voir mon enfant qu’on a été me chercher exprès à Montfermeil ? Je ne suis pas en colère. Je sais bien que je vais être heureuse. Toute la nuit j’ai vu des choses blanches et des personnes qui me souriaient. Quand monsieur le médecin voudra, il m’apportera ma Cosette. Je n’ai plus de fièvre, puisque je suis guérie ; je sens bien que je n’ai plus rien du tout ; mais je vais faire comme si j’étais malade et ne pas bouger pour faire plaisir aux dames d’ici. Quand on verra que je suis bien tranquille, on dira : il faut lui donner son enfant.

    M. Madeleine s’était assis sur une chaise qui était à côté du lit. Elle se tourna vers lui ; elle faisait visiblement effort pour paraître calme et « bien sage », comme elle disait dans cet affaiblissement de la maladie qui ressemble à l’enfance, afin que, la voyant si paisible, on ne fît pas difficulté de lui amener Cosette. Cependant, tout en se contenant, elle ne pouvait s’empêcher d’adresser à M. Madeleine mille questions.

    Avez-vous fait un bon voyage, monsieur le maire ? Oh ! comme vous êtes bon d’avoir été me la chercher ! Dites-moi seulement comment elle est. A-t-elle bien supporté la route ? Hélas! elle ne me reconnaîtra pas ! Depuis le temps, elle m’a oubliée, pauvre chou ! Les enfants, cela n’a pas de mémoire. C’est comme des oiseaux. Aujourd’hui cela voit une chose et demain une autre, et cela ne pense plus à rien. Avait-elle du linge blanc seulement ? Ces Thénardier la tenaient-ils proprement ? Comment la nourrissait-on ? Oh ! comme j’ai souffert, si vous saviez ! de me faire toutes ces questions-là dans le temps de ma misère ! Maintenant, c’est passé. Je suis joyeuse. Oh ! que je voudrais donc la voir ! Monsieur le maire, l’avez-vous trouvée jolie ? N’est-ce pas qu’elle est belle, ma fille ? Vous devez avoir eu bien froid dans cette diligence ! Est-ce qu’on ne pourrait pas l’amener rien qu’un petit moment ? On la remporterait tout de suite après. Dites ! vous qui êtes le maître, si vous vouliez !

    Il lui prit la main : — Cosette est belle, dit-il, Cosette se porte bien, vous la verrez bientôt, mais apaisez-vous. Vous parlez trop vivement, et puis, vous sortez vos bras du lit, et cela vous fait tousser.

    En effet, des quintes de toux interrompaient Fantine, presque à chaque mot.

    Fantine ne murmura pas, elle craignit d’avoir compromis par quelques plaintes trop passionnées la confiance qu’elle voulait inspirer, et elle se mit à dire des paroles indifférentes.

    C’est assez joli, Monfermeil, n’est-ce pas ? L’été, on y va faire des parties de plaisir. Ces Thénardier font-ils de bonnes affaires ? Il ne passe pas grand monde dans leur pays. C’est une espèce de gargote que cette auberge-là.

    M. Madeleine lui tenait toujours la main, il la considérait avec anxiété ; il était évident qu’il était venu pour lui dire des choses devant lesquelles sa pensée hésitait maintenant. Le médecin, sa visite faite, s’était retiré. La sœur Simplice était restée auprès d’eux.

    Cependant, au milieu de ce silence, Fantine s’écria :

    Je l’entends ! mon Dieu ! je l’entends !

    Elle étendit le bras pour qu’on se tût autour d’elle, retint son souffle, et se mit à écouter avec ravissement.

    Il y avait un enfant qui jouait dans la cour ; l’enfant de la portière ou d’une ouvrière quelconque. C’est là un de ces hasards qu’on retrouve toujours et qui semblent faire partie de la mystérieuse mise en scène des événements lugubres. L’enfant — c’était une petite fille — allait, venait, courait pour se réchauffer, riait et chantait à haute voix. Hélas ! à quoi les jeux des enfants ne se mêlent-ils pas ! C’était cette petite fille que Fantine entendait chanter.

    Oh ! reprit-elle, c’est ma Cosette ! je reconnais sa voix !

    L’enfant s’éloigna comme il était venu, la voix s’éteignit, Fantine écouta encore quelque temps, puis son visage s’assombrit, et M. Madeleine l’entendit qui disait à voix basse : — Comme ce médecin est méchant de ne pas me laisser voir ma fille ! Il a une mauvaise figure, cet homme-là !

    Cependant le fond riant de ses idées revint. Elle continua de se parler à elle-même, la tête sur l’oreiller : — Comme nous allons être heureuses ! Nous aurons un petit jardin, d’abord! monsieur Madeleine me l’a promis. Ma fille jouera dans le jardin. Elle doit savoir ses lettres maintenant. Je la ferai épeler. Elle courra dans l’herbe après les papillons. Je la regarderai. Et puis elle fera sa première communion. Ah çà ! quand fera-t-elle sa première communion ?

    Elle se mit à compter sur ces doigts.

    ... Un, deux, trois, quatre... elle a sept ans. Dans cinq ans. Elle aura un voile blanc, des bas à jour, elle aura l’air d’une petite femme. Ô ma bonne sœur, vous ne savez pas comme je suis bête, voilà que je pense à la première communion de ma fille !

    Et elle se mit à rire.

    Il avait quitté la main de Fantine. Il écoutait ces paroles comme on écoute un vent qui souffle, les yeux à terre, l’esprit plongé dans des réflexions sans fond. Tout à coup elle cessa de parler, cela lui fit lever machinalement la tête, Fantine était devenue effrayante.

    Elle ne parlait plus, elle ne respirait plus ; elle s’était soulevée à demi sur son séant ; son épaule maigre sortait de sa chemise ; son visage, radieux le moment d’auparavant, était blême, et elle paraissait fixer sur quelque chose de formidable, devant elle, à l’autre extrémité de la chambre, son œil agrandi par la terreur.

    Mon Dieu ! s’écria-t-il. Qu’avez-vous, Fantine ?

    Elle ne répondit pas, elle ne quitta point des yeux l’objet quelconque qu’elle semblait voir, elle lui toucha le bras d’une main et de l’autre lui fit signe de regarder derrière lui.

    Il se retourna, et vit Javert.


     

    III

    JAVERT CONTENT


     

    Voici ce qui s’était passé.

    Minuit et demi venait de sonner, quand M. Madeleine était sorti de la salle des assises d’Arras. Il était rentré à son auberge juste à temps pour repartir par la malle-poste où l’on se rappelle qu’il avait retenu sa place. Un peu avant six heures du matin, il était arrivé à Montreuil-sur-Mer, et son premier soin avait été de jeter à la poste sa lettre à M. Laffitte, puis d’entrer à l’infirmerie et de voir Fantine.

    Cependant, à peine avait-il quitté la salle d’audience de la cour d’assises, que l’avocat général, revenu du premier saisissement, avait pris la parole pour déplorer l’acte de folie de l’honorable maire de Montreuil-sur-Mer, déclarer que ses convictions n’étaient en rien modifiées par cet incident bizarre qui s’éclaircirait plus tard, et requérir, en attendant, la condamnation de ce Champmathieu, évidemment le vrai Jean Valjean. La persistance de l’avocat général était visiblement en contradiction avec le sentiment de tous, du public, de la cour et du jury. Le défenseur avait eu peu de peine à réfuter cette harangue et à établir que, par suite des révélations de M. Madeleine, c’est-à-dire du vrai Jean Valjean, la face de l’affaire était bouleversée de fond en comble, et que le jury n’avait plus devant les yeux qu’un innocent. L’avocat avait tiré de là quelques épiphonèmes, malheureusement peu neufs, sur les erreurs judiciaires, etc., etc. ; le président dans son résumé s’était joint au défenseur, et le jury en quelques minutes avait mis hors de cause Champmathieu.

    Cependant il fallait un Jean Valjean à l’avocat général, et, n’ayant plus Champmathieu, il prit Madeleine.

    Immédiatement après la mise en liberté de Champmathieu, l’avocat général s’enferma avec le président. Ils conférèrent « de la nécessité de se saisir de la personne de M. le maire de Montreuil-sur-Mer ». Cette phrase, où il y a beaucoup de de, est de M. l’avocat général. La première émotion passée, le président fit peu d’objections. Il fallait bien que justice eût son cours. Et puis, pour tout dire, quoique le président fût homme bon et assez intelligent, il était en même temps fort royaliste et presque ardent, et il avait été choqué que le maire de Montreuil-sur-Mer, en parlant du débarquement à Cannes, eût dit l’empereur et non Buonaparte.

    L’ordre d’arrestation fut donc expédié. L’avocat général l’envoya à Montreuil-sur-Mer par un exprès, à franc étrier, et en chargea l’inspecteur de police Javert.

    On sait que Javert était revenu à Montreuil-sur-Mer immédiatement après avoir fait sa déposition.

    Javert se levait au moment où l’exprès lui remit l’ordre d’arrestation et le mandat d’amener.

    L’exprès était lui-même un homme de police fort entendu qui, en deux mots, mit Javert au fait de ce qui était arrivé à Arras. L’ordre d’arrestation, signé de l’avocat général, était ainsi conçu : — L’inspecteur Javert appréhendera au corps le sieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, qui, dans l’audience de ce jour, a été reconnu pour être le forçat libéré Jean Valjean.

    Quelqu’un qui n’eût pas connu Javert et qui l’eût vu au moment où il pénétra dans l’antichambre de l’infirmerie n’eût pu rien deviner de ce qui se passait, et lui eût trouvé l’air le plus ordinaire du monde. Il était froid, calme, grave, avait ses cheveux gris parfaitement lissés sur les tempes et venait de monter l’escalier avec sa lenteur habituelle. Quelqu’un qui l’eût connu à fond et qui l’eût examiné attentivement eût frémi. La boucle de son col de cuir, au lieu d’être sur sa nuque, était sur son oreille gauche. Ceci révélait une agitation inouïe.

    Javert était un caractère complet, ne faisant faire de pli ni à son devoir, ni à son uniforme ; méthodique avec les scélérats, rigide avec les boutons de son habit.

    Pour qu’il eût mal mis la boucle de son col, il fallait qu’il y eût en lui une de ces émotions qu’on pourrait appeler des tremblements de terre intérieurs.

    Il était venu simplement, avait requis un caporal et quatre soldats au poste voisin, avait laissé les soldats dans la cour, et s’était fait indiquer la chambre de Fantine par la portière sans défiance, accoutumée qu’elle était à voir des gens armés demander monsieur le maire.

    Arrivé à la chambre de Fantine, Javert tourna la clef, poussa la porte avec une douceur de garde-malade ou de mouchard, et entra.

    À proprement parler, il n’entra pas. Il se tint debout dans la porte entre-bâillée, le chapeau sur la tête, la main gauche dans sa redingote fermée jusqu’au menton. Dans le pli du coude on pouvait voir le pommeau de plomb de son énorme canne, laquelle disparaissait derrière lui.

    Il resta ainsi près d’une minute sans qu’on s’aperçût de sa présence. Tout à coup Fantine leva les yeux, le vit, et fit retourner M. Madeleine.

    À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie.

    Ce fut le visage d’un démon qui vient de retrouver son damné.

    La certitude de tenir enfin Jean Valjean fît apparaître sur sa physionomie tout ce qu’il avait dans l’âme. Le fond remué monta à la surface. L’humiliation d’avoir un peu perdu la piste et de s’être mépris quelques minutes sur ce Champmathieu, s’effaçait sous l’orgueil d’avoir si bien deviné d’abord et d’avoir eu si longtemps un instinct juste. Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite.

    Javert en ce moment était au ciel. Sans qu’il s’en rendît nettement compte, mais pourtant avec une intuition confuse de sa nécessité et de son succès, il personnifiait, lui Javert, la justice, la lumière et la vérité dans leur fonction céleste d’écrasement du mal. Il avait derrière lui et autour de lui, à une profondeur infinie, l’autorité, la raison, la chose jugée, la conscience légale, la vindicte publique, toutes les étoiles ; il protégeait l’ordre, il faisait sortir de la loi la foudre, il vengeait la société, il prêtait main-forte à l’absolu ; il se dressait dans une gloire ; il y avait dans sa victoire un reste de défi et de combat ; debout, altier, éclatant, il étalait en plein azur la bestialité surhumaine d’un archange féroce ; l’ombre redoutable de l’action qu’il accomplissait faisait visible à son poing crispé le vague flamboiement de l’épée sociale ; heureux et indigné, il tenait sous son talon le crime, le vice, la rébellion, la perdition, l’enfer, il rayonnait, il exterminait, il souriait, et il y avait une incontestable grandeur dans ce saint Michel monstrueux.

    Javert, effroyable, n’avait rien d’ignoble. La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, l’idée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans l’horreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, l’erreur. L’impitoyable joie honnête d’un fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable. Sans qu’il s’en doutât, Javert, dans son bonheur formidable, était à plaindre comme tout ignorant qui triomphe. Rien n’était poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce qu’on pourrait appeler tout le mauvais du bon.


     

    IV

    L’AUTORITÉ REPREND SES DROITS


     

    La Fantine n’avait point vu Javert depuis le jour où M. le maire l’avait arrachée à cet homme. Son cerveau malade ne se rendit compte de rien, seulement elle ne douta pas qu’il ne revînt la chercher. Elle ne put supporter cette figure affreuse, elle se sentit expirer, elle cacha son visage de ses deux mains et cria avec angoisse :

    Monsieur Madeleine, sauvez-moi !

    Jean Valjean — nous ne le nommerons plus désormais autrement — s’était levé. Il dit à Fantine de sa voix la plus douce et la plus calme :

    Soyez tranquille, Ce n’est pas pour vous qu’il vient.

    Puis il s’adressa à Javert et lui dit :

    Je sais ce que vous voulez.

    Javert répondit :

    Allons, vite !

    Il y eut dans l’inflexion qui accompagna ces deux mots je ne sais quoi de fauve et de frénétique. Javert ne dit pas : Allons, vite ! il dit : Allonouaite ! Aucune orthographe ne pourrait rendre l’accent dont cela fut prononcé ; ce n’était plus une parole humaine, c’était un rugissement.

    Il ne fit point comme d’habitude; il n’entra point en matière ; il n’exhiba point de mandat d’amener. Pour lui, Jean Valjean était une sorte de combattant mystérieux et insaisissable, un lutteur ténébreux qu’il étreignait depuis cinq ans sans pouvoir le renverser. Cette arrestation n’était pas un commencement, mais une fin. Il se borna à dire : Allons, vite !

    En parlant ainsi, il ne fit point un pas ; il lança sur Jean Valjean ce regard qu’il jetait comme un crampon, et avec lequel il avait coutume de tirer violemment les misérables a lui.

    C’était ce regard que la Fantine avait senti pénétrer jusque dans la moelle de ses os, deux mois auparavant.

    Au cri de Javert, Fantine avait rouvert les yeux. Mais M. le maire était là. Que pouvait-elle craindre ?

    Javert avança au milieu de la chambre et cria :

    Ah çà ! viendras-tu ?

    La malheureuse regarda autour d’elle. Il n’y avait personne que la religieuse et monsieur le maire. À qui pouvait s’adresser ce tutoiement abject ? À elle seulement. Elle frissonna.

    Alors elle vit une chose inouïe, tellement inouïe que jamais rien de pareil ne lui était apparu dans les plus noirs délires de la fièvre.

    Elle vit le mouchard Javert saisir au collet monsieur le maire ; elle vit monsieur le maire courber la tête. Il lui sembla que le monde s’évanouissait.

    Javert, en effet, avait pris Jean Valjean au collet.

    Monsieur le maire ! cria Fantine.

    Javert éclata de rire, de cet affreux rire qui lui déchaussait toutes les dents.

    Il n’y a plus de monsieur le maire ici !

    Jean Valjean n’essaya pas de déranger la main qui tenait le col de sa redingote. Il dit :

    Javert...

    Javert l’interrompit : — Appelle-moi monsieur l’inspecteur.

    Monsieur, reprit Jean Valjean, je voudrais vous dire un mot en particulier.

    Tout haut ! parle tout haut ! répondit Javert ; on me parle tout haut à moi !

    Jean Valjean continua en baissant la voix :

    C’est une prière que j’ai à vous faire...

    Je te dis de parler tout haut.

    Mais cela ne doit être entendu que de vous seul...

    Qu’est-ce que cela me fait ? je n’écoute pas !

    Jean Valjean se tourna vers lui et lui dit rapidement et très bas :

    Accordez-moi trois jours ! trois jours pour aller chercher l’enfant de cette malheureuse femme. Je payerai ce qu’il faudra. Vous m’accompagnerez si vous voulez.

    Tu veux rire ! cria Javert. Ah çà ! je ne te croyais pas bête ! Tu me demandes trois jours pour t’en aller ! Tu dis que c’est pour aller chercher l’enfant de cette fille ! Ah ! ah ! c’est bon ! voilà qui est bon !

    Fantine eut un tremblement.

    Mon enfant ! s’écria-t-elle, aller chercher mon enfant ! Elle n’est donc pas ici ! Ma sœur, répondez-moi ; où est Cosette ? Je veux mon enfant ! Monsieur Madeleine ! monsieur le maire !

    Javert frappa du pied.

    Voilà l’autre, à présent ! Te tairas-tu, drôlesse ! Gredin de pays où les galériens sont magistrats et où les filles publiques sont soignées comme des comtesses ! Ah mais ! tout ça va changer ; il était temps !

    Il regarda fixement Fantine et ajouta en reprenant à poignée la cravate, la chemise et le collet de Jean Valjean :

    Je te dis qu’il n’y a point de monsieur Madeleine et qu’il n’y a point de monsieur le maire. Il y a un voleur, il y a un brigand, il y a un forçat appelé Jean Valjean ! c’est lui que je tiens ! voilà ce qu’il y a !

    Fantine se dressa en sursaut, appuyée sur ses bras roides et sur ses deux mains, elle regarda Jean Valjean, elle regarda Javert, elle regarda la religieuse, elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour d’elle comme quelqu’un qui se noie, puis elle s’affaissa subitement sur l’oreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.

    Elle était morte.

    Jean Valjean posa sa main sur la main de Javert qui le tenait, et l’ouvrit comme il eût ouvert la main d’un enfant, puis il dit à Javert :

    Vous avez tué cette femme.

    Finirons-nous ! cria Javert furieux. Je ne suis pas ici pour entendre des raisons. Économisons tout ça. La garde est en bas. Marchons tout de suite, ou les poucettes !

    Il y avait dans un coin de la chambre un vieux lit en fer en assez mauvais état qui servait de lit de camp aux sœurs quand elles veillaient, Jean Valjean alla à ce lit, disloqua en un clin d’œil le chevet déjà fort délabré, chose facile à des muscles comme les siens, saisit à poigne-main la maîtresse-tringle, et considéra Javert. Javert recula vers la porte.

    Jean Valjean, sa barre de fer au poing, marcha lentement vers le lit de Fantine. Quand il y fut parvenu, il se retourna, et dit à Javert d’une voix qu’on entendait à peine :

    Je ne vous conseille pas de me déranger en ce moment.

    Ce qui est certain, c’est que Javert tremblait.

    Il eut l’idée d’aller appeler la garde, mais Jean Valjean pouvait profiter de cette minute pour s’évader. Il resta donc, saisit sa canne par le petit bout, et s’adossa au chambranle de la porte sans quitter du regard Jean Valjean.

    Jean Valjean posa son coude sur la pomme du chevet du lit et son front sur sa main, et se mit à contempler Fantine immobile et étendue. Il demeura ainsi, absorbé, muet, et ne songeant évidemment plus à aucune chose de cette vie. Il n’y avait plus rien sur son visage et dans son attitude qu’une inexprimable pitié. Après quelques instants de cette rêverie, il se pencha vers Fantine et lui parla à voix basse.

    Que lui dit-il ? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé, à cette femme qui était morte ? Qu’était-ce que ces paroles ? Personne sur la terre ne les a entendues. La morte les entendit-elle ? Il y a des illusions touchantes qui sont peut-être des réalités sublimes. Ce qui est hors de doute, c’est que la sœur Simplice, unique témoin de la chose qui se passait, a souvent raconté qu’au moment où Jean Valjean parla à l’oreille de Fantine, elle vit distinctement poindre un ineffable sourire sur ces lèvres pâles et dans ces prunelles vagues, pleines de l’étonnement du tombeau.

    Jean Valjean prit dans ses deux mains la tête de Fantine et l’arrangea sur l’oreiller comme une mère eût fait pour son enfant, il lui rattacha le cordon de sa chemise et rentra ses cheveux sous son bonnet. Cela fait, il lui ferma les yeux.

    La face de Fantine en cet instant semblait étrangement éclairée.

    La mort, c’est l’entrée dans la grande lueur. La main de Fantine pendait hors du lit. Jean Valjean s’agenouilla devant cette main, la souleva doucement et la baisa.

    Puis il se redressa, et, se tournant vers Javert :

    Maintenant, dit-il, je suis à vous.


     

    V

    TOMBEAU CONVENABLE


     

    Javert déposa Jean Valjean à la prison de la ville.

    L’arrestation de M. Madeleine produisit à Montreuil-sur-Mer une sensation, ou pour mieux dire une commotion extraordinaire. Nous sommes triste de ne pouvoir dissimuler que sur ce seul mot : c’était un galérien, tout le monde à peu près l’abandonna. En moins de deux heures tout le bien qu’il avait fait fut oublié, et ce ne fut plus qu’un « galérien ». Il est juste de dire qu’on ne connaissait pas encore les détails de l’événement d’Arras. Toute la journée on entendait dans toutes les parties de la ville des conversations comme celle-ci :

    Vous ne savez pas ? c’était un forçat libéré ! — Qui ça ? — Le maire. — Bah ! M. Madeleine ? — Oui. — Vraiment ? — Il ne s’appelait pas Madeleine, il a un affreux nom, Béjean, Bojean, Boujean. — Ah, mon Dieu ! — Il est arrêté. — Arrêté ! — En prison à la prison de la ville, en attendant qu’on le transfère. — Qu’on le transfère ! On va le transférer ! Où va-t-on le transférer ? — Il va passer aux assises pour un vol de grand chemin qu’il a fait autrefois. — Eh bien ! je m’en doutais. Cet homme était trop bon, trop parfait, trop confit. Il refusait la croix, il donnait des sous à tous les petits drôles qu’il rencontrait. J’ai toujours pensé qu’il y avait là-dessous quelque mauvaise histoire.

    Les « salons » surtout abondèrent dans ce sens.

    Une vieille dame, abonnée au Drapeau blanc, fit cette réflexion dont il est presque impossible de sonder la profondeur :

    Je n’en suis pas fâchée. Cela apprendra aux buonapartistes !

    C’est ainsi que ce fantôme qui s’était appelé M. Madeleine se dissipa à Montreuil-sur-Mer. Trois ou quatre personnes seulement dans toute la ville restèrent fidèles à cette mémoire. La vieille portière qui l’avait servi fut du nombre.

    Le soir de ce même jour, cette digne vieille était assise dans sa loge, encore tout effarée et réfléchissant tristement. La fabrique avait été fermée toute la journée, la porte cochère était verrouillée, la rue était déserte. Il n’y avait dans la maison que les deux religieuses, sœur Perpétue et sœur Simplice, qui veillaient près du corps de Fantine.

    Vers l’heure où M. Madeleine avait coutume de rentrer, la brave portière se leva machinalement, prit la clef de la chambre de M. Madeleine dans un tiroir et le bougeoir dont il se servait tous les soirs pour monter chez lui, puis elle accrocha la clef au clou où il la prenait d’habitude, et plaça le bougeoir à côté, comme si elle l’attendait. Ensuite elle se rassit sur sa chaise et se remit à songer. La pauvre bonne vieille avait fait tout cela sans en avoir conscience.

    Ce ne fut qu’au bout de plus de deux heures qu’elle sortit de sa rêverie et s’écria : Tiens ! mon bon Dieu Jésus ! moi qui ai mis sa clef au clou !

    En ce moment la vitre de la loge s’ouvrit, une main passa par l’ouverture, saisit la clef et le bougeoir et alluma la bougie à la chandelle qui brûlait.

    La portière leva les yeux et resta béante, avec un cri dans le gosier qu’elle retint.

    Elle connaissait cette main, ce bras, cette manche de redingote.

    C’était M. Madeleine.

    Elle fut quelques secondes avant de pouvoir parler, saisie, comme elle le disait elle-même plus tard en racontant son aventure.

    Mon Dieu ! monsieur le maire, s’écria-t-elle enfin, je vous croyais…

    Elle s’arrêta, la fin de sa phrase eût manqué de respect au commencement. Jean Valjean était toujours pour elle monsieur le maire.

    Il acheva sa pensée.

    En prison, dit-il. J’y étais. J’ai brisé un barreau d’une fenêtre, je me suis laissé tomber du haut d’un toit, et me voici. Je monte à ma chambre, allez me chercher la sœur Simplice. Elle est sans doute près de cette pauvre femme.

    La vieille obéit en toute hâte.

    Il ne lui fit aucune recommandation ; il était bien sûr qu’elle le garderait mieux qu’il ne se garderait lui-même.

    On n’a jamais su comment il avait réussi à pénétrer dans la cour sans faire ouvrir la porte cochère. Il avait, et portait toujours sur lui, un passe-partout qui ouvrait une petite porte latérale ; mais on avait dû le fouiller et lui prendre son passe-partout. Ce point n’a pas été éclairci.

    Il monta l’escalier qui conduisait à sa chambre. Arrivé en haut, il laissa son bougeoir sur les dernières marches de l’escalier, ouvrit sa porte avec peu de bruit, et alla fermer à tâtons sa fenêtre et son volet, puis il revint prendre sa bougie et rentra dans sa chambre.

    La précaution était utile ; on se souvient que sa fenêtre pouvait être aperçue de la rue.

    Il jeta un coup d’œil autour de lui, sur sa table, sur sa chaise, sur son lit qui n’avait pas été défait depuis trois jours. Il ne restait aucune trace du désordre de l’avant-dernière nuit, La portière avait « fait la chambre ». Seulement elle avait ramassé dans les cendres et posé proprement sur la table les deux bouts du bâton ferré et la pièce de quarante sous noircie par le feu.

    Il prit une feuille de papier sur laquelle il écrivit : Voici les deux bouts de mon bâton ferré et la pièce de quarante sous volée à Petit-Gervais dont j’ai parlé à la cour d’assises, et il posa sur cette feuille la pièce d’argent et les deux morceaux de fer, de façon que ce fût la première chose qu’on aperçût en entrant dans la chambre. Il tira d’une armoire une vieille chemise à lui qu’il déchira. Cela fit quelques morceaux de toile dans lesquels il emballa les deux flambeaux d’argent. Du reste il n’avait ni hâte ni agitation, et, tout en emballant les chandeliers de l’évêque, il mordait dans un morceau de pain noir. Il est probable que c’était le pain de la prison qu’il avait emporté en s’évadant.

    Ceci a été constaté par les miettes de pain qui furent trouvées sur le carreau de la chambre, lorsque la justice plus tard fit une perquisition.

    On frappa deux petits coups à la porte.

    Entrez, dit-il. C’était la sœur Simplice.

    Elle était pâle, elle avait les yeux rouges, la chandelle qu’elle tenait vacillait dans sa main. Les violences de la destinée ont cela de particulier que, si perfectionnés ou si refroidis que nous soyons, elles nous tirent du fond des entrailles la nature humaine et la forcent de reparaître au dehors. Dans les émotions de cette journée, la religieuse était redevenue femme. Elle avait pleuré, et elle tremblait.

    Jean Valjean venait d’écrire quelques lignes sur un papier qu’il tendit à la religieuse en disant : — Ma sœur, vous remettrez ceci à monsieur le curé.

    Le papier était déplié. Elle y jeta les yeux.

    Vous pouvez lire, dit-il.

    Elle lut : — « Je prie monsieur le curé de veiller sur

    Javert aperçut la sœur et s’arrêta interdit.

    On se rappelle que le fond même de Javert, son élément, son milieu respirable, c’était la vénération de toute autorité. Il était tout d’une pièce et n’admettait ni objection, ni restriction. Pour lui, bien entendu, l’autorité ecclésiastique était la première de toutes ; il était religieux, superficiel et correct sur ce point comme sur tous. À ses yeux un prêtre était un esprit qui ne se trompe pas, une religieuse était une créature qui ne pèche pas. C’étaient des âmes murées à ce monde avec une seule porte qui ne s’ouvrait jamais que pour laisser sortir la vérité.

    En apercevant la sœur, son premier mouvement fut de se retirer.

    Cependant il y avait aussi un autre devoir qui le tenait, et qui le poussait impérieusement en sens inverse. Son second mouvement fut de rester et de hasarder au moins une question.

    C’était cette sœur Simplice qui n’avait menti de sa vie. Javert le savait, et la vénérait particulièrement à cause de cela.

    Ma sœur, dit-il, êtes-vous seule dans cette chambre ?

    Il y eut un moment affreux pendant lequel la pauvre portière se sentit défaillir.

    La sœur leva les yeux et répondit :

    Oui.

    Ainsi, reprit Javert, excusez-moi si j’insiste, c’est mon devoir, vous n’avez pas vu ce soir une personne, un homme ? Il s’est évadé, nous le cherchons, — ce nommé Jean Valjean, vous ne l’avez pas vu ?

    La sœur répondit : — Non.

    Elle mentit deux fois de suite, coup sur coup, sans hésiter, rapidement, comme on se dévoue.

    Pardon, dit Javert ; et il se retira en saluant profondément.

    Ô sainte fille ! vous n’êtes plus de ce monde depuis beaucoup d’années ; vous avez rejoint dans la lumière vos sœurs les vierges et vos frères les anges ; que ce mensonge vous soit compté dans le paradis !

    L’affirmation de la sœur fut pour Javert quelque chose de si décisif qu’il ne remarqua même pas la singularité de cette bougie qu’on venait de souffler et qui fumait sur la table.

    Une heure après, un homme, marchant à travers les arbres et les brumes, s’éloignait rapidement de Montreuil-sur-Mer dans la direction de Paris. Cet homme était Jean Valjean. Il a été établi, par le témoignage de deux ou trois rouliers qui l’avaient rencontré, qu’il portait un paquet et qu’il était vêtu d’une blouse. Où avait-il pris cette blouse ? On ne l’a jamais su. Cependant un vieux ouvrier était mort quelques jours auparavant à l’infirmerie de la fabrique, ne laissant que sa blouse. C’était peut-être celle-là.

    Un dernier mot sur Fantine.

    Nous avons tous une mère, la terre. On rendit Fantine à cette mère.

    Le curé crut bien faire, et fit bien peut-être, en réservant, sur ce que Jean Valjean avait laissé, le plus d’argent possible aux pauvres. Après tout, de quoi s’agissait-il ? d’un forçat et d’une fille publique. C’est pourquoi il simplifia l’enterrement de Fantine, et le réduisit à ce strict nécessaire qu’on appelle la fosse commune.

    Fantine fut donc enterrée dans le coin gratis du cimetière qui est à tous et à personne, et où l’on perd les pauvres. Heureusement Dieu sait où retrouver l’âme. On coucha Fantine dans les ténèbres parmi les premiers os venus ; elle subit la promiscuité des cendres. Elle fut jetée à la fosse publique. Sa tombe ressembla à son lit.


     

    I


     

    CE QU’ON RENCONTRE EN VENANT
    DE NIVELLES


     

    L’an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux rangées d’arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des collines qui viennent l’une après l’autre, soulèvent la route et la laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l’ouest, le clocher d’ardoise de Braine-l’Alleud qui a la forme d’un vase renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une hauteur, et, à l’angle d’un chemin de traverse, à côté d’une espèce de potence vermoulue portant l’inscription : Ancienne barrière n° 4, un cabaret ayant sur sa façade cet écriteau : Au quatre vents. Échabeau, café de particulier.

    Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au fond d’un petit vallon où il y a de l’eau qui passe sous une arche pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d’arbres, clair-semé mais très vert, qui emplit le vallon d’un côté de la chaussée, s’éparpille de l’autre dans les prairies et s’en va avec grâce et comme en désordre vers Braine-l’Alleud.

    Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près d’une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une échelle le long d’un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune, probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au vent. À l’angle de l’auberge, à côté d’une mare où naviguait une flottille de canards, un sentier mal pavé s’enfonçait dans les broussailles. Ce passant y entra.

    Au bout d’une centaine de pas, après avoir longé un mur du quinzième siècle surmonté d’un pignon aigu à briques contrariées, il se trouva en présence d’une grande porte de pierre cintrée, avec imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de deux médaillons plans. Une façade sévère dominait cette porte ; un mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et la flanquait d’un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour clôture deux battants décrépits ornés d’un vieux marteau rouillé.

    Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait éperdument dans un grand arbre.

    Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation circulaire ressemblant à l’alvéole d’une sphère. En ce moment les battants s’écartèrent et une paysanne sortit.

    Elle vit le passant et aperçut ce qu’il regardait.

    C’est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle ajouta :

    Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d’un clou, c’est le trou d’un gros biscaïen. Le biscaïen n’a pas traversé le bois.

    Comment s’appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.

    Hougomont, dit la paysanne.

    Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s’en alla regarder au-dessus des haies. Il aperçut à l’horizon à travers les arbres une espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin, ressemblait à un lion.

    Il était dans le champ de bataille de Waterloo.


     

    II


     

    HOUGOMONT


     

    Hougomont, ce fut là un lieu funèbre, le commencement de l’obstacle, la première résistance que rencontra à Waterloo ce grand bûcheron de l’Europe qu’on appelait Napoléon ; le premier nœud sous le coup de hache.

    C’était un château, ce n’est plus qu’une ferme. Hougomont, pour l’antiquaire, c’est Hugomons. Ce manoir fut bâti par Hugo, sire de Somerel, le même qui dota la sixième chapellenie de l’abbaye de Villiers.

    Le passant poussa la porte, coudoya sous un porche une vieille calèche, et entra dans la cour.

    La première chose qui le frappa dans ce préau, ce fut une porte du seizième siècle qui y simule une arcade, tout étant tombé autour d’elle. L’aspect monumental naît souvent de la ruine. Auprès de l’arcade s’ouvre dans un mur une autre porte avec claveaux du temps de Henri IV, laissant voir les arbres d’un verger. À côté de cette porte un trou à fumier, des pioches et des pelles, quelques charrettes, un vieux puits avec sa dalle et son tourniquet de fer, un poulain qui saute, un dindon qui fait la roue, une chapelle que surmonte un petit clocher, un poirier en fleur en espalier sur le mur de la chapelle, voilà cette cour dont la conquête fut un rêve de Napoléon. Ce coin de terre, s’il eût pu le prendre, lui eût peut-être donné le monde. Des poules y éparpillent du bec la poussière. On entend un grondement, c’est un gros chien qui montre les dents et qui remplace les Anglais.

    Les Anglais là ont été admirables. Les quatre compagnies des gardes de Cooke y ont tenu tête pendant sept heures à l’acharnement d’une armée.

    Hougomont, vu sur la carte, en plan géométral, bâtiments et enclos compris, présente une espèce de rectangle irrégulier dont un angle aurait été entaillé. C’est à cet angle qu’est la porte méridionale gardée par ce mur qui la fusille à bout portant. Hougomont a deux portes, la porte méridionale, celle du château, et la porte septentrionale, celle de la ferme. Napoléon envoya contre Hougomont son frère Jérôme ; les divisions Guilleminot, Foy et Bachelu s’y heurtèrent, presque tout le corps de Reille y fut employé et y échoua, les boulets de Kellermann s’épuisèrent sur cet héroïque pan de mur. Ce ne fut pas trop de la brigade Bauduin pour forcer Hougomont au nord, et la brigade Soye ne put que l’entamer au sud, sans le prendre.

    Les bâtiments de la ferme bordent la cour au sud. Un morceau de la porte nord, brisée par les Français, pend accroché au mur. Ce sont quatre planches clouées sur deux traverses, et où l’on distingue les balafres de l’attaque.

    La porte septentrionale, enfoncée par les français, et à laquelle on a mis une pièce pour remplacer le panneau suspendu à la muraille, s’entrebâille au fond du préau ; elle est coupée carrément dans un mur, de pierre en bas, de brique en haut, qui ferme la cour au nord. C’est une simple porte charretière comme il y en a dans toutes les métairies, deux larges battants faits de planches rustiques ; au delà, des prairies. La dispute de cette entrée a été furieuse. On a longtemps vu sur le montant de la porte toutes sortes d’empreintes de mains sanglantes. C’est là que Bauduin fut tué.

    L’orage du combat est encore dans cette cour ; l’horreur y est visible ; le bouleversement de la mêlée s’y est pétrifié ; cela vit, cela meurt ; c’était hier. Les murs agonisent, les pierres tombent, les brèches crient ; les trous sont des plaies ; les arbres penchés et frissonnants semblent faire effort pour s’enfuir.

    Cette cour, en 1815, était plus bâtie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Des constructions qu’on a depuis jetées bas y faisaient des redans, des angles et des coudes d’équerre.

    Les anglais s’y étaient barricadés ; les français y pénétrèrent, mais ne purent s’y maintenir. À côté de la chapelle, une aile du château, le seul débris qui reste du manoir d’Hougomont, se dresse écroulée, on pourrait dire éventrée. Le château servit de donjon, la chapelle servit de blockhaus. On s’y extermina. Les français, arquebusés de toutes parts, de derrière les murailles, du haut des greniers, du fond des caves, par toutes les croisées, par tous les soupiraux, par toutes les fentes des pierres, apportèrent des fascines et mirent le feu aux murs et aux hommes ; la mitraille eut pour réplique l’incendie.

    On entrevoit dans l’aile ruinée, à travers des fenêtres garnies de barreaux de fer, les chambres démantelées d’un corps de logis en brique ; les gardes anglaises étaient embusquées dans ces chambres ; la spirale de l’escalier, crevassé du rez-de-chaussée jusqu’au toit, apparaît comme l’intérieur d’un coquillage brisé. L’escalier a deux étages ; les anglais, assiégés dans l’escalier, et massés sur les marches supérieures, avaient coupé les marches inférieures. Ce sont de larges dalles de pierre bleue qui font un monceau dans les orties. Une dizaine de marches tiennent encore au mur ; sur la première est entaillée l’image d’un trident. Ces degrés inaccessibles sont solides dans leurs alvéoles. Tout le reste ressemble à une mâchoire édentée. Deux vieux arbres sont là ; l’un est mort, l’autre est blessé au pied, et reverdit en avril. Depuis 1815, il s’est mis à pousser à travers l’escalier.

    On s’est massacré dans la chapelle. Le dedans, redevenu calme, est étrange. On n’y a plus dit la messe depuis le carnage. Pourtant l’autel y est resté, un autel de bois grossier adossé à un fond de pierre brute. Quatre murs lavés au lait de chaux, une porte vis-à-vis l’autel, deux petites fenêtres cintrées, sur la porte un grand crucifix de bois, au-dessus du crucifix un soupirail carré bouché d’une botte de foin, dans un coin à terre un vieux châssis vitré tout cassé, telle est cette chapelle. Près de l’autel est clouée une statue en bois de sainte Anne, du quinzième siècle ; la tête de l’enfant Jésus a été emportée par un biscaïen. Les français, maîtres un moment de la chapelle, puis délogés, l’ont incendiée. Les flammes ont rempli cette masure ; elle a été fournaise ; la porte a brûlé, le plancher a brûlé, le christ, en bois, n’a pas brûlé. Le feu lui a rongé les pieds dont on ne voit plus que les moignons noircis, puis s’est arrêté. Miracle, au dire des gens du pays. L’enfant Jésus, décapité, n’a pas été aussi heureux que le christ.

    Les murs sont couverts d’inscriptions. Près des pieds du Christ on lit ce nom : Henquinez. Puis ces autres : Conde de Rio Maïor. Marques y Marquesa de Almagro (Habana). Il y a des noms français avec des points d’exclamation, signes de colère. On a reblanchi le mur en 1849. Les nations s’y insultaient.

    C’est à la porte de cette chapelle qu’a été ramassé un cadavre qui tenait une hache à la main. Ce cadavre était le sous-lieutenant Legros.

    On sort de la chapelle, et à gauche on voit un puits. Il y en a deux dans cette cour. On demande : pourquoi n’y a-t-il pas de seau et de poulie à celui-ci ? C’est qu’on n’y puise plus d’eau. Pourquoi n’y puise-t-on plus d’eau ? Parce qu’il est plein de squelettes.

    Le dernier qui ait tiré de l’eau de ce puits se nommait Guillaume Van Kylsom. C’était un paysan qui habitait Hougomont et y était jardinier. Le 18 juin 1815, sa famille prit la fuite et s’alla cacher dans les bois.

    La forêt autour de l’abbaye de Villiers abrita pendant plusieurs jours et plusieurs nuits toutes ces malheureuses populations dispersées. Aujourd’hui encore de certains vestiges reconnaissables, tels que de vieux troncs d’arbres brûlés, marquent la place de ces pauvres bivouacs tremblants au fond des halliers.

    Guillaume Van Kylsom demeura à Hougomont « pour garder le château » et se blottit dans une cave. Les anglais l’y découvrirent. On l’arracha de sa cachette, et, à coups de plat de sabre, les combattants se firent servir par cet homme effrayé. Ils avaient soif ; ce Guillaume leur portait à boire. C’est à ce puits qu’il puisait l’eau. Beaucoup burent là leur dernière gorgée. Ce puits, où burent tant de morts, devait mourir lui aussi.

    Après l’action, on eut une hâte : enterrer les cadavres. La mort a une façon à elle de harceler la victoire, et elle fait suivre la gloire par la peste. Le typhus est une annexe du triomphe. Ce puits était profond, on en fit un sépulcre. On y jeta trois cents morts. Peut-être avec trop d’empressement. Tous étaient-ils morts ? la légende dit non. Il parait que, la nuit qui suivit l’ensevelissement, on entendit sortir du puits des voix faibles qui appelaient.

    Ce puits est isolé au milieu de la cour. Trois murs mi-partis pierre et brique, repliés comme les feuilles d’un paravent et simulant une tourelle carrée, l’entourent de trois côtés. Le quatrième côté est ouvert. C’est par là qu’on puisait l’eau. Le mur du fond a une façon d’œil-de-bœuf informe, peut-être un trou d’obus. Cette tourelle avait un plafond dont il ne reste que les poutres. La ferrure de soutènement du mur de droite dessine une croix. On se penche, et l’œil se perd dans un profond cylindre de brique qu’emplit un entassement de ténèbres. Tout autour du puits, le bas des murs disparaît dans les orties.

    Ce puits n’a point pour devanture la large dalle bleue qui sert de tablier à tous les puits de Belgique. La dalle bleue y est remplacée par une traverse à laquelle s’appuient cinq ou six difformes tronçons de bois, noueux et ankylosés, qui ressemblent à de grands ossements. Il n’a plus ni seau, ni chaîne, ni poulie ; mais il a encore la cuvette de pierre qui servait de déversoir. L’eau des pluies s’y amasse, et de temps en temps un oiseau des forêts voisines vient y boire et s’envole.

    Une maison dans cette ruine, la maison de la ferme, est encore habitée. La porte de cette maison donne sur la cour. À côté d’une jolie plaque de serrure gothique il y a sur cette porte une poignée de fer à trèfles, posée de biais. Au moment où le lieutenant hanovrien Wilda saisissait cette poignée pour se réfugier dans la ferme, un sapeur français lui abattit la main d’un coup de hache.

    La famille qui occupe la maison a pour grand-père l’ancien jardinier Van Kylsom, mort depuis longtemps. Une femme en cheveux gris nous dit : ― J’étais là. J’avais trois ans. Ma sœur, plus grande, avait peur et pleurait. On nous a emportées dans les bois. J’étais dans les bras de ma mère. On se collait l’oreille à terre pour écouter. Moi, j’imitais le canon et je faisais boum, boum.

    Une porte de la cour, à gauche, nous l’avons dit, donne dans le verger.

    Le verger est terrible.

    Il est en trois parties, on pourrait presque dire en trois actes. La première partie est un jardin, la deuxième est le verger, la troisième est un bois. Ces trois parties ont une enceinte commune, du côté de l’entrée les bâtiments du château et de la ferme, à gauche une haie, à droite un mur, au fond un mur. Le mur de droite est en brique, le mur du fond est en pierre. On entre dans le jardin d’abord. Il est en contre-bas, planté de groseilliers, encombré de végétations sauvages, fermé d’un terrassement monumental en pierre de taille avec balustres à double renflement. C’était un jardin seigneurial dans ce premier style français qui a précédé Lenôtre ; ruine et ronce aujourd’hui. Les pilastres sont surmontés de globes qui semblent des boulets de pierre. On compte encore quarante-trois balustres sur leurs dés ; les autres sont couchés dans l’herbe. Presque tous ont des éraflures de mousqueterie. Un balustre brisé est posé sur l’étrave comme une jambe cassée.

    C’est dans ce jardin, plus bas que le verger, que six voltigeurs du 1er léger, ayant pénétré là et n’en pouvant plus sortir, pris et traqués comme des ours dans leur fosse, acceptèrent le combat avec deux compagnies hanovriennes, dont une était armée de carabines. Les hanovriens bordaient ces balustres et tiraient d’en haut. Ces voltigeurs, ripostant d’en bas, six contre deux cents, intrépides, n’ayant pour abri que les groseilliers, mirent un quart d’heure à mourir.

    On monte quelques marches, et du jardin on passe dans le verger proprement dit. Là, dans ces quelques toises carrées, quinze cents hommes tombèrent en moins d’une heure. Le mur semble prêt à recommencer le combat. Les trente-huit meurtrières percées par les anglais à des hauteurs irrégulières, y sont encore. Devant la seizième sont couchées deux tombes anglaises en granit. Il n’y a de meurtrières qu’au mur sud, l’attaque principale venait de là. Ce mur est caché au dehors par une grande haie vive ; les français arrivèrent, croyant n’avoir affaire qu’à la haie, la franchirent, et trouvèrent le mur, obstacle et embuscade, les gardes anglaises derrière, les trente-huit meurtrières faisant feu à la fois, un orage de mitraille et de balles ; et la brigade Soye s’y brisa. Waterloo commença ainsi.

    Le verger pourtant fut pris. On n’avait pas d’échelles, les français grimpèrent avec les ongles. On se battit corps à corps sous les arbres. Toute cette herbe a été mouillée de sang. Un bataillon de Nassau, sept cents hommes, fut foudroyé là. Au dehors le mur, contre lequel furent braquées les deux batteries de Kellermann, est rongé par la mitraille.

    Ce verger est sensible comme un autre au mois de mai. Il a ses boutons d’or et ses pâquerettes, l’herbe y est haute, des chevaux de charrue y paissent, des cordes de crin où sèche du linge traversent les intervalles des arbres et font baisser la tête aux passants, on marche dans cette friche et le pied enfonce dans les trous de taupes. Au milieu de l’herbe on remarque un tronc déraciné, gisant, verdissant. Le major Blackmann s’y est adossé pour expirer. Sous un grand arbre voisin est tombé le général allemand Duplat, d’une famille française réfugiée à la révocation de l’édit de Nantes. Tout à côté se penche un vieux pommier malade pansé avec un bandage de paille et de terre glaise. Presque tous les pommiers tombent de vieillesse. Il n’y en a pas un qui n’ait sa balle ou son biscaïen. Les squelettes d’arbres morts abondent dans ce verger. Les corbeaux volent dans les branches, au fond il y a un bois plein de violettes.

    Bauduin tué, Foy blessé, l’incendie, le massacre, le carnage, un ruisseau fait de sang anglais, de sang allemand et de sang français, furieusement mêlés, un puits comblé de cadavres, le régiment de Nassau et le régiment de Brunswick détruits, Duplat tué, Blackmann tué, les gardes anglaises mutilées, vingt bataillons français, sur les quarante du corps de Reille, décimés, trois mille hommes, dans cette seule masure de Hougomont, sabrés, écharpés, égorgés, fusillés, brûlés ; et tout cela pour qu’aujourd’hui un paysan dise à un voyageur : Monsieur, donnez-moi trois francs ; si vous aimez, je vous expliquerai la chose de Waterloo !


     

    III


     

    LE 18 JUIN 1815


     

    Retournons en arrière, c’est un des droits du narrateur, et replaçons-nous en l’année 1815, et même un peu avant l’époque où commence l’action racontée dans la première partie de ce livre.

    S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde.

    La bataille de Waterloo, et ceci a donné à Blücher le temps d’arriver, n’a pu commencer qu’à onze heures et demie. Pourquoi ? Parce que la terre était mouillée. Il a fallu attendre un peu de raffermissement pour que l’artillerie pût manœuvrer.

    Napoléon était officier d’artillerie, et il s’en ressentait. Le fond de ce prodigieux capitaine, c’était l’homme qui, dans le rapport au Directoire sur Aboukir, disait : Tel de nos boulets a tué six hommes. Tous ses plans de bataille sont faits pour le projectile. Faire converger l’artillerie sur un point donné, c’était là sa clef de victoire. Il traitait la stratégie du général ennemi comme une citadelle, et il la battait en brèche. Il accablait le point faible de mitraille ; il nouait et dénouait les batailles avec le canon. Il y avait du tir dans son génie. Enfoncer les carrés, pulvériser les régiments, rompre les lignes, broyer et disperser les masses, tout pour lui était là, frapper, frapper, frapper sans cesse, et il confiait cette besogne au boulet. Méthode redoutable, et qui, jointe au génie, a fait invincible pendant quinze ans ce sombre athlète du pugilat de la guerre.

    Le 18 juin 1815, il comptait d’autant plus sur l’artillerie qu’il avait pour lui le nombre. Wellington n’avait que cent cinquante-neuf bouches à feu ; Napoléon en avait deux cent quarante.

    Supposez la terre sèche, l’artillerie pouvant rouler, l’action commençait à six heures du matin. La bataille était gagnée et finie à deux heures, trois heures avant la péripétie prussienne.

    Quelle quantité de faute y a-t-il de la part de Napoléon dans la perte de cette bataille ? le naufrage est-il imputable au pilote ?

    Le déclin physique évident de Napoléon se compliquait-il à cette époque d’une certaine diminution intérieure ? les vingt ans de guerre avaient-ils usé la lame comme le fourreau, l’âme comme le corps ? le vétéran se faisait-il fâcheusement sentir dans le capitaine ? en un mot, ce génie, comme beaucoup d’historiens considérables l’ont cru, s’éclipsait-il ? entrait-il en frénésie pour se déguiser à lui-même son affaiblissement ? commençait-il à osciller sous l’égarement d’un souffle d’aventure ? devenait-il, chose grave dans un général, inconscient du péril ? dans cette classe de grands hommes matériels qu’on peut appeler les géants de l’action, y a-t-il un âge pour la myopie du génie ? La vieillesse n’a pas de prises sur les génies de l’idéal ; pour les Dantes et les Michel-Anges, vieillir, c’est croître ; pour les Annibals et les Bonapartes, est-ce décroître ? Napoléon avait-il perdu le sens direct de la victoire ? en était-il à ne plus reconnaître l’écueil, à ne plus deviner le piége, à ne plus discerner le bord croulant des abîmes ? manquait-il du flair des catastrophes ? lui qui jadis savait toutes les routes du triomphe et qui, du haut de son char d’éclairs, les indiquait d’un doigt souverain, avait-il maintenant cet ahurissement sinistre de mener aux précipices son tumultueux attelage de légions ? était-il pris, à quarante-six ans, d’une folie suprême ? ce cocher titanique du destin n’était-il plus qu’un immense casse-cou ?

    Nous ne le pensons point.

    Son plan de bataille était, de l’aveu de tous, un chef-d’œuvre. Aller droit au centre de la ligne alliée, faire un trou dans l’ennemi, le couper en deux, pousser la moitié britannique sur Hal et la moitié prussienne sur Tongres, faire de Wellington et de Blücher deux tronçons, enlever Mont-Saint-Jean, saisir Bruxelles, jeter l’allemand dans le Rhin et l’anglais dans la mer. Tout cela, pour Napoléon, était dans cette bataille. Ensuite on verrait.

    Il va sans dire que nous ne prétendons pas faire ici l’histoire de Waterloo ; une des scènes génératrices du drame que nous racontons se rattache à cette bataille, mais cette histoire n’est pas notre sujet ; cette histoire d’ailleurs est faite, et faite magistralement, à un point de vue par Napoléon, à l’autre point de vue par toute une pléiade d’historiens [1]. Quant à nous, nous laissons les historiens aux prises ; nous ne sommes qu’un témoin à distance, un passant dans la plaine, un chercheur penché sur cette terre pétrie de chair humaine, prenant peut-être des apparences pour des réalités ; nous n’avons pas le droit de tenir tête, au nom de la science, à un ensemble de faits où il y a sans doute du mirage, nous n’avons ni la pratique militaire ni la compétence stratégique qui autorisent un système ; selon nous, un enchaînement de hasards domine à Waterloo les deux capitaines ; et quand il s’agit du destin, ce mystérieux accusé, nous jugeons comme le peuple, ce juge naïf.


     

    IV


     

    A


     

    Ceux qui veulent se figurer nettement la bataille de Waterloo n’ont qu’à coucher sur le sol par la pensée un A majuscule. Le jambage gauche de l’A est la route de Nivelles, le jambage droit est la route de Genappe, la corde de l’A est le chemin creux d’Ohain à Braine-l’Alleud. Le sommet de l’A est Mont-Saint-Jean, là est Wellington ; la pointe gauche inférieure est Hougomont, là est Reille avec Jérôme Bonaparte ; la pointe droite inférieure est la Belle-Alliance, là est Napoléon. Un peu au-dessous du point où la corde de l’A rencontre et coupe le jambage droit est la Haie-Sainte. Au milieu de cette corde est le point précis où s’est dit le mot final de la bataille. C’est là qu’on a placé le lion, symbole involontaire du suprême héroïsme de la garde impériale.

    Le triangle compris au sommet de l’A, entre les deux jambages et la corde, est le plateau de Mont-Saint-Jean. La dispute de ce plateau fut toute la bataille.

    Les ailes des deux armées s’étendent à droite et à gauche des deux routes de Genappe et de Nivelles ; d’Erlon faisant face à Picton, Reille faisant face à Hill.

    Derrière la pointe de l’A, derrière le plateau de Mont-Saint-Jean, est la forêt de Soignes.

    Quant à la plaine en elle-même, qu’on se représente un vaste terrain ondulant ; chaque pli domine le pli suivant, et toutes les ondulations montent vers Mont-Saint-Jean, et y aboutissent à la forêt.

    Deux troupes ennemies sur un champ de bataille sont deux lutteurs. C’est un bras-le-corps. L’une cherche à faire glisser l’autre. On se cramponne à tout ; un buisson est un point d’appui ; un angle de mur est un épaulement ; faute d’une bicoque où s’adosser, un régiment lâche pied ; un ravalement de la plaine, un mouvement de terrain, un sentier transversal à propos, un bois, un ravin, peuvent arrêter le talon de ce colosse qu’on appelle une armée et l’empêcher de reculer. Qui sort du champ est perdu. De là, pour le chef responsable, la nécessité d’examiner la moindre touffe d’arbres et d’approfondir le moindre relief.

    Les deux généraux avaient attentivement étudié la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd’hui plaine de Waterloo. Dès l’année précédente, Wellington, avec une sagacité prévoyante, l’avait examinée comme un en-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon côté, Napoléon le mauvais. L’armée anglaise était en haut, l’armée française en bas.

    Esquisser ici l’aspect de Napoléon à cheval, sa lunette à la main, sur la hauteur de Rossomme, à l’aube du 18 juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu’on le montre, tout le monde l’a vu. Ce profil calme sous le petit chapeau de l’école de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote cachant les épaulettes, l’angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse de velours pourpre ayant aux coins des N couronnées et des aigles, les bottes à l’écuyère sur des bas de soie, les éperons d’argent, l’épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, acclamée des uns, sévèrement regardée par les autres.

    Cette figure a été longtemps toute dans la lumière ; cela tenait à un certain obscurcissement légendaire que la plupart des héros dégagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vérité ; mais aujourd’hui l’histoire et le jour se font.

    Cette clarté, l’histoire, est impitoyable ; elle a cela d’étrange et de divin que, toute lumière qu’elle est et précisément parce qu’elle est lumière, elle met souvent de l’ombre là où l’on voyait des rayons ; du même homme elle fait deux fantômes différents, et l’un attaque l’autre, et en fait justice, et les ténèbres du despote luttent avec l’éblouissement du capitaine. De là une mesure plus vraie dans l’appréciation définitive des peuples. Babylone violée diminue Alexandre ; Rome enchaînée diminue César ; Jérusalem tuée diminue Titus. La tyrannie suit le tyran. C’est un malheur pour un homme de laisser derrière lui de la nuit qui a sa forme.


     

    V


     

    LE « QUID OBSCURUM » DES BATAILLES


     

    Tout le monde connaît la première phase de cette bataille ; début trouble, incertain, hésitant, menaçant pour les deux armées, mais pour les anglais plus encore que pour les français.

    Il avait plu toute la nuit ; la terre était défoncée par l’averse ; l’eau s’était çà et là amassée dans les creux de la plaine, comme dans des cuvettes ; sur de certains points les équipages du train en avaient jusqu’à l’essieu ; les sous-ventrières des attelages dégouttaient de boue liquide ; si les blés et les seigles couchés par cette cohue de charrois en masse n’eussent comblé les ornières et fait litière sous les roues, tout mouvement, particulièrement dans les vallons du côté de Papelotte, eût été impossible.

    L’affaire commença tard ; Napoléon, nous l’avons expliqué, avait l’habitude de tenir toute l’artillerie dans sa main comme un pistolet, visant tantôt tel point, tantôt tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre que les batteries attelées pussent rouler et galoper librement ; il fallait pour cela que le soleil parût et séchât le sol. Mais le soleil ne parut pas. Ce n’était plus le rendez-vous d’Austerlitz. Quand le premier coup de canon fut tiré, le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu’il était onze heures trente-cinq minutes.

    L’action s’engagea avec furie, plus de furie peut-être que l’empereur n’eût voulu, par l’aile gauche française sur Hougomont. En même temps Napoléon attaqua le centre en précipitant la brigade Quiot sur la Haie-Sainte, et Ney poussa l’aile droite française contre l’aile gauche anglaise qui s’appuyait sur Papelotte.

    L’attaque sur Hougomont avait quelque simulation ; attirer là Wellington, le faire pencher à gauche, tel était le plan. Ce plan eût réussi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la division Perponcher n’eussent solidement gardé la position, et Wellington, au lieu de s’y masser, put se borner à y envoyer, pour tout renfort, quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.

    L’attaque de l’aile droite française sur Papelotte était à fond ; culbuter la gauche anglaise, couper la route de Bruxelles, barrer le passage aux prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington sur Hougomont, de là sur Braine-l’Alleud, de là sur Hal, rien de plus net. À part quelques incidents, cette attaque réussit. Papelotte fut pris ; la Haie-Sainte fut enlevée.

    Détail à noter. Il y avait dans l’infanterie anglaise, particulièrement dans la brigade de Kempt, force recrues. Ces jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants ; leur inexpérience se tira intrépidement d’affaire ; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs ; le soldat en tirailleur, un peu livré à lui-même, devient pour ainsi dire son propre général ; ces recrues montrèrent quelque chose de l’invention et de la furie françaises. Cette infanterie novice eut de la verve. Ceci déplut à Wellington.

    Après la prise de la Haie-Sainte, la bataille vacilla.

    Il y a dans cette journée, de midi à quatre heures, un intervalle obscur ; le milieu de cette bataille est presque indistinct et participe du sombre de la mêlée. Le crépuscule s’y fait. On aperçoit de vastes fluctuations dans cette brume, un mirage vertigineux, l’attirail de guerre d’alors presque inconnu aujourd’hui, les colbacks à flamme, les sabretaches flottantes, les buffleteries croisées, les gibernes à grenade, les dolmans des hussards, les bottes rouges à mille plis, les lourds shakos enguirlandés de torsades, l’infanterie presque noire de Brunswick mêlée à l’infanterie écarlate d’Angleterre, les soldats anglais ayant aux entournures pour épaulettes de gros bourrelets blancs circulaires, les chevau-légers hanovriens avec leur casque de cuir oblong à bandes de cuivre et à crinières de crins rouges, les écossais aux genoux nus et aux plaids quadrillés, les grandes guêtres blanches de nos grenadiers, des tableaux, non des lignes stratégiques, ce qu’il faut à Salvator Rosa, non ce qu’il faut à Gribeauval.

    Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une bataille. Quid obscurum, quid divinum. Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle. Quelle que soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a d’incalculables reflux ; dans l’action, les deux plans des deux chefs entrent l’un dans l’autre et se déforment l’un par l’autre. Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l’eau qu’on y jette. On est obligé de reverser là plus de soldats qu’on ne voudrait. Dépenses qui sont l’imprévu. La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres ; où était l’artillerie, accourt la cavalerie ; les bataillons sont des fumées. Il y avait là quelque chose, cherchez, c’est disparu ; les éclaircies se déplacent ; les plis sombres avancent et reculent ; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques. Qu’est-ce qu’une mêlée ? une oscillation. L’immobilité d’un plan mathématique exprime une minute et non une journée. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres qui aient du chaos dans le pinceau ; Rembrandt vaut mieux que Vandermeulen. Vandermeulen, exact à midi, ment à trois heures. La géométrie trompe ; l’ouragan seul est vrai. C’est ce qui donne à Folard le droit de contredire Polybe. Ajoutons qu’il y a toujours un certain instant où la bataille dégénère en combat, se particularise, et s’éparpille en d’innombrables faits de détail qui, pour emprunter l’expression de Napoléon lui-même, « appartiennent plutôt à la biographie des régiments qu’à l’histoire de l’armée ». L’historien, en ce cas, a le droit évident de résumé. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n’est donné à aucun narrateur, si consciencieux qu’il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible qu’on appelle une bataille.

    Ceci, qui est vrai de tous les grands chocs armés, est particulièrement applicable à Waterloo.

    Toutefois, dans l’après-midi, à un certain moment, la bataille se précisa.


     


     

    VI


     

    QUATRE HEURES DE L’APRÈS-MIDI


     

    Vers quatre heures, la situation de l’armée anglaise était grave. Le prince d’Orange commandait le centre, Hill l’aile droite, Picton l’aile gauche. Le prince d’Orange, éperdu et intrépide, criait aux hollando-belges : Nassau ! Brunswick ! jamais en arrière ! Hill, affaibli, venait s’adosser à Wellington, Picton était mort. Dans la même minute où les anglais avaient enlevé aux français le drapeau du 105e de ligne, les français avaient tué aux anglais le général Picton d’une balle à travers la tête. La bataille, pour Wellington, avait deux points d’appui, Hougomont et la Hale-Sainte ; Hougomont tenait encore, mais brûlait ; la Haie-Sainte était prise. Du bataillon allemand qui la défendait, quarante-deux hommes seulement survivaient ; tous les officiers, moins cinq, étaient morts ou pris. Trois mille combattants s’étaient massacrés dans cette grange. Un sergent des gardes anglaises, le premier boxeur de l’Angleterre, réputé par ses compagnons invulnérable, y avait été tué par un petit tambour français. Baring était délogé. Alten était sabré. Plusieurs drapeaux étaient perdus, dont un de la division Alten, et un du bataillon de Lunebourg porté par un prince de la famille de Deux-Ponts. Les Écossais gris n’existaient plus ; les gros dragons de Ponsonby étaient hachés. Cette vaillante cavalerie avait plié sous les lanciers de Bro et sous les cuirassiers de Travers ; de douze cents chevaux il en restait six cents ; des trois lieutenants-colonels, deux étaient à terre, Hamilton blessé, Mater tué. Ponsonby était tombé, troué de sept coups de lance. Gordon était mort, Marsh était mort. Deux divisions, la cinquième et la sixième, étaient détruites.

    Hougomont entamé, la Haie-Sainte prise, il n’y avait plus qu’un nœud, le centre. Ce nœud-là tenait toujours. Wellington le renforça. Il y appela Hill qui était à Merbe-Braine, il y appela Chassé qui était à Braine-l’Alleud.

    Le centre de l’armée anglaise, un peu concave, très dense et très compact, était fortement situé. Il occupait le plateau de Mont-Saint-Jean, ayant derrière lui le village et devant lui la pente, assez âpre alors. Il s’adossait à cette forte maison de pierre, qui était à cette époque un bien domanial de Nivelles et qui marque l’intersection des routes, masse du seizième siècle si robuste que les boulets y ricochaient sans l’entamer. Tout autour du plateau, les anglais avaient taillé çà et là les haies, fait des embrasures dans les aubépines, mis une gueule de canon entre deux branches, crénelé les buissons. Leur artillerie était en embuscade sous les broussailles. Ce travail punique, incontestablement autorisé par la guerre qui admet le piége, était si bien fait que Haxo, envoyé par l’empereur à neuf heures du matin pour reconnaître les batteries ennemies, n’en avait rien vu, et était revenu dire à Napoléon qu’il n’y avait pas d’obstacle, hors les deux barricades barrant les routes de Nivelles et de Genappe. C’était le moment où la moisson est haute ; sur la lisière du plateau, un bataillon de la brigade de Kempt, le 95e, armé de carabines, était couché dans les grands blés.

    Ainsi assuré et contre-buté, le centre de l’armée anglo-hollandaise était en bonne posture.

    Le péril de cette position était la forêt de Soignes, alors contiguë au champ de bataille et coupée par les étangs de Grœnendael et de Boitsfort. Une armée n’eût pu y reculer sans se dissoudre; les régiments s’y fussent tout de suite désagrégés. L’artillerie s’y fût perdue dans les marais. La retraite, selon l’opinion de plusieurs hommes du métier, contestée par d’autres, il est vrai, eût été là un sauve-qui-peut.

    Wellington ajouta à ce centre une brigade de Chassé, ôtée à l’aile droite, et une brigade de Wincke, ôtée à l’aile gauche, plus la division Clinton. À ses anglais, aux régiments de Halkett, à la brigade de Mitchell, aux gardes de Maitland, il donna comme épaulements et contre-forts l’infanterie de Brunswick, le contingent de Nassau, les hanovriens de Kielmansegge et les allemands d’Ompteda. Cela lui mit sous la main vingt-six bataillons. L’aile droite, comme dit Charras, fut rabattue derrière le centre. Une batterie énorme était masquée par des sacs à terre à l’endroit où est aujourd’hui ce qu’on appelle « le musée de Waterloo ». Wellington avait en outre dans un pli de terrain les dragons-gardes de Somerset, quatorze cents chevaux. C’était l’autre moitié de cette cavalerie anglaise, si justement célèbre. Ponsomby détruit, restait Somerset.

    La batterie, qui, achevée, eût été presque une redoute, était disposée derrière un mur de jardin très bas, revêtu à la hâte d’une chemise de sacs de sable et d’un large talus de terre. Cet ouvrage n’était pas fini ; on n’avait pas eu le temps de le palissader.

    Wellington, inquiet, mais impassible, était à cheval, et y demeura toute la journée dans la même attitude, un peu en avant du vieux moulin de Mont-Saint-Jean, qui existe encore, sous un orme qu’un anglais, depuis, vandale enthousiaste, a acheté deux cents francs, scié et emporté. Wellington fut là froidement héroïque. Les boulets pleuvaient. L’aide de camp Gordon venait de tomber à côté de lui. Lord Hill, lui montrant un obus qui éclatait, lui dit : — Milord, quelles sont vos instructions, et quels ordres nous laissez-vous, si vous vous faites tuer ? — De faire comme moi, répondit Wellington. À Clinton, il dit laconiquement : — Tenir ici jusqu’au dernier homme. — La journée, visiblement, tournait mal. Wellington criait à ses anciens compagnons de Talavera, de Vitoria et de Salamanque : — Boys (garçons) ! est-ce qu’on peut songer à lâcher pied ? pensez à la vieille Angleterre !

    Vers quatre heures, la ligne anglaise s’ébranla en arrière. Tout à coup on ne vit plus sur la crête du plateau que l’artillerie et les tirailleurs, le reste disparut ; les régiments, chassés par les obus et les boulets français, se replièrent dans le fond que coupe encore aujourd’hui le sentier de service de la ferme de Mont-Saint-Jean, un mouvement rétrograde se fit, le front de bataille anglais se déroba, Wellington recula. — Commencement de retraite ! cria Napoléon.


     

    VII


     

    NAPOLÉON DE BELLE HUMEUR


    L’empereur, quoique malade et gêné à cheval par une souffrance locale, n’avait jamais été de si bonne humeur que ce jour-là. Depuis le matin, son impénétrabilité souriait. Le 18 juin 1815, cette âme profonde, masquée de marbre, rayonnait aveuglément. L’homme qui avait été sombre à Austerlitz fut gai à Waterloo. Les plus grands prédestinés font de ces contre-sens. Nos joies sont de l’ombre. Le suprême sourire est à Dieu.

    Ridet Caesar, Pompeius flebit, disaient les légionnaires de la légion Fulminatrix. Pompée cette fois ne devait pas pleurer, mais il est certain que César riait.

    Dès la veille, la nuit, à une heure, explorant à cheval, sous l’orage et sous la pluie, avec Bertrand, les collines qui avoisinent Rossomme, satisfait de voir la longue ligne des feux anglais illuminant tout l’horizon de Frischemont à Braine-l’Alleud, il lui avait semblé que le destin assigné par lui à jour fixe sur le champ de Waterloo, était exact ; il avait arrêté son cheval, et était demeuré quelque temps immobile, regardant les éclairs, écoutant le tonnerre, et on avait entendu ce fataliste jeter dans l’ombre cette parole mystérieuse : « Nous sommes d’accord. » Napoléon se trompait. Ils n’étaient plus d’accord.

    Il n’avait pas pris une minute de sommeil, tous les instants de cette nuit-là avaient été marqués pour lui par une joie. Il avait parcouru toute la ligne des grand’gardes, en s’arrêtant çà et là pour parler aux vedettes. À deux heures et demie, près du bois d’Hougomont, il avait entendu le pas d’une colonne en marche ; il avait cru un moment à la reculade de Wellington. Il avait dit : C’est l’arrière-garde anglaise qui s’ébranle pour décamper. Je ferai prisonniers les six mille anglais qui viennent d’arriver à Ostende. Il causait avec expansion ; il avait retrouvé cette verve du débarquement du 1er mars, quand il montrait au grand-maréchal le paysan enthousiaste du golfe Juan, en s’écriant : — Eh bien, Bertrand, voilà déjà du renfort ! La nuit du 17 au 18 juin, il raillait Wellington. — Ce petit anglais a besoin d’une leçon, disait Napoléon. La pluie redoublait ; il tonnait pendant que l’empereur parlait.

    À trois heures et demie du matin, il avait perdu une illusion ; des officiers envoyés en reconnaissance lui avaient annoncé que l’ennemi ne faisait aucun mouvement. Rien ne bougeait ; pas un feu de bivouac n’était éteint. L’armée anglaise dormait. Le silence était profond sur la terre ; il n’y avait de bruit que dans le ciel. À quatre heures, un paysan lui avait été amené par les coureurs ; ce paysan avait servi de guide à une brigade de cavalerie anglaise, probablement la brigade Vivian, qui allait prendre position au village d’Ohain, à l’extrême gauche. À cinq heures, deux déserteurs belges lui avaient rapporté qu’ils venaient de quitter leur régiment, et que l’armée anglaise attendait la bataille. ― Tant mieux ! s’était écrié Napoléon. J’aime encore mieux les culbuter que les refouler.

    Le matin, sur la berge qui fait l’angle du chemin de Plancenoit, il avait mis pied à terre dans la boue, s’était fait apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s’était assis, avec une botte de paille pour tapis, et avait déployé sur la table la carte du champ de bataille, en disant : Joli échiquier !

    Par suite des pluies de la nuit, les convois de vivres, empêtrés dans des routes défoncées, n’avaient pu arriver le matin, le soldat n’avait pas dormi, était mouillé, et était à jeun ; cela n’avait pas empêché Napoléon de crier allègrement à Ney : Nous avons quatrevingt-dix chances sur cent. À huit heures, on avait apporté le déjeuner de l’empereur. Il y avait invité plusieurs généraux. Tout en déjeunant, on avait raconté que Wellington était l’avant-veille au bal à Bruxelles, chez la duchesse de Richmond, et Soult, rude homme de guerre avec une figure d’archevêque, avait dit : Le bal, c’est aujourd’hui. L’empereur avait plaisanté Ney qui disait : Wellington ne sera pas assez simple pour attendre votre majesté. C’était là d’ailleurs sa manière. Il badinait volontiers, dit Fleury de Chaboulon. Le fond de son caractère était une humeur enjouée, dit Gourgaud. Il abondait en plaisanteries, plutôt bizarres que spirituelles, dit Benjamin Constant. Ces gaîtés de géants valent la peine qu’on y insiste. C’est lui qui avait appelé ses grenadiers « les grognards » ; il leur pinçait l’oreille, il leur tirait la moustache. L’empereur ne faisait que nous faire des niches ; ceci est un mot de l’un d’eux. Pendant le mystérieux trajet de l’île d’Elbe en France, le 27 février, en pleine mer, le brick de guerre français le Zéphir ayant rencontré le brick l’Inconstant où Napoléon était caché et ayant demandé à l’Inconstant des nouvelles de Napoléon, l’empereur, qui avait encore en ce moment-là à son chapeau la cocarde blanche et amarante semée d’abeilles, adoptée par lui à l’île d’Elbe, avait pris en riant le porte-voix et avait répondu lui-même : L’empereur se porte bien. Qui rit de la sorte est en familiarité avec les événements. Napoléon avait eu plusieurs accès de rire pendant le déjeuner de Waterloo. Après le déjeuner il s’était recueilli un quart d’heure, puis deux généraux s’étaient assis sur la botte de paille, une plume à la main, une feuille de papier sur le genou, et l’empereur leur avait dicté l’ordre de bataille.

    À neuf heures, à l’instant où l’armée française, échelonnée et mise en mouvement sur cinq colonnes, s’était déployée, les divisions sur deux lignes, l’artillerie entre les brigades, musique en tête, battant aux champs, avec les roulements des tambours et les sonneries des trompettes, puissante, vaste, joyeuse, mer de casques, de sabres et de bayonnettes sur l’horizon, l’empereur, ému, s’était écrié à deux reprises : « Magnifique ! magnifique ! »

    De neuf heures à dix heures et demie, toute l’armée, ce qui semble incroyable, avait pris position et s’était rangée sur six lignes, formant pour répéter l’expression de l’empereur « la figure de six V ». Quelques instants après la formation du front de bataille, au milieu de ce profond silence de commencement d’orage qui précède les mêlées, voyant défiler les trois batteries de douze, détachées sur son ordre des trois corps de d’Erlon, de Reille et de Lobau, et destinées à commencer l’action en battant Mont-Saint-Jean où est l’intersection des routes de Nivelles et de Genappe, l’empereur avait frappé sur l’épaule de Haxo en lui disant : Voilà vingt-quatre belles filles, général.

    Sûr de l’issue, il avait encouragé d’un sourire, à son passage devant lui, la compagnie de sapeurs du premier corps, désignée par lui pour se barricader dans Mont-Saint-Jean, sitôt le village enlevé. Toute cette sérénité n’avait été traversée que par un mot de pitié hautaine ; en voyant à sa gauche, à un endroit où il y a aujourd’hui une grande tombe, se masser avec leurs chevaux superbes ces admirables Écossais gris, il avait dit : C’est dommage.

    Puis il était monté à cheval, s’était porté en avant de Rossomme, et avait choisi pour observatoire une étroite croupe de gazon à droite de la route de Genappe à Bruxelles, qui fut sa seconde station pendant la bataille. La troisième station, celle de sept heures du soir, entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte, est redoutable ; c’est un tertre assez élevé qui existe encore et derrière lequel la garde était massée dans une déclivité de la plaine. Autour de ce tertre, les boulets ricochaient sur le pavé de la chaussée jusqu’à Napoléon. Comme à Brienne, il avait sur sa tête le sifflement des balles et des biscaïens. On a ramassé, presque à l’endroit où étaient les pieds de son cheval, des boulets vermoulus, de vieilles lames de sabre et des projectiles informes, mangés de rouille. Scabra rubigine. Il y a quelques années, on y a déterré un obus de soixante, encore chargé, dont la fusée s’était brisée au ras de la bombe. C’est à cette dernière station que l’empereur disait à son guide Lacoste, un paysan hostile, effaré, attaché à la selle d’un hussard, se retournant à chaque paquet de mitraille, et tâchant de se cacher derrière lui : — Imbécile ! c’est honteux, tu vas te faire tuer dans le dos. Celui qui écrit ces lignes a trouvé lui-même dans le talus friable de ce tertre, en creusant le sable, les restes du col d’une bombe désagrégés par l’oxyde de quarante-six années, et de vieux tronçons de fer qui cassaient comme des bâtons de sureau entre ses doigts.

    Les ondulations des plaines diversement inclinées où eut lieu la rencontre de Napoléon et de Wellington ne sont plus, personne ne l’ignore, ce qu’elles étaient le 18 juin 1815. En prenant à ce champ funèbre de quoi lui faire un monument, on lui a ôté son relief réel, et l’histoire déconcertée ne s’y reconnaît plus. Pour le glorifier, on l’a défiguré. Wellington, deux ans après, revoyant Waterloo, s’est écrié : On m’a changé mon champ de bataille. Là où est aujourd’hui la grosse pyramide de terre surmontée du lion, il y avait une crête qui, vers la route de Nivelles, s’abaissait en rampe praticable, mais qui, du côté de la chaussée de Genappe, était presque un escarpement. L’élévation de cet escarpement peut encore être mesurée aujourd’hui par la hauteur des deux tertres des deux grandes sépultures qui encaissent la route de Genappe à Bruxelles ; l’une, le tombeau anglais, à gauche ; l’autre, le tombeau allemand, à droite. Il n’y a point de tombeau français. Pour la France, toute cette plaine est sépulcre. Grâce aux mille et mille charretées de terre employées à la butte de cent cinquante pieds de haut et d’un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd’hui accessible en pente douce ; le jour de la bataille, surtout du côté de la Haie-Sainte, il était d’un abord âpre et abrupt. Le versant là était si incliné que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d’eux la ferme située au fond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore raviné cette roideur, la fange compliquait la montée, et non seulement on gravissait, mais on s’embourbait. Le long de la crête du plateau courait une sorte de fossé impossible à deviner pour un observateur lointain.

    Qu’était-ce que ce fossé ? Disons-le. Braine-l’Alleud est un village de Belgique, Ohain en est un autre. Ces villages, cachés tous les deux dans des courbes de terrain, sont joints par un chemin d’une lieue et demie environ qui traverse une plaine à niveau ondulant, et souvent entre et s’enfonce dans des collines comme un sillon, ce qui fait que sur divers points cette route est un ravin. En 1815, comme aujourd’hui, cette route coupait la crête du plateau de Mont-Saint-Jean entre les deux chaussées de Genappe et de Nivelles ; seulement, elle est aujourd’hui de plain-pied avec la plaine ; elle était alors chemin creux. On lui a pris ses deux talus pour la butte-monument. Cette route était et est encore une tranchée dans la plus grande partie de son parcours ; tranchée creuse quelquefois d’une douzaine de pieds et dont les talus trop escarpés s’écroulaient çà et là, surtout en hiver, sous les averses. Des accidents y arrivaient. La route était si étroite à l’entrée de Braine-l’Alleud qu’un passant y avait été broyé par un chariot, comme le constate une croix de pierre debout près du cimetière qui donne le nom du mort, Monsieur Bernard Debrye, marchand à Bruxelles, et la date de l’accident, février 1637*. Elle était si profonde sur le plateau du Mont-Saint-Jean, qu’un paysan, Mathieu Nicaise, y avait été écrasé en 1783 par un éboulement du talus, comme le constatait une autre croix de pierre dont le faîte a disparu dans les défrichements, mais dont le piédestal renversé est encore visible aujourd’hui sur la pente du gazon à gauche de la chaussée entre la Haie-Sainte et la ferme du Mont-Saint-Jean.

    * Voici l’inscription :

    DOM
    CY A ÉTÉ ÉCRASÉ
    PAR MALHEUR
    SOUS UN CHARIOT
    MONSIEUR BERNARD
    DE BRYE MARCHAND
    A BRUXELLE LE (illisible)
    FEBVRIER 1637


     

    Un jour de bataille, ce chemin creux dont rien n’avertissait, bordant la crête de Mont-Saint-Jean, fossé au sommet de l’escarpement, ornière cachée dans les terres, était invisible, c’est-à-dire terrible.


     

    VIII


     

    L’EMPEREUR FAIT UNE QUESTION
    AU GUIDE LACOSTE


     

    Donc, le matin de Waterloo, Napoléon était content.

    Il avait raison ; le plan de bataille, conçu par lui, nous l’avons constaté, était en effet admirable.

    Une fois la bataille engagée, ses péripéties très diverses, la résistance d’Hougomont, la ténacité de la Haie-Sainte, Bauduin tué, Foy mis hors de combat, la muraille inattendue où s’était brisée la brigade Soye, l’étourderie fatale de Guillemot n’ayant ni pétards ni sacs à poudre, l’embourbement des batteries, les quinze pièces sans escorte culbutées par Uxbridge dans un chemin creux, le peu d’effet des bombes tombant dans les lignes anglaises, s’y enfouissant dans le sol détrempé par les pluies et ne réussissant qu’à y faire des volcans de boue, de sorte que la mitraille se changeait en éclaboussure, l’inutilité de la démonstration de Piré sur Braine-l’Alleud, toute cette cavalerie, quinze escadrons, à peu près annulée, l’aile droite anglaise mal inquiétée, l’aile gauche mal entamée, l’étrange malentendu de Ney, massant au lieu de les échelonner, les quatre divisions du premier corps, des épaisseurs de vingt-sept rangs et des fronts de deux cents hommes livrés de la sorte à la mitraille, l’effrayante trouée des boulets dans ces masses, les colonnes d’attaque désunies, la batterie d’écharpe brusquement démasquée sur leur flanc, Bourgeois, Donzelot et Durutte compromis, Quiot repoussé, le lieutenant Vieux, cet hercule sorti de l’école polytechnique, blessé au moment où il enfonçait à coups de hache la porte de la Haie-Sainte sous le feu plongeant de la barricade anglaise barrant le coude de la route de Genappe à Bruxelles, la division Marcognet, prise entre l’infanterie et la cavalerie, fusillée à bout portant dans les blés par Best et Pack, sabrée par Ponsomby, sa batterie de sept pièces enclouée, le prince de Saxe-Weimar tenant et gardant, malgré le comte d’Erlon, Frischemont et Smohain, le drapeau du 105e pris, le drapeau du 45e pris, ce hussard noir prussien arrêté par les coureurs de la colonne volante de trois cents chasseurs battant l’estrade entre Wavre et Plancenoit, les choses inquiétantes que ce prisonnier avait dites, le retard de Grouchy, les quinze cents hommes tués en moins d’une heure dans le verger d’Hougomont, les dix-huit cents hommes couchés en moins de temps encore autour de la Haie-Sainte, tous ces incidents orageux, passant comme les nuées de la bataille devant Napoléon, avaient à peine troublé son regard et n’avaient point assombri cette face impériale de la certitude. Napoléon était habitué à regarder la guerre fixement ; il ne faisait jamais chiffre à chiffre l’addition poignante du détail ; les chiffres lui importaient peu, pourvu qu’ils donnassent ce total : victoire ; que les commencements s’égarassent, il ne s’en alarmait point, lui qui se croyait maître et possesseur de la fin ; il savait attendre, se supposant hors de question, et il traitait le destin d’égal à égal. Il paraissait dire au sort : tu n’oserais pas.

    Mi-parti lumière et ombre, Napoléon se sentait protégé dans le bien et toléré dans le mal. Il avait ou croyait avoir pour lui, une connivence, on pourrait presque dire une complicité des événements, équivalente à l’antique invulnérabilité.

    Pourtant, quand on a derrière soi la Bérésina, Leipsick et Fontainebleau, il semble qu’on pourrait se défier de Waterloo. Un mystérieux froncement de sourcil devient visible au fond du ciel.

    Au moment où Wellington rétrograda, Napoléon tressaillit. Il vit subitement le plateau de Mont-Saint-Jean se dégarnir et le front de l’armée anglaise disparaître. Elle se ralliait, mais se dérobait. L’empereur se souleva à demi sur ses étriers. L’éclair de la victoire passa dans ses yeux.

    Wellington acculé à la forêt de Soignes et détruit, c’était le terrassement définitif de l’Angleterre par la France ; c’était Crécy, Poitiers, Malplaquet et Ramillies vengés. L’homme de Marengo raturait Azincourt.

    L’empereur alors, méditant la péripétie terrible, promena une dernière fois sa lunette sur tous les points du champ de bataille. Sa garde, l’arme au pied derrière lui, l’observait d’en bas avec une sorte de religion. Il songeait ; il examinait les versants, notait les pentes, scrutait le bouquet d’arbres, le carré de seigles, le sentier ; il semblait compter chaque buisson. Il regarda avec quelque fixité les barricades anglaises des deux chaussées, deux larges abattis d’arbres, celle de la chaussée de Genappe au-dessus de la Haie-Sainte, armée de deux canons, les seuls de toute l’artillerie anglaise qui vissent le fond du champ de bataille, et celle de la chaussée de Nivelles où étincelaient les bayonnettes hollandaises de la brigade Chassé. Il remarqua près de cette barricade la vieille chapelle de Saint-Nicolas peinte en blanc qui est à l’angle de la traverse vers Braine-l’Alleud. Il se pencha et parla à demi-voix au guide Lacoste. Le guide fit un signe de tête négatif, probablement perfide.

    L’empereur se redressa et se recueillit.

    Wellington avait reculé. Il ne restait plus qu’à achever ce recul par un écrasement.

    Napoléon, se retournant brusquement, expédia une estafette à franc étrier à Paris pour y annoncer que la bataille était gagnée.

    Napoléon était un de ces génies d’où sort le tonnerre.

    Il venait de trouver son coup de foudre.

    Il donna l’ordre aux cuirassiers de Milhaud d’enlever le plateau de Mont-Saint-Jean.


     

    IX


     

    L’INATTENDU


     

    Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d’un quart de lieue. C’étaient des hommes géants sur des chevaux colosses. Ils étaient vingt-six escadrons ; et ils avaient derrière eux, pour les appuyer, la division de Lefebvre-Desnouettes, les cent six gendarmes d’élite, les chasseurs de la garde, onze cent quatrevingt-dix-sept hommes, et les lanciers de la garde, huit cent quatrevingts lances. Ils portaient le casque sans crins et la cuirasse de fer battu, avec les pistolets d’arçon dans les fontes et le long sabre-épée. Le matin toute l’armée les avait admirés, quand, à neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantant Veillons au salut de l’empire, ils étaient venus, colonne épaisse, une de leurs batteries à leur flanc, l’autre à leur centre, se déployer sur deux rangs entre la chaussée de Genappe et Frischemont, et prendre leur place de bataille dans cette puissante deuxième ligne, si savamment composée par Napoléon, laquelle, ayant à son extrémité de gauche les cuirassiers de Kellerman et à son extrémité de droite les cuirassiers de Milhaud, avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.

    L’aide de camp Bernard leur porta l’ordre de l’empereur. Ney tira son épée et prit la tête. Les escadrons énormes s’ébranlèrent.

    Alors on vit un spectacle formidable.

    Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonne par division, descendit d’un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l’autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables ; dans les intervalles de la mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.

    Rien de semblable ne s’était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie ; Murat y manquait, mais Ney s’y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l’hydre.

    Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.

    Bizarre coïncidence numérique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrière la crête du plateau, à l’ombre de la batterie masquée, l’infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l’épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d’hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre.

    Tout à coup, chose tragique, à la gauche des anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crête, effrénés, tout à leur furie et à leur course d’extermination sur les carrés et les canons, les cuirassiers venaient d’apercevoir entre eux et les anglais un fossé, une fosse. C’était le chemin creux d’Ohain.

    L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus ; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n’était plus qu’un projectile, la force acquise pour écraser les anglais écrasa les français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé, cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu’une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d’hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme.

    Ceci commença la perte de la bataille.

    Une tradition locale, qui exagère évidemment, dit que deux mille chevaux et quinze cents hommes furent ensevelis dans le chemin creux d’Ohain. Ce chiffre vraisemblablement comprend tous les autres cadavres qu’on jeta dans ce ravin le lendemain du combat.

    Notons en passant que c’était cette brigade Dubois, si funestement éprouvée, qui, une heure auparavant, chargeant à part, avait enlevé le drapeau du bataillon de Lunebourg.

    Napoléon, avant d’ordonner cette charge des cuirassiers de Milhaud, avait scruté le terrain, mais n’avait pu voir ce chemin creux qui ne faisait pas même une ride à la surface du plateau. Averti pourtant et mis en éveil par la petite chapelle blanche qui en marque l’angle sur la chaussée de Nivelles, il avait fait, probablement sur l’éventualité d’un obstacle, une question au guide Lacoste. Le guide avait répondu non. On pourrait presque dire que de ce signe de tête d’un paysan est sortie la catastrophe de Napoléon.

    D’autres fatalités encore devaient surgir.

    Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille ? nous répondons non. Pourquoi ? À cause de Wellington ? à cause de Blücher ? Non. À cause de Dieu.

    Bonaparte vainqueur à Waterloo, ceci n’était plus dans la loi du dix-neuvième siècle. Une autre série de faits se préparait, où Napoléon n’avait plus de place. La mauvaise volonté des événements s’était annoncée de longue date.

    Il était temps que cet homme vaste tombât.

    L’excessive pesanteur de cet homme dans la destinée humaine troublait l’équilibre. Cet individu comptait à lui seul plus que le groupe universel. Ces pléthores de toute la vitalité humaine concentrée dans une seule tête, le monde montant au cerveau d’un homme, cela serait mortel à la civilisation si cela durait. Le moment était venu pour l’incorruptible équité suprême d’aviser. Probablement les principes et les éléments, d’où dépendent les gravitations régulières dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, se plaignaient. Le sang qui fume, le trop-plein des cimetières, les mères en larmes, ce sont des plaidoyers redoutables. Il y a, quand la terre souffre d’une surcharge, de mystérieux gémissements de l’ombre, que l’abîme entend.

    Napoléon avait été dénoncé dans l’infini, et sa chute était décidée.

    Il gênait Dieu.

    Waterloo n’est point une bataille ; c’est le changement de front de l’univers.


     

    X


     

    LE PLATEAU DE MONT-SAINT-JEAN


     

    En même temps que le ravin, la batterie s’était démasquée.

    Soixante canons et les treize carrés foudroyèrent les cuirassiers à bout portant. L’intrépide général Delord fit le salut militaire à la batterie anglaise.

    Toute l’artillerie volante anglaise était rentrée au galop dans les carrés. Les cuirassiers n’eurent pas même un temps d’arrêt. Le désastre du chemin creux les avait décimés, mais non découragés. C’étaient de ces hommes qui, diminués de nombre, grandissent de cœur.

    La colonne Wathier seule avait souffert du désastre ; la colonne Delord, que Ney avait fait obliquer à gauche, comme s’il pressentait l’embûche, était arrivée entière.

    Les cuirassiers se ruèrent sur les carrés anglais.

    Ventre à terre, brides lâchées, sabre aux dents, pistolets au poing, telle fut l’attaque.

    Il y a des moments dans les batailles où l’âme durcit l’homme jusqu’à changer le soldat en statue, et où toute cette chair se fait granit. Les bataillons anglais, éperdument assaillis, ne bougèrent pas.

    Alors ce fut effrayant.

    Toutes les faces des carrés anglais furent attaquées à la fois. Un tournoiement frénétique les enveloppa. Cette froide infanterie demeura impassible. Le premier rang, genou en terre, recevait les cuirassiers sur les bayonnettes, le second rang les fusillait ; derrière le second rang les canonniers chargeaient les pièces, le front du carré s’ouvrait, laissait passer une éruption de mitraille et se refermait. Les cuirassiers répondaient par l’écrasement. Leurs grands chevaux se cabraient, enjambaient les rangs, sautaient par-dessus les bayonnettes et tombaient, gigantesques, au milieu de ces quatre murs vivants. Les boulets faisaient des trouées dans les cuirassiers, les cuirassiers faisaient des brèches dans les carrés. Des files d’hommes disparaissaient broyées sous les chevaux. Les bayonnettes s’enfonçaient dans les ventres de ces centaures. De là une difformité de blessures qu’on n’a pas vue peut-être ailleurs. Les carrés, rongés par cette cavalerie forcenée, se rétrécissaient sans broncher. Inépuisables en mitraille, ils faisaient explosion au milieu des assaillants. La figure de ce combat était monstrueuse. Ces carrés n’étaient plus des bataillons, c’étaient des cratères ; ces cuirassiers n’étaient plus une cavalerie, c’était une tempête. Chaque carré était un volcan attaqué par un nuage ; la lave combattait la foudre.

    Le carré extrême de droite, le plus exposé de tous, étant en l’air, fut presque anéanti dès les premiers chocs. Il était formé du 75e régiment de highlanders. Le joueur de cornemuse au centre, pendant qu’on s’exterminait autour de lui, baissant dans une inattention profonde son œil mélancolique plein du reflet des forêts et des lacs, assis sur un tambour, son pibroch sous le bras, jouait les airs de la montagne. Ces Écossais mouraient en pensant au Ben Lothian, comme les Grecs en se souvenant d’Argos. Le sabre d’un cuirassier, abattant le pibroch et le bras qui le portait, fit cesser le chant en tuant le chanteur.

    Les cuirassiers, relativement peu nombreux, amoindris par la catastrophe du ravin, avaient là contre eux presque toute l’armée anglaise, mais ils se multipliaient, chaque homme valant dix. Cependant quelques bataillons hanovriens plièrent. Wellington le vit, et songea à sa cavalerie. Si Napoléon, en ce moment-là même, eût songé à son infanterie, il eût gagné la bataille. Cet oubli fut sa grande faute fatale.

    Tout à coup les cuirassiers, assaillants, se sentirent assaillis. La cavalerie anglaise était sur leur dos. Devant eux les carrés, derrière eux Somerset ; Somerset, c’étaient les quatorze cents dragons-gardes. Somerset avait à sa droite Dornberg avec les chevau-légers allemands, et à sa gauche Trip avec les carabiniers belges ; les cuirassiers, attaqués en flanc et en tête, en avant et en arrière, par l’infanterie et par la cavalerie, durent faire face de tous les côtés. Que leur importait ? ils étaient tourbillon. La bravoure devint inexprimable.

    En outre, ils avaient derrière eux la batterie toujours tonnante. Il fallait cela pour que ces hommes fussent blessés dans le dos. Une de leurs cuirasses, trouée à l’omoplate gauche d’un biscayen, est dans la collection dite musée de Waterloo.

    Pour de tels français, il ne fallait pas moins que de tels anglais.

    Ce ne fut plus une mêlée, ce fut une ombre, une furie, un vertigineux emportement d’âmes et de courages, un ouragan d’épées éclairs. En un instant les quatorze cents dragons-gardes ne furent plus que huit cents ; Fuller, leur lieutenant-colonel, tomba mort. Ney accourut avec les lanciers et les chasseurs de Lefebvre-Desnouettes. Le plateau de Mont-Saint-Jean fut pris, repris, pris encore. Les cuirassiers quittaient la cavalerie pour retourner à l’infanterie, ou, pour mieux dire, toute cette cohue formidable se colletait sans que l’un lâchât l’autre. Les carrés tenaient toujours. Il y eut douze assauts. Ney eut quatre chevaux tués sous lui. La moitié des cuirassiers resta sur le plateau. Cette lutte dura deux heures.

    L’armée anglaise en fut profondément ébranlée. Nul doute que, s’ils n’eussent été affaiblis dans leur premier choc par le désastre du chemin creux, les cuirassiers n’eussent culbuté le centre et décidé la victoire. Cette cavalerie extraordinaire pétrifia Clinton qui avait vu Talavera et Badajoz. Wellington, aux trois quarts vaincu, admirait héroïquement. Il disait à demi-voix : Sublime [2] !

    Les cuirassiers anéantirent sept carrés sur treize, prirent ou enclouèrent soixante pièces de canon, et enlevèrent aux régiments anglais six drapeaux, que trois cuirassiers et trois chasseurs de la garde allèrent porter à l’empereur devant la ferme de la Belle-Alliance.

    La situation de Wellington avait empiré. Cette étrange bataille était comme un duel entre deux blessés acharnés qui, chacun de leur côté, tout en combattant et en se résistant toujours, perdent tout leur sang. Lequel des deux tombera le premier ?

    La lutte du plateau continuait.

    Jusqu’où sont allés les cuirassiers ? personne ne saurait le dire. Ce qui est certain, c’est que, le lendemain de la bataille, un cuirassier et son cheval furent trouvés morts dans la charpente de la bascule du pesage des voitures à Mont-Saint-Jean, au point même où s’entrecoupent et se rencontrent les quatre routes de Nivelles, de Genappe, de La Hulpe et de Bruxelles. Ce cavalier avait percé les lignes anglaises. Un des hommes qui ont relevé ce cadavre vit encore à Mont-Saint-Jean. Il se nomme Dehaze. Il avait alors dix-huit ans.

    Wellington se sentait pencher. La crise était proche.

    Les cuirassiers n’avaient point réussi, en ce sens que le centre n’était pas enfoncé. Tout le monde ayant le plateau, personne ne l’avait, et en somme il restait pour la plus grande part aux anglais. Wellington avait le village et la plaine culminante ; Ney n’avait que la crête et la pente. Des deux côtés on semblait enraciné dans ce sol funèbre.

    Mais l’affaiblissement des anglais paraissait irrémédiable. L’hémorrhagie de cette armée était horrible. Kempt, à l’aile gauche, réclamait du renfort. — Il n’y en a pas, répondait Wellington, qu’il se fasse tuer ! — Presque à la même minute, rapprochement singulier qui peint l’épuisement des deux armées, Ney demandait de l’infanterie à Napoléon, et Napoléon s’écriait : De l’infanterie ! où veut-il que j’en prenne ? Veut-il que j’en fasse ?

    Pourtant l’armée anglaise était la plus malade. Les poussées furieuses de ces grands escadrons à cuirasses de fer et à poitrines d’acier avaient broyé l’infanterie. Quelques hommes autour d’un drapeau marquaient la place d’un régiment, tel bataillon n’était plus commandé que par un capitaine ou par un lieutenant ; la division Alten, déjà si maltraitée à la Haie-Sainte, était presque détruite ; les intrépides Belges de la brigade Van Kluze jonchaient les seigles le long de la route de Nivelles ; il ne restait presque rien de ces grenadiers hollandais qui, en 1811, mêlés en Espagne à nos rangs, combattaient Wellington, et qui, en 1815, ralliés aux anglais, combattaient Napoléon. La perte en officiers était considérable. Lord Uxbridge, qui le lendemain fit enterrer sa jambe, avait le genou fracassé. Si, du côté des français, dans cette lutte des cuirassiers, Delord, Lhéritier, Colbert, Dnop, Travers et Blancard étaient hors de combat, du côté des anglais, Alten était blessé, Barne était blessé, Delancey était tué, Van Meeren était tué, Ompteda était tué, tout l’état-major de Wellington était décimé, et l’Angleterre avait le pire partage dans ce sanglant équilibre. Le 2e régiment des gardes à pied avait perdu cinq lieutenants-colonels, quatre capitaines et trois enseignes ; le premier bataillon du 30e d’infanterie avait perdu vingt-quatre officiers et cent douze soldats ; le 79e montagnards avait vingt-quatre officiers blessés, dix-huit officiers morts, quatre cent cinquante soldats tués. Les hussards hanovriens de Cumberland, un régiment tout entier, ayant à sa tête son colonel Hacke, qui devait plus tard être jugé et cassé, avaient tourné bride devant la mêlée et étaient en fuite dans la forêt de Soignes, semant la déroute jusqu’à Bruxelles. Les charrois, les prolonges, les bagages, les fourgons pleins de blessés, voyant les français gagner du terrain et s’approcher de la forêt, s’y précipitaient ; les Hollandais, sabrés par la cavalerie française, criaient : Alarme ! De Vert-Coucou jusqu’à Groenendael, sur une longueur de près de deux lieues dans la direction de Bruxelles, il y avait, au dire des témoins qui existent encore, un encombrement de fuyards. Cette panique fut telle qu’elle gagna le prince de Condé à Malines et Louis XVIII à Gand. À l’exception de la faible réserve échelonnée derrière l’ambulance établie dans la ferme de Mont-Saint-Jean et des brigades Vivian et Vandeleur qui flanquaient l’aile gauche, Wellington n’avait plus de cavalerie. Nombre de batteries gisaient démontées. Ces faits sont avoués par Siborne ; et Pringle, exagérant le désastre, va jusqu’à dire que l’armée anglo-hollandaise était réduite à trente-quatre mille hommes. Le duc-de-fer demeurait calme, mais ses lèvres avaient blêmi. Le commissaire autrichien Vincent, le commissaire espagnol Alava, présents à la bataille dans l’état-major anglais, croyaient le duc perdu. À cinq heures, Wellington tira sa montre, et on l’entendit murmurer ce mot sombre : Blücher, ou la nuit !

    Ce fut vers ce moment-là qu’une ligne lointaine de bayonnettes étincela sur les hauteurs du côté de Frischemont.

    Ici est la péripétie de ce drame géant.


     

    XI


     

    MAUVAIS GUIDE À NAPOLÉON, BON GUIDE
    À BULOW


     

    On connaît la poignante méprise de Napoléon : Grouchy espéré, Blücher survenant ; la mort au lieu de la vie.

    La destinée a de ces tournants ; on s’attendait au trône du monde ; on aperçoit Sainte-Hélène.

    Si le petit pâtre, qui servait de guide à Bülow, lieutenant de Blücher, lui eût conseillé de déboucher de la forêt au-dessus de Frischemont plutôt qu’au dessous de Plancenoit, la forme du dix-neuvième siècle eût peut-être été différente. Napoléon eût gagné la bataille de Waterloo. Par tout autre chemin qu’au-dessous de Plancenoit, l’armée prussienne aboutissait à un ravin infranchissable à l’artillerie, et Bülow n’arrivait pas.

    Or, une heure de retard, c’est le général prussien Muffling qui le déclare, et Blücher n’aurait plus trouvé Wellington debout ; « la bataille était perdue ».

    Il était temps, on le voit, que Bülow arrivât. Il avait du reste été fort retardé. Il avait bivouaqué à Dion-le-Mont et était parti dès l’aube. Mais les chemins étaient impraticables et ses divisions s’étaient embourbées. Les ornières venaient au moyeu des canons. En outre, il avait fallu passer la Dyle sur l’étroit pont de Wavre ; la rue menant au pont avait été incendiée par les français ; les caissons et les fourgons de l’artillerie, ne pouvant passer entre deux rangs de maisons en feu, avaient dû attendre que l’incendie fût éteint. Il était midi que l’avant-garde de Bülow n’avait pu encore atteindre Chapelle-Saint-Lambert.

    L’action, commencée deux heures plus tôt, eût été finie à quatre heures, et Blücher serait tombé sur la bataille gagnée par Napoléon. Tels sont ces immenses hasards, proportionnés à un infini qui nous échappe.

    Dès midi, l’empereur, le premier, avec sa longue-vue, avait aperçu à l’extrême horizon quelque chose qui avait fixé son attention. Il avait dit : — Je vois là-bas un nuage qui me paraît être des troupes. Puis il avait demandé au duc de Dalmatie : — Soult, que voyez-vous vers Chapelle-Saint-Lambert ? — Le maréchal braquant sa lunette avait répondu : — Quatre ou cinq mille hommes, sire. Évidemment Grouchy. — Cependant cela restait immobile dans la brume. Toutes les lunettes de l’état-major avaient étudié « le nuage » signalé par l’empereur. Quelques-uns avaient dit : Ce sont des colonnes qui font halte. La plupart avaient dit : Ce sont des arbres. La vérité est que le nuage ne remuait pas. L’empereur avait détaché en reconnaissance vers ce point obscur la division de cavalerie légère de Domon.

    Bülow en effet n’avait pas bougé. Son avant-garde était très faible, et ne pouvait rien. Il devait attendre le gros du corps d’armée, et il avait l’ordre de se concentrer avant d’entrer en ligne ; mais à cinq heures, voyant le péril de Wellington, Blücher ordonna à Bülow d’attaquer et dit ce mot remarquable : « Il faut donner de l’air à l’armée anglaise. »

    Peu après, les divisions Losthin, Hiller, Hacke et Ryssel se déployaient devant le corps de Lobau, la cavalerie du prince Guillaume de Prusse débouchait du bois de Paris, Plancenoit était en flammes, et les boulets prussiens commençaient à pleuvoir jusque dans les rangs de la garde en réserve derrière Napoléon.


     

    XII


     

    LA GARDE


     

    On sait le reste : l’irruption d’une troisième armée, la bataille disloquée, quatrevingt-six bouches à feu tonnant tout à coup, Pirch Ier survenant avec Bülow, la cavalerie de Zieten menée par Blücher en personne, les français refoulés, Marcognet balayé du plateau d’Ohain, Durutte délogé de Papelotte, Donzelot et Quiot reculant, Lobau pris en écharpe, une nouvelle bataille se précipitant ; à la nuit tombante sur nos régiments démantelés, toute la ligne anglaise reprenant l’offensive et poussée en avant, la gigantesque trouée faite dans l’armée française, la mitraille anglaise et la mitraille prussienne s’entr’aidant, l’extermination, le désastre de front, le désastre en flanc, la garde entrant en ligne sous cet épouvantable écroulement.

    Comme elle sentait qu’elle allait mourir, elle cria : Vive l’empereur ! L’histoire n’a rien de plus émouvant que cette agonie éclatant en acclamations.

    Le ciel avait été couvert toute la journée. Tout à coup, en ce moment-là même, il était huit heures du soir, les nuages de l’horizon s’écartèrent et laissèrent passer, à travers les ormes de la route de Nivelles, la grande rougeur sinistre du soleil qui se couchait. On l’avait vu se lever à Austerlitz.

    Chaque bataillon de la garde, pour ce dénouement, était commandé par un général. Friant, Michel, Roguet, Harlet, Mallet, Poret de Morvan, étaient là. Quand les hauts bonnets des grenadiers de la garde avec la large plaque à l’aigle apparurent, symétriques, alignés, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mêlée, l’ennemi sentit le respect de la France ; on crut voir vingt victoires entrer sur le champ de bataille, ailes déployées, et ceux qui étaient vainqueurs, s’estimant vaincus, reculèrent ; mais Wellington cria : Debout, gardes, et visez juste ! le régiment rouge des gardes anglaises, couché derrière les haies, se leva, une nuée de mitraille cribla le drapeau tricolore frissonnant autour de nos aigles, tous se ruèrent, et le suprême carnage commença. La garde impériale sentit dans l’ombre l’armée lâchant pied autour d’elle, et le vaste ébranlement de la déroute, elle entendit le sauve-qui-peut ! qui avait remplacé le vive l’empereur ! et, avec la fuite derrière elle, elle continua d’avancer, de plus en plus foudroyée et mourant davantage à chaque pas qu’elle faisait. Il n’y eut point d’hésitants ni de timides. Le soldat dans cette troupe était aussi héros que le général. Pas un homme ne manqua au suicide.

    Ney, éperdu, grand de toute la hauteur de la mort acceptée, s’offrait à tous les coups dans cette tourmente. Il eut là son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, l’écume aux lèvres, l’uniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi coupée par le coup de sabre d’un horse-guard, sa plaque de grand-aigle bosselée par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une épée cassée à la main, il disait : Venez voir comment meurt un maréchal de France sur le champ de bataille ! Mais en vain ; il ne mourut pas. Il était hagard et indigné. Il jetait à Drouet d’Erlon cette question : Est-ce que tu ne te fais pas tuer, toi ? Il criait au milieu de toute cette artillerie écrasant une poignée d’hommes : — Il n’y a donc rien pour moi ! Oh ! je voudrais que tous ces boulets anglais m’entrassent dans le ventre ! Tu étais réservé à des balles françaises, infortuné !


     

    XIII


     

    LA CATASTROPHE


     

    La déroute derrière la garde fut lugubre.

    L’armée plia brusquement de tous les côtés à la fois, de Hougomont, de la Haie-Sainte, de Papelotte, de Plancenoit. Le cri trahison ! fut suivi du cri sauve-qui-peut ! Une armée qui se débande, c’est un dégel. Tout fléchit, se fêle, craque, flotte, roule, tombe, se heurte, se hâte, se précipite. Désagrégation inouïe. Ney emprunte un cheval, saute dessus, et, sans chapeau, sans cravate, sans épée, se met en travers de la chaussée de Bruxelles, arrêtant à la fois les anglais et les français. Il tâche de retenir l’armée, il la rappelle, il l’insulte, il se cramponne à la déroute. Il est débordé. Les soldats le fuient, en criant : Vive le maréchal Ney ! Deux régiments de Durutte vont et viennent effarés et comme ballottés entre le sabre des uhlans et la fusillade des brigades de Kempt, de Best, de Pack et de Rylandt ; la pire des mêlées, c’est la déroute, les amis s’entretuent pour fuir ; les escadrons et les bataillons se brisent et se dispersent les uns contre les autres, énorme écume de la bataille. Lobau à une extrémité comme Reille à l’autre sont roulés dans le flot. En vain Napoléon fait des murailles avec ce qui lui reste de la garde ; en vain il dépense à un dernier effort ses escadrons de service. Quiot recule devant Vivian, Kellermann devant Vandeleur, Lobau devant Bülow, Morand devant Pirch, Domon et Subervic devant le prince Guillaume de Prusse. Guyot, qui a mené à la charge les escadrons de l’empereur, tombe sous les pieds des dragons anglais. Napoléon court au galop le long des fuyards, les harangue, presse, menace, supplie. Toutes ces bouches qui criaient le matin : vive l’empereur ! restent béantes ; c’est à peine si on le connaît. La cavalerie prussienne, fraîche venue, s’élance, vole, sabre, taille, hache, tue, extermine. Les attelages se ruent, les canons se sauvent ; les soldats du train détellent les caissons et en prennent les chevaux pour s’échapper ; des fourgons culbutés les quatre roues en l’air entravent la route et sont des occasions de massacre. On s’écrase, on se foule, on marche sur les morts et sur les vivants. Les bras sont éperdus. Une multitude vertigineuse emplit les routes, les sentiers, les ponts, les plaines, les collines, les vallées, les bois, encombrés par cette évasion de quarante mille hommes. Cris, désespoirs, sacs et fusils jetés dans les seigles, passages frayés à coups d’épée, plus de camarades, plus d’officiers, plus de généraux, une inexprimable épouvante. Zieten sabrant la France à son aise. Les lions devenus chevreuils. Telle fut cette fuite.

    À Genappe, on essaya de se retourner, de faire front, d’enrayer. Lobau rallia trois cents hommes. On barricada l’entrée du village ; mais à la première volée de la mitraille prussienne, tout se remit à fuir, et Lobau fut pris. On voit encore aujourd’hui cette volée de mitraille empreinte sur le vieux pignon d’une masure en brique à droite de la route, quelques minutes avant d’entrer à Genappe. Les prussiens s’élancèrent dans Genappe, furieux sans doute d’être si peu vainqueurs. La poursuite fut monstrueuse. Blücher ordonna l’extermination. Roguet avait donné ce lugubre exemple de menacer de mort tout grenadier français qui lui amènerait un prisonnier prussien. Blücher dépassa Roguet. Le général de la jeune garde, Duhesme, acculé sur la porte d’une auberge de Genappe, rendit son épée à un hussard de la mort qui prit l’épée et tua le prisonnier. La victoire s’acheva par l’assassinat des vaincus. Punissons, puisque nous sommes l’histoire : le vieux Blücher se déshonora. Cette férocité mit le comble au désastre. La déroute désespérée traversa Genappe, traversa les Quatre-Bras, traversa Gosselies, traversa Frasnes, traversa Charleroi, traversa Thuin, et ne s’arrêta qu’à la frontière. Hélas ! et qui donc fuyait de la sorte ? la grande armée.

    Ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais étonné l’histoire, est-ce que cela est sans cause ? Non. L’ombre d’une droite énorme se projette sur Waterloo. C’est la journée du destin. La force au-dessus de l’homme a donné ce jour-là. De là le pli épouvanté des têtes ; de là toutes ces grandes âmes rendant leur épée. Ceux qui avaient vaincu l’Europe sont tombés terrassés, n’ayant plus rien à dire ni à faire, sentant dans l’ombre une présence terrible. Hoc erat in fatis. Ce jour-là, la perspective du genre humain a changé. Waterloo, c’est le gond du dix-neuvième siècle. La disparition du grand homme était nécessaire à l’avènement du grand siècle. Quelqu’un à qui on ne réplique pas s’en est chargé. La panique des héros s’explique. Dans la bataille de Waterloo, il y a plus du nuage, il y a du météore. Dieu a passé.

    À la nuit tombante, dans un champ près de Genappe, Bernard et Bertrand saisirent par un pan de sa redingote et arrêtèrent un homme hagard, pensif, sinistre, qui, entraîné jusque-là par le courant de la déroute, venait de mettre pied à terre, avait passé sous son bras la bride de son cheval, et, l’œil égaré, s’en retournait seul vers Waterloo. C’était Napoléon essayant encore d’aller en avant, immense somnambule de ce rêve écroulé.


     

    XIV


     

    LE DERNIER CARRÉ


     

    Quelques carrés de la garde, immobiles dans le ruissellement de la déroute comme des rochers dans de l’eau qui coule, tinrent jusqu’à la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inébranlables, s’en laissèrent envelopper. Chaque régiment, isolé des autres et n’ayant plus de lien avec l’armée rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernière action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean. Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux.

    Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de l’artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densité de projectiles, ce carré luttait. Il était commandé par un officier obscur nommé Cambronne. À chaque décharge, le carré diminuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade, rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, s’arrêtant par moment, essoufflés, écoutaient dans les ténèbres ce sombre tonnerre décroissant.

    Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !


     

    XV


     

    CAMBRONNE


     

    Le lecteur français voulant être respecté, le plus beau mot peut-être qu’un français ait jamais dit ne peut lui être répété. Défense de déposer du sublime dans l’histoire.

    À nos risques et périls, nous enfreignons cette défense.

    Donc, parmi tous ces géants, il y eut un titan, Cambronne.

    Dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu.

    L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n’est pas Napoléon en déroute, ce n’est pas Wellington pliant à quatre heures, désespéré à cinq, ce n’est pas Blücher qui ne s’est point battu ; l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne.

    Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre.

    Faire cette réponse à la catastrophe, dire cela au destin, donner cette base au lion futur, jeter cette réplique à la pluie de la nuit, au mur traître de Hougomont, au chemin creux d’Ohain, au retard de Grouchy, à l’arrivée de Blücher, être l’ironie dans le sépulcre, faire en sorte de rester debout après qu’on sera tombé, noyer dans deux syllabes la coalition européenne, offrir aux rois ces latrines déjà connues des césars, faire du dernier des mots le premier en y mêlant l’éclair de la France, clore insolemment Waterloo par le mardi gras, compléter Léonidas par Rabelais, résumer cette victoire dans une parole suprême impossible à prononcer, perdre le terrain et garder l’histoire, après ce carnage avoir pour soi les rieurs, c’est immense.

    C’est l’insulte à la foudre. Cela atteint la grandeur eschylienne.

    Le mot de Cambronne fait l’effet d’une fracture. Qu’est la fracture d’une poitrine par le dédain ; c’est le trop plein de l’agonie qui fait explosion. Qui a vaincu ? Est-ce Wellington ? Non. Sans Blücher il était perdu. Est-ce Blücher ? Non. Si Wellington n’eût pas commencé, Blücher n’aurait pu finir. Ce Cambronne, ce passant de la dernière heure, ce soldat ignoré, cet infiniment petit de la guerre, sent qu’il y a là un mensonge, un mensonge dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment où il en éclate de rage, on lui offre cette dérision : la vie ! Comment ne pas bondir ? Ils sont là, tous les rois de l’Europe, les généraux heureux, les Jupiters tonnants, ils ont cent mille soldats victorieux, et derrière les cent mille, un million, leurs canons, mèche allumée, sont béants, ils ont sous leurs talons la garde impériale et la grande armée, ils viennent d’écraser Napoléon, et il ne reste plus que Cambronne ; il n’y a plus pour protester que ce ver de terre. Il protestera. Alors il cherche un mot comme on cherche une épée. Il lui vient de l’écume, et cette écume, c’est le mot. Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément. Nous le répétons. Dire cela, faire cela, trouver cela, c’est être le vainqueur.

    L’esprit des grands jours entra dans cet homme inconnu à cette minute fatale. Cambronne trouve le mot de Waterloo comme Rouget de l’Isle trouve la Marseillaise, par visitation du souffle d’en haut. Un effluve de l’ouragan divin se détache et vient passer à travers ces hommes, et ils tressaillent, et l’un chante le chant suprême et l’autre pousse le cri terrible. Cette parole du dédain titanique, Cambronne ne la jette pas seulement à l’Europe au nom de l’empire, ce serait peu ; il la jette au passé au nom de la révolution. On l’entend, et l’on reconnaît dans Cambronne la vieille âme des géants. Il semble que c’est Danton qui parle ou Kléber qui rugit.

    Au mot de Cambronne, la voix anglaise répondit : feu ! les batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches d’airain sortit un dernier vomissement de mitraille épouvantable ; une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula, et, quand la fumée se dissipa, il n’y avait plus rien. Ce reste formidable était anéanti, la garde était morte. Les quatre murs de la redoute vivante gisaient, à peine distinguait-on çà et là un tressaillement parmi les cadavres ; et c’est ainsi que les légions françaises, plus grandes que les légions romaines, expirèrent à Mont-Saint-Jean sur la terre mouillée de pluie et de sang, dans les blés sombres, à l’endroit où passe maintenant à quatre heures du matin, en sifflant et en fouettant gaîment son cheval, Joseph, qui fait le service de la malle-poste de Nivelles.


     

    XVI


     

    QUOT LIBRAS IN DUCE ?


     

    La bataille de Waterloo est une énigme. Elle est aussi obscure pour ceux qui l’ont gagnée que pour celui qui l’ont perdue. Pour Napoléon, c’est une panique [3]. Blücher n’y voit que du feu ; Wellington n’y comprend rien. Voyez les rapports. Les bulletins sont confus, les commentaires sont embrouillés. Ceux-ci balbutient, ceux-là bégayent. Jomini partage la bataille de Waterloo en quatre moments ; Muffling la coupe en trois péripéties ; Charras, quoique sur quelques points nous ayons une autre appréciation que lui, a seul saisi de son fier coup d’œil les linéaments caractéristiques de cette catastrophe du génie humain aux prises avec le hasard divin. Tous les autres historiens ont un certain éblouissement, et dans cet éblouissement ils tâtonnent. Journée fulgurante, en effet, écroulement de la monarchie militaire qui, à la grande stupeur des rois, a entraîné tous les royaumes, chute de la force, déroute de la guerre.

    Dans cet événement, empreint de nécessité surhumaine, la part des hommes n’est rien.

    Retirer Waterloo à Wellington et à Blücher, est-ce ôter quelque chose à l’Angleterre et à l’Allemagne ? Non. Ni cette illustre Angleterre ni cette auguste Allemagne ne sont en question dans le problème de Waterloo. Grâce au ciel, les peuples sont grands en dehors des lugubres aventures de l’épée. Ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni la France, ne tiennent dans un fourreau. Dans cette époque où Waterloo n’est qu’un cliquetis de sabres, au-dessus de Blücher l’Allemagne a Gœthe et au-dessus de Wellington l’Angleterre a Byron. Un vaste lever d’idées est propre à notre siècle, et dans cette aurore l’Angleterre et l’Allemagne ont une lueur magnifique. Elles sont majestueuses par ce qu’elles pensent. L’élévation du niveau qu’elles apportent à la civilisation leur est intrinsèque ; il vient d’elles-mêmes, et non d’un accident. Ce qu’elles ont d’agrandissement au dix-neuvième siècle n’a point Waterloo pour source. Il n’y a que les peuples barbares qui aient des crues subites après une victoire. C’est la vanité passagère des torrents enflés d’un orage. Les peuples civilisés, surtout au temps où nous sommes, ne se haussent ni ne s’abaissent par la bonne ou mauvaise fortune d’un capitaine. Leur poids spécifique dans le genre humain résulte de quelque chose de plus qu’un combat. Leur honneur, Dieu merci, leur dignité, leur lumière, leur génie, ne sont pas des numéros que les héros et les conquérants, ces joueurs, peuvent mettre à la loterie des batailles. Souvent bataille perdue, progrès conquis. Moins de gloire, plus de liberté. Le tambour se tait, la raison prend la parole. C’est le jeu à qui perd gagne. Parlons donc de Waterloo froidement des deux côtés. Rendons au hasard ce qui est au hasard et à Dieu ce qui est à Dieu. Qu’est-ce que Waterloo ? Une victoire ? Non. Un quine.

    Quine gagné par l’Europe, payé par la France.

    Ce n’était pas beaucoup la peine de mettre là un lion.

    Waterloo, du reste, est la plus étrange rencontre qui soit dans l’histoire. Napoléon et Wellington. Ce ne sont pas des ennemis, ce sont des contraires. Jamais Dieu, qui se plaît aux antithèses, n’a fait un plus saisissant contraste et une confrontation plus extraordinaire. D’un côté la précision, la prévision, la géométrie, la prudence, la retraite assurée, les réserves ménagées, un sang-froid opiniâtre, une méthode imperturbable, la stratégie qui profite du terrain, la tactique qui équilibre les bataillons, le carnage tiré au cordeau, la guerre réglée montre en main, rien laissé volontairement au hasard, le vieux courage classique, la correction absolue ; de l’autre l’intuition, la divination, l’étrangeté militaire, l’instinct surhumain, le coup d’œil flamboyant, on ne sait quoi qui regarde comme l’aigle et qui frappe comme la foudre, un art prodigieux dans une impétuosité dédaigneuse, tous les mystères d’une âme profonde, l’association avec le destin, le fleuve, la plaine, la forêt, la colline, sommés et en quelque sorte forcés d’obéir, le despote allant jusqu’à tyranniser le champ de bataille, la foi à l’étoile mêlée à la science stratégique, la grandissant, mais la troublant. Wellington était le Barême de la guerre, Napoléon en était le Michel-Ange, et cette fois le génie fut vaincu par le calcul.

    Des deux côtés on attendait quelqu’un. Ce fut le calculateur exact qui réussit. Napoléon attendait Grouchy ; il ne vint pas. Wellington attendait Blücher ; il vint.

    Wellington, c’est la guerre classique qui prend sa revanche. Bonaparte, à son aurore, l’avait rencontrée en Italie, et superbement battue. La vieille chouette avait fui devant le jeune vautour. L’ancienne tactique avait été non seulement foudroyée, mais scandalisée. Qu’était-ce que ce Corse de vingt-six ans, que signifiait cet ignorant splendide qui, ayant tout contre lui, rien pour lui, sans vivres, sans munitions, sans canons, sans souliers, presque sans armée, avec une poignée d’hommes contre des masses, se ruait sur l’Europe coalisée, et gagnait absurdement des victoires dans l’impossible ? D’où sortait ce forcené foudroyant qui, presque sans reprendre haleine, et avec le même jeu de combattants dans la main, pulvérisait l’une après l’autre les cinq armées de l’empereur d’Allemagne, culbutant Beaulieu sur Alvinzi, Wurmser sur Beaulieu, Mélas sur Wurmser, Mack sur Mélas ? Qu’était-ce que ce nouveau venu de la guerre ayant l’effronterie d’un astre ? L’école académique militaire l’excommuniait en lâchant pied. De là une implacable rancune du vieux césarisme contre le nouveau, du sabre correct contre l’épée flamboyante, et de l’échiquier contre le génie. Le 18 juin 1815, cette rancune eut le dernier mot, et au-dessous de Lodi, de Montebello, de Montenotte, de Mantoue, de Marengo, d’Arcole, elle écrivit : Waterloo. Triomphe des médiocres, doux aux majorités. Le destin consentit à cette ironie. À son déclin, Napoléon retrouva devant lui Wurmser jeune.

    Pour avoir Wurmser en effet, il suffît de blanchir les cheveux de Wellington.

    Waterloo est une bataille du premier ordre gagnée par un capitaine du second.

    Ce qu’il faut admirer dans la bataille de Waterloo, c’est l’Angleterre, c’est la fermeté anglaise, c’est la résolution anglaise, c’est le sang anglais ; ce que l’Angleterre a eu là de superbe, ne lui en déplaise, c’est elle-même. Ce n’est pas son capitaine, c’est son armée.

    Wellington, bizarrement ingrat, déclare dans une lettre à lord Bathurst que son armée, l’armée qui a combattu le 18 juin 1815, était une « détestable armée ». Qu’en pense cette sombre mêlée d’ossements enfouis sous les sillons de Waterloo ?

    L’Angleterre a été trop modeste vis-à-vis de Wellington. Faire Wellington si grand, c’est faire l’Angleterre petite. Wellington n’est qu’un héros comme un autre. Ces Écossais gris, ces horse-guards, ces régiments de Maitland et de Mitchell, cette infanterie de Pack et de Kempt, cette cavalerie de Ponsomby et de Somerset, ces highlanders jouant du pibroch sous la mitraille, ces bataillons de Rylandt, ces recrues toutes fraîches qui savaient à peine manier le mousquet tenant tête aux vieilles bandes d’Essling et de Rivoli, voilà ce qui est grand. Wellington a été tenace, ce fut là son mérite, et nous ne le lui marchandons pas, mais le moindre de ses fantassins et de ses cavaliers a été tout aussi solide que lui. L’iron-soldier vaut l’iron-duke. Quant à nous, toute notre glorification va au soldat anglais. Si trophée il y a, c’est à l’Angleterre que le trophée est dû. La colonne de Waterloo serait plus juste si, au lieu de la figure d’un homme, elle élevait dans la nue la statue d’un peuple.

    Mais cette grande Angleterre s’irritera de ce que nous disons ici. Elle a encore, après son 1688 et notre 1789, l’illusion féodale. Elle croit à l’hérédité et à la hiérarchie. Ce peuple, qu’aucun ne dépasse en puissance et en gloire, s’estime comme nation, non comme peuple. En tant que peuple, il se subordonne volontiers et prend un lord pour une tête. Workman, il se laisse dédaigner ; soldat, il se laisse bâtonner. On se souvient qu’à la bataille d’Inkermann un sergent qui, à ce qu’il paraît, avait sauvé l’armée, ne put être mentionné par lord Raglan, la hiérarchie militaire anglaise ne permettant de citer dans un rapport aucun héros au-dessous du grade d’officier.

    Ce que nous admirons par-dessus tout, dans une rencontre du genre de celle de Waterloo, c’est la prodigieuse habileté du hasard. Pluie nocturne, mur de Hugomont, chemin creux d’Ohain, Grouchy sourd au canon, guide de Napoléon qui le trompe, guide de Bülow qui l’éclaire ; tout ce cataclysme est merveilleusement conduit.

    Au total, disons-le, il y eut à Waterloo plus de massacre que de bataille.

    Waterloo est de toutes les batailles rangées celle qui a le plus petit front sur un tel nombre de combattants. Napoléon, trois quarts de lieue, Wellington, une demi-lieue ; soixante-douze mille combattants de chaque côté. De cette épaisseur vint le carnage.

    On a fait ce calcul et établi cette proportion : Perte d’hommes : ― À Austerlitz, français, quatorze pour cent ; russes, trente pour cent ; autrichiens, quarante-quatre pour cent. À Wagram, français, treize pour cent ; autrichiens, quatorze. À la Moskowa, français, trente-sept pour cent ; russes, quarante-quatre. À Bautzen, français, treize pour cent ; russes et prussiens, quatorze. À Waterloo, français, cinquante-six pour cent ; alliés, trente et un. Total pour Waterloo, quarante et un pour cent. Cent quarante-quatre mille combattants ; soixante mille morts.

    Le champ de Waterloo aujourd’hui a le calme qui appartient à la terre, support impassible de l’homme, et il ressemble à toutes les plaines.

    La nuit pourtant une espèce de brume visionnaire s’en dégage, et si quelque voyageur s’y promène, s’il regarde, s’il écoute, s’il rêve comme Virgile devant les funestes plaines de Philippes, l’hallucination de la catastrophe le saisit. L’effrayant 18 juin revit ; la fausse colline monument s’efface, ce lion quelconque se dissipe, le champ de bataille reprend sa réalité ; des lignes d’infanterie ondulent dans la plaine, des galops furieux traversent l’horizon ; le songeur effaré voit l’éclair des sabres, l’étincelle des bayonnettes, le flamboiement des bombes, l’entrecroisement monstrueux des tonnerres ; il entend, comme un râle au fond d’une tombe, la clameur vague de la bataille fantôme ; ces ombres, ce sont les grenadiers ; ces lueurs, ce sont les cuirassiers ; ce squelette, c’est Napoléon ; ce squelette, c’est Wellington ; tout cela n’est plus et se heurte et combat encore ; et les ravins s’empourprent, et les arbres frissonnent, et il y a de la furie jusque dans les nuées, et, dans les ténèbres, toutes ces hauteurs farouches, Mont-Saint-Jean, Hougomont, Frischemont, Papelotte, Plancenoit, apparaissent confusément couronnées de tourbillons de spectres s’exterminant.


     

    XVII


     

    FAUT-IL TROUVER BON WATERLOO ?


     

    Il existe une école libérale très respectable qui ne hait point Waterloo. Nous n’en sommes pas. Pour nous, Waterloo n’est que la date stupéfaite de la liberté. Qu’un tel aigle sorte d’un tel œuf, c’est à coup sûr l’inattendu.

    Waterloo, si l’on se place au point de vue culminant de la question, est intentionnellement une victoire contre-révolutionnaire. C’est l’Europe contre la France, c’est Pétersbourg, Berlin et Vienne contre Paris, c’est le statu quo contre l’initiative, c’est le 14 juillet 1789 attaqué à travers le 20 mars 1815, c’est le branle-bas des monarchies contre l’indomptable émeute française. Éteindre enfin ce vaste peuple en éruption depuis vingt-six ans, tel était le rêve. Solidarité des Brunswick, des Nassau, des Romanoff, des Hohenzollern, des Habsburg, avec les Bourbons. Waterloo porte en croupe le droit divin. Il est vrai que, l’empire ayant été despotique, la royauté, par la réaction naturelle des choses, devait forcément être libérale, et qu’un ordre constitutionnel à contre-cœur est sorti de Waterloo, au grand regret des vainqueurs. C’est que la révolution ne peut être vraiment vaincue, et qu’étant providentielle et absolument fatale, elle reparaît toujours, avant Waterloo, dans Bonaparte jetant bas les vieux trônes, après Waterloo, dans Louis XVIII octroyant et subissant la Charte. Bonaparte met un postillon sur le trône de Naples et un sergent sur le trône de Suède, employant l’inégalité à démontrer l’égalité ; Louis XVIII à Saint-Ouen contresigne la déclaration des droits de l’homme. Voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que la révolution, appelez-la Progrès ; et voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que le progrès, appelez-le Demain. Demain fait irrésistiblement son œuvre, et il la fait dès aujourd’hui. Il arrive toujours à son but, étrangement. Il emploie Wellington à faire de Foy, qui n’était qu’un soldat, un orateur. Foy tombe à Hougomont et se relève à la tribune. Ainsi procède le progrès. Pas de mauvais outil pour cet ouvrier-là. Il ajuste à son travail divin, sans se déconcerter, l’homme qui a enjambé les Alpes, et le bon vieux malade chancelant du père Élysée. Il se sert du podagre comme du conquérant ; du conquérant au dehors, du podagre au dedans. Waterloo, en coupant court à la démolition des trônes européens par l’épée, n’a eu d’autre effet que de faire continuer le travail révolutionnaire d’un autre côté. Les sabreurs ont fini, c’est le tour des penseurs. Le siècle que Waterloo voulait arrêter a marché dessus et a poursuivi sa route. Cette victoire sinistre a été vaincue par la liberté.

    En somme, et incontestablement, ce qui triomphait à Waterloo, ce qui souriait derrière Wellington, ce qui lui apportait tous les bâtons de maréchal de l’Europe, y compris, dit-on, le bâton de maréchal de France, ce qui roulait joyeusement les brouettées de terre pleine d’ossements pour élever la butte du lion, ce qui a triomphalement écrit sur ce piédestal cette date : 18 juin 1815, ce qui encourageait Blücher sabrant la déroute, ce qui du haut du plateau de Mont-Saint-Jean se penchait sur la France comme sur une proie, c’était la contre-révolution. C’est la contre-révolution qui murmurait ce mot infâme : démembrement. Arrivée à Paris, elle a vu le cratère de près, elle a senti que cette cendre lui brûlait les pieds, et elle s’est ravisée. Elle est revenue au bégaiement d’une charte.

    Ne voyons dans Waterloo que ce qui est dans Waterloo. De liberté intentionnelle, point. La contre-révolution était involontairement libérale, de même que, par un phénomène correspondant, Napoléon était involontairement révolutionnaire. Le 18 juin 1815, Robespierre à cheval fut désarçonné.


     

    XVIII


     

    RECRUDESCENCE DU DROIT DIVIN


     

    Fin de la dictature. Tout un système d’Europe croula.

    L’empire s’affaissa dans une ombre qui ressembla à celle du monde romain expirant. On revit de l’abîme comme au temps des barbares. Seulement la barbarie de 1815, qu’il faut nommer, de son petit nom, la contre-révolution, avait peu d’haleine, s’essouffla vite, et resta court. L’empire, avouons-le, fut pleuré, et pleuré par des yeux héroïques. Si la gloire est dans le glaive fait sceptre, l’empire avait été la gloire même. Il avait répandu sur la terre toute la lumière que la tyrannie peut donner ; lumière sombre. Disons plus : lumière obscure. Comparée au vrai jour, c’est de la nuit. Cette disparition de la nuit fit l’effet d’une éclipse.

    Louis XVIII rentra dans Paris. Les danses en rond du 8 juillet effacèrent les enthousiasmes du 20 mars. Le corse devint l’antithèse du béarnais. Le drapeau du dôme des Tuileries fut blanc. L’exil trôna. La table de sapin de Hartwell prit place devant le fauteuil fleurdelysé de Louis XIV. On parla de Bouvines et de Fontenoy comme d’hier, Austerlitz ayant vieilli. L’autel et le trône fraternisèrent majestueusement. Une des formes les plus incontestées du salut de la société au dix-neuvième siècle s’établit sur la France et sur le continent. L’Europe prit la cocarde blanche. Trestaillon fut célèbre. La devise non pluribus impar reparut dans des rayons de pierre figurant un soleil sur la façade de la caserne du quai d’Orsay. Où il y avait eu une garde impériale, il y eut une maison rouge. L’arc du Carrousel, tout chargé de victoires mal portées, dépaysé dans ces nouveautés, un peu honteux peut-être de Marengo et d’Arcole, se tira d’affaire avec la statue du duc d’Angoulême. Le cimetière de la Madeleine, redoutable fosse commune de 93, se couvrit de marbre et de jaspe, les os de Louis XVI et de Marie-Antoinette étant dans cette poussière. Dans le fossé de Vincennes, un cippe sépulcral sortit de terre, rappelant que le duc d’Enghien était mort dans le mois même où Napoléon avait été couronné. Le pape Pie VII, qui avait fait ce sacre très près de cette mort, bénit tranquillement la chute comme il avait béni l’élévation. Il y eut à Schœnbrunn une petite ombre âgée de quatre ans qu’il fut séditieux d’appeler le roi de Rome. Et ces choses se sont faites, et ces rois ont repris leurs trônes, et le maître de l’Europe a été mis dans une cage, et l’ancien régime est devenu le nouveau, et toute l’ombre et toute la lumière de la terre ont changé de place, parce que, dans l’après-midi d’un jour d’été, un pâtre a dit à un prussien dans un bois : passez par ici et non par là !

    Ce 1815 fut une sorte d’avril lugubre. Les vieilles réalités malsaines et vénéneuses se couvrirent d’apparences neuves. Le mensonge épousa 1789, le droit divin se masqua d’une charte, les fictions se firent constitutionnelles, les préjugés, les superstitions et les arrière-pensées, avec l’article 14 au cœur, se vernirent de libéralisme. Changement de peau des serpents.

    L’homme avait été à la fois agrandi et amoindri par Napoléon. L’idéal, sous ce règne de la matière splendide, avait reçu le nom étrange d’idéologie. Grave imprudence d’un grand homme, tourner en dérision l’avenir. Les peuples cependant, cette chair à canon si amoureuse du canonnier, le cherchaient des yeux. Où est-il ? Que fait-il ? Napoléon est mort, disait un passant à un invalide de Marengo et de Waterloo. — Lui mort ! s’écria ce soldat, vous le connaissez bien ! Les imaginations déifiaient cet homme terrassé. Le fond de l’Europe, après Waterloo, fut ténébreux. Quelque chose d’énorme resta longtemps vide par l’évanouissement de Napoléon.

    Les rois se mirent dans ce vide. La vieille Europe en profita pour se reformer. Il y eut une Sainte-Alliance. Belle-Alliance, avait dit d’avance le champ fatal de Waterloo.

    En présence et en face de cette antique Europe refaite, les linéaments d’une France nouvelle s’ébauchèrent. L’avenir, raillé par l’empereur, fit son entrée. Il avait sur le front cette étoile, Liberté. Les yeux ardents des jeunes générations se tournèrent vers lui. Chose singulière, on s’éprit en même temps de cet avenir, Liberté, et de ce passé, Napoléon. La défaite avait grandi le vaincu. Bonaparte tombé semblait plus haut que Napoléon debout. Ceux qui avaient triomphé eurent peur. L’Angleterre le fit garder par Hudson Lowe et la France le fit guetter par Montchenu. Ses bras croisés devinrent l’inquiétude des trônes. Alexandre le nommait : mon insomnie. Cet effroi venait de la quantité de révolution qu’il avait en lui. C’est ce qui explique et excuse le libéralisme bonapartiste. Ce fantôme donnait le tremblement au vieux monde. Les rois régnèrent mal à leur aise, avec le rocher de Sainte-Hélène à l’horizon.

    Pendant que Napoléon agonisait à Longwood, les soixante mille hommes tombés dans le champ de Waterloo pourrirent tranquillement, et quelque chose de leur paix se répandit dans le monde. Le congrès de Vienne en fit les traités de 1815, et l’Europe nomma cela la restauration.

    Voilà ce que c’est que Waterloo.

    Mais qu’importe à l’infini ? Toute cette tempête, tout ce nuage, cette guerre, puis cette paix, toute cette ombre, ne troubla pas un moment la lueur de l’œil immense devant lequel un puceron sautant d’un brin d’herbe à l’autre égale l’aigle volant de clocher en clocher aux tours de Notre-Dame.


     

    XIX


     

    LE CHAMP DE BATAILLE LA NUIT


     

    Revenons, c’est une nécessité de ce livre, sur ce fatal champ de bataille.

    Le 18 juin 1815, c’était pleine lune. Cette clarté favorisa la poursuite féroce de Blücher, dénonça les traces des fuyards, livra cette masse désastreuse à la cavalerie prussienne acharnée, et aida au massacre. Il y a parfois dans les catastrophes de ces tragiques complaisances de la nuit.

    Après le dernier coup de canon tiré, la plaine de Mont-Saint-Jean resta déserte.

    Les anglais occupèrent le campement des français ; c’est la constatation habituelle de la victoire ; coucher dans le lit du vaincu. Ils établirent leur bivouac au delà de Rossomme. Les prussiens, lâchés sur la déroute, poussèrent en avant, Wellington alla au village de Waterloo rédiger son rapport à lord Bathurst.

    Si jamais le sic vos non vobis a été applicable, c’est à coup sûr à ce village de Waterloo. Waterloo n’a rien fait, et est resté à une demi-lieue de l’action. Mont-Saint-Jean a été canonné, Hougomont a été brûlé, Plancenoit a été brûlé, la Haie-Sainte a été prise d’assaut, la Belle-Alliance a vu l’embrasement des deux vainqueurs ; on sait à peine ces noms, et Waterloo qui n’a point travaillé dans la bataille en a tout l’honneur.

    Nous ne sommes pas de ceux qui flattent la guerre ; quand l’occasion s’en présente, nous lui disons ses vérités. La guerre a d’affreuses beautés que nous n’avons point cachées ; elle a aussi, convenons-en, quelques laideurs. Une des plus surprenantes, c’est le prompt dépouillement des morts après la victoire. L’aube qui suit une bataille se lève toujours sur des cadavres nus.

    Qui fait cela ? Qui souille ainsi le triomphe ? Quelle est cette hideuse main furtive qui se glisse dans la poche de la victoire ? Quels sont ces filous faisant leur coup derrière la gloire ? Quelques philosophes, Voltaire entre autres, affirment que ce sont précisément ceux-là qui ont fait la gloire. Ce sont les mêmes, disent-ils, il n’y a pas de rechange, ceux qui sont debout pillent ceux qui sont à terre. Le héros du jour est le vampire de la nuit. On a bien le droit, après tout, de détrousser un peu un cadavre dont on est l’auteur. Quant à nous, nous ne le croyons pas. Cueillir des lauriers et voler les souliers d’un mort, cela nous semble impossible à la même main.

    Ce qui est certain, c’est que, d’ordinaire, après les vainqueurs viennent les voleurs. Mais mettons le soldat, surtout le soldat contemporain, hors de cause.

    Toute armée a une queue, et c’est là ce qu’il faut accuser. Des êtres chauves-souris, mi-partis brigands et valets, toutes les espèces de vespertilio qu’engendre ce crépuscule qu’on appelle la guerre, des porteurs d’uniformes qui ne combattent pas, de faux malades, des éclopés redoutables, des cantiniers interlopes trottant quelquefois avec leurs femmes, sur de petites charrettes et volant ce qu’ils revendent, des mendiants s’offrant pour guides aux officiers, des goujats, des maraudeurs, les armées en marche autrefois, — nous ne parlons pas du temps présent, — traînaient tout cela, si bien que, dans la langue spéciale, cela s’appelait « les traînards ». Aucune armée ni aucune nation n’étaient responsables de ces êtres ; ils parlaient italien et suivaient les allemands ; ils parlaient français et suivaient les anglais. C’est par un de ces misérables, traînard espagnol qui parlait français, que le marquis de Fervacques, trompé par son baragouin picard, et le prenant pour un des nôtres, fut tué en traître et volé sur le champ de bataille même, dans la nuit qui suivit la victoire de Cerisoles. De la maraude naissait le maraud. La détestable maxime : vivre sur l’ennemi, produisait cette lèpre, qu’une forte discipline pouvait seule guérir. Il y a des renommées qui trompent ; on ne sait pas toujours pourquoi de certains généraux, grands d’ailleurs, ont été si populaires. Turenne était adoré de ses soldats parce qu’il tolérait le pillage ; le mal permis fait partie de la bonté ; Turenne était si bon qu’il a laissé mettre à feu et à sang le Palatinat. On voyait à la suite des armées moins ou plus de maraudeurs selon que le chef était plus ou moins sévère. Hoche et Marceau n’avaient point de traînards ; Wellington, nous lui rendons volontiers cette justice, en avait peu.

    Pourtant, dans la nuit du 18 au 19 juin, on dépouilla les morts. Wellington fut rigide ; ordre de passer par les armes quiconque serait pris en flagrant délit ; mais la rapine est tenace. Les maraudeurs volaient dans un coin du champ de bataille pendant qu’on les fusillait dans l’autre.

    La lune était sinistre sur cette plaine.

    Vers minuit, un homme rôdait, ou plutôt rampait, du côté du chemin creux d’Ohain. C’était, selon toute apparence, un de ceux que nous venons de caractériser, ni anglais, ni français, ni paysan, ni soldat, moins homme que goule, attiré par le flair des morts, ayant pour victoire le vol, venant dévaliser Waterloo. Il était vêtu d’une blouse qui était un peu une capote, il était inquiet et audacieux, il allait devant lui et regardait derrière lui. Qu’était-ce que cet homme ? La nuit probablement en savait plus sur son compte que le jour. Il n’avait point de sac, mais évidemment de larges poches sous sa capote. De temps en temps, il s’arrêtait, examinait la plaine autour de lui comme pour voir s’il n’était pas observé, se penchait brusquement, dérangeait à terre quelque chose de silencieux et d’immobile, puis se redressait et s’esquivait. Son glissement, ses attitudes, son geste rapide et mystérieux le faisaient ressembler à ces larves crépusculaires qui hantent les ruines et que les anciennes légendes normandes appellent les Alleurs.

    De certains échassiers nocturnes font de ces silhouettes dans les marécages.

    Un regard qui eût sondé attentivement toute cette brume eût pu remarquer, à quelque distance, arrêté et comme caché derrière la masure qui borde sur la chaussée de Nivelles l’angle de la route de Mont-Saint-Jean à Braine-l’Alleud, une façon de petit fourgon de vivandier à coiffe d’osier goudronnée, attelé d’une haridelle affamée broutant l’ortie à travers son mors, et dans ce fourgon une espèce de femme assise sur des coffres et des paquets. Peut-être y avait-il un lien entre ce fourgon et ce rôdeur.

    L’obscurité était sereine. Pas un nuage au zénith. Qu’importe que la terre soit rouge, la lune reste blanche. Ce sont là les indifférences du ciel. Dans les prairies, des branches d’arbre cassées par la mitraille mais non tombées et retenues par l’écorce se balançaient doucement au vent de la nuit. Une haleine, presque une respiration, remuait les broussailles. Il y avait dans l’herbe des frissons qui ressemblaient à des départs d’âmes.

    On entendait vaguement au loin aller et venir les patrouilles et les rondes-major du campement anglais.

    Hougomont et la Haie-Sainte continuaient de brûler, faisant, l’un à l’ouest, l’autre à l’est, deux grosses flammes auxquelles venait se rattacher, comme un collier de rubis dénoué ayant à ses extrémités deux escarboucles, le cordon de feux du bivouac anglais étalé en demi-cercle immense sur les collines de l’horizon.

    Nous avons dit la catastrophe du chemin d’Ohain. Ce qu’avait été cette mort pour tant de braves, le cœur s’épouvante d’y songer.

    Si quelque chose est effroyable, s’il existe une réalité qui dépasse le rêve, c’est ceci : vivre, voir le soleil, être en pleine possession de la force virile, avoir la santé et la joie, rire vaillamment, courir vers une gloire qu’on a devant soi, éblouissante, se sentir dans la poitrine un poumon qui respire, un cœur qui bat, une volonté qui raisonne, parler, penser, espérer, aimer, avoir une mère, avoir une femme, avoir des enfants, avoir la lumière, et tout à coup, le temps d’un cri, en moins d’une minute, s’effondrer dans un abîme, tomber, rouler, écraser, être écrasé, voir des épis de blé, des fleurs, des feuilles, des branches, ne pouvoir se retenir à rien, sentir son sabre inutile, des hommes sous soi, des chevaux sur soi, se débattre en vain, les os brisés par quelque ruade dans les ténèbres, sentir un talon qui vous fait jaillir les yeux, mordre avec rage des fers de chevaux, étouffer, hurler, se tordre, être là-dessous, et se dire : tout à l’heure j’étais un vivant !

    Là où avait râlé ce lamentable désastre, tout faisait silence maintenant. L’encaissement du chemin creux était comble de chevaux et de cavaliers inextricablement amoncelés. Enchevêtrement terrible. Il n’y avait plus de talus, les cadavres nivelaient la route avec la plaine et venaient au ras du bord comme un boisseau d’orge bien mesuré. Un tas de morts dans la partie haute, une rivière de sang dans la partie basse ; telle était cette route, le soir du 18 juin 1815. Le sang coulait jusque sur la chaussée de Nivelles et s’y extravasait en une large mare devant l’abattis d’arbres qui barrait la chaussée, à un endroit qu’on montre encore. C’est, on s’en souvient, au point opposé, vers la chaussée de Genappe, qu’avait eu lieu l’effondrement des cuirassiers. L’épaisseur des cadavres se proportionnait à la profondeur du chemin creux. Vers le milieu, à l’endroit où il devenait plan, là où avait passé la division Delord, la couche des morts s’amincissait.

    Le rôdeur nocturne que nous venons de faire entrevoir au lecteur allait de ce côté, il furetait cette immense tombe. Il regardait. Il passait on ne sait quelle hideuse revue des morts. Il marchait les pieds dans le sang.

    Tout à coup il s’arrêta.

    À quelques pas devant lui, dans le chemin creux, au point où finissait le monceau des morts, de dessous cet amas d’hommes et de chevaux, sortait une main ouverte, éclairée par la lune.

    Cette main avait au doigt quelque chose qui brillait, et qui était un anneau d’or.

    L’homme se courba, demeura un moment accroupi, et quand il se releva, il n’y avait plus d’anneau à cette main.

    Il ne se releva pas précisément ; il resta dans une attitude fausse et effarouchée, tournant le dos au tas de morts, scrutant l’horizon, à genoux, tout l’avant du corps portant sur les deux index appuyés à terre, la tête guettant par-dessus le bord du chemin creux. Les quatre pattes du chacal conviennent à de certaines actions.

    Puis, prenant son parti, il se dressa.

    En ce moment il eut un soubresaut. Il sentit que par derrière on le tenait.

    Il se retourna ; c’était la main ouverte qui s’était refermée et qui avait saisi le pan de sa capote.

    Un honnête homme eût eu peur. Celui-ci se mit à rire.

    Tiens, dit-il, ce n’est que le mort. J’aime mieux un revenant qu’un gendarme.

    Cependant la main défaillit et le lâcha. L’effort s’épuise vite dans la tombe.

    Ah çà ! reprit le rôdeur, est-il vivant ce mort ? Voyons donc.

    Il se pencha de nouveau, fouilla le tas, écarta ce qui faisait obstacle, saisit la main, empoigna le bras, dégagea la tête, tira le corps, et quelques instants après il traînait dans l’ombre du chemin creux un homme inanimé, au moins évanoui. C’était un cuirassier, un officier, un officier même d’un certain rang ; une grosse épaulette d’or sortait de dessous la cuirasse ; cet officier n’avait plus de casque. Un furieux coup de sabre balafrait son visage où l’on ne voyait que du sang. Du reste, il ne semblait pas qu’il eût de membre cassé, et par quelque hasard heureux, si ce mot est possible ici, les morts s’étaient arc-boutés au-dessus de lui de façon à le garantir de l’écrasement. Ses yeux étaient fermés.

    Il avait sur sa cuirasse la croix d’argent de la Légion d’honneur.

    Le rôdeur arracha cette croix qui disparut dans un des gouffres qu’il avait sous sa capote.

    Après quoi, il tâta le gousset de l’officier, y sentit une montre et la prit. Puis il fouilla le gilet, y trouva une bourse et l’empocha.

    Comme il en était à cette phase des secours qu’il portait à ce mourant, l’officier ouvrit les yeux.

    Merci, dit-il faiblement.

    La brusquerie des mouvements de l’homme qui le maniait, la fraîcheur de la nuit, l’air respiré librement, l’avaient tiré de sa léthargie.

    Le rôdeur ne répondit point. Il leva la tête. On entendait un bruit de pas dans la plaine ; probablement quelque patrouille qui approchait.

    L’officier murmura, car il y avait encore de l’agonie dans sa voix :

    Qui a gagné la bataille ?

    Les anglais, répondit le rôdeur.

    L’officier reprit :

    Cherchez dans mes poches. Vous y trouverez une bourse et une montre. Prenez-les.

    C’était déjà fait.

    Le rôdeur exécuta le semblant demandé, et dit :

    Il n’y a rien.

    On m’a volé, reprit l’officier, j’en suis fâché. C’eût été pour vous.

    Les pas de la patrouille devenaient de plus en plus distincts.

    Voici qu’on vient, dit le rôdeur, faisant le mouvement d’un homme qui s’en va.

    L’officier, soulevant péniblement le bras, le retint : — Vous m’avez sauvé la vie. Qui êtes-vous ?

    Le rôdeur répondit vite et bas :

    J’étais comme vous de l’armée française. Il faut que je vous quitte. Si l’on me prenait, on me fusillerait. Je vous ai sauvé la vie. Tirez-vous d’affaire maintenant.

    Quel est votre grade ?

    Sergent.

    Comment vous appelez-vous ?

    Thénardier.

    Je n’oublierai pas ce nom, dit l’officier. Et vous, retenez le mien. Je me nomme Pontmercy.


    I


     

    LE NUMÉRO 24601 DEVIENT LE NUMÉRO 9430

    Jean Valjean avait été repris.

    On nous saura gré de passer rapidement sur des détails douloureux. Nous nous bornons à transcrire deux entrefilets publiés par les journaux du temps, quelques mois après les événements surprenants accomplis à Montreuil-sur-Mer.

    Ces articles sont un peu sommaires. On se souvient qu’il n’existait pas encore à cette époque de Gazette des Tribunaux.

    Nous empruntons le premier au Drapeau blanc. Il est daté du 25 juillet 1823 :


     

    « — Un arrondissement du Pas-de-Calais vient d’être le théâtre d’un événement peu ordinaire. Un homme étranger au département et nommé M. Madeleine avait relevé depuis quelques années, grâce à des procédés nouveaux, une ancienne industrie locale, la fabrication des jais et des verroteries noires. Il y avait fait sa fortune, et, disons-le, celle de l’arrondissement. En reconnaissance de ses services, on l’avait nommé maire. La police a découvert que ce M. Madeleine n’était autre qu’un ancien forçat en rupture de ban, condamné en 1796 pour vol, et nommé Jean Valjean. Jean Valjean a été réintégré au bagne. Il paraît qu’avant son arrestation il avait réussi à retirer de chez M. Laffitte une somme de plus d’un demi-million qu’il y avait placée, et qu’il avait, du reste, très légitimement, dit-on, gagnée dans son commerce. On n’a pu savoir où Jean Valjean avait caché cette somme depuis sa rentrée au bagne de Toulon. »


     

    Le deuxième article, un peu plus détaillé, est extrait du Journal de Paris, même date.


     

    « — Un ancien forçat libéré, nommé Jean Valjean, vient de comparaître devant la cour d’assises du Var dans des circonstances faites pour appeler l’attention. Ce scélérat était parvenu à tromper la vigilance de la police ; il avait changé de nom et avait réussi à se faire nommer maire d’une de nos petites villes du Nord. Il avait établi dans cette ville un commerce assez considérable. Il a été enfin démasqué et arrêté, grâce au zèle infatigable du ministère public. Il avait pour concubine une fille publique qui est morte de saisissement au moment de son arrestation. Ce misérable, qui est doué d’une force herculéenne, avait trouvé moyen de s’évader ; mais, trois ou quatre jours après son évasion, la police mit de nouveau la main sur lui, à Paris même, au moment où il montait dans une de ces petites voitures qui font le trajet de la capitale au village de Montfermeil (Seine-et-Oise). On dit qu’il avait profité de l’intervalle de ces trois ou quatre jours de liberté pour retirer une somme considérable placée par lui chez un de nos principaux banquiers. On évalue cette somme à six ou sept cent mille francs. À en croire l’acte d’accusation, il l’aurait enfouie en un lieu connu de lui seul et l’on n’a pas pu la saisir. Quoi qu’il en soit, le nommé Jean Valjean vient d’être traduit aux assises du département du Var comme accusé d’un vol de grand chemin commis à main armée, il y a huit ans environ, sur la personne d’un de ces honnêtes enfants qui, comme l’a dit le patriarche de Ferney en vers immortels :

  • «… De Savoie arrivent tous les ans
    « Et dont la main légèrement essuie
    « Ces longs canaux engorgés par la suie.

  •  

    « Ce bandit a renoncé à se défendre. Il a été établi, par l’habile et éloquent organe du ministère public, que le vol avait été commis de complicité, et que Jean Valjean faisait partie d’une bande de voleurs dans le Midi. En conséquence Jean Valjean, déclaré coupable, a été condamné à la peine de mort. Ce criminel avait refusé de se pourvoir en cassation. Le roi, dans son inépuisable clémence, a daigné commuer sa peine en celle des travaux forcés à perpétuité. Jean Valjean a été immédiatement dirigé sur le bagne de Toulon. »

    On n’a pas oublié que Jean Valjean avait à Montreuil-sur-Mer des habitudes religieuses. Quelques journaux, entre autres le Constitutionnel, présentèrent cette commutation comme un triomphe du parti prêtre.

    Jean Valjean changea de chiffre au bagne. Il s’appela 9430.

    Du reste, disons-le pour n’y plus revenir, avec M. Madeleine la prospérité de Montreuil-sur-Mer disparut ; tout ce qu’il avait prévu dans sa nuit de fièvre et d’hésitation se réalisa ; lui de moins, ce fut en effet l’âme de moins. Après sa chute, il se fit à Montreuil-sur-Mer ce partage égoïste des grandes existences tombées, ce fatal dépècement des choses florissantes qui s’accomplit tous les jours obscurément dans la communauté humaine et que l’histoire n’a remarqué qu’une fois, parce qu’il s’est fait après la mort d’Alexandre. Les lieutenants se couronnent rois ; les contre-maîtres s’improvisèrent fabricants. Les rivalités envieuses surgirent. Les vastes ateliers de M. Madeleine furent fermés, les bâtiments tombèrent en ruine, les ouvriers se dispersèrent. Les uns quittèrent le pays, les autres quittèrent le métier. Tout se fit désormais en petit, au lieu de se faire en grand ; pour le lucre, au lieu de se faire pour le bien. Plus de centre ; la concurrence partout, et l’acharnement. M. Madeleine dominait tout, et dirigeait. Lui tombé, chacun tira à soi ; l’esprit de lutte succéda à l’esprit d’organisation, l’âpreté à la cordialité, la haine de l’un contre l’autre à la bienveillance du fondateur pour tous ; les fils noués par M. Madeleine se brouillèrent et se rompirent ; on falsifia les procédés, on avilit les produits, on tua la confiance ; les débouchés diminuèrent, moins de commandes ; le salaire baissa, les ateliers chômèrent, la faillite vint. Et puis plus rien pour les pauvres. Tout s’évanouit.

    L’état lui-même s’aperçut que quelqu’un avait été écrasé quelque part. Moins de quatre ans après l’arrêt de la cour d’assises constatant au profit du bagne l’identité de M. Madeleine et de Jean Valjean, les frais de perception de l’impôt étaient doublés dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, et M. de Villèle en faisait l’observation à la tribune au mois de février 1827.


     

    II


     

    OU ON LIRA DEUX VERS QUI SONT PEUT-ÊTRE
    DU DIABLE

    Avant d’aller plus loin, il est à propos de raconter avec quelque détail un fait singulier qui se passa vers la même époque à Montfermeil et qui n’est peut-être pas sans coïncidence avec certaines conjectures du ministère public.

    Il y a dans le pays de Montfermeil une superstition très ancienne, d’autant plus curieuse et d’autant plus précieuse qu’une superstition populaire dans le voisinage de Paris est comme un aloès en Sibérie. Nous sommes de ceux qui respectent tout ce qui est à l’état de plante rare. Voici donc la superstition de Montfermeil. On croit que le diable a, de temps immémorial, choisi la forêt pour y cacher ses trésors. Les bonnes femmes affirment qu’il n’est pas rare de rencontrer, à la chute du jour, dans les endroits écartés du bois, un homme noir, ayant la mine d’un charretier ou d’un bûcheron, chaussé de sabots, vêtu d’un pantalon et d’un sarrau de toile, et reconnaissable en ce qu’au lieu de bonnet ou de chapeau il a deux immenses cornes sur la tête. Ceci doit le rendre reconnaissable en effet. Cet homme est habituellement occupé à creuser un trou. Il y a trois manières de tirer parti de cette rencontre. La première, c’est d’aborder l’homme et de lui parler. Alors on s’aperçoit que cet homme est tout bonnement un paysan, qu’il paraît noir parce qu’on est au crépuscule, qu’il ne creuse pas le moindre trou, mais qu’il coupe de l’herbe pour ses vaches, et que ce qu’on avait pris pour des cornes n’est autre chose qu’une fourche à fumier qu’il porte sur son dos et dont les dents, grâce à la perspective du soir, semblaient lui sortir de la tête. On rentre chez soi, et l’on meurt dans la semaine. La seconde manière, c’est de l’observer, d’attendre qu’il ait creusé son trou, qu’il l’ait refermé et qu’il s’en soit allé ; puis de courir bien vite à la fosse, de la rouvrir et d’y prendre le « trésor » que l’homme noir y a nécessairement déposé. En ce cas, on meurt dans le mois. Enfin la troisième manière, c’est de ne point parler à l’homme noir, de ne point le regarder, et de s’enfuir à toutes jambes. On meurt dans l’année.

    Comme les trois manières ont leurs inconvénients, la seconde, qui offre du moins quelques avantages, entre autres celui de posséder un trésor, ne fût-ce qu’un mois, est la plus généralement adoptée. Les hommes hardis, que toutes les chances tentent, ont donc, assez souvent, à ce qu’on assure, rouvert les trous creusés par l’homme noir et essayé de voler le diable. Il paraît que l’opération est médiocre. Du moins, s’il faut en croire la tradition et en particulier les deux vers énigmatiques en latin barbare qu’a laissés sur ce sujet un mauvais moine normand, un peu sorcier, appelé Tryphon. Ce Tryphon est enterré à l’abbaye de Saint-Georges de Bocherville près Rouen, et il naît des crapauds sur sa tombe.

    On fait donc des efforts énormes, ces fosses-là sont ordinairement très creuses, on sue, on fouille, on travaille toute une nuit, car c’est la nuit que cela se fait, on mouille sa chemise, on brûle sa chandelle, on ébrèche sa pioche, et lorsqu’on est arrivé enfin au fond du trou, lorsqu’on met la main sur « le trésor », que trouve-t-on ? qu’est-ce que c’est que le trésor du diable ? Un sou, parfois un écu, une pierre, un squelette, un cadavre saignant, quelquefois un spectre plié en quatre comme une feuille de papier dans un portefeuille, quelquefois rien. C’est ce que semblent annoncer aux curieux indiscrets les vers de Tryphon :

    Fodit, et in fossa thesauros condit opaca,
    As, nummos, lapides, cadaver, simulacre, nihilque.

    Il paraît que de nos jours on y trouve aussi, tantôt une poire à poudre avec des balles, tantôt un vieux jeu de cartes gras et roussi qui a évidemment servi aux diables. Tryphon n’enregistre point ces deux dernières trouvailles, attendu que Tryphon vivait au douzième siècle et qu’il ne semble point que le diable ait eu l’esprit d’inventer la poudre avant Roger Bacon et les cartes avant Charles VI.

    Du reste, si l’on joue avec ces cartes, on est sûr de perdre tout ce qu’on possède ; et quant à la poudre qui est dans la poire, elle a la propriété de vous faire éclater votre fusil à la figure.

    Or, fort peu de temps après l’époque où il sembla au ministère public que le forçat libéré Jean Valjean, pendant son évasion de quelques jours, avait rôdé autour de Montfermeil, on remarqua dans ce même village qu’un certain vieux cantonnier appelé Boulatruelle avait « des allures » dans le bois. On croyait savoir dans le pays que ce Boulatruelle avait été au bagne ; il était soumis à de certaines surveillances de police, et, comme il ne trouvait d’ouvrage nulle part, l’administration l’employait au rabais comme cantonnier sur le chemin de traverse de Gagny à Lagny.

    Ce Boulatruelle était un homme vu de travers par les gens de l’endroit, trop respectueux, trop humble, prompt à ôter son bonnet à tout le monde, tremblant et souriant devant les gendarmes, probablement affilié à des bandes, disait-on, suspect d’embuscade au coin des taillis à la nuit tombante. Il n’avait que cela pour lui qu’il était ivrogne.

    Voici ce qu’on croyait avoir remarqué :

    Depuis quelque temps, Boulatruelle quittait de fort bonne heure sa besogne d’empierrement et d’entretien de la route et s’en allait dans la forêt avec sa pioche. On le rencontrait vers le soir dans les clairières les plus désertes, dans les fourrés les plus sauvages, ayant l’air de chercher quelque chose, quelquefois creusant des trous. Les bonnes femmes qui passaient le prenaient d’abord pour Belzébuth, puis elles reconnaissaient Boulatruelle, et n’étaient guère plus rassurées. Ces rencontres paraissaient contrarier vivement Boulatruelle. Il était visible qu’il cherchait à se cacher, et qu’il y avait un mystère dans ce qu’il faisait.

    On disait dans le village : — C’est clair que le diable a fait quelque apparition. Boulatruelle l’a vu, et cherche. Au fait, il est fichu pour empoigner le magot de Lucifer. — Les voltairiens ajoutaient : Sera-ce Boulatruelle qui attrapera le diable, ou le diable qui attrapera Boulatruelle ? — Les vieilles femmes faisaient beaucoup de signes de croix.

    Cependant les manèges de Boulatruelle dans le bois cessèrent, et il reprit régulièrement son travail de cantonnier. On parla d’autre chose.

    Quelques personnes toutefois étaient restées curieuses, pensant qu’il y avait probablement dans ceci, non point les fabuleux trésors de la légende, mais quelque bonne aubaine, plus sérieuse et plus palpable que les billets de banque du diable, et dont le cantonnier avait sans doute surpris à moitié le secret. Les plus « intrigués » étaient le maître d’école et le gargotier Thénardier, lequel était l’ami de tout le monde et n’avait point dédaigné de se lier avec Boulatruelle.

    Il a été aux galères ? disait Thénardier. Eh ! mon Dieu ! on ne sait ni qui y est, ni qui y sera.

    Un soir le maître d’école affirmait qu’autrefois la justice se serait enquise de ce que Boulatruelle allait faire dans le bois, et qu’il aurait bien fallu qu’il parlât, et qu’on l’aurait mis à la torture au besoin, et que Boulatruelle n’aurait point résisté, par exemple, à la question de l’eau. — Donnons-lui la question du vin, dit Thénardier.

    On se mit à quatre et l’on fit boire le vieux cantonnier. Boulatruelle but énormément, et parla peu. Il combina, avec un art admirable et dans une proportion magistrale, la soif d’un goinfre avec la discrétion d’un juge. Cependant, à force de revenir à la charge, et de rapprocher et de presser les quelques paroles obscures qui lui échappèrent, voici ce que le Thénardier et le maître d’école crurent comprendre :

    Boulatruelle, un matin, en se rendant au point du jour à son ouvrage, aurait été surpris de voir dans un coin du bois, sous une broussaille, une pelle et une pioche, comme qui dirait cachées. Cependant, il aurait pensé que c’étaient probablement la pelle et la pioche du père Six-Fours, le porteur d’eau, et il n’y aurait plus songé. Mais le soir du même jour, il aurait vu, sans pouvoir être vu lui-même, étant masqué par un gros arbre, se diriger de la route vers le plus épais du bois « un particulier qui n’était pas du tout du pays, et que lui, Boulatruelle, connaissait très bien ». Traduction par Thénardier : un camarade du bagne. Boulatruelle s’était obstinément refusé à dire le nom. Ce particulier portait un paquet, quelque chose de carré, comme une grande boîte ou un petit coffre. Surprise de Boulatruelle. Ce ne serait pourtant qu’au bout de sept ou huit minutes que l’idée de suivre « le particulier » lui serait venue. Mais il était trop tard, le particulier était déjà dans le fourré, la nuit s’était faite, et Boulatruelle n’avait pu le rejoindre. Alors il avait pris le parti d’observer la lisière du bois. « Il faisait lune. » Deux ou trois heures après, Boulatruelle avait vu ressortir du taillis son particulier portant maintenant, non plus le petit coffre-malle, mais une pioche et une pelle. Boulatruelle avait laissé passer le particulier et n’avait pas eu l’idée de l’aborder, parce qu’il s’était dit que l’autre était trois fois plus fort que lui, et armé d’une pioche, et l’assommerait probablement en le reconnaissant et en se voyant reconnu. Touchante effusion de deux vieux camarades qui se retrouvent. Mais la pelle et la pioche avaient été un trait de lumière pour Boulatruelle ; il avait couru à la broussaille du matin, et n’y avait plus trouvé ni pelle ni pioche. Il en avait conclu que son particulier, entré dans le bois, y avait creusé un trou avec la pioche, avait enfoui le coffre, et avait refermé le trou avec la pelle. Or, le coffre était trop petit pour contenir un cadavre, donc il contenait de l’argent. De là ses recherches. Boulatruelle avait exploré, sondé et fureté toute la forêt, et fouillé partout où la terre lui avait paru fraîchement remuée. En vain.

    Il n’avait rien « déniché ». Personne n’y pensa plus dans Montfermeil. Il y eut seulement quelques braves commères qui dirent : Tenez pour certain que le cantonnier de Gagny n’a pas fait tout ce trinquemaque pour rien ; il est sûr que le diable est venu.


     

    III


     

    QU’IL FALLAIT QUE LA CHAÎNE DE LA MANILLE
    EÛT SUBI UN CERTAIN TRAVAIL
    PRÉPARATOIRE POUR ÊTRE AINSI BRISÉE
    D’UN COUP DE MARTEAU

    Vers la fin d’octobre de cette même année 1823, les habitants de Toulon virent rentrer dans leur port, à la suite d’un gros temps et pour réparer quelques avaries, le vaisseau l’Orion qui a été plus tard employé à Brest comme vaisseau-école et qui faisait alors partie de l’escadre de la Méditerranée.

    Ce bâtiment, tout éclopé qu’il était, car la mer l’avait malmené, fit de l’effet en entrant dans la rade. Il portait je ne sais plus quel pavillon qui lui valut un salut réglementaire de onze coups de canon, rendus par lui coup pour coup ; total : vingt-deux. On a calculé qu’en salves, politesses royales et militaires, échanges de tapages courtois, signaux d’étiquette, formalités de rades et de citadelles, levers et couchers de soleil salués tous les jours par toutes les forteresses et tous les navires de guerre, ouvertures et fermetures de portes, etc., etc., le monde civilisé tirait à poudre par toute la terre, toutes les vingt-quatre heures, cent cinquante mille coups de canon inutiles. À six francs le coup de canon, cela fait neuf cent mille francs par jour, trois cents millions par an, qui s’en vont en fumée. Ceci n’est qu’un détail. Pendant ce temps-là les pauvres meurent de faim.

    L’année 1823 était ce que la restauration a appelé « l’époque de la guerre d’Espagne. »

    Cette guerre contenait beaucoup d’événements dans un seul, et force singularités. Une grosse affaire de famille pour la maison de Bourbon ; la branche de France secourant et protégeant la branche de Madrid, c’est-à-dire faisant acte d’aînesse ; un retour apparent à nos traditions nationales compliqué de servitude et de sujétion aux cabinets du nord ; M. le duc d’Angoulême, surnommé par les feuilles libérales le héros d’Andujar, comprimant, dans une attitude triomphale un peu contrariée par son air paisible, le vieux terrorisme fort réel du saint-office aux prises avec le terrorisme chimérique des libéraux ; les sans-culottes ressuscités au grand effroi des douairières sous le nom de descamidos ; le monarchisme faisant obstacle au progrès qualifié anarchie ; les théories de 89 brusquement interrompues dans la sape ; un holà européen intimé à l’idée française faisant son tour du monde ; à côté du fils de France généralissime, le prince de Carignan, depuis Charles-Albert, s’enrôlant dans cette croisade des rois contre les peuples comme volontaire avec des épaulettes de grenadier en laine rouge ; les soldats de l’empire se remettant en campagne, mais après huit années de repos, vieillis, tristes, et sous la cocarde blanche ; le drapeau tricolore agité à l’étranger par une héroïque poignée de Français comme le drapeau blanc l’avait été à Coblentz trente ans auparavant ; les moines mêlés à nos troupiers ; l’esprit de liberté et de nouveauté mis à la raison par les bayonnettes ; les principes matés à coups de canon ; la France défaisant par ses armes ce qu’elle avait fait par son esprit ; du reste, les chefs ennemis vendus, les soldats hésitants, les villes assiégées par des millions ; point de périls militaires et pourtant des explosions possibles, comme dans toute mine surprise et envahie ; peu de sang versé, peu d’honneur conquis, de la honte pour quelques-uns, de la gloire pour personne ; telle fut cette guerre, faite par des princes qui descendaient de Louis XIV et conduite par des généraux qui sortaient de Napoléon. Elle eut ce triste sort de ne rappeler ni la grande guerre ni la grande politique.

    Quelques faits d’armes furent sérieux ; la prise du Trocadéro, entre autres, fut une belle action militaire ; mais, en somme, nous le répétons, les trompettes de cette guerre rendent un son fêlé, l’ensemble fut suspect, l’histoire approuve la France dans sa difficulté d’acceptation de ce faux triomphe. Il parut évident que certains officiers espagnols chargés de la résistance cédaient trop aisément, l’idée de corruption se dégagea de la victoire ; il sembla qu’on avait plutôt gagné les généraux que les batailles, et le soldat vainqueur rentra humilié. Guerre diminuante en effet où l’on put lire Banque de France dans les plis du drapeau.

    Des soldats de la guerre de 1808, sur lesquels s’était formidablement écroulée Saragosse, fronçaient le sourcil en 1823 devant l’ouverture facile des citadelles, et se prenaient à regretter Palafox. C’est l’humeur de la France d’aimer encore mieux avoir devant elle Rostopchine que Ballesteros.

    À un point de vue plus grave encore, et sur lequel il convient d’insister aussi, cette guerre, qui froissait en France l’esprit militaire, indignait l’esprit démocratique. C’était une entreprise d’asservissement. Dans cette campagne, le but du soldat français, fils de la démocratie, était la conquête d’un joug pour autrui. Contre-sens hideux. La France est faite pour réveiller l’âme des peuples, non pour l’étouffer. Depuis 1792, toutes les révolutions de l’Europe sont la révolution française ; la liberté rayonne de France. C’est là un fait solaire. Aveugle qui ne le voit pas ! c’est Bonaparte qui l’a dit.

    La guerre de 1823, attentat à la généreuse nation espagnole, était donc en même temps un attentat à la révolution française. Cette voie de fait monstrueuse, c’était la France qui la commettait ; de force ; car, en dehors des guerres libératrices, tout ce que font les armées, elles le font de force. Le mot obéissance passive l’indique. Une armée est un étrange chef-d’œuvre de combinaison où la force résulte d’une somme énorme d’impuissance. Ainsi s’explique la guerre, faite par l’humanité contre l’humanité malgré l’humanité.

    Quant aux Bourbons, la guerre de 1823 leur fut fatale. Ils la prirent pour un succès. Ils ne virent point quel danger il y a à faire tuer une idée par une consigne. Ils se méprirent dans leur naïveté au point d’introduire dans leur établissement comme élément de force l’immense affaiblissement d’un crime. L’esprit de guet-apens entra dans leur politique. 1830 germa dans 1823. La campagne d’Espagne devint dans leurs conseils un argument pour les coups de force et pour les aventures de droit divin. La France, ayant rétabli el rey neto en Espagne, pouvait bien rétablir le roi absolu chez elle. Ils tombèrent dans cette redoutable erreur de prendre l’obéissance du soldat pour le consentement de la nation. Cette confiance-là perd les trônes. Il ne faut s’endormir, ni à l’ombre d’un mancenillier ni à l’ombre d’une armée.

    Revenons au navire l’Orion.

    Pendant les opérations de l’armée commandée par le prince-généralissime, une escadre croisait dans la Méditerranée. Nous venons de dire que l’Orion était de cette escadre et qu’il fut ramené par des événements de mer dans le port de Toulon.

    La présence d’un vaisseau de guerre dans un port a je ne sais quoi qui appelle et qui occupe la foule. C’est que cela est grand, et que la foule aime ce qui est grand.

    Un vaisseau de ligne est une des plus magnifiques rencontres qu’ait le génie de l’homme avec la puissance de la nature.

    Un vaisseau de ligne est composé à la fois de ce qu’il y a de plus lourd et de ce qu’il y a de plus léger, parce qu’il a affaire en même temps aux trois formes de la substance, au solide, au liquide, au fluide, et qu’il doit lutter contre toutes les trois. Il a onze griffes de fer pour saisir le granit au fond de la mer, et plus d’ailes et plus d’antennes que la bigaille pour prendre le vent dans les nuées. Son haleine sort par ses cent vingt canons comme par des clairons énormes, et répond fièrement à la foudre. L’océan cherche à l’égarer dans l’effrayante similitude de ses vagues, mais le vaisseau a son âme, sa boussole, qui le conseille et lui montre toujours le nord. Dans les nuits noires ses fanaux suppléent aux étoiles. Ainsi, contre le vent il a la corde et la toile, contre l’eau le bois, contre le rocher le fer, le cuivre et le plomb, contre l’ombre la lumière, contre l’immensité une aiguille.

    Si l’on veut se faire une idée de toutes ces proportions gigantesques dont l’ensemble constitue le vaisseau de ligne, on n’a qu’à entrer sous une des cales couvertes, à six étages, des ports de Brest ou de Toulon. Les vaisseaux en construction sont là sous cloche, pour ainsi dire. Cette poutre colossale, c’est une vergue ; cette grosse colonne de bois couchée à terre à perte de vue, c’est le grand mât. À le prendre de sa racine dans la cale à sa cime dans la nuée, il est long de soixante toises, et il a trois pieds de diamètre à sa base. Le grand mât anglais s’élève à deux cent dix-sept pieds au-dessus de la ligne de flottaison. La marine de nos pères employait des câbles, la nôtre emploie des chaînes. Le simple tas de chaînes d’un vaisseau de cent canons a quatre pieds de haut, vingt pieds de large, huit pieds de profondeur. Et pour faire ce vaisseau, combien faut-il de bois ? Trois mille stères. C’est une forêt qui flotte.

    Et encore, qu’on le remarque bien, il ne s’agit ici que du bâtiment militaire d’il y a quarante ans, du simple navire à voiles ; la vapeur, alors dans l’enfance, a depuis ajouté de nouveaux miracles à ce prodige qu’on appelle le vaisseau de guerre. À l’heure qu’il est, par exemple, le navire mixte à hélice est une machine surprenante traînée par une voilure de trois mille mètres carrés de surface et par une chaudière de la force de deux mille cinq cents chevaux.

    Sans parler de ces merveilles nouvelles, l’ancien navire de Christophe Colomb et de Ruyter est un des grands chefs-d’œuvre de l’homme. Il est inépuisable en force comme l’infini en souffles, il emmagasine le vent dans sa voile, il est précis dans l’immense diffusion des vagues, il flotte et il règne.

    Il vient une heure pourtant où la rafale brise comme une paille cette vergue de soixante pieds de long, où le vent ploie comme un jonc ce mât de quatre cents pieds de haut, où cette ancre qui pèse dix milliers se tord dans la gueule de la vague comme l’hameçon d’un pêcheur dans la mâchoire d’un brochet, où ces canons monstrueux poussent des rugissements plaintifs et inutiles que l’ouragan emporte dans le vide et dans la nuit, où toute cette puissance et toute cette majesté s’abîment dans une puissance et dans une majesté supérieures.

    Toutes les fois qu’une force immense se déploie pour aboutir à une immense faiblesse, cela fait rêver les hommes. De là, dans les ports, les curieux qui abondent, sans qu’ils s’expliquent eux-mêmes parfaitement pourquoi, autour de ces merveilleuses machines de guerre et de navigation.

    Tous les jours donc, du matin au soir, les quais, les musoirs et les jetées du port de Toulon étaient couverts d’une quantité d’oisifs et de badauds, comme on dit à Paris, ayant pour affaire de regarder l’Orion.

    L’Orion était un navire malade depuis longtemps. Dans ses navigations antérieures, des couches épaisses de coquillages s’étaient amoncelées sur sa carène au point de lui faire perdre la moitié de sa marche ; on l’avait mis à sec l’année précédente pour gratter ces coquillages, puis il avait repris la mer. Mais ce grattage avait altéré les boulonnages de la carène. À la hauteur des Baléares, le bordé s’était fatigué et ouvert, et, comme le vaigrage ne se faisait pas alors en tôle, le navire avait fait de l’eau. Un violent coup d’équinoxe était survenu, qui avait défoncé à bâbord la poulaine et un sabord et endommagé le porte-haubans de misaine. À la suite de ces avaries, l’Orion avait regagné Toulon.

    Il était mouillé près de l’Arsenal. Il était en armement et on le réparait. La coque n’avait pas été endommagée à tribord, mais quelques bordages y étaient décloués çà et là, selon l’usage, pour laisser pénétrer de l’air dans la carcasse.

    Un matin la foule qui le contemplait fut témoin d’un accident.

    L’équipage était occupé à enverguer les voiles. Le gabier chargé de prendre l’empointure du grand hunier tribord perdit l’équilibre. On le vit chanceler, la multitude amassée sur le quai de l’Arsenal jeta un cri, la tête emporta le corps, l’homme tourna autour de la vergue, les mains étendues vers l’abîme ; il saisit, au passage, le faux marchepied d’une main d’abord, puis de l’autre, il y resta suspendu. La mer était au-dessous de lui à une profondeur vertigineuse. La secousse de sa chute avait imprimé au faux marchepied un violent mouvement d’escarpolette. L’homme allait et venait au bout de cette corde comme la pierre d’une fronde.

    Aller à son secours, c’était courir un risque effrayant. Aucun des matelots, tous pêcheurs de la côte nouvellement levés pour le service, n’osait s’y aventurer. Cependant le malheureux gabier se fatiguait ; on ne pouvait voir son angoisse sur son visage, mais on distinguait dans tous ses membres son épuisement. Ses bras se tordaient dans un tiraillement horrible. Chaque effort qu’il faisait pour remonter ne servait qu’à augmenter les oscillations du faux marchepied. Il ne criait pas de peur de perdre de la force. On n’attendait plus que la minute où il lâcherait la corde et par instants toutes les têtes se détournaient afin de ne pas le voir passer. Il y a des moments où un bout de corde, une perche, une branche d’arbre, c’est la vie même, et c’est une chose affreuse de voir un être vivant s’en détacher et tomber comme un fruit mûr.

    Tout à coup, on aperçut un homme qui grimpait dans le gréement avec l’agilité d’un chat-tigre. Cet homme était vêtu de rouge, c’était un forçat ; il avait un bonnet vert, c’était un forçat à vie. Arrivé à la hauteur de la hune, un coup de vent emporta son bonnet et laissa voir une tête toute blanche ; ce n’était pas un jeune homme.

    Un forçat en effet, employé à bord avec une corvée du bagne, avait dès le premier moment couru à l’officier de quart, et au milieu du trouble et de l’hésitation de l’équipage, pendant que tous les matelots tremblaient et reculaient, il avait demandé à l’officier la permission de risquer sa vie pour sauver le gabier. Sur un signe affirmatif de l’officier, il avait rompu d’un coup de marteau la chaîne rivée à la manille de son pied, puis il avait pris une corde, et il s’était élancé dans les haubans. Personne ne remarqua en cet instant-là avec quelle facilité cette chaîne fut brisée. Ce ne fut que plus tard qu’on s’en souvint.

    En un clin d’œil il fut sur la vergue. Il s’arrêta quelques secondes et parut la mesurer du regard. Ces secondes, pendant lesquelles le vent balançait le gabier à l’extrémité d’un fil, semblèrent des siècles à ceux qui regardaient. Enfin, le forçat leva les yeux au ciel, et fit un pas en avant. La foule respira. On le vit parcourir la vergue en courant. Parvenu à la pointe, il y attacha un bout de la corde qu’il avait apportée et laissa pendre l’autre bout, puis il se mit à descendre avec les mains le long de cette corde, et alors ce fut une inexplicable angoisse, au lieu d’un homme suspendu sur le gouffre on en vit deux.

    On eût dit une araignée venant saisir une mouche ; seulement ici l’araignée apportait la vie et non la mort. Dix mille regards étaient fixés sur ce groupe. Pas un cri, pas une parole, le même frémissement fronçait tous les sourcils. Toutes les bouches retenaient leur haleine, comme si elles eussent craint d’ajouter le moindre souffle au vent qui secouait les deux misérables.

    Cependant le forçat était parvenu à s’affaler près du matelot. Il était temps ; une minute de plus, l’homme, épuisé et désespéré, se laissait tomber dans l’abîme, le forçat l’avait amarré solidement avec la corde à laquelle il se tenait d’une main pendant qu’il travaillait de l’autre. Enfin on le vit remonter sur la vergue et y haler le matelot ; il le soutint là un instant pour lui laisser reprendre ses forces, puis il le saisit dans ses bras et le porta en marchant sur la vergue jusqu’au chouquet, et de là dans la hune où il le laissa dans les mains de ses camarades.

    À cet instant la foule applaudit ; il y eut de vieux argousins de chiourme qui pleurèrent, les femmes s’embrassaient sur le quai, et l’on entendit toutes les voix crier avec une sorte de fureur attendrie : La grâce de cet homme !

    Lui, cependant, s’était mis en devoir de redescendre immédiatement pour rejoindre sa corvée. Pour être plus promptement arrivé, il se laissa glisser dans le gréement et se mit à courir sur une basse vergue. Tous les yeux le suivaient. À un certain moment, on eut peur ; soit qu’il fût fatigué, soit que la tête lui tournât, on crut le voir hésiter et chanceler. Tout à coup la foule poussa un grand cri, le forçat venait de tomber à la mer.

    La chute était périlleuse. La frégate l’Algésiras était mouillée auprès de l’Orion, et le pauvre galérien était tombé entre les deux navires. Il était à craindre qu’il ne glissât sous l’un ou sous l’autre. Quatre hommes se jetèrent en hâte dans une embarcation. La foule les encourageait, l’anxiété était de nouveau dans toutes les âmes. L’homme n’était pas remonté à la surface. Il avait disparu dans la mer sans y faire un pli, comme s’il fût tombé dans une tonne d’huile. On sonda, on plongea. Ce fut en vain. On chercha jusqu’au soir ; on ne retrouva pas même le corps.

    Le lendemain, le journal de Toulon imprimait ces quelques lignes : — « 17 novembre 1823. — Hier, un forçat, de corvée à bord de l’Orion, en revenant de porter secours à un matelot, est tombé à la mer et s’est noyé. On n’a pu retrouver son cadavre. On présume qu’il se sera engagé sous les pilotis de la pointe de l’Arsenal. Cet homme était écroué sous le n°9430 et se nommait Jean Valjean. »

    I


     

    LA QUESTION DE L’EAU À MONTFERMEIL

    Montfermeil est situé entre Livry et Chelles, sur la lisière méridionale de ce haut plateau qui sépare l’Ourcq de la Marne. Aujourd’hui c’est un assez gros bourg, orné, toute l’année, de villas en plâtre, et, le dimanche, de bourgeois épanouis. En 1823, il n’y avait à Montfermeil ni tant de maisons blanches ni tant de bourgeois satisfaits. Ce n’était qu’un village dans les bois. On y rencontrait bien çà et là quelques maisons de plaisance du dernier siècle, reconnaissables à leur grand air, à leurs balcons en fer tordu et à ces longues fenêtres dont les petits carreaux font sur le blanc des volets fermés toutes sortes de verts différents. Mais Montfermeil n’en était pas moins un village. Les marchands de drap retirés et les agréés en villégiature ne l’avaient pas encore découvert. C’était un endroit paisible et charmant, qui n’était sur la route de rien ; on y vivait à bon marché de cette vie paysanne si abondante et si facile. Seulement l’eau y était rare à cause de l’élévation du plateau.

    Il fallait aller la chercher assez loin. Le bout du village qui est du côté de Gagny puisait son eau aux magnifiques étangs qu’il y a là dans les bois ; l’autre bout, qui entoure l’église et qui est du côté de Chelles, ne trouvait d’eau potable qu’à une petite source à mi-côte, près de la route de Chelles, à environ un quart d’heure de Montfermeil.

    C’était donc une assez rude besogne pour chaque ménage que cet approvisionnement de l’eau. Les grosses maisons, l’aristocratie, la gargote Thénardier en faisait partie, payaient un liard par seau d’eau à un bonhomme dont c’était l’état et qui gagnait à cette entreprise des eaux de Montfermeil environ huit sous par jour ; mais ce bonhomme ne travaillait que jusqu’à sept heures du soir l’été et jusqu’à cinq heures l’hiver, et une fois la nuit venue, une fois les volets des rez-de-chaussée clos, qui n’avait pas d’eau à boire en allait chercher ou s’en passait.

    C’était là la terreur de ce pauvre être que le lecteur n’a peut-être pas oublié, de la petite Cosette. On se souvient que Cosette était utile aux Thénardier de deux manières, ils se faisaient payer par la mère et ils se faisaient servir par l’enfant. Aussi quand la mère cessa tout à fait de payer, on vient de lire pourquoi dans les chapitres précédents, les Thénardier gardèrent Cosette. Elle leur remplaçait une servante. En cette qualité, c’était elle qui courait chercher de l’eau quand il en fallait. Aussi l’enfant, fort épouvantée de l’idée d’aller à la source la nuit, avait-elle grand soin que l’eau ne manquât jamais à la maison.

    La Noël de l’année 1823 fut particulièrement brillante à Montfermeil. Le commencement de l’hiver avait été doux ; il n’avait encore ni gelé ni neigé. Des bateleurs venus de Paris avaient obtenu de M. le maire la permission de dresser leurs baraques dans la grande rue du village, et une bande de marchands ambulants avait, sous la même tolérance, construit ses échoppes sur la place de l’église et jusque dans la ruelle du Boulanger, où était située, on s’en souvient peut-être, la gargote des Thénardier. Cela emplissait les auberges et les cabarets, et donnait à ce petit pays tranquille une vie bruyante et joyeuse. Nous devons même dire, pour être fidèle historien, que, parmi les curiosités étalées sur la place, il y avait une ménagerie dans laquelle d’affreux paillasses, vêtus de loques et venus on ne sait d’où, montraient en 1823 aux paysans de Montfermeil un de ces effrayants vautours du Brésil que notre Muséum royal ne possède que depuis 1845, et qui ont pour œil une cocarde tricolore. Les naturalistes appellent, je crois, cet oiseau Caracara Polyborus : il est de l’ordre des apicides et de la famille des vautouriens. Quelques bons vieux soldats bonapartistes retirés dans le village allaient voir cette bête avec dévotion. Les bateleurs donnaient la cocarde tricolore comme un phénomène unique et fait exprès par le bon Dieu pour leur ménagerie.

    Dans la soirée même de Noël, plusieurs hommes, rouliers et colporteurs, étaient attablés et buvaient autour de quatre ou cinq chandelles dans la salle basse de l’auberge Thénardier. Cette salle ressemblait à toutes les salles de cabaret ; des tables, des brocs d’étain, des bouteilles, des buveurs, des fumeurs ; peu de lumière, beaucoup de bruit. La date de l’année 1823 était pourtant indiquée par les deux objets à la mode alors dans la classe bourgeoise qui étaient sur une table, savoir un kaléidoscope et une lampe de fer-blanc moiré. La Thénardier surveillait le souper qui rôtissait devant un bon feu clair ; le mari Thénardier buvait avec ses hôtes et parlait politique.

    Outre les causeries politiques, qui avaient pour objets principaux la guerre d’Espagne et M. le duc d’Angoulême, on entendait dans le brouhaha des parenthèses toutes locales comme celles-ci :

    Du côté de Nanterre et de Suresnes le vin a beaucoup donné. Où l’on comptait sur dix pièces on en a eu douze. Cela a beaucoup juté sous le pressoir. — Mais le raisin ne devait pas être mûr ? — Dans ces pays-là il ne faut pas qu’on vendange mûr. Si l’on vendange mûr, le vin tourne au gras sitôt le printemps. — C’est donc tout petit vin ? — C’est des vins encore plus petits que par ici. Il faut qu’on vendange vert.

    Etc. —

    Ou bien, c’était un meunier qui s’écriait :

    Est-ce que nous sommes responsables de ce qu’il y a dans les sacs ? Nous y trouvons un tas de petites graines que nous ne pouvons pas nous amuser à éplucher et qu’il faut bien laisser passer sous les meules ; c’est l’ivraie, c’est la luzette, la nielle, la vesce, le chènevis, la gaverolle, la queue-de-renard , et une foule d’autres drogues, sans compter les cailloux qui abondent dans de certains blés, surtout dans les blés bretons. Je n’ai pas l’amour de moudre du blé breton, pas plus que les scieurs de long de scier des poutres où il y a des clous. Jugez de la mauvaise poussière que tout cela fait dans le rendement. Après quoi on se plaint de la farine. On a tort. La farine n’est pas notre faute.

    Dans un entre-deux de fenêtres, un faucheur, attablé avec un propriétaire qui faisait prix pour un travail de prairie à faire au printemps, disait :

    Il n’y a point de mal que l’herbe soit mouillée. Elle se coupe mieux. La rousée est bonne, monsieur. C’est égal, cette herbe-là, votre herbe, est jeune et bien difficile encore. Que voilà qui est si tendre ; que voilà qui plie devant la planche de fer.

    Etc. —

    Cosette était à sa place ordinaire, assise sur la traverse de la table de cuisine près de la cheminée. Elle était en haillons, elle avait ses pieds nus dans des sabots, et elle tricotait à la lueur du feu des bas de laine destinés aux petites Thénardier. Un tout jeune chat jouait sous les chaises. on entendait rire et jaser dans une pièce voisine deux fraîches voix d’enfants ; c’était Éponine et Azelma.

    Au coin de la cheminée, un martinet était suspendu à un clou.

    Par intervalles, le cri d’un très jeune enfant, qui était quelque part dans la maison, perçait au milieu du bruit du cabaret. C’était un petit garçon que la Thénardier avait eu un des hivers précédents, — « sans savoir pourquoi, disait-elle, effet du froid, » — et qui était âgé d’un peu plus de trois ans. La mère l’avait nourri, mais ne l’aimait pas. Quand la clameur acharnée du mioche devenait trop importune : — Ton fils piaille, disait Thénardier, va donc voir ce qu’il veut. — Bah ! répondait la mère, il m’ennuie. — Et le petit abandonné continuait de crier dans les ténèbres.

    II


     

    DEUX PORTRAITS COMPLÉTÉS


    On n’a encore aperçu dans ce livre les Thénardier que de profil ; le moment est venu de tourner autour de ce couple et de le regarder sons toutes ses faces.

    Thénardier venait de dépasser ses cinquante ans ; madame Thénardier touchait à la quarantaine, qui est la cinquantaine de la femme ; de façon qu'il y avait équilibre d'âge entre la femme et le mari.

    Les lecteurs ont peut-être, dès sa première apparition, conservé quelque souvenir de cette Thénardier grande, blonde, rouge, grasse, charnue, carrée, énorme et agile ; elle tenait, nous l'avons dit, de la race de ces sauvagesses colosses qui se cambrent dans les foires avec des pavés pendus à leur chevelure. Elle faisait tout dans le logis, les lits, les chambres, la lessive, la cuisine, la pluie, le beau temps, le diable. Elle avait pour tout domestique Cosette ; une souris au service d'un éléphant. Tout tremblait au son de sa voix, les vitres, les meubles et les gens. Son large visage, criblé de taches de rousseur, avait l’aspect d’une écumoire. Elle avait de la barbe. C’était l’idéal d’un fort de la halle habillé en fille. Elle jurait splendidement ; elle se vantait de casser une noix d’un coup de poing. Sans les romans qu’elle avait lus, et qui, par moments, faisaient bizarrement reparaître la mijaurée sous l’ogresse, jamais l’idée ne fût venue à personne de dire d’elle : c’est une femme. Cette Thénardier était comme le produit de la greffe d’une donzelle sur une poissarde. Quand on l’entendait parler, on disait : C’est un gendarme ; quand on la regardait boire, on disait : C’est un charretier ; quand on la voyait manier Cosette, on disait : C’est le bourreau. Au repos, il lui sortait de la bouche une dent.

    Le Thénardier était un homme petit, maigre, blême, anguleux, osseux, chétif, qui avait l’air malade et qui se portait à merveille ; sa fourberie commençait là. Il souriait habituellement par précaution, et était poli à peu près avec tout le monde, même avec le mendiant auquel il refusait un liard. Il avait le regard d’une fouine et la mine d’un homme de lettres. Il ressemblait beaucoup aux portraits de l’abbé Delille. Sa coquetterie consistait à boire avec les rouliers. Personne n’avait jamais pu le griser. Il fumait dans une grosse pipe. Il portait une blouse et sous sa blouse un vieil habit noir. Il avait des prétentions à la littérature et au matérialisme. Il y avait des noms qu’il prononçait souvent, pour appuyer les choses quelconques qu’il disait, Voltaire, Raynal, Pamy, et, chose bizarre, saint Augustin. Il affirmait avoir « un système ». Du reste fort escroc. Un filousophe. Cette nuance existe. On se souvient qu’il prétendait avoir servi ; il contait avec quelque luxe qu’à Waterloo, étant sergent dans un 6e ou 9e léger quelconque, il avait, seul contre un escadron de hussards de la Mort, couvert de son corps et sauvé à travers la mitraille « un général dangereusement blessé ». De là, venait, pour son mur, sa flamboyante enseigne, et, pour son auberge, dans le pays, le nom de « cabaret du sergent de Waterloo ». Il était libéral, classique, et bonapartiste. Il avait souscrit pour le champ d’Asile. On disait dans le village qu’il avait étudié pour être prêtre.

    Nous croyons qu’il avait simplement étudié, en Hollande pour être aubergiste. Ce gredin de l’ordre composite était, selon les probabilités, quelque flamand de Lille en Flandre, français à Paris, belge à Bruxelles, commodément à cheval sur deux frontières. Sa prouesse à Waterloo, on la connaît. Comme on voit, il l’exagérait un peu. Le flux et le reflux, le méandre, l’aventure, était l’élément de son existence ; conscience déchirée entraîne vie décousue ; et vraisemblablement, à l’orageuse époque du 18 juin 1815, Thénardier appartenait à cette variété de cantiniers maraudeurs dont nous avons parlé, battant l’estrade, vendant à ceux-ci, volant ceux-là, et roulant en famille, homme, femme et enfants, dans quelque carriole boiteuse, à la suite des troupes en marche, avec l’instinct de se rattacher toujours à l’armée victorieuse. Cette campagne faite, ayant, comme il disait, « du quibus », il était venu ouvrir gargote à Montfermeil.

    Ce quibus, composé des bourses et des montres, des bagues d’or et des croix d’argent, récoltées au temps de la moisson dans les sillons ensemencés de cadavres, ne faisait pas un gros total et n’avait pas mené bien loin ce vivandier passé gargotier.

    Thénardier avait ce je ne sais quoi de rectiligne dans le geste qui, avec un juron, rappelle la caserne et, avec un signe de croix, le séminaire. Il était beau parleur. Il se laissait croire savant. Néanmoins, le maître d’école avait remarqué qu’il faisait — « des cuirs ». Il composait la carte à payer des voyageurs avec supériorité, mais des yeux exercés y trouvaient parfois des fautes d’orthographe. Thénardier était sournois, gourmand, flâneur et habile. Il ne dédaignait pas ses servantes, ce qui faisait que sa femme n’en avait plus. Cette géante était jalouse. Il lui semblait que ce petit homme maigre et jaune devait être l’objet de la convoitise universelle.

    Thénardier, par-dessus tout homme d’astuce et d’équilibre, était un coquin du genre tempéré. Cette espèce est la pire ; l’hypocrisie s’y mêle.

    Ce n’est pas que Thénardier ne fût dans l’occasion capable de colère autant que sa femme ; mais cela était très rare, et dans ces moments-là, comme il en voulait au genre humain tout entier, comme il avait en lui une profonde fournaise de haine, comme il était de ces gens qui se vengent perpétuellement, qui accusent tout ce qui se passe devant eux de tout ce qui est tombé sur eux, et qui sont toujours prêts à jeter sur le premier venu, comme légitime grief, le total des déceptions, des banqueroutes et des calamités de leur vie, comme tout ce levain se soulevait en lui et lui bouillonnait dans la bouche et dans les yeux, il était épouvantable. Malheur à qui passait sous sa fureur alors !

    Outre toutes ses autres qualités, Thénardier était attentif et pénétrant, silencieux ou bavard à l’occasion, et toujours avec une haute intelligence. Il avait quelque chose du regard des marins accoutumés à cligner des yeux dans les lunettes d’approche. Thénardier était un homme d’état.

    Tout nouveau venu qui entrait dans la gargote disait en voyant la Thénardier : Voilà le maître de la maison. Erreur. Elle n’était même pas maîtresse. Le maître et la maîtresse, c’était le mari. Elle faisait, il créait. Il dirigeait tout par une sorte d’action magnétique invisible et continuelle. Un mot lui suffisait, quelquefois un signe ; le mastodonte obéissait. Le Thénardier était pour la Thénardier, sans qu’elle s’en rendit compte, une espèce d’être particulier et souverain. Elle avait les vertus de sa façon d’être ; jamais, eût-elle été en dissentiment sur un détail avec « monsieur Thénardier », hypothèse du reste inadmissible, elle n’eût donné publiquement, tort à son mari, sur quoi que ce soit. Jamais elle n’eût commis « devant les étrangers » cette faute que font si souvent les femmes, et qu’on appelle, en langage parlementaire, découvrir la couronne. Quoique leur accord n’eût pour résultat que le mal, il y avait de la contemplation dans la soumission de la Thénardier à son mari. Cette montagne de bruit et de chair se mouvait sous le petit doigt de ce despote frêle. C’était, vu par son côté nain et grotesque, cette grande chose universelle : l’adoration de la matière pour l’esprit ; car de certaines laideurs ont leur raison d’être dans les profondeurs de la beauté éternelle. Il y avait de l’inconnu dans Thénardier ; de là l’empire absolu de cet homme sur cette femme. À de certains moments, elle le voyait comme une chandelle allumée ; dans d’autres, elle le sentait comme une griffe.

    Cette femme était une créature formidable qui n’aimait que ses enfants et ne craignait que son mari. Elle était mère parce qu’elle était mammifère. Du reste, sa maternité s’arrêtait à ses filles, et comme on le verra, ne s’étendait pas jusqu’aux garçons. Lui, l’homme, n’avait qu’une pensée : s’enrichir.

    Il n’y réussissait point. Un digne théâtre manquait à ce grand talent. Thénardier à Montfermeil se ruinait, si la ruine est possible à zéro ; en Suisse ou dans les Pyrénées, ce sans-le-sou serait devenu millionnaire. Mais où le sort attache l’aubergiste, il faut qu’il broute.

    On comprend que le mot aubergiste est employé ici dans un sens restreint, et qui ne s’étend pas à une classe entière.

    En cette année 1823, Thénardier était endetté d’environ quinze cents francs de dettes criardes, ce qui le rendait soucieux.

    Quelle que fût envers lui l’injustice opiniâtre de la destinée, le Thénardier était un des hommes qui comprenaient le mieux, avec le plus de profondeur et de la façon la plus moderne, cette chose qui est une vertu chez les peuples barbares et une marchandise chez les peuples civilisés, l’hospitalité. Du reste braconnier admirable et cité pour son coup de fusil. Il avait un certain rire froid et paisible qui était particulièrement dangereux.

    Ses théories d’aubergiste jaillissaient quelquefois de lui par éclairs. Il avait des aphorismes professionnels qu’il insérait dans l’esprit de sa femme. — « Le devoir de l’aubergiste, lui disait-il un jour violemment et à voix basse, c’est de vendre au premier venu du fricot, du repos, de la lumière, du feu, des draps sales, de la bonne, des puces, du sourire ; d’arrêter les passants, de vider les petites bourses et d’alléger honnêtement les grosses, d’abriter avec respect les familles en route, de râper l’homme, de plumer la femme, d’éplucher l’enfant ; de coter la fenêtre ouverte, la fenêtre fermée, le coin de la cheminée, le fauteuil, la chaise, le tabouret, l’escabeau, le lit de plume, le matelas et la botte de paille ; de savoir de combien l’ombre use le miroir et de tarifer cela, et, par les cinq cent mille diables, de faire tout payer au voyageur, jusqu’aux mouches que son chien mange ! »

    Cet homme et cette femme, c’était ruse et rage mariées ensemble, attelage hideux et terrible.

    Pendant que le mari ruminait et combinait, la Thénardier, elle, ne pensait pas aux créanciers absents, n’avait souci d’hier ni de demain, et vivait avec emportement, toute dans la minute.

    Tels étaient ces deux êtres. Cosette était entre eux, subissant leur double pression, comme une créature qui serait à la fois broyée par une meule et déchiquetée par une tenaille. L’homme et la femme avaient chacun une manière différente ; Cosette était rouée de coups, cela venait de la femme ; elle allait pieds nus l’hiver, cela venait du mari.

    Cosette montait, descendait, lavait, brossait, frottait, balayait, courait, trimait, haletait, remuait des choses lourdes, et, toute chétive, faisait les grosses besognes. Nulle pitié ; une maîtresse farouche, un maître venimeux. La gargote Thénardier était comme une toile où Cosette était prise et tremblait. L’idée de l’oppression était réalisée par cette domesticité sinistre. C’était quelque chose comme la mouche servante des araignées.

    La pauvre enfant, passive, se taisait.

    Quand elles se trouvent ainsi, dès l’aube, toutes petites, toutes nues, parmi les hommes, que se passe-t-il dans ces âmes qui viennent de quitter Dieu ?


     

    III


     

    IL FAUT DU VIN AUX HOMMES ET DE L’EAU
    AUX CHEVAUX


     

    Il était arrivé quatre nouveaux voyageurs.

    Cosette songeait tristement ; car, quoiqu’elle n’eût que huit ans, elle avait déjà tant souffert qu’elle rêvait avec l’air lugubre d’une vieille femme.

    Elle avait la paupière noire d’un coup de poing que la Thénardier lui avait donné, ce qui faisait de temps en temps dire à la Thénardier : — Est-elle laide avec son pochon sur l’œil !

    Cosette pensait donc qu’il était nuit, très nuit, qu’il avait fallu remplir à l’improviste les pots et les carafes dans les chambres des voyageurs survenus, et qu’il n’y avait plus d’eau dans la fontaine.

    Ce qui la rassurait un peu, c’est qu’on ne buvait pas beaucoup d’eau dans la maison Thénardier. Il ne manquait pas là de gens qui avaient soif ; mais c’était de cette soif qui s’adresse plus volontiers au broc qu’à la cruche. Qui eût demandé un verre d’eau parmi ces verres de vin eût semblé un sauvage à tous ces hommes. Il y eut pourtant un moment où l’enfant trembla ; la Thénardier souleva le couvercle d’une casserole qui bouillait sur le fourneau, puis saisit un verre, et s’approcha vivement de la fontaine. Elle tourna le robinet, l’enfant avait levé la tête et suivait tous ses mouvements. Un maigre filet d’eau coula du robinet et remplit le verre à moitié. — Tiens, dit-elle, il n’y a plus d’eau ! puis elle eut un moment de silence. L’enfant ne respirait pas.

    Bah ! reprit la Thénardier en examinant le verre à demi plein, il y en aura assez comme cela.

    Cosette se remit à son travail, mais pendant plus d’un quart d’heure elle sentit son cœur sauter comme un gros flocon dans sa poitrine.

    Elle comptait les minutes qui s’écoulaient ainsi, et eût bien voulu être au lendemain matin.

    De temps en temps, un des buveurs regardait dans la rue et s’exclamait : — Il fait noir comme dans un four ! — ou : — Il faut être chat pour aller dans la rue sans lanterne à cette heure-ci ! — Et Cosette tressaillait.

    Tout à coup un des marchands colporteurs logés dans l’auberge entra, et dit d’une voix dure :

    On n’a pas donné à boire à mon cheval.

    Si fait vraiment, dit la Thénardier.

    Je vous dis que non, la mère, reprit le marchand. Cosette était sortie de dessous la table.

    Oh ! si ! monsieur ! dit-elle, le cheval a bu, il a bu dans le seau, plein le seau, et même que c’est moi qui lui ai porté à boire, et je lui ai parlé.

    Cela n’était pas vrai. Cosette mentait.

    En voilà une qui est grosse comme le poing et qui ment gros comme la maison, s’écria le marchand. Je te dis qu’il n’a pas bu, petite drôlesse ! Il a une manière de souffler quand il n’a pas bu, que je connais bien.

    Cosette persista, et ajouta d’une voix enrouée par l’angoisse et qu’on entendait à peine :

    Et même qu’il a bien bu !

    Allons, reprit le marchand avec colère, ce n’est pas tout ça, qu’on donne à boire à mon cheval et que cela finisse !

    Cosette rentra sous la table.

    Au fait, c’est juste, fit la Thénardier, si cette bête n’a pas bu, il faut qu’elle boive.

    Puis, regardant autour d’elle.

    Eh bien, où donc est cette autre ?

    Elle se pencha et découvrit Cosette blottie à l’autre bout de la table, presque sous les pieds des buveurs.

    Vas-tu venir ? cria la Thénardier.

    Cosette sortit de l’espèce de trou où elle s’était cachée. La Thénardier reprit :

    Mademoiselle Chien-faute-de-nom, va porter à boire à ce cheval.

    Mais, madame, dit Cosette faiblement, c’est qu’il n’y a pas d’eau.

    La Thénardier ouvrit toute grande la porte de la rue :

    Eh bien, va en chercher !

    Cosette baissa la tête et alla prendre un seau vide qui était au coin de la cheminée.

    Ce seau était plus grand qu’elle, et l’enfant aurait pu s’asseoir dedans et y tenir à l’aise.

    La Thénardier se remit à son fourneau, et goûta avec une cuillère de bois ce qui était dans la casserole, tout en grommelant :

    Il y en a encore à la source. Ce n’est pas plus malin que ça. Je crois que j’aurais mieux fait de passer mes oignons.

    Puis elle fouilla dans un tiroir où il y avait des sous, du poivre et des échalottes.

    Tiens, mamselle Crapaud, ajouta-t-elle, en revenant tu prendras un gros pain chez le boulanger. Voilà une pièce de quinze sous.

    Cosette avait une petite poche de côté à son tablier ; elle prit la pièce sans dire un mot, et la mit dans cette poche.

    Puis elle resta immobile le seau à la main, la porte ouverte devant elle. Elle semblait attendre qu’on vînt à son secours.

    Va donc ! cria la Thénardier.

    Cosette sortit. La porte se referma.


     

    IV


     

    ENTRÉE EN SCÈNE D’UNE POUPÉE


     

    La file de boutiques en plein vent qui partait de l’église se développait, on s’en souvient, jusqu’à l’auberge Thénardier. Ces boutiques, à cause du passage prochain des bourgeois allant à la messe de minuit, étaient toutes illuminées de chandelles brûlant dans des entonnoirs de papier, ce qui, comme le disait le maître d’école de Montfermeil attablé en ce moment chez Thénardier, faisait « un effet magique ». En revanche, on ne voyait pas une étoile au ciel.

    La dernière de ces baraques, établie précisément en face de la porte des Thénardier, était une boutique de bimbeloterie, toute reluisante de clinquants, de verroteries et de choses magnifiques en fer-blanc. Au premier rang, et en avant, le marchand avait placé, sur un fond de serviettes blanches, une immense poupée haute de près de deux pieds qui était vêtue d’une robe de crêpe rose avec des épis d’or sur la tête et qui avait de vrais cheveux et des yeux en émail. Tout le jour cette merveille avait été étalée à l’ébahissement des passants de moins de dix ans, sans qu’il se fût trouvé à Montfermeil une mère assez riche ou assez prodigue pour la donner à son enfant. Éponine et Azelma avaient passé des heures à la contempler, et Cosette elle-même, furtivement, il est vrai, avait osé la regarder.

    Au moment où Cosette sortit, son seau à la main, si morne et si accablée qu’elle fût, elle ne put s’empêcher de lever les yeux sur cette prodigieuse poupée, vers la dame, comme elle l’appelait. La pauvre enfant s’arrêta pétrifiée. Elle n’avait pas encore vu cette poupée de près. Toute cette boutique lui semblait un palais ; cette poupée n’était pas une poupée, c’était une vision. C’était la joie, la splendeur, la richesse, le bonheur, qui apparaissait dans une sorte de rayonnement chimérique à ce malheureux petit être englouti si profondément dans une misère funèbre et froide. Cosette mesurait avec cette sagacité naïve et triste de l’enfance l’abîme qui la séparait de cette poupée. Elle se disait qu’il fallait être reine ou au moins princesse pour avoir une « chose » comme cela. Elle considérait cette belle robe rose, ces beaux cheveux lisses, et elle pensait : Comme elle doit être heureuse, cette poupée-là ! Ses yeux ne pouvaient se détacher de cette boutique fantastique. Plus elle regardait, plus elle s’éblouissait. Elle croyait voir le paradis. Il y avait d’autres poupées derrière la grande qui lui paraissaient des fées et des génies. Le marchand qui allait et venait au fond de sa baraque lui faisait un peu l’effet d’être le Père éternel.

    Dans son adoration, elle oubliait tout, même la commission dont elle était chargée. Tout à coup, la voix rude de la Thénardier la rappela à la réalité : — Comment, péronnelle, tu n’es pas partie ! Attends ! je vais à toi ! Je vous demande un peu ce qu’elle fait là ! Petit monstre, va !

    La Thénardier avait jeté un coup d’œil dans la rue et aperçu Cosette en extase.

    Cosette s’enfuit emportant son seau et faisant les plus grands pas qu’elle pouvait.


     

    V


     

    LA PETITE TOUTE SEULE


     

    Comme l’auberge Thénardier était dans cette partie du village qui est près de l’église, c’était à la source du bois du côté de Chelles que Cosette devait aller puiser de l’eau.

    Elle ne regarda plus un seul étalage de marchand. Tant qu’elle fut dans la ruelle du Boulanger et dans les environs de l’église, les boutiques illuminées éclairaient le chemin, mais bientôt la dernière lueur de la dernière baraque disparut. La pauvre enfant se trouva dans l’obscurité. Elle s’y enfonça. Seulement, comme une certaine émotion la gagnait, tout en marchant elle agitait le plus qu’elle pouvait l’anse du seau. Cela faisait un bruit qui lui tenait compagnie.

    Plus elle cheminait, plus les ténèbres devenaient épaisses. Il n’y avait plus personne dans les rues. Pourtant, elle rencontra une femme, qui se retourna en la voyant passer, et qui resta immobile, marmottant entre ses lèvres : Mais où peut donc aller cet enfant ? Est-ce que c’est un enfant-garou ? Puis la femme reconnut Cosette. — Tiens, dit-elle, c’est l’Alouette !

    Cosette traversa ainsi le labyrinthe de rues tortueuses et désertes qui terminent du côté de Chelles le village de Montfermeil. Tant qu’elle eut des maisons et même seulement des murs des deux côtés de son chemin, elle alla assez hardiment. De temps en temps, elle voyait le rayonnement d’une chandelle à travers la fente d’un volet, c’était de la lumière et de la vie, il y avait là des gens, cela la rassurait. Cependant, à mesure qu’elle avançait, sa marche se ralentissait comme machinalement. Quand elle eut passé l’angle de la dernière maison, Cosette s’arrêta. Aller au delà de la dernière boutique avait été difficile ; aller plus loin que la dernière maison, cela devenait impossible. Elle posa le seau à terre, plongea sa main dans ses cheveux et se mit à se gratter lentement la tête, geste propre aux enfants terrifiés et indécis. Ce n’était plus Montfermeil, c’étaient les champs. L’espace noir et désert était devant elle. Elle regarda avec désespoir cette obscurité où il n’y avait plus personne, où il y avait des bêtes, où il y avait peut-être des revenants. Elle regarda bien, et elle entendit les bêtes qui marchaient dans l’herbe, et elle vit distinctement les revenants qui remuaient dans les arbres. Alors elle ressaisit le seau, la peur lui donnait de l’audace : — Bah ! dit-elle, je lui dirai qu’il n’y avait plus d’eau — Et elle rentra résolument dans Montfermeil.

    À peine eut-elle fait cent pas qu’elle s’arrêta encore, et se remit à se gratter la tête. Maintenant, c’était la Thénardier qui lui apparaissait ; la Thénardier hideuse avec sa bouche d’hyène et la colère flamboyante dans les yeux. L’enfant jeta un regard lamentable en avant et en arrière. Que faire ? que devenir ? où aller ? Devant elle le spectre de la Thénardier ; derrière elle tous les fantômes de la nuit et des bois. Ce fut devant la Thénardier qu’elle recula. Elle reprit le chemin de la source et se mit à courir. Elle sortit du village en courant, elle entra dans le bois en courant, ne regardant plus rien, n’écoutant plus rien. Elle n’arrêta sa course que lorsque la respiration lui manqua, mais elle n’interrompit point sa marche. Elle allait devant elle, éperdue.

    Tout en courant elle avait envie de pleurer.

    Le frémissement nocturne de la forêt l’enveloppait tout entière. Elle ne pensait plus, elle ne voyait plus. L’immense nuit faisait face à ce petit être. D’un côté, toute l’ombre ; de l’autre, un atome.

    Il n’y avait que sept ou huit minutes de la lisière du bois à la source. Cosette connaissait le chemin pour l’avoir fait plusieurs fois le jour. Chose étrange, elle ne se perdit pas. Un reste d’instinct la conduisait vaguement. Elle ne jetait cependant les yeux ni à droite ni à gauche, de crainte de voir des choses dans les branches et dans les broussailles. Elle arriva ainsi à la source.

    C’était une étroite cuve naturelle creusée par l’eau dans un sol glaiseux, profonde d’environ deux pieds, entourée de mousse et de ces grandes herbes gaufrées qu’on appelle collerettes de Henri IV, et pavée de quelques grosses pierres. Un ruisseau s’en échappait avec un petit bruit tranquille.

    Cosette ne prit pas le temps de respirer. Il faisait très noir, mais elle avait l’habitude de venir à cette fontaine. Elle chercha de la main gauche dans l’obscurité un jeune chêne incliné sur la source qui lui servait ordinairement de point d’appui, rencontra une branche, s’y suspendit, se pencha et plongea le seau dans l’eau. Elle était dans un moment si violent que ses forces étaient triplées. Pendant qu’elle était ainsi penchée, elle ne fit pas attention que la poche de son tablier se vidait dans la source. La pièce de quinze sous tomba dans l’eau. Cosette ne la vit ni ne l’entendit tomber. Elle retira le seau presque plein et le posa sur l’herbe.

    Cela fait, elle s’aperçut qu’elle était épuisée de lassitude. Elle eût bien voulu repartir tout de suite ; mais l’effort de remplir le seau avait été tel qu’il lui fut impossible de faire un pas. Elle fut bien forcée de s’asseoir. Elle se laissa tomber sur l’herbe et y demeura accroupie.

    Elle ferma les yeux, puis elle les rouvrit, sans savoir pourquoi, mais ne pouvant faire autrement.

    À côté d’elle l’eau agitée dans le seau faisait des cercles qui ressemblaient à des serpents de fer-blanc.

    Au-dessus de sa tête, le ciel était couvert de vastes nuages noirs qui étaient comme des pans de fumée. Le tragique masque de l’ombre semblait se pencher vaguement sur cet enfant.

    Jupiter se couchait dans les profondeurs. L’enfant regardait d’un œil égaré cette grosse étoile qu’elle ne connaissait pas et qui lui faisait peur. La planète, en effet, était en ce moment très près de l’horizon et traversait une épaisse couche de brume qui lui donnait une rougeur horrible. La brume, lugubrement empourprée, élargissait l’astre. On eût dit une plaie lumineuse.

    Un vent froid soufflait de la plaine. Le bois était ténébreux, sans aucun froissement de feuilles, sans aucune de ces vagues et fraîches lueurs de l’été. De grands branchages s’y dressaient affreusement. Des buissons chétifs et difformes sifflaient dans les clairières. Les hautes herbes fourmillaient sous la bise comme des anguilles. Les ronces se tordaient comme de longs bras armés de griffes cherchant à prendre des proies. Quelques bruyères sèches, chassées par le vent, passaient rapidement et avaient l’air de s’enfuir avec épouvante devant quelque chose qui arrivait. De tous les côtés il y avait des étendues lugubres.

    L’obscurité est vertigineuse. Il faut à l’homme de la clarté. Quiconque s’enfonce dans le contraire du jour se sent le cœur serré. Quand l’œil voit noir, l’esprit voit trouble. Dans l’éclipse, dans la nuit, dans l’opacité fuligineuse, il y a de l’anxiété, même pour les plus forts. Nul ne marche seul la nuit dans la forêt sans tremblement. Ombres et arbres, deux épaisseurs redoutables. Une réalité chimérique apparaît dans la profondeur indistincte. L’inconcevable s’ébauche à quelques pas de vous avec une netteté spectrale. On voit flotter, dans l’espace ou dans son propre cerveau, on ne sait quoi de vague et d’insaisissable comme les rêves des fleurs endormies. Il y a des attitudes farouches sur l’horizon. On aspire les effluves du grand vide noir. On a peur et envie de regarder derrière soi. Les cavités de la nuit, les choses devenues hagardes, des profils taciturnes qui se dissipent quand on avance, des échevellements obscurs, des touffes irritées, des flaques livides, le lugubre reflété dans le funèbre, l’immensité sépulcrale du silence, les êtres inconnus possibles, des penchements de branches mystérieux, d’effrayants torses d’arbres, de longues poignées d’herbes frémissantes, on est sans défense contre tout cela. Pas de hardiesse qui ne tressaille et qui ne sente le voisinage de l’angoisse. On éprouve quelque chose de hideux comme si l’âme s’amalgamait à l’ombre. Cette pénétration des ténèbres est inexprimablement sinistre dans un enfant.

    Les forêts sont des apocalypses ; et le battement d’ailes d’une petite âme fait un bruit d’agonie sous leur voûte monstrueuse.

    Sans se rendre compte de ce qu’elle éprouvait, Cosette se sentait saisir par cette énormité noire de la nature. Ce n’était plus seulement de la terreur qui la gagnait, c’était quelque chose de plus terrible même que la terreur. Elle frissonnait. Les expressions manquent pour dire ce qu’avait d’étrange ce frisson qui la glaçait jusqu’au fond du cœur. Son œil était devenu farouche. Elle croyait sentir qu’elle ne pourrait peut-être pas s’empêcher de revenir là à la même heure le lendemain.

    Alors, par une sorte d’instinct, pour sortir de cet état singulier qu’elle ne comprenait pas, mais qui l’effrayait, elle se mit à compter à haute voix un, deux, trois, quatre, jusqu’à dix, et, quand elle eut fini, elle recommença. Cela lui rendit la perception vraie, des choses qui l’entouraient. Elle sentit le froid à ses mains, qu’elle avait mouillées en puisant de l’eau. Elle se leva. La peur lui était revenue, une peur naturelle et insurmontable. Elle n’eut plus qu’une pensée, s’enfuir ; s’enfuir à toutes jambes, à travers bois, à travers champs, jusqu’aux maisons, jusqu’aux fenêtres, jusqu’aux chandelles allumées. Son regard tomba sur le seau qui était devant elle. Tel était l’effroi que lui inspirait la Thénardier qu’elle n’osa pas s’enfuir sans le seau d’eau. Elle saisit l’anse à deux mains. Elle eut de la peine à soulever le seau.

    Elle fit ainsi une douzaine de pas, mais le seau était plein, il était lourd, elle fut forcée de le reposer à terre. Elle respira un instant, puis elle enleva l’anse de nouveau, et se remit à marcher, cette fois un peu plus longtemps. Mais il fallut s’arrêter encore. Après quelques secondes de repos, elle repartit. Elle marchait penchée en avant, la tête baissée, comme une vieille ; le poids du seau tendait et roidissait ses bras maigres ; l’anse de fer achevait d’engourdir et de geler ses petites mains mouillées ; de temps en temps elle était forcée de s’arrêter, et chaque fois qu’elle s’arrêtait l’eau froide qui débordait du seau tombait sur ses jambes nues. Cela se passait au fond d’un bois, la nuit, en hiver, loin de tout regard humain ; c’était un enfant de huit ans. Il n’y avait que Dieu en ce moment qui voyait cette chose triste.

    Et sans doute sa mère, hélas !

    Car il est des choses qui font ouvrir les yeux aux mortes dans leur tombeau.

    Elle soufflait avec une sorte de râlement douloureux ; des sanglots lui serraient la gorge, mais elle n’osait pas pleurer, tant elle avait peur de la Thénardier, même loin. C’était son habitude de se figurer toujours que la Thénardier était là.

    Cependant elle ne pouvait pas faire beaucoup de chemin de la sorte, et elle allait bien lentement. Elle avait beau diminuer la durée des stations et marcher entre chaque le plus longtemps possible. Elle pensait avec angoisse qu’il lui faudrait plus d’une heure pour retourner ainsi à Monfermeil et que la Thénardier la battrait. Cette angoisse se mêlait à son épouvante d’être seule dans le bois la nuit. Elle était harassée de fatigue et n’était pas encore sortie de la forêt. Parvenue près d’un vieux châtaignier qu’elle connaissait, elle fit une dernière halte plus longue que les autres pour se bien reposer, puis elle rassembla toutes ses forces, reprit le seau et se remit à marcher courageusement. Cependant le pauvre petit être désespéré ne put s’empêcher de s’écrier : Ô mon Dieu ! mon Dieu !

    En ce moment, elle sentit tout à coup que le seau ne pesait plus rien. Une main, qui lui parut énorme, venait de saisir l’anse et la soulevait vigoureusement. Elle leva la tête. Une grande forme noire, droite et debout, marchait auprès d’elle dans l’obscurité. C’était un homme qui était arrivé derrière elle et qu’elle n’avait pas entendu venir. Cet homme, sans dire un mot, avait empoigné l’anse du seau qu’elle portait.

    Il y a des instincts pour toutes les rencontres de la vie. L’enfant n’eut pas peur.


     


     

    VI


     

    QUI PEUT-ÊTRE PROUVE L’INTELLIGENCE
    DE BOULATRUELLE


     

    Dans l’après-midi de cette même journée de Noël 1823, un homme se promena assez longtemps dans la partie la plus déserte du boulevard de l’Hôpital à Paris. Cet homme avait l’air de quelqu’un qui cherche un logement, et semblait s’arrêter de préférence aux plus modestes maisons de cette lisière délabrée du faubourg Saint-Marceau.

    On verra plus loin que cet homme avait en effet loué une chambre dans ce quartier isolé.

    Cet homme, dans son vêtement comme dans toute sa personne, réalisait le type de ce qu’on pourrait nommer le mendiant de bonne compagnie, l’extrême misère combinée avec l’extrême propreté. C’est là un mélange assez rare qui inspire aux cœurs intelligents ce double respect qu’on éprouve pour celui qui est très pauvre et pour celui qui est très digne. Il avait un chapeau rond fort vieux et fort brossé, une redingote râpée jusqu’à la corde en gros drap jaune d’ocre, couleur qui n’avait rien de trop bizarre à cette époque, un grand gilet à poches de forme séculaire, des culottes noires devenues grises aux genoux, des bas de laine noire et d’épais souliers à boucles de cuivre. On eût dit un ancien précepteur de bonne maison revenu de l’émigration. À ses cheveux tout blancs, à son front ridé, à ses lèvres livides, à son visage où tout respirait l’accablement et la lassitude de la vie, on lui eût supposé beaucoup plus de soixante ans. À sa démarche ferme, quoique lente, à la vigueur singulière empreinte sur tous ses mouvements, on lui en eût donné à peine cinquante. Les rides de son front étaient bien placées, et eussent prévenu en sa faveur quelqu’un qui l’eût observé avec attention. Sa lèvre se contractait avec un pli étrange, qui semblait sévère et qui était humble. Il y avait au fond de son regard on ne sait quelle sérénité lugubre. Il portait de la main gauche un petit paquet noué dans un mouchoir ; de la droite il s’appuyait sur une espèce de bâton coupé dans une haie. Ce bâton avait été travaillé avec quelque soin, et n’avait pas trop méchant air ; on avait tiré parti des nœuds, et on lui avait figuré un pommeau de corail avec de la cire rouge ; c’était un gourdin, et cela semblait une canne.

    Il y a peu de passants sur ce boulevard, surtout l’hiver. Cet homme, sans affectation pourtant, paraissait les éviter plutôt que les chercher.

    À cette époque le roi Louis XVIII allait presque tous les jours à Choisy-le-Roi. C’était une de ses promenades favorites. Vers deux heures, presque invariablement, on voyait la voiture et la cavalcade royale passer ventre à terre sur le boulevard de l’Hôpital.

    Cela tenait lieu de montre et d’horloge aux pauvresses du quartier qui disaient : — Il est deux heures, le voilà qui s’en retourne aux Tuileries.

    Et les uns accouraient, et les autres se rangeaient ; car un roi qui passe, c’est toujours un tumulte. Du reste l’apparition et la disparition de Louis XVIII faisaient un certain effet dans les rues de Paris. Cela était rapide, mais, majestueux. Ce roi impotent avait le goût du grand galop ; ne pouvant marcher, il voulait courir ; ce cul-de-jatte se fût fait volontiers traîner par l’éclair. Il passait, pacifique et sévère, au milieu des sabres nus. Sa berline massive, toute dorée, avec de grosses branches de lys peintes sur les panneaux, roulait bruyamment. À peine avait-on le temps d’y jeter un coup d’œil. On voyait dans l’angle du fond à droite, sur des coussins capitonnés de satin blanc, une face large, ferme et vermeille, un front frais poudré à l’oiseau royal, un œil fier, dur et fin, un sourire de lettré, deux grosses épaulettes à torsades flottantes sur un habit bourgeois, la toison d’or, la croix de Saint-Louis, la croix de la Légion d’honneur, la plaque d’argent du saint-esprit, un gros ventre et un large cordon bleu ; c’était le roi. Hors de Paris, il tenait son chapeau à plumes blanches sur ses genoux emmaillottés de hautes guêtres anglaises ; quand il rentrait dans la ville, il mettait son chapeau sur sa tête, saluant peu. Il regardait froidement le peuple, qui le lui rendait. Quand il parut pour la première fois dans le quartier Saint-Marceau, tout son succès fut ce mot d’un faubourien à son camarade : « C’est ce gros-là qui est le gouvernement. »

    Cet infaillible passage du roi à la même heure était donc l’événement quotidien du boulevard de l’Hôpital.

    Le promeneur à la redingote jaune n’était évidemment pas du quartier, et probablement pas de Paris, car il ignorait ce détail. Lorsqu’à deux heures la voiture royale, entourée d’un escadron de gardes du corps galonnés d’argent, déboucha sur le boulevard, après avoir tourné la Salpêtrière, il parut surpris et presque effrayé. Il n’y avait que lui dans la contre-allée, il se rangea vivement derrière un angle du mur d’enceinte, ce qui n’empêcha pas M. le duc d’Havré de l’apercevoir. M. le duc d’Havré, comme capitaine des gardes de service ce jour-là, était assis dans la voiture vis-à-vis du roi. Il dit à sa majesté : Voilà un homme d’assez mauvaise mine. Des gens de police, qui éclairaient le passage du roi, le remarquèrent également, et l’un d’eux reçut l’ordre de le suivre. Mais l’homme s’enfonça dans les petites rues solitaires du faubourg, et, comme le jour commençait à baisser, l’agent perdit sa trace, ainsi que cela est constaté par un rapport adressé le soir même à M. le comte Anglès, ministre d’état, préfet de police.

    Quand l’homme à la redingote jaune eut dépisté l’agent, il doubla le pas, non sans s’être retourné bien des fois pour s’assurer qu’il n’était pas suivi. À quatre heures un quart, c’est-à-dire à la nuit close, il passait devant le théâtre de la porte Saint-Martin où l’on donnait ce jour-là les deux Forçats. Cette affiche, éclairée par les réverbères du théâtre, le frappa, car, quoiqu’il marchât vite, il s’arrêta pour la lire. Un instant après, il était dans le cul-de-sac de la Planchette, et il entrait au Plat d’Étain, où était alors le bureau de la voiture de Lagny. Cette voiture partait à quatre heures et demie. Les chevaux étaient attelés, et les voyageurs, appelés par le cocher, escaladaient en toute hâte le haut escalier de fer du coucou.

    L’homme demanda :

    Avez-vous une place ?

    Une seule, à côté de moi, sur le siège, dit le cocher.

    Je la prends.

    Montez.

    Cependant, avant de partir, le cocher jeta un coup d’œil sur le costume médiocre du voyageur, sur la petitesse de son paquet, et se fit payer.

    Allez-vous jusqu’à Lagny ? demanda le cocher.


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  • Van Klein, ou comment devenir millionnaire en faisant de " l'art "

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 6

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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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  • Van Klein

     

     

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 5

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n'importe quoi n'importe qui peut le faire et je suis millionarimilliardaire millionnaire millionnaire millionnaire riche riche richissime riche riche peuple.

     

     

    Art lettré :

    Van Klein Destrek – Sans titre ° 3

    C'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! Quelle bonne excuse ) mais, dans le « métier » , on appelle cela de l'art moderne littéraire, c'est-à-dire de l'art sous forme écrite, avec des lettres : c'est vraiment n' 'importe quoi du moment que ça reste de l'art moderne ( Ah ! Ah ! 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